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Rapport | Doc. 14216 | 13 décembre 2016

Renforcer le dialogue social en tant qu’instrument de stabilité et de réduction des inégalités sociales et économiques

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Ögmundur JÓNASSON, Islande, GUE

Origine - Renvois en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4211 du 20 juin 2016. 2017 - Première partie de session

Résumé

Le dialogue social, qui fait intervenir les syndicats, les fédérations d’employeurs et les pouvoirs publics, subit les répercussions négatives d’un certain nombre de tendances (plus ou moins) récentes, telles que la mondialisation, les nouvelles formes d’emploi, les pressions exercées sur les conditions d’emploi et de travail et le nouveau mode de fonctionnement des institutions du marché du travail. Afin de parvenir à une plus grande stabilité économique, certains pays ont mis en place des restrictions qui s’appliquent aux actions de revendication et à la couverture par les négociations collectives.

En tout état de cause, des données réunies notamment par l’OCDE attestent que les pays dans lesquels le dialogue social est solide se caractérisent par de meilleures performances économiques et une répartition plus équitable des revenus. Tous les partenaires sociaux auraient donc intérêt à un tel dialogue social, reposant sur un bon équilibre des pouvoirs, un dialogue ouvert et fondé sur la confiance et le plein respect des normes internationales, afin d’améliorer la situation économique et de prévenir des mouvements de protestation excessifs.

L’Assemblée parlementaire devrait appeler les Etats membres à renforcer le dialogue social grâce à la législation et aux politiques en matière de travail, à rétablir les droits collectifs lorsqu’ils ont été affaiblis et à n’appliquer à ces droits des restrictions légales qu’en stricte conformité avec les normes européennes et internationales. Les Etats membres devraient aussi promouvoir une évaluation comparative du respect de ces dernières grâce au système de suivi de l’OIT.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 novembre
2016.

(open)
1. Dans l’économie mondialisée de ce début de XXIe siècle, les partenaires sociaux – syndicats, fédérations d’employeurs et pouvoirs publics – évoluent dans un environnement complexe. Les syndicats, en particulier, sont censés représenter les intérêts des travailleurs face à des tendances diverses et souvent contradictoires qui ont fortement modifié leur rôle dans le dialogue social, tant sur le plan national qu’européen, et dans la société d’une manière générale.
2. Comme d’autres institutions du marché du travail, les syndicats doivent s’adapter aux évolutions rapides du monde du travail, qui exigent sans cesse des travailleurs de tous niveaux de nouvelles capacités. Ils doivent aussi répondre à la diminution du nombre d’adhérents au sein de leurs organisations et s’adapter au développement des technologies de l’information et des médias sociaux, de plus en plus utilisés comme vecteurs de communication, y compris dans les relations de travail. Dans plusieurs pays, le champ d’action et l’influence des syndicats, ainsi que la couverture des négociations collectives, ont diminué au fil des ans en raison des restrictions juridiques appliquées aux droits collectifs du travail dans le cadre des programmes d’austérité, ainsi que l’a déjà souligné l’Assemblée parlementaire dans la Résolution 2033 (2015) sur la protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève.
3. L’Assemblée s’inquiète des conséquences néfastes de certaines de ces tendances sur les syndicats et le dialogue social. Elle craint que la diminution de l’importance des syndicats et l’évolution de leur rôle ne contribuent à accroître les inégalités sociales et économiques qui ne cessent déjà de se creuser. Les syndicats eux-mêmes devraient faire preuve de prudence et veiller avec une extrême prudence à toujours agir d’une manière démocratique et à éviter de prendre des décisions contradictoires, par exemple lorsqu’ils agissent eux-mêmes en tant qu’acteurs économiques et investisseurs.
4. Si les droits collectifs qu’ils défendent, notamment le droit de grève, doivent être protégés comme des éléments fondamentaux du modèle social européen, les syndicats doivent agir de manière responsable et accepter de rendre des comptes à tout moment. Les restrictions juridiques aux modes d’action des syndicats, tels que les droits de négociation collective et de grève, ne devraient être appliqués que dans le strict respect des normes internationales définies par l’Organisation internationale du travail (OIT), mais les syndicats devraient toujours utiliser leur pouvoir discrétionnaire et garder à l’esprit leurs responsabilités sociales en circonscrivant autant que possible les actions de grève. Une condition préalable pour un dialogue social fructueux est à la fois le consentement interne et la confiance mutuelle entre les partenaires sociaux que leurs intérêts respectifs soient entendus et respectés.
5. Convaincue que la nécessité d’un dialogue social solide, reposant sur un bon équilibre des pouvoirs, un dialogue ouvert et fondé sur la confiance et le plein respect des normes internationales, devrait être reconnue et que sa mise en œuvre devrait être soutenue par tous les partenaires sociaux, l’Assemblée appelle les Etats membres:
5.1. à ratifier et à mettre pleinement en œuvre la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163) et le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158), s’ils ne l’ont pas encore fait, et à élaborer une législation du travail nationale conforme à ces normes, ou à réviser celle en place afin de la mettre en conformité;
5.2. à promouvoir et à soutenir les relations industrielles et la couverture des négociations collectives grâce à des cadres juridiques adaptés et une action politique constructive, qui contribuent à garantir la stabilité des processus économiques et à diminuer les inégalités sociales et économiques;
5.3. à renoncer le cas échéant aux mesures qui affaiblissent le dialogue social, notamment en rétablissant les institutions de dialogue social si elles ont été supprimées, afin de remettre le dialogue social national et les autres droits collectifs en conformité avec le Pacte international relatif aux droits sociaux et économiques, les conventions de l’OIT, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la Charte sociale européenne;
5.4. à maintenir au strict minimum les limitations juridiques au droit de négociation collective et au droit de grève, ainsi que le prévoient les normes européennes et de l’OIT reconnues;
5.5. à sensibiliser tous les partenaires sociaux à leur rôle spécifique, à la nécessité de faire preuve de responsabilité et de rendre des comptes dans le dialogue social et l’action syndicale, ainsi qu’à la nécessité de respecter les droits sociaux individuels et collectifs et les processus démocratiques en ce qui concerne l’action collective;
5.6. à travailler en coopération étroite pour concevoir des institutions et des politiques du marché du travail modernes, qui soient à même de s’adapter en permanence aux changements socio-économiques, et à veiller à ce que les partenaires sociaux s’attaquent conjointement aux grands enjeux, en particulier la stabilité et la croissance économiques, les tendances sociales et technologiques, une répartition plus équitable des revenus et la cohésion sociale au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe.
6. Enfin, l’Assemblée appelle l’OIT à mener une évaluation comparative de la mise en œuvre de ses dispositions fondamentales de législation du travail relatives au droit de grève, portant notamment sur les conditions d’exercice du droit de grève, les services essentiels et le service minimum à préserver et le droit individuel au travail, à la lumière des dernières dispositions adoptées en matière de politiques et de législation du travail. L’Assemblée invite par ailleurs les Etats Parties aux conventions de l’OIT et les membres des organes de suivi de l’OIT à soutenir une telle initiative.

B. Exposé des motifs, par M. Ögmundur Jónasson, rapporteur

(open)

