1. Introduction
1. Les attaques de Cologne et
dans d’autres villes européennes la nuit du 31 décembre 2015 au1er janvier 2016
ont durablement marqué les esprits. Selon la police, 1 200 femmes
auraient été victimes de harcèlement et de violences sexuelles en
Allemagne cette nuit-là
. De nombreuses victimes ont porté
plainte afin non seulement de poursuivre les auteurs de ces violences
mais aussi de briser le silence qui les entourent.
2. Si leur ampleur est inégalée à ce jour en Europe, ces attaques
ne sont pas un événement isolé. Trop souvent encore, nous pouvons
lire dans les journaux des histoires de harcèlement et de violences
sexuelles ou en être témoin dans la rue ou en prenant les transports
en commun. Les réactions des passants et autres passagers sont rares,
que ce soit dans les cas de harcèlement ou de violences sexuelles.
Ces violences quotidiennes dans l’espace public seraient devenues
«banales et invisibles», selon Marylène Lieber, docteur en sociologie
et professeure associée en études sur le genre à l’université de
Genève
.
3. Les témoignages recueillis en ligne sur diverses plateformes
sont édifiants et appuient cette thèse. Le harcèlement en particulier
est devenu un fait commun, que ce soit dans la rue, sur le lieu
de travail ou à l’université. Il est minimisé lorsqu’il est dénoncé,
les femmes étant accusées de ne pas savoir accepter un compliment
et de ne plus faire de différence entre tentative de séduction peut-être
peu élégante et harcèlement. Les commentaires à la suite de la publication
d’articles sur le harcèlement reflètent bien cette volonté de minimiser
le phénomène.
4. Afin d’éviter de recevoir des remarques désobligeantes ou
pire, se faire agresser, des femmes et des jeunes filles choisissent
de s’habiller de façon à cacher leurs formes avant d’emprunter les
transports publics. Ces violences créent donc un sentiment de crainte
qui non seulement exaspère mais peut aussi modifier les habitudes,
les comportements ou un mode de vie, remettant en cause la place
des femmes dans l’espace public et leur liberté d’y circuler sans
contraintes.
5. Le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public
ne sont pas propres à quelques pays. En effet, les résultats de
l’enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
indiquent que depuis l’âge de 15 ans entre 45 % et 55 % des femmes
dans l’Union européenne ont été victimes de harcèlement sexuel et
une femme sur trois a été victime de violence physique ou sexuelle
. Le phénomène est
donc universel et peut toucher toutes les femmes.
6. Le présent rapport touche aux questions fondamentales d’égalité
entre les femmes et les hommes, de vivre-ensemble et de respect
mutuel. Il fait suite à celui de M. Jonas Gunnarsson sur les «Attaques
récentes contre des femmes: nécessité d'une communication objective
et d'une réponse globale», débattu en séance plénière de l’Assemblée
parlementaire lors d’un débat d’urgence en janvier 2016
. La commission sur l’égalité et
la non-discrimination a été saisie pour rapport par l’Assemblée
dans le cadre du suivi à apporter à ce rapport
.
2. Objectifs et portée du rapport
7. Ce rapport traite de la question
des violences sexuelles et du harcèlement de rue, dans les transports, lors
d’événements publics et dans l’espace public en général
. Il se concentre
sur les moyens de lutte contre ces violences, leur impact sur les
victimes et la nécessité de réfléchir à l’occupation de l’espace
public. Est-ce que femmes et hommes occupent l’espace public de
la même façon? Sinon, quelle est la place des femmes dans cet espace?
Est-ce un endroit pour tous ou est-il réservé à quelques hommes
qui méprisent des dizaines d’années d’émancipation et d’autonomisation?
L’occupation de l’espace urbain est-elle genrée?
8. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j’ai tenu des
rencontres bilatérales lors des parties de session à Strasbourg,
notamment avec Mme Sophie-Anne Dirringer,
Déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité (Bas-Rhin),
M. Thomas Foerhlé, Directeur de l’organisation SOS Femmes Solidarité,
et Mme Françoise Bey, Adjointe au maire
de Strasbourg en charge des droits des femmes. Ces rencontres m'ont fait
découvrir les dispositifs mis en place en Alsace afin de lutter
contre les violences sexuelles et le harcèlement dans l'espace public.
9. J’ai également effectué une visite d’information à Cologne
le 14 février 2017 où j’ai rencontré le procureur de la ville, le
chef de la police et son équipe travaillant sur la lutte contre
les violences sexuelles, le président de la Commission d’enquête
spéciale du Parlement régional de Nordrhein-Westfalen sur les violences
de la Saint Sylvestre 2015-2016, une représentante de la mairie
et plusieurs organisations non gouvernementales (ONG). Cette visite
m’a permis de faire le point sur les résultats de l’enquête susmentionnée
et de voir quelles actions ont été entreprises depuis afin de prévenir
le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public.
10. Enfin, la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a tenu une audition le 20 mars 2017 à Paris avec la participation
de Mme Chris Blache, consultante en ethno-sociologie,
co-fondatrice de Genre et Ville (Paris) et de Mme Jo-Ann
Enright, Responsable de communication, coordinatrice de campagne
au sein de l’organisation ActionAid Irlande.
11. Je tiens à remercier toutes ces personnes qui ont accepté
de me rencontrer et de partager leur expérience, ainsi que les membres
de la commission pour leurs contributions. Je tiens également à
remercier le secrétariat de la délégation allemande auprès de l’Assemblée
parlementaire pour son précieux soutien dans la préparation de la
visite d’information à Cologne. Le sujet reste sensible en Allemagne,
cette nuit ayant même été qualifiée de nuit ayant profondément changé
le pays, mais j’ai pu discuter ouvertement des événements, des éventuels
manquements des autorités dans leur gestion et des réactions qui
ont suivi.
