1. Introduction
1. Si l'on se réfère à l’histoire,
certains des mouvements sociaux les plus importants et ayant eu
le plus d’impact sur la société ont été amorcés par des jeunes dynamiques,
mus par des revendications sociales liées à des affaires de corruption.
Grâce à la participation des jeunes, les mouvements sociaux peuvent
bénéficier de connaissances novatrices importantes, notamment en
matière d’utilisation de réseaux sociaux permettant un accès rapide,
aisé et peu coûteux à un grand nombre d’individus. Ces outils ont
joué un rôle notable dans la mobilisation efficace et rapide des
jeunes, par exemple au cours du Printemps arabe, des manifestations
du parc Gezi en Turquie ou de la révolution de la dignité de Maidan,
en 2014 en Ukraine.
2. En tant que futurs leaders et électeurs, les jeunes font partie
intégrante du processus de formation des valeurs de demain. Alors
que de nouvelles générations de dirigeants politiques, de chefs
d’entreprise et d’autres acteurs de la société civile accèdent au
pouvoir, la jeunesse européenne a un rôle important à jouer dans
la lutte contre la corruption, tant dans la sphère publique que
dans la sphère privée, en apportant une nouvelle culture d’intégrité
à tous les niveaux de la société. En même temps, les jeunes sont
exposés à la corruption et il est important de les en protéger.
Par conséquent, il faut leur apprendre à dépister, prévenir et combattre
la corruption. Dans ce processus, nous devons apprécier leur contribution
à sa juste valeur et réfléchir à la manière dont leur expérience
pourrait renforcer et enrichir les stratégies nationales de lutte
contre la corruption; il y a manifestement des choses à apprendre
des jeunes.
3. De nombreux pays européens s’efforcent aujourd’hui de mettre
en place leur stratégie nationale de lutte contre la corruption.
Bien souvent, ils n’y parviennent pas car la stratégie adoptée est
trop théorique et éloignée des citoyens. Je suis convaincue que
l’implication des jeunes dans l’action contre la corruption est
la seule voie pour changer les mentalités, et que cette implication
devrait commencer dès le plus jeune âge.
4. Ce rapport
vise
donc un triple objectif stratégique, à savoir:
- la reconnaissance du rôle des
jeunes en tant que «parties prenantes» de la lutte contre la corruption;
- l’examen des moyens susceptibles d’assurer leur propre
inclusion dans les stratégies européennes et nationales de lutte
contre la corruption;
- l’identification d’outils et de mesures de développement
des capacités des jeunes dans ce domaine.
5. Je tiens à remercier pour leurs contributions les experts
qui ont participé aux travaux de notre commission
et
ceux que j’ai rencontrés au cours de ma visite d’information à Athènes
en novembre 2016 et à l’occasion
d’une série de tables rondes tenues à Rome
.
2. Domaines d’implication de la jeunesse
dans le contexte des activités de lutte contre la corruption
6. Les jeunes sont d’excellents
porte-paroles sur les questions ayant trait à la lutte contre la
corruption, sachant qu’en général, ils ne sont pas cyniques et sont
mus par leurs idéaux. Ils ont tendance à être plus ouverts aux changements
sociopolitiques d’envergure et ont moins intérêt à un statu quo.
7. D’un autre côté, les jeunes ont tendance à être plus exposés
à la corruption et sont donc particulièrement vulnérables à ce phénomène.
Selon le Baromètre mondial de la corruption 2013 (
Global Corruption Barometer 2013)
publié par Transparency International, 27 % des personnes âgées
de moins de 30 ans ont versé un pot-de-vin au cours des 12 mois
précédents
. Selon l’Eurobaromètre (2014) de
la Commission européenne aussi, 29 % des jeunes de 15 à 24 ans sont
d’avis qu’il est acceptable de donner de l’argent, de faire des
cadeaux ou d’accorder des faveurs pour obtenir quelque chose du
service public. Ce pourcentage est plus élevé que dans les autres
classes d’âge
. D’autre part, l’enquête 2017 d’E&Y
sur la fraude montre que les personnes âgées de 25 à 34 ans qui
ont répondu en Europe, au Moyen-Orient, en Inde et en Afrique sont
davantage disposées que les autres groupes d’âge à justifier des
comportements contraires à l’éthique pour assurer la survie d’une
entreprise, atteindre des objectifs financiers ou progresser dans
leur carrière: 73 % des répondants de la génération Y estiment que
des actes non éthiques peuvent se justifier pour aider à la survie
d’une entreprise, un sur quatre pourrait justifier le versement
de paiements en espèces pour conclure une affaire ou la pérenniser,
alors qu’on n’en compte qu’un sur 10 chez les plus de 45 ans
. Ces facteurs ne doivent pas être
ignorés.
8. Des exemples d’implication des jeunes existent dans bien des
domaines, aussi me limiterais-je à quatre d’entre eux, dans lesquels
l’impact des jeunes peut être particulièrement fort: la politique,
l’éducation, les technologies de l'information et de la communication
(TIC) et les médias sociaux, et le sport.
2.1. Politique
9. L’histoire récente a vu des
mouvements entiers de jeunes de même sensibilité préoccupés par
la corruption se transformer en partis politiques et même remporter
des élections nationales. Dans plusieurs États membres, les jeunes
sont politiquement actifs sur les questions relatives aux élections,
créant ainsi des organisations de la société civile dans le but
de veiller à la tenue d’élections libres et régulières et au contrôle de
l’application de la loi et des procédures électorales.
10. Certains jeunes se sentent cependant déconnectés de la vie
politique par manque d’information et éloignés de la politique en
général qu’ils perçoivent comme une sphère pour quelques-uns, dans
laquelle les décisions sont prises en faveur de la classe la plus
riche et la plus puissante dans la société. En outre, les jeunes
ont souvent le sentiment d’être pris en compte de manière purement
symbolique, lorsqu’il est opportun de les faire figurer sur une
photo, mais pas dans le processus de décision politique. Dans de
nombreux pays, les responsables politiques se rendent de temps à
autre dans des écoles pour expliquer leur travail, mais en général
les jeunes ont très peu de contacts ou de possibilités de dialoguer
avec eux. Par voie de conséquence, les jeunes non affiliés à un
parti restent en dehors du processus décisionnel politique et les
rares initiatives sporadiques entreprises ont peine à avoir une
portée nationale en raison de l’absence de soutien politique. A mon
sens, il est impératif que les responsables politiques et notamment
les commissions parlementaires concernées collaborent de manière
plus étroite avec les organisations de jeunesse engagées dans la
lutte contre la corruption. De nombreux partis politiques en Europe
ont une branche jeunesse, qui contribue à mobiliser les jeunes,
souvent dans le cadre d’universités d’été et de camps de jeunes.
