1. Introduction
1. Le développement des nouvelles
technologies dans le domaine médical est exponentiel: les découvertes
récentes en matière de génome humain et de génétique ont ouvert
la voie à un nouveau paradigme. Si cette connaissance améliorée
de la constitution de l'être humain s'accompagne de possibilités encourageantes
de diagnostic, de traitement – voire d'éradication de maladies dans
l'avenir, elle peut présenter des risques des points de vue de l'éthique
et des droits humains du fait des techniques utilisées.
2. Je pense qu’il est urgent de mener un débat politique sur
les avancées des technologies génétiques, dont certaines font déjà
l’objet d’applications sur les êtres humains. C'est pourquoi j’ai
encouragé la commission des questions sociales, de la santé et du
développement durable à déposer une proposition de recommandation
sur la question en novembre 2015,
et je me félicite des deux auditions organisées par notre commission
sur ce thème. La première, intitulée «La fabrication d'une nouvelle
espèce humaine?», en octobre 2015, a réuni des scientifiques, des
responsables politiques et un représentant du Comité de Bioéthique
du Conseil de l'Europe (DH-BIO)
. La deuxième,
sur «Le recours aux nouvelles technologies génétiques chez les êtres
humains», en janvier 2017, a réuni un autre groupe d’experts et
de représentants.
3. Mon propos, dans le présent rapport, est d'étudier, du point
de vue de la santé, de l'éthique et des droits humains, les risques
et les défis liés à l'utilisation et à la réglementation de ces
techniques en vue d'adresser des recommandations appropriées au
Comité des Ministres sur les mesures qui pourraient être prises
pour établir un cadre commun applicable à l'utilisation de ces technologies
.
2. La situation actuelle
2.1. Droit
international et travaux d'organisations internationales et régionales
4. Le Conseil de l'Europe a pour
mandat de promouvoir et de protéger les droits humains, la démocratie
et l'État de droit. Parce qu'il reconnaît la subsidiarité et a pour
mission de promouvoir les bonnes pratiques dans les États membres,
il est idéalement placé pour remédier aux atteintes éventuelles
aux droits humains à l'échelle européenne
.
5. La «Convention d’Oviedo», ou Convention de 1997 du Conseil
de l'Europe pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité
de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de
la médecine: Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine
(STE no 164), définit le cadre légal
européen de protection des droits humains dans le domaine de la
biomédecine, et a valeur contraignante pour les 29 États membres
qui l’ont ratifiée.
6. Ce traité doit servir de référence dans le recours au génie
génétique. L’article 13 de la Convention dispose: «Une intervention
ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise
que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques
et seulement si elle n'a pas pour but d'introduire une modification
dans le génome de la descendance.» De plus, «lorsque la recherche
sur les embryons in vitro est admise
par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon»
(article 18.1), et la constitution d’embryons humains aux fins de
recherche est interdite par l’article 18.2.
7. La Convention d’Oviedo ne prend pas position sur la recherche
génomique sur des embryons humains. Toutefois, il est communément
admis que son article 13 interdit de fait le transfert d’un embryon
portant des modifications (intentionnelles) du génome dans l’utérus
d’une femme en vue de donner naissance à un enfant
.
8. L’article 28 de la convention exige que les Parties «veillent
à ce que les questions fondamentales posées par les développements
de la biologie et de la médecine fassent l'objet d'un débat public
approprié». L’article 32.4 demande de tenir compte des évolutions
scientifiques, et cette mission a été confiée au Comité de Bioéthique,
qui représente 47 États d’Europe. A sa 8e réunion,
du 1er au 4 décembre 2015 à Strasbourg, ce
Comité a adopté une «Déclaration sur les technologies de modification
du génome
», dans laquelle il s’est déclaré «convaincu
que la Convention d’Oviedo énonce des principes qui peuvent être
des références pour le débat sollicité au niveau international sur
les questions fondamentales soulevées par ces récents développements
technologiques» et a décidé, dans le cadre de son mandat, qu’il
«examinera les enjeux éthiques et juridiques soulevés par ces technologies
émergentes de modification du génome, à la lumière des principes
établis par la Convention d’Oviedo.» Ce travail est en cours, et
pourrait conduire à un amendement de la convention, comme prévu
dans son article 32.
9. L'Assemblée parlementaire a commencé à travailler sur cette
question il y a plus de trente ans, et a adopté deux textes: la
Recommandation 934 (1982) sur l'ingénierie génétique et la
Recommandation 1512 (2001) sur la protection du génome humain par le Conseil de
l'Europe.
