1. Introduction
1. Les droits sociaux sont des
droits fondamentaux de l’être humain. Seules la jouissance des droits
socio-économiques et l’inclusion sociale permettent aux citoyens
d’exercer pleinement leurs droits civils et politiques. Cette idée
centrale, que j’ai exprimée à la Conférence interparlementaire de
Turin le 17 mars 2016
, sous-tend le présent rapport.
Nous pouvons voir dans de nombreux contextes que la participation
socio-économique, l’égalité des chances et des conditions de vie
et de travail saines sont d’importants prérequis pour l’exercice d’autres
catégories de droits humains, pour fonder une famille ou participer
aux processus politiques.
2. Pour garantir les droits sociaux en Europe de manière fiable,
il faut, d’une part, un engagement politique permanent et, d’autre
part, des mesures et des instruments concrets. Au niveau européen,
le Conseil de l’Europe a lancé en octobre 2014 un nouveau processus
politique pour combiner ces deux éléments, à savoir le «Processus
de Turin», auquel l’Assemblée parlementaire a souscrit dès le départ
. Au niveau de l’Union européenne,
le Socle européen des droits sociaux a été rendu public en avril
2017 et devrait devenir le cadre de référence pour suivre les résultats
sociaux et économiques dans les États membres, faire avancer les réformes
nationales et rendre compte du processus de convergence dans la
zone euro
.
Dans le contexte de ces plans d’action et à la suite de la décision
de la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable d’associer des systèmes normatifs et de nouveaux outils,
tels que les débats thématiques ou de nouveaux indicateurs sociaux
, le présent rapport a pour objet
de combler l’écart entre déclarations politiques et mesures concrètes,
afin d’améliorer le respect des droits sociaux, en coordonnant l’action
légale et politique prise par différents organes européens et en
stimulant un débat parlementaire paneuropéen.
3. Pour répondre à ce défi, le rapport examine notamment les
questions suivantes: 1) comment renforcer l’adoption et la mise
en œuvre du système de traités de la Charte sociale européenne en
coopération avec d’autres instances du Conseil de l’Europe dans
le cadre du «Processus de Turin»?; 2) comment promouvoir le dialogue
sur les droits sociaux et la coordination d’une action normative
et politique pertinente avec d’autres institutions européennes,
notamment l’Union européenne?; 3) comment s’assurer que les grands
défis socio-économiques identifiés en Europe pour la période d’après-crise
puissent être relevés efficacement par le dialogue et les systèmes
normatifs européens et par la législation et les programmes nationaux?;
et 4) comment stimuler le débat dans les différents parlements pour
renforcer le système réglementaire et le suivi de la Charte sociale
européenne et sa mise en œuvre effective, en coopération étroite
avec l’Union européenne? Par le biais des méthodes de travail spécifiques
appliquées, y compris une enquête sélective parmi les pays qui n’ont
pas encore ratifié la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163),
et des rencontres bilatérales avec certaines des délégations nationales
respectives, j’ai également essayé d’accélérer les progrès immédiats
dans certains domaines mentionnés précités.
2. Défis des droits sociaux en Europe
au XXIe siècle et moyens de les relever
4. Les questions de droits sociaux
sont régulièrement traitées par divers acteurs au niveau européen
et national. Malgré les progrès réalisés depuis la crise, selon
certains indicateurs socio-économiques et dans certains pays, de
nombreuses difficultés persistent, en particulier des difficultés
qui affectent les droits sociaux et les économies européennes sur
le long terme. Cette situation souligne la nécessité d’adopter des instruments
et une action de politique sociale plus efficaces au niveau européen
et national.
2.1. Chances
et opportunités dans les activités et normes du Conseil de l’Europe
5. Comme l’ont souligné à juste
titre les principaux acteurs présents à Turin en 2014 et 2016, et
comme l’a rappelé l’Assemblée dans plusieurs résolutions et recommandations
ces dernières années, les droits sociaux sont plus utiles que jamais.
Des problèmes et risques sociaux et économiques continuent de peser
sur la vie de nombreux citoyens et résidents européens, même dans
les pays les plus riches où les inégalités de revenus ne cessent
de se creuser. La crise économique la plus récente a exacerbé ces
tendances qui découlent de défis plus structurels, comme le vieillissement
de la population, l’évolution technologique et la nature changeante
du travail, le «cercle vicieux» de l’inégalité pour de nombreuses
familles et de vastes mouvements de la population (provoqués par
les difficultés économiques, la guerre ou les conflits et les catastrophes environnementales).
6. D’après l’Union européenne, les dernières études sur l’évolution
de l’emploi et de la situation sociale montrent des résultats encourageants
pour la période d’après-crise: des millions d’emplois ont été créés,
les taux d’emploi sont en hausse et les taux de pauvreté, en baisse.
La part de la population à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale
est à son plus bas niveau depuis cinq ans (23,7 %)
.
Toutefois, même plusieurs années après la crise, les États membres
du Conseil de l’Europe continuent de faire face à des problèmes
majeurs: de nombreuses personnes sont encore au chômage ou ont du
mal à trouver un emploi permanent à temps plein et les inégalités
de revenus se trouvent à leur plus haut niveau depuis le milieu
des années 1980. Cette situation se traduit notamment par un nombre
croissant de «travailleurs pauvres» et par des écarts de salaire persistants
entre hommes et femmes
. Les groupes marginaux ne sont pas
les seuls touchés: la classe moyenne est de plus en plus concernée
elle aussi. Par ailleurs, les experts internationaux conviennent
que de nombreux systèmes de sécurité sociale et systèmes fiscaux
doivent être révisés pour être plus durables et équitables
.
7. Les problèmes liés aux droits sociaux, qui, de mon point de
vue, devraient être traités en priorité sont, entre autres, les
suivants:
- les conséquences
de la crise économique et les profonds changements du monde du travail
qui ont conduit à une détérioration générale des droits sociaux
et eu un impact direct sur la situation économique et le bien-être
des classes moyennes – diminution des taux d’emploi, recul de l’emploi classique
et dégradation des conditions de travail, offres de formation et
perspectives de carrière plus limitées, stress au travail, etc. ;
- la situation de l’emploi pour les jeunes arrivant sur
le marché du travail, qui doivent souvent accepter des emplois atypiques
caractérisés par de mauvaises conditions d’emploi et de travail
(en termes de salaire, de temps de travail et de sécurité) et ont
du mal à accéder à un emploi de qualité et plus stable ;
- un manque de cohérence dans l’application des cadres juridiques
européens relatifs aux droits sociaux (notamment entre les instruments
et normes du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne) .