Cela étant, ces jeunes politiquement actifs sont parfois perçus
par leurs pairs comme des carriéristes désireux d’accéder à l’univers de
leurs aînés.
11. L’acquisition d’une expérience pratique par les jeunes constitue
un autre moyen efficace de les rapprocher de la politique. Certains
organismes de lutte contre la corruption collaborent avec les écoles
et les universités en faisant participer les élèves et les étudiants
à des simulations de situations électorales et en organisant des
débats et des échanges sur le thème de la corruption et de la déontologie
dans la vie politique.
12. Une autre idée que j’ai récemment évoquée avec des étudiants
et des enseignants d’un programme de maîtrise sur la lutte contre
la corruption de l’université de Tor Vegata (Rome) consisterait
à imposer une exigence de formation et de certification en matière
de lutte contre la corruption aux jeunes responsables politiques
et aux personnes qui exercent des activités de service public, en
particulier aux jeunes agents aux niveaux local, régional et national.
Cet instrument pourrait s’avérer fort utile pour leur permettre,
en début de mandat, d’apprendre à reconnaître les diverses formes
de corruption. Cette reconnaissance n’est pas toujours simple et
des personnes non expérimentées peuvent se retrouver au cœur d’un
scandale de corruption sans avoir réellement conscience de ce qui
s’est passé. Une telle certification anti-corruption à l’échelle
européenne pourrait être mise au point en coopération avec le monde
universitaire, les institutions publiques et autonomes de lutte
contre la corruption, les organisations de la société civile et
les observatoires concernés.
2.2. Éducation
13. L’éducation constitue un outil
puissant pour lutter contre la corruption; mais ce fléau est également présent
dans le système éducatif. Les systèmes éducatifs corrompus peuvent
empêcher les jeunes de développer pleinement leurs potentialités
en les privant de conditions d’apprentissage adéquates ou de possibilités
d’acquérir une formation. Par ailleurs, un secteur éducatif corrompu
est un terrain favorable à la corruption elle-même en laissant croire
à la jeune génération qu’un comportement corrompu est admissible. Par
conséquent, un secteur éducatif sans corruption est indispensable
pour promouvoir une culture de l’éthique et de l’anticorruption
parmi les jeunes.
14. Les exemples de corruption (systémique ou ad hoc) dans l’éducation
vont du détournement de fonds destinés à des bâtiments scolaires
jusqu’à la vente de diplômes, en passant par le plagiat et les «usines
à essais» dans les universités. Les enfants de certaines communautés
peuvent être favorisés en termes d’admission dans les écoles, tandis
que, pour d’autres, il va y avoir des frais supplémentaires. A l’échelon institutionnel,
des procédures de recrutement opaques ou inaccessibles ou encore
le népotisme peuvent se pratiquer, et au niveau le plus élevé, les
budgets nationaux peuvent être répartis inégalement et au profit
de certains établissements d’enseignement supérieur. Certains phénomènes
vont manifestement en s'aggravant, même si l'on dispose de peu de
statistiques pour prendre l'exacte mesure du problème
.
15. Afin de devenir des observateurs efficaces des pratiques de
corruption, les jeunes militants doivent acquérir des savoir-faire
et connaître les outils qui peuvent les aider à déceler et à dénoncer
différentes formes de corruption. Un certain nombre d’organismes
engagés dans la lutte contre la corruption, tels que le Conseil de
l’Europe par le biais de sa nouvelle Plateforme paneuropéenne sur
l’éthique, la transparence et l’intégrité dans l’éducation (ETINED)
ou l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE)
de l’UNESCO, œuvrent pour inciter les jeunes à dénoncer les pratiques
de corruption. Une fois qu’ils sont familiarisés avec les outils
de base permettant de diagnostiquer/déceler la corruption, les jeunes
peuvent devenir des militants anticorruption actifs et mettre en
place des stratégies de lutte contre la corruption et les comportements contraires
à l’éthique dans le cadre des systèmes éducatifs
.
16. La Plateforme ETINED, lancée en 2015, entend proposer une
nouvelle approche partant de la base, fondée sur l’idée selon laquelle
on ne peut assurer une éducation de qualité et faire obstacle efficacement
à la corruption qu’à la condition que tous les acteurs concernés
de la société s’engagent pleinement envers un ensemble de principes
éthiques fondamentaux pour la vie publique et professionnelle, plutôt
que de simplement compter sur des mesures réglementaires imposées
de façon mécanique par les échelons supérieurs. Elle souhaite contribuer
au développement d’une culture de la démocratie et de la participation, avec
pour socle les principes d’éthique, de transparence et d’intégrité.
La corruption devrait être combattue au moyen de structures et de
normes juridiques, mais cela ne suffit pas: il faut aussi que l’ensemble
des parties prenantes et le grand public la juge inacceptable.
17. La présence de représentants de l’université et d’étudiants
au sein de la Plateforme témoigne de la reconnaissance au niveau
institutionnel du rôle des jeunes en tant que «parties prenantes»
dans la lutte contre la corruption.
18. Le programme attache une grande importance à «l’appropriation»
au travers de l’implication de toutes les parties prenantes dans
la conception des politiques éducatives. Le principe de débattre
à un stade précoce est un autre aspect essentiel du programme. Les
questions éthiques doivent être abordées aussi tôt que possible
et instillées à tous les niveaux de l’éducation, être présentes
partout.
19. En 2001, l’IIPE-UNESCO a lancé un programme général sur l’éthique
et la corruption dans le secteur de l’éducation. Ce programme est
destiné à un public diversifié: les décideurs en matière d’éducation,
les planificateurs et gestionnaires de l’éducation ainsi que les
représentants de la société civile.
20. Afin de recueillir des informations sur les activités de l’Institut
concernant l’éthique et la corruption dans le secteur éducatif ainsi
que sur les travaux de ses partenaires internationaux dans ce domaine,
l’IIPE-UNESCO a créé le portail ETICO
, une plateforme de ressources en
ligne qui fait office de centre d’échange de connaissances.
21. Mme Muriel Poisson, chef de l’équipe
de recherche et développement de l’IIPE-UNESCO, a identifié deux
types d’activité qui sont essentiels pour inciter les jeunes à lutter
contre la corruption dans le secteur éducatif. Premièrement, il
est capital que les jeunes possèdent les bons outils de diagnostic
pour mettre au jour la corruption (les
jeunes en tant qu’observateurs des pratiques de corruption).
Deuxièmement, il faut donner aux jeunes les moyens d’agir contre
les comportements corrompus, soit individuellement, soit dans le cadre
d’un réseau de jeunesse (les jeunes en
tant que militants contre la corruption).
