1. Introduction
1. La commission des affaires
sociales, de la santé et du développement durable m’a désignée rapporteure
sur les droits humains et les questions éthiques liées à la gestation
pour autrui le 28 janvier 2015
. Pendant
les seize derniers mois, j’ai présenté à la commission plusieurs
versions d’un projet de rapport à ce sujet après avoir organisé
une audition
et
réalisé deux missions d’information
. Cependant, la commission a rejeté
(à une très courte majorité) l’avant‑projet de résolution amendé
et l’avant‑projet de recommandation amendé lors de sa réunion à
Paris le 15 mars 2016.
2. Au vu de cette expérience, je considère que les membres de
la commission – et probablement aussi l’Assemblée parlementaire
dans son ensemble – sont trop divisés sur les questions de droits
humains et les questions éthiques liées à la maternité de substitution
pour rassembler davantage qu’une majorité circonstancielle autour
de certains des éléments en jeu. Bien qu’une large majorité existe
à mon avis en faveur de l’interdiction des conventions de maternité
de substitution à but lucratif
, je ne considère plus qu’une
telle majorité existe sur la question de savoir si les conventions
de maternité de substitution altruistes devraient ou non être autorisées,
pas plus que sur celle de savoir si nous devrions encourager les
Etats qui autorisent effectivement les conventions de maternité
de substitution à but lucratif à établir des normes minimales afin
de protéger les mères porteuses et les enfants nés d’une mère de
substitution à l’égard des abus.
3. Je souhaiterais par conséquent concentrer mon rapport sur
les points autour desquels un accord est possible, conformément
aux discussions de la commission lors de notre réunion à Strasbourg
le 20 avril 2016, en particulier sur la nécessité d’accorder la
priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme je l’ai indiqué clairement
dans toutes les versions de mon projet de rapport, je suis d’avis
que les conventions de maternité de substitution à but lucratif
devraient être interdites. La plupart des enfants nés de conventions
de maternité de substitution internationales sont en fait nés de
conventions à but lucratif (les estimations à ce sujet atteignent
98 % à 99 %). Par conséquent, la nécessité de donner la priorité
à l’intérêt supérieur de l’enfant cadre parfaitement avec la proposition
d’interdire les conventions de maternité de substitution à but lucratif.
4. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de modifier le
titre du rapport en «Droits de l’enfant et maternité de substitution
à but lucratif»
. Avec ce changement de titre,
j’ai souhaité indiquer clairement qu’il ne s’agissait plus d’un
rapport sur la maternité de substitution en tant que telle et, dans
ce rapport, je ne prendrai donc pas position sur les questions éthiques
concernant la maternité de substitution en général, notamment en
relation avec les droits des parents d’intention ou les droits et
les vulnérabilités des femmes, qui sont incontestablement des problématiques
majeures. J’orienterai ce rapport sur l’impact de la maternité de substitution
à but lucratif sur les droits des enfants nés de mères porteuses,
en vue d’assurer la protection effective de ces droits.
5. Le 10 mars 2016, Mme Caroline Roux
(Vice-présidente de l’Union Internationale pour l’abolition de la gestation
pour autrui, Directrice de VITA International) a adressé au Président
de l’Assemblée une pétition intitulée «
No
maternity traffic», qui a été signée par plus de 100 000 personnes.
Cette pétition
, qui a été transmise à
notre commission par le Bureau de l’Assemblée le 26 mai 2016 afin
d’être prise en compte dans le cadre de la préparation de ce rapport,
demande à l’Assemblée parlementaire «de condamner clairement toute
pratique de gestation pour autrui comme contraire en soi aux droits
et à la dignité des personnes».
6. Pour les raisons indiquées ci‑dessus (paragraphes 1 à 4),
l’avant‑projet de résolution que j’avais proposé à la commission
aurait
condamné en termes clairs toutes les conventions de maternité de substitution
à but lucratif, mais n’aurait pas pris position sur d’autres formes
de maternité de substitution. Mon avis personnel sur les formes
altruistes de maternité de substitution, qui ne concernent qu’un
nombre extrêmement limité d’enfants en Europe, est connu: je ne
considère pas que la maternité de substitution altruiste devrait
être interdite (pour de nombreuses raisons)
, mais
elle devrait être limitée à la gestation pour autrui, être étroitement
réglementée et n’être légalement accessible qu’aux seuls nationaux
résidant dans la juridiction concernée
.