8. Bon nombre d’organisations, y compris le Conseil de l’Europe
et son Assemblée parlementaire, le Parlement européen et l’Organisation
internationale du travail (OIT), en partenariat avec la Commission européenne,
ont déjà travaillé sur ces questions. Au niveau du Conseil de l’Europe,
le Comité européen des Droits sociaux (CEDS), organe de suivi du
système des traités de la Charte sociale européenne, attire l’attention
régulièrement sur les situations de non-conformité avec la Charte
sociale européenne (dans sa première version et sa version révisée)
et traite les plaintes collectives plus urgentes au moyen de son mécanisme
correspondant (voir ci-après). L’Assemblée met régulièrement en
lumière les violations des droits sociaux dans ses rapports, tels
que ceux qui ont abouti récemment à l’adoption des
Résolution 2139 (2016) «Assurer l’accès aux soins de santé à tous les enfants
en Europe»,
Résolution
2033 (2015) sur la protection du droit de négociation collective,
y compris le droit de grève,
Résolution
2024 (2014) «L’exclusion sociale – un danger pour les démocraties
européennes»,
Résolution
1995 (2014) «Éradiquer la pauvreté des enfants en Europe» et
Résolution 1993 (2014) sur un travail décent pour tous. Depuis 2013, les deux
structures organisent en coopération étroite des séminaires annuels
de développement des capacités destinés aux parlements nationaux
pour déterminer des moyens de combler les lacunes dans le respect
des traités de la Charte sociale européenne et de surmonter les
obstacles restants à la ratification et à la mise en œuvre pleine et
entière de ces textes et pour trouver des solutions éventuelles
pour améliorer la situation des droits sociaux au niveau national
dans différents domaines
.
9. Cela étant, la réponse institutionnelle à ces questions n’a
pas toujours été à la hauteur ces derniers temps, du moins pas dans
tous les domaines d’action, ni de manière équilibrée d’un point
de vue géographique. Par exemple, au niveau de l’Union européenne,
de nombreuses tentatives ont été faites pour renforcer la dimension
sociale de l’Union économique et monétaire (UEM) par des actions
ciblées telles que la Garantie pour la jeunesse ou l’Initiative
pour l’emploi des jeunes
. Malgré la volonté d’agir dans ces domaines,
le chômage des jeunes dans toute l’Europe reste extrêmement élevé
(19 %, soit 4,2 millions des personnes âgées de 15 à 24 ans dans
l’Union européenne en août 2016)
.
10. Les traits caractéristiques du Conseil de l’Europe, à savoir
son mandat consistant à promouvoir les droits humains, la démocratie
et l’Etat de droit, sa reconnaissance du principe de subsidiarité
et sa mission qui est de favoriser les bonnes pratiques parmi ses
Etats membres, font que l’Organisation est idéalement placée pour s’attaquer
aux risques et aux défis liés aux droits sociaux au niveau européen,
et pour maintenir l’appel à l’action dans des domaines spécifiques,
par exemple dans le cadre de processus politiques tels que celui
qui a été lancé à Turin ou en lien avec le Socle européen des droits
sociaux. Dans ce contexte, la contribution du Conseil de l’Europe
ne consisterait pas à participer concrètement à la conception ou
à la mise en œuvre de politiques – ce qui ne correspondrait pas
à sa fonction –, mais plutôt à promouvoir l’application par ses
propres organes et mécanismes d’un «contrôle qualité» des politiques
nationales et européennes pour vérifier si elles sont exhaustives
et complètes. À cet égard, la Charte sociale européenne offre une
gamme complète de droits qui pourrait servir de référence pour les
politiques nationales et européennes. Un débat approfondi et un
travail d’expert seraient toutefois nécessaires pour «transformer»
la Charte en une liste pratique d’indicateurs et pour concevoir
la méthode à suivre pour l’appliquer aux politiques socio-économiques
nationales.
2.2. Préparer
le terrain pour des politiques socio-économiques plus efficaces
11. Pour ce qui concerne les différentes
propositions sous-jacentes, l’un des buts du présent rapport consistait,
au départ, à répondre directement et de manière plus approfondie
à la question spécifique des indicateurs sociaux conduisant à la
mise en œuvre réussie des politiques socio-économiques
. J’ai décidé cependant que la tentative
de revoir les indicateurs existants ou d’en concevoir de nouveaux
irait au-delà de la portée du rapport actuel, qui vise en premier
lieu à rendre les mécanismes en matière de droits sociaux plus efficaces.
Il me semble que d’autres organisations européennes (comme la Commission
européenne ou l’OCDE) ou assurément des spécialistes universitaires
sont beaucoup mieux placés que l’Assemblée pour entreprendre des
travaux aussi ambitieux. Je tiens néanmoins à commenter l’importance
des indicateurs sociaux et des défis connexes évoqués ici, pour
amener à réfléchir également sur la façon dont le Conseil de l’Europe
pourrait contribuer à cette action au moyen de ses instruments de
base, par exemple, la Charte sociale européenne.
12. En 2011, des chercheurs expérimentés réunis autour d’un projet
mené par le «European Policy Centre» ont rappelé que la transformation
du modèle social européen pour s’adapter à des tendances interdépendantes
comme la mondialisation, le vieillissement de la société ou la rapidité
des progrès technologiques nécessitait des efforts et des réformes
soutenus tant au niveau national que de l’Union européenne et requérait
plus que jamais l’élaboration de politiques fondées sur des données
scientifiques. Dans certains domaines, les indicateurs existants
donnent entière satisfaction, mais d’autres pourraient bénéficier
d’un enrichissement.
13. Parmi les approches intéressantes adoptées pour améliorer
la situation figurent les travaux menés par l’Union européenne,
il y a déjà quelques années, sur de nouveaux indicateurs du progrès
social plus inclusifs (relatifs au changement climatique, à l’épuisement
des ressources, à la santé et à la qualité de vie), l’«Initiative du
vivre mieux» conçue par l’OCDE et ses rapports bisannuels intitulés
«Panorama de la société», mais aussi les propres travaux de l’Assemblée
parlementaire dans ce domaine, tels que ceux ayant conduit à l’adoption de
la
Résolution 2023 (2014) «Mesurer et améliorer le bien-être des citoyens européens».