11. Peu de temps après, un groupe international de chercheurs
réuni à Washington en décembre 2015 pour le «Sommet international
sur la modification des gènes humains» a également appelé à un moratoire
sur les modifications transmissibles. La réunion était organisée
par l’Académie nationale des sciences et l’Académie des médecine
des États-Unis, l’Académie chinoise des sciences et la Royal Society
de Londres
.
12. Pour finir, il existe des réglementations nationales, même
si très peu de pays légifèrent sur les nouvelles technologies, essentiellement
parce que la technologie progresse plus vite que les autorités de
régulation. Toutefois, l'absence de réglementation se traduit par
une absence de contrôle de la technologie. Souvent les acteurs en
cause «autorégulent» la technologie, ce qui va à l’encontre du principe
largement reconnu de la nécessité d’un contrôle par un organe indépendant
(et transparent).
13. Très récemment, la commission sur la modification du génome
humain instituée par l’Académie nationale des sciences et l’Académie
nationale de médecine des États-Unis a finalisé un rapport intitulé «Human
Genome Editing: Science, Ethics, and Governance» (La modification
du génome humain: science, éthique et gouvernance
)
qui énonce un certain nombre de principes et de recommandations
pour la gouvernance de la modification du génome humain. Ceux-ci
pourraient, à long terme, devenir les normes mondiales de fait.
En parallèle, le Conseil consultatif scientifique des académies
des sciences européennes (EASAC) a également finalisé un rapport
intitulé «Genome editing: scientific opportunities, public interests
and policy options in the European Union» (Modification du génome:
opportunités scientifiques, intérêts publics et options politiques
au sein de l’Union européenne), qui formule différentes recommandations
politiques, notamment en ce qui concerne la modification germinale
(héréditaire) du génome humain
.
2.2. Le
point sur l'application des nouvelles technologies génétiques aux
êtres humains
14. Le génome humain est l’ADN
complet avec les 23 paires de chromosomes présentes dans le noyau
des cellules, auxquelles s’ajoute une petite molécule d’ADN que
renferment les mitochondries. À l’issue de la cartographie du génome
humain, qui s’est terminée en 2003, environ 3 milliards de bases
du code ADN ont été analysées, et quelque 20 000 gènes humains ont
été identifiés et cartographiés (grâce aux systèmes bioinformatiques
et à la recherche expérimentale). De nombreuses lacunes subsistent
encore dans la séquence, et la fonction de nombreux gènes reste
totalement inconnue, y compris la régulation fondamentale des gènes
pour la croissance et la reproduction des cellules
.
15. Le terme maladie génétique désigne tout trouble lié à une
anomalie dans le génome d’une personne. Certaines maladies génétiques
sont héritées des parents, d’autres sont provoquées par des changements acquis,
ou mutations. Le défaut n’est transmis que s’il survient dans les
cellules germinales. Plus de 4 000 maladies humaines sont provoquées
par des défauts dans un seul gène, dont la forme est reconnaissable
(autosomiques dominantes, autosomiques récessives, liées à l'X),
mais la majorité des maladies font intervenir plusieurs gènes et
l’influence de l’environnement.
16. La récente mise au point d’une nouvelle technologie, un outil
de modification du génome baptisé CRISPR-Cas9, permet de modifier
l’ADN plus rapidement, à moindre coût et plus précisément que les techniques
antérieures
.
L’outil fonctionne comme des «ciseaux moléculaires», sur un site
«spécifique» de l’ADN, et serait capable d’exciser une mutation
génétique afin de la remplacer par la séquence génétique correcte.
Toutefois, si l’excision est très efficace pour un gène ciblé, l’étape
de recombinaison homologue qui intervient plus tard dans la reproduction
des cellules est plus difficile à réparer que le gène défectueux,
ce qui engendre des problèmes potentiels de précision associés à
des conséquences non souhaitées («cibles manquées»).
17. Pour certaines maladies génétiques (rares) associées à l’ADN
mitochondrial hérité de la mère, une thérapie de remplacement mitochondrial
a été mise au point pour éviter la transmission des maladies correspondantes.
Deux méthodes le permettent: le transfert pronucléaire
et le
transfert de fuseau maternel
. D’un point de vue génétique,
un enfant né par cette dernière procédure a trois parents (le troisième fournit
le nouvel ADN mitochondrial sain). Bien que les traits d'un enfant
soient hérités de l'ADN nucléaire de ses parents et non de l'ADN
mitochondrial, les interactions et les fonctions entre le génome
du noyau et les mitochondries sont cependant encore mal comprises.
18. Le premier bébé dont les gènes sont issus du transfert pronucléaire
(technique des trois donneurs) est récemment né au Mexique
, et le deuxième, en Ukraine
. Le Royaume-Uni
est devenu, le 29 octobre 2015, le premier pays au monde à autoriser
la naissance de bébés par la technique du transfert pronucléaire
(totalement
interdite aux États-Unis) et l'utilisation aux fins de recherche
d'embryons génétiquement modifiés (par modification du génome).