22. Les jeunes militants doivent acquérir des savoir-faire et
connaître les outils qui peuvent les aider à déceler et à dénoncer
différentes formes de corruption. L’IIPE-UNESCO a identifié plusieurs
outils qu’elle juge particulièrement prometteurs pour les jeunes
militants, notamment les enquêtes de perception et les groupes de
travail aux fins de diagnostiquer les problèmes ayant trait à la
tricherie, par exemple le plagiat et les procédures d’admission
entachées de corruption. L’IIPE a eu plusieurs expériences impliquant
des jeunes.
23. Un autre outil consiste à se servir d’évaluations de l’intégrité
pour cartographier les risques de corruption dans le secteur éducatif,
sachant que ces évaluations peuvent être appliquées à différents
domaines comme le financement, le recrutement et la gestion du personnel
scolaire ou universitaire, l’admission et les examens dans les écoles
ou universités ainsi que l’octroi de titres et de diplômes. Les
enquêtes quantitatives de prestation de services (EQPS) servent
à collecter des données quantitatives sur l’efficience des dépenses publiques
et les différents aspects des services de première ligne comme les
écoles ou universités dans le secteur de l’éducation. Il importe
d’associer les jeunes au processus d’enquête.
24. L’IIPE-UNESCO propose des formations à ces outils grâce à
des ateliers organisés au niveau local ou à des stages en ligne.
Ces programmes de formation permettent non seulement de renforcer
les capacités mais aussi de contribuer à mieux faire comprendre
les valeurs et normes partagées, aidant ainsi à instaurer un terrain
d’action commun.
25. Les échanges entre les jeunes militants et les experts chevronnés,
dans le cadre d’événements nationaux et internationaux, sont également
essentiels pour encourager les nouvelles générations à participer à
la lutte contre la corruption, favorisent l’établissement d’un réseau
de militants anticorruption et donnent à la jeune génération l’occasion
de s’informer auprès d’experts qui sont actifs dans le domaine depuis
plusieurs années.
2.3. Internet,
réseaux sociaux et médias
26. L’utilisation des technologies
de l’information et de la communication (TIC) et des réseaux sociaux permet
d’atteindre, facilement et à très bon marché, un grand nombre de
jeunes. Beaucoup d’organisations de jeunes communiquent avec leurs
membres et interlocuteurs par le biais des réseaux sociaux. De nombreux jeunes
militants anticorruption ont lancé leur projet sur leur page Facebook
ou sur un blog.
27. Au cours de ma récente visite en Grèce, j’ai rencontré des
étudiants en droit de l’université Panteion à Athènes, qui ont lancé
il y a quelques années de cela un groupe Facebook dénommé Anti-Corruption
Youth Greece (ACYG), qui compte aujourd’hui 1 300 membres. Le groupe
est en train de développer une application anticorruption novatrice
et créative «
Dislike», pour
les téléphones mobiles et les tablettes
.
28. Par ailleurs, j’ai eu connaissance d’autres cas dans lesquels
des citoyens grecs ordinaires ont décidé de lutter contre la corruption
endémique dans leur pays en créant des sites internet pour dénoncer
les cas de corruption ou de comportements apparentés. Je citerai
l’exemple du site de Kristina Tremonti dénommé «
edosafakelaki» (terme qui signifie
«J’ai versé un pot-de-vin»)
, qui permet aux citoyens de signaler
de façon anonyme les cas de corruption active ou passive ainsi que
les cas de refus de pot-de-vin. Un peu plus d’un mois après sa création
en 2012, le site contenait un millier de signalements différents
de cas de corruption
.
29. Alors que l’environnement virtuel évolue rapidement, il est
aussi du devoir des pouvoirs publics partout en Europe de créer
et de faire connaître des outils en ligne efficaces pour informer
le public et assurer en temps réel une transparence totale des politiques
publiques, tout en permettant aux citoyens d’envoyer de façon sécurisée
et moins bureaucratique des plaintes dénonçant la corruption.
30. Partout en Europe, il existe de jeunes journalistes courageux
qui rendent publics des cas de corruption, mettant souvent en danger
leur emploi ou leur sécurité, voire leur vie, dans l’exercice de
leur métier. Bien souvent, leurs efforts et les risques qu’ils prennent
ne sont pas suffisamment reconnus et mériteraient beaucoup plus
d’attention de la part du public.
31. M. Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne
des journalistes (FEJ), a évoqué la nécessité de rapprocher les
jeunes des médias et du journalisme et de les éduquer au rôle fondamental
que jouent les médias dans la protection de la démocratie. En Belgique
(plus précisément en Wallonie), l’Association des journalistes professionnels
a lancé un projet intitulé «Journalistes en classe», qui offre aux enfants
de 11 à 18 ans des écoles publiques et privées la possibilité de
rencontrer un journaliste pendant quelques heures. M. Gutiérrez
a exprimé sa conviction que l’organisation de telles réunions, en
particulier avec des journalistes d’investigation, dans un plus
grand nombre de classes et dans d’autres pays non seulement serait
bénéfique pour le crédit de la profession de journaliste mais aussi
contribuerait à renforcer la transparence et la responsabilité que
le journalisme s’efforce de promouvoir.
32. Dans certains contextes, le fait d’encourager des jeunes à
s’élever contre la corruption, sans s’assurer de la sûreté de leur
environnement ou des initiatives prises par les jeunes eux-mêmes
pour révéler des faits de corruption observés ou enquêter sur des
faits de corruption, peut les mettre en danger. La sécurité et la sûreté
sont des aspects importants à prendre en compte avant d’inciter
les jeunes à lutter contre la corruption.
33. Cependant, pour doter la jeunesse européenne d’un droit effectif
à l’information et lui permettre d’utiliser internet en tant qu’outil
de lutte contre la corruption, les législateurs devront combler
le fossé numérique que connaissent certains pays européens. Des
recherches récentes ont montré l’existence d’une corrélation statistiquement
forte entre la corruption et le défaut de développement numérique
d’un pays (dans certains pays européens, en Italie par exemple,
selon les données les plus récentes, seuls 12 % de la population disposent
d’une connexion à haut débit).
2.4. Sport
34. Les nombreux jeunes qui pratiquent
des activités sportives en Europe ne sont pas à l’abri de pratiques malhonnêtes
telles que la corruption, le dopage, le trucage de matchs, etc.
Plusieurs ONG ont établi des partenariats avec des associations
sportives en vue d’éduquer les jeunes aux valeurs éthiques, à la
démocratie et à la solidarité. Transparency International Italie
est passée par les clubs sportifs pour informer les jeunes de l’importance
de la résistance à la corruption à l’aide des valeurs du sport et
du fair-play
.