12. J’espère que ce rapport contribuera à faire prendre conscience
de la nécessité d’agir face au harcèlement et aux violences sexuelles
dans l’espace public, non seulement aux autorités publiques, mais aussi
aux ONG et à toute personne pouvant se trouver à un moment donné
témoin de faits de violence.
3. Harcèlement
de rue et violences sexuelles
3.1. Définitions
13. Le harcèlement est une forme
de violence à l’égard des femmes souvent ignorée ou considérée comme étant
moins grave que les violences physiques. Pourtant, l’article 34
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»)
le condamne fermement. En vertu de cet article, les Etats Parties
sont tenus de prendre les «mesures législatives ou autres nécessaires
pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement,
d’adopter, à plusieurs reprises, un comportement menaçant dirigé
envers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa
sécurité». Le harcèlement, qui est la manifestation d’une volonté
de domination, se caractérise par des insultes, des commentaires
sur l’apparence physique, des menaces et des propos injurieux qui
visent à créer un sentiment d’insécurité.
14. Dans son avis
sur le harcèlement sexiste
et les violences sexuelles dans les transports en commun, le Haut
Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (France) propose
une définition relativement complète du harcèlement sexiste: «Le
fait d’imposer tout propos ou comportement, à raison du sexe, de
l’orientation ou de l’identité sexuelle supposée ou réelle d’une
personne, qui a pour objet ou pour effet de créer une situation intimidante,
humiliante, dégradante ou offensante portant ainsi atteinte à la
dignité de la personne. Il peut prendre des formes diverses comme
par exemple des sifflements ou des commentaires sur le physique,
non punis par la loi, ou des injures, punies par la loi.» D’après
le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, «les
violences sexuelles recouvrent l’exhibition et le harcèlement sexuel
ainsi que les agressions sexuelles (mains aux fesses, frottements)
dont le viol».
15. La Convention d’Istanbul condamne également les violences
sexuelles. Son article 36 demande aux Parties d’ériger en infraction
pénale la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, les
autres actes à caractère sexuel non consentis et le fait de contraindre
autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis
avec un tiers. Cet article met aussi l’accent sur la question du
consentement, qui doit être donné volontairement.
16. Afin de prévenir et de lutter efficacement contre le harcèlement
et les violences sexuelles dans l’espace public, il est essentiel
de ratifier et de mettre en œuvre sans plus attendre la Convention
d’Istanbul. Les législations nationales devraient ériger ces violences
en infraction pénale, indépendamment de l’identité de l’auteur ou
de l’endroit où les violences se sont produites, et mentionner explicitement
l’importance du consentement.
3.2. Illustration
du problème
17. Pour illustrer le problème,
je voudrais me pencher sur l’étude de quelques faits marquants ces
dernières années, y compris des reportages et études, ayant contribué
à lancer un débat public sur le harcèlement de rue et les violences
sexuelles, et à faire évoluer les mentalités sur ces questions.
18. Les attaques contre les femmes la nuit du 31 décembre 2015
au 1er janvier 2016 à Cologne ont suscité de
nombreuses discussions et fait indéniablement entrer la question
des violences faites aux femmes dans l’espace public dans le débat
politique. M. Jürgen Mathies, Chef de la police de Cologne, a confirmé
lors de notre rencontre le 14 février 2017 que les forces de police
ont été surprises par ces attaques et par leur ampleur. Elles n’ont
plus eu la situation sous leur contrôle et ont été dépassées par
les événements. M. Jakob Klaas, procureur de la ville de Cologne,
a affirmé que 1 222 plaintes ont été déposées, dont 513 concernant des
agressions sexuelles (28 viols ou tentatives de viol). Ses services
ont utilisé tous les moyens possibles dans le cadre de cette enquête
(267 enquêtes menées en parallèle). Au total, 348 suspects ont été
identifiés, dont 87 en relation avec des agressions sexuelles. A
ce jour, deux suspects ont été reconnus coupables d’agressions sexuelles
(un an d’emprisonnement) et un d’insultes à caractère sexuel.
19. M. Peter Biesenbach, Président de la Commission d’enquête
spéciale du Parlement régional de Nordrhein-Westfalen m’a dit que
la commission d’enquête n’a pas trouvé d’éléments permettant d’affirmer
qu’il s’agissait d’attaques organisées à l’avance. Par ailleurs,
il y aurait eu une répartition inefficace des rôles entre les différentes
forces de police. Entre 1 500 et 2 000 jeunes hommes étaient présents
sur la place de la gare et dans la gare cette nuit-là, contre une
quarantaine de policiers. D’après M. Biesenbach, les renforts de
police n’auraient pas été appelés à temps par le responsable de
la police sur place. Il dénonce un problème de planification et
de coordination des actions. Il regrette le fait que les forces
de police n’ont pas parlé des attaques avant le 4 janvier 2016 alors
qu’elles avaient reçu 200 plaintes dès le 1er janvier.
Dans ce contexte, je tiens à souligner que la police de Cologne
était très bien préparée pour les festivités du Nouvel an 2016-2017
avec une présence de 1 500 policiers et la démonstration d’une politique
de tolérance zéro à l’égard du moindre délit.