19. La nouvelle technologie rend également floue la dichotomie,
autrefois stricte, entre cellules somatiques et cellules germinales,
car les premières peuvent aujourd’hui être reprogrammées en cellules
souches pluripotentes, et pourront l’être probablement à l’avenir
en gamètes. Il est même possible d’induire des modifications par
une association de techniques
in vivo et
in vitro, ce qui permet de faire
l’impasse sur les approches conventionnelles du domaine de la thérapie
génique
in vivo .
20. De même, des problèmes surgissent à mesure que les frontières
s’estompent entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée
en génétique. Auparavant, il existait une grande différence entre
la recherche fondamentale en laboratoire ou sur les embryons et
les essais cliniques dont les applications pouvaient aboutir à une
grossesse et à la naissance d'un enfant. Jadis, les nouvelles technologies
génétiques n’étaient utilisées que dans des pays très développés,
mais aujourd'hui la biotechnologie est plus accessible, à un coût
faible, et facilite l'insertion, le retrait et la modification de
gènes humains. En outre, sous l’effet de la mondialisation, les
patients comme les chercheurs peuvent facilement voyager pour se
rendre dans des cliniques privées de pays dépourvus de réglementation
bioéthique (stricte).
21. Un premier article a été publié en mai 2015 sur l’application
des techniques d’édition du génome (CRISPR-Cas9) sur des embryons
humains non viables en Chine
. Février 2016
a vu la première validation au monde d’une autorité nationale de
réglementation pour la recherche sur des embryons humains à l’aide
de techniques d’édition du génome, au Royaume-Uni
. Aux États-Unis, l’Institut national de
la Santé a par contre décidé de ne pas financer le recours aux technologies
de modification du génome pour les embryons humains
. Mais tous ces exemples démontrent
à quel point la modification du génome de la lignée germinale chez
l’être humain commence à sortir du domaine théorique pour entrer
dans les applications de la recherche clinique.
22. Sur le plan des évolutions futures, le diagnostic génétique
préimplantatoire sert généralement à éviter le transfert d'embryons
porteurs d'une maladie génétique dans l'utérus, mais ne peut servir
dans tous les cas
. Dans
cette éventualité, pour éviter de transmettre une mutation néfaste
aux générations suivantes, une nouvelle technologie peut s’avérer
nécessaire à des fins thérapeutiques
.
3. Les
bienfaits et risques potentiels des nouvelles technologies génétiques
23. Les nouvelles technologies
génétiques offrent de nombreuses possibilités d’utilisation positive
qui pourraient s’appliquer aux maladies infectieuses liées à des
virus, à des bactéries, à des prions et à des champignons (par exemple
en rendant les cellules résistantes à l’infection par l’hépatite B
et le VIH). En rapport aussi avec la lutte contre les vecteurs de
maladies comme la maladie à virus Zika ou le paludisme, plusieurs développements
visent déjà à arrêter la reproduction de types de moustiques porteurs
de maladies. En oncologie, un nouveau type de thérapie innovante
qui utilise des cellules immunocompétentes spécifiques reprogrammées
pour cibler et tuer des cellules cancéreuses semble prometteur.
A cela s’ajoute l’utilisation de cellules souches pluripotentes
induites spécifiques à chaque patient (cellules non différenciées
qui peuvent l’être dans un sens ou un autre) en combinaison avec
la modification du génome qui ouvre des perspectives uniques pour
définir des modèles de maladies personnalisés à des fins de recherche.
24. Par ailleurs, il y a de nombreuses utilisations prometteuses
pour la technologie CRISPR-Cas9
: le potentiel
thérapeutique combinerait les dernières avancées technologiques
dans le domaine des cellules souches et les futures applications
cliniques. L’utilisation de cellules souches pluripotentes induites
(CSPi) spécifiques à chaque patient en combinaison avec les avancées
de la biotechnologie et la modification du génome ouvre des perspectives
uniques pour définir des modèles de maladies personnalisés et produire
des tissus pour la médecine régénérative.
25. Toutefois, la mutagénèse (hors cible) indésirable et inexacte
constitue une préoccupation majeure car elle peut causer un cancer
ou des maladies rares et inconnues. Ce risque peut être réduit au
minimum en optimisant la procédure dans le futur, mais même les
petits changements peuvent s’avérer très dangereux et avoir des
conséquences inconnues pour le patient et les générations futures.
