1. Introduction
1. La proposition de résolution
sur laquelle repose le présent rapport a été déposée le 11 octobre
2016. Elle rappelle les crimes commis par Daech, considère qu’ils
pourraient être qualifiés au moins de crimes de guerre et de crimes
contre l’humanité, tout en restant ambiguë sur leur qualification
ou non de génocide, et évoque la difficulté de porter cette question
devant la Cour pénale internationale (CPI). Elle a été renvoyée
à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
pour rapport le 25 novembre 2016.
2. Avant cela, j’avais déposé une proposition de résolution qui
souscrivait sans ambiguïté au point de vue antérieur de l’Assemblée
parlementaire, à savoir que ces actes pouvaient être qualifiés de
génocide
. J’ai l’intention de
conserver ce point de vue. La distinction est en effet importante:
la reconnaissance du crime de génocide génère des obligations positives
en droit international, notamment l’obligation de prendre des mesures
faite aux États Parties à la Convention des Nations Unies pour la
prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (ci-après
«Convention de 1948 contre le génocide»). La communauté internationale
a par conséquent, envers les victimes des atrocités commises par
Daech, l’obligation morale et juridique d’apprécier la situation
avec clarté et honnêteté et de faire résolument traduire en justice
les auteurs dans la pleine mesure de leur crime. Il ne faut pas
que l’Assemblée régresse vers une position plus faible.
3. Outre cette différence, les deux propositions partagent un
objectif commun: trouver le moyen de surmonter les obstacles à la
traduction en justice des membres de Daech et encourager la communauté internationale
à prendre d’urgence des mesures efficaces en la matière. Cet objectif
demeure le but premier de mon rapport.
4. Au cours de l’élaboration du rapport, la commission a organisé
une audition avec la participation de Mme Nadia
Murad, survivante yézidie de Daech et lauréate du Prix des droits
de l’homme Václav Havel de l’Assemblée 2016, M. Geoffrey Robertson
QC, ancien président du Tribunal spécial pour la Sierra Leone des Nations
Unies, et Mme Ewelina Ochab, chargée
de recherche en droit et doctorante à l’Université du Kent (Royaume-Uni).
En outre, un questionnaire a été envoyé: je remercie les parlements
des 22 États membres et observateurs qui ont répondu
.
2. Origines et évolution de Daech
5. L’origine de Daech remonte
au groupe Al Qaïda en Irak (AQI), établi par Abou Moussab Al-Zarkaoui
en 2004 à partir d’un ancien groupe djihadiste irakien. En 2006,
après la mort d’Al-Zarkaoui dans une frappe aérienne américaine,
Al Qaïda en Irak a fusionné avec d’autres groupes djihadistes irakiens
et s’est rebaptisé l’État islamique d’Irak. En 2011, l’État islamique
d’Irak, désormais dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi, s’est uni au
groupe Jabhat Al-Nosra, affilié à Al Qaïda, qui combattait en Syrie.
En 2013, cette alliance a volé en éclats et a laissé place à un
nouveau groupe dominant, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL,
également connu sous le nom de Daech). Daech donnait au départ la
priorité à la création par la force d’un «État» par rapport à la
lutte contre le Gouvernement syrien, ce qui l’a conduit à se heurter
à d’autres groupes armés, puis à se retirer dans ses bastions du
nord-est de la Syrie, où il a regroupé ses moyens militaires et
financiers. La conquête de territoires importants en Irak en juillet
2014 a considérablement augmenté ses ressources et lui a permis
de poursuivre son expansion en Syrie orientale, où la complexité
du conflit en cours et le vide laissé par le pouvoir lui en donnaient
la possibilité.
6. La rapide expansion de Daech montre que la communauté internationale
avait au départ largement sous-estimé la menace qu’il représentait.
Ses succès militaires aussi spectaculaires que soudains lui ont permis
d’attirer une aide étrangère financière et matérielle, y compris
sous forme de combattants étrangers. Les armes et le matériel destinés
aux groupes modérés sont bien souvent arrivés entre les mains des extrémistes,
et notamment de Daech, dont ils ont encore renforcé les capacités.
Cette situation lui a permis d’étendre son contrôle sur des territoires
et de s’emparer de leurs ressources économiques: en juin 2014, lors de
la prise de Mossoul, Daech a fait main basse sur la somme en dépôt
dans la Banque centrale d’Irak
, qui pouvait se monter à $US 400 millions;
au sommet de son pouvoir, il contrôlait plus de 80 % des infrastructures pétrolières
syriennes, dont il a tiré environ $US 500 millions en 2015, ce qui
lui a assuré un revenu total d’environ $US 1 milliard
. Ses ressources
économiques lui permettaient de rémunérer généreusement ses combattants,
tout en continuant à attirer de nouvelles recrues. Depuis, la situation
de Daech s’est considérablement dégradée: début juillet 2017, les
forces irakiennes ont repris le centre de Mossoul
à l’exception d’une petite zone, et son
bastion syrien, Raqqa, a été cerné et attaqué par les forces arabes
et kurdes soutenues par les États-Unis
. Ses recettes
ont décliné à mesure que ses pertes territoriales augmentaient,
passant, selon une estimation, de $US 81 millions par mois au deuxième
trimestre 2015 à $US 16 millions au deuxième trimestre 2017
.
7. Daech fonctionne selon une structure hiérarchique, dont le
commandement est centralisé. À sa tête, Al-Baghdadi détient un pouvoir
absolu, qui s’exerce au travers de divers organes, dont un conseil
militaire et un réseau d’émirs et de commandants militaires régionaux
et locaux, qui font régner une discipline stricte et assurent un
contrôle complet du territoire. La structure dirigeante de Daech
est dominée par les combattants étrangers
. Dans les régions
placées sous son contrôle fonctionne un appareil administratif primitif:
une police des mœurs et une police générale, des tribunaux et des
organes chargés de gérer le recrutement, les relations tribales
et l’éducation, ainsi que les quelques services élémentaires que
lui permettent ses ressources financières. Le 29 juin 2014, Daech
a proclamé le «califat», qui s’exerçait au départ sur les régions
qu’il contrôlait dans le nord de l’Irak et à l’est de la Syrie,
mais dont les prétentions territoriales portaient sur un espace
géographique nettement plus important. Cette proclamation a davantage
encore incité de nouvelles recrues à adhérer à ce groupe.
8. Des dizaines de milliers de «combattants étrangers», qui ne
sont pas ressortissants syriens ou irakiens, se sont rendus dans
la région pour rejoindre Daech, bien que leur nombre et le flux
de nouvelles recrues aient diminué depuis le point culminant de
ses succès militaires de 2015, puisque les 31 500 combattants présents mi
2014 n’étaient plus que 25 000 début 2016
;
en août 2016, d’après certaines informations, Daech ne comptait
plus que 15 à 20 000 combattants au total
.
Ces combattants étrangers proviennent d’au moins 86 pays: parmi
les États membres du Conseil de l’Europe, les combattants étrangers
sont issus majoritairement d’Allemagne, de France, du Royaume-Uni,
de Russie et de Turquie; en proportion du nombre d’habitants, d’importants
contingents sont également venus d’Autriche, de Belgique, de Bosnie-Herzégovine, du
Danemark, de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et de Suède.