Une fois de plus, étant donné l’incapacité de la commission à accepter
ou rejeter clairement cet avis, le présent rapport ne traitera pas
des conventions de maternité de substitution altruistes.
7. Je continue à penser, cependant, que l’absence d’un instrument
juridique multilatéral sur la filiation en relation avec la maternité
de substitution accroît les risques de violation des droits de l’enfant.
Avant que la Conférence de La Haye de droit international privé
(HCCH) puis, ultérieurement, le Conseil de l’Europe n’aient adopté
leurs conventions sur l’adoption, la situation en matière d’adoptions
internationales était aussi peu réglementée que le sont aujourd’hui
la maternité de substitution internationale et les questions de
filiation juridique qui en résultent. Par conséquent, je considère
que l’Assemblée devrait encourager à la fois les Etats membres du
Conseil de l’Europe et le Comité des Ministres à collaborer avec
la HCCH.
2. Arguments
contre la maternité de substitution à but lucratif
8. Les conventions de maternité
de substitution à but lucratif sont définies comme suit par la HCCH
(voir le glossaire en annexe):
«Convention de maternité de substitution dans
laquelle le ou les parents d’intention versent à la mère porteuse
une rémunération financière qui est supérieure à ses «frais raisonnables».
Cette rémunération peut être appelée «compensation» pour les «douleurs
et les souffrances» ou peut être simplement le prix que la mère
porteuse demande pour porter l’enfant. Il peut s’agir d’une convention
de gestation pour autrui ou d’une convention de procréation pour
autrui.»
9. Comme l’indique la HCCH, la caractéristique essentielle d’une
convention de maternité de substitution à but lucratif est le fait
que la mère porteuse reçoit des parents d’intention une rémunération
financière qui est supérieure à ses «frais raisonnables». Un rapport
récent
recense
les pays où la maternité de substitution à but lucratif est légale
et pratiquée à grande échelle. Des dispositions juridiques autorisent
le(s) parent(s) d’intention à obtenir la filiation juridique et
il n’y a pas de critère de nationalité, de domicile ou de résidence habituelle
à respecter pour les parents d’intention. Les pays ou Etats concernés
sont: la Russie, l’Ukraine, les Etats américains comme l’Alabama,
l’Arkansas, la Californie, la Caroline du Sud, le Connecticut, le
Dakota du Nord, l’Illinois, l’Iowa, le Maryland, le Massachusetts,
le Minnesota, le Nevada, l’Ohio, l’Oregon, la Pennsylvanie, le Tennessee,
le Texas, l’Utah, la Virginie-Occidentale et le Wisconsin, ainsi
que l’Inde (NB: ne s’applique plus aux couples homosexuels depuis
2013
;
un projet de loi est actuellement en cours d’examen devant le parlement
afin de limiter les conventions de maternité de substitution aux
couples hétérosexuels, nationaux résidant dans le pays et mariés
depuis cinq ans au moins, souffrant de problèmes de santé et dans lesquels
la mère porteuse est un proche parent) et l’Ouganda.
10. Combien d’enfants naissent de conventions de maternité de
substitution internationales à but lucratif? La plupart des spécialistes
s’accordent à reconnaître que le nombre de ces enfants augmente
depuis un certain temps mais il est difficile d’obtenir des estimations
fiables à ce sujet. L’organisation non gouvernementale (ONG) Service
Social International (SSI) estime à plus de 20 000 le nombre d’enfants
nés chaque année de mères porteuses
; la BBC, citant des estimations officielles
de l’Inde, a rapporté que 5 000 enfants naissent tous les ans de
mères porteuses dans ce seul pays
. En Ukraine, 396 cycles de FIV concernant
des mères porteuses dans des cliniques privées (les cliniques publiques
n’offrent pas de services de maternité de substitution) ont été
signalés au ministère de la Santé sur une base volontaire en 2014.