Le «mosaïcisme», c’est-à-dire la présence de deux ou plusieurs populations
de cellules avec des génotypes différents, peut lui aussi être la source
de plusieurs problèmes, notamment des maladies rares ou des problèmes
pratiques relatifs à l’identification par l’ADN à des fins de diagnostic,
de test de paternité ou d’identification médico-légale.
26. Le problème est que l’effet des modifications génétiques de
cellules germinales humaines pourrait ne pas être pleinement connu
tant qu’un certain nombre de générations n’ont pas hérité de ces
mutations. Par ailleurs, des risques existent concernant les générations
futures descendant de patients ayant de nouvelles maladies génétiques
s’ils se reproduisent entre eux, en raison de la création d’une
variété de combinaisons de gènes inconnues.
27. Dans un appel à déclarer un moratoire sur la modification
génique d’embryons pouvant conduire à une grossesse
,
des chercheurs concluaient qu’il serait «irresponsable de poursuivre
dans cette voie», tant que les risques ne sont pas mieux compris
et qu’un «large consensus social» ne s’est pas dégagé sur les recherches
– notamment parce que jusqu’à présent notre connaissance des gènes
est très limitée. Cette position a récemment été confirmée de nouveau,
tant par l’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale
de médecine des États-Unis que par l’EASAC. En outre, à ce jour,
aucun test clinique de la correction génique somatique n’a été réalisé
in situ en faisant appel aux techniques
d’édition génique les plus récentes. La recherche sur les thérapies
géniques et les essais cliniques, qui donnent lieu à des milliers
d’études chaque année dans le monde, n’ont pas encore réussi à déterminer
les taux de survie et les résultats en termes d’espérance de vie.
28. La régulation future dépend du contexte et du but visé et
pas seulement de l’ontologie présumée de la cellule ou du tissu
.
La régulation physiologique des gènes modifiés et le rôle de l’épigénèse
doivent être pris en considération. Il y a des changements dans
l’expression des gènes (gènes actifs par opposition aux gènes inactifs)
qui n’impliquent pas de changements de la séquence d’ADN sous-jacente
(comme dans une technique d’édition génique). Par ailleurs, il se
peut que le changement de gènes n’induise qu’une inhibition temporaire
de certaines fonctions.
29. D’autre part, de vives préoccupations ont été exprimées concernant
le risque d’utilisation inappropriée ou abusive de la technologie
dans le but de produire un individu ou un groupe d’individus dotés
de caractéristiques particulières ou de certaines qualités requises
. La thérapie génique germinale pourrait
faire accepter la thérapie génique à des fins d’amélioration du
capital génétique – ce qui ouvrirait des perspectives vers l’eugénisme
(c’est-à-dire, la sélection génétique dans le but d’améliorer les
caractéristiques génétiques). Je pense que l’histoire nous a montré
ce sur quoi cela peut déboucher.
30. Depuis 1980, il est possible de breveter des micro-organismes
en vertu d’accords internationaux. En fait, même durant le projet
du génome, il a été envisagé de breveter l’ADN humain. Dans une
décision historique rendue en juin 2013, la Cour suprême des États-Unis
a conclu que l’ADN sous sa forme naturelle ne peut pas faire l’objet
d’un brevet
, mais qu’il est possible de breveter
les procédures de détection de certains gènes humains, même ceux
capables de causer un cancer. La justice est actuellement saisie
de plusieurs affaires – dont le règlement requiert généralement
plusieurs années – de réclamation en matière de droits de propriété intellectuelle
concernant des technologies d’identification (seul le détenteur
du brevet a le droit de séquencer l’ADN en question) ou de modification
du génome humain, y compris le brevetage controversé de la technologie
CRISPR-Cas9 elle-même
.
31. Bien que cela ne soit pas l’objet essentiel du présent rapport,
je souhaiterais faire remarquer en passant que l’application de
la technologie génétique à la faune et à la flore montre que des
intérêts commerciaux s’intéressent à la question, ce qui est préoccupant,
car cela pourrait avoir de graves conséquences environnementales.
Actuellement, les investissements publics dans cette technologie
ne profitent qu’à de petites entités publiques ou à des sociétés
privées plutôt qu’à la société dans son ensemble.
Les prétentions de
détenteurs multiples de brevets ayant trait au génome font obstacle
à la traduction des découvertes génétiques en bienfaits sur le plan
de la santé, en termes de soins de santé de qualité accessibles
et de coût abordable, ce qui n’est pas sans conséquences sur le
plan des droits humains.
32. Par ailleurs, les scientifiques sont enclins à vouloir chacun
être un pionnier de l’évolution de la technologie génétique, publier
des documents de recherche dans ce domaine et récolter les bénéfices économiques
de leurs travaux (par exemple en participant à une entreprise technologique).