1. Origine, portée et objectifs du rapport

1. Au cours des dernières décennies, les syndicats européens ont joué un rôle important dans les négociations entre employeurs, employés et l’Etat, ce qui a permis de conclure des conventions collectives largement reconnues dans certains secteurs économiques. D’une manière générale, ce «dialogue social» est considéré comme une composante essentielle du modèle social européen et comme un atout pour les économies de marché européennes.
2. Si, traditionnellement, les syndicats ont eu une influence et un rôle différents en fonction des pays européens, on observe depuis quelques temps des tendances générales comparables dans plusieurs pays, à savoir: un déclin général du nombre de syndiqués; une décentralisation des conventions collectives à l’échelle de l’entreprise; une proportion plus importante de travailleurs précaires non couverts par les conventions collectives; et une évolution du fonctionnement interne des syndicats. Ces évolutions ont tendance à affaiblir la position des syndicats dans les processus de négociation collective et à réduire leur rôle parmi les partenaires sociaux. L’influence des syndicats dans les fonds de pensions est importante, mais révèle les responsabilités sociales auxquelles ils sont confrontés en agissant en tant qu’acteurs économiques. Etre considérés comme ne respectant pas ces lignes pourrait les affaiblir auprès de leurs adhérents, de l’avis de certains. Ils pourraient, par exemple, être perçus comme étant placés dans une position contradictoire au même moment où ils défendent à la fois l’infrastructure et y cherchent des opportunités d’investissement. D’un autre côté, certains avancent que les investissements prudents et socialement responsables pourraient être acceptables.
3. Ce rapport (fondé sur une proposition de résolution que j’avais déposée moi-même avant d’être nommé rapporteur) vise par conséquent en premier lieu à examiner s’il existe une corrélation directe entre l’évolution du fonctionnement et du rôle des syndicats d’une part et l’augmentation des inégalités observée dans de nombreux pays européens d’autre part – une approche dont on peut considérer en partie qu’elle s’inscrit dans la continuité de la Résolution 2033 (2015) de l’Assemblée parlementaire sur la protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève. Outre le fait que je prolongerai la réflexion de ce texte antérieur qui préconise de protéger le dialogue social, j’étudierai également comment les partenaires sociaux dans les Etats membres doivent s’adapter à de nouvelles réalités et comment un dialogue social équilibré associant des partenaires forts, de tous camps, peut être maintenu.
4. Parallèlement à mon initiative personnelle, le groupe des Conservateurs européens a récemment exprimé à deux occasions au Bureau de l’Assemblée la crainte que les grèves continues et généralisées et les manifestations de nature plus politique n’aient des conséquences sur le droit au travail en empêchant les travailleurs de se rendre sur leur lieu de travail, en perturbant le fonctionnement des services publics ou, pour certains participants aux grèves et aux protestations, en recourant à la violence et en causant des dégâts matériels.
5. En réponse, le Bureau a décidé de saisir la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable pour qu’elle élabore un rapport sur le thème suivant: «Appel urgent à une plus grande solidarité: droit au travail et droit de grève» (en temps utile pour pouvoir tenir un débat au cours de la partie de session de janvier 2017). Par ce mandat, la commission a été chargée d’examiner les mesures susceptibles de protéger le droit au travail dans un contexte de grèves et de protestations généralisées. A sa réunion du 23 juin 2016, la commission a décidé de fusionner ce deuxième renvoi avec le premier rapport, pour lequel j’avais déjà été nommé rapporteur, et elle m’a demandé d’intégrer ces questions dans un seul rapport à élaborer pour janvier 2017. Ce mandat a été confirmé lors de la réunion ultérieure, le 21 septembre 2016 à Paris, où la majorité de la commission s’est à nouveau déclarée convaincue qu’il n’était pas nécessaire de préparer un rapport distinct.
6. Afin de prendre en compte les intentions et les interrogations qui sous-tendent les deux renvois en commission évoqués plus haut et d’adopter une vision équilibrée, j’analyserai les dernières tendances du syndicalisme, les mesures à prendre pour maintenir un dialogue social fort et équilibré (dans le prolongement des résolutions antérieures de l’Assemblée), la manière dont les mouvements de grève et de protestation peuvent mettre en péril nos économies et le champ possible des mesures à appliquer pour garantir le droit au travail de manière totalement démocratique, conformément aux normes européennes et internationales.

2. Tendances et défis concernant les syndicats

7. Selon la conception promue par l’Organisation internationale du travail (OIT) et pleinement partagée par l’Assemblée parlementaire, le dialogue social représente un pilier important du modèle social européen. L’OIT définit généralement la négociation collective comme «un moyen essentiel par lequel les employeurs et leurs organisations ainsi que les syndicats peuvent établir des salaires et des conditions de travail équitables. Elle est également à la base de relations de travail constructives» 
			(2) 
			Thèmes OIT, Négociation
collective et relations de travail: <a href='http://www.ilo.org/global/topics/collective-bargaining-labour-relations/lang--en/index.htm'>www.ilo.org/global/topics/collective-bargaining-labour-relations/lang--en/index.htm</a>.. Conformément à cette conception et à ce fonctionnement, les syndicats ont toujours été des acteurs importants des évolutions socio-économiques survenues en Europe au cours des dernières décennies. Tout changement concernant leur rôle et leur fonctionnement est par conséquent associé à d’autres tendances, telles que les tendances économiques générales (mondialisation, délocalisation de la production, développement de l’économie de plateforme ou «économie à la demande», flexibilité de la production, etc.), la nature du dialogue social d’une manière générale, les outils utilisés dans les conflits du travail, mais aussi le résultat des processus de négociation socio-économique, qui peut avoir une incidence sur la répartition des revenus et le niveau des inégalités.
8. Je rappelle que l’Assemblée parlementaire a déjà mis en évidence ces dernières années certaines des tendances touchant les syndicats et le dialogue social. La Résolution 2033 (2015) sur la protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève, montrait comment, pendant la crise économique, les conventions collectives avaient été affaiblies et le droit de grève limité, et soulignait la nécessité de protéger les droits de négociation collective et de grève afin de garantir que les travailleurs et leurs organisations puissent participer de fait au processus économique pour défendre leurs intérêts en matière de salaires, de conditions de travail et de droits sociaux. Dans la Résolution 2068 (2015) «Vers un nouveau modèle social européen», l’Assemblée estime qu’il convient de maintenir des normes élevées en ce qui concerne l’emploi et les conditions de travail, les systèmes de protection sociale et les marchés du travail, ainsi que le bon fonctionnement du dialogue social à divers niveaux et la qualité des services publics.

