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Rapport | Doc. 14283 | 06 avril 2017

Les possibilités d’améliorer le financement des situations d’urgence impliquant des réfugiés

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Cezar Florin PREDA, Roumanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13830, Renvoi 4142 du 26 juin 2015. 2017 - Deuxième partie de session

Résumé

L’action humanitaire, le partage du fardeau de l’assistance d’urgence aux réfugiés et la gestion des mouvements massifs de personnes cherchant asile requiert d’importantes dotations financières de la part des gouvernements des pays d’origine, des dons des Etats disposant de moyens économiques à ceux dans le besoin, des organisations internationales, des ONG et des entreprises privées. S’il relève de la responsabilité morale et politique de tous les pays européens de contribuer financièrement à la gestion des crises, en fonction des moyens dont ils disposent, ces pays doivent également s’employer de leur mieux à garantir l’allocation des fonds aux secteurs où les besoins sont le plus criants, tout en limitant au maximum les coûts administratifs et les obstacles structurels, dans un souci de responsabilité et de transparence.

Le système d’évaluation des besoins avant toute planification budgétaire, établi par les Nations Unies, est mis à très rude épreuve. Il s’accompagne d’un fossé croissant entre les besoins budgétaires et les fonds disponibles. La récente propension de l’Union européenne au renforcement du contrôle des frontières et à «l’externalisation» de l’aide humanitaire au-delà des frontières de l’Union européenne risque, en l’absence de soutien solide sur le terrain, de mettre en péril la protection des droits fondamentaux des migrants et des réfugiés. Au sein des Etats membres, malgré les manifestations constantes de solidarité populaire, les contextes économiques et politiques nationaux difficiles suscitent l’hostilité et le rejet.

Le rapport appelle à une meilleure gestion du financement des situations d’urgence impliquant des réfugiés, qui doit se traduire par des dépenses ciblées et transparentes visant avant tout à protéger les réfugiés. Il encourage un meilleur partage des responsabilités financières en Europe et entre ses voisins, doublé d’efforts pour accélérer les procédures administratives.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 mars
2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire souligne que le financement de l’aide humanitaire dans le contexte de l’actuelle crise des migrants et des réfugiés doit être dicté par l’engagement de garantir les droits humains et sociaux fondamentaux et la dignité des personnes touchées par les crises en cours ou prolongées qui ont contraint des dizaines de millions d’entre elles à quitter leur foyer et leur pays en raison de la guerre et d’autres catastrophes d’origine humaine.
2. L’Assemblée a conscience qu’aucune action humanitaire, ni aucun partage du fardeau en termes de ressources ou de gestion des mouvements massifs de personnes cherchant asile ne saurait être réalisé efficacement sans d’importantes dotations financières des gouvernements des pays d’origine, sans dons des Etats disposant de moyens économiques à ceux dans le besoin ou de la part des organisations internationales, d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’entreprises privées. S’il relève de la responsabilité morale et politique de tous les pays européens de contribuer financièrement à la gestion des crises, en fonction des moyens dont ils disposent, ces pays doivent également s’employer de leur mieux à garantir l’allocation des fonds aux secteurs où les besoins sont le plus criants, tout en limitant au maximum les coûts administratifs et les obstacles structurels, dans un souci de responsabilité et de transparence.
3. La crise actuelle des migrations et des réfugiés n’a pas seulement révélé des lacunes et des divergences entre les pays européens en ce qui concerne le partage des responsabilités, mais aussi accentué les faiblesses des dispositifs de financement des principales organisations internationales en termes d’aide humanitaire, notamment des Nations Unies et de l’Union européenne qui, au même titre que les cadres réglementaires européens, ont été éprouvés et se sont montrés défaillants.
4. Le système d’évaluation des besoins avant toute planification budgétaire, établi par les Nations Unies, est mis à très rude épreuve. Il s’accompagne d’un fossé croissant entre les besoins budgétaires et les fonds disponibles et d’une véritable course tout au long de l’année pour assurer le financement des activités planifiées, souvent en concurrence avec d’autres secteurs financés par les Nations Unies. La récente propension de l’Union européenne au renforcement du contrôle des frontières et à «l’externalisation» de l’aide humanitaire au-delà des frontières de l’Union européenne risque, en l’absence de soutien solide sur le terrain, de mettre en péril la protection des droits fondamentaux des migrants et des réfugiés. Au sein des Etats membres, malgré les manifestations constantes de solidarité populaire, les contextes économiques et politiques nationaux difficiles suscitent l’hostilité et le rejet.
5. L’Assemblée déplore que la complexité des procédures budgétaires et du processus décisionnel et la lenteur de la mise en œuvre des programmes de l'Union européenne sur le terrain engendrent des situations dans lesquelles l'assistance fournie ne permet pas l'établissement d'infrastructures, ni l'acheminement de l'aide en temps opportun à ceux qui en ont besoin.
6. Elle se félicite de l’aide humanitaire de plus petite envergure mais au demeurant importante fournie par d’autres voies, par exemple les prêts ciblés consentis par la Banque de développement du Conseil de l’Europe qui permettent d’engager des actions rapides et concrètes, notamment en ce qui concerne les conditions d’accueil et le bien-être des migrants et des réfugiés. Les financements privés alloués en particulier par les réseaux formels et informels des diasporas, constituent une source de financement importante pour répondre aux situations d’urgence.
7. Etant donné la nécessité de faire face à la gravité de la crise migratoire et des réfugiés actuelle en procédant à un partage du fardeau financier, tout en veillant à ce que les dépenses soient dictées par un juste équilibre entre les préoccupations humanitaires et l’impératif de préserver la sécurité et le bien-être des citoyens européens, l’Assemblée:
7.1. soutient les Etats membres qui consacrent une part considérable de leur budget à la gestion des migrations, en particulier les pays d’accueil, en première ligne des arrivées massives;
7.2. encourage tous les Etats européens à intensifier le partage de la charge financière engendrée par la situation actuelle, notamment par le biais des cadres internationaux de coopération comme ceux de l’Union européenne, du Haut-Commissariat des Nations Unies (HCR) pour les réfugiés et d’autres organisations humanitaires internationales;
7.3. appelle l’Union européenne à poursuivre ses financements diversifiés afin d’améliorer les conditions d’accueil, d’accélérer les procédures d’asile et d’encourager l’intégration à court et moyen terme des migrants et des réfugiés, parallèlement aux mesures de renforcement de la sécurité, du contrôle des frontières et des systèmes de retour;
7.4. prie instamment les Nations Unies et ses Etats membres de s’employer au mieux à tenir les engagements du «Grand compromis» convenu lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire tenu en mai 2016. Ce faisant, le HCR devrait en particulier veiller:
7.4.1. à une transparence accrue, à l’harmonisation et la simplification des exigences de notification, et à la réduction des redondances et des frais de gestion;
7.4.2. à la rationalisation des données, accompagnée de la réalisation d’évaluations conjointes et impartiales des besoins par des spécialistes;
7.4.3. à davantage de soutien et de financement pour les acteurs locaux et nationaux et à l’allègement des obstacles administratifs posés aux partenariats;
7.4.4. au renforcement de l’utilisation et de la coordination des programmes de transferts monétaires;
7.4.5. au recours accru aux financements et à la programmation pluriannuels de l’action humanitaire s’appuyant sur des mécanismes collaboratifs;
7.4.6. à une «révolution de la participation» afin d’associer les personnes qui reçoivent l’aide aux prises de décisions qui influent sur leurs vies;
7.4.7. à la multiplication des contacts entre les acteurs de l’humanitaire et ceux du développement.
8. L’Assemblée appelle l’Union européenne à examiner la possibilité d’allègement de la dette nationale en échange d’engagements humanitaires, compte tenu en particulier des pressions sans précédent subies par les économies des pays aux frontières de l’Europe, situés en première ligne de la crise migratoire (par exemple la Grèce et l’Italie).