35. Un groupe de neuf organisations de la société civile liées
au sport ont établi, dans le cadre du programme Erasmus+, un projet
intitulé YOULEAD, dont l’idée est de promouvoir et appuyer le rôle
des jeunes dans la réforme de la gouvernance du sport, de renforcer
leur autonomie et de leur permettre d’acquérir un ensemble adéquat
de compétences individuelles de sorte à faire émerger une nouvelle
génération de leaders compétents dans le domaine du sport et à préparer
le sport aux défis futurs.
36. L’ONG Anti-Corruption Youth Greece (ACYG) mentionnée plus
haut a fait de la lutte contre la corruption dans le sport un de
ses objectifs stratégiques prioritaires pour la période 2017-2020.
A ce titre, elle organisera dans les locaux de l’Académie olympique
internationale en Grèce un événement intitulé «2017 Sports Integrity International Youth Summer
Camp» (camp d’été international pour la jeunesse sur
l’intégrité dans le sport en 2017), projet pour lequel l’association
sollicite la participation du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée.
3. Pratiques
visant à promouvoir l’engagement des jeunes
37. Ces dernières années, la société
civile a développé le travail auprès des jeunes et les a encouragés
à s’engager dans les mouvements civils. Transparency International
est un chef de file naturel pour ce qui est d’inciter les jeunes
à s’impliquer dans des activités de lutte contre la corruption;
cela étant, il existe plusieurs organismes interétatiques (Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), Conseil de
l’Europe, UNESCO, Office des Nations Unies contre la drogue et le
crime (UNODC), etc.) et organismes internationaux, nationaux ou
locaux de la société civile qui promeuvent eux aussi l’engagement
des jeunes dans des activités de lutte contre la corruption.
38. Transparency International a créé un kit anticorruption fort
utile – qui propose aux jeunes militants 15 idées, assorties d’orientations
pratiques étape par étape pour traduire un plan en action. Le kit anticorruption
couvre les aspects suivants:
- surveillance
des ressources publiques (suivi des fonds; inventaire des fournitures;
fiches d’évaluation à remplir par les citoyens; solutions axées
sur les technologies de pointe);
- activités créatives visant à lutter contre la corruption
(bandes dessinées et dessins animés; théâtre et art dramatique;
jeux de société; sport);
- activités visant à mobiliser des communautés (groupes
de jeunes; camps sur l’intégrité; zéro pot-de-vin; manifestations;
pétitions);
- observation d’élections (promesses électorales; dispositifs
collaboratifs – «crowdsourcing»).
39. Au niveau gouvernemental, je n’ai pas eu la possibilité d’examiner
les politiques nationales des États membres relatives à la lutte
contre la corruption, à l’éducation ou à la jeunesse, et d’évaluer
à quel point les jeunes sont associés à l’élaboration et à la mise
en œuvre de ces politiques nationales le cas échéant.
40. Toutefois, à l’occasion de ma visite à Athènes, j’ai noté
avec satisfaction que, même si (exception faite de quelques universités)
il n’y a pas eu à ce jour d’implication systématique des jeunes
(ou organisations de jeunes) dans l’élaboration des stratégies nationales
anticorruption ni de projet pédagogique au niveau du ministère de
l’Éducation visant à inclure la lutte contre la corruption dans
l’enseignement scolaire général, l’intérêt pour ces orientations
était manifeste. Le nouveau Plan d’action national de lutte contre
la corruption intègre plusieurs initiatives d’élaboration de cours
pour l’enseignement primaire et secondaire sur les retombées négatives
de la corruption.
41. Il y a une décennie de cela, Amnesty International a réalisé,
au niveau de ses jeunes membres, une étude
sur les meilleurs moyens pour atteindre
les jeunes et les associer à la dynamique sociale et civique. Les
cinq moyens arrivés en tête étaient les suivants: une éducation
de longue durée, les concerts et les festivals, les programmes de
sensibilisation dans les écoles et les universités, la télévision
et le soutien de célébrités. Les personnes interrogées ont également
mentionné les rassemblements internationaux de jeunes et les réseaux
sociaux parmi les bons moyens d’attirer l’attention des jeunes
.
42. En 2013, Transparency International a présenté sa propre liste
de bonnes pratiques, sur la base d’une classification que je trouve
intéressante pour le présent rapport. Elle a mis en exergue les
domaines suivants:
- les camps
sur l’intégrité à l’intention des jeunes;
- la collaboration avec les écoles et les universités;
- les clubs de l’intégrité et les mouvements dirigés par
les jeunes;
- la sensibilisation au moyen des arts et du sport;
- les concours et la formation;
- les «hackathons»
et les nouvelles technologies.
43. En outre, je distinguerais les activités qui sont dirigées
par des adultes de celles qui sont dirigées par des jeunes, même
si dans nombre de cas la ligne de démarcation entre ces deux catégories
est relativement floue. En fait, c’est l’origine de l’initiative
qui fait la différence.
3.1. Pratiques
de lutte contre la corruption dirigées par des adultes et associant
des jeunes
44. Les activités de lutte contre
la corruption dirigées par des adultes ont tendance à être plus
formelles et liées aux activités de base des gouvernements nationaux,
autorités éducatives ou organisations de la société civile.
3.1.1. Collaboration
avec les écoles et les universités
45. L’enseignement consacré à la
lutte contre la corruption dans les écoles est encore loin d’être
une réalité dans la plupart des pays européens, bien que les programmes
scolaires comprennent des matières qui se prêtent à son inclusion
(telles que l’éducation civique, l’éthique ou le droit). Il est
crucial que les enfants soient informés des risques de corruption
et des conséquences néfastes de la corruption dès le plus jeune
âge, et que des cours sur l’intégrité soient introduits à tous les
niveaux de l’enseignement scolaire, en incluant à la fois les aspects
des valeurs personnelles et du comportement éthique et une approche
fondée sur les droits de l’homme.
46. A cet égard, l’Italie a engagé quelques initiatives institutionnelles
intéressantes:
- une matière
scolaire spécifique, intitulée «Citoyenneté et constitution», a
été introduite (cependant, les thèmes liés à la corruption ou à
la lutte contre ce fléau ne font l’objet d’aucune attention particulière
et les matériels pédagogiques sont rares);
- En 2015, le ministère de l’Éducation a signé une déclaration
d’intention avec l’Autorité nationale de lutte contre la corruption,
l’Association nationale des magistrats et le Bureau national antimafia
afin de promouvoir l’éducation à l’intégrité;
- En mai 2017, un portail consacré à l’intégrité et l’école
a été créé par l’Agence de presse nationale en coopération avec
le ministère de l’Éducation et le Département de l’égalité des chances
47. Mon attention a été attirée par un projet intéressant, piloté
par Transparency International (TI) Italie, TI-Slovénie et TI-Hongrie
depuis 2014, qui a été présenté au Forum mondial de la démocratie
2016. Le projet, intitulé «Nouvelles approches de l’enseignement
consacré à la lutte contre la corruption dans l’éducation formelle»
et financé par le programme «Erasmus + – KA2 Partenariat stratégique
dans l’enseignement secondaire» vise à inclure l’enseignement consacré
à la lutte contre la corruption dans le cursus scolaire. Le projet,
qui sera finalisé en 2017, atteindra son objectif grâce à une série
d’activités: l’élaboration de matériels éducatifs destinés aux élèves
et aux enseignants; la formation et la mobilisation des enseignants
et des élèves; et des initiatives de mobilisation auprès des décideurs
politiques et des acteurs de l’éducation en général.
