1. Introduction:
origine, méthodologie et objectif du rapport
1. L’idée d’un quatrième Sommet
des chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil
de l’Europe a été lancée par l’Assemblée parlementaire en 2009
puis à nouveau en 2011
, mais sans qu’aucun suivi
n’ait été apporté par le Comité des Ministres. Elle a été reprise
par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe dans son rapport
de 2014 sur la Situation de la démocratie, des droits de l’homme
et de l’État de droit en Europe, puis une fois encore par l’Assemblée
à Sofia, le 27 novembre 2015.
2. Adoptée deux semaines seulement après l'horreur des attentats
terroristes de novembre 2015 à Paris, la Déclaration de Sofia
a énuméré les nombreux enjeux politiques
auxquels l'Europe se trouve confrontée aujourd'hui, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur de ses frontières, soulignant que ces défis appellent
une réponse commune fondée sur des valeurs et des principes partagés,
sur le dialogue et sur la solidarité. La Déclaration appelait les
47 États membres du Conseil de l’Europe à éviter de dresser de nouveaux
murs et de tracer des lignes de fracture.
3. À cette fin, et reconnaissant le rôle essentiel que le Conseil
de l’Europe peut jouer dans la défense et la promotion de la sécurité
démocratique, l’Assemblée, dans sa Déclaration de Sofia, a appelé
à la tenue d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement afin
que les États membres réaffirment, au plus haut niveau politique,
leur adhésion aux valeurs et aux principes communs de la démocratie,
des droits de l’homme et de l’État de droit prônés par l’Organisation.
4. L’Assemblée a chargé la commission des questions politiques
et de la démocratie de rédiger un rapport sur ce sujet, et j’ai
été nommé rapporteur en mars 2016. Depuis lors, j’ai lancé un processus
de consultation élargi afin de déterminer si l’idée d’un quatrième
sommet est appropriée, ainsi que pour discuter des thèmes et des
dates possibles.
5. Le 25 mai 2016, j’ai écrit aux présidents de toutes les délégations
nationales et de tous les groupes politiques représentés à l’Assemblée,
ainsi qu’à quatre organisations non gouvernementales (NGO) internationales
avec lesquelles l’Assemblée a établi des relations de travail, à
savoir Amnesty International, la Fédération internationale des droits
de l’homme, la Commission internationale de juristes et Human Rights Watch.
J’ai reçu 31 réponses, qui sont reproduites
in
extenso dans un document d’information de la commission
. Elles sont non seulement utiles
pour l’élaboration de mon rapport, mais constituent aussi une précieuse
contribution à la préparation du futur sommet.
6. Par ailleurs, j’ai rencontré, à plusieurs reprises, le Secrétaire
Général de l’Organisation, M. Thorbjørn Jagland, et j’ai discuté
de cette idée à Rome avec les autorités de mon pays, à Berlin avec
M. Frank-Walter Steinmeier, alors ministre des Affaires étrangères
de l’Allemagne, à Paris avec M. Harlem Désir, alors Secrétaire d’État
chargé des Affaires européennes, et, à Strasbourg, avec M. Mevlüt
Çavuşoğlu, ministre des Affaires étrangères de Turquie. J’ai également
discuté de l’idée avec plusieurs ambassadeurs d’États membres du
Conseil de l’Europe et j’ai rencontré le Directeur des politiques
multilatérales au Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth,
M. Paul Williams, à Londres. Le 5 juillet 2017 à Strasbourg, j’ai rencontré
Mme Federica Mogherini, Haute représentante
de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique
de sécurité et Vice-présidente de la Commission européenne, et nous
avons discuté de l’objet de mon rapport et du rôle général du Conseil
de l’Europe dans l’architecture européenne.
7. Le 12 septembre 2016, j’ai présenté la proposition d’un quatrième
sommet lors du colloque que la délégation française auprès de l’Assemblée,
dirigée par notre collègue M. René Rouquet, a organisé à Paris, à
l’Assemblée nationale française, sur «La défense des droits de l’homme
en Europe, une idée dépassée? Le Conseil de l’Europe plus indispensable
que jamais»
. Plusieurs
participants, dont des représentants de l’Assemblée et le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe, se sont exprimés en faveur d’un
quatrième sommet. Le colloque a apporté une fort intéressante matière
à réflexion concernant aussi bien la nécessité que les thèmes possibles
d’un quatrième sommet, et son compte rendu me semble une précieuse
contribution au travail préparatoire à cet éventuel événement.
8. Coïncidence ou non, le 11 octobre 2016, quelques semaines
seulement après le colloque de Paris, le Président français d’alors,
M. François Hollande, a conclu son allocution devant notre Assemblée
en annonçant que la France organiserait en 2019, durant sa présidence
de l’Organisation et à l’occasion du 70e anniversaire
de l’Organisation, le quatrième sommet pour «donner [au Conseil
de l’Europe] un nouveau cap».
9. En mai 2017, Mme Dzhema Grozdanova,
présidente de la délégation bulgare à l’Assemblée, a déposé une
proposition de recommandation sur «Le Conseil de l'Europe dans l’architecture
politique européenne»
, que, à la suite de son renvoi par
l’Assemblée, j’ai aussi pris en considération dans le cadre de mon
rapport.
10. L’objet de mon rapport est de contribuer à la réflexion sur
l’opportunité et l’ordre du jour d’un possible quatrième sommet.
Je fais aussi quelques propositions concernant les travaux préparatoires
que l’Organisation devra mener dans la perspective du sommet. Afin
de mieux mettre en évidence le message principal de mon rapport
également dans le titre du rapport, j’ai suggéré de le modifier
légèrement comme suit: «Appel pour un Sommet du Conseil de l’Europe
afin de réaffirmer l’unité européenne et de défendre et promouvoir
la sécurité démocratique en Europe» (au lieu de «Appel à un sommet
du Conseil de l'Europe pour défendre et promouvoir la sécurité démocratique
en Europe»).
11. La décision de convoquer un sommet des chefs d’État et de
gouvernement, à un moment précis, sera prise par le Comité des Ministres,
et le Secrétaire Général de l’Organisation aura aussi un rôle de
coordination important à jouer. Il faut également trouver des moyens
pour que l’Assemblée reste étroitement associée au processus de
préparation d’un possible sommet. J’espère que ce rapport, y compris
les contributions que j’ai reçues de diverses sources, constitueront
une première étape dans la contribution de l’Assemblée à ce processus.
En ma qualité de rapporteur, je continuerai de suivre personnellement
et attentivement le processus.
2. Bref aperçu des précédents sommets
du Conseil de l’Europe
12. Avant d’examiner plus avant
l’idée d’un quatrième sommet, il me paraît utile de rappeler brièvement
les trois sommets des chefs d’État et de gouvernement des États
membres du Conseil de l’Europe déjà organisés depuis la création
de l’Organisation
. Chacun d’eux a débouché sur des
avancées concrètes, notamment la création de nouveaux organes et
mécanismes.
13. Le premier sommet a été organisé en 1993 à Vienne, quelques
années après la chute du mur de Berlin, alors que l’Organisation
était confrontée au défi sans précédent posé par l’élargissement
aux démocraties naissantes. Il a permis, entre autres, d’énoncer
les critères d’adhésion des nouveaux États membres, de mettre en
place des procédures permettant de contrôler le respect des engagements
d’adhésion, d’aboutir à la création de la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et de proposer la rédaction d’une
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
14. En 1997, les participants au Sommet de Strasbourg ont approuvé
la création du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) et se
sont félicités de l’instauration d’une Cour unique des droits de
l’homme et du bureau du Commissaire aux droits de l’homme.
15. En 2005, le Sommet de Varsovie a permis de définir une feuille
de route pour l’Organisation suite à son élargissement sans précédent,
ainsi que de rédiger un rapport sur les relations entre l’Union
européenne et le Conseil de l’Europe, document que M. Jean-Claude
Juncker, alors Premier ministre du Luxembourg, a soumis à l’Assemblée
un an plus tard, en 2006.