B. Exposé des motifs, par M. Cezar Florin Preda, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Sans les fonds d’urgence ou pour les catastrophes versés par les pays individuellement, les organisations internationales ou non gouvernementales et beaucoup de donateurs privés, l’actuelle situation d’urgence liée aux migrations s’apparenterait encore davantage à un cataclysme mondial. Malgré les lacunes, les désaccords politiques, les réticences à procéder à un plein partage du fardeau ou encore les problèmes administratifs et structurels, la plupart des acteurs mobilisent des ressources substantielles en faveur de l’action humanitaire pour atténuer la crise. L’aide humanitaire globale augmente chaque année; elle s’élevait en 2015 à 28 milliards de dollars, toutes sources confondues.
2. Le présent rapport a été inspiré au départ, comme exprimé dans la proposition de résolution déposée en juin 2015 par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, par le dialogue permanent qu’entretient la commission avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui a soulevé à plusieurs occasions les problèmes – révélés par l’ampleur de la crise – du système ancien de mobilisation des ressources de l’organisation, qui de l’avis même de cette dernière, devrait être réexaminé afin de mieux résister aux pressions accrues exercées sur les mécanismes d’aide humanitaire dans les situations d’urgence.
3. J’ai été nommé rapporteur le 9 septembre 2015 et j’ai procédé depuis lors à des échanges réguliers avec le HCR, dans le cadre de la préparation du présent rapport. Le 11 octobre 2016, j’ai proposé à la commission d’inviter le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés à participer au débat consacré à ce rapport. L’Assemblée a par la suite décidé de convier ce dernier à la journée de débat sur les migrations prévue le 28 juin 2017, dans le cadre de la partie de session de l’Assemblée. La conférence «Une réponse humanitaire et politique globale à la crise des migrations et des réfugiés en Europe», organisée par la commission à l’invitation de l’Assemblée nationale française en décembre 2015, et les auditions ultérieures (en liaison notamment avec la préparation du rapport sur l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie le 18 mars 2016) ont apporté des éléments d’information pertinents sur les implications financières de la crise. Par ailleurs, la commission a tenu un échange de vues avec le gouverneur de la Banque de Développement du Conseil de l’Europe le 11 octobre 2016.
4. Ces échanges et discussions m’ont permis de conclure qu’il serait utile, lors de l’examen du système des Nations Unies et de ses implications pour le HCR, de profiter de l’occasion pour comparer le HCR et l’Union européenne dans ce domaine. Il conviendrait de décrire par ailleurs très succinctement les autres sources principales de financement humanitaire d’urgence, les processus décisionnels intervenant dans leur mise en œuvre, leur viabilité et leurs avantages comparatifs permettant de réagir rapidement et d'une façon coordonnée aux situations d'urgence humanitaire. L’Assemblée ne s’est pas penchée pour l’heure sur la question importante du financement humanitaire d’urgence et l’examen des chiffres permettra également de mettre en perspective un certain nombre d’attitudes à l’égard de la crise migratoire et de prises de position politiques nationales.