48. Aussi bien les enseignants que les élèves ont été mobilisés
dans le cadre de ce projet. Un concours de rédaction de scénarios
de films a été lancé dans chaque pays. L’appel «Imagine le monde
sans corruption» invite les élèves italiens, hongrois et slovènes
à rédiger un scénario véhiculant un message positif sur la lutte contre
la corruption. Les trois meilleurs scénarios dans chaque pays seront
sélectionnés et produits en coopération avec des producteurs professionnels
de films et de vidéos. Les lauréats (un par pays) seront désignés
et leurs films seront projetés dans un festival international du
film à Plaisance (Piacenza) en Italie en août 2017.
49. Selon Mme Chiara Paganuzzi, présentatrice
du projet de TI Italie, il importe que la promotion d’une pédagogie
de la lutte contre la corruption soit fondée sur une approche des
droits de l’homme qui apprenne aux élèves à faire valoir leurs droits
et à exiger des comptes des personnes qui ont des droits et de celles
qui ont des responsabilités (y compris les enseignants).
50. A partir d’autres conclusions provisoires et enseignements
tirés de ce projet, les recommandations suivantes ont été formulées:
- Placer
l’éducation au centre des stratégies nationales anti-corruption.
Charger les agences anti-corruption de collaborer avec les ministères
de l’Éducation afin de développer un cadre pour enseigner dans les
écoles, dès le plus jeune âge, les valeurs sous-tendant la lutte
contre la corruption; former les enseignants du pays à l’éthique,
à l’intégrité et aux droits de l’homme, et élaborer des plans de
cours anti-corruption pour la formation des enseignants et les écoles,
en collaboration avec les élèves, le personnel éducatif et les organisations
de la société civile.
- Faire de la gouvernance démocratique
de l’école une réalité. La gouvernance démocratique des
écoles est essentielle pour enclencher un cycle positif de changements
sociaux. Les élèves doivent être amenés à suivre un programme louant
les valeurs de démocratie, de citoyenneté et de droits de l’homme.
Ils doivent aussi faire l’expérience de ces valeurs dans la pratique,
dans la salle de classe et au sein de l’école.
- Veiller à ce que l’éducation
à la citoyenneté et aux droits de l’homme fasse partie intégrante
du programme d’enseignement national (formel et non-formel)
et donner un degré de priorité élevé à la conduite d’un programme
anti-corruption spécifique, conformément à l’article 13.c de la Convention des Nations Unies
contre la corruption, qui soit interactif et participatif et fasse
appel aux nouvelles technologies de communication. La conception
de nouveaux plans de cours devrait se faire en pleine collaboration
avec des représentants des jeunes.
- Favoriser la recherche afin
d’analyser de manière plus approfondie l’impact de l’éducation à
la lutte contre la corruption sur les changements de comportement.
Il convient également d’encourager la recherche afin de déterminer
dans quelle mesure les TIC, et notamment les formes de participation
en ligne, sont des moyens efficaces de prévenir la corruption.
51. Au niveau de l’enseignement supérieur ou de l’apprentissage
tout au long de la vie, plusieurs institutions à travers le monde
offrent des possibilités d’études axées sur la lutte contre la corruption.
On peut citer l’Initiative académique anti-corruption des Nations
Unies (ACAD), projet académique collaboratif lancé à Boston en 2011
et piloté par un groupe d’experts comprenant un large éventail d’universitaires,
d’experts gouvernementaux et d’agents d’organismes internationaux.
L’ACAD a pour objet de produire un outil complet d’appui académique
en matière de lutte contre la corruption, composé d’un menu de modules
académiques, plans de cours, études de cas, outils pédagogiques
et matériels de référence susceptibles d’être intégrés dans leurs
programmes par les universités et autres établissements académiques.
52. L’ACAD est conçu en tant qu’outil libre d’accès, et les matériels
seront proposés en ligne, gratuitement, aux établissements d’enseignement
intéressés, qui seront également encouragés à contribuer au contenu
et à le développer. L’ACAD n’entend pas créer un programme tout
fait, mais cherche plutôt à proposer un menu de thèmes, dans lequel
les établissements académiques pourront choisir des éléments pour
les intégrer dans leurs programmes académiques existants avec l’appui
du groupe ACAD
.
53. De même, les écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe,
qui dispensent une formation sur la démocratie, les droits de l’homme
et l’état de droit en Europe centrale, orientale et du Sud-Est,
dans le Caucase du sud et dans une partie du Maghreb en Afrique
du Nord, ont un rôle à jouer en modelant les valeurs des jeunes
et en les amenant à participer à des initiatives de lutte contre
la corruption. L’école monténégrine, par exemple, présente souvent
des cas concrets de corruption potentielle dans sa lettre d’information mensuelle.
Par ailleurs, l’école émet des recommandations politiques aux fins
du renforcement des capacités des procureurs, préconise des mesures
susceptibles de réduire le risque de corruption dans la sphère publique et
a promu une série de changements qui ont abouti à l’informatisation
de la gestion des soins de santé, éliminant ainsi le facteur humain
là où il existait un risque de corruption. L’école russe est elle
aussi apparemment active dans ce sens, exerçant des pressions constantes
sur les autorités afin qu’elles mettent au jour les cas suspects
au moyen de rapports d’enquête.
54. Cependant, le potentiel des écoles d’études politiques pourrait
être mieux exploité. Ces établissements pourraient: informer les
jeunes leaders et décideurs des procédures anticorruption; apporter
aux acteurs nationaux des données pertinentes et des recommandations
afin de prendre en compte la perspective des jeunes dans l’élaboration
des politiques; participer aux coalitions nationales de lutte contre
la corruption existantes en coopération avec les ONG locales, et
contribuer à la mise en place de nouvelles coalitions et plateformes
en vue d’une intensification des échanges de bonnes pratiques entre
les jeunes en matière de lutte contre la corruption; faire connaître
les rapports et les recommandations du Groupe d’États contre la
corruption (GRECO) aux jeunes.
55. De manière plus informelle, beaucoup d’organismes de lutte
contre la corruption utilisent les écoles et les universités comme
plateformes pour toucher les jeunes et faciliter leur engagement.
