1. Introduction
1. Le dernier rapport élaboré
par la commission de suivi sur la situation en Ukraine a été débattu
à l’Assemblée parlement aire selon la procédure d’urgence le 9 avril
2014, et a conduit à l’adoption de la
Résolution 1988 (2014) «Développements récents en Ukraine: menaces pour le
fonctionnement des institutions démocratiques»
.
2. Depuis l’adoption de ce rapport, la situation en Ukraine a
été dominée par l’agression militaire de la Fédération de Russie
dans l’est du pays et par les initiatives menées dans le cadre des
accords de Minsk en vue de parvenir à un règlement pacifique du
conflit. Souvent éclipsé par les événements de l’Est, un important processus
de réformes a néanmoins été entrepris en Ukraine pour répondre aux
attentes exprimées par la population lors des manifestations de
l’Euromaïdan qui ont conduit à la chute du régime Ianoukovitch.
3. Le 12 octobre 2016, à la suite d’un débat conjoint sur le
rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie
sur les «Conséquences politiques du conflit en Ukraine
», préparé par notre collègue Mme Kristýna
Zelienkova, et du rapport de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme sur les «Recours juridiques contre les
violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens
se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes
», préparé par notre collègue Mme Marieluise
Beck, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2132
(2016) sur les conséquences politiques de l'agression russe
en Ukraine et la
Résolution 2133
(2016) sur les recours juridiques contre les violations des droits
de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes.
4. Ces deux excellents rapports font un point sur les événements
liés à l’agression russe en Ukraine et sur la situation préoccupante
des droits de l’homme dans les territoires ukrainiens se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes. Il est par conséquent
inutile à ce stade que nous répétions ce qui a déjà été dit par l’Assemblée
sur ces questions et nous n’aborderons pas ces sujets dans le présent
rapport. Afin de compléter le tableau dressé par ces deux rapports,
nous avons pensé qu’il était important de leur adjoindre un rapport sur
les réformes en cours et sur l’évolution de la situation politique
à cet égard en Ukraine. Sur notre proposition, la commission de
suivi a accepté, lors de sa réunion tenue à Paris le 9 novembre 2016,
de demander au Bureau de l’Assemblée d’organiser un débat sur «Le
fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine» durant
la partie de session de janvier 2017.
5. Nous sommes conscients du fait qu’il est impossible dans un
délai aussi court de traiter en détail dans ce rapport de toutes
les réformes en cours en Ukraine. Nous nous limiterons par conséquent
à quelques-unes des principales, en particulier le processus de
réforme constitutionnelle. Nous nous proposons de préparer un bilan
détaillé et approfondi de l’ensemble des réformes pour le prochain
rapport sur le respect des obligations et engagements de l’Ukraine.
2. Evénements politiques dans le pays
6. Une élection présidentielle
anticipée s’est tenue le 25 mai 2014 en Ukraine. Elle a vu la victoire
de M. Petro Porochenko, homme d’affaires bien connu et soutien du
mouvement de l’Euromaïdan, qui a été élu avec 54,7 % des suffrages
. Le taux de participation
pour cette élection, qui voyait s’affronter neuf candidats, a été
de 60,3 %. Le processus a été observé par une mission internationale
d’observation électorale (MIOE) à laquelle l’Assemblée était partie
prenante. Selon la MIOE, «[l]’élection présidentielle anticipée
en Ukraine s’est caractérisée par un fort taux de participation
et la détermination claire des autorités à tenir ce qui s’est révélé
être une élection digne de ce nom, globalement conforme aux engagements
internationaux et respectueuse des libertés fondamentales dans la
grande majorité du pays». Malheureusement, le scrutin n’a pu se
tenir dans certaines zones de l’est du pays en raison de la dégradation
de la situation sécuritaire à la suite de l’insurrection pro-russe,
ni en Crimée, annexée illégalement par la Fédération de Russie.
Le fort pourcentage de voix obtenu lors d’une élection démocratique
et véritablement ouverte, marquée par un taux de participation élevé,
a donné au Président Porochenko la légitimité démocratique suffisante
pour diriger le pays et mettre en œuvre l’ambitieux programme de
réformes qui était en cours d’élaboration pour répondre aux revendications
exprimées par la population lors des manifestations de l’Euromaïdan.
7. Pour renforcer la légitimité de la Verkhovna Rada et de ses
décisions à la suite des événements de l’Euromaïdan, et compte tenu
de la détérioration rapide de la situation en matière de sécurité,
des élections législatives anticipées ont été organisées le 26 octobre
2014. Elles ont été observées par l’Assemblée parlementaire dans
le cadre de la mission internationale d’observation des élections
. Elles ont eu
lieu dans un climat sécuritaire difficile en raison du conflit militaire
dans l’est de l’Ukraine. De ce fait, le scrutin ne s’est pas tenu
dans certaines parties des oblasts de Lougansk et de Donetsk se
trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes, ni en Crimée.
Selon la MIOE, les «élections législatives anticipées du 26 octobre
ont constitué une étape importante vers la réalisation des aspirations
de l'Ukraine qui souhaite consolider le caractère démocratique des
élections conformément à ses engagements internationaux
».
8. Les élections se sont tenues dans le cadre d’un système mixte
majoritaire/proportionnel. Pour la partie à la proportionnelle,
le Front populaire a obtenu 22,14 % des suffrages, le Bloc Porochenko
21,81 %, Samopomitch («Autosuffisance») 10,97 %, le Bloc de l’Opposition
9,43 %, le Parti radical d’Oleh Liachko 7,44 % et Batkivchchyna
(«Patrie») de Ioulia Timochenko de 5,68 %. Avec les mandats obtenus
dans le cadre du scrutin majoritaire, le Bloc Porochenko a remporté
au total 132 sièges, le Front populaire 82 sièges, Samopomitch 33 sièges,
le Bloc de l’Opposition 29 sièges, le Parti radical d’Oleh Liachko
22 sièges, Batkivchchyna 19 sièges et Svoboda 6 sièges. Ukraine
forte, le parti Volia, Zastup et le Secteur Droite ont obtenu chacun
un siège. En outre, 94 candidats indépendants ont été élus. Le taux
de participation a été de 52,4 %. Ces résultats ont mis en évidence
un soutien clair aux partis pro-Maïdan et au programme de réformes lancé
immédiatement après les événements de février 2014.
9. A la suite des élections législatives anticipées, un gouvernement
de coalition comprenant la plupart des formations représentées au
parlement, à l’exception des députés liés au Bloc de l’Opposition,
a été formé
. Le premier
gouvernement de coalition rassemblait les partis suivants: le Bloc
Petro Porochenko, le Front populaire du Premier ministre Arseni
Iatseniouk, le Parti radical d’Oleh Liachko, Samopomitch et Batkivchchyna.
Il s’agissait d’une coalition très hétérogène dont les membres avaient
des avis divergents dans un certain nombre de domaines, notamment
sur la question de la réforme de la Constitution et celle de la
lutte contre la corruption. Le 1er septembre
2015, le Parti radical d’Oleh Liachko a quitté la coalition au pouvoir
parce qu’il s’opposait au soutien du gouvernement à la décentralisation
prévue par la réforme constitutionnelle (voir ci-après).
10. Il convient de souligner que, dans le contexte ukrainien,
l’appartenance à un parti n’est pas un gage de soutien à tel ou
tel point de vue ou telle ou telle politique. Au-delà des partis,
il existe aussi des factions et des groupes internes et multipartites,
souvent mobilisés autour d’une question spécifique ou d’autres intérêts, notamment
des intérêts économiques et oligarchiques. Cette tendance est très
clairement apparue en rapport avec la révision de plusieurs dispositions
de la Constitution touchant à la décentralisation et au pouvoir judiciaire,
qui ont suscité des oppositions indépendamment des appartenances
partisanes.
11. Dans un contexte marqué par les problèmes de sécurité dans
l’est de l’Ukraine et la lenteur des réformes, notamment en matière
de lutte contre la corruption, la population a commencé à retirer
son appui à un certain nombre de formations politiques ou de responsables
de partis perçus comme appartenant à une élite politique attachée
à la seule défense de ses intérêts. Mal perçu par une grande partie
de la population ukrainienne qui le jugeait inefficace pour la mise
en œuvre des réformes et la lutte contre la corruption endémique
dans le pays, le Premier ministre Arseni Iatseniouk s’est retrouvé
sur la sellette – le soutien à son parti a chuté sous la barre des
10 %.
