Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2174 (2017)
Répercussions sur les droits de l’homme de la réponse européenne aux migrations de transit en Méditerranée
1. Plus d’un an après l’adoption de
l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, l’Assemblée parlementaire reconnaît
que les mesures déployées ont produit des effets tangibles sur les
défis engendrés par la crise des réfugiés et des migrations. Si,
dans les semaines précédant la mise en œuvre de l’accord, près de 2 000 personnes
en moyenne arrivaient chaque jour sur les îles grecques, ce nombre
est tombé à moins de 100 par jour depuis lors. Quant au nombre de
morts, qui atteignait 376 de début janvier au 20 mars 2016, il a diminué
de façon significative durant la période 2017 correspondante – 13 personnes
ont perdu la vie.
2. Depuis que l’Assemblée a examiné la question, il y a un an,
la situation en Grèce a connu une certaine amélioration bien que
cet État soit devenu un pays de destination où la quasi-totalité
des réfugiés et des migrants récemment arrivés demandent l’asile.
À l’heure actuelle, 63 000 demandeurs d’asile attendent en Grèce
le résultat de la procédure de détermination de leur statut. 14 000
d’entre eux sont confinés sur les îles. Grâce à la création de «hotspots»,
l’accueil, l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile
ont énormément gagné en efficacité et, grâce aux efforts constants
déployés par les autorités grecques et d’autres acteurs pour améliorer
ces procédures, ces démarches suscitent moins de préoccupations
qu’auparavant. Toutefois, dans l’ensemble, les conditions d’accueil
restent médiocres et la situation des mineurs non accompagnés est
extrêmement inquiétante. Sur 2 000 mineurs enregistrés en Grèce,
seuls 1 352 vivent dans des foyers adaptés à leurs besoins spécifiques.
3. L’Assemblée note que les craintes concernant les éventuels
renvois de réfugiés syriens en Turquie en tant que «premier pays
d’asile» ou «pays tiers sûr» dans le cadre de l’accord UE-Turquie
ne se sont pas concrétisées: à ce jour, aucun demandeur d’asile
syrien (ou d’une autre nationalité) n’a été renvoyé en Turquie sans
un examen de sa demande sur le fond. Jusqu’en avril 2017, le nombre
total de personnes renvoyées depuis l’accord UE-Turquie s’élève
à 1 487.
4. En outre, l’Assemblée note que les craintes concernant la
rétention systématique des demandeurs d’asile dans les centres de
crise sont restées vaines. La pratique qui a suivi a montré que,
une fois enregistrés, les demandeurs d’asile peuvent désormais entrer
et sortir librement des centres. Cependant l’absence d’autres possibilités
d’hébergement signifie que, hormis certaines personnes appartenant
à des groupes vulnérables, la plupart n’ont d’autre choix que d’y
résider même si les conditions de vie sont loin d’être satisfaisantes.
5. Il subsiste de graves préoccupations dans un grand nombre
de domaines importants dont des retards d’enregistrement et de traitement
des demandes d’asile, en dépit des efforts significatifs consentis
par le Service grec de l’asile; la «rétention de protection» des
mineurs non accompagnés dans les commissariats de police, même pour
de brefs laps de temps; les procédures inappropriées d’évaluation
de l’âge; l’absence de système de tutelle efficace pour les mineurs
non accompagnés; la violence de nature sexuelle et fondée sur le
genre dans les centres d’accueil; l’accès insuffisant à l’éducation
et à la santé; et le caractère peu satisfaisant des mesures d’intégration
en dépit d’un plan d’action pour l’intégration mis en œuvre par
les autorités grecques. L’Assemblée prend également note tant des
lacunes persistantes du cadre législatif et administratif grec que
de l’absence de coordination de l’action en ce qui concerne la satisfaction
des besoins fondamentaux des réfugiés et des migrants, notamment
l’incapacité d’absorber et d’utiliser à bon escient les financements
internationaux disponibles.
6. La mise en application de l’accord UE-Turquie et de la fermeture
des frontières a directement entraîné une baisse de 83 % du nombre
des nouvelles arrivées dans les pays des Balkans occidentaux et
en Hongrie. S’agissant des migrants bloqués dans ces pays à la fin
de 2016, presque tous le sont en Serbie (5 633) et en Bulgarie (5 560).
7. La mise en œuvre de l’accord UE-Turquie et la fermeture des
frontières sur la route des Balkans occidentaux n’ont eu vraisemblablement
aucun impact sur le nombre de personnes utilisant la route de la Méditerranée
centrale entre l’Afrique du Nord et l’Italie. Certes, le nombre
des arrivées en Italie a augmenté de plus de 30 % au cours des cinq
premiers mois de 2017, mais ce phénomène est lié à la situation
instable en Libye et à l’afflux grandissant de migrants venus de
différents pays africains.