20. Ces attaques ont profondément choqué l’opinion publique, contribué
à faire changer les mentalités et indéniablement accéléré le processus
de ratification de la Convention d’Istanbul et l’introduction du
principe «Non veut dire non» dans le Code pénal, qui était en préparation
depuis une dizaine d’années en Allemagne. Il y a eu une véritable
libération de la parole sur les questions de harcèlement et de violences
sexuelles dans l’espace public. Récemment, cette fois à Berlin,
une jeune femme a été bousculée et grièvement blessée dans une station
de métro. Cette agression a fait la une de la presse et a relancé
le débat sur la sécurité des femmes dans l’espace public.
21. En Turquie, le harcèlement et les violences sexuelles dans
l’espace public font aussi l’objet de discussions houleuses. En
septembre dernier, une femme a été agressée dans un bus municipal
à Istanbul parce qu’elle portait un short. Cet événement a suscité
une vague d'indignation et a conduit à des manifestations dénonçant
les violences contre les femmes. Par ailleurs, de nombreuses internautes
ont manifesté leur soutien à la victime, partageant des photos d'elles
en short.
22. Toutefois, l’événement le plus marquant fut sans aucun doute
le meurtre, en février 2015, d’Özgecan Aslan, une jeune étudiante,
par le chauffeur du minibus la ramenant chez elle, qui avait tenté
de la violer. Cet assassinat violent a créé une onde de choc en
Turquie. Dans les jours qui ont suivi, des milliers de personnes, femmes
et hommes confondus, ont manifesté leur indignation dans plusieurs
grandes villes du pays. Deux cent cinquante mille femmes victimes
de viols et de harcèlement ont brisé la loi du silence et témoigné
au sujet des agressions qu’elles ont subies en utilisant le mot-dièse
#sendeanlat («#toiaussiraconte»).
23. En 2015, le Portugal a fait le choix d’ériger le harcèlement
de rue (notamment la formulation de propositions à caractère sexuel)
en infraction pénale afin de lutter contre cette forme de violence (amendements
faits à l’article 170 du Code pénal), la peine pouvant aller jusqu’à
un an d’emprisonnement. Les propos doivent avoir un caractère sexuel
et un simple compliment ne peut pas être considéré comme du harcèlement.
Ce changement législatif a été largement commenté et a fait l’objet
de débats sur la différence entre harcèlement et drague.
24. Le reportage de Sophie Peters «Femmes de la rue», diffusé
à la télévision le 26 juillet 2012, a choqué la société belge en
mettant en lumière un sexisme quotidien. Selon l’enquête «mon expérience
du sexisme»
, 98 %
des femmes belges ont déjà été victimes de harcèlement de rue une
fois dans leur vie
.
Trop souvent, les victimes ne savent pas qu’elles peuvent déposer
plainte et pensent que rien ne peut être fait face au harcèlement.
Pourtant, la loi contre le sexisme dans l’espace public est entrée
en vigueur le 3 août 2014 en Belgique. Elle définit le sexisme comme
«tout geste ou comportement qui, dans les circonstances visées à l’article
444 du Code pénal, a manifestement pour objet d’exprimer un mépris
à l’égard d’une personne, en raison de son appartenance sexuelle,
ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite
essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte
grave à sa dignité». La sanction prévue est «un emprisonnement d’un
mois à un an et une amende de cinquante euros à mille euros», ou
une de ces peines. La victime peut déposer plainte et/ou se constituer
partie civile, et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes
peut faire de même. La victime et l’institut peuvent aussi citer
directement l’auteur des faits devant un tribunal. Un officier de
police judiciaire peut également constater une infraction sur flagrant
délit. A ce jour, il n’y a eu que peu de plaintes pour sexisme déposées.
25. Le harcèlement dans les transports a également fait l’objet
d’études spécifiques. En France, selon l’avis déjà cité du Haut
Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, 100 % des utilisatrices
des transports en commun auraient subi une forme de harcèlement
dans les transports au moins une fois
.
Dans le cadre de l’enquête «femmes et déplacements»
, les témoignages
de 5 218 femmes vivant à Bordeaux ont été recueillis en 2016. Cette
enquête nous démontre qu’il existe un harcèlement massif de nature
sexuelle, raciale, religieuse, homophobe ou lié à une situation
de handicap. Plus de la moitié des femmes interrogées racontent avoir
subi entre deux et cinq faits de harcèlement au cours des douze
derniers mois. L’enquête démontre aussi que les différents modes
de transports posent différents risques. Les femmes à vélo seraient
les plus exposées au risque de harcèlement, notamment lorsqu’elles
s’arrêtent aux feux. Dans les bus, elles se regroupent à proximité
du chauffeur pour se sentir davantage en sécurité. Les étudiantes
sont les principales victimes de harcèlement dans les transports,
étant donné qu’elles utilisent le plus les transports en commun
et qu’elles sortent plus souvent le soir. Un plan d’action de lutte
contre le harcèlement dans les transports en France a été lancé
en juillet 2015, comprenant des campagnes de sensibilisation.
3.3. Impact
psychologique sur les victimes
26. Le harcèlement de rue et le
sentiment d’insécurité qui en résulte représentent indéniablement
une source de stress. Selon l’enquête menée par «Osez le féminisme»
en 2014
, trois quarts des femmes disent adapter
leur comportement: elles baissent le regard, adaptent leur tenue
vestimentaire (i.e. portent une tenue qui n’attirera pas l’attention),
mettent des chaussures de sport pour rentrer le soir afin de ne
pas se faire entendre et de pouvoir courir plus vite. Certaines
décident de mettre des écouteurs sans musique, faisant semblant
de pas entendre les propos injurieux, tout en restant très attentives
à ce qui se passe autour d’elles
. Par ailleurs, elles mettent en place,
consciemment ou inconsciemment, des stratégies d’évitement qui limitent leur
mobilité. Elles choisissent un itinéraire particulier, évitent certains
lieux à certaines heures, limitent les sorties nocturnes, sortent
accompagnées ou évitent d’utiliser les transports en commun. Elles
s’auto-excluent en quelque sorte de l’espace public.