3 700 combattants proviennent uniquement de quatre pays européens:
le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et la France
.
On considère que 20 % à 30 % des combattants étrangers issus des
pays occidentaux sont retournés chez eux
; cette proportion
pourrait encore augmenter, puisque Daech continue à perdre du terrain,
tandis que ses moyens ne cessent de se détériorer. Certaines des
personnes ayant déjà regagné leur pays ont été impliquées dans la planification
et la conduite d’attaques terroristes à grande échelle: quelques-uns
des terroristes impliqués dans les attentats à Paris de novembre
2015 (qui a provoqué la mort de 130 civils) et ceux à Bruxelles
de mars 2016 (32 morts) étaient des anciens combattants de Daech
en Syrie, et l’auteur de l’attentat suicide à Manchester en mai
2017 (22 morts) s’étaient engagé auprès de Daech en Libye et en
Syrie
.
3. Les
crimes commis par Daech
9. Dès 2014, la Commission d’enquête
internationale indépendante sur la République arabe syrienne, spécialement
créée par les Nations Unies, concluait que Daech, en sa qualité
de groupe armé au sens de l’article 3 commun aux Conventions de
Genève et du droit international coutumier, avait commis une série
de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité; dans son rapport,
la commission d’enquête qualifiait Daech de «groupe dans lequel
règnent cohésion et coordination», dirigé par un «commandement responsable»
doté d’une «structure hiérarchique», capable «d’imposer une discipline
à ses membres et d’assurer la mise en œuvre coordonnée des décisions
prises par sa direction». «Les commandants [de Daech] ont délibérément choisi
de perpétrer ces crimes de guerre et ces crimes contre l’humanité
avec l’intention évidente de s’en prendre à des personnes, en sachant
qu’il s’agissait de civils ou de personnes hors d’état de combattre.
Ils sont pénalement responsables, à titre individuel, de ces crimes
.» Je ne vois pas de raison
de mettre en doute cette analyse, et, à ma connaissance, aucun commentateur
sérieux de la situation en Syrie et en Irak ne l’a du reste remise
en question.
10. Les mécanismes internationaux se sont montrés très prudents,
à juste titre, pour déterminer si Daech avait commis précisément
le crime de génocide. En août 2014, le Conseiller spécial du Secrétaire
général des Nations Unies pour la prévention du génocide et la Conseillère
spéciale pour la responsabilité de protéger se sont montrés particulièrement
circonspects, en déclarant: «Il est possible que les comptes rendus
que nous avons reçus sur les actes commis par “l’État islamique”
soulignent un risque de génocide
.» En mars 2015, le Haut-Commissariat
aux droits de l’homme des Nations Unies a indiqué en des termes
légèrement plus précis que, «à la lumière de l’ensemble des informations
recueillies, on peut raisonnablement conclure que certains de ces
faits [les attaques lancées par Daech contre des groupes religieux
et ethniques] peuvent être constitutifs de génocide». En particulier,
«il ressort également de ces renseignements que l’EIIL a commis
ces actes avec l’intention de détruire les yézidis en tant que groupe
et qu’il s’agit d’agressions systématiques contre cette communauté,
dont l’identité est fondée sur ses croyances religieuses. Si ces
actes sont confirmés, ils pourraient être constitutifs de génocide
».
11. L’appréciation des faits par la Commission d’enquête internationale
indépendante sur la République arabe syrienne a elle aussi évolué
avec le temps, à mesure que les preuves de la nature et de l’étendue
des atrocités commises par Daech se sont accumulées. En août 2015,
elle constatait les motifs religieux des exactions commises par
Daech à l’égard de la communauté yézidie, qu’il considérait comme
une communauté de païens et d’infidèles, et les violations des droits
de l’homme particulièrement patentes dont les femmes et les jeunes
filles étaient la cible. Elle a également fait état des attaques
discriminatoires caractéristiques de nature religieuse lancées contre
les communautés chrétiennes. Mais tout en réitérant la conclusion
que Daech avait commis des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité, la Commission d’enquête internationale ne qualifiait
pas à ce stade ces actes de génocide
.
12. Le rapport de juin 2016 de la Commission d’enquête internationale
cherchait tout spécialement à déterminer si Daech avait commis un
crime de génocide à l’encontre de la communauté yézidie en Irak
. Compte
tenu de l’accumulation des preuves disponibles à l’époque, la Commission
était désormais en mesure de faire un constat dépourvu d’ambiguïté:
«l’État islamique en Irak et au Levant a commis et continue de commettre
un crime de génocide, ainsi que de multiples crimes contre l’humanité
et crimes de guerre, à l’encontre des yézidis. (...) L’EIIL cherche
à détruire les yézidis de plusieurs manières prévues par les rédacteurs
de la Convention de 1948 contre le génocide
.»
La Commission d’enquête internationale ne s’est pas penchée sur
les atrocités commises à l’égard d’autres minorités religieuses.
13. Il y a néanmoins quelques désaccords sur la question du génocide.
Ces désaccords sont de deux ordres. Premièrement, la question doit-elle
être tranchée par un organe judiciaire (international)? Deuxièmement,
les faits établis concernant les actes perpétrés par Daech en Syrie
et en Irak répondent-ils à la définition du génocide selon le droit
international? Une autre polémique, qui relève du second point, concerne
la question de savoir quels groupes ethniques et religieux ont été
victimes d’actes génocides commis par Daech. Je développerai ces
deux questions l’une après l’autre.
3.1. La
question du génocide doit-elle être tranchée par un organe judiciaire?
14. Cette objection a été émise
par certains gouvernements, y compris dans des pays où les parlements
ont reconnu le génocide et ont appelé leur gouvernement à agir.
J’espère sincèrement que cette attitude ne traduit pas une réticence
à accepter les conséquences juridiques de la reconnaissance par
un État de la commission de génocide. Ce serait trahir les principes
essentiels qui sous-tendent la Convention de 1948 contre le génocide
et faire obstacle à la réalisation de son objectif. Je suis aussi
en désaccord avec ceux qui affirmeraient que la qualification des
actes de Daech en génocide pourrait porter préjudice aux poursuites pénales
ultérieures. La reconnaissance politique par des États du génocide
commis par Daech ne compromet en rien les poursuites pénales engagées
à l’encontre de tel ou tel suspect traduit par des procureurs indépendants
devant des tribunaux indépendants, car la culpabilité individuelle
devrait toujours être établie dans chaque cas.
15. Cette objection constitue un véritable cercle vicieux. Si
les États ne reconnaissent pas que le génocide de Daech est établi
avec ce que l’on pourrait appeler un niveau de preuve
politique et que cela entraîne par conséquent,
au titre de la Convention de 1948 contre le génocide, l’obligation
juridique de le prévenir et de le punir, il y a beaucoup moins de
chances que les tribunaux aient un jour la possibilité de trancher
la question avec un niveau de preuve pénal; les États continueront
donc de réserver leur position, et les tribunaux seront toujours
dans l’incapacité d’agir, etc., etc. Dans l’intervalle, le génocide
se sera poursuivi et la population visée aura été anéantie. Comme
l’a dit le responsable politique britannique Lord Alton à l’issue
d’un débat parlementaire au Royaume-Uni, «Puisqu’il n’existe pas
de mécanisme formel pour présenter des preuves de génocide à la
Haute Cour, les États se rejettent mutuellement la responsabilité
et se tordent les mains de désespoir. Ils répètent sans cesse que
c’est à la justice de déterminer si un génocide est en cours, mais refusent
de fournir l’élément susceptible de déclencher la saisine des tribunaux.