12. Des élections locales ont eu lieu en Ukraine le 25 octobre
2015 et ont confirmé une évolution du soutien apporté aux divers
groupes politiques. Le Front populaire de M. Iatseniouk, dont la
cote de popularité était passée en dessous de 2 %, n’a pas pris
part au scrutin. Le Bloc Porochenko a conservé l’appui dont il avait bénéficié
lors des élections législatives, pour l’essentiel parce qu’il s’était
joint à plusieurs coalitions au niveau local avec d’autres partis
ou groupes. Les gagnants au sein du gouvernement de coalition ont
été Batkivchtchyna et, dans une moindre mesure, Samopomitch. Deux
nouveaux partis, Vidrodzhennia (du maire de Kharkov, Gennadiy Kernes)
et l’UKROP, de l’ancien gouverneur adjoint de Dnipropetrovsk, Hennadiy Korban,
ont acquis lors de ces élections locales la dimension de forces
politiques nationales. Il convient de relever que si le parti de
M. Porochenko a obtenu de relativement bons résultats en termes
de pourcentage, six ou sept des principales capitales régionales
ont été remportées par des membres d’autres partis.
13. Le 16 février 2016, le Président Porochenko a demandé au Premier
ministre Arseni Iatseniouk de démissionner. Cependant, le gouvernement
de M. Iatseniouk a survécu le jour même à une motion de censure de
la Verkhovna Rada, apparemment avec l’aide de quelques députés du
Bloc Petro Porochenko. Batkivchchyna, le 17 février 2016, puis Samopomitch,
le 18 février 2016, ont annoncé qu’ils quittaient le gouvernement
de coalition. Ayant perdu sa majorité du fait du départ de ces deux
partis, le gouvernement disposait de 30 jours pour constituer une
nouvelle majorité s’il voulait éviter des élections anticipées.
A l’issue de plusieurs semaines de négociations politiques entre
tous les partis, soucieux dans l’ensemble d’éviter des élections
anticipées, M. Iatseniouk a officiellement démissionné le 12 avril 2016.
Le président de la Verkhovna Rada, M. Volodymir Groïsman, lui a
succédé. M. Groïsman, une personnalité qui jouit de l’estime de
la communauté internationale, est un proche allié du Président Porochenko.
Certains ministres du Front populaire de M. Iatseniouk ont conservé
leur poste au sein du gouvernement, ce qui met en évidence le poids politique
persistant du Front populaire. Le nouveau gouvernement a reçu le
soutien du Bloc Petro Porochenko, du Front populaire et de Samopomitch,
ainsi que de Renaissance et du parti Volonté du peuple. Batkivchchyna s’est
officiellement déclaré dans l’opposition.
14. Le 30 mai 2015, le Président Porochenko a nommé au poste de
gouverneur d’Odessa une personnalité controversée, l’ancien président
géorgien Mikhaïl Saakachvili, faisant valoir son passé de réformateur
et d’opposant au Kremlin. Les relations entre M. Saakachvili et
le gouvernement de Kiev, y compris le Président Porochenko, n’ont
toutefois pas tardé à se dégrader – en raison apparemment du style
politique provocateur de M. Saakachvili et de ses interventions
récurrentes dans les affaires intérieures de la Géorgie, qui ont déclenché
des tensions dans les relations entre les deux pays. Pour sa part,
M. Saakachvili a exprimé un mécontentement croissant face à la lenteur
des réformes et aux résultats limités des initiatives de lutte contre la
corruption. Evoquant la corruption dans les milieux gouvernementaux
et la réticence à mettre en place des réformes, M. Saakachvili,
de plus en plus isolé, a démissionné de son poste de gouverneur
d’Odessa le 7 novembre 2016. Il a annoncé le jour même qu’il créait
un parti politique en Ukraine.
15. Le 17 décembre 2015, le tribunal du district de Kiev a dissous
le Parti communiste d’Ukraine en invoquant la loi condamnant les
régimes communiste et national-socialiste et interdisant l’utilisation
de leurs symboles. Cette décision a soulevé un certain nombre de
questions concernant la liberté d’expression et d’association en
Ukraine. A la demande de la commission de suivi, la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a adopté
en décembre 2015 un avis sur la loi ukrainienne relative à la condamnation
des régimes communiste et nazi et à l’interdiction de l’utilisation
de leurs symboles
.
La Commission de Venise a conclu dans cet avis qu’elle ne niait
«en rien le droit de l’Ukraine d’interdire, voire d’incriminer,
l’utilisation de symboles de certains régimes totalitaires et la
propagande en leur faveur. Si les Etats sont libres de promulguer
des lois qui interdisent, voire érigent en infraction, l’utilisation
de symboles de certains régimes totalitaires et la propagande en
leur faveur, ces textes doivent satisfaire aux exigences de la Convention
européenne des droits de l’homme et d’autres instruments», et que
«si l’on peut considérer que la loi no 317-VIII
poursuit des buts légitimes, elle n’est cependant pas suffisamment
précise pour permettre aux citoyens de régler leur conduite conformément
à la loi et empêcher toute ingérence arbitraire des autorités publiques
». S’agissant
de l’interdiction d’un parti, l’avis concluait qu’«il devrait être précisé
dans la loi que l’interdiction d’une association est une mesure
de dernier recours, qui ne peut être prise que dans des cas exceptionnels
et doit être proportionnée à la gravité de l’infraction commise.
Ces précisions sont surtout de mise pour ce qui est des partis politiques,
compte tenu de leur fonction essentielle dans les sociétés démocratiques
». Le Parti communiste d’Ukraine
avait perdu sa crédibilité politique depuis qu’il avait expressément
et publiquement soutenu l’annexion illégale de la Crimée par la
Fédération de Russie. Faute d’appui, il a quasiment disparu et ne
compte aucun député à la Verkhovna Rada. Nous tenons cependant à réaffirmer
notre opinion selon laquelle il revient aux électeurs, en non aux
tribunaux, de priver le parti de pouvoir politique.
16. L’existence de liens trop étroits entre intérêts politiques
et intérêts économiques reste un sujet de préoccupation grave en
Ukraine. M. Porochenko était un homme d’affaires important avant
d’être élu à la présidence, et il a nommé un certain nombre de ses
anciens collaborateurs à des postes publics. Par ailleurs, tous
les partis sans exception comptent plusieurs riches hommes d’affaires
dans leurs rangs. Les intérêts oligarchiques continuent ainsi d’exercer
une grande influence sur la politique en Ukraine, et ce phénomène
n’a pas reculé depuis les manifestations de l’Euromaïdan. La rupture
des relations entre le Président Porochenko et Igor Kolomoïsky est
significative à cet égard. M. Kolomoïsky, homme d’affaires prospère
comme M. Porochenko, a été nommé par celui-ci gouverneur de Dnipropetrovsk.
Il est réputé avoir usé de son influence pour éviter que l’insurrection
lancée à Lougansk et Donetsk ne se propage jusqu’à Dnipropetrovsk et
Kharkov. Il finance par ailleurs plusieurs bataillons de volontaires
qui se sont battus dans l’est de l’Ukraine aux côtés de l’armée
ukrainienne quand les capacités de celle-ci étaient trop sollicitées.
A la suite d’une épreuve de force au sujet de la direction de la
principale entreprise de distribution d’énergie d’Ukraine, le Président
Porochenko a démis M. Kolomoïsky de ses fonctions de gouverneur
de Dnipropetrovsk. L’arrestation de l’ancien gouverneur-adjoint
de Dnipropetrovsk, Hennadiy Korban, l’un des dirigeants de l’UKROP
– parti considéré comme proche de M. Kolomoïsky et s’inscrivant
dans une opposition active à M. Porochenko et à la politique qu’il
mène – a soulevé la polémique; les partisans de M. Korban ont dénoncé des
motivations politiques. L’imbrication des intérêts oligarchiques
et des intérêts politiques contribue à créer dans la population
le sentiment que la corruption est généralisée et qu’une partie
de la classe politique fait passer ses intérêts avant ceux des électeurs
ou de la nation ukrainienne.