27. Les femmes prennent aussi des mesures afin de se protéger
en cas d’agression. On constate par exemple une popularité grandissante
du krav-maga, une méthode d’auto-défense, dont le but est de mettre l’ennemi
hors d’état de nuire le plus rapidement et le plus efficacement
possible, à mains nues.
28. Le sentiment d’insécurité perçu dans l’espace public peut
aussi avoir pour conséquence un repli sur soi et un sentiment d’isolement.
Les victimes peuvent développer un sentiment de culpabilité car
elles ne se sont pas défendues face à leur agresseur et ressentir
une forte colère, ou encore un sentiment de honte. Elles ne vont
pas forcément en parler ou porter plainte, et vont garder en elles
les émotions ressenties. Les victimes ont aussi une estime de soi
particulièrement altérée et courent le risque de développer des
troubles anxieux, paranoïaques, voire dépressifs. Elles peuvent
souffrir du «syndrome de stress post traumatique» qui se manifeste
par un sentiment permanent de détresse ainsi que des épisodes réguliers
de «flashback» faisant revivre à la victime son traumatisme. Il
est alors nécessaire de travailler avec un thérapeute afin de s’en remettre.
29. Avec le «male gaze» ou regard masculin qui inspecte, certains
hommes observent et jugent le corps des femmes, ce qui revient à
un phénomène d’objectivation, les femmes étant regardées comme des
objets. Subir le «male gaze» peut aussi avoir une auto-objectivation pour
conséquence. Les femmes développent alors un regard extérieur sur
elles-mêmes
et peuvent se déprécier et ressentir
de la honte vis-à-vis de leur corps. L’objectivation sexuelle peut
générer un sentiment d’anxiété et d’insécurité et contribuer à l’émergence
de troubles divers.
30. L’absence de réaction ou l’indifférence des témoins aggrave
l’impact des violences sur les victimes, en renforçant leur sentiment
d’insécurité, de culpabilité et de honte. Par ailleurs, elle fait
renforcer la conviction des auteurs de violences que l’espace public
leur appartient et que tout leur est permis.
31. De prime abord difficile à comprendre, l’absence de réaction
des témoins – qui revient à accepter indirectement les comportements
en question – s’explique par le phénomène du «by-stander effect»
(ou «l’effet du témoin») en psychologie sociale. Ce phénomène met
en évidence l’absence de réaction de la part d’un individu face
à une situation de détresse et ce, uniquement en présence d’une
ou plusieurs personnes. Ainsi, la probabilité qu’un individu porte
secours à une personne en détresse sera plus importante si cet individu
est seul plutôt qu’en présence d’un groupe. La présence d’autres
personnes décourage en quelque sorte la personne qui souhaite intervenir.
Ce phénomène s’explique principalement par le processus de «dilution
de la responsabilité» qui fait référence à une diffusion de la responsabilité
personnelle entre les témoins. Ainsi, face à une personne en danger,
chacun des témoins imagine que son voisin lui portera secours. Il
en résulte qu’aucun des témoins n’agit en conséquence. Un témoin
peut aussi avoir peur d’être victime de violence à son tour.
3.4. Profil
des auteurs
32. Il peut être difficile d’établir
un profil type des harceleurs de rue. Selon l’enquête nationale
menée en 2014 par l’organisme américain «Stop Street Harassment»,
70 % des femmes et 48 % des hommes victimes du harcèlement de rue
identifieraient un agresseur de sexe masculin. Marylène Lieber,
déjà citée, affirme que les harceleurs sont issus de «toutes catégories
sociales, de toutes cultures et de tous âges»
.
Ils ont des profils hétérogènes et ne sont pas systématiquement,
contrairement à ce que pourrait croire la majorité, issus de milieux
défavorisés ou de l’immigration
.
33. Les harceleurs de rue perçoivent la femme comme un objet de
désir qu’ils pourront utiliser à des fins de satisfaction sexuelle.
De nombreux chercheurs font le lien entre les processus d’objectivation
et le phénomène de déshumanisation, qui revient à faire perdre à
un individu son caractère humain. La déshumanisation se manifeste
par le manque d’empathie chez les agresseurs envers leurs victimes,
qu’ils considèrent non plus comme une personne mais comme un objet.
Les auteurs de violence ont souvent peu d’estime envers les femmes
et les considèrent comme une proie facile dans l’espace public.
Ils souhaitent intimider et humilier les femmes afin d’affirmer
leur domination. D’une certaine façon, ils veulent contrôler non
seulement le corps mais aussi la sexualité des femmes.
34. Le harcèlement de rue peut se faire individuellement ou en
groupe. Dans ce dernier cas, nous pouvons parler du phénomène de
«déindividuation», qui correspond à une perte d’identité de l’individu
au sein du groupe. Ce phénomène renforce le statut d’anonymat et
permet aux agresseurs d’accomplir des actes qu’ils n’accompliraient
pas seuls. Par ailleurs, l’effet de groupe aurait tendance à désinhiber
les individus et à diminuer le sentiment de responsabilité individuelle
en cas d’agression, de manière à entraîner un abandon des valeurs
personnelles.