2.1. Le rôle et le fonctionnement des syndicats: tendances récentes et répercussions

2.1.1. Un taux de syndicalisation et une couverture des négociations collectives plus faibles

9. Depuis plusieurs années et dans toute l’Europe, les syndicats perdent des adhérents et voient s’éroder leur pouvoir de négociation et leur influence politique, notamment en raison de la crise économique et des programmes d’austérité, qui ont aggravé ces conditions défavorables 
			(3) 
			Friedrich Ebert Stiftung
(FES) – Bernaciak, Gumbrell-Mccormick, Hyman, Trade Unions in Europe,
Innovative Responses to Hard Times, Berlin, avril 2014. . Dans l’ensemble, les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont en moyenne enregistré un déclin du taux de syndicalisation de 21 % en 1999 à 16,7 % en 2014 
			(4) 
			Taux de syndicalisation,
OECD.Stat, statistiques extraites le 25 juillet 2016: <a href='https://stats.oecd.org/Index.aspx?lang=fr&SubSessionId=5777227c-7e66-454a-8168-0b4ff1c17686&themetreeid=13'>https://stats.oecd.org/Index.aspx?lang=fr&SubSessionId=5777227c-7e66-454a-8168-0b4ff1c17686&themetreeid=13</a>.. Dans l’Union européenne (28 pays de l’Union européenne plus la Norvège et l’Islande), les taux de syndicalisation varient considérablement, d’environ 85% en Islande, 70 % en Finlande, en Suède et au Danemark (où les prestations sociales sont versées par le truchement des syndicats), à 8 % en France. Toutefois, comme le montre le cas de la France, le taux de syndicalisation n’est pas le seul indicateur de la force d’un syndicat; dans certains pays où le nombre de syndiqués est faible, les syndicats n’en parviennent pas moins à mobiliser un nombre important de travailleurs dans le cadre des élections aux comités d’entreprise (en Espagne par exemple) ou pour des grèves et des manifestations de masse (en France) 
			(5) 
			Worker-participation.eu
– a service by ETUI, «Trade Unions» (statistiques de 2013); <a href='http://www.worker-participation.eu/National-Industrial-Relations/Across-Europe/Trade-Unions2'>www.worker-participation.eu/National-Industrial-Relations/Across-Europe/Trade-Unions2</a>. .
10. La baisse du taux de syndicalisation dans la plupart des pays est liée à des transformations structurelles: le nombre d’industries manufacturières s’est réduit; les processus de production ont été numérisés; les structures économiques se sont fragmentées (par la sous-traitance) et les entreprises multinationales ont rendu plus difficile, pour les syndicats, de réglementer le travail 
			(6) 
			Guardiancich, Recovering
from the crisis through social dialogue in the new EU member States,
OIT, 2012.. En Europe, outre les transformations structurelles, les mesures législatives relatives au salaire minimum non basé sur des conventions collectives et des mécanismes d’extension tels que ceux que nous avons dans mon pays, l’Islande, et à la lutte contre la discrimination au travail notamment rendent moins pressant le besoin d’adhérer à un syndicat. Incapables de répondre à certains enjeux actuels, les syndicats semblent avoir perdu de leur attrait, en particulier pour les jeunes travailleurs, les travailleurs indépendants et les travailleurs précaires ou à temps partiel. Comme les conventions collectives protègent souvent l’ensemble des travailleurs indépendamment de leur adhésion à un syndicat (certains pays comme la France en font même une exigence légale 
			(7) 
			Gautié,
France’s social model: Between resilience and erosion, in: Vaughan-Whitehead
(dir.): The European Social Model in
Crisis, OIT, Genève, 2015.), les acquis syndicaux profitent parfois à des travailleurs non syndiqués; si cette situation peut avoir une influence positive sur le nombre de travailleurs couverts et leur protection, mais elle peut également avoir des effets négatifs sur la syndicalisation des travailleurs et l’influence des syndicats 
			(8) 
			Visser/Hayter/Gammarano,
Trends in collective bargaining coverage: stability, erosion or
decline?, ILO issue brief 1/2015..
11. Bien que de nombreux syndicats s’emploient à proposer à leurs membres des services constructifs, on observe un recul continu du nombre d’adhérents à travers l’Europe 
			(9) 
			«Why trade unions are
declining», The Economist,
28 septembre 2016.. En conséquence, de plus en plus de travailleurs sont exclus du champ de couverture du dialogue social et les inégalités ne cessent de se creuser 
			(10) 
			Vaughan-Whitehead,
The European Social Model in Crisis, OIT, Genève, 2015. . Dans les pays d’Europe centrale et de l’Est en particulier, les syndicats sont en mauvaise posture 
			(11) 
			Commission
des communautés européennes: Relations industrielles en Europe 2008,
Bruxelles, 2009. du fait de leur rôle dans les systèmes antérieurs: dans ces pays, les jeunes travailleurs considèrent le mouvement syndical comme une relique de l’ère communiste 
			(12) 
			Guardiancich, op. cit. malgré le rôle positif que ce mouvement a joué dans le processus d’adhésion à l’Union européenne, ce qui se traduit par un taux de syndicalisation au plus bas dans les Etats baltes 
			(13) 
			Vaughan-Whitehead, op. cit..
12. Globalement, la progression des formes d’emploi non conventionnelles a affaibli la couverture des négociations collectives et le dialogue social, les travailleurs temporaires, intérimaires ou indépendants n’étant en général pas couverts par les négociations collectives. L’OIT a également constaté que d’autres facteurs entraient en jeu selon les pays: en Espagne, alors que la classe moyenne semble avoir davantage confiance dans les syndicats que les travailleurs non qualifiés, la faiblesse des institutions chargées des négociations collectives semble avoir joué un rôle dans le recul des salaires, la proportion des travailleurs couverts par une convention collective étant passée de 23 % à 17 % de 1995 à 2013. En Belgique, en revanche, les données démontrent que les mécanismes de consultation ont contribué à maintenir le niveau des salaires et les conditions de travail et ont constitué un facteur majeur de la stabilité de la classe moyenne dans le pays 
			(14) 
			OIT/Commission européenne
(Vaughan-Whitehead, Daniel (dir.)), Long-term effects in the world
of work: What effects on inequalities and middle-income groups?,
Genève, 2015..
13. L’un des éléments déterminants de la stabilité de la couverture des négociations collectives semble être la volonté qu’ont les organisations d’employeurs et les syndicats de négocier et d’agir en tant que partenaires sociaux dans la régulation des marchés du travail 
			(15) 
			Visser/Hayter/Gammarano, op. cit.. Les Pays-Bas paraissent offrir un bon exemple de dialogue social stable ayant des répercussions positives. Le pays se caractérise par: 1) un taux de couverture des conventions collectives de 80 % grâce à des mécanismes d’extension; 2) l’appartenance à la classe moyenne de 80 % des foyers néerlandais; et 3) des négociations sectorielles et l’extension des conventions collectives au secteur industriel, avec un élargissement aux nouveaux secteurs d’activité (par exemple, les services de nettoyage et de sécurité).
14. L’érosion la plus marquée de la couverture des négociations collectives est en revanche observée dans les pays qui ont dû solliciter l’aide des organisations financières internationales. En étudiant différentes situations nationales (par exemple la Grèce, la Hongrie, l’Irlande et le Portugal), l’OIT a démontré comment la diminution de la couverture des conventions collectives et l’affaiblissement des consultations tripartites étaient liées à l’évolution des salaires des groupes à faible revenu et à revenu intermédiaire 
			(16) 
			OIT/Commission européenne, op. cit..

2.1.2. La mondialisation et le développement de l’économie de plateforme, de nouveaux défis à relever pour les syndicats

15. Quant à la question de la mondialisation, il semble que les syndicats aient du mal à suivre les évolutions internationales telles que l’augmentation de l’importance des multinationales ou la délocalisation des industries et des services vers les économies émergentes. Un bref examen de la littérature spécialisée récente suggère même que la mondialisation n’a pas été suffisamment considérée comme un enjeu particulier par les syndicats et les institutions connexes 
			(17) 
			Même
la dernière publication de l’OIT en la matière remonte à 2007.. Certains syndicats de portée mondiale comme l’Internationale des services publics (ISP) ont néanmoins été très présents dans les débats concernant les traités internationaux, notamment l’Accord sur le commerce des services (ACS), le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) et l’Accord économique et commercial global (AECG), et ont demandé à avoir accès aux négociations. Cela étant, la tendance généralisée à la fusion de petits syndicats en organisations plus importantes est assurément une réaction à la mondialisation de l’économie 
			(18) 
			Friedrich Ebert Stiftung
(FES), op. cit..
16. Parallèlement, le recours croissant à internet par des entreprises de différents secteurs (par exemple, Uber pour les services de taxi ou Airbnb pour l’hébergement), qui utilisent des plateformes de transaction en ligne pour proposer des services innovants et font appel à des travailleurs dont le statut demeure largement non réglementé, présente de nouveaux défis pour le dialogue social concernant notamment l’équité de la concurrence avec les entreprises établies, la situation contractuelle des travailleurs, la protection des consommateurs, les répercussions sur les transports publics urbains et le développement urbain. Compte tenu du caractère nouveau et complexe de cette évolution, je suggère que la commission étudie certaines de ces nouvelles tendances dans un rapport distinct sur les conséquences de l’économie de plateforme. Les accords commerciaux internationaux susmentionnés font déjà l’objet d’un rapport en cours de préparation par notre commission, également dans l’optique de le soumettre au débat lors de la partie de session de janvier 2017. Cependant, malgré leur importance, ces tendances ne devraient pas être surestimées étant donné que la relation entre l’employeur et les employés existe toujours, comme cela a été reconnu récemment au Royaume-Uni dans le cas d’une plainte du syndicat GBM contre l’entreprise de taxi Uber 
			(19) 
			Voir des
rapports de presse récents: <a href='http://www.independent.co.uk/news/business/news/uber-verdict-loses-drivers-workers-rights-minimum-wage-a7384921.html'>www.independent.co.uk/news/business/news/uber-verdict-loses-drivers-workers-rights-minimum-wage-a7384921.html</a>, et le verdict lui-même sur le site web du syndicat
islandais Icelandic Confederation of Labour (ASÍ): <a href='http://www.asi.is/media/312955/aslam-og-farrar-gegn-uber-28102016.pdf'>www.asi.is/media/312955/aslam-og-farrar-gegn-uber-28102016.pdf</a>. .
17. Ces éléments contextuels de l’évolution des syndicats, la mondialisation, l’économie de plateforme et les accords commerciaux internationaux méritent donc d’être étudiés plus en profondeur et à plus grande échelle. Il s’agit d’une problématique très complexe, fortement liée aux rapports commerciaux mondiaux et à la délocalisation des industries: les gouvernements des pays émergents en particulier semblent parfois considérer le «travail décent», tel que le défendent les syndicats, comme une notion euro-centrique qui vise à protéger les emplois au Nord et les normes internationales du travail comme un moyen de supprimer le seul avantage comparatif que les pauvres possèdent, à savoir une main-d’œuvre bon marché 
			(20) 
			OIT, Trade Unions and
the Global Crisis – Labour’s Visions, Strategies and Responses,
Genève, 2011, <a href='http://www.bollettinoadapt.it/old/files/document/14526ILO_tradeunions_.pdf'>www.bollettinoadapt.it/old/files/document/14526ILO_tradeunions_.pdf</a>. .