17. Le paysage médiatique se durcit en raison de l’intervention
menée actuellement par la Russie dans l’est de l’Ukraine. Les journalistes
qui ont demandé une accréditation auprès des autorités de fait de
la «République populaire de Donetsk («RPD»)» et de la «République
populaire de Lougansk» («RPL»), ou ceux qui critiquent ouvertement
la politique concernant les zones se trouvant hors du contrôle du
gouvernement central, sont fréquemment harcelés et menacés, voire
attaqués
. La plupart de ces menaces et de
ces agressions sont le fait de civils, mais il reste que ces actes
ne font semble-t-il pas l’objet d’enquêtes appropriées. Cela crée
un sentiment d’impunité qui met à mal la liberté de la presse. A
cela est venue s’ajouter la publication d’informations obtenues
dans des courriels de responsables de la «RPD» dont la messagerie
avait été piratée
– les
courriels contenaient les noms et les coordonnées de journalistes
ayant demandé une accréditation pour se rendre en «RPD». Le Président
Porochenko a publiquement condamné la publication de ces informations,
mais d’autres responsables publics, dont le ministre de l’Intérieur,
s’en seraient félicités. Le 3 août 2016, la vice-ministre de la
Politique de l’information, Mme Tetyana
Popova, a démissionné de ses fonctions, invoquant l’absence de volonté
des autorités d’enquêter sur les actes de harcèlement et les menaces
dont les journalistes font l’objet. Le 20 juillet 2016, le journaliste
Pavel Sheremet a été tué dans l’explosion d’une voiture à Kiev.
Les autorités ont fermement condamné cet assassinat et indiqué qu’une enquête
était menée sur la possible implication des services secrets russes.
A ce jour, toutefois, personne n’a été arrêté ni inculpé pour cet
assassinat. Au début du mois de septembre 2016, des manifestants
ont bloqué l’accès aux locaux d’Inter
, une chaîne de télévision très populaire
qui appartient à Serhiy Lyovochkin, l’ancien chef de cabinet du
président déchu Ianoukovitch
et
à l’oligarque Dmytro Firtash, et ont tenté d’incendier les bâtiments.
Les contestataires reprochaient à la chaîne d’être pro-russe. Cet
incendie criminel a été notamment condamné par la représentante
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
pour la liberté des médias, Mme Dunja
Mijatovic. Dans le contexte de la guerre d’information à laquelle
on assiste actuellement entre la Russie et l’Ukraine, le Président
Porochenko a signé le 27 mai 2016 un décret interdisant l’entrée
sur le territoire ukrainien à 17 journalistes et professionnels
des médias russes, au motif qu’ils représenteraient une menace à
la sécurité nationale et à l’ordre constitutionnel. Un décret similaire
pris le 16 septembre 2016 avait fait l’objet de nombreuses critiques
de la part de la communauté internationale. Si les inquiétudes des
autorités ukrainiennes à propos de la propagande et de la guerre
de l’information menée par la Russie sont légitimes et compréhensibles,
interdire à des journalistes d’entrer en Ukraine et restreindre
au bout du compte la liberté de la presse semble être une réponse
inappropriée à cette menace.
18. Le Bloc de l’Opposition a fait état d’actes de harcèlement
et d’intimidation perpétrés contre ses sympathisants, ce que les
autorités démentent. Nous entendons par conséquent continuer à suivre
de près ces allégations et l’évolution de la situation, et appelons
toutes les forces politiques à vaincre les divisions et les inimitiés.
19. Concernant la stabilité du pays, il est également essentiel
de poursuivre une politique inclusive à l’égard des langues minoritaires.
La soi-disant abrogation
de la
loi sur les langues officielles a été instrumentalisée pour déclencher
l’annexion illégale de la Crimée et le conflit armé dans l’est de
l’Ukraine. Cependant, comme il est souligné dans le rapport précité
de 2014 sur les «Développements récents en Ukraine: menaces pour
le fonctionnement des institutions démocratiques», cette loi n’a
jamais été abrogée et reste en vigueur. Si les autorités n’ont semble-t-il
pas l’intention d’abroger cette loi, 57 élus à la Verkhovna Rada
ont saisi la Cour constitutionnelle d’un recours portant sur certaines
dispositions du texte et sur les modalités de son adoption. La protection
des minorités et l'utilisation de leurs langues sont garanties par
la Constitution et par la loi portant ratification de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148).
La loi sur les langues officielles place à 10 % le seuil relatif
à l'utilisation des langues minoritaires dans les affaires publiques
et dans l'éducation. Bien que nous ne puissions commenter le recours
actuel devant la Cour constitutionnelle, nous demandons aux autorités
de continuer à encourager une politique inclusive à l’égard des
langues minoritaires et de s’assurer, au cas où la loi sur les langues
officielles serait abrogée par la Cour, que le seuil de 10% relatif à
l’utilisation des langues minoritaires soit maintenu.
20. Le 17 novembre 2016, la Verkhovna Rada a ajourné la ratification
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»),
en raison, a-t-il été indiqué, de préoccupations concernant les
références à l’orientation sexuelle figurant dans la Convention.
Nous espérons que la Verkhovna Rada parviendra rapidement à surmonter
ses hésitations et l’engageons à ratifier sans attendre cet instrument
important.
21. Le 15 novembre 2016, une manifestation a eu lieu à Kiev pour
protester contre la hausse des prix et le marasme économique, ainsi
que contre la faillite de certaines banques. Les journalistes de
Radio Free Europe ont recueilli les témoignages de plusieurs personnes
affirmant qu’elles avaient été payées pour participer à la manifestation,
a indiqué la radio
. Les autorités avaient pratiquement
bouclé le centre de Kiev pour l’occasion, craignant que les manifestations
ne soient le début d’une campagne de déstabilisation de l’Ukraine
orchestrée par la Russie, dont le projet avait été révélé dans des
courriels du conseiller du Président Poutine, Vladislav Sourkov,
obtenus à la suite d’un piratage de sa messagerie
.
22. La libéralisation du régime des visas avec l’Union européenne
est l’une des priorités des autorités ukrainiennes. Le 20 avril
2016, la Commission européenne a proposé au Conseil européen et
au Parlement européen de lever l’obligation de visa pour les ressortissants
ukrainiens effectuant un court séjour dans l’espace Schengen. Le
17 novembre 2016, le Conseil européen a accepté une position de
négociation sur la libéralisation des visas pour l’Ukraine. Le président
de la commission des affaires étrangères du Parlement européen a
appelé de ses vœux un avancement rapide du processus en vue de l’exemption
des visas.
3. Réforme
constitutionnelle
23. A la suite du changement de
pouvoir consécutif aux événements de l’Euromaïdan, et conformément
à l’accord conclu le 21 février 2014 sous les auspices de l’Union
européenne, la Verkhovna Rada a rétabli les modifications de la
Constitution ukrainienne adoptées en 2004, pour garantir une répartition
du pouvoir plus inclusive, plus démocratique et assortie des garanties
démocratiques nécessaires. Il convient de rappeler que l’Assemblée
et la Commission de Venise avaient critiqué les modifications de
2004, soulignant qu’elles présentaient des failles et des manquements
importants qui allaient entraver les réformes globales dont le pays avait
besoin
. Soulignant l’opportunité
unique qui s’offrait à elle à la suite des événements de l’Euromaïdan, l’Assemblée
a engagé la Verkhovna Rada à mettre en œuvre une réforme globale
de la Constitution afin de la mettre pleinement en conformité avec
les normes et les règles européennes
. La nécessité de procéder à une révision
de la Constitution figurait aussi dans l’accord conclu le 21 février
2014 sous les auspices de l’Union européenne.
24. La mise en œuvre du protocole de Minsk, conclu dans le cadre
des efforts en vue de résoudre le conflit militaire dans l’est de
l’Ukraine, a eu des répercussions sur le processus de révision constitutionnelle.