Il est impératif de tenir compte d’autres notions lorsque nous recherchons
des indicateurs de progrès socio-économique. L’OIT offre une approche
intéressante dans sa description du Modèle social européen, qui
repose sur cinq piliers fondateurs des économies européennes: 1)
les droits des travailleurs et les conditions de travail; 2) les marchés
du travail; 3) le dialogue social; 4) le secteur public; et 5) la
cohésion sociale
. Certaines de ces initiatives proposent
des pistes intéressantes. Nous devons garder à l’esprit cependant
que le système de traités de la Charte sociale européenne, assorti
d’un large éventail de droits et de mécanismes qui facilitent sa mise
en œuvre, est un excellent point de départ pour la conception de
politiques socio-économiques modernes.
14. Nous devons aussi garder à l’esprit que les indicateurs sont
façonnés par des modèles sous-jacents. Il est évident que tant que
le modèle de croissance sera le moteur de nos économies, tous les
acteurs politiques et économiques voudront prouver que les indicateurs
de performance et de croissance économiques sont positifs. Cela
étant, je perçois de plus en plus fréquemment parmi les parlementaires
la volonté politique de délaisser les modèles de croissance «classiques»
de l’après-guerre au profit d’une nouvelle approche tenant compte
d’indicateurs plus transversaux, tels que les inégalités de revenus,
l’égalité des chances, l’état de santé d’une population donnée ou
la protection de l’environnement. Je voudrais par conséquent inviter
tous ceux qui participent à ce débat à tenir compte de la nouvelle
vision, des nouvelles obligations et des nouvelles opportunités
des Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations
Unies en 2015, qui ont vocation à guider l’action politique dans
tous nos pays.
15. Pour améliorer efficacement la situation des droits sociaux
en Europe, je suis convaincue que des mesures sont nécessaires à
plusieurs niveaux et que nous devrions nous employer à élaborer:
- une vision nouvelle de l’Europe
sociale et de nouveaux outils, tels que soulignés, par exemple,
par l’Assemblée dans la Résolution
2068 (2015) «Vers un nouveau modèle social européen»;
- de nouvelles priorités politiques pour assurer l’égalité
d’accès de tous aux droits sociaux, devant faire l’objet du suivi
d’organes politiques, tels que l’Assemblée, par le biais de rapports
et de débats;
- des objectifs, repères et indicateurs mesurables, qui
rendent les gouvernements responsables de leur action dans les domaines
prioritaires et permettent de suivre les progrès réalisés au niveau
national;
- des mécanismes de plainte qui permettent, à tout le moins
aux structures collectives telles que les syndicats et les associations
de déposer des plaintes lorsque les normes de droits sociaux ne
sont pas respectées, sur le modèle du mécanisme collectif de plainte
lié à la Charte sociale européenne.
16. Au niveau du Conseil de l’Europe, le «Processus de Turin»
est, en termes politiques, un premier pas dans la bonne direction
mais qui doit être complété par de nouvelles initiatives ciblées,
y compris au sein de l’Assemblée parlementaire. Au niveau de l’Union
européenne, il faut souhaiter que le Socle européen des droits sociaux
corresponde à certaines de ces conditions et ait des effets positifs
dans un avenir proche. La coopération entre le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne doit être encouragée pour renforcer les principes
d’indivisibilité et d’universalité des droits sociaux et pour préserver
la cohésion des systèmes de protection des droits sociaux.
3. Renforcement
du système de traités de la Charte sociale européenne par le «Processus
de Turin»
17. La Charte sociale européenne
est un système de traités complet qui s’est développé au cours de nombreuses
années. Le «Processus de Turin», qui émane du Conseil de l’Europe
lui-même et a été lancé par son Secrétaire Général en octobre 2014,
entend donner une nouvelle impulsion à ce système de traités pour faire
de la Charte un instrument résolument évolutif de défense et de
promotion des droits sociaux. L’Assemblée a toujours soutenu la
promotion de la Charte sociale européenne en vue d’élargir sa ratification et
l’application effective de diverses dispositions. Dans le cadre
du «Processus de Turin», elle souhaite stimuler de nouveaux progrès
par le dialogue parlementaire à divers niveaux. À ce titre, le présent
rapport devrait lui-même être compris comme une contribution au
processus.
3.1. Situation
et fonctionnement de la Charte sociale européenne
18. Je tiens à rappeler que la
Charte sociale européenne et les mécanismes de contrôle y afférents
reposent sur différents traités qui reçoivent un soutien variable
de la part des États membres:
- la première Charte sociale européenne de 1961
(STE n° 35): cette version originale de la Charte s’applique
encore dans 10 États membres qui n’ont pas encore ratifié le texte
révisé de 1996. Au nombre des droits protégés par cette première
Charte figurent des droits sociaux fondamentaux tels que les droits
au travail, à la sécurité sociale, à l’assistance sociale et médicale
ou à la protection et assistance pour les travailleurs migrants
et leurs familles;
- le Protocole additionnel de
1988 (STE n° 128): ce texte a élargi l’ensemble des droits
sociaux et économiques en y ajoutant de nouveaux droits, notamment
pour les travailleurs et les personnes âgées;
- le Protocole d’amendement
(«Protocole de Turin») de 1991 (STE n° 142): ce protocole
confirme le rôle politique du Comité des Ministres et de l’Assemblée
parlementaire. Pour renforcer le caractère démocratique de l’ensemble
du système, il prévoit l’élection des membres du CEDS par l’Assemblée parlementaire
sur le modèle de l’élection des juges de la Cour européenne des
droits de l’homme. Ce protocole n’est cependant pas encore entré
en vigueur, les ratifications de l’Allemagne, du Danemark, du Luxembourg
et du Royaume-Uni (toujours liés par la Charte de 1961) restant
en attente;
- le Protocole additionnel de
1995 prévoyant un système de réclamations collectives (STE n° 158): seuls
15 Etats membres ont ratifié ce texte. En conséquence, certains
Etats sont liés par un mécanisme de contrôle «unique», leur seule
obligation étant de soumettre chaque année un rapport national au CEDS,
tandis que d’autres sont liés par un mécanisme de contrôle renforcé
dans le cadre duquel des organisations internationales non gouvernementales
et des organisations internationales représentatives des employeurs
et des travailleurs peuvent introduire une réclamation concernant
une politique ou une réglementation donnée ou dénonçant l’inaction
d’un Etat. Les Etats liés par ce système soumettent un rapport national
tous les deux ans;
- la Charte sociale européenne
(révisée) de 1996: la version révisée de la Charte sociale
européenne a été ratifiée par 34 Etats membres (avril 2017). Ce
texte regroupe l’ensemble des droits et dispositions des textes
susmentionnés et introduit de nouveaux droits et amendements adoptés
par les Parties, comme le droit à la protection contre la pauvreté
et l’exclusion sociale, le droit au logement ou le droit à la protection
en cas de licenciement. La Charte révisée est appelée à remplacer
progressivement le texte originel de 1961.