2.1.3. Des déficits démocratiques

18. Dans ce contexte, force est de reconnaître que les droits collectifs du travail sont menacés depuis une dizaine d’années, d’où des déficits démocratiques dans l’adoption des réformes de politique sociale. Ainsi, les réformes structurelles des systèmes nationaux de relations du travail ont eu tendance à privilégier:
  • la décentralisation de la négociation collective (du niveau national/sectoriel/de branche au niveau de l’entreprise même);
  • l’introduction de possibilités, ou l’extension des possibilités existantes, d’obtenir des résultats de niveau inférieur à l’issue des négociations;
  • l’exercice d’une contrainte, notamment sur les Etats membres de l’Union européenne et dans le cadre de protocoles d’accord adaptés, pour qu’ils obtiennent certains résultats précis dans le cadre des négociations collectives, en particulier en matière de fixation des salaires 
			(21) 
			Schömann, Isabelle,
Collective labour law under attack: how anti-crisis measures dismantle
workers’ collective rights, ETUI Policy Brief, European Economic,
Employment and Social Policy, no 2/2014,
Bruxelles. .
19. Les observations de l’OIT confirment cette tendance: les pays les plus touchés par la crise ont connu un affaiblissement du rôle du tripartisme, une modification des institutions et des droits de négociation collective et une érosion du dialogue social dans le secteur public. Après la crise, les partenaires sociaux ont été associés aux premiers plans de relance, mais lors de la seconde vague de réforme, les syndicats ont généralement été exclus des décisions visant à diminuer les dépenses publiques et à réduire les emplois et les salaires dans la fonction publique 
			(22) 
			Vaughan-Whitehead, op. cit.. L’impact social et le déficit démocratique des premiers programmes d’austérité menés durant la dernière crise économique ont déjà été soulignés par l’Assemblée elle-même dans sa Résolution 1884 (2012) «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux».

2.1.4. Des inégalités croissantes et leurs liens avec l’évolution des syndicats

20. Le point commun à toutes ces évolutions est que les changements au droit du travail, des systèmes de sécurité sociale et de la fonction publique, salués comme des remèdes à la crise, ont en fait conduit à une explosion des inégalités au travail et ailleurs, dans certains cas aux dépens des droits sociaux fondamentaux. Non seulement ces évolutions sont contraires à l’obligation et à l’engagement des institutions européennes (notamment l’Union européenne et le Conseil de l’Europe) de promouvoir le dialogue social en tant que composante des structures de gouvernance démocratique, mais elles auront des répercussions sur un nombre de droits sociaux couverts par la Charte sociale européenne et, sur le long terme, sur la répartition des revenus 
			(23) 
			Schömann, Isabelle, op. cit..
21. Une étude des économies avancées depuis les années 1980, réalisée par le Fonds monétaire international (FMI), montre qu’un taux d’affiliation syndicale ou des salaires minimums moindres ont non seulement des répercussions sur les travailleurs à faible revenu ou à revenu intermédiaire, mais peuvent aussi être associés à une augmentation des revenus les plus élevés. D’après l’étude du FMI, les principaux canaux par lesquels les institutions du marché du travail influent sur les inégalités de revenus sont les suivants: 1) le nivellement de l’échelle des salaires; et 2) la redistribution. Cette dernière peut permettre d’obtenir des résultats positifs s’il existe des syndicats forts qui poussent les décideurs politiques à mener les politiques nécessaires ou si toutes les parties prenantes sont amenées à le faire. L’affaiblissement des syndicats a également érodé le pouvoir de négociation des travailleurs face aux détenteurs de capital, ainsi que leur influence sur les décisions d’entreprise en faveur des plus hauts salaires (relatives par exemple à l’étendue et à la structure de la rémunération des cadres supérieurs) 
			(24) 
			Jaumotte,
Florence et Osorio Buitron, Carolina (IMF), Power from the People,
Finance & Development, Vol. 52, no 1, mars
2015; <a href='http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2015/03/jaumotte.htm'>www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2015/03/jaumotte.htm</a>. .
22. Ces dernières années, l’OIT a également analysé les conséquences de ces évolutions sur le dialogue social et les négociations collectives. Elle travaille actuellement sur un projet concernant les évolutions des syndicats et du dialogue social, dont le rapport final devrait être publié avant la fin 2016. Le groupe de chercheurs européens qui collabore avec l’OIT en s’appuyant sur les données publiées précédemment par l’OCDE a toutefois constaté dès 2015 que «la diminution de la couverture syndicale avait eu un effet inégalitaire sur la répartition des salaires» 
			(25) 
			OIT/Commission
européenne, op. cit..
23. Dans son dernier rapport sur les tendances des inégalités, l’OCDE a démontré comment l’écart entre le revenu des plus pauvres et celui des plus riches s’était creusé depuis quelques dizaines d’années et a examiné les facteurs à l’origine de cette tendance. D’après les estimations de l’OCDE, le revenu des ménages percevant les salaires les plus élevés a augmenté de plus de 50 % entre 1985 et 2010, celui de la catégorie des salaires intermédiaires d’environ 30 %, tandis que les ménages à bas salaires n’ont vu leur revenu augmenter que d’un peu plus de 20 % et ceux percevant les salaires les plus bas, d’à peine plus de 10 %. Pour l’OCDE, la part croissante des emplois non conventionnels, la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes et l’inégalité de la répartition des richesses figurent parmi les facteurs qui accentuent les inégalités.
24. Pour l’OCDE, les moyens de sortir de la situation actuelle comprennent notamment des mesures destinées à promouvoir des emplois de qualité, c’est-à-dire des politiques de l’emploi actives, générales et ciblant l’égalité hommes-femmes et les jeunes, et la réforme des institutions du marché du travail, telles que les syndicats. L’OCDE confirme ainsi que l’amélioration du dialogue social et des relations industrielles est un élément important pour parvenir à une croissance plus équitable et plus inclusive. Elle se fonde à cet égard sur les données attestant qu’un taux élevé de syndicalisation et une large couverture des conventions collectives, ainsi que la coordination centrale des négociations salariales, vont de pair avec une réduction des inégalités salariales 
			(26) 
			OCDE, In it together:
Why less inequality benefits all, Paris 2015.. Je m’en tiendrai toutefois à ces indications car notre commission a été mandatée pour préparer un autre rapport intitulé «L’accroissement des inégalités de revenus: une menace pour la cohésion sociale», dans lequel nous examinerons plus en détail comment le creusement des inégalités de revenu pèse sur la croissance économique et la cohésion sociale.

2.1.5. Les autres rôles des syndicats

25. Le pouvoir de fixation des salaires dont jouissent les syndicats est essentiel, mais les moyens dont ils disposent le sont également. A cet égard, il importe de déterminer si une grève ou une action de revendication contre des mesures d’austérité (ou de nouvelles lois du travail comme récemment en France) se veut ou est perçue comme une action politique (et s’oppose donc à la législation de nombreux Etats membres) ou comme un droit collectif ou individuel et un moyen de défense des droits du travail. D’aucuns prônent des mesures législatives plus restrictives, en particulier en ce qui concerne les mouvements syndicaux qui se transforment en mouvements généraux de protestation. Un autre domaine dans lequel la fonction des syndicats n’est pas totalement transparente pour tous aujourd’hui est leur rôle en tant qu’acteurs économiques et investisseurs.