Le protocole d’origine, signé le 5 septembre 2014, préconisait une
décentralisation des pouvoirs
. L’«ensemble de mesures
en vue de l’application des accords de Minsk» signé le 12 février
2015 pour tenter de résoudre la situation créée par la rupture du
cessez-le-feu et l’escalade des hostilités entre l’armée ukrainienne
et les forces soutenues par les Russes, associait le principe de
la décentralisation à la nécessité manifeste d’une réforme constitutionnelle
.
25. Compte tenu de l’ampleur de la réforme constitutionnelle à
mettre en œuvre, et des délais très courts prévus par l’«Ensemble
de mesures en vue de l’application des accords de Minsk», il a été
convenu que la révision constitutionnelle porterait dans un premier
temps sur la décentralisation et le système judiciaire. Tout en
comprenant, et en reconnaissant, la nécessité de s’attacher avant
tout à la modification des chapitres de la Constitution portant
sur ces deux aspects, nous n’avons cessé d’exprimer, comme nos prédécesseurs,
nos craintes qu’une mise en œuvre d’une réforme constitutionnelle
en plusieurs étapes ne se transforme en réforme partielle de la
Constitution. Réviser une constitution est toujours un processus
compliqué, et il peut s’avérer difficile de trouver des majorités
successives pour approuver des réformes constitutionnelles successives,
en particulier dans un contexte marqué par l’hétérogénéité croissante
de la Verkhovna Rada. Nous tenons à souligner que le processus de
réforme constitutionnelle devrait aller au-delà des volets concernant
la justice et la décentralisation. Les autres volets de la Constitution,
en particulier les dispositions ayant trait à la répartition des
pouvoirs entre le Président, le gouvernement et la Verkhovna Rada,
doivent eux aussi être révisés afin de remédier aux failles relevées
par l’Assemblée dans ses précédents rapports de suivi sur l’Ukraine.
26. Une Commission constitutionnelle chargée de l’élaboration
des modifications de la Constitution a été établie par le Président
Porochenko le 3 mars 2015. Elle est présidée par le président du
parlement. Sa composition a été définie d’un commun accord le 31 mars
2015; elle inclut 12 membres de la communauté internationale. Le
Conseil de l’Europe y est représenté par trois membres, le Représentant
spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux et la Commission de Venise. Trois
groupes de travail ont également été créés, correspondant aux priorités
de la Commission: le premier sur la réforme judiciaire, le deuxième
sur la décentralisation et le troisième sur les droits de l’homme et
les libertés fondamentales. A notre connaissance, cependant, les
travaux du troisième groupe n’ont pas débouché sur des propositions
de modification de la Constitution. Nous saluons la collaboration
étroite entre cette commission et le Conseil de l'Europe, comme
en témoigne la présence de trois membres du Conseil de l’Europe
au sein de la structure.
3.1. Décentralisation
27. La réforme constitutionnelle
relative à la décentralisation concerne deux questions à la fois
distinctes et interdépendantes:
- les
dispositions constitutionnelles nécessaires pour permettre la décentralisation
des pouvoirs et l’instauration des principes d’autonomie locale
et régionale;
- les dispositions constitutionnelles permettant de conférer
un statut spécial à certaines régions comme les oblasts de Donetsk
et de Lougansk.
28. Les dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation
ont été rédigées en étroite collaboration avec la Commission de
Venise et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Dans son
avis sur le projet initial concernant le volet relatif à la décentralisation,
la Commission de Venise a conclu que ce volet offrait une base solide
aux réformes et était «largement compatible avec la Charte européenne
de l’autonomie locale
». Elle
a formulé un certain nombre de recommandations visant à mettre ce
volet en parfaite conformité avec la Charte. Dans une note préparée
par le Secrétariat
par
la suite, la Commission de Venise s’est félicitée que la plupart
de ses recommandations, notamment toutes ses recommandations essentielles,
aient été introduites par les autorités dans les modifications constitutionnelles
adoptées en première lecture par la Verkhovna Rada.
29. Le volet relatif à la décentralisation prévoit la nomination
de «préfets», ou de représentants du Président, au niveau régional.
Leur fonction principale est de superviser et de coordonner les
services fournis par le gouvernement central. Cependant, plusieurs
partis au sein de la coalition au pouvoir ont dit craindre que les préfets
aient des pouvoirs étendus qui permettraient au Président d’imposer
ses préférences politiques et ses politiques aux collectivités locales
et de bloquer les décisions de ces dernières qu’il jugerait indésirables
d’un point de vue politique
.
Le Congrès et la Commission de Venise ont souligné que la fonction
de préfet telle que prévue dans les modifications de la Constitution
n’est pas contraire aux normes européennes.
30. La disposition constitutionnelle permettant la création d’un
statut spécial pour certaines zones des oblasts de Donetsk et de
Lougansk est la plus controversée et la plus contentieuse. Pour
respecter les obligations lui incombant au titre de l’ensemble de
mesures en vue de l’application des accords de Minsk
, la Verkhovna Rada a
adopté en première lecture, le 31 août 2016, l’article 18 des dispositions
transitoires, selon lequel «[les] dispositions particulières de
l’autonomie locale dans certaines parties des régions de Donetsk
et de Lougansk font l’objet d’une loi distincte». Le fait que cet
article ait été inclus dans les dispositions transitoires a soulevé
des questions au sujet de sa validité dans le temps. Dans son avis
sur la question
,
préparé à la demande des pays du «format Normandie», la Commission
de Venise a conclu que, comme l’article 18 avait été adopté selon
la même procédure et avec la même majorité que le reste de la Constitution,
il aurait le même poids et les mêmes effets que le reste de la Constitution,
et ne pourrait donc en aucun cas être considéré de nature temporaire.
Comme pour les autres dispositions de la Constitution, l’article
demeure valide jusqu’à ce qu’il soit abrogé par la Verkhovna Rada.
31. Il convient de noter que, en application des accords de Minsk
,
le Parlement ukrainien avait adopté le 17 mars 2015 la loi relative
au statut spécial du Donbass. Dans le groupe de contact trilatéral,
les représentants des forces séparatistes ont indiqué qu’ils désiraient
conserver le plein contrôle du pouvoir judiciaire, du ministère
public et des forces de police, souhait rejeté par les autorités
de Kiev au motif qu’il irait à l’encontre du principe d’unité de
la nation. A cet égard, il est regrettable que, dans un entretien,
le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ait affirmé
que le statut spécial du Donbass devrait être permanent et inclure
«le droit de parler la langue russe sur le territoire du Donbass,
le droit d’entretenir des liens économiques particuliers avec la
Russie, le droit de prendre part à la nomination des procureurs
et des juges, de disposer de ses propres organes chargés de maintenir
l’ordre, y compris d’une milice populaire, et bien plus encore
»
. Ce
n’est pas ce qui avait été convenu dans l’ensemble de mesures en
vue de l’application des accords de Minsk ni dans les accords de
Minsk eux-mêmes.
32. Les modifications de la Constitution relatives à la décentralisation,
notamment l’article 18 des dispositions transitoires, qui a soulevé
des controverses, ont été adoptées en première lecture le 31 août 2016. Comme
cela a déjà été indiqué dans le rapport de Mme Zelienkova,
les violations persistantes de l’accord de cessez-le-feu par la
Fédération de Russie et l’absence de progrès dans la mise en œuvre
par ce pays des autres dispositions des accords de Minsk concernant
la situation sécuritaire ont créé au sein de la population ukrainienne
le sentiment que l’Ukraine est la seule à appliquer les accords
de Minsk, tandis que la Fédération de Russie et ses alliés à Lougansk
et Donetsk ne respectent pas leurs obligations au regard de ces
accords. Comme il apparaît peu probable que soient réunis, dans
un tel contexte, les soutiens suffisants pour l’adoption en dernière
lecture des modifications de la Constitution relatives à la décentralisation
– dont l’article 18 des dispositions transitoires –, le vote en
dernière lecture a été pour l’instant ajourné, dans l’attente que
la Fédération de Russie et ses alliés de Donetsk et Lougansk aient
accompli des progrès substantiels dans la mise en œuvre des accords
de Minsk.