2. Portée du financement des situations d’urgence

2.1. Qu’entend-on par financement «pour faire face aux situations d’urgence impliquant des réfugiés?»

5. Selon la définition du HCR, on entend par situation d’urgence impliquant des réfugiés «toute situation dans laquelle la vie ou le bien-être des réfugiés seront menacés si l’on ne prend pas sur-le-champ des dispositions adaptées, et qui exige une réaction extraordinaire, associée à des mesures exceptionnelles». La plupart des organisations d’aide humanitaire établissent une distinction entre l’aide d’urgence et les formes plus régulières d’aide financière ou au développement. Cependant, les notions antérieurement bien définies comme par exemple «l’aide d’urgence», «l’aide humanitaire» et «l’aide au développement» se chevauchent désormais dans les «situations d’urgence prolongées», dans la mesure où les demandeurs d’asile et les réfugiés vivent pendant des périodes plus longues dans des conditions précaires censées à l’origine leur assurer un abri immédiat et provisoire. Les allocations à l’aide au développement, considérées dans le passé comme un moyen de mettre en place des capacités durables au sein des pays en développement afin d’échapper à la fatalité des migrations forcées, servent ainsi de plus en plus souvent à répondre aux crises humanitaires d’urgence. L’aide au développement pourrait fort utilement constituer le thème d’un futur rapport s’appuyant sur certaines conclusions de la présente étude.
6. Dans le contexte actuel il n’y a pas non plus une distinction très nette entre l’aide humanitaire et l’aide allouée spécifiquement aux situations impliquant des réfugiés, puisque les flux migratoires à grande échelle auxquels l’Europe est confrontée sont la conséquence de toutes les catastrophes présentes, qu’elles soient dues au conflit, aux tensions politiques et la persécution de minorités, le changement climatique ou les catastrophes naturelles. Et malgré à la fois le désaccord sur les niveaux de contribution et le problème des «urgences oubliées», l’attribution de l’assistance humanitaire aux situations d’urgence liées aux réfugiés est rarement critiquée 
			(2) 
			Le 13 septembre 2016,
Reuters International a réagi aux prévisions de «couper les fonds
européens pour l’Europe de l’Est afin d’augmenter le budget alloué
aux migrations» déclarant cependant que les pays concernés avaient
accepté le principe sans aucune objection.. Pour illustrer cet état de fait, l’augmentation de 12 % de l’aide humanitaire globale entre 2014 et 2015 a été presque entièrement le résultat du besoin de faire face aux «méga-urgences» les plus sévères, surtout le conflit au Moyen-Orient et le déplacement des populations qui s’en suit. En 2015, presqu’un tiers de l’assistance totale a été dépensé pour la crise en Syrie, et les cinq situations d’urgence les plus graves (la Syrie, le Yémen, le Soudan du sud, l’Irak et le Soudan) ont comptabilisé plus de la moitié de toute l’assistance humanitaire internationale. Pour les besoins de ce rapport, il ne sera pas fait de distinction entre l’aide humanitaire en général et la réponse financière à la crise des réfugiés, sauf indication contraire.
7. En ce qui concerne les pays européens eux-mêmes, l’aide humanitaire va aussi majoritairement à la crise des réfugiés et des migrants, et la responsabilité est en général séparée de celle des programmes généraux d’assistance sociale. Les donations de pays tiers à la crise des réfugiés sont examinées ci-après. Le cas de la Turquie est intéressant; le budget alloué à la réception des réfugiés syriens sur le territoire national est déclaré comme «assistance humanitaire» de la même façon que les dons aux pays tiers, et d’autres coûts liés à l’accueil des réfugiés sont identifiées comme «assistance officielle au développement» (AOD).

2.2. Structures de la réponse aux situations d’urgence

8. Dans le système des Nations Unies, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) est responsable pour le Fonds central d’intervention pour les urgences humanitaires (CERF), établi en 2005 pour répondre rapidement aux urgences nouvelles et en voie de détérioration, et pour maintenir l’assistance à la survie dans les cas de crises prolongées mais négligées. Reconnaissant le rôle essentiel du CERF dans l’assistance humanitaire, en décembre 2016 l’Assemblée générale a appelé à une augmentation dans le budget total du CERF de $ 450 millions à $ 1 milliard par année. Les Fonds communs par pays (CBPF) sont établis par le Coordonnateur des secours d'urgence des Nations Unies (CER) lorsqu'une nouvelle situation d'urgence survient ou lorsqu'une situation humanitaire se détériore. Ils permettent aux bailleurs de fonds de mettre en commun leurs contributions dans des fonds uniques et non affectés par pays pour soutenir les efforts humanitaires, gérés localement par des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et nationales, des agences des Nations Unies et des organisations du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. En 2016, les CBPF constituaient la principale source de financement direct des ONG nationales. Dix-huit CBPF ont reçu un total de 706 millions de dollars en contributions de donateurs en 2016.
9. Dans l'Union européenne, le financement d'urgence est partagé entre le Fonds pour l'Asile, la Migration et l'Intégration (AMIF), le Fonds de Sécurité Intérieure (ISF) et l'Instrument d'Aide d'Urgence (ESI). Par exemple, en Grèce, € 191,92 million été engagés en janvier 2016 pour des secours d'urgence, dans le cadre de l'ESI (soins de santé, abris, alimentation, protection et soutien psychologique) et € 174,7 million 
			(3) 
			«Managing
the Refugee Crisis, EU financial support to Greece», publication
de la Commission européenne du 26 janvier 2017. accordés au titre des budgets AMIF et ISF pour les mêmes types d’aide d'urgence, ainsi que d'autres services liés à la sécurité et à la capacité de traitement des demandes d’asile.

3. Qui paye la facture humanitaire des crises des réfugiés?

3.1. Les pays d’accueil prennent à leur charge la part la plus importante de l’aide humanitaire 
			(4) 
			Les
chiffres sont fournis en dollars s’agissant des fonds des Nations
Unies et en euros concernant l’Union européenne.