Le parlement (...) doit forcer la main du gouvernement. Sinon, autant
déchirer la Convention contre le génocide comme un bout de papier sans
valeur
.» Il est essentiel que les États prennent
cette décision, après délibération minutieuse et éclairée, pour
que la Convention de 1948 contre le génocide soit efficace. Le Comité
consultatif néerlandais sur les questions de droit international
public et le Conseiller externe sur le droit international public
ont noté que «[l]e gouvernement est le représentant le plus important
de l’État dans les relations internationales. C’est donc au premier
chef au gouvernement qu’il incombe de déterminer si un génocide
ou des crimes contre l’humanité ont été ou sont commis dans un autre
État
».
3.2. La
définition du génocide selon le droit international est-elle satisfaite?
16. Les atrocités perpétrées par
Daech satisfont à la définition du génocide donnée à l’article II
de la Convention de 1948 contre le génocide. L’élément moral (intention
criminelle) du génocide est une «intention de détruire, en tout
ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel»; l’élément matériel (actes criminels) comprend les meurtres,
l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, la soumission
intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la
destruction physique totale ou partielle du groupe, les mesures
visant à entraver les naissances et le transfert forcé d’enfants
du groupe à un autre groupe. Les atrocités commises par Daech, qui
englobent le meurtre, la torture, le viol et autres violences sexuelles
(qui peuvent être considérés comme des formes d’atteintes graves
à l’intégrité physique ou mentale
), la réduction en
esclavage, les déplacements forcés, la séparation d’enfants de leur
famille et maints autres crimes, correspondent à de nombreux actes
énumérés à l’article II. Ces atrocités sont commises majoritairement
à l’encontre de groupes religieux, par exemple les chrétiens, les
yézidis et d’autres minorités, avec l’intention précise de détruire
en tout ou partie ces groupes. Daech prend pour cible les minorités religieuses
de Syrie et d’Irak, car il veut établir un État purement islamique
et par conséquent supprimer tout pluralisme religieux dans la région.
Il est vrai que Daech commet également des crimes contre la population dans
son ensemble, mais il n’existe pas de preuve qu’il le fait avec
l’intention précise nécessaire pour qualifier ces autres crimes
de génocide.
17. Il convient de noter à quel point de nombreux facteurs de
risque de génocide énoncés dans le «cadre d’analyse» du Conseiller
spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide correspondent
aux circonstances dans lesquelles Daech commet ces actes; citons,
par exemple, la présence d’armes et d’éléments armés illégaux; la
motivation des acteurs dirigeants de Daech; sa motivation à cibler
un groupe et à le séparer du reste de la population; son recours
à une idéologie d’exclusion et à une construction des identités,
réparties en «nous» et «eux»; le fait de présenter un groupe cible
comme un groupe indigne et inférieur, pour justifier les actes commis
à son encontre; l’environnement propice créé par le conflit armé
en cours, qui facilite l’accès aux armes et la commission d’un génocide;
les preuves qui démontrent l’intention qu’a Daech de détruire en
tout ou partie un groupe particulier; la nature des atrocités commises,
et notamment le viol systématique des femmes qui peut avoir pour
but de donner une nouvelle identité ethnique aux enfants ou d’humilier
et de terroriser ce groupe pour le diviser; et, enfin, l’élimination
ciblée des dirigeants des communautés et/ou des hommes et/ou femmes
d’une catégorie d’âge particulière (la «génération future» ou la
catégorie en âge de prendre les armes). Ces circonstances renforcent
le sentiment confiant que l’attitude de Daech peut être qualifiée
de génocide.
3.3. Quels
groupes ethniques et religieux ont été victimes du génocide perpétré
par Daech?
18. Comme indiqué plus haut, le
rapport détaillé 2016 de la Commission d’enquête internationale
conclut sans détour que Daech a bien commis un génocide contre les
yézidis. D’autres éminents acteurs internationaux sont parvenus
à la même conclusion, parmi lesquels le Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de l’homme
et
la Rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités
,
ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées
comme Genocide Watch
et le musée
du Mémorial de l’Holocauste des États-Unis
. Le rapport de la Commission d’enquête
internationale décrit en détail le traitement infligé aux yézidis
par Daech, à commencer par l’attaque armée sur leur terre natale
et le siège du Mont Sinjar, qui leur ont imposé des conditions d’existence
propres à entraîner la destruction du groupe en tout ou partie.
Les yézidis ont ensuite été séparés par âge et par sexe, cette mesure
visant à empêcher les naissances au sein du groupe, la tradition
religieuse yézidie imposant que les parents soient tous deux yézidis pour
que l’enfant le soit aussi. Les femmes et les filles pubères ont
été séparées de leurs parents masculins et les femmes mariées séparées
des femmes non mariées, ce qui revient à dire que les filles pubères
ont été séparées de leur mère. Il y a eu au moins un massacre de
femmes âgées (plus de 60 ans). Des groupes de femmes et de filles
ont ensuite été transférés de force vers des sites de détention
de masse, où elles ont été entassées dans des conditions sanitaires
précaires, quasiment sans eau et sans nourriture; bon nombre d’entre
elles, en particulier les jeunes filles, sont tombées gravement
malades et n’ont reçu aucun soin médical. Des combattants de Daech
sont venus sur ces sites pour choisir, acheter et soustraire des
femmes yézidies, qu’ils nomment «sabayas» (esclaves) et considèrent
comme des biens; ces marchés aux esclaves se sont développés jusqu’à
inclure des enchères en ligne, et bon nombre de femmes yézidies
ont été achetées et revendues à maintes reprises. Les femmes asservies
ont été systématiquement violées et soumises à d’autres formes de
violences sexuelles et elles ont été violemment battues. Les survivantes
qui se sont enfuies ou ont été revendues à leur famille souffrent
des effets psychologiques graves consécutifs aux traumatismes mentaux et
physiques extrêmes qu’elles ont subis. Un grand nombre d’hommes
et de garçons pubères ont été tués sur-le-champ ou convertis de
force à l’islam, retenus captifs et contraints au travail forcé.
Les garçons prépubères ont été séparés de leur mère à l’âge de sept
ans (et transférés sous la contrainte vers un autre groupe), puis convertis
de force et contraints de suivre des sessions d’endoctrinement et
de formation militaire, y compris pour commettre des attentats-suicides,
ce qui a gravement porté atteinte à leur intégrité mentale; l’objectif
de la conversion et de l’endoctrinement forcés était de détruire
leur identité religieuse. Les plus jeunes enfants, quoique non séparés
de leur mère, ont été brutalisés de façon répétée; ils ont notamment
reçu des coups et enduré des insultes, ce qui a gravement porté
atteinte à leur intégrité physique et mentale.