Cela soulève la question de possibles conflits d’intérêt. A mon
avis, la science donne des connaissances, mais les scientifiques ne
devraient pas avoir l’exclusivité des décisions sur les politiques
de recherche (par exemple, les limites à fixer à la recherche) et
sur l’utilisation des résultats de la recherche.
33. On entend souvent dire qu’une transparence totale de la recherche
et des essais cliniques compromettrait la confidentialité des données
du patient et les droits de propriété intellectuelle. Il importe
de publier et de partager les connaissances médicales, y compris
dans ce domaine, tout en protégeant l’anonymat du patient. L’impossibilité
de déterminer que des changements ont été introduits artificiellement
constitue, en fait, une des difficultés associées à la technologie
de l’«édition génique». Cela induit un problème en ce qui concerne
non seulement le traitement des patients ayant subi des changements
génétiques, mais aussi la traçabilité de la faune et de la flore.
34. La recherche sur les animaux est pour l’essentiel réalisée
sur des souris. Cela étant dit, la plupart des avancées récentes
de la technologie génétique n’ont même pas encore fait l’objet d’essais
sur des singes et autres primates (qui partagent 96 % du patrimoine
ADN des êtres humains, tout en affichant 40 millions de différences).
La recherche s’est plutôt appliquée directement à la recherche sur
des patients ou des embryons humains. De plus, l’expérience en recherche
sur les animaux est insuffisante, et la tendance à arrêter la recherche
sur les animaux reste un obstacle dans le domaine de la génétique.
Cependant, il peut s’avérer nécessaire d’accroître la recherche
sur les animaux dans le domaine de la génétique pour éviter des conséquences
dangereuses pour les êtres humains. D’un autre côté, la recherche
sur les animaux comme sur les embryons humains présente l’inconvénient
de ne pas permettre une analyse approfondie des possibles conséquences
des modifications génétiques sur les caractéristiques psychologiques
et comportementales.
4. La
nécessité d’une réglementation internationale et le respect du principe
de précaution
35. La conférence d’Asilomar sur
l’ADN recombinant, tenue en Californie en 1975 sous la houlette
des États-Unis, a examiné les risques biologiques potentiels ainsi
qu’une possible réglementation. C’était la première fois que les
dangers dans le domaine de la génétique faisaient l’objet d’un débat
public. A l’époque, la Conférence s’est concentrée sur l’étude des
risques biologiques et a formulé des recommandations sur la nécessaire
limitation de la recherche sur l’ADN hybride – même si ces recommandations
ont été émises sans l’évaluation politique et pluridisciplinaire
indépendante, équilibrée et transparente préalable qui aurait été souhaitable.
36. A ce jour, la communauté scientifique s’est accordée sur deux
arguments à propos des interventions sur le génome humain, à savoir:
d’une part, les préoccupations liées à la sécurité, fondées principalement
sur les effets collatéraux de l’édition génique (c’est-à-dire les
effets sur d’autres gènes) et, d’autre part, les préoccupations
liées aux droits humains, en particulier en ce qui concerne les
effets sur les générations futures (une modification du génome signifie
une modification du patrimoine commun de l’humanité). Cependant,
une réglementation internationale fait toujours cruellement défaut.
37. Au IVe siècle avant JC, Hippocrate
a établi le principe du «faire du bien, ou au moins ne pas faire
de mal». Les principes de la bioéthique sont la non-maléficience,
la bénéficience, le respect de l’autonomie et la justice. Il importe
d’expliquer que l’autonomie du patient est principalement liée au
consentement informé (qui fait défaut dans le cas des générations
futures) et au principe de justice (égalité d’accès aux soins) qui
va de pair avec un traitement équitable. D’autres principes bioéthiques
ont été formulés sur les soins de santé, tels que l’équité et l’accessibilité
de la nouvelle technologie, la responsabilité des scientifiques
et des professionnels de la santé, la confidentialité des données
sur le patient et la nécessaire réparation en cas de préjudice.
Il importe de trouver le juste milieu entre tous ces principes,
comme dans la Convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe.
38. Le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire conviennent
qu’il est nécessaire de prôner «une culture de la précaution qui
intègre cette dernière au sein des processus de recherche scientifique,
dans le respect de la liberté de recherche et d’innovation»
.
Dans ce contexte, le Comité des Ministres a rappelé en 2008 les
engagements pris par les Chefs d’État et de Gouvernement du Conseil
de l’Europe dans la Déclaration finale du 3e Sommet
du Conseil de l’Europe, consistant à «garantir la sécurité [des]
citoyens dans le plein respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales» et à relever, dans ce contexte, «les défis inhérents
aux progrès de la science et de la technique».