8. En Italie, même si les conditions d’accueil et les procédures
d’asile s’améliorent aussi, elles requièrent une action urgente.
À l’instar de la Grèce, l’Italie est devenue un pays de destination
et le flux ininterrompu des arrivées massives risque de saturer
les capacités d’accueil du pays. Les nouveaux arrivants, notamment
les mineurs non accompagnés, restent souvent pendant une durée excessive
dans les centres de crise, qui ne sont ni destinés, ni adaptés à
cette fin, et la plupart d’entre eux sont alors hébergés dans des
centres de premier accueil provisoires, qui sont dépourvus des installations
et des services indispensables. On constate aussi des lacunes en
matière de réglementation juridique des centres de crise, y compris
la base de la rétention dans ces centres et le recours à la force
pour contraindre les nouveaux arrivants à donner leurs empreintes digitales.
Il y a aussi les graves retards dans l’enregistrement et le traitement
des demandes d’asile, les préoccupations au sujet de l’efficacité
de la voie de recours contre le rejet des demandes d’asile et les insuffisances
du système de tutelle applicable aux mineurs non accompagnés. La
question du renvoi des demandeurs d’asile déboutés doit être immédiatement
prise en compte; le grand nombre de migrants en situation irrégulière
constitue une menace pour tout le système d’asile et pour la stabilité
sociale.
9. Dans une large mesure, l’arrivée de migrants en Italie résulte
d’une incapacité des autorités libyennes à contrôler leurs frontières.
Tout en maintenant le niveau des opérations de recherche et de sauvetage,
il faudrait que l’Union européenne multiplie ses efforts pour lutter
efficacement contre les réseaux de passeurs en Méditerranée et pour
renforcer la coopération avec les garde-côtes libyens. Toute coopération
avec les autorités libyennes doit être fondée sur le respect effectif
par les deux parties des dispositions essentielles du droit international
lié aux droits de l’homme, y compris le droit de quitter un pays,
le droit de demander l’asile et d’en bénéficier, et l’interdiction
du refoulement.
10. L’Assemblée souligne que l’absence de voies accessibles et
sûres oblige les réfugiés et les migrants à prendre des risques
énormes en tentant de traverser la mer. L’utilisation des moyens
légaux existants pour entrer en Europe – regroupement familial ou
réinstallation, par exemple – contribuerait considérablement à réduire
les migrations irrégulières en Méditerranée.
11. Par ailleurs, l’Assemblée fait référence à ses récentes résolutions
concernant divers aspects des arrivées massives de réfugiés et de
migrants par la Méditerranée, notamment la Résolution 2109 (2016) sur la situation
des réfugiés et des migrants dans le cadre de l’accord UE-Turquie
du 18 mars 2016, la Résolution 2147
(2017) sur la nécessité de réformer les politiques migratoires
européennes, la Résolution
2118 (2016) «Les réfugiés en Grèce: défis et risques
– Une responsabilité européenne», la Résolution 2107 (2016) sur une réponse
renforcée de l’Europe à la crise des réfugiés syriens, la Résolution 2108 (2016) «Les
droits de l’homme des réfugiés et des migrants – la situation dans
les Balkans occidentaux», la Résolution
2088 (2016) «La Méditerranée: une porte d’entrée pour
les migrations irrégulières», la Résolution 2072 (2015) «Après Dublin:
le besoin urgent d’un véritable système européen d’asile», la Résolution 2089 (2016) sur
le crime organisé et les migrants, et la Résolution 2136 (2016) «Harmoniser
la protection des mineurs non accompagnés en Europe».
