1. Introduction:
les enjeux du débat
1. L’intitulé de la proposition
de résolution sur laquelle repose le mandat de rapporteur qui m’a
été donné a une consonance extrêmement technique. Mais la question
qui est ici en jeu est en réalité avant tout politique. Elle est
source de polémique et de débats idéologiques, notamment dans le
cadre du processus de négociation du Partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement (PTCI) entre l’Union européenne et
les Etats-Unis et de l’Accord économique et commercial global (AECG)
entre l’Union européenne et le Canada. Pour les opposants au PTCI
et à l’AECG, la clause proposée de règlement des différends entre investisseurs
et Etats (RDIE) (désormais système juridictionnel des investissements
(SJI)) représente l’une des plus importantes pierres d’achoppement.
Ceux qui y sont favorables soulignent les possibilités, en général, de
croissance et de création d’emplois offertes par le PTCI et l’AECG
et, plus particulièrement, de protection des investissements (y
compris le RDIE/SJI) réalisés dans une économie de marché libérale.
2. Les débats houleux qui ont eu lieu au sein du Parlement européen
et de ses commissions concernées au sujet d’une proposition de résolution
qui visait à donner à la Commission européenne des orientations
pour les négociations en cours avec les Etats-Unis
, révèlent l’ampleur des enjeux. Le vote
du Parlement européen réuni en session plénière a finalement été
reporté à bref délai en raison de la persistance d’importants désaccords,
notamment au sujet du RDIE
. La très forte réaction de la société
civile à l’appel à manifestation d'intérêt lancé par la Commission
européenne témoigne elle aussi de l’ampleur des enjeux: plus de
150 000 manifestations d’intérêt ont été adressées à la Commission,
dont un bon nombre par de puissants syndicats, associations corporatives
et organisations non gouvernementales (ONG)
. Plus récemment, la signature de l’AECG
par le Premier ministre canadien M. Trudeau et les représentants
de l’Union européenne a dû être reportée dans des circonstances
un peu mouvementées, parce que le président de la région belge de
Wallonie refusait d’autoriser le gouvernement central à accepter
cette signature, notamment en raison d’une opposition à la clause
de RDIE/SJI que comportait l’AECG
.
3. Selon moi, et à l’évidence selon les auteurs de la nouvelle
proposition de résolution sur «La protection des investisseurs et
les droits de l’homme»
dont
j’ai été invité à tenir compte dans le présent rapport, le RDIE/SJI
soulève de graves questions quant à l’impact de ces mécanismes sur
les droits de l’homme (notamment les droits sociaux) et l’Etat de
droit, valeurs essentielles du Conseil de l’Europe. La procédure
du RDIE/SJI suscite un certain nombre de préoccupations (article
6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»)), comme l’absence alléguée de transparence, les
doutes sur l’impartialité des arbitres et les éventuels conflits
d’intérêts. Ces mécanismes sont également extrêmement préoccupants
d’un point de vue juridique. Ils risquent en effet d’avoir un effet
dissuasif sur la réglementation: les gouvernements démocratiquement
élus pourraient, de crainte d’être poursuivis devant des tribunaux
non étatiques habilités à les condamner au versement de dommages-intérêts
extrêmement importants, hésiter à prendre les dispositions réglementaires
indispensables à la protection de l’environnement, des droits des
travailleurs ou des autres droits de l’homme, comme la liberté d’association,
d’expression, d’information et le droit au respect de la vie privée.
Ces mécanismes sont également extrêmement inquiétants pour la démocratie
et la souveraineté nationale, lorsque les accords conclus par les
gouvernements précédents empêchent les Etats d’adapter leur législation
et la pratique à l’évolution de la situation ou des priorités politiques.
4. Cela dit, la protection de la propriété est également un droit
de l’homme, garanti par l’article 1 du Protocole no 1
à la Convention (STE no 177), et ce droit
est également reconnu aux étrangers, y compris aux personnes morales
(entreprises). Il est par conséquent inadmissible selon moi d’affirmer,
comme l’a fait M. Alfred de Zayas lors de l’audition organisée à
l’occasion de la réunion de la commission du 19 avril 2016
, que les investisseurs étrangers
ne méritent pas ou n’ont pas besoin de protection juridique parce
qu’ils se contentent d’exploiter les pays d’accueil et peuvent tenir
compte du risque d’expropriation et des autres risques politiques
qu’ils prennent dans leur décision d’investissement et leurs tarifs.
5. La question politique essentielle est celle du juste équilibre
entre les intérêts des investisseurs (étrangers) et ceux de l’Etat
d’accueil et de ses parties prenantes. Dans les faits, ces intérêts
ne sont pas aussi éloignés que pourrait le laisser penser le caractère
houleux du débat public. Les investisseurs ont besoin de la stabilité
et de la prévisibilité des conditions qui déterminent le caractère
financièrement viable de l’investissement prévu, tandis que les
gouvernements des Etats d’accueil veulent conserver leur liberté d’adopter
et d’appliquer toute réglementation qu’ils jugent conforme à l’intérêt
général, notamment dans des domaines tels que la protection de l’environnement,
le droit du travail, la protection sociale, y compris vis-à-vis des
entreprises étrangères. Mais les gouvernements ont également besoin
d’attirer les investissements étrangers à long terme, pour favoriser
une croissance économique durable, la création d’emplois et les transferts
de technologie. Ces investissements ne se concrétiseront pas si
les conditions qu’exigent les investisseurs ne sont pas réunies.
Lorsque ces conditions manquent de stabilité, les seuls investissements réalisés
consistent en des opérations éclair, dans lesquelles les investisseurs
cherchent à retirer de très importants bénéfices d’investissements
spéculatifs réalisés sur une brève période pendant laquelle ils
auront la certitude d’échapper à toute expropriation ou réglementation
nuisible à leurs intérêts. Par ailleurs, en l’absence de mécanismes
de protection officielle effective, ils risquent plus souvent d’adopter
des stratégies informelles destinées à assurer leur protection,
notamment en ayant recours à la corruption et aux autres formes
d’ingérence dans le processus politique du pays d’accueil. Il est
donc en réalité dans l’intérêt de la (quasi) totalité des parties
en présence que les conditions d’investissement soient stables à
long terme et que leur évolution demeure prévisible.
6. Ainsi, la protection des investissements étrangers est non
seulement exigée par la Convention européenne des droits de l’homme,
mais également raisonnable du point de vue économique. La protection effective
des investissements étrangers est une incitation à la réalisation
d’investissements durables à long terme, qui favorisent la croissance
économique et la création d’emplois. Mais elle suppose l’existence
de mécanismes de règlement des différends qui soient fiables, neutres
et efficaces, ce qui permet également de réduire les inégalités
entre les grandes entreprises et les petites et moyennes entreprises.
Ces dernières ont en effet besoin d’urgence de mécanismes de protection
des investissements, car elles ne disposent pas de l’influence politique
nécessaire pour leur assurer une protection diplomatique bilatérale
par l’intermédiaire de leur Etat d’origine, ni des ressources indispensables
pour adopter des stratégies informelles destinées à garantir leur
protection dans l’Etat d’accueil.
7. Dans le présent rapport, nous examinerons plus attentivement
les avantages et les inconvénients, d’une part, des mécanismes de
RDIE et, d’autre part, des voies de recours purement nationales.