Quoi qu’il en soit, la gestation pour autrui à but lucratif revêt
une dimension financière importante: en Inde seulement, celle‑ci
est estimée à $US 2,3 milliards
–
dont seulement un tiers environ parvient généralement aux mères
porteuses
,
les sommes les plus substantielles étant apparemment versées à des
agences spécialisées, des intermédiaires et des médecins/cliniques.
11. Les mères porteuses qui signent une convention à but lucratif
sont pour la plupart assez pauvres et peu instruites, notamment
dans les pays en développement. Elles courent tous les risques associés
à une grossesse et à un accouchement déclenchés médicalement
. Elles sont particulièrement vulnérables
du fait de leur obligation de remettre l’enfant peu après la naissance
– en général, leur rémunération en dépend (au moins partiellement).
Cela entraîne des risques psychologiques, qui peuvent être aggravés
dès lors que la mère porteuse est également la mère génétique, ne
bénéficie pas d’un soutien approprié et/ou ne peut rester en contact
avec l’enfant. Un autre risque réside dans le fait que les parents
d’intention peuvent s’immiscer dans le déroulement de la grossesse
(par exemple, limiter le pouvoir de décision de la mère porteuse
concernant sa propre santé, voire concernant la poursuite de la
grossesse) ou refuser d’accepter, c’est-à-dire abandonner un enfant
qui n’est pas en bonne santé ou qui, pour une raison quelconque,
n’est plus souhaité.
12. Ces dernières années, les scandales concernant des abus dont
ont été victimes des mères porteuses dans le cadre de conventions
de maternité de substitution internationales à but lucratif ont
été nombreux; dans certains pays comme l’Inde ou le Népal (qui a
depuis interdit les conventions de ce type), par exemple, des femmes
auraient été isolées dans des «fermes à bébés» où leurs libertés
personnelles seraient fortement restreintes, où elles vivraient
recluses, loin de leur famille
,
où elles seraient soumises à des pratiques qui comportent des risques
médicaux inutiles, et où elles recevraient une rémunération dérisoire
(ou aucune en cas de fausse couche ou d’enfant mort-né)
. Même dans des pays comme les Etats-Unis,
il semblerait que certaines mères porteuses aient été victimes d’abus
de la part de parents d’intention ou d’intermédiaires
.
13. L’un des scandales qui a fait le plus de bruit, l’affaire
«
Baby Gammy», démontre les
raisons pour lesquelles, à mon avis, les conventions de maternité
de substitution à but lucratif devraient être interdites – et ceci
bien que l’affaire était plus complexe que ne l’ont initialement
affirmé les médias. En 2014, un couple australien, Wendy Li et David
Farnell, a fait les gros titres de la presse internationale pour
avoir engagé une mère porteuse thaïlandaise (semble-t-il pour une
somme équivalant à moins de € 10 000) et décidé ensuite de n’emporter
chez eux à la naissance que l’un des deux enfants jumeaux, Pipah,
en laissant derrière eux l’autre, Gammy, qui était atteint de trisomie.
La mère porteuse, Pattaramon Chanbua, a cherché à obtenir la garde légale
de Pipah après avoir appris que Farnell avait été emprisonné pour
des délits sexuels sur enfant près de deux décennies auparavant.
Le tribunal de la famille compétent en Australie occidentale a statué
en avril 2016 que les informations selon lesquelles les parents
avaient «abandonné» Gammy en Thaïlande (et cherché à accéder au
fonds fiduciaire du bébé) étaient inexactes et résultaient d'une
«frénésie des médias»
.
Le juge a considéré que les témoignages contradictoires des Farnell
et de Mme Chanbua résultaient de différences culturelles
et linguistiques et qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce que de
tels malentendus se produisent «lorsque le corps d’une femme est
loué au profit d’autrui».