2.2. Les tendances dans le syndicalisme, telles qu’observées par les partenaires sociaux

26. Pour réunir des informations de la manière la plus ciblée et la plus équilibrée possible, la commission des affaires sociales a organisé une audition spécifique d’experts au cours de laquelle les deux points de vues, celui des syndicats et celui des employeurs en leur qualité de principaux partenaires dans le dialogue social, ont été présentés. Les experts entendus à cette occasion étaient le Dr Aristea Koukiadaki, maître de conférences en droit du travail, université de Manchester, Royaume-Uni, et également membre du Réseau d’experts sur les droits syndicaux transnationaux de l’Institut syndical européen, et Mme Renate Hornung-Draus, Directrice exécutive, directrice pour les affaires européennes et internationales, Confédération des employeurs d’Allemagne (BDA), principale fédération allemande d’employeurs. Cette audition avait pour objectif d’analyser l’incidence des tendances et développements pertinents concernant les syndicats, tant au niveau des inégalités que de l’économie sur un plan général 
			(27) 
			Le rapporteur tient
à remercier les deux experts pour leur disponibilité et le dialogue
ouvert et constructif qu’ils ont su instaurer durant et autour de
la réunion de Paris du 21 septembre 2016..
27. Les deux experts présents à cette audition ont souligné l’importance d’un dialogue social tripartite pour toutes les parties prenantes impliquées (travailleurs, employeurs et Etat) et confirmé certaines des tendances observées précédemment à titre personnel. Tout particulièrement, la dernière crise économique a mené à des politiques destinées à être «favorables à l’emploi» dans certains pays (par exemple la Grèce, la Roumanie et l’Espagne), limitant la négociation collective, infirmant des conventions collectives déjà conclues et réduisant, par voie de conséquence, le pouvoir de fixation des salaires des syndicats et leurs fonctions de représentation. Dans certains cas, des changements politiques radicaux ont mené à un défaut de légitimité démocratique et sociale et généré une mobilisation et des manifestations de masse. Des limitations du droit de grève ont été observées récemment dans plusieurs pays (par exemple en Roumanie et au Royaume-Uni). Dans d’autres pays, les mécanismes d’extension ont été abolis (NB: extension des conventions collectives à une branche complète, par exemple en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Roumanie et en Espagne), tout comme l’élargissement des possibilités de dérogation au niveau des entreprises (par exemple en France, en Grèce, en Irlande, en Italie, au Portugal, en Roumanie, en Slovénie et en Espagne).
28. Ces tendances ont engendré les effets suivants sur les syndicats, le dialogue social et plus généralement le marché de l’emploi 
			(28) 
			Voir la contribution
écrite présentée par le Dr Aristea Koukiadaki pour la réunion de
commission qui s’est tenue le 21 septembre 2016 à Paris (l’exposé
complet est disponible sur demande auprès du secrétariat de la commission).:
  • les systèmes de négociation collective et de relations professionnelles sont plus fragmentés, désorganisés et non coordonnés, ce qui mène non seulement à une perte d’influence des syndicats sur les conditions de rémunération et de travail, mais affaiblit également leur influence réglementaire sur l’économie (par exemple en matière d’assurance chômage) et les exclut des processus d’élaboration des politiques, les marginalisant encore davantage dans le dialogue social. Lorsque le dialogue social fonctionne encore, on observe une insistance plus forte sur la compétitivité des coûts et les coûts unitaires de main d’œuvre et par voie de conséquence des programmes de négociation minimalistes;
  • pour les travailleurs, cette évolution se traduit par une hausse du travail précaire, de la segmentation du marché du travail et du secteur informel, qui aura un effet sur les performances du marché de l’emploi (et représente de ce fait un recul pour l’économie dans son ensemble). Le creusement des inégalités en termes de dispersion des salaires est censé enrayer la croissance inclusive et la sortie de crise;
  • pour les employeurs, la perte de certaines capacités associatives (due à la fermeture d’entreprises durant la crise), l’augmentation du travail informel, du dumping salarial et de la concurrence déloyale représentent des défis particuliers, alors que l’Etat est lui-même confronté à des externalités grandissantes (dont une recrudescence des conflits sociaux et politiques, une hausse des coûts, etc.) et peut se trouver en non-conformité avec la Charte sociale européenne dès lors que la couverture des négociations collectives passe sous le seuil critique;
  • les relations professionnelles d’ensemble sont marquées par une érosion de la confiance, un regain des antagonismes (en lieu et place du dialogue) et une absence de légitimité sociale et démocratique qui impactent encore davantage les systèmes économiques et productifs et redistribuent les risques entre les employeurs, les employés et l’Etat de manière non constructive pour l’économie.
29. Selon l’expert universitaire, la voie à suivre devrait inclure une réorientation des objectifs politiques considérant les conventions collectives comme des biens publics, dotés d’une couverture réglementaire inclusive, et estimant que les syndicats ont une action de «contrainte positive» dans l’organisation des marchés de l’emploi, constituant à la fois une partie du problème et une solution clé pour la sortie de crise. Les réponses politiques se doivent de réaffirmer le rôle central de la négociation collective et des actions de revendication dans le modèle social européen, le lien étroit entre le droit de négocier collectivement et de mener des actions syndicales et les actions collectives légales contre les interventions gouvernementales restreignant la négociation collective. Les syndicats agissant au plan politique aux plus hauts niveaux ont diminué les pressions exercées sur les entreprises individuelles, au point que même un dialogue social «politisé» ne saurait être uniquement perçu comme un facteur négatif pour l’économie.
30. La présence indispensable de solides partenaires sociaux dans les deux camps a été confirmée par la représentante des «employeurs» participant à l’audition d’experts, qui a insisté sur l’importance du modèle social européen et du dialogue social, considérés comme des atouts pour les économies européennes. L’Europe a de tout temps été marquée par des traditions de relations employeurs-travailleurs très différentes: si le système nordique a connu des conventions collectives contraignantes (y compris des obligations de paix) dans lesquelles les employeurs participant au dialogue social se sentaient protégés, les actions de revendication dans le système méditerranéen étaient plus ou moins perçues comme un droit individuel. Cependant, quel que soit le contexte national, des interventions ponctuelles de l’Etat dans ces systèmes ne devraient pas être trop fréquentes, au risque de perturber l’équilibre existant.
31. La plupart des économies en Europe ont souffert de la crise d’une manière ou d’une autre, mais les réactions ont été très différentes: alors qu’en Allemagne tant les employeurs que les salariés ont été prêts à faire des concessions, d’autres pays n’ont pas trouvé de solutions consensuelles et l’Etat s’est senti contraint d’intervenir (par exemple en Espagne). Des mesures d’austérité ont été imposées notamment dans les pays où le dialogue social était défaillant. La diminution du taux de syndicalisation (en raison de la crise, des structures économiques changeantes et d’un plus fort individualisme au sein de la société) a suscité les regrets des employeurs d’aujourd’hui, qui souhaitaient rencontrer des partenaires forts dans le dialogue social et ont intérêt à ce que les niveaux organisationnels soient préservés de toute part. Du point de vue des employeurs, la mondialisation a eu pour autre effet la propension des syndicats à suivre de plus en plus les modèles internationaux de communication via les médias sociaux. Même les systèmes européens, qui s’efforçaient précédemment de parvenir à un consensus, sont amenés à connaître aujourd’hui des situations plus contradictoires et conflictuelles.
32. Enfin, également du point de vue des employeurs, les syndicats doivent être pleinement responsables des actions entreprises, ne serait-ce que pour garantir le droit au travail pour tous. Pour illustrer cet aspect, la représentante des employeurs a fait référence à une plainte collective traitée par le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) il y a quelques années 
			(29) 
			Pour des informations
complètes sur la réclamation à l’encontre de la Belgique (Réclamation
no 59/2009), veuillez consulter la base
de données du Conseil de l’Europe: <a href='http://hudoc.esc.coe.int/eng?i=cc-59-2009-dmerits-fr'>http://hudoc.esc.coe.int/eng?i=cc-59-2009-dmerits-fr</a>.. Dans cette affaire, le CEDS a condamné une intervention de l’Etat concernant les activités de piquets de grève, estimant qu’il s’agissait d’une restriction illégale incompatible avec l’article 6.4 de la Charte sociale européenne révisée. Cependant, dans sa décision, le CEDS n’a pas tenu compte du fait que les syndicats belges impliqués dans ce dossier ne disposaient pas d’une personnalité juridique (ils étaient organisés sous forme d’associations très souples) et n’ont donc pas pu être tenus pleinement responsables.
33. Après avoir reçu les données transmises par les universitaires et entendu un représentant d’une fédération d’employeurs, j’ai personnellement demandé des retours d’information aux syndicats européens afin d’obtenir une vue plus complète de la situation. La Confédération européenne des syndicats (CES) m’a envoyé son évaluation en la matière dans un courrier reçu le 15 novembre 2016. Elle confirme le point de vue des syndicats selon lequel les droits, les structures et le fonctionnement syndicaux subissent des attaques constantes, notamment en raison de la mise en œuvre des mesures d’austérité dans la plupart des pays de l’Union européenne et souvent sous la pression d’institutions informelles comme la Troïka (composée de représentants non élus du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne). Après la crise, les mesures qui ont ébranlé les mécanismes de négociation collective en Europe ont été étendues aux systèmes de gouvernance économique, en particulier avec le Semestre européen de l’Union européenne et les recommandations «par pays». Les réformes imposées ont notamment conduit à supprimer le dialogue social national, bipartite ou tripartite et ses organes, à décentraliser les négociations collectives, qui ne sont plus menées au niveau national/sectoriel mais presque exclusivement au niveau de l’entreprise, à restreindre les conditions de représentativité et limiter de ce fait la possibilité d’étendre les conventions collectives, et à faciliter la mise en place de dérogations au sein des entreprises. Selon la CES, cela a finalement entraîné un affaiblissement des syndicats, une diminution de leurs pouvoirs en matière de négociation collective et une érosion de la couverture des conventions collectives 
			(30) 
			Selon la contribution
écrite qui m’a été gracieusement adressée en ma qualité de rapporteur
par Mme Veronica Nilsson, secrétaire
confédérale de la CES, qui n’était malheureusement pas en mesure
de participer aux réunions de notre commission qui se sont tenues
les 21 septembre et 13 octobre 2016..