19. Le mécanisme de contrôle de la Charte est aussi établi par
le noyau dur de la Charte dont les dispositions établissent un système
selon lequel les Etats soumettent chaque année au CEDS un rapport concernant
la situation des droits sociaux et économiques au niveau national.
Sur cette base, le CEDS examine la conformité de la situation décrite
avec les dispositions du texte ratifié par chaque Etat. Il rend ensuite
une «décision» de conformité ou de non-conformité, dont l’exécution
est supervisée par le Comité des Ministres. Tout défaut d’information
de la part d’un Etat membre, même concernant certaines dispositions spécifiques,
peut aussi donner lieu à une conclusion de non-conformité. Quatre
Etats n’ont ratifié aucune des versions de la Charte et ne sont
donc pas liés par cet instrument: il s’agit du Liechtenstein, de
Monaco, de Saint-Marin et de la Suisse. Si le système de suivi de
la Charte est très complet et attentif aux détails, il pourrait être
certainement lié davantage aux priorités et aux actions politiques
pour donner une plus grande impulsion politique à la Charte sociale
européenne et même mobiliser les pays qui n’ont pas encore (pleinement)
ratifié l’instrument. Dans certains cas, le système pourrait adopter
une perspective qui serait encore plus précise et tenir compte des
particularités de différents pays.
3.2. Le
«Processus de Turin» et les progrès accomplis au regard de la Charte
sociale européenne depuis 2014
20. Le «Processus de Turin» est
un processus politique lancé à la Conférence à haut niveau sur la
Charte sociale européenne qui a eu lieu à Turin en octobre 2014.
Dans une optique d’indivisibilité et d’interdépendance des droits
fondamentaux, ce processus a pour objectif de renforcer la Charte
sociale européenne en tant que système normatif parallèlement à
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)
et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, afin
de consolider son assise (par de meilleures synergies entre le droit
de l’Union européenne et la Charte social européenne et d’inciter
les Etats membres à mieux appliquer ses dispositions. Dans le document
final de la Conférence de Turin de 2014, présenté par M. Michele
Nicoletti (également Vice-Président de l’Assemblée parlementaire),
Rapporteur général, ces objectifs sont complétés par un plan d’action
adressé au Conseil de l’Europe, à l’Union européenne, aux gouvernements
nationaux et à la société civile, qui sont les principaux acteurs
de ce processus
.
21. Le plan d’action lié au «Processus de Turin» propose une action
prioritaire dans les domaines suivants:
- la ratification de la Charte sociale européenne (révisée)
et du protocole prévoyant un système de réclamations collectives
par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne;
- une mise en œuvre améliorée de la Charte au plan national,
en tenant compte des décisions et conclusions adoptées par le CEDS
dans le cadre des mécanismes de contrôle;
- le renforcement de la procédure de réclamations collectives,
qui permet l’implication directe des partenaires sociaux et de la
société civile dans les activités de contrôle de l’application de
la Charte et représente à cet égard un système plus transparent
et démocratique que la procédure reposant sur les rapports nationaux;
- le renforcement de la position, du statut et de la composition
du CEDS au sein du Conseil de l’Europe, qui passe également par
l’élection de ses membres par l’Assemblée parlementaire, comme il
était déjà indiqué dans le Protocole de Turin de 1991 (qui n’est
pas encore entré en vigueur);
- le renforcement du dialogue et des échanges avec les organes
compétents de l’Union européenne – déjà rendu possible par le «Processus
de Turin» – en tenant pleinement compte de la Charte et des décisions
du CEDS dans l’application du droit de l’Union européenne;
- la mise en œuvre, par le Conseil de l’Europe, d’une politique
de communication capable d’envoyer un message clair quant à la nature
juridique de la Charte et la portée des décisions du CEDS.
22. Deux ans plus tard, l’initiative prise à la première conférence
de Turin a été examinée plus avant et s’est concrétisée dans le
cadre des manifestations «Turin II» qui se sont déroulées les 17
et 18 mars 2016, à savoir la Conférence interparlementaire consacrée
à la Charte sociale européenne et le Forum sur les droits sociaux en
Europe, qui a réuni des universitaires et des responsables politiques
dans un cadre moins formel
. En ma qualité de rapporteure pour
le présent rapport, j’ai également représenté l’Assemblée lors de
la Conférence interparlementaire et j’ai eu l’honneur de dégager
les conclusions des débats. A cette occasion, j’ai rappelé à tous
les participants la responsabilité spécifique du Conseil de l’Europe
dans la promotion des droits sociaux (en tant qu’une des premières
institutions européennes), ainsi que l’obligation pour les parlementaires européens
de soutenir ce mouvement.
23. Lors des débats de Turin, la plupart des parlementaires, y
compris les membres de l’Assemblée, du Parlement européen et des
parlements nationaux, sont convenus que les défis les plus urgents
en matière de droits sociaux incluaient la lutte contre l’exclusion
sociale et la pauvreté, la protection et le soutien pour les catégories
de population les plus vulnérables (comme les migrants et les réfugiés,
les minorités nationales et ethniques, les personnes âgées, les
enfants, les jeunes, etc.) et la nécessité de renforcer les systèmes
de sécurité sociale dans certains pays en dépit de l’acquis social
considérable à l’échelle européenne.
3.3. Enjeux
pour l’Assemblée parlementaire
24. L’Assemblée parlementaire s’est
toujours considérée comme le garant des droits sociaux et s’emploie depuis
plusieurs années à promouvoir la ratification et l’application de
la Charte sociale européenne par l’intermédiaire de la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
(et des prédécesseurs de la commission), en partenariat étroit avec
le CEDS. Depuis 2013, la sous-commission sur la Charte sociale européenne,
en particulier, encourage le suivi des conclusions annuelles du
CEDS au niveau parlementaire en organisant des séminaires de développement
des capacités, l’objectif étant de répondre à des défis spécifiques
de droits sociaux avec les acteurs concernés dans les États membres.