L’un de ces organismes est l’association «
Mafia?
Nein Danke! e.V.»
, qui organise activement des événements, conférences,
débats, présentations de livres et de films, lors desquels elle
fait ressortir les expériences du mouvement anti-mafia italien.
De plus, elle organise des cours de formation portant sur la lutte
contre le crime organisé, notamment sous la forme d’ateliers, de
cours dispensés par des universités et de réunions avec les étudiants
et les élèves dans différentes écoles.
3.1.2. Camps
sur l’intégrité à l’intention des jeunes
56. Plusieurs organismes, entre
autres Transparency International et U4 Anti-Corruption, organisent
des camps sur l’intégrité à l’intention des jeunes. Le concept de
ces camps découle de la prise de conscience que l’implication, l’information
et l’éducation des jeunes sur les retombées positives de l’intégrité,
de la transparence et de la bonne gouvernance peuvent être déterminantes
pour la formation de la société de demain et pour l’équilibre des
pouvoirs qui y prévaudra. L’objectif des camps est de motiver les
jeunes gens et jeunes leaders de différents secteurs en leur donnant
les outils pour devenir de fervents partisans de la gouvernance
ouverte et responsable et pour mobiliser leurs pairs
.
57. Dans le mouvement Transparency International, les jeunes apprennent
ensemble à lutter contre la corruption. L’université d’été de Transparency
International sur l’intégrité consiste en une série de conférences,
séminaires et ateliers étalés sur une semaine, dans le cadre desquels
des étudiants analysent le phénomène de la corruption dans différents
secteurs et domaines, ses origines et ses conséquences, la nécessité
de la transparence ainsi que d’autres aspects ayant trait à la corruption.
L’université d’été sur l’intégrité à Vilnius en 2016 a réuni 140 étudiants
provenant de 60 pays en vue de les former à la lutte contre la corruption
dans ses dimensions philosophique et pratique. Les conférenciers
invités ont partagé leurs connaissances et leur expérience sur un
large éventail de questions, notamment: comment mener une campagne
pour une législation anticorruption et surveiller une telle législation,
comment mesurer la corruption, et l’importance des lois sur l’accès
à l’information et la protection des lanceurs d’alerte
.
58. Par ailleurs, U4 Anti-Corruption a été associée en 2015 à
l’organisation du Forum des jeunes de Trondheim, qui a réuni des
centaines de jeunes pour discuter des moyens de lutter contre la
corruption.
3.1.3. Concours
et formation
59. Une façon efficace de promouvoir
les activités de lutte contre la corruption orientées vers les jeunes consiste
à donner à ces derniers la possibilité de faire entendre leur voix
et de mettre en pratique leurs idées, au moyen de concours et de
subventions de démarrage.
60. A cet égard, il est courant de recourir aux concours d’expression
écrite. De nombreux organismes ont organisé de tels concours, qui
permettent aux jeunes d’exprimer leur perception de la corruption,
les incidences de ce phénomène sur leur vie et ce qu’ils préconisent
de faire pour y mettre un terme. Les concours d’expression écrite
non seulement constituent un moyen d’encourager les jeunes à réfléchir
à la question, mais aussi offrent aux organisations de la société
civile une méthode pour découvrir d’autres perspectives et comprendre
comment les jeunes pourraient être impliqués
.
61. Par exemple, la Banque mondiale organise chaque année depuis
2004 un concours de rédaction ouvert aux jeunes du monde entier
âgés de 18 à 25 ans. Géré par le bureau de la Banque mondiale à
Paris, le concours est mis en œuvre en partenariat avec les bureaux
de pays de la Banque et les centres publics d’information dans 84 pays,
ainsi qu’avec des partenaires tels que des universités, des ONG
et des organisations de jeunes du monde entier
.
62. Un bon exemple est un concours mondial dénommé «Fair Play»,
qui invite les groupes musicaux de jeunes à présenter de nouvelles
chansons engagées contre la corruption (concours organisé par la
fondation JMI, l’Institut de la Banque mondiale et le Réseau mondial
des jeunes contre la corruption). Le concours photo intitulé «Capture
Corruption» est lui aussi un événement mondial, qui récompense les
images les plus frappantes sur la corruption et ses effets dévastateurs
sur les vies à travers le monde
.
63. En général, les organisations de la société civile adoptent
de plus en plus des moyens de communication nouveaux dans le but
d’atteindre une audience plus jeune et mettent à profit la nécessité d’idées
novatrices pour impliquer les jeunes dans la lutte contre la corruption
en leur offrant les moyens d’approfondir leurs connaissances par
le biais d’outils multimédias, des médias traditionnels et des réseaux sociaux.
Ils offrent de plus en plus de formations aux jeunes dans les domaines
de la réalisation de films, des techniques journalistiques, de la
photographie, etc., de façon à leur permettre de devenir un relais
de diffusion des valeurs de transparence, d’intégrité et de bonne
gouvernance.
3.1.4. Facilitation
de la mise en réseau des jeunes
64. L’Institut de la Banque mondiale
(IBM) a contribué à l’effort de lutte contre la corruption en établissant un
réseau des jeunes spécialement axé sur la lutte contre la corruption
– le Réseau mondial des jeunes contre la corruption (GYAC). Le GYAC
a été créé dans le but de mettre en contact les groupes de jeunes
du monde entier engagés dans la lutte contre la corruption, ainsi
que de faciliter et renforcer ce réseau. Le réseau entend mobiliser
les groupes de jeunes sur les questions ayant trait à la lutte contre
la corruption, en utilisant des approches novatrices pour susciter
leur intérêt et les impliquer dans la lutte contre la corruption
sur le long terme. Le programme a été lancé en janvier 2010 à l’occasion
d’un événement virtuel dans lequel le Réseau mondial de formation
pour le développement de l’Institut de la Banque mondiale a mis
en contact des groupes de jeunes œuvrant ensemble à la promotion
de la bonne gouvernance et travaillant avec des jeunes journalistes
du monde entier.
3.2. Mouvements
anticorruption dirigés par des jeunes
65. L’engagement des jeunes dans
la lutte contre la corruption peut aussi revêtir la forme d’initiatives
ou de mouvements dirigés par les jeunes eux-mêmes. En particulier,
les groupes informels de jeunes peuvent trouver plus facile d’agir
sur le terrain, au niveau local, en dehors de structures associatives
rigides, même si de telles structures peuvent apporter une valeur
ajoutée significative – plateforme, ressources, savoir-faire, visibilité,
etc.