33. Tout en comprenant les difficultés et les retards qui entravent
l’adoption des paragraphes sur la décentralisation, du fait du lien
étroit existant entre ces dispositions et les progrès, ou plutôt
l’absence de progrès, dans la mise en œuvre des accords de Minsk,
nous tenons à souligner que, pour nous, cette absence de progrès
ne devrait pas servir d’excuse pour ne pas engager les autres réformes
essentielles à la consolidation de la démocratie dans le pays. Dans
ce contexte, nous nous félicitons que, bien que les modifications
constitutionnelles sur la décentralisation n’aient pas encore été
adoptées, les autorités poursuivent leurs efforts de décentralisation
du pouvoir et de renforcement des collectivités locales en Ukraine. Après
l’adoption, le 25 décembre 2015, d’une loi sur la fusion des collectivités
locales, 847 villages ont accepté de se regrouper pour former 172 nouvelles
localités, dotées de compétences et de moyens accrus. On espère que
cela conduira à de nouvelles fusions qui viendront renforcer les
pouvoirs locaux en Ukraine et asseoir une base solide pour de futures
réformes en matière de décentralisation.
3.2. Pouvoir
judiciaire et système judiciaire
34. L’Assemblée a souligné à plusieurs
reprises que l’adoption de modifications constitutionnelles garantissant
l’indépendance du pouvoir judiciaire constituait une condition préalable
cruciale à la réforme de l’ensemble du système judiciaire, conformément
aux normes européennes. Les avancées considérables obtenues en ce
qui concerne la réforme constitutionnelle dans les domaines du système
judiciaire et du pouvoir judiciaire doivent par conséquent être
saluées.
35. A l’issue de longues négociations, la Verkhovna Rada a adopté
en dernière lecture, le 2 juin 2016, les modifications de la Constitution
concernant le pouvoir judiciaire et le système judiciaire. Les modifications constitutionnelles
relatives au système judiciaire ont été rédigées en étroite consultation
avec la Commission de Venise. Dans son avis final
sur
les projets de modifications, la Commission de Venise s’est félicitée
que nombre de ses recommandations, formulées dans un avis préliminaire,
aient été suivies par les autorités.
36. Les projets de modifications constitutionnelles dessaisissaient
la Verkhovna Rada et le Président de leur rôle dans la nomination
des juges et abolissaient le droit du Président de révoquer des
juges, éliminant ainsi ce qui était considéré comme les principales
menaces pesant sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Désormais,
le Président effectue la nomination officielle des juges en se conformant
strictement à la proposition contraignante de la Haute Commission
de qualification, une composante indépendante du Conseil supérieur
de la justice, le seul organe habilité à révoquer les juges. La
Commission de Venise avait recommandé que la promotion et le transfert
des juges soient la prérogative du seul Conseil supérieur de la justice,
bien qu’au vu de la situation actuelle en Ukraine, on pourrait admettre
que le Président conserve ces pouvoirs pendant une période de transition
clairement délimitée. Les modifications de la Constitution ont aussi changé
la composition du Conseil supérieur de la justice, de sorte que
la majorité de ses membres soient des juges et que le Président
et la Verkhovna Rada ne soient pas en mesure de dominer ou d’influencer
indûment ses travaux et ses décisions. A la suite de la révision
constitutionnelle, le Président Porochenko a déposé à la Verkhovna
Rada, le 26 septembre 2016, un projet de loi sur le Conseil supérieur
de la justice. Le Conseil de l’Europe et le Conseil sur la réforme
judiciaire ont apporté leur expertise sur le projet de loi et la
plupart de leurs recommandations ont été intégrées dans le texte
qui a été soumis au parlement, selon les informations recueillies.
Le projet de loi prévoit que le Conseil supérieur de la justice
sera composé de 21 membres. Dix seront élus par le Congrès des juges,
deux seront nommés par le Président et deux par la Verkhovna Rada. Deux
autres seront élus par le Congrès des avocats ukrainiens, deux par
le Congrès des procureurs de l’Ukraine et deux par des institutions
de l’enseignement supérieur. Le Président de la Cour suprême ukrainienne
est membre de droit du Conseil supérieur de la justice.
37. Elément positif, le procureur général a été dessaisi de sa
fonction de supervision, qui était contraire aux normes et aux règles
européennes. L’Ukraine met ainsi en œuvre l’un des engagements souscrits
lors de son adhésion au Conseil de l’Europe qui lui restait à honorer.
38. La réforme de la Constitution a mis en place un système judiciaire
à trois degrés et une Cour suprême unifiée, ce qui avait été recommandé
depuis longtemps par la Commission de Venise. La Verkhovna Rada
a adopté une loi instituant la Cour suprême dans son nouveau format
et autorisant la nomination de ses membres (on parle de «reset»
de la Cour suprême), mais le texte a été transmis à la Cour constitutionnelle
le 3 octobre 2016 sur décision unanime des juges siégeant actuellement
à la Cour suprême. Nous espérons que cela n’entraînera pas de gros
retards dans la mise en place de la nouvelle Cour suprême, compte
tenu du rôle important qu’elle est amenée à jouer pour garantir
un fonctionnement efficace du système judiciaire.
39. Une question importante a été soulevée lors du processus d’adoption
des modifications de la Constitution concernant le pouvoir judiciaire:
comment garantir que les juges en exercice aient l’intégrité et
les capacités professionnelles requises pour exercer leurs fonctions?
Beaucoup parmi les forces politiques, et la société ukrainienne
dans son ensemble, préconisaient que tous les juges en poste soient
révoqués et aient à postuler de nouveau pour reprendre leurs fonctions.
La Commission de Venise s’est fermement opposée à cette idée, qui
violerait les normes européennes relatives à l’indépendance du pouvoir
judiciaire et l’Etat de droit. Les autorités s’y sont opposées pour
la même raison. La solution de compromis adoptée dans la révision constitutionnelle
prévoit que tous les juges en exercice seront soumis à une procédure
d’évaluation avant leur nomination pour une durée indéterminée.
Cette disposition est conforme aux normes européennes. Une commission
spéciale, la Haute Commission de qualification, a été mise en place
à cet effet. Elle relève du Conseil supérieur de la justice, mais
en est indépendante. Un total de 300 juges ont été évalués pendant
la période février-juin 2016. Selon les informations qui nous ont
été transmises, 20 % des juges ont démissionné ou ont refusé de
participer au processus d’évaluation et 5 % ont été envoyés à l’Ecole
nationale de la magistrature pour y recevoir une formation complémentaire;
la commission de qualification a ajourné sa décision dans 15 % des
cas, dans l’attente d’un «nouvel examen». Les 60 % de juges restants
ont été nommés à un poste permanent à l’issue de l’évaluation. Le
processus a suscité un certain nombre de polémiques, en particulier
chez les juges eux-mêmes. Les juges de la Cour suprême et ceux des
juridictions spécialisées n’ont pas encore été soumis à la procédure
d’évaluation de la Haute Commission de qualification.
40. Un Conseil public pour l’intégrité, dont certains membres
seraient issus de la société civile, est également prévu dans le
cadre du processus d’habilitation des juges, pour assister la Haute
Commission de qualification dans sa mission d’évaluation des candidats
à un poste au sein du pouvoir judiciaire. La Haute Commission pourra
ne pas tenir compte de l’avis du Conseil, mais il reste que le principe
de l’implication d’un organe apparemment non judiciaire dans le
processus de nomination des juges soulève potentiellement certaines
questions quant à de possibles violations du principe d’indépendance
de la justice. A tout le moins, les prérogatives exactes de cet
organe et le processus de nomination de ses membres devraient être clairement
encadrés par la loi.
41. Pour ce qui est des réformes législatives, les autorités ont
préparé une nouvelle loi sur la Cour constitutionnelle, sur la base
des modifications de la Constitution relatives au pouvoir judiciaire.
Le 7 octobre 2016, le Président de l’Ukraine a sollicité l’avis
de la Commission de Venise sur cette loi. Dans son projet d’avis
,
la Commission de Venise a indiqué que la nouvelle loi représentait
une avancée nette et était conforme aux normes européennes en matière
de justice constitutionnelle. La nouvelle procédure de nomination
des juges de la Cour constitutionnelle constitue l’un des aspects
clés de cette loi. Un tiers des juges sont nommés par le Président
de l’Ukraine, un tiers par la Verkhovna Rada et un tiers par le
Congrès des juges, sur la base d’une sélection par concours dans
laquelle interviennent des commissions de sélection constituées à
cet effet. Ce processus de sélection par concours a été accueilli
favorablement par la Commission de Venise, qui a toutefois recommandé
que le résultat de la sélection par les commissions soit contraignant
pour les organes chargés de la nomination et que la majorité nécessaire
pour la nomination par la Rada soit portée au deux tiers des parlementaires,
afin de mieux garantir l’indépendance de la Cour constitutionnelle.