19. Dans sa propagande, avant même l’attaque sur Sinjar, Daech
expliquait précisément comment les yézidis – qu’il considère comme
des «adorateurs du diable» – devaient être traités selon son interprétation
de la loi islamique. Le traitement infligé ultérieurement par Daech
aux captifs yézidis, où que ce soit, a été en tout point conforme
à cette doctrine. D’autres groupes ethniques et religieux non sunnites
victimes de Daech n’ont pas été systématiquement soumis au même
traitement; cela s’explique par le fait que dans sa doctrine et
sa conduite, Daech établit une distinction entre les yézidis, considérés
comme des «païens» (
mushrik),
et les juifs et les chrétiens, qui sont désignés «peuples du Livre»
(
Ahl Al-Kitab). Les atrocités
commises à l’encontre des yézidis ont été accompagnées de la destruction
systématique des sanctuaires et des temples yézidis, actes que le
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale
de Justice considèrent comme pouvant servir de preuves pour confirmer
l’intention de détruire le groupe, en tant que tel
.
20. Je souscris pleinement aux conclusions de la Commission d’enquête
internationale, qui sont très largement appuyées par maintes autres
sources et de nombreux commentateurs faisant autorité. Il ne fait aucun
doute que Daech a commis et continue de commettre un génocide à
l’encontre des yézidis.
21. Il est aussi largement admis, y compris dans de nombreuses
déclarations parlementaires, que Daech a commis un génocide à l’encontre
de minorités chrétiennes. La Commission d’enquête internationale
n’a pas encore fait rapport sur les atrocités commises par Daech
à l’égard d’autres minorités religieuses. D’autres rapports de la
Commission fournissent néanmoins des informations. Selon ces rapports,
bien que Daech affirme considérer les chrétiens comme un «peuple
du Livre», ces derniers ont subi des déplacements forcés et des
privations de biens; quelque 200 000 chrétiens ont fui leur domicile
dans les plaines de Ninive lors de l’offensive de Daech, à l’issue
de laquelle ce dernier a détruit des églises et des cathédrales
historiques chrétiennes
. Les rapports de la Commission
d’enquête internationale mentionnent aussi qu’en septembre et octobre
2013, Daech a attaqué et détruit des églises de diverses confessions
chrétiennes dans le gouvernorat de Raqqa
, et qu’en février 2015, il a attaqué des
villages chrétiens en ciblant les villageois en fonction de leur
religion
. Une autre source indique
qu’en juin 2014, Daech a attaqué des chrétiens araméens, assyriens et
chaldéens dans la province de Mossoul, en les ciblant en fonction
de leur religion, qu’il a confisqué la totalité des églises, des
maisons et autres biens des chrétiens après les avoir marqués de
la lettre arabe «N» (pour «Nasrani», c’est-à-dire chrétien), et
qu’il a vendu des femmes chrétiennes et yézidies comme esclaves,
en publiant même une liste de prix
. Un autre rapport présente un cas
de violations par Daech à l’encontre de chrétiens qui est constitutif
du crime de génocide: le cas est solidement argumenté, apporte des
éléments de preuve détaillés et repose sur des déclarations précises,
sur des politiques et sur des conduites caractéristiques qui correspondent
aux exigences de la définition juridique figurant dans la Convention
de 1948 contre le génocide
. Ce rapport
décrit la séparation d’enfants chrétiens de leur mère, l’esclavage
sexuel de femmes chrétiennes, les meurtres «courants» de chrétiens
(estimés à plusieurs milliers sur l’ensemble de la Syrie) et des
prises d’otage. Il mentionne des déclarations d’intention de Daech,
notamment son intention «de conquérir votre Rome, de briser vos
croix et de réduire vos femmes en esclavage [et] de vendre vos fils
sur le marché aux esclaves» ainsi que «de brûler les esclaves de
la Croix». D’après les auteurs, «[l]a lettre de ces déclarations,
en particulier dans ce contexte, est claire: le soi-disant califat
a programmé la destruction des chrétiens, maintenant et dans un
combat apocalyptique à venir».
22. Certains affirment que Daech tolère les chrétiens au même
titre qu’ils étaient tolérés sous le «Pacte d’Umar», lequel régissait
leur statut dans les califats musulmans entre les IXe et
XIXe siècles. Cette affirmation a été
vivement réfutée, essentiellement au motif suivant: puisque les
chrétiens sont contraints de payer l’impôt appelé
djizîa, ce système ne correspond
pas en pratique à l’ancien modèle historique; Or, l’impôt est fixé
à une valeur confiscatoire et ceux qui le paient sont néanmoins
victimes de meurtre, de mauvais traitements, de privation de liberté,
ils servent de boucliers humains et ne sont pas en mesure de pratiquer
leur religion, en partie en raison des destructions d’églises et
de l’enlèvement de prêtres
.
Les chrétiens sont face à un choix épouvantable: payer la
djizîa, se convertir à l’islam,
fuir ou être tués. La dure réalité est que Daech considère les chrétiens
comme des infidèles qui méritent d’être abattus: sa
djizîa a été décrite comme «un stratagème grâce
auquel l’État islamique en Irak et au Levant peut empêcher les chrétiens
de la région de profiter de lui et de lui porter atteinte» et comme
une «astuce publicitaire du califat»
. Selon une estimation souvent
citée, un tiers environ des 200 000 à 250 000 chrétiens d’Irak en
2014 ont fui le pays, nombre de ceux qui sont restés sont déplacés
à l’intérieur du territoire, et peut-être près de la moitié des
2 millions de chrétiens que comptaient la Syrie en 2011 ont fui,
là encore avec de forts taux de déplacements internes
. Il convient de rappeler
que Daech est aussi présent en Égypte, où il a, de façon systématique,
attaqué des églises et expulsé des communautés coptes chrétiennes
de leur domicile
.
23. La nature et l’ampleur des atrocités commises par Daech à
l’encontre de chrétiens, les conséquences de ces atrocités sur les
communautés chrétiennes en particulier d’Irak et de Syrie en tant
que groupes et les nombreuses déclarations d’intention de Daech
motivées par la doctrine sont toutes extrêmement bien documentées
et conduisent fortement à penser qu’il y a bien un génocide délibéré.
24. La Commission d’enquête internationale fournit également dans
ses rapports généraux des informations précises sur les crimes commis
par Daech à l’encontre de musulmans non sunnites, notamment de chiites, que
l’organisation considère comme des apostats ou des hérétiques; de
nombreux commentateurs et certaines déclarations parlementaires
considèrent aussi que ces actes s’analysent en génocide. Les dizaines de
milliers de Turkmènes et de Shabaks qui vivaient dans des villages
autour de Mossoul ont quasiment tous fui lorsque Daech a assiégé
la ville en 2014. Nombre d’entre eux, y compris des enfants, ont
néanmoins été capturés, sommés de se «repentir» de leurs croyances
«hérétiques», torturés et tués, et leurs mosquées et biens ont été
pillés
. Au cours de ces attaques, Daech
a torturé et tué plus d’un millier de chiites qui avaient été délibérément
séparés des soldats irakiens capturés. En août 2015, une bombe de
Daech a tué au moins 76 personnes d’un quartier de Bagdad à majorité
chiite
. En juillet 2016, Daech a de nouveau
attaqué un quartier chiite de Bagdad, faisant plus de 300 morts
.