10. En 2015, l’aide humanitaire internationale a augmenté pour la troisième année consécutive, atteignant le niveau record de 28 milliards de dollars 
			(5) 
			La plupart des données
suivantes sont issues du rapport 2016 de Global Humanitarian Assistance,
voir: <a href='http://www.globalhumanitarianassistance.org/'>www.globalhumanitarianassistance.org</a>. Après les nouveaux objectifs de développement durable
et le Sommet mondial sur l’action humanitaire, ces rapports sont
devenus une base de référence pour mesurer les progrès réalisés
dans la mise en œuvre des engagements mondiaux. (comparativement à 20,1 milliards en 2013 et 25,8 milliards en 2014). L’augmentation du financement total enregistrée en 2014 et 2015 provenait principalement de gouvernements et de donateurs privés, qui ont revu leurs contributions à la hausse d’environ 11 % et 13 % par rapport à l’année précédente. En 2015, 20 gouvernements donateurs ont apporté 97 % de l’ensemble des contributions gouvernementales internationales. L’augmentation la plus conséquente, de près de 500 % depuis 2011, provenait de gouvernements au Moyen-Orient et dans le nord du Sahara, et principalement des contributions apportées par les pays du Golfe en réponse aux crises au Moyen-Orient.
11. Alors que pris dans leur globalité ces montants paraissent considérables, dans les 20 pays qui en ont le plus besoin, l’aide internationale ne représente dans les faits que 4,8 % en moyenne des dépenses consacrées à l’aide humanitaire. C’est aux gouvernements nationaux qu’incombe au premier chef la responsabilité de se préparer aux crises qui touchent leurs propres territoires et d’y répondre. C’est pourquoi ils investissent souvent des sommes considérables dans les mesures de préparation et de réaction. En moyenne, les gouvernements de ces pays assument à eux seuls 61 % des frais engendrés par l’aide humanitaire, le reste provenant de créances à court et long terme, d’investissements étrangers et d’autres sources de revenus secondaires. Cependant, les pays les plus touchés par les crises restent davantage tributaires des flux internationaux que les autres pays en développement. Dans les pays moins impactés, 78 % en moyenne des dépenses totales sont couverts par les ressources nationales.
12. Au Liban par exemple, la dépense intérieure nette a augmenté de 65 % en termes réels entre 2010 et 2015 – période durant laquelle le nombre de réfugiés dans le pays est passé de 464 853 à 1 535 662. La hausse tient compte de toutes les dépenses intérieures et ne peut ainsi pas être exclusivement attribuée à l’augmentation du nombre de réfugiés bien qu’une forte corrélation soit indéniable. Les évaluations de l’impact et des besoins menées par le ministère jordanien de la Planification et de la Coopération internationale ont mis en lumière un déficit de financement interne estimé à 1,1 milliard de dollars dans le plan d’intervention jordanien contre la crise en Syrie 2016-2018, soit environ 8,6 % des dépenses publiques totales en 2016.

3.2. Les pays tiers donateurs

13. Un examen plus attentif des contributions versées par les pays tiers au secours humanitaire donne une image passablement différente de ce que laissent entendre les points de vues politiques dominants. Alors que l’on peut s’attendre à ce que l’Allemagne figure parmi les principaux donateurs, il peut paraître étonnant que les Etats-Unis consacrent de loin les montants les plus importants. Les Etats-Unis, la Turquie et le Royaume-Uni ont tous donné davantage, au titre de l’aide humanitaire, aux pays les plus dans le besoin que l’Union européenne en 2015 (à titre d’exemple, le Royaume-Uni a alloué rien qu’à la Grèce une somme de 32 millions de dollars, et les Etats-Unis ont versé 29 millions de dollars au Fonds des Nations Unies pour l’enfance). En 2015, la Turquie a dépensé la plupart de 3.2 milliards de dollars sur l’accueil des 2.75 millions de réfugiés (pour la plupart syriens) dans le pays, qu’elle déclare à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en tant qu’assistance humanitaire et non comme dépenses nationales.
14. Le rapport 2016 de Global Humanitarian Assistance synthétise le classement des pays, les totaux et les principales sources d’aide. Des pays européens autres que ceux mentionnés ci-dessus (en particulier la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse, la France, le Danemark, l’Italie, la Belgique et l’Espagne) allouent des sommes importantes proportionnellement à leurs ressources nationales. Ramenée au pourcentage de leur revenu national brut (RNB), la contribution de l’Allemagne au financement de l’aide représente 0,04 % du RNB, tandis que celle des Pays-Bas et du Royaume-Uni s’élève à 0,10 % (Suède 0,19 %, Luxembourg 0,16 % et Danemark 0,15 %).