16. Le Sommet de Varsovie a également appelé à un renforcement
des synergies avec l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération
en Europe (OSCE), à une meilleure efficacité de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention»), à la promotion accrue des droits de l’homme grâce
à un plus grand soutien au Comité européen pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT), au Commissaire aux droits de l’homme et à l’ECRI et, enfin,
à une plus grande participation des ONG aux travaux de l’Organisation.
17. Entre autres priorités, le sommet de 2005 a également permis
de renforcer le rôle du Conseil de l’Europe dans la lutte contre
le terrorisme, de lancer un nouveau mécanisme pour combattre la
traite des êtres humains et de proposer des mesures pour prévenir
la violence à l’égard des femmes.
3. Les
défis actuels
18. Aujourd’hui, 12 ans après le
dernier sommet de l’Organisation, l’Europe se trouve confrontée
à des défis politiques inédits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur
de ses frontières: la menace quotidienne d’attentats terroristes,
la pression migratoire, la montée de l’euroscepticisme, du nationalisme,
du populisme et de la xénophobie, la persistance de conflits gelés
et ouverts, et la réapparition de divisions entre États membres
du Conseil de l’Europe. Les guerres menées en Syrie et en Libye,
aux portes de l’Europe, menacent la sécurité et la stabilité sur
le continent et ont provoqué des afflux massifs de réfugiés et de
migrants, tandis que, au niveau mondial, le poids géopolitique de
l’Europe semble diminuer.
19. De nombreux attentats terroristes ont tué des centaines d’innocents
au cours des deux années écoulées dans plusieurs États membres –
Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Royaume-Uni, Suède
– ainsi que dans le voisinage du Conseil de l’Europe. Le terrorisme
est, en soi, une attaque directe contre les valeurs mêmes de démocratie
et de liberté que défend notre Organisation. La menace quotidienne d’attentats
terroristes dans nos États membres a fait surgir un certain nombre
de défis, par exemple: la nécessité de trouver un juste équilibre
entre le renforcement des dispositifs de sécurité et le respect
des droits et des libertés fondamentales, celui-ci étant une condition
indispensable à une lutte efficace à long terme contre le terrorisme
et ses causes et non, comme d’aucuns le prétendent, une notion antagoniste;
la nécessité de renforcer la coopération internationale et d’adopter
des stratégies communes centrées non exclusivement sur la répression
mais aussi sur la prévention; la question des combattants terroristes
étrangers; le financement du terrorisme; et, bien entendu, la protection
des victimes du terrorisme.
20. La tentative de coup d’État en Turquie, en juillet 2016, a
fait des centaines de victimes et nous a tous stupéfiés. Un an plus
tard, la réaction du gouvernement soulève de très graves défis en
termes de droits de l’homme et d’État de droit, non seulement pour
le pays même mais aussi pour le Conseil de l’Europe, dont la Turquie
est l’un des plus anciens États membres
.
21. L'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014
a ajouté à la liste des défis car l'Ukraine et la Russie sont toutes
deux membres de l'Organisation. Les violations du cessez-le-feu
dans le Donbass se poursuivent et il n'y a malheureusement pas non
plus de progrès dans la mise en œuvre des aspects politiques du
processus de Minsk. Suite aux sanctions décidées par notre Assemblée
à l'égard de la délégation parlementaire russe en 2014 et en 2015,
cette délégation a décidé de cesser de participer aux travaux de l’Assemblée.
La Fédération de Russie n’a soumis de pouvoirs pour sa délégation
parlementaire ni en 2016 ni en 2017. En conséquence, bien que la
Fédération de Russie soit membre à part entière de l'Organisation,
cela fait trois années consécutives que cet État n’est pas représenté
au sein des structures de l’Assemblée et qu’il ne participe pas
à ses activités. À la fin juin 2017, la Fédération de Russie a annoncé
sa décision de suspendre le versement de sa contribution au budget
du Conseil de l'Europe pour 2017 jusqu’au rétablissement complet et
inconditionnel des pouvoirs de la délégation de son Assemblée fédérale
au sein de notre Assemblée.
22. En outre, l’efficacité et l’autorité du système de protection
des droits de l'homme, unique en son genre, fondé sur la Convention
européenne des droits de l'homme, sont menacées par diverses tentatives
visant à amoindrir l’autorité de la Cour européenne des droits de
l'homme, par le manque de volonté politique, de la part de certains
États Parties, de mettre en œuvre ses arrêts (malgré leur force
obligatoire, qui s’impose à toutes les autorités nationales) ou
par des retards dans leur exécution. Quelque 10 000 arrêts n’ont
toujours pas été exécutés et l’on a observé récemment une augmentation
du nombre d’affaires de référence – concernant des problèmes structurels
spécifiques – en attente d’exécution depuis plus de cinq ans.
23. De son côté, l’Union européenne traverse, selon le Président
de la Commission européenne, une grave «crise existentielle»: déjà
apparents dans la gestion de la crise de la dette grecque, des divisions
et un manque de solidarité sans précédent sont apparus clairement
avec la crise des réfugiés et des migrations. L’Union européenne
a engagé récemment une procédure d’infraction officielle contre
trois de ses États membres, la République tchèque, la Hongrie et
la Pologne, pour leur refus de prendre leur part en matière d’accueil
des réfugiés dans le cadre du plan de solidarité de l’Union européenne,
ce qui marque une aggravation supplémentaire du désaccord sur la
manière de gérer la crise migratoire dans l’Union européenne. Courant juillet,
dans le cadre de la procédure qu’elle avait engagée en janvier 2016,
la Commission européenne a adressé aux autorités polonaises une
recommandation sur l’État de droit, dans laquelle elle se déclare
très préoccupée par la réforme du système judiciaire prévue en Pologne.
De plus, une procédure d’infraction a été engagée contre la Hongrie,
pour sa loi sur les ONG financées par des fonds étrangers. La Commission européenne
a aussi envoyé à la Hongrie un avis motivé (deuxième étape de la
procédure d’infraction) au sujet de la compatibilité de sa loi relative
à l’enseignement supérieur avec la législation de l’Union européenne.
24. Le référendum de juin 2016, qui a vu le Royaume-Uni voter
pour une sortie de l’Union européenne, a fragilisé davantage l’Union
européenne et propagé des ondes de choc au-delà du pays et même
de l’Union européenne.
25. Ces faits nouveaux au sein de l’Union européenne ont aussi
engendré de nouveaux défis concernant la Grande Europe, celle du
Conseil de l’Europe, et ont rendu plus urgente que jamais la nécessité
d’une réflexion approfondie sur la complémentarité des deux institutions
et d’un renforcement mutuel, dans l’intérêt des 835 millions d’Européens.
26. La montée du populisme et le fait que de plus en plus de populistes
arrivent au pouvoir ou que les personnes au pouvoir adoptent un
discours et une attitude de plus en plus populistes, ne doivent
pas simplement nous conduire à des condamnations faciles et abstraites
du populisme, mais aussi à une réflexion: pourquoi les populistes
jouissent-ils d’un soutien de plus en plus large? La réponse semble
résider dans la distance toujours plus grande entre les citoyens
et les institutions censées les représenter, soient-elles nationales
ou internationales.
27. Un chômage grandissant, des inégalités qui se creusent en
raison de la mondialisation, des mesures d’austérité qui semblent
ne mener nulle part, autant de facteurs qui ont fait perdre la confiance
du peuple dans ses institutions. Comme l’a affirmé le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe lors de la partie de session de l’Assemblée
en janvier 2017: «Il est vrai que de nombreuses institutions démocratiques
nationales (…) et que les organisations internationales européennes,
dont le Conseil de l’Europe, doivent faire davantage pour répondre
aux préoccupations des citoyens ordinaires. La réponse réside dans
la remise en ordre de nos institutions, leur revitalisation, afin
qu’elles représentent et servent mieux nos concitoyens.»