Par ailleurs, dans ses résolutions relatives à la Charte sociale
européenne, l’Assemblée a toujours fait la promotion de la ratification
et de l’application de la Charte et de ses protocoles, notamment
le Protocole additionnel de 1995 qui prévoit un système de réclamations
collectives, pour faire en sorte que la Charte soit un instrument dynamique
mis en œuvre et suivi de manière effective dans tous les Etats membres.
L’Assemblée a œuvré en ce sens explicitement dans la
Résolution 1792 (2011) sur le suivi des engagements concernant les droits sociaux
et la
Résolution 1824
(2011) sur le rôle des parlements dans la consolidation et
le développement des droits sociaux en Europe, et plus indirectement
en faisant référence à la Charte sociale européenne dans des résolutions
ultérieures sur d’autres sujets.
25. La ratification pleine et entière du Protocole d’amendement
de 1991, le «Protocole de Turin», selon lequel l’élection des membres
du CEDS serait confiée à l’Assemblée, revêt une importance particulière
pour cette dernière. Le seul obstacle tient au fait que l’Allemagne,
le Danemark, le Luxembourg et le Royaume-Uni n’ont toujours pas
ratifié ce protocole (ou la Charte révisée). Cette procédure d’élection,
déjà pratiquée depuis longtemps pour les juges de la Cour européenne
des droits de l’homme, renforcerait assurément la légitimité démocratique
du CEDS, voire l’acceptation du système de contrôle de la Charte
par les Etats membres. Il y a lieu de souligner que toutes les autres
dispositions du «Protocole de Turin» sont entrées en vigueur sur décision
du Comité des Ministres. Plutôt que de simplement attendre les quatre
dernières ratifications, le Comité des Ministres pourrait adopter
une décision concernant cette dernière disposition, comme recommandé
par l’Assemblée dans la
Recommandation
1976 (2011) sur le rôle des parlements dans la consolidation et
le développement des droits sociaux en Europe. L’Assemblée pourrait
certainement rappeler ce point dans son prochain texte.
26. En tant que forum de représentants des parlements nationaux
de tous les États membres du Conseil de l’Europe et organe statutaire
du Conseil de l’Europe, l’Assemblée a surtout et avant tout un intérêt
à ce que les instruments essentiels du Conseil de l’Europe soient
pleinement soutenus, y compris la Charte sociale européenne (révisée).
Pour cette raison, j’ai entrepris de promouvoir ce texte auprès
des délégations nationales concernées et je me suis efforcée d’en
apprendre davantage sur les raisons et le contexte des ratifications
en suspens.
3.4. Réception
de la Charte sociale européenne (révisée) dans les pays non signataires
27. Dans sa version révisée, la
Charte sociale européenne est l’instrument le plus à jour et le
plus complet pour la promotion des droits sociaux. Elle est dotée
d’un système de ratification «à la carte» qui autorise les États
à accepter certaines de ses dispositions et à émettre des réserves
sur d’autres. Cela a conduit à un système de ratifications très
disparate à ce jour, certains États soutenant pleinement les instruments,
d’autres proposant un certain nombre de réserves et d’autres encore
n’ayant pas encore ratifié la Charte pour diverses raisons. Pour
dresser un tableau complet de la situation et de la réception de
la Charte dans différents pays, j’ai mené une enquête restreinte
dans le cadre du présent rapport auprès des treize pays n’ayant
pas ratifié la Charte révisée, portant sur les raisons de la non-ratification
et les obstacles restants
.
28. Les réponses spécifiques apportées par les autorités de sept
Etats membres sont les suivantes
:
- la Croatie a
interrompu provisoirement le processus destiné à aboutir à la ratification
de la Charte révisée en 2016 lorsque des élections législatives
ont eu lieu et qu’un nouveau gouvernement a été formé. Il convient
de reprendre et de poursuivre la rédaction de la loi sur la ratification
en 2017 pour que le texte soit adopté plus tard dans l’année. Par
ailleurs, la Croatie apporte un large soutien au système des traités
de la Charte en tant que tel, dont elle a adopté plusieurs textes
il y a de nombreuses années;
- la République tchèque ne
souhaite pas souscrire à la très vaste gamme d’obligations de droits
sociaux énoncées par la Charte révisée et est en désaccord, d’une
manière générale, avec l’interprétation large des obligations découlant
de la Charte qui, semble-t-il, est faite à la lumière de l’état
de ratification de la Charte révisée, même si le pays concerné n’est
pas encore lié par le texte;
- le Danemark n’a
pas l’intention de ratifier la Charte sociale européenne (révisée)
dans un avenir proche car: 1) cela risquerait d’entraîner des conflits
avec la législation nationale du travail en vigueur et d’interférer
dans des domaines qui relèvent traditionnellement des accords entre
partenaires sociaux; 2) la disposition sur la non-discrimination
(article E) est considérée comme trop «ouverte» et sujette à interprétation;
3) l’interprétation du CEDS, qu’un pays soit en conformité ou non,
ne semble pas toujours cohérente, en particulier pour les pays qui
satisfont aux normes internationales de droits sociaux en vertu
de la première Charte;
- l’Allemagne étudie
encore certains des obstacles identifiés en vue de la ratification
de la Charte révisée. La ratification ne devrait pas avoir lieu
prochainement. Les autorités allemandes perçoivent les obstacles
suivants comme étant les plus problématiques: 1) la clause globale
de non-discrimination (article E), qui affecte un certain nombre
de droits de protection matérielle de façon transversale; et 2) les
dispositions relatives au droit de grève (et son impact sur les
droits respectifs des fonctionnaires). Comme d’autres pays, l’Allemagne
estime qu’elle satisfait aux obligations internationales de droits humains
en respectant un large éventail d’instruments des Nations Unies
et de l’OIT;
- le Liechtenstein n’a
actuellement aucun plan concret pour ratifier la Charte sociale
européenne (révisée). Ce petit pays aux ressources administratives
limitées doit examiner attentivement les conditions de souscription
à de nouveaux accords internationaux et les nombreuses obligations
de rapports qui en découlent. Cela étant, le pays prévoit déjà des
normes de travail très strictes et respecte par conséquent les instruments
internationaux et européens, d’après ses propres résultats de suivi mesurés
à l’aune d’indicateurs sociaux, conformément à la Charte sociale
européenne;
- Monaco, selon les
explications fournies par le Conseil National, n’est pas en mesure
de procéder à ce stade à la ratification de cet instrument international,
principalement en raison d’obstacles techniques. Les autorités de
la Principauté craignent notamment qu’une ratification présente