Plus tard ce même mois, l’organisation a attaqué le mausolée de
Sayed Mohamed ben Ali al-Hadi, lieu saint chiite du centre de l’Irak,
tuant au moins 40 personnes
.
En avril 2017, lors d’un attentat-suicide, un membre de Daech a
attaqué un bus transportant pour l’essentiel des villageois chiites
qui fuyaient des zones détenues par les rebelles dans le cadre d’un échange
décidé d’un commun accord, tuant 126 personnes, dont 80 enfants
.
25. La nature et l’ampleur des atrocités commises par Daech à
l’encontre de musulmans non sunnites, les conséquences de ces atrocités
sur ces communautés, en particulier en Irak et en Syrie, en tant
que groupes et les nombreuses déclarations d’intention de Daech
motivées par la doctrine sont toutes bien documentées et conduisent
fortement à penser qu’il y a bien un génocide délibéré.
4. La
position des acteurs nationaux et internationaux sur la question
du génocide
26. À mesure que les preuves s’accumulaient
et que la position des mécanismes de contrôle indépendants évoluait,
un nombre croissant d’importants acteurs nationaux et internationaux
sont également parvenus à la conclusion que Daech a commis un génocide.
L’Assemblée parlementaire a été l’une des premières à conclure en
janvier 2016 que Daech avait «commis des actes de génocide et d’autres
crimes graves réprimés par le droit international» et à appeler
les États membres «à respecter leurs obligations positives nées
de la [Convention de 1948 contre le génocide], en prenant toutes
les mesures qui s’imposent pour prévenir un génocide»
.
Le Parlement européen a adopté une résolution analogue le mois suivant,
en déclarant que Daech commettait un génocide à l’encontre des chrétiens,
des yézidis et d’autres minorités religieuses, et en invitant instamment
le Conseil de sécurité des Nations Unies à déférer cette question
devant la CPI
.
27. Plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ont adopté
une position analogue. Dès le 15 décembre 2015, le Seimas de la
République de Lituanie déclarait que «les atrocités perpétrées à
l’encontre de chrétiens et de représentants d’autres minorités religieuses
qui sont visées au Moyen-Orient, en particulier en Irak et en Syrie,
et en Afrique du Nord seulement pour des motifs religieux peuvent
être considérées comme un génocide». La Chambre des communes du
Royaume-Uni a déclaré le 20 avril 2016 par un vote à l’unanimité de
ses 278 membres qu’elle était convaincue que «les chrétiens, les
yézidis et les autres minorités ethniques et religieuses d’Irak
et de Syrie aux mains de Daech subissent un génocide» et a appelé
le Gouvernement britannique «à saisir immédiatement le Conseil de
sécurité des Nations Unies en vue de donner compétence à la CPI,
afin que les auteurs de ces actes soient traduits en justice». Le
8 décembre 2016, l’Assemblée nationale française a estimé que les
violences et les crimes commis par Daech à l’encontre des chrétiens,
des yézidis et des autres populations minoritaires satisfaisaient
aux critères de la définition du génocide et a appelé le Gouvernement
français à reconnaître officiellement ce génocide et à saisir le
Conseil de sécurité des Nations Unies de la question, afin qu’il
donne mandat à la CPI de poursuivre les auteurs de ces crimes. En 2016
également, le Parlement hongrois a déclaré que les atrocités commises
par Daech «devaient être considérées comme des actes de génocide,
des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre». Le 7 juin 2017,
le Conseil national autrichien a approuvé la résolution du Parlement
européen, tout en appelant le Conseil de sécurité des Nations Unies
à déclarer officiellement que les atrocités commises par l’État
islamique en Irak et au Levant à l’encontre des chrétiens et d’autres
minorités religieuses et ethniques sont des actes de génocide et
en demandant que les auteurs de ces crimes soient traduits devant
la CPI.
28. Un certain nombre de pays non européens ont également pris
position. Le 14 mars 2016, la Chambre des représentants des États-Unis
a adopté, à l’unanimité de ses 393 membres, une résolution qui qualifie
de génocide les atrocités commises à l’encontre des chrétiens, des
yézidis et des autres minorités ethniques et religieuses d’Irak
et de Syrie. Le 15 mars 2016, le Sénat américain a déclaré que les
atrocités perpétrées par Daech à l’encontre de chrétiens, de yézidis
et d’autres minorités religieuses et ethniques d’Irak et de Syrie constituaient
des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et un génocide.
Le 17 mars 2016, le secrétaire d’État américain, dans un discours
soigneusement pesé et bien argumenté, a déclaré: «Daech est responsable
d’un génocide commis à l’encontre de plusieurs groupes présents
dans les régions placées sous son contrôle, notamment les yézidis,
les chrétiens et les musulmans chiites. Daech commet un génocide
par ses propres proclamations, par son idéologie et par ses actes,
autrement dit par ce qu’il dit, par ce qu’il pense et par ce qu’il
fait (…). Daech tue les chrétiens parce qu’ils sont chrétiens, les
yézidis parce qu’ils sont yézidis, les chiites parce qu’ils sont
chiites». Le secrétaire d’État a ensuite fait remarquer qu’il n’était
«ni juge, ni procureur, ni membre d’un jury à propos des allégations
de génocide, de crime contre l’humanité et de nettoyage ethnique
commis par des personnes précises. En définitive, tous les faits
doivent être mis en lumière par une enquête indépendante et par
une décision de justice officielle rendue par une juridiction ou
un tribunal compétent. Mais les États-Unis soutiendront résolument
les initiatives qui visent à recueillir, établir documents à l’appui,
conserver et analyser les preuves des atrocités commises et ils
feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que les auteurs de ces
actes aient à en répondre
».
L’actuelle administration américaine a soutenu cette position, le
Secrétaire d’État Tillerson ayant déclaré que «l’État islamique
en Irak et au Levant est manifestement responsable de génocide contre
les yézidis, les chrétiens et les musulmans chiites dans les zones
qu’il contrôle
».
Le Gouvernement canadien a réaffirmé le 16 juin 2016 qu’il reconnaissait
le génocide des yézidis commis par Daech et la Chambre des communes
du Canada a adopté à l’unanimité en octobre 2016 une résolution
en ce sens. Le 2 mai 2016, la Chambre des représentants australienne
a reconnu la «conduite génocidaire actuelle [de Daech...] à l’encontre
de minorités indigènes en Irak, notamment du peuple assyrien [chrétien]
». Le pape
François a aussi déclaré qu’«une forme de génocide» est actuellement commise
à l’encontre des chrétiens du Moyen-Orient
.
5. La
situation juridique de l’engagement des poursuites à l’encontre
des membres de Daech
29. Comme nous l’avons indiqué
plus haut, il ne fait aucun doute que Daech ait commis une série
de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Irak et en
Syrie et il est de plus en plus admis qu’il a également commis un
génocide. De tels actes relèvent de la compétence conférée à la
CPI par les articles 5, 6, 7 et 8 du Statut de Rome. En vertu de
l’article 28, les commandants militaires de Daech seraient responsables
des crimes commis par leurs subordonnés, compte tenu de la structure
hiérarchique de Daech et de la discipline interne rigoureuse qui
y règne (voir plus haut les paragraphes 7 et 9). Il est peu probable
que les subordonnés des forces militaires puissent invoquer l’exonération
de responsabilité prévue pour les actes «commis sur ordre d’un supérieur»
au titre de l’article 33, en raison, à tout le moins, du caractère
manifestement illégal des ordres donnés
.