3. Protéger
les droits des enfants
15. La Convention des Nations Unies
relative aux droits de l’enfant garantit à celui-ci, et ce depuis
plus de 25 ans:
a. le droit d’être
enregistré aussitôt sa naissance et le droit, dès celle-ci, à un
nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible,
le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux (article
7);
b. le droit de ne pas être séparé de ses parents et d’entretenir
régulièrement des relations personnelles et des contacts directs
avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur
de l’enfant (article 9);
c. le droit à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit
une considération primordiale (article 3).
16. Il n’est évidemment pas possible d’imputer à l’enfant le fait
qu’il soit issu d’une convention de maternité de substitution; aussi
les droits de l’enfant ne peuvent-ils être restreints au seul motif
que les parents d’intention ont enfreint la législation de leur
pays interdisant le recours à la maternité de substitution. C’est
ce qu’a indiqué, en essence, la Cour européenne des droits de l’homme
dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires
Mennesson et
Labassee
c. France: l’intérêt supérieur de l’enfant l’emporte.
Dans cet arrêt de référence rendu en juin 2014, la Cour, invoquant
le principe de «l’intérêt supérieur de l’enfant», a précisé que
la France avait violé l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) en refusant
de reconnaître la filiation entre un père biologique et ses enfants
nés d’une gestation pour autrui. Cependant, un certain nombre de
questions demeurent. Désormais, la France ne peut plus invoquer
le principe selon lequel tout certificat de naissance établi à l’étranger
sur la base d’une convention internationale de maternité de substitution
serait frappé de nullité
, avec toutes les conséquences
pour les enfants concernés en matière de filiation juridique et
de citoyenneté
, mais on ignore si le fait de refuser
de reconnaître (ou de rétablir) une filiation juridique établie
à l’étranger entre un enfant et un parent d’intention qui ne lui
est pas génétiquement apparenté porte atteinte aux droits de l’enfant
au titre de l’article 8
. La Cour européenne des droits
de l’homme semble également laisser en suspens la question de savoir
si le pays d’accueil de l’enfant peut appliquer sa propre procédure
d’adoption plutôt que de reconnaître la filiation juridique établie
à l’étranger
.
17. A la suite de ces décisions, la Cour de cassation française
a statué que les actes de naissance étrangers d’enfants nés de conventions
de gestation pour autrui en Russie dans deux cas distincts de pères
(génétiques) d’intention pouvaient être transcrits dans les registres
de l’état‑civil. Le principe selon lequel l’intérêt supérieur de
l’enfant l’emporte a été réitéré dans une autre affaire,
Paradiso et Campanelli c. Italie,
où il n’y avait pas de lien génétique entre les parents d’intention
et l’enfant; dans son arrêt du 27 janvier 2015, la Cour a également indiqué
qu’il est nécessaire qu’un enfant ne soit pas désavantagé du fait
qu’il a été mis au monde par une mère porteuse
. Toutefois, le
gouvernement italien a fait appel de cet arrêt, qui est en cours
d’examen par la Grande Chambre
.
18. Le 21 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme
a rendu un arrêt dans les affaires Foulon c.
France et Bouvet c. France,
qui portaient sur la non-reconnaissance en France de la paternité
de pères (biologiques) d’intention d’enfants nés de mères porteuses
en Inde. Malgré l’évolution de la jurisprudence française depuis
les arrêts Mennesson et Labassee, la filiation juridique
n’a pas été établie (M. Foulon ayant épuisé tous les recours et
voies légales à sa disposition). La Cour est ainsi parvenue à la
même conclusion que dans les affaires Mennesson et Labassee, à savoir que la France
avait violé le droit au respect de la vie privée de l’enfant, et
a accordé à chaque enfant € 5 000 au titre du préjudice moral. Il
est important de noter que tous ces arrêts contre la France ont
conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention (droit
au respect de la vie privée et familiale) à l’égard des parents
requérants, et uniquement à l’égard des enfants nés d’une mère porteuse.
Une autre affaire contre la France est toujours en instance devant
la Cour européenne des droits de l’homme: Laborie
c. France, qui porte sur la non-reconnaissance en France
d’actes de naissance ukrainiens concernant deux enfants nés d’une
mère porteuse.