des inconvénients majeurs, y compris en termes d’impact sur les
finances publiques, mais aussi en ce qui concerne l’accès à certains
droits et privilèges, qui est différencié entre les nationaux et
les étrangers; une distinction qui semble être exclue par le principe
de non-discrimination tel que stipulé par la Charte. Cependant,
le Gouvernement de Monaco considère que la Charte est une source
indéniable d’inspiration pour la législation nationale pertinente;
- Saint-Marin n’a
pas encore lancé le processus de ratification de la Charte révisée,
mais s’apprête à étudier la marche à suivre pour se conformer à
l’instrument. Les dernières élections de novembre-décembre 2016,
qui ont suscité un nouvel «enthousiasme» pour la Charte sociale
européenne, ont facilité cette démarche. Certaines questions liées
à la sécurité sociale, à l’assistance sociale et médicale et aux
activités commerciales devraient être examinées plus attentivement
avant le passage à la ratification effective;
- l’Espagne n’envisage
pas de ratifier la Charte européenne révisée dans un avenir proche
car sa législation nationale contient certaines dispositions réglementaires
de nature à entrer en conflit avec cet instrument. Le gouvernement
estime que sa législation nationale est souvent plus protectrice
que la Charte révisée et que l’interprétation du CEDS, qu’un pays
satisfasse ou non à ses obligations, n’est pas toujours cohérente,
en particulier pour les pays qui respectent les normes internationales
de droits sociaux au titre de la première Charte. Les aspects suivants
sont perçus comme posant des difficultés particulières: 1) les informations
écrites communiquées aux travailleurs au sujet des conditions des contrats;
2) la promotion de services de médecine du travail auprès des travailleurs
indépendants; et 3) les droits des travailleurs migrants et de leurs
familles pour protéger et garantir le droit à la santé en toutes
circonstances;
- La Suisse ne voit
pas d’obstacles insurmontables à l’adhésion à la Charte, si l’on
excepte quelques points à éclaircir. Toutefois, après avoir mené
des débats approfondis au cours de ces dernières années, les deux
chambres du Parlement suisse (le Conseil national et le Conseil
fédéral) ont clairement indiqué qu’aucune majorité politique ne
se dessinait en faveur d’une proposition formelle visant à ratifier la
Charte sociale européenne (révisée). Au début de ce processus parlementaire,
des doutes avaient surgi quant à la compatibilité de la Charte avec
le système de formation professionnelle de la Suisse, mais ils ont
pu être dissipés par une étude spécifique conduite en 2015, selon
laquelle aucun obstacle juridique ne contrevient à la ratification
par la Suisse d’au moins six des neuf dispositions centrales de la
Charte tel que requis;
- le Royaume-Uni affirme
qu’il continue de soutenir la Charte sociale européenne d’origine
de 1961, dont il a accepté 60 des 72 paragraphes. S’agissant de
la Charte sociale européenne (révisée), signée en 1997, la décision
de ratification a été ajournée pour de multiples raisons, notamment
dans l’attente de l’interprétation de plusieurs dispositions récemment
introduites. La conformité du droit et de la pratique du Royaume-Uni
avec les traités internationaux fait l’objet d’examens réguliers
avant toute ratification de nouveaux traités; toutefois, il n’est
pas prévu de ratifier la Charte révisée dans un proche avenir.
29. Pour conclure, les principales raisons de la non-ratification
de la Charte sociale européenne (révisée) par les pays susmentionnés
sont notamment que: les normes et obligations de suivi devraient
être compatibles avec la pratique ou les capacités nationales dans
certains domaines ou les surpasser; la marge d’interprétation de
certains articles (par exemple, sur la non-discrimination) est perçue
comme étant excessive; et certaines décisions et procédures relatives
au CEDS suscitent un désaccord général. Il semble que le degré de
volonté politique de travailler au processus de ratification joue
un rôle prédominant dans la plupart des pays. Bien que tous les
pays contactés dans le cadre de mon enquête n’aient pas répondu
(10 sur 13 l’ont fait), nous pouvons dire que ce constat apparaît
dans la plupart des pays qui n’ont pas ratifié la Charte révisée.
30. En ma qualité de rapporteure, j’ai tenté d’instaurer un dialogue
avec des délégations nationales sur les derniers obstacles à l’adhésion
et à la mise en œuvre pleines et entières de la Charte sociale européenne (révisée)
grâce à l’enquête susmentionnée et à des réunions bilatérales avec
des délégations à titre individuel à la partie de session de janvier
2017. Pour examiner la situation de l’Espagne, j’ai rencontré les
principaux dirigeants de partis politiques représentés au Parlement
espagnol, y compris de l’opposition, sachant que l’organisation
de ce type d’échanges bilatéraux ne devrait être qu’une première
étape. Pour aller plus loin, l’Assemblée pourrait aussi, d’une manière
plus générale, donner une nouvelle impulsion à son rôle sur la scène européenne
en favorisant et en animant le dialogue sur les droits sociaux en
Europe, avec comme instrument central la Charte sociale européenne.
4. Favoriser
le dialogue européen sur les droits sociaux dans le cadre du Socle
européen des droits sociaux
31. Ces dernières années, le Conseil
de l’Europe et son Assemblée parlementaire ont fait régulièrement
la promotion des droits sociaux comme droits humains fondamentaux.
Différents contacts et forums au niveau parlementaire, ainsi que
dans le processus actuel du Socle européen des droits sociaux, peuvent
fournir d’autres opportunités de ce type.
4.1. Favoriser
le dialogue social et politique à divers niveaux
32. L’Assemblée parlementaire est
en soi un forum paneuropéen qui permet aux Etats membres du Conseil de
l’Europe de débattre de préoccupations d’intérêt commun. Il importe
par conséquent que certains défis socio-économiques susmentionnés
soient maintenus en bonne place à l’ordre du jour de cet organe
et ce à différents niveaux, dans le cadre de rapports thématiques
et de débats pléniers, mais aussi de la coopération avec différents
partenaires internes, tels que le CEDS, et des organisations partenaires
extérieures, telles que la Commission européenne et le Parlement
européen, l’OCDE ou l’OIT. Cela permet d’accorder une visibilité régulière
aux droits sociaux en tant que droits humains fondamentaux et de
développer des synergies. Le partenariat avec l’OIT, qui travaille
souvent sur des questions similaires à celles que traite l’Assemblée
(par exemple, l’OIT et l’Assemblée s’intéressent toutes deux actuellement
aux questions d’inégalités de revenus), est un partenariat très
positif à cet égard et l’on note une participation réciproque aux
événements organisés dans le domaine.