3. Les cadres juridiques et politiques qui déterminent les activités des syndicats

34. Depuis quelques années, on observe dans toute l’Europe une tendance à limiter le droit de négociation collective et le droit de grève et à mettre en place des cadres juridiques plus stricts pour régir les activités des syndicats. La crise économique est l’un des motifs invoqués. Mon collègue Andrej Hunko, dans son rapport 
			(31) 
			Doc.
13663. à l’origine de la Résolution 2033 (2015) sur la protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève, fournit quelques exemples de mesures législatives nationales prises pour limiter les actions collectives.
35. Dans l’exposé des motifs accompagnant ce texte, l’Assemblée a mentionné les principales références juridiques régissant les droits sociaux collectifs et jetant les bases d’un dialogue social solide et équilibré. Je souhaite les rappeler brièvement ici:
  • dans son article 11, la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) protège le droit à la liberté de réunion et d’association, y compris le droit de fonder des syndicats et d’y adhérer pour défendre ses intérêts;
  • la Cour européenne des droits de l'homme dans sa jurisprudence a statué à l’unanimité que l’article 11 englobe le droit de négociation collective et le droit de grève pour les syndicats;
  • la Charte sociale européenne (révisée) garantit, aux articles 5 et 6, le droit syndical, le droit de négociation collective dans le contexte du travail et le droit de grève;
  • à l’échelle de l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantit à l’article 28 le droit de négociation et d’actions collectives;
  • dans ce domaine, les instruments pertinents de l’OIT sont les Conventions nos 98, 151 et 154, qui ont été réaffirmées en 1998 dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail.
36. Face à la crise et au nom de l’austérité, des atteintes injustifiées aux systèmes de négociation collective ont été observées par le rapporteur en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Roumanie notamment, tandis que dans d’autres pays, des mesures ont été prises qui nuisent au dialogue social pour d’autres raisons (Allemagne ou Turquie par exemple). D’autres experts ont confirmé qu’une législation relative aux syndicats et au dialogue social a été adoptée dans le contexte de la crise en Espagne, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Italie, au Portugal, en Roumanie et, avant la crise même, en Allemagne et au Royaume-Uni 
			(32) 
			Visser/Hayter/Gammarano,
Trends in collective bargaining coverage: stability, erosion or
decline? ILO issue brief no 1, 2015..
37. A partir du début de l’année 2016, un mouvement généralisé de grèves et de protestation contre une nouvelle loi sur le travail en France, qui a paralysé des secteurs de l’économie pendant un certain temps, a donné lieu à de nouveaux débats sur la restriction du droit de grève. Dans ce contexte, certains acteurs ont plaidé en faveur de cadres juridiques plus restrictifs pour régir les actions collectives et les grèves au motif qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’exercice de droits du travail mais de contestation politique. Effectivement, nombre de protestataires craignaient que la nouvelle loi française sur le travail privilégie les intérêts des entreprises aux dépens des normes nationales de protection des travailleurs; pendant un mois, en effet, des actions de revendication ont paralysé les transports aériens et ferroviaires, provoqué des pénuries de carburant et empêché la collecte des ordures ménagères dans les rues de la capitale 
			(33) 
			French
labour law protests again descend into violence, The Guardian/AFP, 14 juin 2016, <a href='https://www.theguardian.com/world/2016/jun/14/french-labour-law-protests-violence-police-paris-strikes-transport-euro-2016'>https://www.theguardian.com/world/2016/jun/14/french-labour-law-protests-violence-police-paris-strikes-transport-euro-2016</a>..
38. Me référant explicitement à la proposition «Appel urgent à une plus grande solidarité entre les générations: droit au travail et droit de grève» que notre commission a décidé d’inclure dans le présent rapport, je souhaiterais à ce stade attirer l’attention sur le droit au travail tel qu’il est régi par les normes juridiques européennes. Les dispositions les plus importantes à cet égard sont probablement l’article 1 de la Charte sociale européenne (révisée) sur le droit au travail 
			(34) 
			Voir
texte intégral sur <a href='http://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168007cf94'>www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168007cf94</a>. et l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 
			(35) 
			Voir texte intégral
sur <a href='http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CESCR.aspx'>www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CESCR.aspx</a>.. Je souhaiteras néanmoins souligner que ces droits ne sont pas des droits absolus ou autonomes, mais doivent être considérés en relation avec d’autres articles des mêmes textes.
39. Pour être plus précis, si le Pacte international demande aux Etats Parties «[de reconnaître] le droit au travail, qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et [de prendre] des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit», il garantit également sous l’article 8 le droit de grève conformément aux lois de chaque pays, ajoutant que les Etats Parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical («Convention no 87 de l’OIT» ci-après) ne sont pas autorisés à «prendre des mesures législatives portant atteinte – [ni à] appliquer la loi de façon à porter atteinte – aux garanties prévues dans ladite convention». Selon ma propre lecture et mon interprétation de ces articles, aucune de ces deux catégories de droits ne prime sur l’autre et les restrictions illégitimes du droit de grève ne sont pas autorisées, quelle que soit l’incidence des grèves sur les autres droits garantis par le Pacte.
40. En ma qualité de rapporteur sur ce thème très complexe et controversé, je comprends les arguments de ceux qui souhaitent prendre des mesures face à des mouvements de protestation excessifs qui paralysent l’économie et empêchent le droit individuel au travail. Toutefois, je tiens à souligner qu’il est nécessaire de respecter pleinement les normes internationales du travail dès lors qu’on entend durcir les cadres juridiques relatifs aux activités des syndicats 
			(36) 
			Papadakis/Ghellab (dir.),
The governance of policy reforms in southern Europe and Ireland,
OIT, 2014.. Et, rappelons-le une nouvelle fois, il importe de bien comprendre que les protestations qualifiées de politiques par certains analystes sont, pour d’autres, une réaction tout à fait défendable contre des mesures politiques restrictives et injustes prises par les gouvernements. C’est également la position adoptée par le Comité de la liberté syndicale de l'OIT et son orientation en matière de grèves politiques: le Comité insiste sur le fait que les syndicats doivent avoir la possibilité de recourir aux grèves de protestation, notamment en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement; des grèves de protestation contre de telles politiques ne doivent par conséquent pas être considérées comme des grèves politiques. C’est d’autant plus vrai dans un contexte national marqué par une rupture apparente du dialogue entre les partenaires sociaux et une baisse significative du niveau de confiance mutuelle, comme observé en France au début de cette année 
			(37) 
			Selon une analyse présentée
par le Dr Aristea Koukiadaki le 21 septembre 2016 (l’exposé complet
est disponible sur demande auprès du secrétariat de la commission)..
41. L’OIT s’efforce d’adopter une approche équilibrée en matière de droit de grève et les Etats membres qui engagent un processus de réforme peuvent s’en inspirer. L’OIT définit la grève comme un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux, tout en soulignant que la grève ne peut être envisagée en dehors du contexte des relations professionnelles dans leur ensemble, car elle est coûteuse et perturbatrice tant pour les travailleurs et les employeurs que pour la société dans son ensemble. En conséquence, elle traduit clairement l’échec de la négociation collective des conditions de travail, soit, en d’autres termes, un dialogue social non-couronné de succès.
42. Entre autres normes internationales du travail, le droit de grève est reconnu par les organes de contrôle de l’OIT comme le corollaire indissociable du droit d’association syndicale protégé par la Convention no 87 de l’OIT. Le droit, pour les organisations de travailleurs, de formuler leur programme d’action pour promouvoir et défendre les intérêts économiques et sociaux de leurs membres inclut le droit de grève. En Europe, le droit de grève est également reconnu dans les instruments internationaux et régionaux, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Charte sociale européenne.
43. Cependant, comme le souligne l’OIT, le droit de grève n'est pas un droit absolu. Il peut faire l’objet de certaines conditions ou restrictions à l’échelle nationale, tel que le prévoit la loi, voire être interdit dans certaines circonstances exceptionnelles. A cet égard, l’OIT cite notamment les conditions et principes suivants 
			(38) 
			OIT, Orientations sur
la législation du travail, Chapitre V: Dispositions fondamentales
de législation du travail – le droit de grève, dernière actualisation:
2003; <a href='http://www.ilo.org/legacy/french/dialogue/ifpdial/llg/noframes/ch5.htm'>www.ilo.org/legacy/french/dialogue/ifpdial/llg/noframes/ch5.htm</a>.:
  • Services essentiels: il est autorisé de limiter ou d’interdire le droit de grève dans les services essentiels, «s’ils sont définis comme des services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne» 