35. En ce qui concerne les auteurs des violences de Cologne, les
victimes et les agents de police présents sur les lieux ont signalé
que la plupart de ces hommes – dont une grande majorité était des
nord-africains
– étaient
sous l’emprise de l’alcool. L’effet de groupe et le seuil de
self-control apparemment très bas
de ces individus, probablement à la suite d’excès de consommation
d’alcool et de drogues, ont certainement été des facteurs qui ont
amplifié leur manque d’empathie vis-à-vis de leurs victimes.
36. Comme pour les harceleurs de rue, il est également difficile
d’établir un profil type des auteurs de viols. Toutefois, il est
possible de dégager quelques caractéristiques et traits de personnalité
communs. Souvent, mais pas systématiquement, ces individus ont subi
des abus sexuels ou physiques durant l’enfance. La plupart du temps,
ils manquent d’empathie, sont impulsifs et intolérants à la frustration,
souffrent d’une forme de colère sous-jacente, de difficultés dans
la gestion des émotions et ont une tendance à la domination, à l’agressivité et
au contrôle des femmes
. Le viol
serait pour eux un moyen de prendre du pouvoir et d’affirmer leur puissance
sur la victime. Toutefois, la présence d’un trouble de la personnalité
n’est pas systématique chez les auteurs de viols. Dans les cas de
viol collectif, les dimensions relatives à l’effet de groupe sont
primordiales.
37. Une catégorie spécifique de harceleurs dans l’espace public
a attiré mon attention lors de mes recherches. Il s’agit des «frotteurs».
En effet, le frotteurisme est un phénomène actuellement observé
dans les transports publics dans plusieurs Etats membres du Conseil
de l’Europe. Il se définit comme l’acte de toucher ou de se frotter
contre une personne non-consentante, dans le but d’en tirer une
forme de satisfaction sexuelle. La majorité des frotteurs sont des
hommes
qui
présentent de grandes difficultés à maintenir sur le long-terme
des relations interpersonnelles matures avec les femmes
. Le frotteurisme
est une forme de passage à l’acte et exprime des fantasmes de puissance
sexuelle (être avec plusieurs femmes) à travers une composante agressive.
La femme est non consentante et n’a pas le choix de s’enfuir, bloquée
par la foule dans les transports en commun. Les conséquences de
tels actes sur les femmes sont encore sous-estimées, sachant que
peu de femmes victimes de frotteurisme osent porter plainte. En
réaction à ce phénomène, la ville de Paris a mis en place des brigades
«anti-frotteurs» dans les transports
.
Ces policiers observent les comportements dans les métros et sur
les quais. Un frotteur peut être condamné à deux ans d’emprisonnement
ferme.
4. Lutte
contre le harcèlement de rue et les violences sexuelles dans l’espace
public
4.1. Les
leçons de Cologne
38. Je tiens à présenter dans ce
rapport ce qui a été fait à Cologne depuis l’an dernier afin de
prévenir de nouvelles violences. Une coordination des actions de
prévention des violences sexuelles a notamment été mise en place.
Depuis janvier 2016, un représentant du bureau chargé de l’égalité
de genre participe aux réunions de sécurité et à la coordination
des actions de prévention avec les forces de police. A la suite
des attaques, plusieurs ONG et la ville de Cologne ont formé «l’initiative
de Cologne contre les violences sexuelles». Les organisations y
participant essayent de coordonner leurs actions et d’en multiplier
les effets. Elles reçoivent le soutien de la mairie et de la police.
39. En matière de prévention, M. Peter Biesenbach, Président de
la Commission d’enquête spéciale du Parlement régional, est d’avis
qu’il faut savoir anticiper une situation à risque pour être à même
de planifier et d'agir en conséquence. Une station de conseil (Beratungsmobil)
est désormais installée lors de grands événements dans la ville,
avec la présence de deux conseillères et d’agents de sécurité. Une
femme se sentant en insécurité peut appeler ou se réfugier dans
cette station. Elle a été installée à l’occasion de la Saint Sylvestre
2016-2017 et pendant le carnaval
.
Une station de police mobile a également été installée sur la place
de la gare depuis les attaques.
40. Par ailleurs, le projet «sichere Kneipen» qui est en phase
préparatoire, prévoit l’utilisation par des restaurants et des bistrots
d’un logo qui indiquerait que les femmes peuvent y être en sécurité.
Le personnel de ces restaurants sera sensibilisé et les femmes qui
chercheront à se mettre à l’abri pourront y passer un coup de fil
et demander de l’aide. Ce projet fait suite à celui déjà mis en
œuvre à Münster.
41. D’une manière générale, la présence de personnel de sécurité
a été renforcée dans les transports. Il existe également un bouton
d’appel d’urgence dans chaque station de métro et le nombre de minutes
d’attente avant le prochain métro est systématiquement indiqué.
Enfin une application pour téléphone portable permet d’indiquer
le chemin que l’on prend pour rentrer chez soi et de se faire accompagner
virtuellement afin de se sentir plus en sécurité.
4.2. Les
nouvelles technologies
42. Les nouvelles technologies
permettent le développement de nouveaux moyens de lutte contre le harcèlement
et les violences sexuelles dans l’espace public. L’application «HandsAway»
est une initiative intéressante dans ce contexte. Il s’agit d’une
application mobile d’alerte pour lutter contre les agressions sexistes
dans la rue et les transports. La géolocalisation étant gratuite,
elle permet d’aider (grâce au «street angel», ange de la rue), de
témoigner (décrire l’agression dont on est témoin) et d’alerter
en cas d’agression (en créant une alerte géolocalisée). Ainsi, lorsqu’une
femme est victime d’une agression ou d’un harcèlement de rue, elle
peut le signaler via cette application. Une alerte est immédiatement
envoyée à tous les «street angels» qui sont les utilisateurs de
l’application se trouvant à proximité. Ils peuvent venir réconforter
ou simplement écouter la victime de l’agression, ou bien servir
de témoins. La municipalité de Paris est partenaire de cette application,
qui donne aussi des informations sur les associations travaillant
sur cette question, les numéros d’écoute, et les moyens de porter
plainte.