4. Le
Conseil de l’Europe plus indispensable que jamais
28. Dans un tel contexte, «plus
que jamais» nous avons aujourd’hui besoin du Conseil de l’Europe
et des valeurs qu’il défend, ainsi que le Président français nous
l’a déclaré, en octobre dernier, en annonçant l’organisation d’un
sommet par la France en 2019. Pourquoi?
29. Parce que le Conseil de l’Europe est le garant de l’idéal
d’unité européenne. Le Conseil est aujourd’hui la plus ancienne
organisation européenne née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale:
d’une part, il est le fruit du rêve d’unification européenne des
générations précédentes; d’autre part, il est le germe de tout projet d’unification
à venir aux niveaux économique, juridique, politique et culturel.
Parmi les autres organisations ou institutions européennes qui incarnent
un projet d’unité – telle l’Union européenne – il a été précurseur
et leur a ouvert la voie non seulement d’un point de vue institutionnel
mais aussi sur le plan symbolique.
30. Tout le monde ne le sait pas mais le drapeau européen à douze
étoiles, qui symbolise l’unité européenne dans le monde entier et
qui sert aussi d’emblème à l’Union européenne, fut conçu au Conseil
de l’Europe, sur la proposition de l’Assemblée, et adopté à la suite
d’un vote de l’Assemblée et d’une décision du Comité des Ministres
en 1955. Cela vaut aussi pour l’hymne européen: dans sa
Résolution 492 (1971), l’Assemblée proposa que l’
Ode
à la joie, tirée du quatrième mouvement de la neuvième
symphonie de Beethoven, devienne l’hymne de «l’Europe en formation»,
ce que le Comité des Ministres accepta officiellement en 1972. Réunis
à Milan en 1985, les dirigeants de ce qui était alors les Communautés européennes
adoptèrent à la fois le drapeau et l’hymne du Conseil de l'Europe,
qui sont donc aussi devenus ceux des Communautés européennes. C’est
pourquoi le Conseil de l’Europe a la responsabilité spécifique de protéger
l’unité européenne, tout particulièrement dans les périodes de crise.
31. Fondé en vue de réaliser «une unité plus étroite entre ses
membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes
qui sont leur patrimoine commun», le Conseil de l’Europe est la
seule organisation européenne qui rassemble la quasi-totalité des
États européens (à l’exception notable du Bélarus). Il est donc
on ne peut mieux placé pour offrir un forum où l’idéal européen
d’«unité dans la diversité» peut se réaliser. Cet idéal n’implique
pas de processus d’homogénéisation, au sens où certains États devraient adopter
un modèle imposé par d’autres, mais consiste à rechercher ce qui
tous les unit tout en respectant ce qui les différencie: de l’Europe
occidentale à l’Europe orientale, de l’Europe septentrionale à l’Europe méridionale.
32. À la base de l’unité européenne, telle que protégée par le
Conseil de l’Europe, réside l’idée de respect de la personne humaine
et de son infinie dignité. Si cette organisation paneuropéenne est
la dépositaire de plus de 200 conventions, élaborées au fil des
68 ans de son existence, le «patrimoine commun» de tous ses membres
est tout particulièrement incarné par la Convention européenne des
droits de l'homme et par les normes et valeurs qu’elle consacre.
Ce qui rend cette convention si spéciale, par rapport aux autres conventions
ou traités de portée internationale, c’est le dispositif unique
de protection des droits individuels dont elle dispose, à savoir
la Cour européenne des droits de l’homme, dont les arrêts ont force
contraignante. La Convention, pure création de notre Assemblée,
est la preuve la plus manifeste que le Conseil de l’Europe est là
pour défendre, plus que toute autre chose, les droits des citoyens.
Par le biais de ce dispositif, les États membres ont reconnu le
fait qu’ils ne peuvent pas disposer de leur patrimoine commun comme
ils l’entendent, mais qu’ils acceptent, ensemble, de le placer sous
la protection d’un tribunal supranational.
33. Aux côtés de la Convention des droits de l’homme intervient
le système conventionnel de la Charte sociale européenne, l’autre
instrument juridique fondamental élaboré par le Conseil de l’Europe,
pour améliorer la mise en œuvre des droits sociaux et économiques
au niveau continental, parallèlement aux droits civils et politiques
accordés par la Convention. L’unité de ces deux instruments juridiques
représente l’unité et l’indivisibilité des droits de l’homme. Promouvoir
la mise en œuvre de la Charte sociale européenne et en rehausser
le mécanisme, lequel garantit la prise en compte des besoins quotidiens
de l’homme tels que travail, santé, logement, éducation, sécurité
sociale ou services de protection sociale, c’est défendre la dignité
et la solidarité, contribuer au bien-être individuel et collectif,
ainsi qu’avancer sur la voie de la cohésion sociale, de la paix
et du développement économique.
34. Ainsi le Conseil de l’Europe ne se contente-t-il pas de promouvoir
l’unité politique parmi ses États membres, mais offre aussi un espace
juridique commun à 835 millions d’Européens. Sur les 221 conventions déterminant
cet espace juridique commun aujourd’hui, plus des deux tiers (environ 161)
sont ouvertes à la signature et à la ratification des États non
membres, et revêtent une réelle importance à l’échelle mondiale;
par exemple, celles qui régissent l’extradition, le transfèrement
de personnes condamnées, la Convention pour la protection des données
(1985, STE no 108) ou la Convention sur
la cybercriminalité (2001, STE no 185).
Cette dernière (dite aussi «Convention de Budapest») est le premier
instrument juridique international régissant les infractions commises
via internet – notamment fraudes informatiques, pornographie infantile
et violations de la sécurité des réseaux – et elle a été ratifiée
par de nombreux États non européens, tels que les États-Unis et le
Japon. La Convention sur la cybercriminalité peut également être
très utile de nos jours face aux «fausses informations», autre phénomène
venu récemment allonger la liste des défis actuels.
35. Le Conseil de l’Europe continue de démontrer sa capacité à
rédiger rapidement des conventions ou d’autres instruments juridiques
pour faire face aux enjeux sociétaux du moment. Ainsi, en matière
de terrorisme, l’Organisation a récemment comblé une lacune majeure
du droit international, criminalisant, pour la première fois, les
préparatifs d’actes terroristes afin d’aider ses États membres à
faire face à la déferlante des combattants terroristes étrangers,
via un protocole additionnel à la Convention pour la prévention
du terrorisme (STCE no 217).
36. De surcroît, l’Organisation vient d’élaborer une Convention
sur les infractions visant des biens culturels (STCE no 221),
ouverte aux États non membres, afin de prévenir et de combattre
le trafic illicite et la destruction des biens culturels dans le
cadre de l’action menée pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé.
Cette convention, seul traité international portant spécifiquement
sur l’incrimination du trafic illicite des biens culturels, a été
ouverte à la signature à Nicosie le 5 mai 2017.
37. Pour prendre un exemple dans un autre domaine, on peut citer
la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»), rédigée (en seulement un an) avec le soutien
actif de l’Assemblée pour apporter une réponse urgente au problème
de la violence domestique.
38. Outre les conventions, le Conseil de l’Europe contribue à
l’élaboration de politiques communes parmi ses États membres en
proposant des instruments non contraignants tels que recommandations,
lignes directrices ou résolutions adoptées par son Comité des Ministres
sur la base d’un consensus. Ces instruments peuvent couvrir un vaste
éventail de questions et offrir des réponses communes à de nouveaux
enjeux sociétaux lorsque l’élaboration d'un traité n'est pas nécessaire.
Ainsi, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et parallèlement
à l’élaboration d’instruments juridiquement contraignants, l’Organisation
a récemment révisé ses lignes directrices pour la protection des
victimes de terrorisme.