Pour juger de la pertinence des inquiétudes que suscite le RDIE,
il convient de faire la distinction entre les problèmes que pourrait
réellement causer le remplacement des voies de recours juridictionnelles
nationales par des mécanismes internationaux d’arbitrage et les
problèmes qui découlent de la teneur des clauses matérielles du traité
de protection des investissements. L’équité et la sûreté juridique,
qui font partie de l’Etat de droit, commandent que, si les Etats
font des promesses déraisonnables pour attirer les investissements
étrangers, ils ne s’engagent pas à respecter ou ne modifient pas
des clauses qu’ils comptent rendre inopérantes grâce à la partialité
escomptée des juridictions nationales. Comme nous allons le voir,
le SJI proposé pourrait fort bien être une solution de compromis
valable, qui permettrait d’éviter la plupart, voire la totalité,
des inconvénients des deux autres options.
2. La situation actuelle du RDIE
8. Les clauses de RDIE permettent
aux investisseurs étrangers d’engager une action à l’encontre de
l’Etat d’accueil devant des tribunaux ad hoc mis en place par les
parties à l’accord chaque fois que survient un litige sur l’application
de l’accord d’investissement. Les Etats européens ont conclu entre
eux et avec des pays tiers des milliers d’accords internationaux
d’investissement ou de traités bilatéraux d’investissement qui comportent des
clauses de RDIE. Le RDIE est une caractéristique presque universelle
des 3268 accords internationaux d’investissement qui étaient en
vigueur en 2014
.
Alors que plusieurs Etats, notamment en Amérique latine, ont dénoncé
les clauses de RDIE, en particulier à la suite d’affaires très médiatisées
dans lesquelles une décision avait été rendue en leur défaveur,
un certain nombre de pays occidentaux ont conclu des accords internationaux
d’investissement dépourvus de clauses de RDIE; c’est le cas par
exemple:
- de deux traités de
libre-échange conclus par l’Australie immédiatement après une décision
rendue dans le cadre d’un RDIE en défaveur de l’Australie; mais
cette dernière a par la suite réintégré le RDIE dans ses accords
d’investissement ;
- de l’Accord d’association UE-Ukraine; mais celui-ci prévoit
l’ajout ultérieur d’une protection des investissements.
9. Les accords d’investissement ont uniquement commencé à relever
de la compétence de l’Union européenne en sa qualité d’entité distincte
à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre
2009 (voir plus loin)
; c’est pourquoi les seuls accords qu’elle
a eu l’occasion de passer à ce jour ont été conclus avec l’Ukraine
et le Canada (voir plus loin). Aucun de ces accords ne comporte
pour l’instant de clause classique de RDIE. Mais les Etats membres
de l’Union européenne ont inséré des clauses de RDIE dans 1 365
accords internationaux d’investissement conclus avec des Etats tiers,
auxquels s’ajoutent 190 accords passés entre eux
.
10. Alors que la plupart des litiges portant sur un traité sont
réglés bilatéralement entre les Etats, les accords internationaux
d’investissement prévoient des voies de recours pour les investisseurs
privés, qui peuvent ne pas être en mesure de faire appel au soutien
diplomatique de leur Etat d’origine. La création d’un mécanisme de
règlement neutre et efficace vise à encourager l’investissement
étranger direct en rassurant les investisseurs qui redoutent que
les juridictions de l’Etat d’accueil puissent se montrer partiales
à leur égard ou traiter de manière peu efficace leurs actions en
justice.
11. Les accords internationaux d’investissement diffèrent entre
eux à bien des égards, même si l’investisseur et l’Etat défendeur
sont habituellement invités à choisir un arbitre chacun, le troisième
étant coopté par les deux premiers. Lorsque tel n’est pas le cas,
la procédure varie considérablement, bien que les dispositions en
matière d’arbitrage du Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale,
de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
(CNUDCI) et de la Chambre de commerce internationale (CCI) aient
défini des normes très largement utilisées dans la pratique.
12. En 2014
,
608 actions en RDIE connues avaient été engagées
, dont 356 avaient fait l’objet
d’un règlement. Parmi ces arbitrages, 37 % avaient été tranchés
en faveur de l’Etat, 28 % avaient été réglés à l’amiable et 27 %
avaient été tranchés en faveur de l’investisseur (seuls 25 % ayant
donné lieu à l’octroi de dommages-intérêts). Comme ce genre d’action
entraîne en moyenne 8 millions USD de frais de justice
,
il est probable que seuls les litiges les plus importants donnent
lieu à l’engagement d’une action devant ce système d’arbitrage
.
13. En 2014, 40 % des actions avaient été engagées à l’encontre
d’Etats développés, ce qui confirmait une tendance à l’augmentation
des actions engagées à l’encontre de ces derniers. 80 % des investisseurs
qui avaient engagé ces actions provenaient d’Etats développés (64 %
de l’Union européenne). Bon nombre de ces investisseurs sont des
sociétés multinationales, le plus souvent établies dans des Etats
développés.
14. Les opposants au RDIE soulignent que les pays en développement
sont extrêmement vulnérables aux actions en RDIE abusives, car ils
peuvent se retrouver contraints à accepter de coûteux règlements
amiables pour éviter des frais de justice aux montants trop élevés.
Des ONG telles que Corporate Europe Observatory
indiquent que les
professionnels du secteur commencent par mener une activité de lobbying
auprès des gouvernements, pour les amener à conclure des accords
internationaux d’investissement dont les clauses imprécises assurent
une protection excessive aux investissements et un recours au RDIE
en cas de litige; ils poussent ensuite les investisseurs à engager
de nombreuses actions, dont ils sont également les bénéficiaires, puisqu’ils
y interviennent en qualité d’avocats ou d’arbitres fortement rémunérés.
3. Les
sujets de préoccupation générés par le RDIE sur le plan de l’Etat
de droit et des droits de l’homme
15. Comme nous l’avons indiqué
plus haut (paragraphe 3), le RDIE suscite un certain nombre de préoccupations
d’ordre procédural et sur le fond. Pour ce qui est de la procédure,
on reproche au RDIE son manque de transparence, auquel on associe
l’absence de prévisibilité de son issue. Les arbitres, qui sont habituellement
des professionnels du secteur ou des avocats recrutés dans un cercle
restreint de cabinets spécialisés, sont jugés partiaux et favorables
aux investisseurs, insensibles à l’intérêt général de l’Etat d’accueil,
dont ils ont tendance à écarter trop facilement les décisions politiques
pourtant revêtues d’une légitimité démocratique
. Sur le
fond, les opposants au RDIE soulignent que la crainte d’avoir à
verser des dommages-intérêts considérables sur la base de l’interprétation
excessivement large des différents types de clauses de protection
des investissements peut dissuader les gouvernements d’adopter telle
ou telle réglementation. Les réflexions qui suivent se fondent sur
l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme
retenue par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»).
3.1. Les
questions soulevées en matière d’Etat de droit par le RDIE
16. La notion d’Etat de droit comprend,
notamment, le droit à un procès équitable (article 6 de la Convention),
qui exige à son tour que les litiges soient réglés de manière transparente,
par un «tribunal indépendant et impartial». Le respect de l’Etat
de droit suppose également un minimum de sécurité juridique et de
prévisibilité de l’issue des procédures, ainsi que le respect de
l’égalité devant la loi, y compris en matière d’accès à la justice.
Tous ces éléments entrent en ligne de compte dans l’appréciation
du RDIE.