43. L’application de copiétonnage «Mon chaperon» a également été
lancée récemment en France. Elle permet aux femmes de donner des
renseignements sur leur déplacement et de se faire accompagner.
Une autre application «App-Elles» permet quant à elle de signaler
une agression. L’application mobile de sécurité personnelle «bSafe»
(en place à Paris, Londres et New York) prévoit des options similaires:
système de surveillance GPS accessible à un groupe restreint de
personnes, possibilité d’alerter ses contacts bSafe en cas de problème,
message de SOS automatique si à la fin du temps prévu pour rentrer
chez soi, c’est-à-dire à la fin du temps imparti objectivement pour
faire un tel trajet, l’utilisateur/-trice ne la désactive pas.
44. En Allemagne, l’application mobile «WayGuard» lancée récemment
par AXA Germany permet de transmettre en continu la position géographique
de l’utilisatrice à un centre de contrôle agréé par AXA. En cas d’urgence,
ce dernier pourra alerter les services de secours. Des membres de
la famille ou certains amis peuvent aussi suivre le trajet et être
informés de son arrivée par une notification. L’utilisatrice doit
simplement les désigner comme «accompagnateurs» sur son trajet et
ils pourront dès lors voir sa position en temps réel sur une carte.
Des conseils préventifs sont également à la disposition de l’utilisatrice
sur l’application notamment concernant les comportements à adopter
en cas d’avances déplacées.
4.3. Le
rôle des médias
45. Un rôle important incombe aux
médias dans la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles dans
l’espace public. Tout d’abord, les médias devraient assurer un traitement
journalistique le plus juste possible des violences faites aux femmes.
Le collectif de femmes journalistes «Prenons la une» – qui s’engage pour
une juste représentation dans les médias et l’égalité professionnelle
dans les rédactions françaises – a préparé quelques recommandations
à cet égard. Le collectif préconise notamment d’intégrer le numéro
de téléphone national de référence pour l’écoute et l’orientation
des femmes victimes de toutes violences [3919] dans la mesure du
possible dans les reportages traitant des violences faites aux femmes.
Il demande aussi à ce que les médias ne donnent pas de conseils
ou leçons tels que «ne pas sortir le soir» ou «faire preuve de discrétion»,
les femmes n’étant pas responsables des violences qu’elles subissent.
46. Par ailleurs, les mesures d’aide en place, les campagnes de
sensibilisation et, de manière générale, les associations œuvrant
contre les violences sexuelles et le harcèlement de rue devraient
recevoir suffisamment de visibilité dans les médias afin de pouvoir
informer le plus grand nombre.
4.4. La
place des femmes dans l’espace public
47. Le harcèlement et les violences
sexuelles dans l’espace public nous interrogent sur la place des
femmes dans notre société. En effet, ces violences sont étroitement
liées à l’image de la femme et à sa perception par la population.
Les femmes sont réduites à des corps, considérés comme disponibles,
à qui on demande de faire attention à leur comportement. Il en résulte
que le simple fait de s’asseoir sur un banc dans la rue peut faire
d’une femme une proie ou sembler un appel à certains hommes. Par
ailleurs, les stéréotypes de genre, intériorisés dès le plus jeune
âge, donnent aux hommes une certaine assurance qui leur permet de
s’accaparer l’espace public. Ils pensent qu’ils peuvent proférer
des insultes, siffler ou lancer des invitations à un rapport sexuel
sans être inquiétés.
L’objectif
de ces faits de harcèlement est de manifester un sentiment de domination
masculine et de contraindre les femmes à l’espace privé
. En conséquence, les femmes investissent
instinctivement l’espace public avec plus de retenue que les hommes,
par peur d’une agression
. Elles
ont intériorisé leur vulnérabilité dans l’espace public.
48. Compte tenu du fait que les attitudes, les convictions et
les types de conduite se façonnent dès le plus jeune âge, il importe
de promouvoir le plus tôt possible l'égalité entre les femmes et
les hommes, le respect mutuel dans les relations interpersonnelles
et la non-violence. Dans ce contexte, un travail avec les acteurs
du secteur éducatif est nécessaire afin de lutter contre les stéréotypes
de genre et les discriminations. A cet égard, l’article 14 de la
Convention d’Istanbul souligne la nécessité d'élaborer un matériel
pédagogique pour tous les niveaux de l'enseignement, qui promeuve
les principes d'égalité entre les femmes et les hommes, des rôles des
genres non stéréotypés, du respect mutuel, et de la résolution non
violente des conflits dans les relations interpersonnelles. La Convention
prévoit aussi que de telles valeurs soient promues dans toutes les
structures éducatives informelles (par exemple les services d’éducation
communautaire ou religieuse, les colonies de vacances), dans les
structures du sport, de la culture et des loisirs ainsi que dans
les médias. Ces actions éducatives peuvent aussi permettre d’expliquer
l’impact du harcèlement et des violences sexuelles.
49. L’occupation genrée de l’espace public serait également due
à une organisation spatiale qui favoriserait les hommes, où ils
se trouvent en confiance et sont souvent en plus grand nombre
.