19. En effet, il n’est pas toujours facile d’appliquer concrètement
tant la Convention relative aux droits de l’enfant que les arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme: par exemple, c’est
la législation nationale qui définit le parent d’un enfant, et il
peut y avoir en la matière des différences selon les pays concernés.
En théorie, l’article 7 pourrait faire l’objet d’une interprétation
qui le rendrait applicable à jusqu’à trois «mères» et trois «pères»:
la mère qui a mis l’enfant au monde (la mère porteuse), la mère
génétique (la donneuse d’ovocytes), la mère d’intention, le père
génétique (le donneur de sperme), le père d’intention et le mari
de la mère porteuse. On pourrait considérer que l’enfant issu d’une
telle convention de maternité de substitution est en droit de connaître
et d’être élevé par chacune de ces six personnes – ce qui est bien
entendu rarement le cas dans les faits, en particulier dans le cadre
des conventions de maternité de substitution internationales à but
lucratif.
20. Comme l’a indiqué la HCCH
, «les approches que suivent
les Etats en matière d’établissement et de contestation de la filiation
juridique, en particulier eu égard aux enfants nés au moyen de technologies
de procréation assistée (TPA) et de conventions de maternité de
substitution internationales, sont très variables. Lorsque les enfants
sont liés à plusieurs Etats ou traversent des frontières, l’application
des différentes normes de compétence, le droit applicable et la
transmission internationale de documents publics étrangers (par
ex. actes de naissance, documents d’état‑civil) et les décisions
judiciaires (en particulier les règles de reconnaissance) conduisent
à des situations de filiation juridique incertaine ou “boiteuse”»
.
21. En pratique, lorsque la filiation juridique d’un enfant doit
être décidée dans une affaire de maternité de substitution transfrontière,
la HCCH note que «la tendance au niveau national et régional semble
être de chercher à assurer la continuité de l’état‑civil de l’enfant»
.
La raison en est que le statut des enfants met en jeu une dimension
importante des droits humains: «L’unité, la stabilité et la continuité
du statut personnel d’un individu présentent un intérêt social.
La certitude de l’état‑civil est un élément constitutif de l’identité personnelle
d’un enfant»
.
En outre, la maternité de substitution transfrontière peut être
cause d’apatridie pour les enfants, ce qui est contraire à l’article
7 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
22. Toutefois, si la plupart des pays (y compris ceux qui interdisent
les conventions de maternité de substitution à but lucratif) parviennent
finalement à trouver en pratique une solution pour les enfants nés
à l’étranger de telles conventions, cette solution n’est pas toujours
idéale – et pas nécessairement conforme à l’intérêt supérieur de
l’enfant. Quant à savoir en quoi consiste exactement l’intérêt supérieur
de l’enfant, il s’agit là aussi d’une question qui est sujette à
controverse: est-il, par exemple, dans l’intérêt supérieur de l’enfant
de renvoyer ce dernier à une mère porteuse étrangère qui ne souhaite
pas s’occuper de lui dans un pays favorable à la maternité de substitution,
ou de le confier à ses parents d’intention qui sont certes désireux
de s’occuper de lui mais vivent dans un pays opposé à cette pratique,
ou d’être pris en charge par l’Etat dans une de ces juridictions?
En tout état de cause, le fait d’être abandonné par des parents
d’intention (en particulier si la mère porteuse refuse elle aussi
de s’occuper de l’enfant) parce que l’enfant n’est pas en bonne
santé ou n’est plus souhaité pour une raison quelconque (par exemple,
la séparation des parents d’intention) ne répond en aucun cas à
l’intérêt supérieur de l’enfant
.
23. On voit bien ici à quel point l’enfant est vulnérable. La
question de savoir si les enfants nés d’une mère porteuse courraient
des risques psychologiques dus au fait que celle-ci ne s’attacherait
pas à l’enfant durant la grossesse et l’«abandonnerait» juste après
la naissance est contestée: les études scientifiques sur le sujet sont
rares et souvent partiales
. Or, dans les affaires
relatives à des conventions internationales, il n
’est pas rare que les tribunaux
perdent la trace de la mère porteuse quelques mois seulement après
la naissance de l
’enfant.