39. À citer également, la possibilité de coopération à géométrie
variable proposée par le Conseil de l’Europe, non seulement via
son dispositif conventionnel et la possibilité de réserves, mais
aussi via les accords partiels: ceux-ci permettent à certains États
membres de s’engager dans une coopération supplémentaire dans certains
domaines spécifiques, tout en autorisant des États non membres à
y prendre part. Parmi les organes du Conseil de l’Europe les plus
importants, au sens de leur composition et de leur impact, il faut
mentionner des accords partiels tels que la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), le Groupe
d’États contre la corruption (GRECO) ou Eurimages
.
40. Par le truchement de son système conventionnel et d’autres
instruments juridiques non contraignants ou d’accords partiels,
le Conseil de l’Europe a largement contribué à bâtir une société
civile européenne où les peuples et les personnes se reconnaissent
et se respectent mutuellement dans la dignité. C’est précisément cette
«relation entre pairs» qui constitue la pierre angulaire de la liberté
et représente le modèle «européen» de vie dans la paix et la justice.
Parmi les éléments essentiels de la «relation entre pairs» figure
le suivi du respect des droits de l'homme par le Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe, par les organes de suivi
de l’Organisaton et par les rapporteurs de l’Assemblée. De manière
analogue, le dialogue intense et permanent avec les organisations
non gouvernementales, représentées au Conseil de l'Europe par la
Conférence des organisations internationales non gouvernementales
(OING), est indispensable à la construction d’une «société civile
européenne» commune.
41. Le système conventionnel, qui réside au cœur des travaux et
des valeurs du Conseil de l’Europe, aussi précieux qu’il soit, exige
cependant un régime politique véritablement démocratique pour fonctionner.
Ainsi, l’Organisation protège et promeut les valeurs et les principes
de démocratie et d’État de droit par le biais de ses divers comités
directeurs ou d’experts ainsi que via son propre organe expert par
excellence en droit constitutionnel, la Commission de Venise. Son
expertise en matière de démocratie est bien connue non seulement
en Europe mais aussi sur d’autres continents.
42. Le Conseil de l’Europe contribue donc aussi au développement
d’un gouvernement citoyen dans les États membres, et ce de diverses
manières: mécanismes de participation directe mais aussi mécanismes
de représentation fondés sur la responsabilité; liberté d’expression;
libre partage de l’information et échange d’idées conduisant à des
décisions rationnelles issues de la confrontation entre différentes
positions et du respect des minorités et des majorités.
43. Dans cette entreprise visant à promouvoir la démocratie sur
l’ensemble du continent, l’Assemblée parlementaire joue bien entendu
un rôle tout particulier. Elle est en effet le premier forum européen
réunissant des membres élus des parlements nationaux et la matrice
d’autres institutions parlementaires européennes, créées à sa suite.
L’Assemblée a été à l’origine de l’élaboration de conventions majeures
du Conseil de l'Europe, à commencer par la Convention européenne
des droits de l'homme, et a participé activement à cette élaboration;
elle a aussi joué un rôle décisif dans le processus d’élargissement
de l’Organisation, au début des années 1990, et dans la mise en
place de procédures consacrées au suivi et destinées à faciliter
l’intégration des nouveaux membres dans l’Organisation; depuis,
elle offre un cadre paneuropéen unique en son genre, qui permet
un dialogue politique entre des représentants élus des citoyens
de la Grande Europe. En tant qu’organe statutaire du Conseil de
l'Europe, elle a pour mission de promouvoir la coopération entre parlementaires,
afin de réaliser les objectifs de l’Organisation et de rassembler
les démocraties européennes autour de valeurs communes et sur la
base de leur patrimoine commun. L’observation d’élections par l’Assemblée
est un élément essentiel de cette construction démocratique commune
dans les différents États membres, ainsi que dans les États avec
lesquels l’Assemblée a établi des relations spécifiques.
44. Le développement de la démocratie n’est pas le seul fait de
mécanismes d’assistance et de suivi, mais aussi et bien davantage
le fruit d’efforts intenses en matière d’éducation. En effet, l’éducation
est le moyen le plus efficace de faire face aux menaces à la démocratie
que représentent le racisme, la xénophobie, l’autoritarisme et la
violence. Une démocratie stable qui respecte les droits de l’homme
est inconcevable sans culture ni éducation. Par le biais d’une éducation
démocratique, le Conseil de l’Europe contribue aussi à réduire l’incidence
du populisme, l’un des défis sans cesse grandissants à relever par
nos sociétés démocratiques, car des citoyens bien informés et éduqués
risquent moins de se laisser séduire par des arguments populistes.
45. À l’origine de la construction européenne, réunissant la quasi-totalité
des États européens sur la base d’une communauté de valeurs et de
principes, et donc garant naturel de l’«unité dans la diversité»,
offrant un espace juridique commun à 835 millions d’Européens, garantissant
la protection de leurs droits de l’homme, défendant les droits sociaux
et la démocratie et contribuant au développement de la société civile
européenne, le Conseil de l’Europe est aujourd’hui le mieux placé
pour aider à relever les défis liés au nationalisme et pour éviter
de dresser de nouveaux murs.
46. Aux côtés de l’Union européenne, dont l’ambitieux projet d’intégration
ne couvrira jamais tout le continent, et de l’OSCE, qui englobe
aussi des États non européens ne partageant pas nécessairement les valeurs
européennes communes, le Conseil de l’Europe demeure la seule organisation
paneuropéenne capable de promouvoir et de garantir une sécurité
démocratique
sur le
continent; ce rôle unique, il faut le préserver et le renforcer
davantage.
5. Pourquoi
un quatrième Sommet?
47. L’analyse ci-dessus montre
pourquoi nous avons besoin du Conseil de l’Europe aujourd’hui plus
que jamais. Mais suffit-elle à justifier la nécessité d’organiser
un nouveau sommet des chefs d’État et de gouvernement? La réponse
à cette question dépend largement d’une autre question: que voulons-nous réaliser
avec un nouveau sommet?
48. Comme indiqué plus haut, les trois précédents sommets de l’Organisation
et, en particulier, le premier, ont bénéficié de la dynamique de
la réunification européenne au lendemain de la chute du mur de Berlin.
Ils ont servi un objectif clair: définir le nouveau rôle du Conseil
de l’Europe en tant que «maison commune» d’une Grande Europe unie
et donner à l’Organisation les moyens et les outils nécessaires
pour servir la nouvelle réalité.
49. Aujourd’hui, la situation est différente. Comme nous l’avons
mentionné, une multitude de risques et de difficultés menacent aujourd’hui,
sur différents fronts, le continent européen et son unité. Ils représentent
un défi majeur qui éprouve la solidité du projet paneuropéen. Dans
ce contexte, les questions fondamentales auxquelles nous devons
répondre sont les suivantes. Les conflits et les divergences qui
apparaissent auront-ils raison de notre unité? Ou allons-nous faire
prévaloir la nécessité de préserver l’unité de l’ensemble du continent
et la volonté politique de former, non pas un simple groupement
d’États, mais une véritable communauté, qui partage des valeurs
communes, un ordre juridique commun, une juridiction commune et
des institutions de plus en plus intégrées?
50. À mon avis, un quatrième sommet devrait viser à relever ce
défi et nous permettre de nous engager avec courage dans la troisième
phase de la vie et de l’histoire de l’Organisation: la phase de
la stabilisation et de l’intériorisation, au cours de laquelle le
Conseil de l'Europe s’inscrit dans la conscience des citoyens européens et
imprègne les institutions nationales, après une phase de fondation
(1949-1989), suivie d’une phase d’élargissement (à partir de 1989).
51. Le quatrième sommet doit donc être bien ciblé, et viser essentiellement
à relancer la mission essentielle du Conseil de l’Europe, telle
que décrite précédemment: celle d’une organisation paneuropéenne,
composée de 47 États européens, offrant un espace juridique commun
à 835 millions d’Européens et, par là même, capable de promouvoir
l’«unité dans la diversité» et la sécurité démocratique sur l’ensemble
du continent.