Ces dernières années, des équipements visant à «canaliser» la présumée
violence des garçons ont été construits, tels que des «skate parks»
ou divers terrains multisports. Ces équipements sont principalement
utilisés par des garçons ou de jeunes hommes. Les hommes s’y retrouvent
en position de force et les femmes ou jeunes filles n’y sont pas les
bienvenues. Nous pouvons donc affirmer que l’espace public est aménagé
de sorte à favoriser une forme de domination masculine
. Une étude a d’ailleurs démontré
qu’en France, 85% du budget de l’aménagement des équipements programmés
dans les zones prioritaires sont alloués aux garçons
. Des investissements publics
massifs pour des terrains de rugby ou de football vont rarement
profiter aux femmes.
50. Selon Chris Blache, co-fondatrice de Genre et Ville, l’espace
public n’est pas neutre. Il faudrait créer de nouvelles narrations
urbaines avec une organisation de l’espace moins genrée et où les
femmes occupent aussi l’espace public. Elle fait la promotion du
concept de ville égalitaire accueillante pour tous. Il s'agit d'aménager
les villes de façon à ce que tout le monde s'y sente à l'aise et
à ce qu’il n’y ait plus de zones exclusivement pour les hommes.
Elle encourage la création d’espaces à usage polyvalent, tels qu’un
parc, où tout le monde pourrait se rencontrer pour jouer, flâner
ou faire un pique-nique. Les filles devraient être invitées à participer
à des activités au sein des structures existantes et des divertissements
mixtes devraient être proposés à terme.
51. Il est également important de souligner le rôle des gestionnaires
et urbanistes de l’espace public qui peuvent contribuer à créer
des espaces plus sécurisés pour les femmes. Dans ce contexte, je
souhaite mentionner les marches exploratoires, qui permettent d’analyser
et d’évaluer le degré d’insécurité de certains espaces publics.
Les premières marches exploratoires ont été organisées au Canada
dans les années 1990 et sont à présent aussi organisées en Europe.
Il s’agit d’enquêtes de terrain menées par des groupes de femmes.
Elles choisissent un quartier – une rue – un espace et essayent
d’identifier les éléments pouvant créer un sentiment d’insécurité,
tels que des dispositifs d’éclairage insuffisants, un mauvais entretien
des lieux ou des panneaux de signalisation défectueux. Les marches
exploratoires sont une façon pour les femmes de se réapproprier
l’espace public et de prendre conscience des mesures à prendre afin
de réduire le sentiment d’insécurité
. L’organisation de ces marches
devrait se généraliser autant que possible, sachant que tout le monde
profitera d’un espace public non seulement sécurisé mais aussi bienveillant.
52. Lors de notre audition du 20 mars 2017, Chris Blache a émis
des réserves quant aux marches exploratoires qui pourraient mener
à une stérilisation de l’espace public et à le rendre anxiogène.
Elle est d’avis qu’il ne faut pas penser l’espace public uniquement
en termes sécuritaires. Il est davantage nécessaire d’agir afin
d’éviter que les femmes ne s’interdisent l’espace public. Elle a
aussi revendiqué le droit des femmes à la flânerie dans l’espace
public et regretté que «les hommes occupent pendant que les femmes
s’occupent dans l’espace public et dans l’espace privé». A cet égard,
les actions du collectif «place aux femmes» à Aubervilliers (France)
visent à mettre de la mixité dans les cafés de la ville, vus comme
réservés aux hommes.
4.5. Campagnes
de sensibilisation inspirantes
53. Je souhaite mentionner plusieurs
campagnes mises en place ces dernières années afin de prévenir et de
lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace
public. Ces campagnes jouent un rôle essentiel pour sensibiliser
l’opinion publique à ces questions et peuvent aussi appeler efficacement
à la réaction et contribuer à mettre fin à la passivité des témoins
de faits de violence.
54. L’initiative mondiale «Des villes sûres et des espaces publics
sûrs» a été lancée en 2010 par l’ONU Femmes en vue de prévenir et
réagir face au harcèlement sexuel et aux autres formes de violence
sexuelle dont les femmes et filles sont victimes dans les lieux
publics
. L’ONG
ActionAid a lancé le projet Safe Cities en 2010 au Brésil, en Ethiopie,
au Népal, au Cambodge, au Libéria et au Kenya, en organisant des
marches visant à identifier les problèmes de sécurité dans les villes.
Cette campagne est devenue mondiale en 2014. En Irlande, ActionAid
a soutenu des représentations de théâtre de rue sur le harcèlement
dans le cadre de cette campagne.
55. L’association Womenability a mené un tour du monde de la Suède
au Japon pendant sept mois afin de voir quelle était la place des
femmes dans l’espace public
.
Les membres de l’association sont allés à Prague, Sofia, Malmö,
Rosario, Houston, Baltimore, Montevideo, Kawasaki, Bombay, Kaifeng,
Capetown, Francistown et Wellington. 59 % des femmes interrogées
par les équipes de Womenability ont dit être victimes de harcèlement
au moins une fois par mois.
56. La campagne «Take back the metro» a été lancée par le collectif
«Osez le féminisme» en France et encourage les femmes à utiliser
les transports en commun. Elle fait référence aux marches nocturnes
«Take back the night» initiées aux Etats-Unis dans les années 70,
qui étaient composées uniquement de femmes et qui visaient à affirmer
le droit des femmes de faire usage des espaces publics sans crainte
de harcèlement ou d’agression sexuels. Le collectif «Stop harcèlement
de rue» quant à lui mène des actions d’éducation populaire et de
sensibilisation dans les métros et RER. Le 16 avril 2015, ce collectif
a invité les usagers à participer à un happening visant à dénoncer
le harcèlement sexiste et les agressions sexuelles dans les transports,
en jouant des scènes de harcèlement dans une gare afin de faire
réagir les passants à des insultes et en distribuant des tracts.