La disposition prévoyant un délai strict pour la nomination des
juges a également été saluée, compte tenu de la crise constitutionnelle
de 2005 où, faute de nomination de nouveaux juges, la Cour avait
perdu le quorum nécessaire pour rendre des décisions. L’Ukraine
autorise les recours individuels normatifs devant la Cour constitutionnelle.
La Commission de Venise a recommandé dans son projet d’avis sur
la loi sur la Cour constitutionnelle que les particuliers aient
«la possibilité de protéger leurs droits fondamentaux effectivement au
niveau national devant les juridictions ukrainiennes sans devoir
saisir la Cour européenne des droits de l'homme
». Tout en saluant les avancées
contenues dans ce projet de loi, nous engageons les autorités à prendre
en compte toutes les recommandations formulées dans l’avis de la
Commission de Venise, notamment en ce qui concerne le recours individuel.
42. Il est maintenant nécessaire d’adopter plusieurs lois importantes
en vue de mettre en œuvre les modifications de la Constitution,
ainsi que des modifications de la législation existante. Conscients
de la charge de travail que cela représente, nous demandons toutefois
instamment aux autorités d’adopter sans attendre les textes législatifs
permettant la mise en place d’un pouvoir judiciaire réellement indépendant
et d’une justice efficace. Ces deux éléments sont une condition
indispensable à l’efficacité de la lutte contre la corruption endémique
que connaît le pays, un problème que nous aborderons dans la prochaine
partie.
43. La question de la «lustration» des responsables publics a
soulevé une forte polémique en Ukraine. Une loi relative à la lustration
a été adoptée par la Verkhovna Rada le 16 septembre 2014, et promulguée
le 9 octobre 2014. Elle est entrée en vigueur le 16 octobre 2014.
Conformément à cette loi, sont frappées d’une interdiction d’exercer
des fonctions au sein du gouvernement ou d’occuper des postes de
haut niveau au sein de la fonction publique, entre autres, les personnes
qui ont contribué à l’usurpation de pouvoir par les précédentes
autorités, celles dont les actions ou omissions ont sapé les fondements
de la sécurité nationale de l’Ukraine, celles qui ont occupé des
postes importants durant l’ère soviétique ou encore celles qui ont ordonné
ou encouragé l’action de la police contre les manifestants de l’Euromaïdan.
Les élus sont expressément exclus du processus de lustration, tout
comme les personnes qui ont participé depuis à des opérations antiterroristes
dans l’est de l’Ukraine (au sein de l’armée régulière ou des bataillons
de volontaires). Un certain nombre de questions de droits de l’homme
étaient en jeu et la commission de suivi a par conséquent demandé
à la Commission de Venise d’émettre un avis sur cette loi.
44. La Commission de Venise a rendu un avis intérimaire le 12 décembre
2014
et
adopté un avis final lors de sa session plénière des 19 et 20 juin
2015
.
Elle a estimé que la lustration ne constituait pas en soi une violation
des droits de l’homme, ni une infraction aux normes européennes.
Néanmoins, pour être acceptable au regard des normes européennes,
le processus de lustration doit remplir un certain nombre de critères:
la culpabilité doit être prouvée dans chaque cas d’espèce; une procédure
régulière doit être garantie; la lustration doit être strictement
limitée dans le temps, ce qui vaut aussi bien pour la période d’application
que pour la période à examiner, et elle ne doit pas se substituer
au droit pénal, autrement dit ne pas être conçue comme une sanction
pour ceux qui ont enfreint la loi. Dans ce contexte, la Commission
de Venise a relevé dans son avis intérimaire des points posant problème:
la période à examiner par la loi de lustration, le large éventail
de postes soumis à la lustration et l’insuffisance des garanties
propres à assurer que la culpabilité individuelle est établie. Les
autorités ukrainiennes ont reconnu que la loi comportait des défauts
et ont instauré un dialogue constructif
avec la Commission de Venise
sur les possibilités d’améliorer le texte. Plusieurs décrets sont venus
régler ou clarifier des points litigieux et, en avril 2015, les
autorités ont transmis un ensemble de projets de modifications de
la loi de lustration qui, a estimé la Commission de Venise, apportent
une réponse à un grand nombre des manquements du texte – mais pas
à tous néanmoins. A notre grand regret, cependant, ces modifications
n’avaient pas été adoptées par la Verkhovna Rada au moment de la
rédaction du présent projet de rapport. La loi et le processus de
lustration soulèvent donc toujours un certain nombre de problèmes
en termes de respect des droits de l’homme. Nous engageons la Verkhovna
Rada à adopter sans attendre ces modifications et à apporter une
réponse aux sujets de préoccupation recensés par la Commission de
Venise et qui n’étaient pas concernés par les modifications.
45. La première phase du processus de lustration, qui concerne
les ministères et les services de sécurité, a été mise en œuvre
immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi. Le 28 octobre
2014, le ministère de la Justice a publié sur son site web une liste
de 179 responsables gouvernementaux révoqués dans le cadre du processus
de lustration. Le 5 novembre 2014, le Premier ministre Iatseniouk
a annoncé le lancement de la deuxième phase du processus de lustration
concernant toutes les administrations de l’Etat, y compris les services
répressifs.
4. La
lutte contre la corruption
46. Le phénomène de corruption
endémique que connaît l’Ukraine reste un sujet de préoccupation
majeur. L’absence prolongée de progrès notable et concret dans ce
domaine, notamment pour ce qui est des poursuites et des condamnations,
pourrait réduire les effets de l’ambitieux programme de réforme
élaboré par les autorités et ébranler la confiance dans le système
politique de la population ukrainienne, qui y verrait une trahison
des principes de la «Révolution de la dignité». Toutes les parties
prenantes ukrainiennes sont par conséquent invitées à redoubler
d’efforts, à tous les niveaux, pour combattre la corruption dans
le pays.
47. Le 16 novembre 2016, Transparency International a publié un
rapport intitulé «People and Corruption: Europe and Central Asia
2016». Selon les études effectuées pour ce rapport, l’Arménie, la
Bosnie-Herzégovine, la Lituanie, la République de Moldova, la Fédération
de Russie, la Serbie et l’Ukraine sont considérées comme présentant
les problèmes de corruption les plus graves. L’indice 2015 de perception
de la corruption dans le monde de Transparency International place
l’Ukraine au 130e rang (sur 168 pays
évalués) avec un score de 27 points, légèrement en hausse par rapport
au précédent.
48. La plupart des réformes dans le domaine de la lutte contre
la corruption ont porté sur la mise en place d’un nouveau cadre
institutionnel. Ce cadre destiné à la mise en œuvre de la stratégie
de lutte contre la corruption est formé d’un ensemble d’institutions
articulé sur trois niveaux: le Bureau national de lutte contre la
corruption (NABU); le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte
contre la corruption (SAPO); et l’Agence nationale pour la prévention
de la corruption (NAPC). Plusieurs formations politiques se sont
demandé si, eu égard à la corruption endémique au sein du pouvoir
judiciaire, l’actuel système juridictionnel aurait la capacité, ou
même la volonté, de traiter effectivement les affaires de corruption.
Elles ont par conséquent réclamé la création d’une juridiction spécialement
chargée des affaires de corruption, qui viendrait compléter les institutions
mentionnées ci-dessus.
49. Le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la
corruption a été le premier mis en place. Il fonctionne indépendamment
du Bureau du procureur général, qui n’a pas le droit d’intervenir
dans les affaires dont s’occupe le procureur spécial. Avant la création
du NABU, cependant, le procureur spécialisé dépendait des services
d’enquête du Bureau du procureur général. Cela aurait semble-t-il
donné lieu à des tensions entre les deux services, qui ont entravé
la tenue effective d’enquêtes sur des cas de corruption présumée.
