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Résolution 2171 (2017)
Le contrôle parlementaire de la corruption: la coopération des parlements avec les médias d'investigation
1. La corruption sape les systèmes
démocratiques et économiques des États. Lutter contre cette menace est
indispensable pour défendre les valeurs européennes et doit rester
une priorité tant pour le Conseil de l’Europe que pour ses États
membres. L’Assemblée parlementaire est fermement résolue à œuvrer
pour renforcer la dimension parlementaire de cette lutte, notamment
à travers sa plateforme anticorruption.
2. Les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer, non
seulement à travers leur activité législative mais aussi en encourageant
l’intégrité dans leurs propres rangs, en donnant le bon exemple
en matière de transparence et en renforçant la coopération avec
la société civile et particulièrement avec les médias.
3. Le journalisme d’investigation est une arme essentielle de
la lutte contre la corruption et, dans certains cas, il est peut-être
le seul moyen externe de prévention réellement efficace. De nombreux
cas de corruption n’auraient jamais été dévoilés sans le travail
patient, difficile et dangereux accompli par des journalistes et
le courage de lanceurs d’alerte. Dès lors, l’Assemblée considère
que le journalisme d’investigation est un «bien public», qu’il faut
davantage valoriser et soutenir. L’Assemblée note qu’un financement
exclusif du journalisme d’investigation par des sources privées
ou par des sources contrôlées par l’État pourrait générer un manque de
confiance du public dans le choix des sujets d’investigation et
la manière dont ils sont traités.
4. Les parlements nationaux devraient rechercher activement des
synergies avec les journalistes et les médias d’investigation dans
la lutte contre la corruption et les malversations financières,
et plus largement dans la promotion d’une bonne gouvernance. L’Assemblée
est convaincue qu’une coopération plus étroite entre les parlements
et les journalistes d’investigation renforcerait le rôle et la crédibilité
des parlements dans la lutte contre la corruption et la confiance
des citoyens dans les institutions démocratiques et les médias.
5. Un environnement favorable au journalisme d’investigation
– et plus généralement à la liberté d’information et à celle des
médias – requiert tout d’abord une protection efficace des journalistes
contre toute atteinte à leur sécurité et intégrité physique, toute
mesure de détention abusive, toute tentative d’intimidation et toute
pression indue contraire à leur indépendance. L’Assemblée le rappelle
sans cesse. Néanmoins, d’autres conditions sont aussi nécessaires
afin que le journalisme d’investigation puisse mieux servir la cause commune
qu’est la lutte contre la corruption.
6. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres du
Conseil de l’Europe de mieux intégrer le rôle du journalisme d’investigation
dans leurs stratégies de lutte contre la corruption et, à cet effet:
6.1. de se doter de lois assurant
l’accès le plus large possible à l’information;
6.2. de mettre en place des mécanismes financiers pour soutenir
le journalisme d’investigation sans compromettre son indépendance;
6.3. d’assurer une protection adéquate aux donneurs d’alerte,
y compris en limitant le risque de poursuites pénales et de rétorsions.
7. L’Assemblée recommande en particulier aux parlements nationaux:
7.1. en ce qui concerne l’accès à
l’information:
7.1.1. de veiller à ce que la Convention
du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics (STCE no 205)
soit ratifiée le plus tôt possible, si ce n’est pas déjà fait;
7.1.2. d’inscrire dans les calendriers des travaux parlementaires
la révision et l’amélioration des lois d’accès à l’information;
ces lois devraient, entre autres:
7.1.2.1. s’appliquer aussi
aux parlements et garantir la transparence des intérêts financiers
de tous leurs membres;
7.1.2.2. prévoir que les données relatives aux propriétaires et
aux bénéficiaires effectifs des sociétés seront aisément accessibles
au public en général et aux journalistes d’investigation en particulier;
7.2. en ce qui concerne le soutien financier au journalisme
d’investigation:
7.2.1. d’étudier, en étroite collaboration
avec les associations nationales de journalistes, la création d’un
fonds national pour le journalisme d’investigation, dont les statuts
devraient garantir l’absence de but lucratif et une gestion transparente
et indépendante du politique; prévoir que ce fonds national puisse
bénéficier de subventions publiques, ainsi que de dons privés dont
la transparence devra être garantie;
7.2.2. d’inscrire au budget annuel une subvention affectée au
financement de projets d’enquête, de reportages ou d’investigations
journalistiques, dont le montant devrait assurer la viabilité financière
du fonds; l’organe de gestion du fonds devrait avoir l’obligation
d’informer le parlement et le public de son utilisation, sans préjudice
des enquêtes en cours de réalisation ou prévues;
7.3. en ce qui concerne une meilleure protection des lanceurs
d’alerte:
7.3.1. de donner une définition précise, mais
large, des «lanceurs d’alerte» et de leur assurer un niveau de protection
au moins égal à celui prévu par la Recommandation CM/Rec(2014)7
du Comité des Ministres sur la protection des lanceurs d’alerte;
en particulier:
7.3.1.1. de reconnaître un «droit de donner
l’alerte» dans tous les cas où la divulgation de l’information est
faite de bonne foi et répond clairement à l’intérêt du public, par
exemple lorsqu’il s’agit de violations des droits fondamentaux ou
du droit pénal, y compris de corruption active ou passive, ou de
faits qui révèlent une mise en danger de la sécurité, de la santé
ou de l’environnement;
7.3.1.2. de configurer l’exercice du «droit de donner l’alerte»
comme une condition objective d’exclusion de la responsabilité pénale;
d’interdire et de sanctionner les mesures de rétorsion ou les pressions
abusives sur les lanceurs d’alerte;
7.3.1.3. d’introduire un mécanisme de signalement au niveau national
(n’excluant pas la possibilité de dénonciation directe de tout fait
illicite aux autorités judiciaires) pour permettre aux donneurs
d’alerte de saisir, sans crainte d’un quelconque préjudice, une autorité
indépendante ayant les pouvoirs d’enquête et d’intervention nécessaires
pour donner suite à l’alerte, tout en garantissant selon les besoins
la confidentialité ou l’anonymat des lanceurs d’alerte;
7.3.1.4. à cet égard, d’étudier comme solution alternative à la
création d’agences spécialisées en priorité deux pistes d’action,
l’une n’excluant pas l’autre: premièrement, la saisine de commissions
parlementaires d’enquête, en mettant en place au niveau des parlements
nationaux des procédures spécifiques à cet égard; et, deuxièmement,
la saisine du médiateur national, lorsque cet organe existe, en
lui conférant explicitement par la loi cette compétence, si ce n’est
pas déjà le cas;
7.4. en ce qui concerne la collaboration entre les parlements
nationaux et les journalistes d’investigation et la valorisation
de leur travail:
7.4.1. de promouvoir l’image du journalisme
d’investigation et la reconnaissance sociale de sa fonction dans
le cadre d’une société démocratique; de mieux associer les médias
d’investigation à la réflexion sur les réformes législatives les
concernant et aux travaux des commissions parlementaires d’enquête;
et de porter cette collaboration et ses résultats à l’attention
du grand public.