			(39) 
			Etude d’ensemble sur
les conventions fondamentales concernant les droits au travail à
la lumière de la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour
une mondialisation équitable, 2008, rapport de la Commission d’experts
pour l’application des conventions et recommandations (articles
19, 22 et 35 de la Constitution), Rapport III (Partie 1B), Conférence
internationale du Travail (CIT), 101e session,
Genève, 2012: <a href='http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_174829.pdf'>www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_174829.pdf</a>. ; cette définition peut être développée dans des lois spécifiques, par les autorités publiques, les tribunaux ou dans le cadre de procédures participatives associant des employeurs ou des travailleurs. La détermination de ce qui est essentiel et de ce qui ne l’est pas peut également varier selon le contexte national et géographique et selon la durée de la grève. Lorsque le droit de grève fait l’objet de restrictions ou d’une interdiction, les travailleurs concernés devraient bénéficier de garanties compensatoires, par exemple de procédures de conciliation et de médiation;
  • Service minimum: afin de garantir que les besoins fondamentaux de la population soient satisfaits lors d’une grève dans une activité d’utilité publique, et si une interdiction totale n’est pas justifiée, l'établissement d'un régime de service minimum doit répondre à deux conditions au moins: 1) il doit s'agir effectivement d'un service minimum, c'est-à-dire limité aux opérations strictement nécessaires pour que la satisfaction des besoins de base de la population soit assurée; et 2) les organisations de travailleurs concernées devraient pouvoir participer à la définition de ce service dans le cadre de négociations tripartites;
  • Conditions d’exercice du droit de grève: parmi les conditions généralement énoncées dans les législations nationales figurent les suivantes: 1) l'épuisement des procédures facilement accessibles de conciliation et de médiation avant le déclenchement de la grève; 2) l'exigence d'un vote majoritaire des travailleurs en faveur de la grève, avant son déclenchement; et 3) l'obligation de respecter un préavis de grève (jusqu’à 20 jours dans les services d’intérêt public et 40 jours dans les services essentiels);
  • Vote de grève: l’exigence légale de recourir à un vote de grève permet de s’assurer que les actions de revendication se déroulent correctement, afin d’éviter les grèves sauvages et pour garantir un contrôle démocratique sur une décision importante pour les intérêts des travailleurs concernés. De telles dispositions respectent le principe de la liberté d’association si elles ne rendent pas l’exercice du droit de grève très difficile, voire impossible. Elles doivent garantir que le quorum et la majorité requis sont raisonnables et que seuls les votes exprimés sont pris en compte pour décider s’il existe une majorité.
44. L’OIT continue de promouvoir ces lignes directrices (qui datent de 2001). Cependant, elle n’évalue pas spécifiquement la manière dont elles sont respectées, mais les intègre au suivi des pratiques nationales assuré dans le cadre de son système de traités. Le document le plus récent traitant spécifiquement de la portée et des restrictions de l’action de grève au plan national est «L’initiative sur les normes», préparé pour la 323ème session du Conseil d’administration de la Conférence internationale du Travail de mars 2015 
			(40) 
			L’initiative
sur les normes – Annexe III, Document de référence pour la Réunion
tripartite sur la convention (no 87)
sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948,
pour ce qui est du droit de grève ainsi que les modalités et pratiques
de l’action de grève au niveau national (révisé). Document préparé
pour la 323e session du Conseil d’administration
de la CIT, Genève, 23-25 février 2015, <a href='http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_351510.pdf'>www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_351510.pdf</a>.. Il précise par exemple que, dans la pratique, certaines catégories de travailleurs peuvent être exclues du droit de grève (par exemple, les travailleurs du secteur public ou des services essentiels) et décrit les procédures permettant de déterminer les services essentiels au niveau national (voie législative ou dialogue social, par exemple). Il explique également comment les grèves peuvent être restreintes pendant la durée d’application des conventions collectives, déclarées illégales ou reportées en raison de circonstances nationales particulières. En outre, il indique les éventuelles conditions préalables à respecter avant de déclencher une grève (notification préalable, par exemple) et traite de la question du vote des grèves et des services minimums.
45. Ce document semble toutefois s’intéresser essentiellement à la manière dont les Etats membres peuvent réglementer l’action de grève, et le font effectivement, sans apporter de réponses analytiques sur la conformité ou non de ces pratiques nationales avec les normes de l’OIT. Il serait certainement intéressant de réaliser une évaluation spécifique comparative de la conformité de certaines pratiques nationales avec les normes internationales.
46. L’OIT dispose d’un mécanisme de suivi complexe pour mesurer le degré de conformité aux normes, comprenant notamment la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations et la Commission de l’application des normes de la Conférence (Conférence internationale du Travail), ainsi que le Comité de la liberté syndicale, qui leur est étroitement lié. La première est chargée d’examiner d’un point de vue technique les rapports gouvernementaux, tandis que la deuxième offre un forum permettant des échanges plus larges sur la conformité avec les normes internationales du travail. Cependant, d’après des chercheurs observant les activités de l’OIT, un conflit interne portant sur le mandat de certains organes de suivi de l’OIT a créé une situation dans laquelle la Commission des experts, notamment, ne peut plus exercer pleinement sa mission de suivi du respect des normes de l’OIT par les Etats Parties. Plus concrètement, lors de la Conférence internationale du Travail de 2012, les employeurs en particulier ont bloqué l’adoption et l’examen d’une liste de 25 pays accusés de très graves violations des normes internationales sociales et du travail qui figurait dans le rapport annuel de la Commission d’experts et ont rejeté l’idée d’un «droit de grève» général conforme aux normes de l’OIT. Avant de lancer une évaluation des situations nationales par le biais du mécanisme de l’OIT, il conviendrait sans doute de régler ce conflit interne 
			(41) 
			Hoffmann, Claudia,
(The Right to) Strike and the International Labour Organization.
Is the System for Monitoring Labour and Social Standards in Trouble?,
document publié par la Friedrich Ebert Stiftung (FES), Berlin, mai
2014..
47. Nonobstant les difficultés persistantes, je souhaiterais attirer l’attention sur un exemple national actuel dans lequel les normes de l’OIT jouent un rôle: pas plus tard que cette année, les experts juridiques ont critiqué la nouvelle loi sur les syndicats adoptée en 2016 au Royaume-Uni, qui impose des restrictions excessives au droit de grève, pour sa non-conformité aux normes internationales du travail. Motivées par la volonté prétendue du gouvernement d’assurer plus d’équité et de démocratie, les nouvelles dispositions exigent qu’au moins 50 % des syndiqués autorisés à voter prennent part à un vote pour que celui-ci soit légitime. Dans les «services publics importants», une notion quelque peu différente de la définition des services essentiels fournie par l’OIT (et donc une notion floue selon les experts juridiques), au moins 40 % des syndiqués autorisés à voter doivent se prononcer en faveur de la grève.
48. Des experts britanniques jugent ces nouveaux seuils excessifs et considèrent qu’ils constituent des restrictions importantes susceptibles de mettre effectivement fin au droit de grève dans la fonction publique; selon eux, d’autres mesures telles que l’imposition d’un service minimum ou des garanties compensatoires auraient été préférables. D’une manière générale, les experts juridiques estiment que la définition de seuils pour le vote de grève est une mesure controversée car elle se fonde sur l’hypothèse que les abstentionnistes ne sont pas favorables à une action de revendication, alors que ce n’est pas toujours le cas 
			(42) 
			Voir,
par exemple: O’Donnel, Ruth: Pre-Strike Ballots and the Trade Union
Act 2016, Denying Workers the Right to Strike?, Blog de l’école
de droit, Université de Glasgow, 14 juin 2016, <a href='http://schooloflaw.academicblogs.co.uk/2016/06/14/pre-strike-ballots-and-the-trade-union-act-2016-denying-workers-the-right-to-strike/'>http://schooloflaw.academicblogs.co.uk/2016/06/14/pre-strike-ballots-and-the-trade-union-act-2016-denying-workers-the-right-to-strike/</a>..
49. Si la baisse du taux de syndicalisation et l’érosion de l’influence des syndicats (voir 2.1 plus haut) devraient avoir des répercussions sur les inégalités de revenus, je suis convaincu que la restriction excessive des actions syndicales, comme observé au Royaume-Uni, peut aggraver cette tendance et, sur le long terme, être contre-productive sur le plan économique. Les mesures visant à restreindre le droit de négociation collective et le droit de grève devraient par conséquent être appliquées avec la plus grande prudence et se conformer en tout temps aux normes internationales du travail susmentionnées; celles-ci font en effet l’objet d’un consensus de longue date et constituent un cadre d’action collective établi en Europe.