50. Les tensions entre les deux institutions sont apparues de
manière particulièrement évidente pendant le mandat de Viktor Shokin,
nommé procureur général le 10 février 2015. Malgré les vives critiques
à son égard formulées dans le pays et à l’étranger, cette homme
perçu par beaucoup comme peu enclin à s’attaquer au problème endémique
de la corruption au sein du gouvernement ou à réformer le ministère
public, est toutefois resté en fonctions jusqu’au 29 mars 2016.
Lorsque le chef du Service de sécurité d’Ukraine, Valentyn Nalyvaichenko,
un homme très respecté, a publiquement demandé pourquoi le procureur
général n’avait pas donné suite à plusieurs affaires de corruption
à haut niveau soumises à son attention par le Service de sécurité d’Ukraine,
il a été démis de ses fonctions par le Président Porochenko. Ce
n’est que le 15 février 2016, lorsque le vice-procureur général
Kasko, réformateur bénéficiant d’un soutien considérable de la part
de la communauté internationale, a présenté sa démission en citant
«une corruption clientéliste, un manque de réformes et une absence
d’avancées dans des enquêtes importantes», que le chef de l’Etat
a demandé au procureur général Shokin de démissionner. Le 22 février 2016,
le Président Porochenko a officiellement déposé une demande de révocation
du procureur général Shokin auprès de la Verkhovna Rada. La révocation a
été prononcée le 29 mars 2016.
51. Le 12 mai 2016, la Verkhovna Rada a nommé au poste de procureur
général un proche allié de M. Porochenko, M. Iouri Loutsenko, chef
du groupe parlementaire du PPB. Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement
de Ioulia Timochenko, M. Loutsenko a été emprisonné sur la base
d’accusations à caractère politique par l’ancien président Ianoukovitch.
Il a dénoncé publiquement la corruption endémique dans le pays et
est considéré par beaucoup comme quelqu’un qui va donner un nouvel
élan à la lutte contre ce fléau.
52. Le NABU et la NAPC sont opérationnels depuis l’été 2016. Le
cadre institutionnel permettant la mise en œuvre de la stratégie
de lutte contre la corruption est donc en place.
53. Le NABU compte 284 agents, dont 200 enquêteurs. Selon les
informations recueillies, 187 enquêtes ont été lancées depuis sa
mise en place, dont 19 ont pour l’instant été déférées à la justice.
Le NABU a commencé à enquêter sur des faits de corruption présumée
impliquant des procureurs adjoints, ce qui a provoqué des tensions
entre le Bureau du procureur et le NABU. Le procureur général, Iouri
Loutsenko, a questionné à plusieurs reprises la prérogative exclusive
du NABU d’enquêter sur les affaires de corruption, en particulier
au vu de sa dimension relativement modeste et de sa présence géographique
restreinte (du moins pour l’instant)
.
54. La NAPC nouvellement créée s’est notamment consacrée à la
mise en place du système de déclaration électronique de patrimoine
pour les responsables publics (la «e-déclaration», ou déclaration
en ligne). Elaboré avec l’aide du Programme des Nations Unies pour
le développement (PNUD), ce système a été approuvé par les membres
de la NACP le 10 juin 2016 et est opérationnel depuis le 15 août 2016.
Des questions ont été soulevées à propos de la certification du
système et de la protection des données. Plus de 50 000 responsables
publics, dont le Président, les ministres et les élus à la Verkhovna
Rada, devaient déposer avant le 30 octobre 2016 une déclaration
faisant état de leur patrimoine et de celui de leurs proches. A
partir de janvier 2017, tous les autres agents publics concernés
par la loi devront à leur tour remplir leur déclaration en ligne,
ce qui devrait porter à plus de 100 000 le nombre total de personnes
contrôlées. Un groupe de 45 parlementaires, pour la plupart du Bloc
de l’Opposition, ont saisi la Cour constitutionnelle d’un recours
sur la constitutionnalité de la loi sur la déclaration de patrimoine.
55. Consultables publiquement, les déclarations peuvent constituer
un outil très efficace dans la lutte contre la corruption et permettre
à la population ukrainienne d’examiner le patrimoine des élus, des
fonctionnaires, des juges et des responsables du gouvernement. Plus
de 200 juges auraient démissionné de leurs fonctions pour échapper
à l’obligation de déclarer leur patrimoine, ce qui met en évidence
le potentiel du système.
56. Les résultats de la publication, conformément à la loi, des
déclarations de patrimoine des responsables du gouvernement et des
membres de la Verkhovna Rada, ont suscité bien des discussions.
Ils ont mis en évidence en effet que plusieurs responsables détenaient
des actifs considérables, y compris de grandes quantités d’argent
en espèces
.
Il faut garder à l’esprit que cette pratique peut être la marque
d’un manque de confiance dans le système bancaire ukrainien, et
que ces sommes en espèces ne sont pas nécessairement obtenues de
manière illicite, mais il reste que les faits mettent en relief
le fossé séparant ces responsables de l’Ukrainien moyen, dont le
revenu et le patrimoine n’ont rien à voir avec ces montants. Le
mécontentement de la population consécutif à la révélation du patrimoine
des responsables du gouvernement et des parlementaires a suscité
des appels à l’extension des pouvoirs du NABU et à l’accélération
de la mise en place d’un tribunal spécial pour la lutte contre la
corruption. Ces révélations sont en outre venues renforcer au sein de
la population le sentiment que les autorités ne font pas suffisamment
pour combattre la corruption. Il est essentiel que les autorités
soient perçues comme faisant de la lutte contre la corruption une
priorité et qu’elles commencent à obtenir des résultats concrets
– les résultats sont pour l’instant trop limités par rapport à l’étendue
du problème. Par ailleurs, l’indignation générale suscitée par la
publication des déclarations en ligne doit également être regardée
comme un signe de son efficacité, ou en tout cas des possibilités
qu’elle recèle. C’est la raison pour laquelle les premiers résultats
ont été largement salués par la communauté internationale.
57. Afin de conserver la confiance des citoyens dans le système
politique, il faut maintenant veiller à ce que ces déclarations
fassent l’objet d’un examen transparent, que toute déclaration suspecte,
ou tout écart manifeste entre les actifs d’une personne et ses revenus,
donne lieu à une enquête exhaustive et que des poursuites pénales
soient ouvertes si des éléments de preuve le justifient. Conformément
à la loi sur la déclaration de patrimoine, la NAPC va maintenant
procéder à l’examen des déclarations et vérifier leur exactitude.
Si des erreurs ou omissions volontaires sont repérées, ou bien si
des incohérences flagrantes entre les revenus et le patrimoine apparaissent,
la NAPC transmettra le dossier pour enquête au NABU, qui pourra à
son tour transmettre au SAPO si des faits justifiant l’ouverture
d’une procédure pénale sont mis au jour. On ignore exactement comment
la NAPC pourra, avec les moyens dont elle dispose actuellement,
vérifier dans un délai raisonnable les plus de 100 000 déclarations
attendues. Compte tenu des possibilités ouvertes par le système
de déclaration en ligne pour la lutte contre la corruption, il est
essentiel que la NAPC soit dotée des moyens dont elle a besoin pour
mener à bien sa mission. Il faut par ailleurs aussi compter sur
le fait que les déclarations sont publiques, ce qui permet aux citoyens
de les examiner et de signaler tout élément indiquant un possible
enrichissement illicite.
58. La réforme de la fonction publique en Ukraine est également
un point important dans le contexte de la lutte contre la corruption.
Une nouvelle loi sur la fonction publique est entrée en vigueur
le 1er mai 2016 et une stratégie de réforme
en la matière a été adoptée par le gouvernement le 24 juin 2016.
La loi sur la fonction publique régit, entre autres, le processus
de recrutement des agents et fixe des règles en matière de déontologie
et de conflit d’intérêts. Son application est toutefois subordonnée
à l’adoption des textes d’application et à la modification d’autres
dispositions législatives.
5. Réforme
électorale
59. L’Assemblée recommande depuis
longtemps une réforme du système électoral et l’adoption d’un Code électoral
consolidé qui donnerait de la cohérence aux dispositions légales
régissant les différentes élections en Ukraine. Cette recommandation
est encore plus importante depuis la signature d’un train de mesures d’application
des accords de Minsk, le 12 février 2015, qui réaffirme que les
élections locales devraient être organisées dans certains arrondissements
des régions de Donetsk et de Lougansk sur la base du droit ukrainien
.