Il est donc très improbable que tous les enfants nés dans le cadre
de conventions internationales soient en mesure de connaître leurs
origines génétiques et natales plus tard dans la vie; cela est une
violation du droit de l
’enfant
de connaître ses origines, et peut en outre avoir des conséquences
psychologiques (et même physiques)
néfastes pour l
’enfant.
4. Conclusions
et recommandations
24. La grande majorité des conventions
de maternité de substitution à but lucratif sont établies de part
et d’autre des frontières d’un Etat (par exemple aux Etats‑Unis)
ou de frontières nationales, et impliquent généralement un ou des
parents d’intention appartenant à une juridiction où la maternité
de substitution à but lucratif est interdite et une mère porteuse
relevant d’une juridiction où celle‑ci est légale et où des dispositions légales
permettant au(x) parent(s) d’intention d’obtenir la filiation juridique
sont prévues. Les raisons pour lesquelles les parents d’intention
font un tel choix sont multiples: la plus fréquente semble être
la stérilité
. La solution de l’adoption
n’est pas toujours accessible à ces parents d’intention, du fait
par exemple de textes législatifs et réglementaires nationaux qui
posent des exigences auxquelles ils ne peuvent satisfaire (conditions
de nationalité, limite d’âge, obligation d’être mariés ou d’avoir
une relation hétérosexuelle stable, etc.). Certains parents d’intention
choisissent cependant la maternité de substitution plutôt que l’adoption
car ils souhaitent avoir leur «propre» enfant qui sera génétiquement
lié à au moins l’un des deux membres du couple, car il leur semble
illusoire d’espérer adopter un enfant dans un délai relativement
court, ou encore car ils craignent, peut-être avec raison, de ne
pas réussir les tests de sélection pour l’adoption.
25. Mais quelles sont en pratique les conséquences pour les enfants
nés de telles conventions de substitution de maternité transfrontières?
Ces enfants sont confrontés à divers risques de la part de multiples acteurs
(parents d’intention, mères porteuses, tiers, Etats dans lesquels
sont nés les enfants, Etats auxquels les enfants sont liés via les
parents d’intention), et notamment:
- la traite des enfants;
- l’abandon et/ou les traitements abusifs;
- l’apatridie ou une filiation «boiteuse»;
- le non‑respect de leur droit de connaître leurs origines,
avec les conséquences néfastes qui peuvent en résulter sur le plan
psychologique (et même physique).
26. L’application du principe de l’«intérêt supérieur de l’enfant»
par les Etats confrontés à des enfants nés de conventions de maternité
de substitution internationales à but lucratif conduit en général,
même dans les Etats dont le droit interne interdit certaines ou
toutes les formes de maternité de substitution, à des solutions acceptables,
mais pas toujours rapides cependant: adoptions, «décisions parentales»
ou autorisations de rester dans le pays pour des raisons humanitaires,
par exemple. Cependant, il n’existe aucune sécurité juridique à
ce sujet car les Etats ne veulent pas que ces solutions au cas par
cas soient perçues comme une forme d’approbation des conventions
de maternité de substitution internationales, ce qui pourrait contribuer
à leur multiplication.
27. Comme je l’ai déjà souligné dans les versions antérieures
de ce projet de rapport, il n’existe pas à mon sens de «droit à
un enfant»; en revanche, les enfants ont des droits et ceux‑ci doivent
être respectés
par tous
les acteurs, y compris les Etats. Je comprends parfaitement pourquoi
il est si difficile d’harmoniser les législations nationales de
manière à respecter le droit des enfants à une filiation juridique
sans légitimer de fait les conventions de maternité de substitution
transfrontières à but lucratif, ce qui en définitive ne serait pas
non plus conforme à l’intérêt supérieur des enfants
.