12. L’Assemblée appelle l’Union européenne:
12.1. pour ce qui est de réduire le nombre des traversées en
mer et de sauver des vies:
12.1.1. à maintenir au moins le
niveau actuel d’opérations de recherche et de sauvetage;
12.1.2. à renforcer la lutte contre les passeurs et les trafiquants;
12.1.3. à intensifier sa coopération avec les garde-côtes libyens
et, en particulier, à assurer le financement de programmes de formation,
à aider à mettre en place un centre de coordination du sauvetage
maritime, à favoriser la fourniture de navires patrouilleurs supplémentaires
et à assurer leur maintenance, à condition qu’il soit possible de
vérifier que les garde-côtes libyens s’attachent à respecter les
droits fondamentaux des réfugiés et des migrants, notamment en s’abstenant
de les exposer à des situations où ils risquent de subir de mauvais
traitements sévères;
12.1.4. à s’entendre avec les autorités libyennes pour assurer
la cessation des violations extrêmement graves et étendues des droits
des réfugiés et des migrants, et l’amélioration des conditions d’accueil
dans les centres pour migrants, en portant une attention particulière
aux personnes vulnérables et aux mineurs; à intensifier la coopération
avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à cet
égard; à aider les autorités libyennes à renforcer leurs capacités
en matière de gestion migratoire; et à lancer des programmes de
coopération avec les autorités d’accueil libyennes;
12.1.5. à mobiliser des financements pour des projets liés aux
migrations en Afrique du Nord dans le cadre du Fonds d’affectation
spéciale de l’Union européenne pour l’Afrique;
12.1.6. à entamer un processus de réflexion approfondie sur la
possibilité d’établir des hotspots hors d’Europe dans le plein respect
des normes internationales relatives aux droits de l’homme;
12.2. en ce qui concerne les conditions d’accueil et de vie
dans les pays de première arrivée et de transit:
12.2.1. à
accroître l’assistance financière, humaine et administrative en
vue d’améliorer les conditions d’accueil et de vie;
12.2.2. à assurer la transparence, le suivi et le caractère responsable
des procédures de financement, et, à cette fin, à privilégier les
autorités publiques comme premiers bénéficiaires lorsqu’elles ont
prouvé leur aptitude à faire un usage plus efficient et efficace
de ces financements que d’autres acteurs;
12.3. en ce qui concerne les procédures d’asile:
12.3.1. à
ne pas renvoyer des demandeurs d’asile en Grèce et en Italie en
vertu du Règlement de Dublin, tant que ces pays sont confrontés
à un nombre disproportionné de demandeurs d’asile;
12.3.2. à continuer de fournir l’aide nécessaire, par le biais
des agences de l’Union européenne concernées, aux services d’asile
nationaux des États membres en première ligne et, en particulier,
à pallier l’actuel manque d’experts du Bureau européen d’appui en
matière d’asile (BEAA) en appelant d’autres États membres à s’engager
et en prolongeant la durée du mandat des experts indépendants;
12.3.3. à revoir, et à redéfinir, s’il y a lieu, les mandats des
agences en question fournissant aux services d’asile grecs et italiens
des ressources et des conseils d’experts en matière financière et
technique, ainsi que des moyens de coordination, et ce en vue d’éliminer
les lacunes existantes et d’accroître l’efficacité de leurs actions;
12.3.4. à s’attaquer d’urgence à la question de l’hébergement
et du traitement des demandes des mineurs non accompagnés;
12.3.5. à désigner un agent responsable de la protection des enfants
dans chaque hotspot et dans chaque camp de réfugiés;
12.3.6. à veiller à ce que les États membres de l’Union européenne
se conforment immédiatement à leurs engagements en matière de relocalisation
émanant de décisions du Conseil européen et du Conseil de l'Europe,
et à prendre toutes les mesures nécessaires à l’encontre des États
membres qui ne respecteraient pas leurs engagements;
12.3.7. à envisager de prolonger le mécanisme de relocalisation
au-delà de septembre 2017 et à redéfinir les critères d’éligibilité,
notamment pour inclure les Irakiens et les Afghans;
12.3.8. à intensifier le rythme de réinstallation en provenance
de Turquie;
12.3.9. à accélérer les travaux portant sur la réforme du régime
d’asile européen commun, notamment en révisant le Règlement de Dublin
et, dans l’avenir, les modalités d’application des principes de
responsabilité et de solidarité;
12.3.10. à veiller à une pleine mise en œuvre du regroupement familial
à partir de la Grèce et de l’Italie dans le respect du droit communautaire
et international, dont le Règlement de Dublin et la Directive
2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au
droit au regroupement familial;
12.3.11. à veiller à ce que les personnes ne nécessitant pas de
protection internationale soient renvoyées dans leur pays d’origine
en toute dignité pour autant que cela soit possible;
12.3.12. à faciliter les retours de Grèce et d’Italie par le moyen
d’accords bilatéraux avec les pays d’origine des migrants;
12.3.13. à augmenter le financement des retours volontaires, notamment
pour pouvoir créer des centres spéciaux à l’intention des personnes
en attente de retour.