3.1.1. Applicabilité
de l’article 6 de la Convention (droit à un procès équitable)
17. La Cour a appliqué l’article
6 (droit à un procès équitable) à un contentieux civil qui reflète
les griefs soulevés par les investisseurs dans le cadre du RDIE,
y compris le refus d’une licence (
Benthem
c. Pays-Bas) ,
le refus d’approuver le contrat de vente d’un bien immobilier (
Ringeisen c. Autriche)
,
l’expropriation d’un terrain (
Sporrong
et Lönnroth c. Suède) et
une procédure d’indemnisation foncière (
Lithgow
et autres c. Royaume-Uni) . Le caractère particulier de la législation,
le statut des parties (la protection s’étend à toute «personne morale»
et ne se limite pas aux personnes physiques ou aux ressortissants
de l’Etat défendeur) et le type d’instance judiciaire amenée à statuer
importent peu; seul compte le fait que l’instance ait compétence pour
régler le différend (
Ringeisen).
Dans l’affaire
Regent Company c. Ukraine ,
la Cour a conclu qu’un tribunal arbitral créé dans le cadre d’un
contrat volontaire restait soumis aux exigences de l’article 6 et
que le caractère volontaire de ce contrat ne constituait pas une
renonciation aux droits garantis par l’article 6.
18. L’article 6 impose l’existence d’un «tribunal indépendant
et impartial, établi par la loi». Les tribunaux de RDIE semblent
généralement satisfaire à ces trois critères. La ratification par
l’Etat de l’accord international d’investissement entraîne l’établissement
par la loi du tribunal. Comme l’investisseur et l’Etat défendeur participent
tous deux au choix des arbitres, on peut s’attendre à ce que ceux-ci
soient indépendants du gouvernement et, comme ils sont choisis par
les parties, impartiaux. En revanche, les opposants au RDIE affirment
que les arbitres (y compris ceux qui sont nommés par le gouvernement)
ont en général tendance à se montrer partiaux et favorables aux
investisseurs, car ils sont choisis dans un cercle restreint de professionnels
du secteur, en particulier de puissants cabinets d’avocats qui ont
tout intérêt à encourager une augmentation de ces litiges rentables
en se montrant complaisants à l’égard des actions en justice engagées par
les investisseurs
. D’autres observateurs soulignent que
les études empiriques font ressortir la diversité de l’origine professionnelle
des arbitres, qui sont notamment des juges et fonctionnaires nationaux
.
19. La renonciation à la plupart des droits consacrés par l’article
6 est possible, mais cette renonciation doit être librement décidée,
sur la base d’informations adéquates; elle doit en outre n’avoir
aucune ambiguïté et ne pas porter atteinte à l’ordre public ni à
un élément important de l’intérêt général
.
La procédure d’arbitrage est définie dans les accords internationaux
d’investissement, de sorte que l’investisseur en connaît le déroulement et
les limites. Comme les investisseurs peuvent en principe également
engager une action devant les juridictions de l’Etat d’accueil (contrairement
à ce qui était prévu dans l’affaire
Regent
Company, où l’arbitrage était obligatoire), ils disposent
d’alternatives valables et font librement le choix d’appliquer la
clause de RDIE.
3.1.2. Le
RDIE et la question particulière de sa transparence
20. La transparence de la procédure
d’arbitrage représente la principale préoccupation d’ordre procédural que
suscitent les tribunaux de RDIE. Les dispositions prévues par les
accords internationaux d’investissement varient d’un accord à l’autre,
mais bon nombre d’entre elles n’imposent pas la publication des
décisions ou des documents présentés au cours de la procédure. Il
arrive parfois qu’elles n’exigent pas même la notification aux tiers
de l’engagement d’une action ou de son arbitrage. Le Règlement d’arbitrage
de la Chambre de commerce internationale autorise un tribunal à
ordonner la confidentialité de l’intégralité de la procédure d’arbitrage
«à la demande d’une partie»
.
Cette confidentialité peut effectivement faire obstacle à la protection
des droits garantis par l’article 6 et entrave également l’élaboration
d’une «jurisprudence» qui donne des éléments d’orientation pour
l’interprétation des dispositions matérielles, au détriment de la
sécurité juridique et du caractère prévisible de l’issue des procédures.
21. En vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme, les jugements doivent être suffisamment motivés pour
répondre aux éléments factuels et aux arguments juridiques présentés
par les parties (par exemple
Ruiz Torija
c. Espagne) . Le respect de cette exigence
ne peut être vérifié si le jugement, voire le dossier et les conclusions
écrites, ne sont pas accessibles au public et aux tribunaux. Selon
la Cour européenne des droits de l’homme, les jugements devraient
également être mis à la disposition du public (par exemple
Ryakib Biryukov c. Russie) , ce qui est expressément interdit par
les accords de confidentialité prévus dans la procédure de certains
RDIE.
22. Face à ces préoccupations justifiées, une tendance au renforcement
de la transparence de la procédure de RDIE s’est dessinée. Ainsi,
la version 2013 du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, auquel les
accords internationaux d’investissement font fréquemment référence
lorsqu’ils définissent leur procédure de RDIE, a intégré un «Règlement
sur la transparence» qui impose la consignation publique des notifications
d’arbitrage, des conclusions et des décisions/règlements dans un
registre en ligne
. Le Règlement
indique que «le tribunal arbitral veille à ce que ces objectifs
[de transparence] priment»
,
tout en permettant aux traités ou aux arbitres dans une affaire
donnée de disposer du pouvoir discrétionnaire d’autoriser des exceptions
à cette règle
. Cette possibilité est évidemment préoccupante.
Par ailleurs, le nouveau règlement est en principe uniquement applicable
aux accords internationaux d’investissement qui prévoient l’application
du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI après le 1er avril
2014 (soit lorsqu’ils sont ratifiés après cette date, soit parce
que les deux parties conviennent après cette date de son application).
La Convention des Nations Unies sur la transparence dans l’arbitrage
entre investisseurs et Etats fondé sur des traités (Convention de
Maurice sur la transparence), qui a été ouverte à la signature le
17 mars 2015, pourrait et devrait accélérer ce processus
.
3.1.3. Le
RDIE, une menace pour la sécurité juridique
23. La sécurité juridique, c’est-à-dire
le principe selon lequel les personnes soumises à une loi doivent pouvoir
savoir comment régler leur conduite afin de se conformer à la loi,
peut également être compromise par le RDIE. Les tribunaux ad hoc
ne sont toujours pas tenus de prendre en compte les décisions antérieures
et les problèmes de transparence que nous venons d’évoquer signifient
que les décisions qui ne sont pas publiées ni expliquées/motivées
laissent les futurs tribunaux dépourvus d’éléments d’orientation
qui leur permettraient de statuer de manière cohérente.
24. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment conclu
à la violation de l’article 6 en raison de «l’insécurité, qu’elle
soit législative, administrative ou découle de la pratique appliquée
par les autorités»
. Elle a adopté cette même position qu’il
s’agisse de l’absence de cohérence des décisions de justice rendues
par une seule instance
ou
de décisions incompatibles rendues par différentes entités de l’Etat
(
Ştefănică et autres c. Roumanie) . L’atmosphère de secret qui entoure actuellement
les arbitrages par RDIE empêche de vérifier si un Etat ou un investisseur
est traité de manière suffisamment cohérente pour lui assurer une
sécurité juridique.