52. Dans une Europe qui a profondément changé depuis le dernier
sommet, tenu à Varsovie en 2005, et alors que le monde entier semble
en pleine mutation, un sommet offrirait aux États membres une occasion unique
de réaffirmer, dans les termes les plus forts possible et au niveau
politique le plus élevé, leur engagement envers les valeurs et les
principes qu’ils partagent en termes de démocratie, de droits de
l’homme et d’État de droit, défendus par l’Organisation et inscrits
dans la Convention européenne des droits de l'homme. Les États membres
devraient exprimer clairement leur volonté de continuer de faire
partie d’une seule et même communauté, capable de considérer ses
différences internes comme les manifestations d’une diversité qui constitue
un formidable atout, et capable de gérer ses conflits internes de
manière constructive, et non pas destructrice.
53. Si son ordre du jour est soigneusement préparé et parfaitement
ciblé et que la proposition reçoit l’aval des autorités politiques
au plus haut niveau du pays hôte, un quatrième sommet pourrait ralentir
les tendances négatives se dessinant dans certains États membres,
augmenter la pression sur les États hésitants ou défiants, protéger
l’autorité et la crédibilité de l’Organisation et ouvrir la voie
à une restauration de l’unité et de la cohésion.
54. Il me semble que, dans les temps difficiles que nous traversons,
notre devoir est de lutter contre le nationalisme et les divisions,
de préserver et de valoriser notre «maison commune» et, enfin, d’éviter
de dresser de nouveaux murs. Ayant hérité du succès politique d’une
organisation paneuropéenne, nous nous devons, pour le bien des générations
futures, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ne pas saper,
par peur ou par hésitation à agir, ce que nos prédécesseurs ont
construit.
55. Les consultations que j’ai tenues avec des délégations nationales
et des représentants du secteur exécutif de plusieurs États membres
ainsi qu’avec le Secrétaire Général de notre Organisation confirment
ce choix: réaffirmer la mission centrale du Conseil de l’Europe
comme principal objectif d’un quatrième sommet.
56. En d’autres termes, nous devons absolument sauvegarder le
mécanisme unique de protection des droits individuels qu’il offre.
Par conséquent, il faut accorder, dans l’ordre du jour d’un futur
sommet, une place prédominante à la nécessité de défendre et de
protéger l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme.
57. Défendre l’autorité de la Cour et le mécanisme unique qu’elle
constitue pour protéger les droits des citoyens exige avant tout
d’assurer une prompte et pleine mise en œuvre de ses arrêts, dont
dépendent l’efficacité et l’autorité du système de protection des
droits de l'homme fondé sur la Convention européenne des droits
de l'homme. De fait, que valent ses arrêts aux yeux des citoyens
et de toute personne relevant de la juridiction des États membres
si ces arrêts demeurent lettre morte?
58. Ainsi que cela a déjà été indiqué, le niveau de mise en œuvre
des arrêts de la Cour devient de plus en plus préoccupant, alors
que l’obligation juridique, pour les États Parties, de se conformer
aux arrêts de la Cour découle de la Convention elle-même (article 46.1).
Dans la mesure où cette situation est principalement imputable au
manque de volonté politique de la part des gouvernements de certains
États parties, le sommet pourrait créer une dynamique qui favoriserait
la mise en œuvre des arrêts et inverserait les tendances actuelles qui
visent à amoindrir l’autorité de la Cour.
59. Bien que la surveillance de l’exécution des arrêts incombe
au premier chef au Comité des Ministres, l’Assemblée parlementaire
contribue au processus depuis sa
Résolution 1226 (2000) et encourage notamment la participation active des parlements
nationaux. Je renvoie donc aux rapports pertinents et aux propositions
qu’ils contiennent, en particulier à la
Résolution 2178 (2017) et à la
Recommandation
2110 (2017) adoptées par notre Assemblée en juin 2017. Une analyse
détaillée des récents efforts accomplis pour améliorer l’efficacité
du système de la Convention se trouve dans le rapport sur «L’efficacité
de la Convention européenne des droits de l’homme: la Déclaration
de Brighton et au-delà» (
Doc. 13719), qui a conduit à la
Résolution 2055 (2015) et à la
Recommandation
2070 (2015).
60. En outre, sur la base des principes d’indivisibilité, d’interdépendance
et d’interrelation des droits fondamentaux, un quatrième sommet
pourrait offrir l’élan politique nécessaire pour renforcer le système conventionnel
de la Charte sociale européenne – notamment son système de réclamations
collectives – pour ralentir les actuelles tendances négatives à
un recul des garanties des droits sociaux dans les États membres du
Conseil de l’Europe et, enfin, pour réaffirmer le fait que seules
la jouissance des droits socio-économiques et l’inclusion sociale
permettent aux citoyens d’exercer pleinement leurs droits civils
et politiques.
61. Cela est d’autant plus important à l’heure où ces droits fondamentaux,
autrement dit les besoins quotidiens de l’humanité, se trouvent
sous pression, voire en danger, du fait de la crise économique et financière
qui sévit depuis 2008 et qui a gravement érodé les structures sociales
à travers le continent. Sans compter que le sommet pourrait contribuer
à assurer la cohérence entre le Conseil de l’Europe et les systèmes juridiques
de l’Union européenne en matière de droits sociaux. Avec la récente
adoption par la Commission européenne du Socle européen des droits
sociaux, il serait possible d’intensifier l’interaction.
62. Bref, un quatrième sommet serait une occasion supplémentaire
de faire progresser, au plus haut niveau politique, les objectifs
actuellement promus par le «Processus de Turin». Lancé par le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe en octobre 2014, il s’agit d’un processus
politique visant à renforcer le système normatif de la Charte et
à améliorer la mise en œuvre des droits sociaux et économiques.
Pour sa part, l’Assemblée a toujours promu la Charte sociale européenne
en tant que norme la plus complète en matière de droits sociaux en
Europe et participe activement au Processus de Turin. Pour une analyse
et des propositions plus détaillées concernant cette question, je
renvoie à la
Résolution 2180
(2017) et à la
Recommandation 2112
(2017) adoptées le 30 juin 2017, et intitulées «Le “Processus
de Turin”: renforcer les droits sociaux en Europe».
63. Plus précisément, parmi les grands défis sociaux qui pourraient
être inscrits à l’ordre du jour du quatrième sommet figurent les
phénomènes croissants de la pauvreté et de l’esclavage moderne.
Une initiative énergique du Conseil de l'Europe sur ce front pourrait
encourager les États membres à adopter des mesures plus efficaces
pour protéger les personnes les plus faibles et les plus vulnérables.
Cela montrerait aussi aux citoyens européens qu’il y a des institutions
européennes qui ne sont pas indifférentes à leurs problèmes et aux
réalités concrètes de leur vie quotidienne.
64. Comme cela a été indiqué précédemment, le système conventionnel
du Conseil de l’Europe, conçu pour protéger les droits fondamentaux
(civils, politiques, sociaux et culturels) des peuples en Europe,
a besoin d’un régime politique véritablement démocratique pour fonctionner.
Un quatrième sommet pourrait réaffirmer et consolider le rôle du
Conseil de l’Europe à la fois comme gardien et comme laboratoire
de la démocratie, également en renforçant davantage le rôle de la
Commission de Venise.
65. Avec l’objectif global de renforcer la sécurité démocratique,
le sommet doit contribuer à consolider la confiance citoyenne dans
les institutions et les valeurs démocratiques – et ce d’autant plus
que l’Europe continue d’être confrontée à de graves crises économiques
et sociales qui, à leur tour, font le terreau de phénomènes tels
que le populisme, le racisme, la xénophobie, l’extrémisme violent
et la radicalisation conduisant au terrorisme. Dans cette optique,
le sommet doit aussi renforcer le rôle de notre Assemblée en tant
que pilier solide du parlementarisme européen, réunissant les représentants
des citoyens de la quasi-totalité des États européens.