3.3. Organisations internationales

3.3.1. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

15. Depuis sa création en 1951, le HCR, principal organisme s’occupant des réfugiés dans le monde, est très majoritairement financé par des contributions volontaires directes des Etats (à hauteur de 86 % en 2015), mais aussi par des ONG (6 %), par le secteur privé (entreprises, fonds et fondations) et par des particuliers (6 %). Seule une petite subvention annuelle de 2 % provient du budget ordinaire des Nations Unies. Chaque année, le HCR lance un Appel global demandant aux gouvernements et aux autres donateurs de contribuer à son budget. Dans des situations complexes et de grande ampleur impliquant des réfugiés, le HCR conduit et coordonne une réponse humanitaire entre les agences et les ONG. Lorsque des crises nouvelles surviennent, comme dans le cas de la Syrie ou de l’Ukraine, le HCR est contraint de lancer un appel d’urgence en espérant que des donateurs lui procureront des ressources supplémentaires et il se trouve ainsi en concurrence avec d’autres organismes humanitaires, y compris des organisations sœurs du système des Nations Unies, pour l’obtention de financements humanitaires limités.
16. En 2015, le montant total demandé par les Nations Unies au travers de ses appels s’élevait à 19,8 milliards de dollars, mais les contributions réelles ont accusé un déficit de financement de 45 % (8,9 milliards de dollars). Les besoins financiers annoncés pour 2017 par le HCR se montent à 7,310 milliards de dollars. Les trois principales situations d’urgence, l’Irak, le Liban et la Turquie, obèreront à elles seules 23 % du budget alloué pour les activités programmées. La situation de crise et les pressions financières se traduisent par la négligence constante de certaines situations humanitaires: la liste des «situations d’urgence négligées» ou sans cesse sous-financées contient souvent d’année en année les mêmes pays 
			(6) 
			Voir l’évaluation
des crises oubliées du service de la Commission européenne à l’aide
humanitaire et à la protection civile (ECHO)..
17. Le HCR élabore un budget-programme biennal, ventilé en budgets annuels fondés sur une estimation des besoins mondiaux. Le budget-programme original est présenté à la principale instance dirigeante du HCR, le Comité exécutif, avant le début de l’exercice biennal. Les besoins sont ensuite réévalués au cours de l’exercice et un budget révisé est présenté pour approbation au Comité exécutif en octobre de chaque année. Lorsque des besoins imprévus apparaissent en cours d’année, il est procédé à un ajustement du budget au moyen d’une enveloppe supplémentaire. Le budget final de l’année antérieure est présenté au Comité permanent du Comité exécutif lors de sa réunion annuelle du mois de juin/juillet.
18. Le HCR a recours à des interventions en espèces (espèces ou bons d’échange) pour apporter protection, assistance et services aux plus vulnérables, y compris l’accès à la nourriture, à l’eau, aux soins de santé et à un abri, afin de leur permettre d’assurer leur subsistance et de faciliter leurs rapatriements volontaires. Les interventions en espèces visent à protéger les réfugiés en réduisant les risques qu’ils encourent et en maintenant leur capacité d’achat. Elles peuvent être utilisées dans de nombreuses situations et représentent une forme d’assistance plus digne, en donnant aux réfugiés la possibilité d’établir immédiatement leurs propres priorités et de choisir ce dont ils ont besoin. Selon le HCR, les interventions en espèces rendent les personnes déplacées moins susceptibles d’avoir recours à des stratégies risquées (prostitution de survie, travail des enfants, séparation des familles, mariages forcés, etc.). Elles profitent aussi à l’économie locale et contribuent à une cohabitation paisible avec les communautés d’accueil.

3.3.2. L’Union européenne 
			(7) 
			Les
informations fournies ne présentent pas un tableau exhaustif des
dépenses totales consacrées par l’Union européenne aux migrations,
compte tenu de la complexité du sujet. Pour plus de détails, voir
«Overview on the use of EU funds for migration policies», Commission
européenne, département thématique D: Affaires budgétaires, 2016.

19. Le financement consacré par l’Union européenne aux migrations est intégré pour l’essentiel dans le chapitre 3 «Sécurité et Citoyenneté» (moins de 1% du budget global de l’Union européenne), au budget des Affaires intérieures qui représente 9,26 milliards d’euros alloué au début du cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, répartis entre le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI, 3.1 milliards), le Fonds de sécurité intérieure (FSI, volet Frontières et volet police, 3.8 milliards) et les agences (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, EASO et Europol, 2.36 milliards) et, pour les pays hors de l’Europe, à l’Instrument de coopération au développement (ICD) (132 millions d’euros entre 2014 et 2016). D’autres financements secondaires sont assurés par l’intermédiaire de l’aide au développement, de fonds fiduciaires et de quelques chapitres comme la Politique de cohésion et l’Agriculture.
20. Les budgets sont définis au titre d’un cadre financier pluriannuel (CFP) couvrant une période de sept ans et soumis à des ajustements réguliers. En 2015, pas moins de huit «budgets rectificatifs» ont été adoptés afin de faire face à l’amplification de la crise migratoire. Par ailleurs, l’Agenda européen en matière de migration a été développé dans le but d’améliorer la gestion des migrations irrégulières et des frontières ainsi que la mise en œuvre du régime d’asile européen commun et d’introduire le concept de «hotspots».
21. Le programme de réinstallation de l’Union européenne a été intégré en 2015 au programme FAMI, au moyen de plusieurs accords conclus entre juillet et septembre 2015 (relocalisation de 22 504 personnes ayant besoin d’une protection internationale, programme temporaire de relocalisation d’urgence depuis l’Italie et la Grèce de personnes ayant besoin d’une protection internationale, mise à disposition de 54 000 places non encore attribuées, aux fins de l'admission légale de Syriens dans l'Union européenne à partir de la Turquie). Le 13 juillet 2016, la Commission a proposé à titre permanent un cadre de l'Union européenne en matière de réinstallation afin d'établir un ensemble commun de procédures types pour sélectionner les candidats à la réinstallation et un statut de protection commun pour les personnes réinstallées dans l'Union européenne, afin de rationaliser et de mieux cibler à l'avenir les efforts européens dans ce domaine.
22. Selon la législation, la décision concernant l'activation de l'aide d'urgence au sein de l’Union européenne est prise par le Conseil, sur proposition de la Commission. La première activation a eu lieu le 16 mars 2016, pour faire face à l’afflux actuel de réfugiés et de migrants dans l’Union européenne, et proposait de distribuer à la Grèce une enveloppe de 700 millions d’euros, en plusieurs tranches entre 2016 et 2018. Le projet financé avec cet argent vise à couvrir les besoins essentiels et urgents des réfugiés et des migrants (nourriture, santé, approvisionnement en eau et assainissement, abri et protection). Cette aide viendra compléter celle déjà fournie par les autorités grecques.
23. Les mécanismes de flexibilité permettent à l’Union européenne de mobiliser les fonds nécessaires pour faire face à des imprévus tels que des crises et des situations d’urgence. Dans le contexte actuel de limitations des dépenses, ces instruments garantissent également que les ressources budgétaires peuvent suivre l'évolution des priorités, de sorte que chaque euro est dépensé là où il est le plus utile. La plupart des instruments de flexibilité sont donc maintenus en dehors du CFP, de manière à ce que les fonds mobilisés puissent dépasser les plafonds de dépenses.