28. Le moyen idéal de résoudre ce problème serait évidemment que
tous les pays interdisent la maternité de substitution à but lucratif,
qui représente environ 98 % à 99 % de l’ensemble des conventions
de maternité de substitution. C’est en effet la solution que j’ai
proposée dès le début. Le Parlement européen a inclus dans sa résolution
de décembre 2015
un paragraphe appelant à l’interdiction
de la pratique de gestation pour autrui à but lucratif. On peut
s’étonner, cependant, que le Parlement européen appelle uniquement
à l’interdiction de la gestation pour autrui à but lucratif et non
de la procréation pour autrui à but lucratif (que je considère personnellement
comme la pire forme de maternité de substitution). C’est la raison
pour laquelle je considère que les Etats membres devraient interdire
toutes les formes de maternité de substitution à but lucratif, dans
l’intérêt supérieur de l’enfant.
29. Néanmoins, le fait est qu’en l’absence d’un instrument juridique
contraignant à ce sujet, chaque pays est libre de décider pour lui‑même
de la position qu’il souhaite adopter au niveau national. Autrement
dit, il est peu probable que les pays qui autorisent actuellement
la maternité de substitution à but lucratif et la pratiquent à grande
échelle (notamment deux Etats membres du Conseil de l’Europe, l’Ukraine
et la Russie), ou ceux où elle est pratiquée illégalement mais tolérée
(comme en Grèce
) décident de l’interdire uniquement
parce que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommande
de le faire. Il semble encore plus improbable que ces pays acceptent
d’être liés par un instrument juridique interdisant la maternité
de substitution à but lucratif, indépendamment du fait de savoir
si cet instrument est développé au niveau européen ou international. Comme
il existe peu – sinon aucun – mouvement d’enfants nés de mères porteuses
entre les pays qui interdisent la maternité de substitution à but
lucratif, un instrument juridique interdisant celle‑ci serait sans
effet sur les droits des enfants.
30. Dans ces conditions, je pense qu’au minimum, les juridictions
qui continuent d’autoriser la maternité de substitution à but lucratif
devraient être tenues d’accepter uniquement les conventions de maternité
de substitution entre des nationaux résidant dans leur propre Etat
et pays. On observe déjà une tendance intéressante en ce sens, comme
l’a noté la HCCH
.
Si cette obligation était introduite dans un instrument juridique
international liant à la fois les pays qui interdisent et les pays
qui autorisent la maternité de substitution à but lucratif, une
telle norme aurait pour effet de réduire les conventions de maternité
de substitution à moins de 1 % ou 2 % de leur nombre actuel et d’empêcher
complètement les mouvements transfrontières d’enfants nés de conventions
à but lucratif, en protégeant effectivement ces enfants des atteintes
à leurs droits en matière de filiation et de nationalité.
31. En conclusion, je propose que l’Assemblée recommande que:
- les Etats membres interdisent
toutes les formes de maternité de substitution à but lucratif dans
l’intérêt supérieur de l’enfant;
- les Etats membres et le Comité des Ministres collaborent
avec la HCCH en vue, au minimum, de restreindre le recours aux conventions
de maternité de substitution aux nationaux résidant dans leur propre
Etat et pays dans un éventuel instrument multilatéral auquel les
travaux de la HCCH sur la filiation et la maternité de substitution seraient
à même d’aboutir;
- les Etats membres veillent à ne pas porter atteinte aux
droits de l’enfant lorsqu’ils prennent des mesures visant à maintenir
l’ordre public et à dissuader le recours à des conventions de maternité
de substitution;
- le Comité des Ministres examine l’opportunité et la faisabilité
de l’élaboration de lignes directrices européennes sur la protection
des droits de l’enfant en relation avec les conventions de maternité
de substitution à but lucratif.
32. Enfin, la plupart de nos Etats membres disposent d’un éventail
de possibilités pour faire en sorte que l’adoption devienne l’alternative
la plus viable à la gestation pour autrui, offrant ainsi des parents
attentionnés à un enfant dans le besoin, et réalisant ainsi le désir
d’enfant des couples stériles – la meilleure solution pour tous.