3.1.4. Le
RDIE, une menace pour l’égalité devant la loi et l’égalité d’accès
à la justice
25. Le RDIE représente une voie
de recours uniquement accessible aux investisseurs étrangers, mais
pas aux investisseurs locaux, aux Etats ni aux personnes qui se
disent victimes des activités économiques d’un investisseur étranger.
Les concurrents locaux doivent se contenter des juridictions locales,
bien qu’ils puissent aussi, en Europe, saisir la Cour européenne
des droits de l’homme après épuisement de toutes les voies de recours
dont ils disposent dans leur pays, s’ils estiment qu’il a été porté
atteinte à leurs droits de l’homme. Les gouvernements (et les ressortissants
nationaux) ne peuvent saisir les tribunaux de RDIE pour amener les investisseurs
étrangers à répondre, par exemple, de la pollution de l’environnement
ou de la violation des droits sociaux.
26. Mais ces différences de traitement sont uniquement discriminatoires,
et donc constitutives d’une violation du principe d’égalité devant
la loi ou d’égalité d’accès à la justice, si elles ne se justifient
pas par des raisons objectives. A cet égard, l’Etat dispose de toute
la panoplie de ses prérogatives souveraines: il peut adopter des
textes de loi pour favoriser l’intérêt général et les faire respecter
en utilisant tous les instruments de la puissance publique. Il peut
prendre directement une mesure unilatérale et il appartiendra alors
à l’investisseur de se défendre s’il estime que cette mesure porte
atteinte à l’un de ses droits protégés.
27. Or l’investisseur local est lui aussi le destinataire final
des mesures unilatérales de l’Etat, au même titre qu’un investisseur
étranger. Pourquoi alors accorder à son concurrent étranger une
voie de recours supplémentaire devant un tribunal international?
D’aucuns considèrent cette différence de traitement comme un privilège
injustifié consenti aux investisseurs étrangers
. Celui-ci peut uniquement
se justifier si les entreprises étrangères sont réellement désavantagées
par rapport aux investisseurs locaux sur le plan de l’impartialité
des juridictions nationales. De nombreux exemples de «partialité
nationale» ont été brandis par les partisans du RDIE. Ils concernent
non seulement les «suspects habituels» (les pays en développement
ou les autres pays dont les faiblesses du système judiciaire sont
bien connues), mais également les pays développés qui disposent
généralement de juridictions solides, comme les Etats-Unis
. C’est précisément à cause de ces
exemples que les entreprises multiplient les démarches en faveur
du RDIE, y compris dans les accords internationaux d’investissement
conclus entre les pays développés (comme le PTCI et l’AECG).
28. Il importe bien entendu que les sociétés nationales n’abusent
pas de ce «privilège compensatoire» (destiné à compenser, aux yeux
des partisans du RDIE, «la partialité nationale» supposée des juridictions nationales)
en se faisant passer, par d’ingénieux montages de filiales, pour
des sociétés étrangères, comme cela semble être fréquemment le cas.
Afin d’éviter cette quête de la juridiction la plus favorable, il
est indispensable d’appliquer rigoureusement des critères simples
et clairs, comme la détention de la majorité du capital par des
sociétés étrangères et que le fait que le siège de l’entreprise
se situe à l’étranger.
3.2. Le
RDIE, un obstacle à la mise en œuvre des droits de l’homme
29. L’existence de traités de protection
des investissements, dont le respect est assuré par le RDIE, peut dissuader
les Etats de mettre en œuvre des politiques publiques progressistes,
qui visent à améliorer la protection de l’environnement, des droits
des travailleurs ou simplement à accroître les recettes de l’Etat
– qui seront utilisées pour améliorer les conditions de vie de la
population locale (effet dissuasif sur la réglementation). C’est
là la principale préoccupation des auteurs de la nouvelle proposition
de résolution «La protection des investisseurs et les droits de
l’homme», dont j’ai été invité à tenir compte dans le présent rapport
. Il s’agit avant tout de la question du contenu
d’un traité de protection des investissements et non de la nature
du mécanisme de recours disponible. La nature de ce mécanisme et
la procédure appliquée peuvent cependant avoir une influence déterminante
sur l’issue de l’arbitrage. C’est la raison pour laquelle l’examen sous
cet angle de certaines des clauses les plus généralement critiquées
des accords internationaux d’investissement s’avère indispensable.
3.2.1. Les
clauses de non-discrimination
30. L’un des buts premiers des
accords internationaux d’investissement est de protéger les investisseurs étrangers
contre la discrimination à leur encontre des gouvernements, par
rapport aux autres investisseurs, en particulier leurs concurrents
nationaux. L’article 1 du Protocole no 1
à la Convention reconnaît le droit de l’homme à la jouissance paisible
de ses biens, tandis que l’article 14 exige que le respect des droits
garantis par la Convention soit assuré sans discrimination motivée
par de nombreuses raisons, dont la nationalité. Même en l’absence
d’accord international d’investissement, les parties à la Convention
européenne des droits de l’homme sont tenues de respecter de manière
égale le droit de propriété des investisseurs étrangers et celui des
investisseurs nationaux.
31. Les signataires des accords internationaux d’investissement
préfèrent toutefois définir expressément le traitement réservé aux
investisseurs dans des clauses classiques, qui figurent dans la
quasi-totalité des accords. La clause de «traitement national» garantit
aux investisseurs étrangers un traitement identique à celui des
investisseurs nationaux. La clause de «la nation la plus favorisée»
garantit aux investisseurs étrangers signataires d’un accord de
ne pas être moins favorablement traités par un Etat que celui-ci
ne traite les investisseurs étrangers dans le cadre de n’importe
quel autre accord.
32. Toutefois, ce traitement «le plus favorable» peut s’avérer
asymétrique. Les investisseurs étrangers se voient garantir un traitement
minimal équivalent à celui des investisseurs nationaux et des autres
investisseurs étrangers, de sorte que leur traitement doit être
aussi satisfaisant que celui de n’importe qui. Les investisseurs locaux
ne bénéficient pas de cette protection prévue par un accord international
d’investissement, bien que dans les Etats Parties à la Convention
ils jouissent d’une protection contre la discrimination, garantie
par l’article 14 de la Convention, combiné à l’article 1 du Protocole
no 1. Nous avons déjà évoqué plus haut
cette inégalité procédurale, qui réside dans le fait qu’ils doivent
se contenter des juridictions nationales (et de la protection subsidiaire
de la Cour européenne des droits de l’homme).
3.2.2. Les
clauses de «traitement juste et équitable»
33. De nombreux accords internationaux
d’investissement comportent des clauses de traitement juste et équitable.
L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) prévoit dans son
article 1105 («Norme minimale de traitement») que «[c]hacune des
Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d'une
autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment
un traitement juste et équitable (…)». Mais l’ALENA ne donne aucune
indication supplémentaire sur le sens de la formule «juste et équitable», si
bien que les arbitres ont dû procéder à leur propre interprétation.