30. En vertu de l’article 12 du Statut de Rome, la CPI peut uniquement
exercer sa compétence si le crime allégué a été commis sur le territoire
d’un État Partie ou par l’un de ses ressortissants, ou par le ressortissant d’un
État ayant accepté la compétence de la CPI pour le crime en question.
Dans le cas contraire, la CPI est compétente si le Conseil de sécurité
des Nations Unies défère «la situation dans laquelle un ou plusieurs
de ces crimes paraissent avoir été commis» au procureur au titre
de l’article 13, comme cela avait été le cas, par exemple, pour
le Soudan et la Libye.
31. L’Irak et la Syrie ne sont pas Parties au Statut de Rome et
n’ont pas non plus accepté la compétence de la CPI. Cette dernière
ne peut donc pas exercer de compétence territoriale pour tous les
crimes pertinents commis dans ces pays. Mais, comme nous l’avons
vu plus haut au paragraphe 8, de nombreux combattants étrangers,
dont plusieurs milliers de ressortissants des États membres du Conseil
de l’Europe et d’autres États Parties au Statut de Rome, ont rejoint
les rangs de Daech et bon nombre d’entre eux auront pris part, à
un degré ou à un autre, à la commission de crimes réprimés par le
droit international. Cet élément pourrait conduire ces personnes
à relever de la compétence de la CPI à titre individuel, même si
les crimes qu’elles ont commis n’ont pas eu lieu sur le territoire
d’un État relevant de sa compétence.
32. En vertu de l’article 53 du Statut de Rome, la procureure
de la CPI, après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance,
ouvre une enquête, à moins qu’elle ne conclue qu’il n’y a pas de base
raisonnable pour poursuivre; pour prendre sa décision, elle examine
si les renseignements en sa possession fournissent une base raisonnable
pour penser qu’un crime relevant de la compétence de la CPI a été
ou est en voie d’être commis. Elle peut à tout moment reconsidérer
cette décision sur la base de nouveaux faits ou de nouvelles informations.
33. Le 8 avril 2015, la procureure a publié une «Déclaration à
propos des crimes qui auraient été commis par l’EIIS». Elle y faisait
remarquer que «les atrocités qui auraient été commises par l’EIIS
constituent sans l’ombre d’un doute des crimes graves qui touchent
l’ensemble de la communauté internationale et menacent la paix,
la sécurité et le bien-être de la région en cause et du monde»
. Elle a rappelé par ailleurs que,
bien que la CPI ne jouisse pas d’une compétence territoriale sur
ces crimes, elle pouvait néanmoins exercer sa compétence personnelle
sur les auteurs supposés de ces actes qui sont ressortissants d’un
État Partie. Des milliers de combattants étrangers ont rejoint les
rangs de Daech, et certains d’entre eux peuvent avoir pris part à
la commission de crimes réprimés par le droit international, mais
cette organisation est avant tout dirigée par des ressortissants
irakiens et syriens, de sorte que les perspectives d’enquête et
de poursuites à l’encontre des dirigeants les plus responsables
semblent limitées. Elle concluait donc que, «au stade actuel, le
fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire
était trop étriqué».
34. Dans sa déclaration, la procureure faisait par ailleurs remarquer
que la décision d’États non Parties au Statut de Rome (c’est-à-dire
l’Irak et la Syrie) d’accepter la compétence de la CPI, ou du Conseil
de sécurité des Nations Unies de saisir la CPI pour qu’elle intervienne,
était complètement indépendante de la volonté de la CPI. Elle soulignait
également qu’il incombait en premier lieu aux autorités nationales
d’enquêter sur les crimes commis à grande échelle et de poursuivre
leurs auteurs, en ajoutant que le Bureau du procureur restait prêt
à collaborer avec les États concernés pour apporter son soutien
aux enquêtes et aux poursuites menées à l’échelon national. Le Bureau
continuera en outre à recueillir tout renseignement supplémentaire
sur les différentes positions occupées par les ressortissants d’États
Parties au sein de Daech qui pourrait l’amener à reconsidérer sa
décision.
35. Le 17 décembre 2015, Global Justice Centre a écrit à la procureure
pour étayer les informations détaillées complémentaires sur les
combattants étrangers et leur rôle au sein de Daech présentées par
les organisations Yazda et Free Yazidi Foundation, afin de réunir
les conditions nécessaires à l’ouverture d’un examen préliminaire
du génocide et des autres crimes commis à l’encontre des yézidis
par les ressortissants des États Parties au Statut de Rome. Ce courrier
rappelle la politique adoptée par le Bureau du procureur, telle qu’il
l’énonce dans son Rapport sur les activités menées en 2015 en matière
d’examen préliminaire, où il est précisé que le Bureau «étendra
sa stratégie générale en matière de poursuites pour s’intéresser
aux criminels de rang intermédiaire ou élevé, voire aux criminels
de rang inférieur ayant acquis une grande notoriété, en vue de remonter
en haut de la pyramide et d’atteindre les principaux responsables
des crimes les plus graves. Le Bureau peut également envisager d’engager
des poursuites contre des criminels de rang inférieur ayant commis
des actes particulièrement graves et acquis une grande notoriété».
Il mentionne également l’importance que la procureure devrait accorder
aux crimes assortis de violences sexuelles, de violences à l’égard
des femmes ou de violences sur mineurs, conformément à l’article
54 du Statut de Rome et à la politique adoptée par le Bureau au
sujet des crimes sexuels et à caractère sexiste.
6. Surmonter
les obstacles juridiques à l’engagement de poursuites à l’encontre
des membres de Daech
36. Il existe trois moyens évidents
de surmonter les obstacles à l’exercice par la CPI de sa compétence
pour les crimes commis par Daech: premièrement, la Syrie et/ou l’Irak
acceptent la compétence de la CPI; deuxièmement, le Conseil de sécurité
défère la situation au procureur de la CPI; et, troisièmement, le
procureur décide d’ouvrir une enquête sur les crimes commis par
les ressortissants d’un État Partie au Statut de Rome ou qui a accepté
la compétence de la CPI.
37. La première de ces trois solutions n’est pas réaliste. La
deuxième est improbable, car elle concernerait l’ensemble de la
«situation» dans laquelle les crimes ont été commis. Comme de graves
allégations ont également été formulées au sujet d’actes commis
par certains membres permanents du Conseil de sécurité ou par leurs
alliés
,
ceux-ci risquent de se montrer réticents à charger la CPI d’ouvrir
une enquête qui donnerait lieu à l’examen, non seulement des crimes
de Daech, mais également des éventuelles infractions commises par
d’autres acteurs au cours du conflit plus général. Cela signifie
qu’un ou plusieurs membres permanents pourraient avoir des raisons
d’opposer leur veto à la décision de déférer la situation à la CPI.