3.2.1. Mouvements
de jeunes engagés contre la corruption
66. De nombreux mouvements de jeunes
engagés contre la corruption ont commencé sous forme d’initiative
spontanée. Ainsi, Anti-Corruption Youth Greece a été lancé en 2013
par quelques étudiants après un cours magistral sur la Convention
des Nations Unies contre la corruption. Inspirés par leur professeur Dimitris
Ziouvas, ils ont lancé des campagnes de rue, organisant des débats
publics avec des intervenants de haut niveau du Parlement grec et
formant des élèves à l’importance de la responsabilité, de l’intégrité
et de la transparence – les piliers de la lutte contre la corruption
.
67. Un autre mouvement plus orienté vers l’éducation est l’Initiative
étudiante de lutte contre la corruption «ShevaPil»
, qui a été lancée en mars 2015 à
l’université Taras Shevchenko (Kiev). Certains étudiants ont mis
sous surveillance la direction de l’université et ainsi réussi à
mettre au jour un certain nombre de pratiques de corruption dans
le système d’enseignement supérieur. Ils ont mobilisé la communauté
étudiante et attiré l’attention des médias, de la société et des
parlementaires sur la corruption dans l’enseignement supérieur. Tout
d’abord, ils ont mis en évidence des irrégularités dans la passation
des marchés, à la suite de quoi la commission antimonopole ukrainienne
a ouvert une enquête. ShevaPil a aussi mis en lumière des irrégularités au
niveau du recteur de l’Université, ce qui a conduit le ministère
de l’Éducation à créer un comité de suivi sur cette affaire.
68. Dosta! (terme qui signifie
«assez!») est un mouvement du même genre en Bosnie-Herzégovine;
il s’agit d’un mouvement non violent de jeunes qui entend encourager
les citoyens à demander des comptes au gouvernement et les mobiliser
par-delà les différences religieuses et ethniques du pays. En 2009,
il a lancé une page sur les réseaux sociaux et une campagne sur
le terrain qui, à force de pressions, a réussi à faire démissionner
le Premier ministre Branković, soupçonné d’avoir acheté un appartement
à bas prix
.
69. On peut également citer l’exemple de Addiopizzo (terme qui
signifie «au revoir racket»), mouvement anti-mafia de jeunes à Palerme
(Italie), organisé pour permettre aux entreprises de refuser publiquement
de se faire racketter par la mafia, éduquer les écoliers à l’intégrité
et mobiliser les citoyens pour résister à la mafia au moyen d’un
boycott inversé. En 2012, un millier d’entreprises avaient rejoint
un réseau de refus du racket
.
3.2.2. Sensibilisation
au moyen des arts et du sport
70. Les festivals et les concerts
sont perçus par les jeunes eux-mêmes comme un cadre approprié pour mobiliser
les jeunes. Les événements culturels et sportifs offrent des possibilités
énormes en matière de sensibilisation, grâce à leur popularité et
à la diversité des publics qu’ils permettent d’atteindre. De nombreux organismes
recourent de plus en plus à ces événements pour véhiculer leur message
jusqu’aux jeunes.
71. Les contenus créés par les jeunes et consommés par les jeunes
de manière si attractive et divertissante sont susceptibles d’être
reçus par des millions de jeunes. L’impact de ces contenus pourrait
être amplifié par un partage sur les réseaux sociaux.
3.2.3. TIC
et réseaux sociaux
72. Le recours, en forte expansion,
aux TIC, aux réseaux sociaux et aux plateformes collaboratives («crowdsourcing») permet un accès
rapide, aisé et bon marché à un grand nombre de personnes. Les jeunes, qui
vivent de plus en plus dans le monde virtuel, se sentent à l’aise
pour partager toutes leurs préoccupations avec un large public.
Cela vaut aussi pour les questions relevant de la lutte contre la
corruption.
73. Au Kosovo*
, par exemple, un projet a été lancé en
vue de prévenir la corruption dans le secteur éducatif, en utilisant
les réseaux sociaux et les textos pour collecter des signalements
de corruption alléguée. En l’espace de six mois, la plateforme en
ligne a reçu 500 signalements. Tous les cas ont fait l’objet d’une vérification
en collaboration avec des ONG, avant d’être transmis aux établissements
concernés pour les suites appropriées. L’organisation s’est chargée
de demander des comptes aux établissements en question
.
4. Protection
des jeunes lanceurs d’alerte
74. Les témoignages offrent de
précieuses indications sur la corruption et constituent un outil
puissant pour la combattre. Toutefois, dans de nombreux pays, la
dénonciation de la corruption peut exposer à un grand risque personnel
– en particulier lorsque le droit offre peu de protection contre
le licenciement, l’humiliation voire les mauvais traitements. Je
trouve regrettable qu’à ce jour il n’existe pas en Europe une base
législative commune solide qui définirait comment protéger correctement
et soutenir les lanceurs d’alerte. Cela a de graves conséquences
pour les personnes concernées. Aujourd’hui, le type de protection
– ou de poursuite – dont les lanceurs d’alerte font l’objet dépend
uniquement de l’État membre concerné.
75. Le contrôle de l’information, les lois réprimant la calomnie
et la diffamation et l’instruction lacunaire des enquêtes des lanceurs
d’alerte sont autant de facteurs susceptibles de dissuader les personnes
d’oser parler
. C’est certainement ce qui arrive
à de nombreux jeunes qui sont réticents à parler parce qu’ils craignent
de ne pas être compris, d’être soumis à des pressions ou, pire encore,
de faire l’objet de persécutions. Par conséquent, un cadre juridique
et administratif adéquat doit être établi à un niveau paneuropéen
mais aussi national en vue de garantir la protection des jeunes
actifs dans la lutte contre la corruption, y compris les lanceurs
d’alerte.
76. Dès le moment où je suis devenue rapporteure, je me suis engagée
à promouvoir l’adoption d’une législation appropriée sur les lanceurs
d’alerte dans mon propre pays. En Italie, un projet de loi a été
voté par la Chambre des députés en novembre 2015, mais s’est ensuite
trouvé dans une impasse et reste pour l’heure bloqué au Sénat. Riparte
il Futuro et Transparency International Italia ont animé depuis
juillet 2016 une campagne dénommée «Voci
di giustizia», en vue de soutenir le projet de loi et
d’exercer des pressions sur les institutions, qui a recueilli à
57 693 signatures (données du 6 juin 2017). L’un des principaux
problèmes que la nouvelle loi doit rectifier est le droit de ne
pas être identifié comme étant l’origine de la divulgation, l’actuel
Code de procédure pénale ne reconnaissant pas le droit à l’anonymat.
Il conviendrait par ailleurs de modifier la loi italienne sur le
statut des travailleurs pour prévoir une protection explicite contre
la discrimination et les représailles également dans le cas d’un
salarié qui donne l’alerte.