34. L’affaire Metalclad Corporation
c. Etats-Unis du Mexique
reposait
sur les faits suivants. L’entreprise américaine Metalclad avait
fait l’acquisition de l’entreprise mexicaine Coterin, en partie
pour exploiter une décharge de déchets toxiques au Mexique. Metalclad
avait obtenu l’autorisation fédérale et celle de l’Etat concerné
et avait démarré les travaux de construction, convaincue d’avoir
toutes les autorisations nécessaires. Mais la commune de Guadalcazar
avait refusé au cours des cinq années précédentes d’accorder à la
société Coterin des autorisations similaires et avait également
rejeté la demande de Metalclad, empêchant ainsi l’exploitation des
installations. Le tribunal arbitral, devant lequel Metalclad soutenait
s’être fiée à l’assurance du gouvernement fédéral qu’elle avait
obtenu toutes les autorisations nécessaires, a conclu que «le Mexique n’avait
pas garanti un cadre transparent et prévisible au plan d’activité
et aux investissements de Metalclad[, ce qui] démontre un manque
de méthode» et a octroyé à Metalclad $US 15,6 millions de dommages-intérêts. Metalclad
a ainsi utilisé la clause de «traitement juste et équitable» pour
élever la protection de l’ALENA à un niveau qui allait bien au-delà
de la simple protection contre la discrimination et de l’ouverture
des marchés, en faisant d’elle la garantie du niveau de qualité
des services administratifs que le gouvernement fédéral devait fournir
et qui s’appliquait aux services de l’Etat, à tous les échelons.
Il ne pouvait exister en l’espèce de discrimination, puisque la
demande d’un investisseur local avait été refusée de la même manière.
Le tribunal arbitral a conclu que les assurances données par le
Gouvernement mexicain démontraient que «le Mexique n’avait pas respecté
l’obligation de transparence qui lui était faite par l’ALENA»
. Une procédure transparente et
prévisible aurait dû logiquement aboutir à la confirmation du troisième
refus opposé à une même demande déposée par la même personne morale
(Coterin tout d’abord, puis Metalclad en sa qualité de successeur direct,
juridiquement parlant); mais les arbitres ont choisi d’interpréter
le «traitement juste et équitable» comme une obligation de diligence
directement faite à l’Etat.
35. Les clauses de traitement juste et équitable peuvent également
fausser l’application de la législation. Occidental Petroleum Corporation,
qui avait cédé 40 % des droits que lui reconnaissait un contrat
passé avec l’Equateur, avait commis un acte constitutif d’une rupture
de contrat, puisque celui-ci prévoyait que tout transfert non autorisé
de droits entraînerait la rupture du contrat
. Or, le tribunal
arbitral a estimé que l’intérêt qu’avait l’Etat à dissuader ses
cocontractants de rompre leur contrat et la rupture du contrat par
Occidental étaient des motifs insuffisants pour justifier l’application
de la clause de rupture prévue par le contrat, laquelle avait entraîné
la perte de l’investissement réalisé par Occidental. L’application
d’un contrat n’exige en principe aucune justification en dehors
de ce qui a été convenu au préalable volontairement entre les parties,
mais le tribunal a considéré que le traité bilatéral d’investissement
conclu entre les Etats-Unis et l’Equateur primait sur le droit général
des contrats et a en conséquence condamné l’Equateur à verser $US 769 625 000
à l’investisseur
.
36. Le prix à payer pour une réglementation soucieuse de l’intérêt
général finit par devenir lourd lorsque les dommages-intérêts sont
aussi élevés. A long terme, cette situation pourrait fort bien avoir
un effet dissuasif sur la réglementation, en conduisant à l’avenir
la plupart des Etats Parties à des accords internationaux d’investissement
à renoncer à faire respecter leur législation, quelle que soit l’importance
de l’intérêt général concerné. Ainsi, lorsque l’Allemagne a adopté
de nouvelles dispositions qui restreignaient l’écoulement des eaux
de refroidissement des centrales nucléaires, elle a dû assouplir
les normes en vigueur pour obtenir le règlement à l’amiable du grief
soulevé par le conglomérat suédois Vattenfall sur le fondement du
traité sur la Charte de l’énergie
.
37. Comme les Etats voient de plus en plus leurs pouvoirs réglementaires
légitimes usurpés par des actions en RDIE engagées au titre du «traitement
juste et équitable», ils s’efforcent de préciser et de restreindre l’interprétation
de cette formule vague. L’accord de libre-échange conclu entre les
Etats-Unis et le Chili limite cette notion à la norme minimale de
traitement des étrangers imposée par le droit international coutumier
, qui se contente généralement d’interdire
le déni de procès équitable et l’expropriation pure et simple
. Les Etats-Unis,
le Canada et le Mexique ont publié une note interprétative commune
en 1999, qui applique la même limitation à l’ALENA
.
38. Mais cette protection est parfois compromise par l’accord
lui-même. Ainsi,
l’accord
de libre-échange entre le Japon et la Suisse (ALE) insère l’article XIV de l’
Accord
général sur le commerce des services (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce dans son
propre article 95.1. L’article XIV prévoit qu’un accord n’empêche
pas l’Etat de prendre des mesures nécessaires, notamment, «à la
protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux
ou à la préservation des végétaux», «à la protection de la vie privée
des personnes» ou à la sécurité. Toutefois, l’article 95.3 de l’ALE
interdit expressément l’application de l’article XIV à la norme
de «traitement juste et équitable» énoncée à l’article 86 de l’ALE.
39. Bien entendu, la non-application de la réglementation exigée
par un accord international d’investissement vaut uniquement pour
les investisseurs étrangers; les entreprises locales doivent respecter la
réglementation et faire preuve de la diligence requise.
3.2.3. Les
clauses de stabilisation
40. Les clauses de stabilisation,
que comportent les contrats privés conclus entre les investisseurs
et les Etats d'accueil, portent sur la modification de la législation
de l’Etat d’accueil pendant la durée du projet d’investissement
. Certaines clauses
«gèlent» l’application de la législation de l’Etat d’accueil au
projet d’investissement pendant sa durée prévue et exempte de ce
fait l’investisseur du respect de toute nouvelle législation. D’autres
clauses (les «clauses d’équilibre économique») admettent que l’investisseur
doive se conformer à la nouvelle législation, mais imposent à l’Etat
d’accueil de l’indemniser pour les coûts occasionnés par le respect
de la législation.
41. Ces clauses ont été critiquées parce qu’elles font obstacle
à l’adoption par les Etats d’accueil des mesures nécessaires à l’amélioration,
par exemple, de la protection de l’environnement ou des droits des travailleurs.
Parallèlement, un certain degré de stabilité et de prévisibilité
est indispensable à la viabilité des investissements à long terme,
surtout lorsque d’importants investissements doivent être réalisés,
par exemple dans les infrastructures, avant que les sommes investies
ne deviennent rentables.
42. Le débat public dont ont fait l’objet les accords d’investissement
conclus entre BP et l’Azerbaïdjan et la Turquie au sujet d’un important
projet de gazoduc a conduit BP à compléter les contrats d’investissement
par des «Engagements en matière de droits de l’homme», qui visaient
à éviter l’impact négatif que pouvaient avoir les clauses de stabilisation
sur la protection des droits de l’homme dans les Etats d’accueil
. De tels «engagements en matière
de droits de l’homme», pris à la suite d’un dialogue entre toutes
les parties prenantes, pourraient effectivement contribuer à minimiser
les conséquences négatives de ces clauses sur les droits de l’homme,
tout en préservant leur objectif: rendre les importants investissements
à long terme économiquement viables.