Le 22 mai 2014, un projet de résolution du Conseil de sécurité visant
à déférer la situation en Syrie à la CPI s’est heurté au veto de
la Russie et de la Chine, alors même que les 13 autres membres –
y compris les États membres du Conseil de l’Europe que sont la France,
la Lituanie, le Luxembourg et le Royaume-Uni – avaient voté en faveur
de ce projet. Aucune tentative de déférer la situation en Syrie
et/ou en Irak à la CPI n’a été faite par la suite et les initiatives
de la communauté internationale visent désormais à retenir d’autres
solutions pour pouvoir engager des poursuites à l’encontre des auteurs
des atrocités commises en Syrie. En août 2017, Mme Carla
Del Ponte, membre de la Commission d’enquête internationale, a démissionné
pour protester contre l’incapacité du Conseil de sécurité des Nations
Unies d’apporter une réponse en actes aux conclusions et aux recommandations
de la commission, déclarant que son action «n’était appuyée par
aucune volonté politique
».
38. La troisième solution envisageable permettant des poursuites
devant la CPI, qui ne serait que partielle puisqu’elle se limiterait
aux auteurs supposés ressortissants d’un État pour lequel la CPI
a compétence, présente néanmoins plusieurs avantages importants.
L’enquête de la procureure permettrait d’établir des éléments de
preuve, notamment les dépositions de témoins, qui satisfassent aux
critères requis pour leur présentation devant un tribunal, y compris
devant les juridictions nationales. Quand bien même aucune poursuite
ne serait engagée par la suite, ces éléments de preuve constitueraient
un témoignage historique fiable des événements survenus. Si la procureure
décidait de retenir des chefs d’accusation, cela marquerait le début
d’une justice rendue aux victimes, permettrait la condamnation des
auteurs de ces crimes et renforcerait la pression politique exercée
sur le Conseil de sécurité pour le conduire à déférer la situation
à la CPI.
39. L’autre moyen d’obtenir que justice soit rendue pourrait être
la création d’un tribunal ad hoc. Depuis février 2015, la Commission
d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, consciente
de l’absence de consensus entre les membres du Conseil de sécurité
sur la question de la saisine de la CPI, recommande de déférer la
situation à un tribunal ad hoc
;
la résolution de mars 2016 de la Chambre des représentants des États-Unis
a également appelé à la «création et au fonctionnement de tribunaux adéquats».
Il existe diverses possibilités. Le Conseil de sécurité des Nations
Unies a adopté des résolutions établissant des tribunaux pénaux
internationaux ad hoc à deux reprises par le passé, pour l’ex-Yougoslavie
en 1993 et pour le Rwanda en 1994. Diverses juridictions spéciales
ont également été constituées sur la base d’accords passés entre
les autorités nationales de l’État dans lequel les crimes avaient
été commis et les Nations Unies, comme le Tribunal spécial pour
la Sierra Leone, créé en 2002, et le Tribunal spécial pour le Liban,
constitué en 2007. L’autre modèle envisageable pourrait être celui
des mécanismes juridictionnels «hybrides» mis en place au sein des
appareils judiciaires nationaux – comme les Formations spéciales
pour les crimes graves commis au Timor oriental, créées en 2000,
les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens,
établies en 2001, ou la Chambre spéciale pour les crimes de guerre
du Tribunal d’État de Bosnie-Herzégovine, constituée en 2004 – dans
lesquels siègent des juges internationaux et des juges nationaux.
Je crois comprendre que les autorités irakiennes hésitent quelque
peu à accepter un «tribunal spécial» ou un mécanisme juridictionnel
«hybride». Il pourrait donc être envisagé d’étudier des variantes
à ces modèles, telles que des chambres extraordinaires au sein de
tribunaux irakiens, composées de juges irakiens et assistées d’experts
internationaux.
40. Mais comme l’a fait remarquer la procureure de la CPI, il
incombe avant tout aux autorités nationales d’enquêter et d’engager
des poursuites au sujet des crimes de guerre, des crimes contre
l’humanité et des génocides, la CPI n’intervenant que lorsque les
États n’agissent pas. Selon Amnesty International, l’immense majorité
des États membres des Nations Unies ont légiféré de manière à prévoir
une compétence universelle pour au moins l’un de ces crimes, même
si cela ne signifie pas nécessairement qu’ils sont en mesure d’agir
de manière effective pour faire appliquer le droit pénal international,
en raison des obstacles que présente leur législation
. La Commission d’enquête internationale
indépendante sur la République arabe syrienne a fait observer dès
février 2015 que de nombreux États sont disposés à ouvrir des enquêtes
et à engager des poursuites à l’encontre de leurs propres ressortissants
et que certains d’entre eux se sont montrés prêts à exercer une
compétence universelle également à l’encontre de ressortissants
étrangers; elle a invité instamment la communauté internationale
à appliquer le principe de compétence universelle pour ouvrir des enquêtes
et engager des poursuites à l’encontre des auteurs supposés de crimes
.
Plus récemment, l’Assemblée générale des Nations Unies a salué les
initiatives prises par les États pour ouvrir des enquêtes et engager
des poursuites à l’encontre des auteurs des crimes commis en Syrie,
a invité instamment les autres États à faire de même et a encouragé
le partage des informations entre États
.
41. La plupart des pays qui ont répondu au questionnaire permettent
l’exercice de la compétence universelle sur les infractions réprimées
par le droit international, et ce de façon très claire en Allemagne,
en Autriche, au Canada, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en France,
en Irlande, en Lituanie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en République
slovaque, en Slovénie, en Suède et en Suisse. Dans leurs réponses,
de nombreux pays montrent clairement qu’ils ont pour politique d’appliquer
des mesures de droit pénal aux personnes rentrant de Syrie ou d’Irak:
l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, la
Suède et la Suisse ont tous appelé l’attention sur leur volonté
d’ouvrir des enquêtes et, lorsque cela est justifié, d’engager des
poursuites à l’encontre des personnes qui regagnent le pays. En
France, par exemple, la Cellule antiterroriste travaille actuellement
sur 122 procédures: 170 personnes font l’objet d’une enquête, dont
105 sont en détention provisoire. Les Pays-Bas ont engagé des poursuites
à l’encontre de 15 personnes ayant regagné le pays, dont trois ont
été condamnées; la Norvège a poursuivi en justice huit personnes,
parmi lesquelles cinq ont été condamnées; et les informations figurant
dans la réponse du Royaume-Uni donnent à penser que huit personnes
ayant regagné le pays ont été condamnées pour infractions terroristes.
La Norvège a en outre indiqué qu’elle envisageait d’ouvrir des enquêtes
pénales à l’encontre de personnes qui n’avaient pas encore regagné
le pays de sorte que des mandats d’arrêt internationaux puissent
être émis. Plusieurs réponses, en particulier celles du Danemark,
de la Finlande, de la France et du Royaume-Uni, décrivent assez longuement
la grave menace à long terme que posent éventuellement pour la sécurité
les personnes qui rentrent chez elles. Le droit britannique permet
la déchéance de la citoyenneté; selon certaines sources, plus de
150 djihadistes et criminels présumés ont été déchus de leur citoyenneté
et empêchés de revenir au Royaume-Uni, dans un contexte de craintes
que des membres de Daech n’affluent après la défaite militaire de l’organisation
. Le Danemark
a mis en place une interdiction de se rendre dans certaines zones
touchées; d’autres pays autorisent la saisie des passeports appartenant
aux suspects (la France, dans le cas des mineurs, l’Allemagne et
le Royaume-Uni).