4. Un dialogue social fort, garant de la stabilité économique: les enjeux futurs

50. Dans ce contexte sensible et controversé, les syndicats, les associations d’employeurs et les pouvoirs publics doivent opérer dans des conditions complexes. Ils doivent répondre à certaines évolutions telles que la baisse du taux de syndicalisation, de nouvelles formes de travail, aux nouvelles attentes des jeunes générations, à la décentralisation de la négociation collective et à leur perte croissante d’influence sur les résultats des négociations collectives et les politiques socio-économiques dans leur ensemble. Pour cela, les syndicats doivent faire preuve d’anticipation et d’innovation à l’égard de leurs membres, de manière à renouveler leur influence et à ne pas être contraints à des négociations de concession 
			(43) 
			Visser,
Wage bargaining institutions – from crisis to crisis, Economic Papers 488, 2013.. Parallèlement, ils doivent être des acteurs économiques responsables.
51. En ma qualité de rapporteur et, en l’occurrence, d’ancien ministre islandais et représentant d’un syndicat de la fonction publique, je suis convaincu qu’un dialogue social fort est un atout pour nos économies. Les tentatives récentes d’affaiblissement des syndicats et de réduction du droit de négociation collective et du droit de grève ont eu souvent des conséquences négatives sur les économies et les systèmes socio-économiques européens. L’idée que les droits du travail collectifs et individuels doivent être protégés en tant qu’acquis européens doit une fois de plus être défendue par l’Assemblée parlementaire au moyen du présent rapport et par le biais de la résolution que l’Assemblée adoptera, je l’espère, en janvier 2017.
52. Les mesures d’austérité et les législations strictes adoptées dans le contexte de la dernière crise ont affaibli le rôle des partenaires sociaux et le dialogue social proprement dit dans certains pays. Ce type de mesures de court terme ne devrait pas influer sur les cadres permanents et les dispositifs institutionnels qui permettent l’existence d’un dialogue social fort et sain, en tant qu’élément fondamental de la gouvernance démocratique. Le dialogue social et des syndicats forts sont nécessaires pour garantir une croissance durable et faire en sorte que les niveaux de rémunération augmentent à nouveau une fois la crise et ses conséquences surmontées 
			(44) 
			Papadakis et Ghellab
(dir.), The governance of policy reforms in southern Europe and
Ireland, OIT, 2014.. La nécessité de disposer de syndicats forts comme partenaires dans un dialogue social équilibré et de préserver une «culture du dialogue» plutôt que d’alimenter une «culture du conflit» est régulièrement soulignée par le camp des employeurs, par exemple par la BDA, principale confédération d’employeurs d’Allemagne, lors de l’audition de la commission du 21 septembre 2016 (voir plus haut).
53. Les syndicats doivent être responsables, cohérents et comptables dans leurs actions politiques et de revendication. L’exemple faisant référence à la décision de 2012 du Comité européen des Droits sociaux concernant la Belgique a montré que les employeurs et l’Etat avaient tous deux intérêt à avoir face à eux des syndicats sur un pied d’égalité. Les adaptations structurelles menant à un dialogue social plus équilibré devraient de ce fait être favorisées dans certains pays. Il est également impératif qu’à l’ère de la mondialisation, l’adhésion à et la participation des syndicats soient vues sous un angle positif et que leur voix soit entendue au cours des négociations sur les traités internationaux comme l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), l’ACS, le PTCI et l’AECG ainsi que d’autres accords qui touchent aux droits du travail et à la dimension sociale de nos économies.
54. Cependant, toute mesure juridique ou politique adoptée pour limiter les droits de négociation collective et de grève devrait respecter notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, les lignes directrices et les normes de l’OIT, en particulier la Convention de 1948 (no 87) de l’OIT concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical et les lignes directrices pertinentes, et la Charte sociale européenne (révisée). Ayant participé aux décisions législatives et politiques concernant les syndicats et les droits collectifs dans mon pays dans mes diverses fonctions en qualité de député et de ministre, j’invite toutes les parties prenantes aux changements législatifs dans ce domaine à consulter de manière approfondie les agences spécialisées et les experts en matière de processus législatifs pour s’assurer qu’ils respectent les normes européennes et internationales.
55. D’un autre côté, les syndicats eux-mêmes devraient respecter la compréhension commune du dialogue social et les actions de revendication envisageables visant certaines cibles spécifiques en rapport avec l’emploi et les conditions de travail ou encore le niveau ou l’augmentation des salaires. Bien que les syndicats se posent en acteurs politiques, dans bien des contextes ils devraient faire preuve de prudence et établir une distinction entre les grèves liées au travail et les mouvements de protestation politiques plus vastes, faute de quoi ils risquent de saper leur crédibilité dans le dialogue social vis-à-vis des autres partenaires sociaux, qu’il s’agisse de l’Etat ou de leurs propres membres.
56. Dans ce contexte, je rappelle qu’il serait utile que l’OIT réalise une évaluation comparative de la mise en œuvre de ses dispositions fondamentales de législation du travail relatives au droit de grève, portant sur les conditions d’exercice du droit de grève, les services essentiels et le service minimum à maintenir et le droit individuel au travail, à la lumière de ses dernières dispositions en matière de législation et de politiques du travail, par exemple par le biais de sa Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations et lorsque les questions politiques relatives au mandat de cette Commission auront été résolues. Des Etats parties aux conventions pertinentes de l’OIT, étant parties prenantes de ce processus, auront certainement le pouvoir de contribuer à la résolution de ces conflits internes persistants au sein du système de suivi de l’OIT.

5. Conclusions et recommandations

57. Tous les partenaires sociaux impliqués dans le dialogue social bipartite ou tripartite, les syndicats, les fédérations d’employeurs et les pouvoirs publics devraient considérer pleinement le dialogue social comme un élément indispensable du modèle social européen. Ensemble et à titre individuel, ils ne devraient pas oublier de reconstruire la confiance des travailleurs à tous les niveaux au sein de leurs institutions respectives et de restaurer la reconnaissance mutuelle et la confiance entre les différents partenaires. Pour fonctionner correctement, ce dialogue doit être fondé sur le respect des règles et réglementations convenues par tous les acteurs et ne pas faire intervenir la force ou la contrainte mais le respect d’un dialogue dynamique. De même, les règles et réglementations régissant les relations professionnelles ne doivent pas être imposées aux partenaires concernés, elles doivent si possible découler d’un accord et être susceptibles d’être modifiées si besoin est pour des motifs démocratiques. Dans ce contexte, les syndicats doivent également avoir libre accès aux négociations commerciales internationales afin de faire entendre leur voix et pouvoir exercer une influence sur la protection et l’avancement des droits du travail et de la protection sociale dans la société.
58. Parallèlement, les syndicats doivent avoir conscience de leur propre rôle, qui peut parfois s’avérer contradictoire, et l’aborder sous un angle critique. Les syndicats sont censés être les gardiens d’un système de protection sociale à but non lucratif, fondé sur les traditions et les acquis sociaux du 20e siècle. S’ils ne sont pas cohérents et convaincants dans leur rôle traditionnel de défenseur des systèmes de protection sociale, ils risquent de saper et de perdre le soutien de leur base et de mettre en péril leur position dans la société.
59. En s’appuyant sur de solides institutions du marché du travail et sur la reconnaissance et la confiance mutuelles, tous les partenaires du dialogue social devraient contribuer de manière constructive à mettre en place des politiques modernes du marché du travail, en tenant compte de leur intérêt commun à édifier et maintenir des systèmes économiques performants et inclusifs. Tant au niveau national qu’européen, ils devraient, partout où cela est nécessaire, conjuguer leurs forces face aux enjeux des économies et des sociétés modernes, tels que la stabilité et la croissance économiques, les changements structurels nécessaires à l’économie, comme les changements technologiques et démographiques, ainsi que les modèles de répartition des richesses et des revenus et de cohésion sociale.
60. Les pouvoirs publics ne sont pas seulement des acteurs du dialogue social tripartite: ils définissent également le cadre juridique et engagent les actions politiques déterminant les mesures et les institutions du marché du travail. En période de difficultés économiques, et en particulier lors de la crise la plus récente, ils ont parfois exercé leur pouvoir de légiférer en la matière de façon excessive et limité indûment les droits de négociation collective et de grève, ce qui a sans aucun doute eu une incidence négative sur l’ensemble du dialogue social dans de nombreux pays.
61. Dans le cadre de leur activité législative et politique future, et comme indiqué de façon plus détaillée et plus structurée dans le projet de résolution ci-dessus, les Etats membres devraient mener des actions aux niveaux gouvernemental et parlementaire:
61.1. pour envoyer des signaux positifs soulignant l’importance du dialogue social;
61.2. pour garantir ou renforcer la conformité avec les normes européennes et internationales;
61.3. pour soutenir le développement d’institutions et de politiques du marché du travail modernes;
61.4. pour s’abstenir de restreindre de manière injustifiée les droits collectifs fondamentaux dans ce domaine, y compris le droit de grève.
Ils devraient en outre promouvoir les échanges de bonnes pratiques et contribuer à améliorer la confiance entre les partenaires sociaux.