3.2.4. Les
«attentes légitimes»
43. De nombreux tribunaux d’arbitrage
font également droit aux demandes dont ils sont saisis en se fondant sur
les «attentes légitimes» des investisseurs à l’égard de l’environnement
dans lequel l’investissement est réalisé dans un Etat. Ces attentes
ont été évoquées pour la première fois dans une affaire de 2003,
Tecmed c. Etats-Unis du Mexique:
«L’investisseur étranger attend
de l’Etat d’accueil qu’il agisse de manière cohérente, sans ambiguïté
et avec une totale transparence dans ses rapports avec l’investisseur
étranger, de sorte qu’il puisse connaître au préalable l’intégralité
de la législation et de la réglementation qui régiront ces investissements,
ainsi que les buts poursuivis par la politique et les pratiques
ou directives administratives pertinentes, qu’il puisse planifier
son investissement et se conformer à cette réglementation (…). L’investisseur
étranger attend également de l’Etat d’accueil qu’il agisse de manière cohérente,
c’est-à-dire sans annuler de manière arbitraire une décision ou
autorisation préexistante prise par l’Etat, sur laquelle l’investisseur
comptait pour assumer ses engagements, ainsi que pour prévoir et
se livrer à ses activités commerciales et économiques» .
44. Les accords internationaux d’investissement n’emploient habituellement
pas le terme «attentes légitimes» et, dans l’affaire
Tecmed, la promesse générale que
l’Etat ne procéderait jamais à aucune modification susceptible de
nuire à un investissement ne reposait sur aucun fondement juridique
explicite. Depuis cette date, de nombreuses décisions ont invoqué
ces attentes en se contentant de citer un précédent. Dans un arbitrage
de 2005, une opinion concordante indiquait «que “les attentes légitimes”
sont devenues le moyen préféré des tribunaux pour assurer la protection
de la partie demanderesse lorsque les critères de “prélèvement réglementaire”
semblent trop difficiles, trop complexes et trop facilement contestables
pour se fier à une mesure dont l’appréciation est subjective»
.
45. La définition des «attentes légitimes» retenue dans l’arrêt
Tecmed est extrêmement large et
prive l’Etat de la capacité de modifier une réglementation, quelle
que soit l’urgence de l’intérêt général en jeu, par exemple pour
améliorer la santé ou la sécurité. Des décisions ultérieures ont
admis qu’«il n'est pas justifié que les opérateurs économiques placent
leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante
pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des
institutions (…)»
.
Les tribunaux ont actuellement tendance à considérer que ces attentes
sont uniquement légitimes lorsque les Etats font des démarches particulières
auprès d’un investisseur ou insèrent une clause contractuelle qui
promet la stabilité d’une politique particulière ou d’un cadre réglementaire
précis. Sans cette promesse particulière, un investisseur ne saurait «légitimement
attendre» d’un Etat qu’il renonce à ses responsabilités à l’égard
de ses citoyens.
46. Conscients du fait que la plupart
des tribunaux reconnaîtront une certaine forme d’attentes légitimes,
les auteurs des accords internationaux d’investissement devraient
définir expressément et au préalable les attentes des parties. Il
existe actuellement une tendance à exonérer les mesures prises par
un Etat pour favoriser la protection de l’environnement, la santé
publique et la sécurité de son obligation de respecter les attentes
des investisseurs
.
L’accord de libre-échange entre l’Australie et le Japon en offre
un bon exemple. Son article 14.15 garantit à chaque partie le droit
d’adopter des mesures pour protéger les mêmes éléments d’intérêt
général que ceux que prévoit l’article XIV de l’AGCS évoqué plus
haut
. Il importe de noter qu’aucune autre clause
ne limite cette protection (contrairement à l’accord de libre-échange
entre le Japon et la Suisse). L’article protège également les intérêts
des investisseurs dans la mesure où il exige que ces mesures ne
soient pas conçues comme des restrictions déguisées à l’investissement
ou comme une discrimination à l’égard des investisseurs d’un Etat
particulier.
47. Il est également possible de définir à l’avance les attentes
relatives aux obligations des parties en matière de droits de l’homme,
en abordant directement ces préoccupations avec la diligence requise. L’évaluation
de l’impact sur les droits de l’homme et l’audit des droits de l’homme
pourraient fournir aux parties des informations utiles lorsqu’elles
négocient un traité de protection des investissements (entre Etats)
ou un contrat d’investissement (entre l’Etat d’accueil et un investisseur).
48. Certaines négociations commerciales comportent désormais une
«évaluation de l’impact social», qui détermine l’impact qu’un accord
aurait sur la société de l’Etat concerné. L’Union européenne procède
à une «évaluation de l’impact sur le développement durable» dans
le cadre de ses négociations sur le PTCI
. De même, une «évaluation de l’impact
sur les droits de l’homme» peut être effectuée afin d’anticiper
les effets sur les droits de l’homme d’un accord
.
Le fait d’ajouter ces mesures aux exigences classiques de diligence requise
lors de l’élaboration des accords internationaux de commerce et
d’investissement ou des contrats d’investissement permettrait de
définir à l’avance les problèmes qui pourraient se poser et donnerait
aux parties la possibilité de rédiger leurs accords de manière à
prévenir toute conséquence négative pour les droits de l’homme,
l’environnement ou la situation sociale, par exemple.
49. Les investisseurs qui négocient un contrat d’investissement
dans le cadre d’un accord international d’investissement peuvent
également définir plus précisément leurs attentes en ayant recours
à un audit des droits de l’homme, en plus d’une évaluation de l’impact
social des dispositions relatives à investissement. Cet audit analyserait
les obligations en matière de droits de l’homme de l’Etat d’accueil
et fournirait à l’investisseur des informations qui lui permettraient
de prévoir et d’expliquer les futures modifications qui pourraient
être nécessaires pour respecter ces obligations (par exemple l’engagement
de verser un «salaire minimum vital» ou de limiter la pollution
des ressources naturelles)
. Afin
d’éviter toute source d’inefficacité budgétivore, l’Etat pourrait
centraliser ces informations et les fournir aux investisseurs à
leur demande. La communication par un Etat d’informations erronées
ou qui ne sont plus d’actualité pourrait alors être considérée comme
une fausse déclaration, susceptible de donner lieu à juste titre
à l’engagement d’une action, soit en RDIE, soit devant les juridictions
nationales, pour violation des attentes légitimes.
3.3. La
protection des investissements et le droit à la protection de la
propriété (article 1 du Protocole n° 1)
50. Les droits de propriété protégés
par les accords internationaux d’investissement sont en principe
pris en compte par l’article 1 du Protocole no 1
à la Convention européenne des droits de l’homme, qui a été signé
et ratifié par chaque signataire de la Convention. La limite entre
«l’expropriation» (qui est uniquement possible sous certaines conditions
et donne lieu dans ce cas à une indemnisation pécuniaire) et le
simple fait de «réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt
général» (article 1.2 du Protocole no 1)
représente un élément essentiel. Il existe une vaste jurisprudence,
non seulement de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’interprétation
de l’article 1 du Protocole no 1, mais
également des juridictions constitutionnelles nationales qui interprètent
la protection similaire accordée au droit de propriété par les constitutions nationales
.
Cette jurisprudence devrait également servir d’éléments d’orientation
aux collèges d’arbitres lorsqu’ils interprètent les clauses de protection
des investissements prévues par les accords internationaux d’investissement.