39. Selon la définition retenue par l’Union européenne, le principe
de précaution permet de réagir rapidement grâce à des prises de
décision préventives en cas de risque, tel qu’un possible danger
pour la santé humaine, notamment lorsque les données scientifiques
ne permettent pas une évaluation complète du risque
. Le risque zéro n’existant
pas, les mesures doivent être proportionnées au risque conformément
au principe de précaution. Cependant, en raison du manque de connaissances
fondées sur des preuves en ce qui concerne les conséquences des
nouvelles technologies génétiques, le calcul du risque dans ce domaine est
assez difficile. Néanmoins, toute réglementation dans ce domaine
devrait se fonder sur le principe de précaution plutôt que sur le
principe de prévention
,
qui ne va pas aussi loin en termes de protection contre de possibles
dangers.
40. Sur ce point, il est très utile de disposer au plan national
d’organes consultatifs, tels que des académies et des collèges de
scientifiques ou autres, en mesure de procéder à une évaluation
du risque associé aux utilisations possibles de la technologie en
prenant en considération les conséquences pour les nouveau-nés, les
générations futures, les patients eux-mêmes ou l’environnement.
Cette évaluation du risque devrait être rendue publique, afin de
mettre en évidence certains dangers et les limites de la recherche.
41. Malheureusement, ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui:
un groupe chinois a fait approuver le premier essai clinique utilisant
la technologie révolutionnaire CRISPR–Cas9
. Ce groupe a modifié des cellules
immunitaires
in vitro pour
attaquer des cellules cancéreuses, sans que ces changements du génome de
la cellule ne se transmettent à la génération suivante, ce qui veut
dire que les éventuels effets collatéraux (par exemple l’attaque
de cellules normales) ne toucheront que le patient. Pour un essai
clinique similaire, les États-Unis suivent la procédure d’approbation
axée sur un panel consultatif de l’US National Institute of Health (Institut
national de la santé des États-Unis), qui a déjà approuvé le projet,
l’US Food and Drug Administration (FDA – organisme de surveillance
des aliments et des médicaments des États-Unis) et le comité d’examen
de l’université concernée. De son côté, la Chine suit principalement
le système d’approbation axé sur le comité d’examen interne de l’hôpital,
sans se plier aux exigences de transparence ou de respect des droits
humains. Il existe un réel danger que les pays s’engagent dans une
course pour être les premiers, sans prendre en considération l’aspect
des droits humains, l’analyse bioéthique et les possibles conséquences.
42. En Europe, certains pays se sont dotés d’un comité spécialement
chargé de la médecine de la reproduction: par exemple, au Royaume-Uni,
la loi sur l’embryologie et la fécondation humaines a établi en 1990
la Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA – autorité
britannique pour la fécondation et l’embryologie humaines), qui
apporte des réponses juridiques au progrès scientifique. Rares sont
les autres pays qui disposent d’un organe national chargé de réglementer
les nouvelles avancées scientifiques ou d’une législation spécifique
sur l’édition génique
.
43. Le rapport sur «La modification du génome humain: science,
éthique et gouvernance» établi par la commission sur la modification
du génome humain de l’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale
de médecine des États-Unis propose les sept principes fondamentaux
suivants
, qui devraient sous-tendre les
systèmes de surveillance de modification du génome humain, la recherche
dans ce domaine et les utilisations cliniques auxquelles elle donne
lieu: la promotion du bien-être, la transparence, la vigilance, la
responsabilité de la communauté scientifique, le respect de la personne,
l’équité et la coopération transnationale
.
S’il est difficile de critiquer ces principes (en dehors du fait
que, de mon point de vue, ils devraient s’accompagner d’autres principes
au moins aussi importants, tels que le respect des droits humains et
le principe de précaution), leur application au domaine de «la modification
transmissible du génome» donne cependant lieu à des recommandations
plus discutables. Ainsi, dans la conclusion du rapport, il est notamment indiqué
qu’il convient de faire preuve de prudence dans les essais de modifications
transmissibles du génome, ce qui ne veut pas dire que de tels essais
doivent être interdits
.
S’ensuivent alors des recommandations pour l’établissement d’un
«cadre réglementaire solide et efficace» qui devrait autoriser les
essais cliniques impliquant une modification du génome de la lignée
germinale. Cependant, la commission sur la modification du génome
humain reconnaît elle-même qu’il serait surprenant que tout le monde
adhère à cette recommandation
.
En effet, le Président de l’EASAC a déclaré que ces recommandations
étaient «controversées» et nécessitaient «un engagement public beaucoup
plus important de la part des communautés scientifique et médicale
afin de débattre des diverses questions et perspectives
».