33. Les décisions adoptées par le CEDS dans le cadre du mécanisme
de réclamations collectives peuvent contribuer de manière significative
à des discussions politiques fructueuses, dans la mesure où ce mécanisme associe
directement des partenaires sociaux et des organisations de la société
civile habilités à déposer des plaintes. En d’autres termes, les
décisions du CEDS peuvent avoir un intérêt transversal pour tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe, notamment pour renforcer
l’acceptation de la procédure même de plainte collective, mais aussi,
là encore, pour stimuler le débat politique sur certaines questions
d’actualité – c’est l’un des résultats des séminaires organisés
au niveau parlementaire par l’Assemblée sur lesdites décisions des cinq
dernières années.
34. Le dialogue politique ne permettra probablement pas de surmonter
l’incohérence actuelle entre les systèmes juridiques européens et
leurs interprétations au niveau du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne;
il reste néanmoins indispensable qu’il traite de ce thème et souligne
l’urgence d’une meilleure coordination de ces systèmes juridiques
en matière de garantie des droits sociaux. Par exemple, dans les affaires
Viking et
Laval très
débattues en 2008, les droits fondamentaux garantis par le système
des traités de la Charte sociale européenne et l’arrêt de la Cour
européenne des droits de l’homme ont été remis en question par la
Cour de justice de l’Union européenne, comme l’a déjà souligné l’Assemblée
en 2015
.
35. Au niveau parlementaire, les contacts entre l’Assemblée parlementaire
et le Parlement européen pourraient aussi clairement être intensifiés
par des rencontres bilatérales entre parlementaires ou par des dispositifs
plus formels, comme la participation à des auditions de part et
d’autre ou des réunions conjointes des commissions concernées. Toutefois,
il semble que certains obstacles subsistent à ce propos: en raison des
discordances qui existent entre les structures et les mandats du
Parlement européen et de l’Assemblée parlementaire, la collaboration
est loin d’être régulière mais reste très sélective. Ainsi, dans
le cadre du présent rapport, j’ai essayé d’établir un échange de
vues entre un membre du Parlement européen et la commission, afin
de connaître l’avis du Parlement européen sur le Socle européen
des droits sociaux (voir ci-dessous), mais cette rencontre s’est
avérée extrêmement difficile à organiser pour des raisons d’agenda
et de priorités. Toutefois, j’ai pu rencontrer brièvement la députée
européenne Maria Rodrigues, rapporteure du Parlement européen pour
le rapport sur le Socle européen des droits sociaux adopté récemment
. A cette occasion, nous avons
convenu que, en attendant l’approbation du Socle par tous les Etats
membres de l’Union européenne et que la phase de mise en œuvre démarre,
les actions suivantes pourraient d’ores et déjà être initiées parallèlement:
1) examiner de manière plus approfondie le potentiel de la Charte
sociale européenne à devenir une référence commune et identifier
des lacunes éventuelles du Socle de l’Union européenne à cet égard;
2) explorer les futures opportunités de coopération en vue de l’institutionalisation
d’un dialogue plus régulier entre le Parlement européen et l’Assemblée
parlementaire par le biais d’organes variés.
36. La réunion semestrielle organisée par la COSAC (Conférence
des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union
des Parlements de l’Union européenne) dans le cadre des présidences
alternées de l’Union européenne est, selon moi, un autre point de
contact intéressant avec les institutions de l’Union européenne.
J’ai assisté à la réunion organisée en octobre 2016 à Bratislava
(République slovaque) que j’ai trouvé très stimulante et fructueuse
pour la cause présente. J’espère que nous entamerons dès lors une
phase de participation plus régulière de l’Assemblée à ces réunions.
Il me semble que la COSAC pourrait jouer un rôle majeur en faveur
de l’adoption de la Charte sociale européenne (révisée) dans les
États membres de l’Union européenne, conformément aux efforts consentis
actuellement de part et d’autre dans le cadre du «Processus de Turin»
et du processus conduisant au Socle européen des droits sociaux.
37. Enfin, le Conseil de l’Europe devrait contribuer au dialogue
paneuropéen sur les droits sociaux qui a lieu au sein de l’Union
européenne. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Président
de l’Assemblée parlementaire devraient participer au prochain «Sommet
social pour des emplois et une croissance équitables» organisé conjointement
par la Commission européenne et le Gouvernement suédois à Göteborg, le
17 novembre 2017, en vue d’échanger sur le Socle européen des droits
sociaux. L’Assemblée parlementaire pourrait faire un nouveau pas
en avant en organisant son propre événement à haut niveau sur les
droits sociaux dans la Grande Europe, qui rassemblerait des représentants
du Conseil de l’Europe et d’organes de l’Union européenne, des parlements
nationaux et des gouvernements, les partenaires sociaux et la société civile.
4.2. Promouvoir
la Charte sociale européenne dans le contexte du Socle européen
des droits sociaux
38. En septembre 2015, la Commission
européenne a lancé, à la demande spéciale de M. Jean-Claude Juncker,
son président nouvellement élu, le processus d’élaboration d’un
Socle européen des droits sociaux ainsi qu’une vaste consultation
entre les institutions et organisations européennes
. Ce processus
de consultation s’est achevé en mars 2017 et la Commission européenne
a fait connaître au public le nouveau Socle européen des droits
sociaux composé d’un large éventail de 22 principes ayant la nature
d’objectifs politiques. L’objectif de la Commission européenne est
que ce «Socle» reçoive l’approbation politique de toutes les parties
prenantes pendant le Sommet social mentionné ci-dessus qui se tiendra
à Göteborg (Suède) en novembre 2017
.
39. Dans son avis sur le processus publié en février 2017, M. Thorbjørn
Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, a appelé la
Commission européenne à reconnaître la Charte sociale européenne
comme étant la «Constitution sociale de l’Europe» et à s’en servir
de base pour le Socle européen des droits sociaux. Cet appel a été
soutenu par différentes organisations
. Si l’adhésion formelle de l’Union
européenne à la Charte sociale européenne (révisée), débattue régulièrement
dans divers contextes au cours des dernières années, devrait être
l’objectif à long terme, l’approche politique de la Charte semble
être la bonne pour l’instant.