77. Durant les tables rondes que j’ai organisées à Rome en février,
un lanceur d’alerte, Andrea Franzoso, a raconté son histoire: après
avoir dénoncé des pratiques de corruption au sein de la société
TreNord en 2015, il a dû faire face à bien des épreuves. L’entreprise
Ferrovie Nord Milano, qui l’employait et dont il avait dénoncé le
directeur général pour ses actes de corruption, était une société
d'économie mixte. Cependant, la loi Severino 2012 en vigueur ne
couvrait pas les sociétés de droit privé; par conséquent, il n’a
pas pu bénéficier d’une protection dans sa juridiction. De surcroît,
il a été confronté à un problème pire que la situation au plan juridique:
la pression psychologique résultant du fait d’être perçu comme un
espion et un fauteur de troubles. Aussi la table ronde a-t-elle
examiné la nécessité de protéger l’anonymat des lanceurs d’alerte,
la nécessité d’étendre la loi sur les lanceurs d’alerte aux sociétés
de droit privé et d'économie mixte, la réhabilitation de l’image
des lanceurs d’alerte, ainsi que la possibilité d’établir un fonds
destiné à aider les lanceurs d’alerte à faire face à leurs frais
juridiques et à compenser leur perte de revenu. Nous avons également
examiné le système américain d'indemnisation des lanceurs d’alerte;
cependant, la majeure partie des participants ont estimé qu'une
indemnisation pécuniaire pour la dénonciation de malversations − dans
la plupart des cas − financières n’était pas adaptée dans le contexte
européen.
78. De plus, nous avons réfléchi à la nécessité de diffuser une
culture de lutte contre la corruption, qui passe par l’utilisation
de la langue italienne. A ce propos, l’Autorité nationale anticorruption
a lancé, dans trois écoles, un concours d’idées afin de trouver
un bon équivalent en italien pour le terme «lanceur d’alerte» («whistle-blower») et, ainsi, conférer
de la dignité et un caractère concret à un personnage qui n’est
pas toujours perçu de façon positive.
79. Indépendamment du fait que les jeunes sont plus vulnérables
que les adultes d’âge mûr, la protection des lanceurs d’alerte devrait
être la même pour tous. Je sais que notre commission s’est déjà
penchée attentivement sur la protection des lanceurs d’alerte dans
le rapport de Mme Gülsün Bilgehan intitulé «Le contrôle
parlementaire de la corruption: la coopération des parlements avec
les médias d’investigation»
, qui a été examiné lors de la partie
de session de juin 2017. Je ne peux que souscrire à la résolution,
qui appelle les États membres à assurer aux lanceurs d’alerte un
niveau de protection qui soit «au moins égale à celui prévu par
la Recommandation CM/Rec(2014)7 du Comité des Ministres sur la protection
des lanceurs d’alerte».
80. Je continuerai néanmoins à étudier des moyens concrets pour
améliorer la protection des jeunes lanceurs d’alerte et promouvoir
l’adoption d’une législation pertinente, à commencer par mon propre
pays, mais aussi au niveau européen. Le temps est venu de s’attaquer
au problème et de créer un socle législatif européen commun pour
garantir une protection suffisante aux personnes, jeunes et adultes,
qui révèlent des informations dans l’intérêt général.
5. Conclusions:
qu’est-ce qui semble fonctionner?
81. L’engagement des jeunes ne
peut s’appréhender en cochant des cases sur un questionnaire. Transparency
International, le Centre de ressources sur la lutte contre la corruption
U4 et d’autres organisations ont régulièrement soulevé la question
du succès et du caractère durable des efforts d’engagement des jeunes.
Ils concluent tous que les projets conçus et gérés par les jeunes
eux-mêmes et soutenus par des organisations de la société civile
ont une plus grande portée et permettent un engagement individuel
plus durable. En outre, l’approche consistant à recourir aux structures
existantes et à intégrer les activités de participation des jeunes
dans un cadre plus large s’avère efficace dans de nombreux contextes
.
82. Je pense que les parlements nationaux et les partis politiques
devraient accorder plus d’attention au rôle des jeunes dans la lutte
contre la corruption, et que l’action des jeunes dans ce domaine
devrait bénéficier d’un aval et d’un soutien politique sensiblement
plus affirmés. Bien entendu, cela devrait se traduire par des mesures
cohérentes en vue d’encourager et d’accompagner les initiatives
concrètes. A ce propos, je fais miennes les conclusions du Centre
de ressources sur la lutte contre la corruption U4, quant aux enseignements
tirés des initiatives des jeunes:
- premièrement,
les jeunes doivent être associés au stade de la conception des politiques
les concernant. Plus les jeunes prennent les devants, plus les politiques
ont des chances de réussir;
- deuxièmement, les initiatives les plus novatrices et les
plus efficientes sont celles pilotées par les jeunes eux-mêmes.
Les projets pensés par les pouvoirs publics sans la participation
de groupes de jeunes appelés à les piloter ont deux fois moins de
chance de réussir;
- troisièmement, les jeunes ne constituent pas un groupe
homogène; ils se caractérisent par une diversité de perspectives,
de motivations et de façons de penser. Par conséquent, les projets
et le soutien qui leur est apporté doivent tenir compte de cette
diversité;
- quatrièmement, les initiatives des jeunes sont davantage
structurées lorsqu’elles s’intègrent dans une campagne plus vaste
contre la corruption. Les institutions publiques peuvent y contribuer
grandement, en intégrant les associations de jeunes dans des efforts
plus vastes;
- enfin, il est important de se doter d’une structure pour
soutenir les mouvements de jeunes afin que les jeunes eux-mêmes
puissent rechercher des alliés et nouer des alliances avec d’autres
acteurs tels que des universités, des personnalités publiques, des
entreprises, des ambassadeurs, etc.
83. Le projet de résolution contient quelques propositions concrètes
qui s’appuient sur ces enseignements. Par ailleurs, je pense qu’il
serait nécessaire et souhaitable d’établir, sous l’égide du Conseil
de l’Europe, une plateforme pour l’intégrité, qui pourrait réunir
les jeunes, les établissements d’enseignement, des représentants
des secteurs public et privé, des organismes internationaux et des
organisations de la société civile. Dans ce cadre, une plateforme
en ligne pourrait être créée afin d’offrir à tous les citoyens un
accès à des informations sur la manière de lutter contre la corruption,
de signaler – même anonymement – les incidents de corruption et
de partager des connaissances et des bonnes pratiques.
84. Enfin, il importe également d’examiner les possibilités de
collaboration avec le Groupe d’États contre la corruption
(GRECO) et la Plateforme de l’Assemblée
parlementaire contre la corruption
dans le but de mettre en exergue
le rôle que les jeunes peuvent jouer dans la lutte contre la corruption
et d’identifier des solutions nationales, régionales et internationales
concernant l’autonomisation des jeunes, les mouvements sociaux et
la conscientisation des jeunes en tant que groupe dans la lutte
contre la corruption.