51. Il convient de noter que la Cour européenne des droits de
l’homme estime que la Convention devrait être interprétée, autant
que possible, conformément aux autres engagements internationaux
d’un Etat, mais également que la Convention pourrait primer sur
les accords incompatibles (voir
Fogarty
c. Royaume-Uni) . Cela signifie que les clauses des accords
internationaux d’investissement qui empêcheraient la mise en œuvre des
obligations en matière de droits de l’homme nées de la Convention
doivent être interprétées de manière étroite, voire annulées.
4. Le
RDIE, une remise en question de la souveraineté de l’Etat
52. Comme la plupart des traités,
les accords internationaux d’investissement permettent aux parties
de mettre fin à un accord en prévoyant, soit une date d’expiration
(«clause de caducité»), soit un mécanisme de retrait particulier.
80 % des traités d’investissement prévoient une «phase de résiliation
à tout moment» au cours de laquelle chaque partie peut annuler l’accord
à l’issue de la durée initiale du traité
. Les investissements réalisés
avant la fin du traité demeurent protégés pendant une certaine période,
mais les parties sont pour le reste libérées des obligations du
traité.
53. Les accords de l’Union européenne ne permettent pas le retrait
individuel des Etats membres. La négociation de ces accords par
l’Union et non par chaque Etat membre a justement pour but de renforcer
le volume et l’homogénéité juridique du marché commun, ce qui exige
en principe la participation de chaque Etat membre. La Commission
soutient que les Etats renoncent à cet aspect de leur souveraineté
lorsqu’ils ratifient le traité de Lisbonne. Mais si l’Union européenne
décide d’intégrer le RDIE ou le SJI au PTCI, à l’AECG ou à tout
autre accord futur, les Etats pourraient se trouver confrontés à
des restrictions imposées également à d’autres compétences qu’ils
n’ont pas pleinement transférées à l’Union européenne, comme le
droit de réglementer les questions de santé publique ou de sécurité
(voir plus loin).
54. Les accords conclus par l’Union européenne avec les Etats
tiers et qui concernent à la fois les compétences de l’Union et
les compétences nationales (traités mixtes) exigent la signature
et la ratification de tous les Etats membres. Cette exigence protège
les Etats contre tout accord qui porterait atteinte de manière inacceptable
à leur souveraineté. Mais selon la Commission européenne, le traité
de Lisbonne confère à l’Union européenne la compétence exclusive
de la conclusion des accords commerciaux et de protection des investissements;
elle se fonde en cela, en particulier, sur les articles 3 et 207.5
du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
. L’approbation donnée par le Parlement
européen prend alors la place de la ratification des parlements
nationaux. Mais au vu de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les domaines
de l’ordre public qui continuent à relever de la compétence des
Etats membres, la question de savoir si des accords comme le PTCI
ou l’AECG exigent la ratification des Etats membres fait également
l’objet d’un vif débat à l’heure actuelle. Il est significatif qu’en
juillet 2016 la Commission européenne ait proposé la signature de l’AECG
par le Canada, l’Union européenne et l’ensemble de ses Etats membres
sous la forme d’un «accord mixte» – sans préjudice de son point
de vue juridique, actuellement l’objet d’un contentieux devant la
Cour de justice de l’Union européenne, selon lequel ces accords
relèvent de la compétence exclusive de l’Union européenne
. Selon
moi, il convient de trouver une solution qui permette à chaque Etat
membre d’opter pour une clause de RDIE/SJI s’il s’avère que les
interprétations de l’accord retenues par le tribunal ont des conséquences
négatives sur les politiques nationales qui continuent à relever
de la compétence nationale. Comme nous l’avons vu, les Etats peuvent
mettre fin aux accords bilatéraux d’investissement s’ils ne correspondent
plus à leurs objectifs politiques, même si les investissements existants
continuent à bénéficier d’une protection pendant une période transitoire.
Mais, dans les faits, les Etats membres de l’Union européenne se
voient empêchés de recourir à cette option, puisque ces accords
sont désormais conclus par l’Union européenne. Il convient par conséquent
de réfléchir aux voies et moyens qui permettent aux Etats membres
de l’Union européenne de choisir s’ils prennent part ou non aux
accords de protection des investissements, par exemple en intégrant
les dispositions relatives à la protection des investissements dans un
protocole facultatif.
55. L’application provisoire des accords mixtes avant leur ratification
soulève une autre question de souveraineté. L’Accord d’association
UE-Ukraine, par exemple, qui est soumis à la ratification de l’ensemble des
Etats membres, a été appliqué de manière provisoire dans l’ensemble
de l’Union européenne, à compter du 1er novembre
2014 (pour les dispositions «politiques») et du 1er janvier
2016 (pour les dispositions commerciales)
. La durée
de l’application provisoire est en principe indéterminée, sauf s’il
y est mis fin par décision unanime du Conseil européen
. Si les futurs
accords comportent des clauses provisoires similaires, l’exigence
de ratification nationale pourrait bien perdre une partie de sa
pertinence sur le plan de la protection de la souveraineté des Etats
.
Selon moi, cette situation est inacceptable. L’option précitée laissée
à chaque Etat membre en cas de conflit avec la politique nationale
dans les domaines qui continuent à relever de la compétence nationale
doit également (et plus encore) exister pendant la période d’application
provisoire de l’accord. Cette application provisoire devrait quoi
qu’il en soit être limitée dans le temps (par exemple à deux ans)
et, idéalement, être uniquement applicable aux parties du traité
qui relèvent de la compétence de l’Union européenne.
5. Le
RDIE/SJI est-il vraiment nécessaire?
56. Les partisans du RDIE (ou SJI)
le jugent indispensable au motif que les juridictions nationales
de nombreux pays ne protègent pas suffisamment les investisseurs
étrangers. Ce sentiment peut être lié à la piètre qualité (ou à
l’impression de piètre qualité) des juridictions nationales. Rappelons
toutefois que les juridictions d’un quart des Etats membres de l’Union
européenne sont considérées par leurs propres justiciables comme
inférieures à la moyenne sur le plan de l’indépendance et de l’efficacité
. Les autres juridictions généralement
jugées satisfaisantes ont tendance à résister à l’application des
accords internationaux, comme aux Etats-Unis, où la doctrine estime
que les tribunaux sont uniquement tenus d’appliquer les traités
internationaux qui prévoient expressément leur exécution automatique
après ratification ou en compagnie de la législation interne
.
57. Les tribunaux de RDIE, ainsi que le SJI proposé, créent un
«système juridictionnel dualiste» dans lequel les investisseurs
étrangers (privilégiés) peuvent engager une action en justice pour
obtenir un jugement exécutoire hors des juridictions nationales.
L’Association allemande des magistrats (
Deutscher
Richterbund), dans un avis rendu en février 2016
, s’est opposée à un tel système dualiste,
qu'elle juge à la fois inutile et dépourvu de solides fondements
juridiques dans le droit de l’Union européenne. Il n’est peut-être
pas surprenant que les magistrats nationaux aient davantage confiance
dans les juridictions nationales. Leurs Etats concluent néanmoins
des accords internationaux d’investissement qui comportent des clauses
de RDIE, ce qui semble indiquer qu’ils font moins confiance aux
juridictions des autres pays qu’à leurs propres juridictions. Autrefois,
les pays riches concluaient rarement entre eux des accords internationaux d’investissement
assortis de clauses de RDIE, car leurs investisseurs faisaient habituellement
confiance à leurs systèmes judiciaires indépendants bien établis
.