40. Par ailleurs, M. Jagland a souligné la nécessité de consolider
la synergie entre les systèmes normatifs de protection des droits
sociaux fondamentaux sur l’ensemble du continent. À ce titre, il
voit dans le Socle des droits sociaux l’occasion de donner effet
dans la pratique aux droits sociaux au sein de l’Union européenne d’une
manière conforme aux textes clés du Conseil de l’Europe, en tenant
dûment compte des avantages comparatifs et en évitant les doublons,
tout en reconnaissant la Charte sociale européenne dans le cadre
de l’acquis européen en matière de droits humains. Le Secrétaire
Général a rappelé que le non-respect des droits sociaux était un
terreau fertile pour les mouvements extrémistes et mettait à mal
la cohésion sociale et les démocraties inclusives. Il a invité officiellement
la Commission européenne: 1) à incorporer de manière formelle les
dispositions de la Charte sociale européenne (révisée) dans le Socle
européen des droits sociaux comme référence commune pour que les
États garantissent ces droits; et 2) à reconnaître la procédure
de réclamations collectives pour sa contribution à la réalisation
effective des droits établis dans la Charte et au renforcement de
démocraties participatives inclusives
. L’Assemblée devrait assurément
appuyer ces propositions par ses propres textes et activités.
5. Conclusions
et recommandations
41. Comme cela a été souligné plus
haut, l’Assemblée a toujours considéré la Charte sociale européenne comme
une référence majeure dans le domaine des droits sociaux et comme
une norme centrale de droits humains. Ce point de vue ressort de
différents textes et activités de promotion produits aux cours des
dernières années. L’Assemblée poursuit actuellement la promotion
de diverses normes du Conseil de l’Europe dans le cadre d’un projet
intitulé «Parlements et droits sociaux», coordonné par la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable.
Des activités parlementaires spécifiques sont élaborées sous l’égide de
cette commission en coopération étroite avec des délégations nationales.
L’Assemblée devrait aussi continuer de promouvoir la Charte sociale
européenne en coopération étroite avec d’autres organes du Conseil
de l’Europe, en particulier le CEDS aux niveaux énoncés ci-après.
42. En ce qui concerne la nécessité de renforcer la Charte sociale
européenne en tant que système normatif, il convient de:
- poursuivre la promotion des
droits sociaux lors d’événements organisés spécialement sur le sujet
en coopération avec d’autres organes du Conseil de l’Europe (par
exemple, des séminaires parlementaires);
- comme le suggère la Recommandation
1976 (2011) sur le rôle des parlements dans la consolidation et le
développement des droits sociaux en Europe, inviter à nouveau les
quatre pays qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le Protocole
portant amendement à la Charte sociale européenne ou la Charte sociale
européenne (révisée), à savoir l’Allemagne, le Danemark, le Luxembourg
et le Royaume-Uni, pour permettre l’élection des membres du CEDS
par l’Assemblée;
- en l’absence de ces ratifications, demander à nouveau
au Comité des Ministres d’adopter une décision unanime à cet égard
pour permettre à l’Assemblée de remplir sa fonction prévue dans
le mécanisme de suivi de la Charte.
43. En ce qui concerne la promotion du dialogue sur les droits
sociaux et la coordination de l’action politique avec d’autres institutions
européennes, notamment l’Union européenne, il convient de:
- lancer un véritable «Dialogue
parlementaire sur les droits sociaux», en fonction des activités
en cours dans le domaine;
- organiser une conférence à haut niveau de représentants
du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne, des gouvernements
et parlements nationaux, des partenaires sociaux et de la société civile;
- assurer la participation régulière d’un représentant de
l’Assemblée parlementaire aux prochaines réunions de la COSAC (Conférence
des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union des
Parlements de l’Union européenne), organisées deux fois par an dans
le cadre des présidences alternées de l’Union européenne;
- organiser des échanges réguliers entre les commissions
de l’Assemblée parlementaire et du Parlement européen et leurs rapporteurs
thématiques respectifs sur les enjeux futurs d’intérêt commun;
- contribuer aux prochains événements de l’Union européenne
pour la promotion des droits sociaux, notamment le prochain «Sommet
social pour des emplois et une croissance équitables» organisé conjointement
par la Commission européenne et le Gouvernement suédois à Göteborg,
le 17 novembre 2017, en vue d’échanger sur le Socle européen des
droits sociaux .
44. En ce qui concerne les défis restants en matière de droits
sociaux d’une manière plus générale, il convient de:
- sur la base des systèmes normatifs
européens existants, notamment la Charte sociale européenne (révisée)
et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, élaborer
une «Stratégie des droits sociaux» paneuropéenne et dresser une
liste d’indicateurs stratégiques connexes qui vont au-delà des indicateurs
«habituels» de croissance et de performance;
- contrôler régulièrement les politiques nationales à l’aune
de cette Stratégie et de ces indicateurs, en tenant compte des priorités
identifiées par les processus politiques au niveau européen, y compris
le Socle européen des droits sociaux, le «Processus de Turin» et
les résolutions pertinentes de l’Assemblée parlementaire;
- promouvoir l’élaboration de stratégies nationales ciblées
pour relever des défis socio-économiques complexes et transversaux,
tels que l’emploi des jeunes, la participation des femmes au marché de l’emploi,
la lutte contre la pauvreté des enfants et l’égalité des chances
pour tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale ou ethnique.
45. Pour aller au-delà du «Processus de Turin», qui lance le débat
sur une meilleure exploitation du potentiel des instruments existants,
mais aussi du Modèle social européen, tourné vers des domaines d’action prioritaires,
et du Socle européen des droits sociaux, qui affirme la volonté
politique au sein de l’Union européenne et de la zone euro, nous
devons maintenant adopter une «Stratégie européenne des droits sociaux»
qui se veut plus durable et combine le modèle statique de «socle»
avec des processus plus dynamiques afin de créer un mouvement global
vers un respect accru des droits sociaux en Europe, au niveau européen
et national. Plus concrètement, nous devons fonder cette démarche
sur l’égalité des chances pour tous, l’égalité de revenus et la
cohésion sociale, y compris pour les groupes les plus vulnérables.
Cela nous aidera à préserver les démocraties européennes et la paix
sociale globale que l’Europe connaît depuis plusieurs décennies.