13. L’Assemblée appelle les autorités grecques:
13.1. en ce qui concerne les conditions
d’accueil:
13.1.1. à continuer d’accroître les capacités
d’accueil sur les îles et sur le continent, et à veiller à la fermeture
immédiate de tous les sites inadaptés;
13.1.2. à intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre
la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre ainsi que
toutes les formes d’exploitation dans les centres de réfugiés;
13.1.3. à porter davantage d’attention aux besoins spécifiques
des enfants séparés et non accompagnés, notamment en assurant une
aide et des soins spécialisés, et des conditions de vie adéquates,
et en ouvrant la voie à la normalité et à l’intégration au sein
de la société d’accueil;
13.1.4. à mettre fin à la détention systématique des demandeurs
d’asile déboutés et à vérifier la proportionnalité pour chaque cas
individuel, conformément aux principes de l’article 5 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5),
et à améliorer considérablement les conditions de détention et,
dans cette perspective, à abolir la pratique consistant à détenir
des migrants dans des commissariats;
13.2. en ce qui concerne les procédures d’asile:
13.2.1. à
accélérer le traitement des demandes d’asile – depuis l’enregistrement
jusqu’à l’appel – conformément aux normes du droit international
et communautaire, et à renoncer à leur politique consistant à dénier
l’accès aux programmes d’aide au retour volontaire et à la réintégration
(AVRR) de l’OIM à ceux qui contestent les décisions négatives;
13.2.2. à adopter sans attendre des procédures opérationnelles
standard, élément essentiel pour clarifier les responsabilités et
pour harmoniser les procédures dans les hotspots et autres lieux
de débarquement;
13.2.3. à désigner des coordinateurs permanents dans les hotspots
en vue d’améliorer la coordination, d’assurer une communication
et un partage d’informations efficaces entre les différents acteurs,
et d’assumer la pleine responsabilité de la gestion globale de ces
centres;
13.2.4. à adopter la législation en matière de tutelle conformément
aux bonnes pratiques européennes, et à la mettre en œuvre dans les
plus brefs délais dès son entrée en vigueur;
13.2.5. à veiller à ce que toutes les organisations non gouvernementales
(ONG) impliquées dans le processus d’accueil et d’aide soient en
conformité avec la réglementation comunautaire et nationale;
13.3. en ce qui concerne l’utilisation du financement de l’Union
européenne:
13.3.1. à accélérer la procédure de l’utilisation
du financement à long terme de l’Union européenne pour l’accueil
et les structures d’hébergement;
13.3.2. à activer les programmes destinés au suivi de la situation
en mer Égée en utilisant le financement à long terme de l’Union
européenne;
13.3.3. à mettre en œuvre une politique d’intégration effective
des personnes auxquelles le statut de réfugié est reconnu et à envisager
d’englober dans son champ d’application les demandeurs d’asile dont
la nationalité laisse penser que le statut de réfugié leur sera
très probablement accordé.
14. L’Assemblée appelle les autorités italiennes:
14.1. en ce qui concerne les conditions
d’accueil:
14.1.1. à augmenter le nombre des structures offrant
des conditions adéquates d’hébergement et de traitement des demandes
pour les mineurs non accompagnés et les autres demandeurs d’asile
vulnérables;
14.1.2. à veiller à ce que les demandeurs d’asile ne soient pas
retenus dans les hotspots au-delà de la durée légale autorisée,
à augmenter le nombre de places disponibles dans les centres d’accueil
permanents et à éviter l’utilisation d’installations provisoires
pour l’hébergement de longue durée;
14.1.3. à établir des normes nationales applicables aux camps
et centres de réfugiés, et à en renforcer le suivi et la responsabilité;
14.1.4. à intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre
la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre ainsi que
toutes les formes d’exploitation dans les centres de réfugiés;
14.2. en ce qui concerne les procédures d’asile:
14.2.1. à
revoir les procédures d’asile afin d’en renforcer l’efficacité,
compte tenu du nombre considérablement accru des demandes d’asile,
et à veiller à ce que les voies de recours respectent les exigences
procédurales d’un recours effectif;
14.2.2. à s’attaquer d’urgence à la question du traitement des
demandes émanant de mineurs non accompagnés et, en particulier,
à clarifier les procédures permettant la relocalisation de ces jeunes;
14.2.3. à assurer la pleine et rapide mise en application de la
Loi no 47 sur les mineurs non accompagnés
(dite «Legge Zampa»).
15. L’Assemblée réitère ses demandes adressées de longue date
aux autorités turques:
15.1. à lever
ses restrictions géographiques à l’application de la Convention
de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés;
15.2. à veiller à ce que tous les migrants renvoyés en Turquie
dans le cadre de l’accord UE-Turquie soient traités dans le respect
des normes internationales relatives aux droits de l’homme, notamment
en matière de rétention, d’accès à l’asile et d’interdiction du
refoulement;
15.3. à s’abstenir de menacer de renoncer au respect des obligations
stipulées dans l’accord UE-Turquie.