60. Comme l’indiquent des rapports antérieurs, la Commission de
Venise et l’Assemblée ont maintes fois recommandé, pour les élections
législatives, la mise en place d’un nouveau dispositif consolidé
instituant une variante du scrutin proportionnel régional, afin
de résoudre les problèmes structurels de séparation des pouvoirs
et de fonctionnement des partis politiques et de la Verkhovna Rada.
61. Dans sa
Résolution
1988 (2014) adoptée le 9 avril 2014, l’Assemblée a donc invité les
autorités à organiser les prochaines élections législatives «sur
la base d'un nouveau Code électoral unifié et d'un système régional
d'élection à la proportionnelle
» dont
l’adoption devrait constituer «la priorité immédiate des autorités ukrainiennes
».
Toutefois, comme l’indique le rapport de la commission ad hoc qui
a observé les élections législatives anticipées du 26 octobre 2014
, ces élections
sont intervenues avant qu’il ait été possible de mettre en œuvre
bon nombre des réformes électorales, et ont donc été organisées
dans le cadre des lois électorales de 2012 (modifiées). Malheureusement,
comme cela semble souvent être le cas, après les élections l’intérêt
des milieux politiques pour la réforme électorale s’est émoussé
et a laissé la place à d’autres événements et priorités.
62. Plusieurs projets de Code électoral consolidé sont officiellement
inscrits à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada
. Certaines de ces propositions
ont été élaborées avec l’aide de la Commission de Venise et visent
à combler les lacunes constatées par l’Assemblée et par la Commission
de Venise; d’autres contiennent des dispositions dont le caractère
problématique, au regard des normes internationales, a été souligné.
Un groupe de travail réunissant des experts et des parties prenantes
a été créé et travaille en étroite collaboration avec la Commission
de Venise; il est chargé d’élaborer un Code électoral consolidé,
notamment sur la base de ces propositions. Aucune préférence n’a
été indiquée pour l’un ou l’autre des projets de loi qui circulent.
Il semblerait malheureusement, d’après plusieurs interlocuteurs,
que la volonté politique reste insuffisante pour faire aboutir la
rédaction d’un tel Code électoral consolidé, surtout depuis que
l’échéance électorale est passée.
63. Il importe d’accorder la priorité à l’élaboration d’un nouveau
Code électoral consolidé qui tienne pleinement compte des recommandations
de la Commission de Venise, et que ce point soit inscrit à l’ordre
du jour de la Verkhovna Rada bien avant les prochaines élections
législatives.
64. Le 16 février 2016, la Verkhovna Rada a adopté une série de
modifications de la loi sur l’élection des députés du peuple. Ces
dispositions permettraient aux partis de modifier l’ordre des candidats
sur une liste, et en pratique de les retirer de celle-ci, après
une élection mais avant qu’ils ne prêtent serment au parlement.
La validité de cette loi est limitée aux listes électorales des
élections anticipées de 2016 et semble viser à conférer aux partis
politiques un contrôle sur les personnes accédant au parlement pour
occuper les sièges vacants à l’issue du remaniement gouvernemental
prévisible
. En effet, immédiatement
après son adoption plusieurs partis politiques ont demandé à la
Commission électorale centrale de retirer un ou plusieurs candidats
de leurs listes.
65. Même si ces dispositions étaient limitées dans le temps, elles
soulèvent plusieurs problèmes du point de vue des normes internationales,
notamment en rapport avec le principe du suffrage direct et du droit
des électeurs d’être pleinement informés de l’effet de leurs suffrages,
c’est-à-dire des représentants qu’ils élisent. La commission de
suivi a donc demandé, le 9 mars 2016, un avis de la Commission de
Venise sur ces modifications. Dans cet avis adopté lors de sa réunion
plénière des 9 et 10 juin 2016, la Commission de Venise
estime
que «le fait d’habiliter les partis politiques à priver a posteriori
les électeurs de leur choix et à retenir à leur place ceux qui sont
en position d’être élus sur la liste du parti
» et,
par conséquent, le «pouvoir des partis politiques de rayer de leurs
listes des candidats après la tenue du scrutin, alors qu’ils ont
été censés être «non éligibles», mais qu’ils pourraient malgré tout
être élus
» est contraire aux normes internationales. Tout
comme la Commission de Venise nous demandons instamment que, même
si leur validité se limite aux listes électorales dans ce scrutin,
ces dispositions soient supprimées de la loi.
66. En rapport avec cet avis, la Commission de Venise a relevé
que l’article 81 de la Constitution ukrainienne permet de retirer
son mandat à un parlementaire qui aurait quitté le parti ou la coalition
pour lequel il a été élu afin de rejoindre une autre formation,
à la demande du parti de la liste sur laquelle il était inscrit
lors de son élection. La Commission de Venise a réitéré ses préoccupations
concernant cette disposition permettant de révoquer un député élu,
ce qui est contraire aux normes européennes. Nous recommandons vivement
que cette possibilité soit supprimée de la Constitution dans le
cadre de la réforme constitutionnelle en cours.
6. Remarques
finales
67. A la suite des événements de
l’Euromaïdan, les autorités ukrainiennes ont lancé un vaste et ambitieux programme
de réformes. Il faut saluer la détermination des autorités à procéder
à des réformes dans un contexte politique et économique difficile
en raison des répercussions de la guerre qui se déroule dans l’est
de l’Ukraine et de l’annexion illégale de la Crimée. Il convient
toutefois de souligner que, si les événements qui se déroulent dans
l’est de l’Ukraine éclipsent le processus de réforme auquel ils
sont étroitement liés dans plusieurs domaines, l’absence de progrès
dans l’application des accords de Minsk ne doit pas servir d’excuse à
un ralentissement des réformes essentielles à la consolidation de
la démocratie dans le pays, ni à une mobilisation moindre. D’importants
progrès ont été accomplis avec la réforme du cadre juridique et
l’adoption de nouvelles lois. Il importe maintenant de mettre en
œuvre ces modifications législatives pour qu’elles se traduisent
par les changements de comportement et de pratique que l’on attend.
Cela vaut particulièrement pour la lutte contre la corruption endémique
que connaît le pays.
68. La réforme de la Constitution, qui est une recommandation
de longue date de l’Assemblée, doit être saluée. Le processus de
réforme constitutionnelle a été axé jusqu’à présent sur les volets
de la décentralisation, du pouvoir judiciaire et du système judiciaire.
La réforme ne doit toutefois pas se limiter à ces domaines et reste
nécessaire dans d’autres secteurs, en particulier pour ce qui est
de la répartition des pouvoirs entre le Président, le gouvernement
et la Verkhovna Rada, afin de remédier aux lacunes systémiques relevées
par l’Assemblée à cet égard. Dans ce contexte, nous renouvelons
la recommandation de l’Assemblée en vue de l’adoption d’un Code
électoral consolidé bien en amont de la tenue des prochaines élections.
69. Nous saluons vivement l’adoption des modifications de la Constitution
sur le pouvoir judiciaire, qui permettront de résoudre de nombreuses
défaillances liées au système judiciaire et à l’indépendance de
la magistrature, en abolissant notamment la fonction générale de
supervision du procureur général, ce qui était l’un des engagements
pris par l’Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe.
Il est essentiel que le pays adopte maintenant toutes les lois d’application
nécessaires et modifie, le cas échéant, la législation existante
pour permettre une rapide mise en œuvre des modifications de la
Constitution.
70. Tout en saluant le fait que le cadre institutionnel de lutte
contre la corruption endémique qui affecte le pays est désormais
en place, nous sommes préoccupés par le rythme trop lent de la lutte
contre la corruption, et par les trop maigres résultats concrets
obtenus. C’est pourquoi nous prions instamment les autorités d’intensifier
la lutte contre la corruption et de veiller à ce que le nouveau
cadre institutionnel induise à présent des résultats nets et tangibles.
Dans ce contexte, les autorités pourraient notamment accélérer la
création d’un tribunal spécial contre la corruption.