66. Dans le même temps, le sommet pourrait contribuer à affermir
l’émergence d’une société civile européenne et proposer des moyens
d’accroître la participation des citoyens et la consultation du
public pour trouver des solutions communes à des problèmes communs.
Cette démarche rapprocherait l’Organisation des citoyens qu’elle
sert. Le rôle de la Conférence des OING pourrait aussi être revalorisé
dans ce contexte.
67. Si le quatrième sommet entend réaffirmer la mission du Conseil
de l’Europe en tant que gardien de l’idéal d’unité européenne, il
faut absolument que ce rôle soit assumé au sein de l’entière architecture
politique européenne. Ce serait d’ailleurs une occasion supplémentaire
d’examiner les relations et la coopération avec l’Union européenne
et de rappeler que le Conseil de l'Europe est un forum unique où
les États membres de l’Union européenne échangent et coopèrent avec
des États non membres de l’Union européenne sur la base d’une communauté
de valeurs et de principes
.
68. À la suite du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, un
membre fondateur du Conseil de l’Europe se retirera tôt ou tard
de l’Union européenne. Ceci et d’autres événements récents ont généré
au sein de l’Union européenne un débat interne sur son propre avenir
et la suggestion d’une série de voies possibles
. Le président de la Commission européenne,
M. Jean Claude Juncker, reprendra et développera ces idées dans son
discours sur l'État de l'Union en septembre 2017, avant que les
premières conclusions puissent être tirées à l'occasion du Conseil
européen de décembre 2017. Cela aidera à prendre une décision sur
la ligne d'action à mettre en œuvre dans les temps pour les élections
du Parlement européen de juin 2019. Aussi est-il plus opportun que
jamais d’étendre cette réflexion à un débat général, au plus haut
niveau politique, sur l’avenir de l’Europe et, dans ce cadre, de
renforcer le rôle à jouer par le Conseil de l’Europe.
69. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont récemment
célébré le 10e anniversaire du Mémorandum
d’accord qui régit leur coopération depuis 2007, fruit d’une réflexion
de M. Jean Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois d’alors.
En effet, en 2005, lors du Sommet de Varsovie, les chefs d’État
et de gouvernement de l’Organisation avaient demandé à M. Juncker
d’élaborer un rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne; il en présentait les conclusions devant l’Assemblée
un an plus tard.
70. Depuis la signature du mémorandum de 2007, de nouveaux défis
sont apparus concernant les relations entre les deux organisations
européennes, notamment après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne
en décembre 2009. L’incidence de ce traité sur le Conseil de l’Europe
a déjà donné lieu, en 2011, à une analyse approfondie par l’Assemblée
.
71. À l’époque, l’Assemblée a considéré que l’entrée en vigueur
du Traité de Lisbonne ouvrait de nouvelles perspectives de renforcement
du partenariat entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne,
sur la base de l’acquis et des atouts propres à chacune des organisations.
Selon l’Assemblée, un tel partenariat devait viser à garantir la
cohérence entre, d’une part, le projet paneuropéen promu par le
Conseil de l’Europe et, d’autre part, le processus d’intégration
lancé par l’Union européenne. L’adhésion de l’Union européenne à
la Convention européenne des droits de l’homme – dont le Traité
de Lisbonne faisait une obligation juridique – ainsi qu’à d’autres
conventions du Conseil de l’Europe devait déboucher à terme sur
un espace commun de protection des droits de l’homme sur l’ensemble
du continent, dans l’intérêt de tous les citoyens européens.
72. Peu de changements sont intervenus à cet égard depuis 2011,
notamment du fait que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention
a été suspendue à la suite d’un avis critique de la Cour de justice
de l’Union européenne
.
73. Autre problème: le rôle accru de l’Union européenne dans les
secteurs d’activité traditionnels du Conseil de l’Europe (justice,
liberté et sécurité démocratique). En effet, l’interaction entre
l’Union et ses États membres continue de s’en trouver affectée lors
de la participation à des comités directeurs du Conseil de l'Europe
et lorsque sont négociées de nouvelles conventions du Conseil de
l'Europe sur des questions relevant de ces secteurs. Étant donné
les difficultés économiques actuelles et pour éviter les risques
de double emploi entre les deux organisations, il est plus nécessaire
et urgent que jamais de développer des synergies et d’assurer la
cohérence des normes
.
74. Une pléthore de textes de l’Assemblée, tant récents que plus
anciens, constitue une bonne base de réflexion – dont des propositions
concrètes – sur laquelle le quatrième sommet peut s’appuyer. Permettez-moi simplement
de conclure en évoquant, une fois encore, une proposition déjà formulée
en 2006 par M. Juncker dans son rapport sur les relations entre
le Conseil de l’Europe et l’Union européenne
:
«Il
résulte de la relation de complémentarité entre le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne (…) et du renforcement de la coopération entre
les deux ensembles, qui s’impose dans l’intérêt de la sécurité démocratique
des citoyens du continent, qu’un pas supplémentaire doit être envisagé
dans cette relation dès que l’Union européenne aura été dotée d’une
personnalité juridique: l’adhésion de l’Union européenne au Conseil
de l’Europe d’ici à 2010 (…) Elle pourra ainsi parler directement
en son nom dans toutes les instances du Conseil de l’Europe, et
ce sur toutes les questions qui touchent aux intérêts de l’Union
européenne et qui sont de sa compétence. Le tout dans le cadre d’une
dynamique paneuropéenne, que l’Union européenne contribuera à faire
avancer dans l’intérêt général du continent.»
75. Je m’interroge: est-ce que le quatrième sommet et les discussions
sur le remodelage de l’architecture européenne qui devrait en découler,
ne pourraient pas donner un regain d’actualité à la proposition
de M. Juncker et à la perspective de l’adhésion de l’Union européenne
au Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1)?
76. À cet égard, j’approuve également la suggestion faite par
Mme Grozdanova, présidente de la délégation bulgare,
dans sa proposition de recommandation intitulée «Le Conseil de l’Europe
dans l’architecture politique européenne». Mme Grozdanova
suggère que, dans le cadre de la préparation d’un quatrième sommet,
le Comité des Ministres organise, avec le concours de l’Assemblée
et du Parlement européen, un débat sur l’avenir de l’Europe et sur
le rôle du Conseil de l’Europe dans l’architecture politique européenne.
77. Toujours au niveau de l’architecture européenne, il est grand
temps de faire preuve d’imagination et de courage pour relever les
grands défis actuels. Nous devrions mener une réflexion, novatrice
et créative, à partir de la réalité qui s’impose à nous et qui est
celle d’une Europe faite de cercles concentriques: le cercle le
plus large des 47 États membres du Conseil de l'Europe, suivi des
cercles de l’Union européenne, de l’espace Schengen et de la zone
euro. Il s’agit de réfléchir aux moyens d’éviter les doubles emplois,
d’assurer la cohérence des normes, et d’harmoniser les différents
niveaux de coopération internationale. Étant donné que ce sont les
mêmes États européens qui collaborent entre eux à différents niveaux,
il serait paradoxal de ne pas pouvoir harmoniser leur coopération
le mieux possible. Le Conseil de l'Europe, qui représente le cercle
le plus large dans cette coopération dynamique, est donc le mieux
placé pour stimuler une réflexion en ce sens. Cela serait aussi
fort apprécié des citoyens, qui reprochent souvent aux institutions
internationales de ne pas coopérer efficacement entre elles.
78. Au cours de mes délibérations avec des délégations parlementaires
nationales et des représentants gouvernementaux d’États membres,
d’autres thèmes ont aussi été portés à mon attention comme points
qui pourraient figurer à l’ordre du jour du sommet: par exemple,
le rôle du Conseil de l’Europe dans la lutte contre l’extrémisme
et la radicalisation conduisant au terrorisme, ou les défis liés
aux flux massifs de migrants et de réfugiés en Europe.