3.4. Autres organisations

24. Ce rapport ne saurait présenter une image complète du financement de l’aide humanitaire d’urgence, mais certains des autres grands contributeurs sont évoqués dans ce chapitre. Les initiatives privées ne sont pas abordées dans le présent document, bien qu’elles constituent une source importante de financement pour les Nations Unies, les ONG et les pays bénéficiaires directement 
			(8) 
			Georges Soros, par
exemple, au travers de l’Open Society Fondations, a consacré 500
millions de dollars à des programmes au bénéfice des réfugiés et
des migrants en 2016..

3.4.1. La Banque de développement du Conseil de l’Europe

25. En dépit des montants relativement faibles des prêts consentis par la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) comparativement aux financements des Nations Unies et de l’Union européenne, ces prêts constituent des moyens flexibles et efficaces de concrétiser des projets sociaux de petite échelle au bénéfice des migrants. La CEB est la plus ancienne banque multilatérale de développement européenne, créée en 1956 pour contribuer à la résolution des problèmes spécifiques de la réinstallation des réfugiés après la seconde guerre mondiale 
			(9) 
			«La Banque a pour objectif
prioritaire d'aider à résoudre les problèmes sociaux que pose ou
peut poser aux pays européens la présence de réfugiés, de personnes
déplacées ou de migrants résultant de mouvements de réfugiés ou d'autres
mouvements forcés de populations ainsi que de la présence de victimes
de catastrophes naturelles ou écologiques.» (Statut de la CEB, Article
II «Objectifs»). Par conséquent, malgré l’élargissement de la portée des activités de prêt de la banque, parallèlement à sa composition et ses ressources, à tous les types de projets sociaux et de situation d’urgence en Europe, l’assistance aux migrants, aux réfugiés et aux pays qui les accueillent reste pleinement conforme à sa vocation initiale.
26. Créé en octobre 2015, le Fonds pour les migrants et les réfugiés a depuis lors apporté une aide d’urgence à «l’ex-République yougoslave de Macédoine», la Serbie, la Slovénie et la République slovaque, pour assurer aux réfugiés et aux migrants transitant par ces pays un hébergement sûr et des soins de base, en transformant et en rénovant les installations existantes afin de les adapter aux conditions hivernales. La subvention de 1,5 million d’euros accordée à la Slovénie a permis de financer l’achat de 100 unités modulaires chauffées, plus adaptées que les tentes par temps froid, ainsi que de 10 véhicules destinés à faciliter le transport des migrants et des réfugiés entre les divers centres d’accueil, en fonction des besoins et des disponibilités d’hébergement. A l’époque, le nombre de réfugiés demandant une protection internationale en Slovénie était négligeable.
27. La CEB a également permis le financement de diverses actions, notamment des formations à la médiation culturelle et aux compétences interculturelles pour des prestataires de service public. En «ex-République yougoslave de Macédoine», une bonne partie des 2,2 millions d’euros de subvention du Fonds pour les migrants et les réfugiés finance l’installation d’une cuisine industrielle tout équipée et de plusieurs cuisines de campagne dans les centres d’accueil, conformément aux recommandations du HCR. Ces installations faciliteront la préparation des plats et assureront aux réfugiés l’accès à des repas chauds. Les prêts de la Banque sont souvent combinés à d’autres programmes de financement, en particulier ceux de la Commission européenne.

3.4.2. La Banque mondiale

28. Au total, 86 % des réfugiés relevant en 2015 du mandat du HCR se trouvaient dans des pays à revenu faible et intermédiaire situés à proximité des situations de conflit. Beaucoup de ces pays se démènent pour trouver des moyens durables permettant de faire face aux coûts supplémentaires liés à l’accueil des réfugiés (Egypte, Irak, Jordanie, Liban et Turquie). Le mécanisme mondial de financement concessionnel de la Banque mondiale (GCFF), annoncé lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire en 2016, les aidera à obtenir des financements essentiels pour le développement tout en comblant l’écart avec les organisations qui fournissent une aide humanitaire directe sur le terrain. Le mécanisme a démarré par une contribution de 50 millions de dollars des Etats-Unis lors du Sommet des dirigeants sur la crise mondiale des réfugiés du 20 septembre 2016. Ce GCFF étend à l’échelle mondiale l’initiative de financement concessionnel pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord également lancée en 2016 pour soutenir la Jordanie et le Liban, les deux pays à revenu intermédiaire dont la démographie a été la plus impactée par l’accueil d’un grand nombre de réfugiés.

3.4.3. Le mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

29. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) travaille principalement dans des situations de conflit. Pour sa part, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FISCR), coordonne et apporte une assistance internationale à la suite de catastrophes causées par des aléas naturels dans des situations généralement autres que des conflits. Enfin, les sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, composées de bénévoles et de personnel en place dans 190 pays, fournissent des services aux personnes vulnérables dans leur propre pays et contribuent aux actions internationales de levée de fonds. En 2015, le CICR a réclamé 1,7 milliard de dollars au travers de ses appels à l’aide humanitaire d’urgence, une augmentation de 15 % par rapport à 2014. Les donateurs y ont répondu par des contributions à hauteur de 1,4 milliard de dollars, d’où un déficit de quelques 259 millions de dollars (16 % des financements requis). Les besoins en financement sont dominés par les impératifs humanitaires constants liés à la crise en Syrie (10,3 % des appels dans ce domaine).

3.4.4. Médecins sans Frontières

30. Médecins sans Frontières (MSF) est une organisation indépendante à but non lucratif, déterminée à agir dans le respect des principes de l’éthique médicale et en toute impartialité. En 2015, les dons privés volontaires ont représenté 92 % du financement global de 1,44 milliards d’euros de MSF. Fort de la réputation et de l’expérience grandissantes de l’organisation et des déductions fiscales encourageant les donateurs, ces dons augmentent d’année en année.

4. Défis posés à une aide humanitaire d’urgence efficace pour les réfugiés

31. Les principales difficultés rencontrées par l’aide humanitaire d’urgence internationale sont d’ordre politique et structurel, avec des problèmes particuliers liés à la mise en œuvre rapide et la responsabilité.