44. Fait intéressant, le dernier point de cette recommandation
(5-1) concerne la mise en place de «mécanismes de surveillance fiables
afin de prévenir l’extension de l’usage de telles techniques à des
fins autres que la prévention d’une maladie ou d’une anomalie génétique
grave»
.
Là aussi, la Commission reconnaît que «d’aucuns pensent que le dernier
point (…) ne pourra pas être respecté» et qu’une fois que l’on aura
donné le feu vert à la modification du génome de la lignée germinale,
les mécanismes de régulation mis en place ne pourront limiter les
usages de ces techniques à ceux qui sont énoncés dans la recommandation. De
fait, la commission conclut que si le dernier point de cette recommandation
ne peut être respecté, la modification du génome de la lignée germinale
ne saurait être autorisée de son point de vue.
45. La commission reconnaît aussi que la modification du génome
de la lignée germinale soulève également des inquiétudes liées aux
usages prématurés ou non probants de cette technologie et, par conséquent,
à l’apparition de «paradis réglementaires» où la législation dans
ce domaine serait plus laxiste, voire inexistante, et où les «prestataires»
ou les «clients» pourraient être tentés de se rendre pour profiter
des techniques dont l’usage est limité sur d’autres territoires.
En conséquence, la commission souligne la nécessité d’une réglementation
complète
qui, selon
moi, devrait idéalement être adoptée au niveau international et reposer
sur un modèle établi par le Conseil de l’Europe.
46. Concernant l’éventuelle utilisation clinique des interventions
germinales, l’EASAC parvient à une conclusion similaire : «Ces applications
soulèvent plusieurs questions importantes, parmi lesquelles le risque de
modification erronée ou incomplète, la difficulté de prédire les
effets indésirables, l’obligation de tenir compte à la fois des
individus et des générations futures qui porteront ces modifications
génétiques, et la probabilité que les améliorations biologiques
au-delà de la prévention et du traitement de maladies puissent exacerber
les inégalités sociales ou être utilisées de manière coercitive.
Il serait irresponsable de continuer, à moins que et jusqu’à ce
que les questions d’éthique, de sûreté et d’efficacité soient résolues
et qu’un consensus sociétal vaste soit atteint
.»
5. Conclusions
et recommandations
47. Bien que les sciences génétiques
se développent rapidement, nous commençons tout juste à comprendre
ce domaine, de nombreux travaux de recherche tentant de déterminer
les fonctions génétiques et des traitements possibles pour les maladies
génétiques et héréditaires. Nous devons évaluer les possibles risques
et conséquences de l’application de ces nouvelles technologies,
à travers une évaluation politique et pluridisciplinaire indépendante,
équilibrée et transparente. Le grand public doit être correctement
informé aux fins d’un large débat public concernant l’état des connaissances
scientifiques sur les nouvelles technologies génétiques. Les droits
humains, y compris les principes bioéthiques, la prééminence du
droit et les principes démocratiques doivent faire partie intégrante
de ce débat.
48. Les parlementaires, les autorités réglementaires et les organes
publics concernés doivent se faire conseiller par des organes spécialisés
(c’est-à-dire qui possèdent les connaissances nécessaires sur les nouveaux
progrès de la science) et indépendants. Les États membres doivent
définir une position claire sur l’utilisation pratique des nouvelles
technologies génétiques, en en fixant les limites et en promouvant
des pratiques exemplaires et responsables dans le plein respect
du principe de précaution. L’absence de réglementation ne doit pas
être une option. Il convient que les États membres arrêtent au plus
tôt une position (y compris des mesures préventives), à défaut de
quoi les technologies seront largement appliquées sans une analyse
appropriée.
49. On observe une explosion des études génétiques et des informations
sur les «big bio-data», qui doivent être mieux comprises avant d’être
appliquées aux cellules reproductrices humaines ou aux nouveau-nés,
les conséquences d’une telle application étant inconnues à l’heure
actuelle. On ne peut pas encore considérer que la création d’un
embryon avec une modification du génome et son implantation dans
un utérus constituent une pratique sûre. Les êtres humains ne doivent
pas être utilisés comme des objets d’expérimentation sans une connaissance
des conséquences fondée sur des essais sur des animaux, dans un
contexte où la recherche et les expérimentations animales utilisant
les nouvelles technologies génétiques sont insuffisantes. Le moratoire
volontairement décrété et observé sur les changements du génome
humain susceptibles d’être transmis à la descendance doit donc être
maintenu. Dans les États qui n’ont pas encore mis en place de moratoire de jure ou d’interdiction, il devrait
être intégré dans la législation ou la réglementation sur cette question
afin de garantir qu’il ne puisse être levé que par l’État (et non
par un scientifique ou un groupe de scientifiques). Malheureusement,
la science progresse à un tel rythme que cela pourrait s’avérer
irréaliste.