79. Quelques délégations et, en particulier, le président de la
délégation française, estiment que les problèmes fondamentaux liés
au terrorisme et aux migrations ont déjà été examinés à plusieurs
reprises et dans divers cadres à l’occasion de sommets de chefs
d’État et de gouvernement. Cela dit, parmi les propositions émises
durant le débat sur les migrations tenu lors de la partie de session
de juin 2017 à l’Assemblée, certaines pourraient être reprises à
l’ordre du jour du sommet. Ce pourrait être le cas, par exemple,
de la proposition faite par l’Assemblée, à savoir envisager la possibilité
de créer, éventuellement sous la forme d’un accord partiel élargi
en coopération avec l’Union européenne, «un observatoire européen des
migrations et du développement interculturel pour aider les États
membres du Conseil de l’Europe à élaborer des stratégies, des cadres
juridiques et des plans d’action, ainsi que des projets spécifiques
dans le domaine des migrations»
.
6. Vers
un quatrième Sommet
80. Le succès d’un futur sommet
du Conseil de l’Europe dépendra largement du niveau de participation
et du degré d’engagement des responsables européens. En effet, à
moins de rassembler les chefs d’État et de gouvernement en personne
mais aussi d’assurer, en dépit des différences et des conflits en
cours, le solide engagement politique de tous envers l’idéal d’unité
européenne et la communauté de valeurs et principes que soutient
et promeut le Conseil de l’Europe, le sommet perd de sa pertinence.
Certes, dans les conditions difficiles du moment, mobiliser les
chefs d’État et de gouvernement ne sera pas tâche facile mais l’enjeu
est d’une telle importance pour préserver l’unité du continent et
pour éviter de dresser de nouveaux murs, que l’effort en vaut la
peine.
81. En un sens, la décision d’organiser un sommet, la préparation
minutieuse de son ordre du jour et de la déclaration finale et le
niveau final de participation des États membres, voilà autant de
questions étroitement liées entre elles. L’expérience montre que,
à moins qu’un État membre ne propose d’accueillir un sommet et ne
s’investisse, en temps et en énergie, dans sa coordination et sa
préparation, le processus est trop complexe pour être pris en charge
par la présidence tournante du Comité des Ministres.
82. L’ancien Président français, M. François Hollande, a déjà
proposé d’organiser le quatrième sommet durant la présidence française
du Conseil de l’Europe, en 2019, à l’occasion du 70e anniversaire
de l’Organisation.
83. L’invitation tient-elle toujours? Depuis l’élection du nouveau
Président français, M. Emmanuel Macron, la France ne s’est pas encore
prononcée. Le profil pro-européen du nouveau Président – qui a choisi
la musique de l’hymne européen pour l’accompagner dans sa traversée
triomphante de l’esplanade du Louvre lors de sa première apparition
face aux citoyens français et au monde entier – augmente les probabilités
qu’il se montre disposé à relever le défi.
84. Comme également dit plus haut, la décision ultime de tenir
un quatrième sommet, le thème à privilégier et l’organisation même
de l’événement reviennent au Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe – le Secrétaire Général ayant un important rôle de coordination
à jouer. De son côté, l’Assemblée, qui rassemble des représentants
des citoyens européens, devrait être étroitement associée tant à
la détermination de l’ordre du jour qu’à l’élaboration de la déclaration
finale. L’Assemblée a été associée, de diverses manières, à tous les
précédents sommets.
85. Le travail préparatoire d’un sommet de chefs d’État et de
gouvernement est, en soi, un processus assez long et d’une grande
importance. Pour être efficace, il exige une synergie entre tous
les secteurs de l’Organisation et, surtout, entre ses deux organes
statutaires: le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire.
86. La préparation d’un futur sommet pourrait aussi donner à l’Assemblée
une occasion de continuer à réfléchir en profondeur à sa propre
identité, à son rôle et à sa mission en tant qu’organe statutaire
de l’Organisation et, au sens plus large, en tant que forum européen
de dialogue interparlementaire qui vise à avoir un impact dans tous
les États membres du Conseil de l’Europe.
87. En l’espèce, l’année en cours s’est révélée particulièrement
difficile pour notre Assemblée, laquelle a notamment dû faire face
à des situations inédites qui ont nécessité une action courageuse,
prompte et innovante: nous avons créé un groupe d’enquête externe
indépendant pour examiner les allégations de corruption et de promotion
d’intérêts portées à l’encontre de certains membres ou anciens membres
de l’Assemblée
; nous avons entamé la révision
de notre Code de conduite afin d’empêcher de futures violations possibles
par des membres de l’Assemblée et de renforcer la transparence,
la responsabilité et l’intégrité de cet organe
;
nous avons décidé – considérant que le principe de responsabilité
comprend un devoir de transparence et une obligation de rendre compte,
sans quoi il ne saurait y avoir de confiance de l’Assemblée dans
ses élus – de compléter le cadre réglementaire de l’Assemblée en
instituant une procédure permettant de mettre en jeu la responsabilité
institutionnelle des titulaires d’un mandat électif au sein de l’Assemblée (notamment
son président et les présidents de commissions) et de les destituer
en cours de mandat
.
88. Toutes les mesures susmentionnées visent à améliorer le fonctionnement
interne de notre Assemblée et à renforcer sa crédibilité en tant
qu’organe statutaire de l’Organisation qui, entre autres, élit les
juges de la Cour européenne des droits de l’homme, le Secrétaire
Général et le Secrétaire Général adjoint de l’Organisation ainsi
que le Commissaire aux droits de l’homme.
89. Affermie par les récentes réformes, à compléter lors de la
prochaine partie de session d’octobre avec la révision de son code
de conduite, l’Assemblée doit s’attendre à jouer un rôle éminent
dans la préparation du sommet, notamment du fait qu’elle est la
première à avoir lancé l’idée dès 2009 et qu’elle n’a cessé depuis
de la promouvoir.
90. Toutefois, il reste une incohérence qui affecte la capacité
de l’Assemblée à participer pleinement à la préparation du futur
sommet, en particulier si ce dernier vise à réaffirmer le rôle du
Conseil de l’Europe en tant que garant de l’unité européenne et
à promouvoir la sécurité démocratique sur tout le continent: cela
fait trois années consécutives que l’un des États membres du Conseil
de l’Europe, la Fédération de Russie, participe aux activités et
se fait représenter dans les instances d’un seul des deux organes
statutaires de l’Organisation, à savoir le Comité des Ministres,
mais non l’Assemblée.
91. Ainsi que cela a déjà été indiqué, après l’annexion de la
Crimée par la Fédération de Russie en février 2014 et le conflit
au Donbass, l’Assemblée a décidé d’appliquer des sanctions concernant
les droits de participation et de représentation de la délégation
parlementaire russe. Ces sanctions ont entraîné la décision de la
délégation de ne pas participer du tout aux travaux de l’Assemblée.
Depuis janvier 2016, la Fédération de Russie n’a plus soumis de
pouvoirs pour sa délégation parlementaire. En conséquence, aujourd'hui,
les États membres de l’Organisation ne sont pas tous représentés
à l’Assemblée.
92. La décision récente des autorités russes de suspendre le versement
de leur contribution au budget du Conseil de l'Europe pour 2017
jusqu’au rétablissement complet et inconditionnel des pouvoirs de
la délégation de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie
au sein de notre Assemblée ne contribue sûrement pas à faire avancer
les choses.
93. La situation globale au sein de l’Organisation a actuellement
un effet contreproductif. Non seulement parce que le fait qu’un
État, qui est membre à part entière de l’Organisation, ne participe
pas aux activités et n’est représenté qu’à un seul des deux organes
statutaires constitue en soi une incohérence, mais aussi parce que
cette situation nuit à l’impact global de l’Organisation en tant
que gardienne des droits de l'homme et de la démocratie sur l’ensemble
du continent. Cela n’est pas dans l’intérêt des citoyens des 47 États
membres; ce n’est certainement pas une situation qui peut perdurer
si un sommet doit être organisé dans un avenir proche et si nous
voulons obtenir des responsables européens un engagement renouvelé
vis-à-vis du Conseil de l’Europe.