4.1. Problèmes politiques et de politiques

32. La grande proximité du financement de l’assistance humanitaire nationale avec les situations auxquelles il s’efforce de remédier constitue à la fois son principal avantage et son problème majeur. Si des organismes d’assistance extérieurs peuvent rencontrer des difficultés à appréhender la complexité des besoins du pays et ceux des «personnes relevant de leur mandat» sur le territoire concerné, les gouvernements et les autorités régionales, ainsi que les ONG nationales, ont pour leur part une connaissance et expérience directes des défis soulevés. Il a déjà été démontré que tous les pays prennent à leur charge la part la plus importante de l’aide humanitaire intérieure. D’un autre côté, la gestion interne des crises des réfugiés et des migrants ravive l’identité historique et les problèmes de sécurité ressentis, alimentant les tendances protectionnistes et nationalistes. Le refus de certains Etats membres de l’Union européenne (la Hongrie, par exemple) d’accepter les propositions de «quota de relocalisation» de l’Union européenne, se fonde sur des arguments de souveraineté nationale, mais est symptomatique de la réticence politique du pays à accueillir davantage de migrants.
33. S’agissant de l’Union européenne elle-même, l’assistance humanitaire plaçant au premier plan les droits de l’homme et les valeurs humaines risque d’être supplantée par une politique déclarée de sécurité axée sur le contrôle des frontières (laissant beaucoup des personnes les plus nécessiteuses de l’autre côté de la frontière) et un traitement des «problèmes» liés aux réfugiés en dehors des pays de l’Union européenne. L’accord de 3 milliards d’euros conclu entre l’Union européenne et la Turquie 
			(10) 
			Voir Résolution 2109 (2016) de l’Assemblée sur la situation des réfugiés et des
migrants dans le cadre de l'Accord UE-Turquie du 18 mars 2016. a marqué un premier pas dans cette voie, confirmé depuis lors par la déclaration de La Valette en février 2017, qui précise que le renforcement des capacités en Lybie devrait permettre au pays d’accueillir des réfugiés et de traiter les procédures d’asile et de retour. Cette «externalisation» d’une partie de l’action humanitaire d’urgence européenne au-delà des frontières de l’Union européenne pourrait compromettre la protection des droits de l’homme des personnes concernées au titre des conventions internationales.
34. Un article publié sur le site d’information en ligne EurActiv 
			(11) 
			EurActiv,
«Dérive sécuritaire», avril 2016. en avril 2016 a mis en exergue la grande part des fonds d’aide européens désormais consacrée à la gestion des flux migratoires, parfois au détriment direct des projets de développement. Il renvoie à un rapport de la Cour des comptes européenne dans lequel il est fait état de la «dimension prédominante de sécurité et de protection des frontières, qui caractérisait les dépenses de l’Union européenne en matière de migration». L’influence grandissante des intérêts sécuritaires de l’Union européenne sur l’aide européenne au développement est une source de préoccupation, et le renforcement de la sécurité aux frontières afin de contenir les migrations n’améliore pas le sort des réfugiés eux-mêmes ou des populations en situation de pauvreté dans les pays en développement et ne combat pas l’inégalité extrême. L’accord intervenu entre les ministres du développement des 29 pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE d’étendre leur définition de l’aide au développement, pour y inclure davantage de dépenses liées aux opérations de paix et de sécurité, est un autre signe de cette tendance.

4.2. Problèmes structurels

35. Les grandes organisations sont inévitablement dotées de systèmes et procédures administratives complexes. Les mécanismes du HCR et de l’Union européenne diffèrent grandement mais présentent dans une certaine mesure les mêmes symptômes en termes de décalage entre la prise de décisions et l’action et d’écart entre les sommes allouées et celles véritablement dépensées sur le terrain.
36. L’évaluation des actions à engager par le HCR est réalisée de manière très courageuse sur la base d’une estimation des besoins de l’ensemble des personnes relevant de sa compétence au plan mondial, sans aucune certitude quant à la disponibilité des financements. Comme noté précédemment, des situations d’urgence imprévues renforcent encore les pressions exercées sur les budgets existants et l’impératif de lever davantage de fonds, et le déficit de financement grandit d’année en année (8,9 milliards de dollars en 2015). Le souci de garantir un niveau d’aide constant aux millions de personnes relevant du mandat du HCR et à ses partenaires de travail intensifie lui aussi les tensions d’ordre organisationnel ou financier, en l’absence d’un appui financier additionnel. Compte tenu de l’écart grandissant entre les besoins et les financements, il est impératif que le HCR adopte des approches plus innovantes et à long terme pour planifier les besoins des personnes relevant de sa compétence et y répondre, mais aussi pour déterminer comment mobiliser des fonds et auprès de qui.
37. Les programmes septennaux de l’Union européenne couvrent une période tellement longue que des ajustements permanents s’imposent, engendrant des décalages entre la prise des décisions et leur application. A titre d’exemple, le 7 mars 2016, le Conseil européen a appelé à accélérer la mise en œuvre des relocalisations, afin d'améliorer la situation humanitaire en Grèce. Il a par ailleurs approuvé, le 15 décembre, le plan d'action conjoint relatif à la mise en œuvre de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 
			(12) 
			La Déclaration UE-Turquie
du 18 mars 2016 prévoit que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie
au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de
la Turquie vers l'Union européenne. Ce principe est en application
depuis le 4 avril 2016. , qui englobe l'objectif de relocalisation de 2 000 transferts mensuels pour la Grèce. En janvier 2017, seules 13 968 réinstallations sur les 22 504 convenues avaient été réalisées.