4.6. Le
rôle des hommes
57. Comme indiqué plus haut, les
violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public sont
commis principalement par les hommes. Par ailleurs, si la plupart
des hommes ne font pas usage ou ne tolèrent pas cette violence,
en restant silencieux face à celle de leurs pairs, ils contribuent
à la perpétuer. Il est donc nécessaire d’associer les hommes à la
lutte contre les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public
en les sensibilisant et les informant sur ce problème.
58. En effet, je suis convaincue que les hommes ont un rôle positif
à jouer dans ce contexte. En tant que pères, amis, décideurs, journalistes,
agents publics, dirigeants politiques et religieux, ils peuvent
dénoncer publiquement la violence d’autres hommes, remettre en question
les croyances, les valeurs et les normes sociales qui tolèrent l’inégalité
entre les sexes, confronter les remarques sexistes, et encourager
l’adoption d’idées alternatives sur la masculinité au sein de la
société, qui favorisent la non-violence et l’égalité de genre.
59. A cet égard, il convient de souligner certaines initiatives
encourageantes, signe d’une plus importante implication des hommes
dans la lutte contre les violences faites aux femmes. On peut citer
notamment la Campagne «Tous unis pour mettre fin à la violence à
l’égard des femmes», lancée par le Secrétaire Général des Nations
Unies, Ban Ki-moon, en 2009. La caractéristique clé de cette campagne
est la reconnaissance du devoir des hommes dans la prévention de
la violence et de leur rôle comme agents de changement. Dans le cadre
de cette campagne, M. Ban Ki-moon a institué le Réseau des dirigeants
masculins afin d’amener les hommes à participer à la recherche de
solutions pour éliminer la violence faite aux femmes. Plus récemment, en
2014, l’ONU Femmes a lancé la campagne HeForShe («Lui pour Elle»)
afin de faire participer les hommes et les garçons aux combat pour
l'
égalité
des sexes et les
droits
des femmes, et a eu le soutien d’hommes politiques comme Barack
Obama, Justin Trudeau ou encore Stefan Löfven.
60. Par ailleurs, l’alliance internationale MenEngage – lancée
en 2004 – regroupe plus de 400 organisations de par le monde qui
œuvrent avec les hommes et les garçons pour promouvoir l’égalité
de genre et pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes et
des filles. Enfin, il faut citer la Campagne du Ruban Blanc mise
sur pied en 1991, et qui a été pionnière de la mobilisation des
hommes contre les violences faites aux femmes dans le monde.
5. Conclusions
61. Les violences sexuelles et
le harcèlement des femmes dans l’espace public se produisent dans
tous les pays. Ils sont le reflet d’une société sexiste et patriarcale
qui favorise une occupation de l’espace public par les hommes et
crée des obstacles à la mobilité et à l’expression des droits des
femmes. Nous devons être vigilants face à ces violences et ne plus
tolérer un manque de réaction. Les femmes ne devraient pas avoir
à changer leur mode de vie en raison du risque de harcèlement et
de violences sexuelles ni être accusées de porter une tenue provocante
ou de se trouver au mauvais endroit à une heure tardive. Les femmes
ne sont jamais responsables de la violence dont elles sont victimes,
quel que soit l’auteur, le type de violence ou l’endroit où les
faits se produisent.
62. La Convention d’Istanbul est à ce jour l’instrument juridique
international le plus avancé en matière de lutte contre toutes les
formes de violences faites aux femmes. Sa mise en œuvre effective
apporte des changements législatifs qui peuvent contribuer à lutter
contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public.
63. Par ailleurs, je suis convaincue qu’il est impossible de lutter
efficacement contre le harcèlement et les violences sexuelles dans
l’espace public si nous n’investissons pas dans des campagnes de
sensibilisation et des actions spécifiques de prévention, et ce
dès le plus jeune âge. Les actions éducatives auprès des jeunes, notamment
sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et afin
de lutter contre les stéréotypes de genre, mais aussi sur l’impact
des violences sur les victimes et la notion de consentement, sont particulièrement
importantes. Les campagnes de sensibilisation permettront de lutter
contre le «by-stander effect» et de pousser les éventuels témoins
de violences à réagir. Les hommes peuvent jouer un rôle fondamental
dans la prévention et la lutte contre le harcèlement de rue et les
violences sexuelles.
64. Ainsi que les attaques de Cologne l’ont montré, les médias
et leur façon de communiquer sur le harcèlement et les violences
sexuelles dans l’espace public ont un fort impact sur l’opinion
publique et tendent trop souvent à parler plus de l’origine des
auteurs de violence que des violences elles-mêmes et de leur impact sur
les victimes. Nous devons soutenir l’approche de la Convention d’Istanbul
qui consiste à mettre la victime de violence au centre de toute
politique ou discours traitant de la violence fondée sur le genre.
Les médias peuvent jouer un rôle de premier plan dans la prévention
et la lutte contre ces phénomènes et être des relais efficaces de
campagnes de sensibilisation.
65. Les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public
ne sont pas un phénomène inévitable ou une fatalité. Les femmes
devraient pouvoir aller partout où elles le souhaitent, sans crainte.
Nous ne devrions pas nous résigner à une occupation genrée de l’espace
public et à l’adoption de stratégies d’évitement par les femmes.
Il est de notre responsabilité de porter des politiques volontaristes
à cette fin.