42. Plusieurs pays soulignent aussi la nécessité de prendre des
mesures de déradicalisation et de réinsertion, notamment l’Autriche,
le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Slovénie et la
Suède, cette dernière insistant sur l’importance de ces mesures
compte tenu des difficultés à obtenir des preuves à l’encontre des
personnes ayant regagné le pays et à faire condamner ces personnes.
Les mesures de rééducation destinées aux enfants des membres de
Daech ayant regagné le pays, qui sont peut-être trop jeunes pour
être considérés comme pénalement responsables de leur situation
antérieure mais qui peuvent avoir subi un endoctrinement extrémiste
violent, sont particulièrement importantes.
43. Que les auteurs des crimes commis par Daech soient ou non
poursuivis devant les juridictions nationales ou internationales,
la réunion des éléments de preuve demeure une tâche essentielle:
le Conseiller spécial pour la prévention du génocide, par exemple,
a appelé à ce que «tous les éléments de preuve des activités criminelles
soient soigneusement établis document à l’appui et conservés pour
être examinés ultérieurement par un tribunal»
. La Commission d’enquête internationale
indépendante sur la République arabe syrienne a joué un rôle particulièrement
important à cet égard, notamment en établissant des listes des auteurs
supposés de ces crimes. Cette Commission, ainsi que la procureure
de la CPI, ont fait part de leur volonté de partager les éléments
de preuve dont ils disposent avec les autorités nationales. J’ai
donc proposé que la commission demande au Bureau d’inviter l’un
de ses représentants à prendre la parole devant l’Assemblée au cours
du débat sur le présent rapport.
44. Le 21 décembre 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies
a décidé de créer un «Mécanisme international, impartial et indépendant
chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves
du droit international commises en République arabe syrienne depuis
mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables»
.
Ce nouveau mécanisme coopérera étroitement avec la Commission d’enquête internationale
indépendante sur la République arabe syrienne «pour ce qui est de
recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser les éléments
de preuve attestant de violations du droit international humanitaire,
de violations du droit des droits de l’homme et d’atteintes à ce
droit, et de constituer des dossiers en vue de faciliter et de diligenter
des procédures pénales équitables, indépendantes et conformes aux
normes du droit international devant des cours ou tribunaux nationaux,
régionaux ou internationaux, qui ont ou auront compétence pour connaître
de ces crimes conformément au droit international
». Il convient cependant
de noter que son mandat s’étend uniquement à la Syrie, pour les
actes commis depuis 2011 non seulement par Daech mais également
par toutes les parties au conflit, et qu’il n’englobe pas l’Irak.
Par ailleurs, bien que Mme Catherine
Marchi-Uhel, ancienne juge française, ait été nommée à la tête de
ce mécanisme au mois de juillet, il n’a pas encore reçu les contributions
volontaires nécessaires au financement de ses activités et n’est donc
pas encore totalement opérationnel.
45. Un mécanisme analogue devrait être mis en place pour les atrocités
commises par Daech en Irak. En outre, les États peuvent également
contribuer individuellement à recueillir des éléments de preuve,
par exemple en mettant en œuvre la recommandation de la Commission
d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne,
qui préconise que les États mettent leur expertise au service de
ceux qui leur en font la demande pour contribuer à la conservation
et à la documentation des sites de charniers
.
7. Conclusions
46. Daech a commis certains des
crimes les plus épouvantables que le monde ait connus ces dernières années,
qui constituent sans le moindre doute des crimes réprimés par le
droit international. Il n’a pas été possible de traduire en justice
leurs auteurs en Syrie ou en Irak, les deux pays dans lesquels ces
crimes ont été commis. Il n’a pas davantage été possible de porter
ces affaires devant la CPI, car, d’une part, ni la Syrie ni l’Irak
n’a accepté sa compétence, d’autre part, le Conseil de sécurité
des Nations Unies n’a pas déféré la situation à la CPI et, enfin,
la procureure de la CPI a décidé de ne pas ouvrir d’enquête au sujet
des auteurs supposés de ces actes d’États qui relèvent de la compétence
de la CPI. Alors que certains États ont fait de louables efforts
pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites à l’encontre
des auteurs des crimes commis par Daech en exerçant une compétence
universelle, ces démarches sont loin de suffire à rendre justice
aux victimes ou à exprimer la condamnation de la communauté internationale.
Daech continue d’agir dans une impunité scandaleuse et la réaction
de la communauté internationale dans son ensemble demeure tristement
inadéquate.
47. La reconnaissance politique générale de la commission d’un
génocide par Daech permettrait d’y parvenir, en transformant un
cercle vicieux en un cercle vertueux. Les juridictions sont à l’heure
actuelle incapables de se prononcer de manière définitive sur la
question, faute de compétence ou de preuves; mais en l’absence d’une
telle décision, de nombreux États ne respectent pas les obligations
positives qui leur sont faites par la Convention de 1948 contre
le génocide. La reconnaissance du génocide par les États à la suite d’une
action concertée menée par eux conformément à leurs obligations
pourrait donner à la CPI en particulier la possibilité et les moyens
de traduire les membres de Daech en justice. L’allégation de génocide
présente bien entendu une gravité particulière et ne doit pas être
formulée à la légère, mais il existe désormais des éléments de preuve
plus que suffisants pour justifier l’utilisation politique de ce
terme, comme le montrent les positions adoptées par un nombre croissant
d’instances nationales et internationales. Par ailleurs, le fait
de désigner les actes commis par Daech en utilisant la qualification
politique générale de génocide, tout en ayant des conséquences juridiques
pour la communauté internationale en ouvrant la voie à des enquêtes
judiciaires en bonne et due forme, ne serait en rien préjudiciable
à l’engagement de poursuites pénales à l’encontre de Daech, même
si cette qualification peut être essentielle au cas où les auteurs
de ces actes devaient être traduits en justice.
48. En attendant, la communauté internationale doit veiller à
ce que les éléments de preuve indispensables à l’engagement d’éventuelles
poursuites à l’encontre des membres de Daech, que ce soit devant
des juridictions nationales ou internationales, soient réunis et
conservés en respectant les critères de recevabilité requis. Tout
comme les criminels de guerre nazis sont poursuivis aujourd’hui
encore pour leurs crimes de haine, il importe que la justice ne
trouve pas le repos jusqu’à ce que les criminels de Daech, qu’il
s’agisse des acteurs principaux ou de leurs complices, répondent
de leurs crimes et soient condamnés pour ceux-ci.
49. L’Assemblée parlementaire doit continuer résolument de condamner
les crimes commis par Daech, y compris la commission d’un génocide,
et formuler des recommandations précises aux États membres et observateurs
et autres acteurs internationaux pertinents pour que les auteurs
de ces crimes soient poursuivis et punis, comme cela est proposé
dans le projet de résolution.