4.3. Responsabilité et mise en œuvre

38. Le HCR publie des données financières sur la plateforme Global Focus et le système de suivi financier, parallèlement aux rapports établis régulièrement pour les organes directeurs et les mécanismes de supervision. Cependant, la norme des données n’est pas encore pleinement harmonisée avec celle des autres organismes. Les Nations Unies s’efforcent désormais de régler les problèmes de transparence et de responsabilité, pour faire suite aux engagements du «Grand compromis» convenu lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire (voir ci-dessous). Le but est de publier des données transparentes et harmonisées et de permettre la traçabilité des contributions des donateurs d’ici 2018 (des donateurs au HCR, puis du HCR aux partenaires locaux et internationaux). Le système de suivi financier est géré par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies et collecte des rapports sur les flux d’aide humanitaire soumis par les gouvernements donateurs, les fonds gérés par les Nations Unies, les organismes des Nations Unies, les ONG et d’autres acteurs et partenaires humanitaires, y compris le secteur privé. Il assure la visibilité des contributions financières aux activités humanitaires, une image actualisée des flux de financement entre les donateurs (gouvernements et secteur privé) et les organisations bénéficiaires et un suivi des progrès en termes de financement des plans d’intervention humanitaires et des appels pour répondre aux besoins humanitaires.
39. En mars 2016, un rapport de la Cour des comptes européenne sur le financement accordé par l’Union européenne à l’aide humanitaire jusqu’en 2014 
			(13) 
			Cour
des comptes européenne, Les dépenses de l’UE en matière de migration
extérieure dans les pays du voisinage sud-méditerranéen et oriental
jusqu’en 2014, mars 2016: <a href='http://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR16_09/SR_MIGRATION_FR.pdf'>www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR16_09/SR_MIGRATION_FR.pdf.</a> a vivement critiqué les programmes de l’Union européenne, soulignant le défaut d’indicateurs fiables pour les statistiques concernant les migrations irrégulières dans l’Union qui rend difficile toute évaluation de ces programmes. Il relève également une trop forte dilution des financements, des petites sommes étant allouées à un grand nombre de petits projets. Dans d’autres cas, seulement certains volets des programmes ont été mis en œuvre en raison de problèmes de capacité et de gestion sur le terrain. Ce rapport cite comme exemple de projet partiellement efficace le projet de réseau méditerranéen «Seahorse», qui vise à permettre aux gouvernements d’Afrique du Nord de renforcer la surveillance de leurs frontières et de mieux combattre ainsi l’immigration irrégulière et le trafic illicite. Un an après son démarrage, seule la Libye a adhéré au réseau et la mise en œuvre du projet y a été sérieusement compromise par le climat d’insécurité et d’instabilité qui prévaut dans la région. Selon le rapport, cinq projets ont été réalisés avec un retard inférieur à 12 mois, et cinq autres ont connu un retard de plus de 12 mois.
40. Les bénéficiaires finaux de l’aide ont généralement peu de choix ou d’influence quant aux services qui leur sont offerts, et les mécanismes de retour d’information ont eu pour l’heure peu d'impact sur la manière d'exécuter les programmes. Le HCR est désormais déterminé à fournir des informations plus accessibles afin de garantir la mise en place d’un processus efficace de participation et de retour d’informations et la prise en compte, dans les décisions liées à la conception et la gestion, des avis des communautés et personnes touchées. Par ailleurs, les donateurs devront dorénavant accepter que les programmes puissent être adaptés en fonction des commentaires des communautés.

5. Conclusions et recommandations

41. Le «Grand compromis» convenu lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire en mai 2016 entre les 15 principaux donateurs des Nations Unies et les 15 principaux fournisseurs d’aide, vise à réduire le déficit de financement humanitaire et établit une feuille de route pour améliorer les réponses globales au problème du financement humanitaire d’urgence. Ses dix principaux engagements incluent une augmentation des financements prévisibles et flexibles et une amélioration de la fourniture de l’aide humanitaire, avec pour objectif au cours des cinq prochaines années d’économiser un milliard de dollars par des gains d’efficacité et de le consacrer à l’action humanitaire directe. L’accord a fait suite au rapport du Groupe de haut niveau sur le financement de l'action humanitaire au Secrétaire général des Nations Unies, publié en janvier 2016 
			(14) 
			«Too Important to fail
– addressing the humanitarian funding gap» (Trop important pour
échouer – Répondre au déficit de financement humanitaire), rapport
du Groupe de haut niveau sur le financement de l'action humanitaire
au Secrétaire général des Nations Unies, janvier 2016..
42. Les engagements sont les suivants:
  • une transparence accrue;
  • davantage de soutien et de financement pour les organismes locaux et nationaux d’intervention (avec pour objectif de leur transférer au moins 25 % des dépenses de programme et d’alléger les obstacles administratifs posés aux partenariats);
  • un renforcement de l’utilisation et de la coordination des programmes de transferts monétaires;
  • une réduction des redondances et des frais de gestion;
  • une rationalisation des données, accompagnée de la réalisation d’évaluations conjointes et impartiales des besoins par des spécialistes;
  • une «révolution de la participation» afin d’associer les personnes qui reçoivent l’aide aux prises de décisions qui influent sur leurs vies;
  • un recours accru aux financements et à la programmation pluriannuels de l’action humanitaire s’appuyant sur des mécanismes collaboratifs;
  • une réduction de la préaffectation des contributions des donneurs (afin de répondre aux urgences de manière plus flexible);
  • une harmonisation et simplification des exigences de notification d’ici la fin 2018;
  • une multiplication des contacts entre les acteurs de l’humanitaire et ceux du développement.
43. Combiné à la nécessité de maintenir les besoins et droits fondamentaux des migrants arrivant en Europe au premier plan des politiques de financement de l’action humanitaire, et d’encourager les Etats membres à renforcer le partage du fardeau et la solidarité, ces engagements, s’ils sont mis en œuvre, devraient faciliter le règlement de la crise des migrations et contribuer à des solutions durables permettant à l’avenir de faire face aux flux migratoires.