50. On peut soutenir que la modification intentionnelle du génome
humain franchit des limites jugées éthiquement inviolables. Cependant,
je ne pense pas que nous parviendrons à nous mettre d’accord sur
la question de savoir s’il convient de ne mettre en place qu’un
moratoire sur le recours délibéré à la modification du génome humain
ou s’il convient plutôt d’interdire de telles pratiques, comme le
fait la Convention d’Oviedo. En outre, l’interdiction actuelle,
dans toute l’Union européenne
et
de nombreux États membres du Conseil de l’Europe, des interventions
visant à modifier le génome humain n’empêchera pas la naissance
ailleurs de bébés dont le génome aura été modifié. L’Académie nationale
des sciences et l’Académie nationale de médecine des États-Unis
ont récemment énoncé un certain nombre de principes et de recommandations
pour la gouvernance de la modification du génome humain qui, à terme,
pourraient devenir les normes mondiales de fait si l’Europe n’est
pas à même de proposer de meilleure alternative.
51. Je pense qu’un cadre juridique international est nécessaire
pour fixer les limites et compléter les lois et les règlements au
plan national. L’Europe devrait prendre la tête des opérations en
la matière en établissant un cadre réglementaire et juridique commun
prenant dûment en compte les bénéfices et risques potentiels de ces
technologies, d’une part, et l’objectif d’éradiquer ou de traiter
certaines maladies graves, d’autre part, tout en prévenant les abus
ou les effets indésirables de la technologie génétique sur l’être
humain. Le Conseil de l'Europe est idéalement placé pour concevoir
un tel cadre, qui, s’il est suffisamment convaincant et accepté
en Europe, pourrait devenir la norme mondiale.
52. Un cinquième du génome humain fait l’objet de revendications
de brevet, lesquelles constituent un obstacle de taille à la recherche,
au diagnostic et à l’application thérapeutique. Nous avons besoin
d’une nouvelle législation pour empêcher toute reconnaissance de
droits de propriété intellectuelle en rapport avec l’identification
et la modification du génome humain. Les investissements publics
dans cette technologie ne profitent qu’à de petites entités publiques
ou à des sociétés privées plutôt qu’à la société dans son ensemble, alors
que les sciences humaines et la médecine doivent être une source
ouverte de savoirs partagés. L’intérêt général doit prévaloir sur
les intérêts particuliers, tout en prenant garde à ne pas «sacrifier»
l’individu au nom d’un bien commun perçu.
53. Par conséquent, je suis d’avis que l’Assemblée parlementaire
devrait recommander au Comité des Ministres de suivre une approche
en cinq étapes qui soit compatible avec les opinions divergentes
dans et entre les 47 États membres, tout en garantissant un résultat
qui soit conforme aux valeurs et principes de l’Organisation. La
première de ces étapes consisterait à exhorter les États membres
qui n’ont pas encore ratifié la Convention d’Oviedo à le faire le
plus rapidement possible ou, au minimum, à interdire au niveau national les
grossesses induites à partir de cellules germinales ou d’embryons
humains dont le génome a été modifié de manière intentionnelle.
54. La deuxième étape serait d’encourager la tenue d’un débat
public ouvert et éclairé sur le potentiel médical et les conséquences,
du point de vue de l’éthique et des droits humains, de l’application
des nouvelles technologies génétiques aux êtres humains, de sorte
à établir une base axée sur des faits et démocratique pour la troisième
étape, à savoir une évaluation, par le Comité de Bioéthique du Conseil
de l’Europe, des enjeux éthiques et juridiques que posent les technologies
émergentes de modification du génome, à la lumière des principes
énoncés dans la Convention d’Oviedo et dans le respect du principe
de précaution.
55. La quatrième étape serait le développement par le Conseil
de l’Europe d’un cadre réglementaire et juridique commun qui prenne
dûment en compte les bénéfices et risques potentiels de ces technologies,
d’une part, et l’objectif d’éradiquer ou de traiter certaines maladies
graves, d’autre part, tout en prévenant les abus ou les effets indésirables
de la technologie génétique sur l’être humain. Enfin, la cinquième
étape consisterait à rendre le pouvoir aux États membres, qui seraient
invités à élaborer, sur la base du débat public, de l’évaluation
du Comité de Bioéthique et du cadre juridique et réglementaire défini,
une position nationale claire sur l’utilisation pratique des nouvelles
technologies génétiques, en en fixant les limites et en promouvant
de bonnes pratiques en la matière. Notre principale difficulté dans
ces travaux est le temps, qui ne joue pas en notre faveur.