Mais les accords internationaux d’investissement plus récents (comme
les accords susmentionnés conclus entre la Suisse et le Japon et
entre l’Australie et le Japon, ainsi que l’accord récemment signé
avec le Canada (AECG) ou actuellement négocié avec les Etats-Unis, comportent
de telles clauses, tout comme la plupart des accords internationaux
d’investissement conclus entre les Etats membres de l’Union européenne.
58. Les magistrats allemands, entre autres, estiment que la meilleure
solution consisterait, lorsque les juridictions nationales s’avèrent
inefficaces, à les améliorer et non à les contourner. L’amélioration
des juridictions nationales serait effectivement la solution idéale.
Mais il s’agit d’un projet à long terme, qui pourrait fort bien
être entravé pour diverses raisons (politiques ou budgétaires).
En attendant, les accords internationaux d’investissement assortis
de clauses de RDIE/SJI peuvent encourager les investissements étrangers
dans les pays signataires, ce qui accentue la pression qui s’exerce
sur les économies en développement pour que leurs pays participent
à ces accords
.
Cela dit, les accords internationaux d’investissement ont uniquement
un impact limité sur les investissements étrangers directs. Les
pays d’Europe centrale et orientale profitent de manière spectaculaire
de ces accords, alors que les Etats de l’Afrique subsaharienne et
d’Amérique centrale et du Sud n’enregistrent aucune augmentation
significative des investissements étrangers directs
. Ces variations régionales doivent
subir l’influence de facteurs autres que la présence et la structure
des accords internationaux d’investissement et il n’existe aucune
donnée qui permette de savoir si ces facteurs peuvent tout autant
promouvoir et canaliser l’investissement en l’absence d’accord d’investissement.
Les données que comportent ces études (1985-2011 pour la principale
étude citée ici) portent sur une époque de forte croissance économique
mondiale et il est possible que les accords internationaux d’investissement
aient uniquement contribué à favoriser un peu plus le flux naturel
des capitaux. Il semble que le RDIE/SJI soit surtout utile lorsque
le gouvernement d’un Etat est assez efficace pour respecter un partenariat
contractuel, tout en réglementant l’économie dans l’intérêt de la
société tout entière, sans parvenir encore de manière fiable à faire
respecter l’Etat de droit. En résumé, le RDIE/SJI pourrait bien,
dans ces conditions, attirer plus facilement les investissements
étrangers au moyen d’accords commerciaux.
6. Réforme
profonde de la procédure de RDIE ou création d’un système juridictionnel
des investissements?
59. L’Accord économique et commercial
global conclu entre l’Union européenne et le Canada porte remède à
de nombreuses critiques adressées au RDIE, que nous avons examinées
plus haut. Par exemple, l’AEGC:
- souligne
dans son préambule «le droit de réglementer» reconnu aux Etats pour
poursuivre des buts légitimes d’ordre public, comme la santé publique,
la sécurité, l’environnement, la moralité, la protection de la société
ou des consommateurs et la promotion et la protection de la diversité
culturelle;
- donne une définition claire et définitive (et assez restrictive)
des normes de protection des investissements, comme «le traitement
juste et équitable» et «l’expropriation indirecte». La violation
du traitement juste et équitable peut uniquement se produire en
cas de déni de justice, de violation fondamentale de la procédure,
d’arbitraire manifeste, de discrimination ciblée motivée par des
raisons manifestement abusives ou en cas de traitement abusif des
investisseurs, comme le recours à la contrainte, la coercition et
au harcèlement. «L’expropriation indirecte» existe uniquement lorsque l’investisseur
est «privé de manière substantielle des attributs fondamentaux de
la propriété, comme le droit d’utiliser, de jouir et de disposer
de son investissement» ;
- habilite les Parties à adopter une interprétation contraignante
pour contrôler l’interprétation de l’accord et corriger les éventuelles
erreurs commises par les tribunaux;
- intègre le Règlement sur la transparence progressif de
la CNUDCI (voir plus haut le paragraphe 22);
- accorde aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’autoriser
les tierces interventions d’amicus curiae;
- empêche la quête de la juridiction la plus favorable,
en excluant les actions engagées par les entreprises qui procèdent
à la réorganisation d’un investissement ou d’une activité économique
dans le but d’engager une action ou les «sociétés boîtes aux lettres»
qui n’exercent aucune véritable activité économique sur le territoire
d’une Partie;
- est le premier accord international d’investissement qui
comporte un code de conduite à l’intention des arbitres; il garantit
l’existence de normes éthiques et professionnelles exigeantes et
impose la communication de toute situation susceptible d’occasionner
un conflit d’intérêts. Il renforce également le rôle joué par les
Etats dans le choix des arbitres amenés à se prononcer dans une
affaire, ce qui constitue une amélioration;
- facilite le rejet précoce des actions en justice dépourvues
de fondement ou abusives;
- énonce (pour la première fois dans un accord international
d’investissement) le principe du paiement des frais de justice par
la partie déboutée, ce qui veut dire que l’investisseur sera tenu
de s’acquitter des frais de justice de l’Etat à l’encontre duquel
il a engagé une action;
- interdit l’engagement parallèle d’actions en justice devant
les tribunaux arbitraux et les juridictions nationales, afin d’éviter
une double indemnisation et des verdicts divergents .
60. Ces avancées sont impressionnantes par rapport à la situation
actuelle, dans laquelle dominent les quelque 3 000 accords internationaux
d’investissement assortis de mécanismes classiques de RDIE, dont nous
avons vu les inconvénients. La réforme progressive du RDIE permettra
d’obtenir d’autres avancées, par exemple en accordant aux parties
concernées le droit d’intervenir (au lieu de conférer au tribunal
le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou non ces interventions).
Mais la réforme du système actuel est extrêmement lente, car il
faudrait pour cela remplacer de nombreux accords internationaux
d’investissement existants par des accords plus progressistes. Face
aux critiques croissantes dont le RDIE fait l’objet dans les milieux
politiques, la Commission européenne a adopté une approche plus
radicale: promouvoir la création d’un Système juridictionnel des
investissements entièrement nouveau, notamment d’un tribunal des
investissements de première instance et d’une cour d’appel
.
61. Ce système institutionnalisé, qui restera un mécanisme totalement
international échappant à tout risque de partialité nationale, devrait
combiner les avantages du RDIE (réformé) avec ceux des juridictions classiques:
il permettrait l’existence de membres permanents du tribunal, désignés
par les Etats sur la base de critères rigoureux de professionnalisme
et d’éthique, qui acquerraient ainsi une expérience et constitueraient
un corpus de jurisprudence propice à une interprétation des dispositions
pertinentes en matière d’investissement qui respecte pleinement
le droit reconnu aux Etats de réglementer pour poursuivre des buts légitimes
d’ordre public, tout en protégeant les investissements étrangers
contre les traitements arbitraires et discriminatoires.
62. La mise en place de ce Système juridictionnel des investissements
exigerait de parvenir à un haut niveau de consensus international,
afin de supplanter les mécanismes en vigueur dans un délai raisonnable. Je
propose que le Conseil de l’Europe contribue modestement à l’obtention
d’un tel consensus, en soulignant les défaillances des mécanismes
actuels de RDIE sur le plan des droits de l’homme et de l’Etat de
droit et en prenant une part active à la création du futur SJI.