94. Cette question, qui est d’une importance majeure pour la préparation
du sommet, ne peut pas être réglée, à mon avis, au moyen d’un simple
examen du fonctionnement interne et du règlement de notre Assemblée,
comme certains semblent le suggérer, mais nécessite une réflexion
commune entre les deux organes statutaires de l’Organisation.
95. Le point de départ de cette réflexion doit être le Statut
du Conseil de l’Europe. Celui-ci, tel que complété par la Résolution
statutaire (51) 30, prévoit une claire synergie entre les deux organes
statutaires en ce qui concerne la composition de l’Organisation.
96. Cependant, au fil des ans, et en particulier après l’élargissement
de l’Organisation dans les années 1990, l’Assemblée a mis en place
des règles régissant les droits de participation des membres des
délégations nationales à ses propres activités, ainsi que leurs
droits de représentation dans ses propres instances, sans prévoir
aucune sorte de synergie ou de cohérence avec le Comité des Ministres
(consultation, discussion, etc.).
97. En conséquence, il me semble que, dans le cadre des préparatifs
du quatrième sommet de l’Organisation, il est nécessaire de lancer
une procédure visant à harmoniser les règles régissant la participation
et la représentation des États membres dans les deux organes statutaires,
tout en respectant pleinement, bien entendu, l’autonomie de ces
organes.
98. Le but ne doit pas être d’autoriser les États membres à enfreindre
le Statut de l’Organisation sans conséquences, mais d’assurer la
pleine cohérence entre les deux organes statutaires du Conseil de
l’Europe. Cette cohérence devrait renforcer le sens d’appartenance
à une communauté et les obligations qui incombent à chaque État
membre.
99. Cette réflexion commune serait à mener conjointement et à
traiter en priorité par l’Assemblée et par le Comité des Ministres
dans le cadre des préparatifs du quatrième Sommet. Elle pourrait
être coordonnée par le Comité mixte, «l’organe de coordination»
entre les deux organes statutaires, conformément à la Résolution statutaire
(51) 30, et confiée à un groupe de travail ad hoc plus restreint
– et donc plus souple – qui serait mis en place par le Comité mixte.
100. Si cette proposition est acceptée, le processus devra être
mené à terme rapidement, afin que les préparatifs du prochain sommet
puissent se dérouler en temps et en heure. En conséquence, le groupe
de travail ad hoc devrait commencer ses travaux au début de la session
ordinaire de l’Assemblée de janvier 2018, pour les terminer, au
plus tard, lors de la partie de session d’automne de la même année.
101. Afin de garantir la légitimité et l’efficacité de ce processus,
l’Assemblée dans son ensemble et chaque État membre devraient faire
le maximum pour que tous les États membres de l’Organisation soient
pleinement représentés dans le cadre de ce processus, à la fois
du côté parlementaire et du côté intergouvernemental.
102. Dans l’intervalle, l’Assemblée pourrait décider dès maintenant
de poursuivre sa propre réflexion sur son identité, son rôle et
sa mission en tant qu’organe statutaire du Conseil de l'Europe,
et, dans le cadre de cette réflexion, donner sa propre vision de
l’avenir de l’Organisation.
103. Comment l’Assemblée peut-elle conserver son rôle de forum
paneuropéen de dialogue interparlementaire tout en continuant à
protéger les valeurs et principes de l’Organisation? Après avoir
joué un rôle décisif dans le processus d’élargissement de l’Organisation,
qui s’est achevé il y a une vingtaine d’années, puis dans le processus
consistant à accompagner les nouveaux États membres, ses méthodes
de travail et ses outils restent-ils pertinents et peuvent-ils encore
être efficaces dans tous les États membres?
104. Afin de poursuivre cette réflexion sur la préparation du quatrième
Sommet et le futur de L’Organisation, je propose que le Bureau de
l’Assemblée demande à la Commission du Règlement, des immunités
et des affaires institutionnelles et à la Commission des questions
politiques et de la démocratie de mener une analyse approfondie
de ces questions et d’avancer des propositions dans le cadre de
rapports pertinents.
7. Conclusions
105. À l’heure où l’avenir du Conseil
de l’Europe ainsi que la nécessité de préserver et de renforcer
son rôle et sa mission doivent faire l’objet d’une réflexion, il
me semble nécessaire de prendre du recul et de se rappeler ses origines
ainsi que l’esprit qui a prévalu à sa création.
106. L’unité est sa pierre angulaire, la dignité humaine son principal
objectif.
107. Le Message aux Européens a été adopté lors de la dernière
session du Congrès européen en 1948 à La Haye, il y a 69 ans. Pourtant,
il fait aujourd’hui écho à une actualité extrêmement inquiétante:
«L'Europe
est menacée, l'Europe est divisée, et la plus grave menace vient
de ses divisions (…) L'heure est venue d'entreprendre une action
qui soit à la mesure du danger (…) Entre ce grand péril et cette grande
espérance, la vocation de l'Europe se définit clairement. Elle est
d'unir ses peuples selon leur vrai génie, qui est celui de la diversité
et dans les conditions du vingtième siècle, qui sont celles de la communauté,
afin d'ouvrir au monde la voie qu'il cherche, la voie des libertés
organisées (…) La conquête suprême de l'Europe s'appelle la dignité
de l'homme, et sa vraie force est dans la liberté. Tel est l'enjeu
final de notre lutte …»
108. Ces mots, qui ont conduit à la création de notre Organisation,
pourraient à juste titre être prononcés aujourd’hui. Les dangers
ne sont pas les mêmes, les divisions non plus, mais ils constituent
toujours «la plus grave menace». Il en va de même de notre responsabilité
«d'entreprendre une action qui soit à la mesure du danger».
109. Nous devons aux générations futures de faire tout ce qui est
en notre pouvoir pour ne pas saper, par peur ou par hésitation à
agir, ce que nos prédécesseurs ont bâti, mais, au contraire, d’en
défendre les fondations et de les rendre plus solides, avant tout
dans l’intérêt des citoyens européens. En ces temps difficiles où
le monde semble en pleine mutation, il est de notre devoir de lutter
contre le nationalisme, cette plaie des plaies, et d’éviter que
de nouveaux murs ne soient érigés.
110. Nous avons hérité d’une organisation pan-européenne, née d’un
rêve, celui de l’unité de l’Europe, et dont la finalité même est
de faire de ce rêve une réalité. Même si nous devons être critiques
quant à nos erreurs passées et prudents face aux risques à venir,
nous pouvons être fiers de ce que nous avons aujourd’hui accompli.
Si une «Charte des Droits de l’Homme» et une Cour «capable d’appliquer
les sanctions nécessaires pour que soit respectée la Charte» constituaient
un rêve pour nos pères fondateurs, l’une et l’autre sont aujourd’hui
une réalité pour près de 835 million d’Européens et la meilleure
preuve que notre Organisation défend d’abord et avant tout les droits
des citoyens et non les intérêts politiques et économiques des États.
111. Il en a été de même de ce souhait d’une «Assemblée Européenne,
où soient représentées les forces vives de toutes nos nations».
L’engagement pris par les Européens en mai 1948 est devenue réalité
l’année suivante et notre Assemblée (que l’on qualifiait alors de
«Consultative») s’est réunie en août 1949 à Strasbourg en représentante
des peuples d’Europe. Après avoir largement contribué aux succès
de l’Organisation en matière de fixation de normes et joué un rôle
moteur dans le processus d’élargissement des années 90 qui a abouti
à la réunification du continent européen, notre Assemblée a aujourd’hui
pour tâche principale de défendre et de promouvoir le rôle de l’Organisation
dans l’ensemble de l’architecture politique européenne. Elle se
doit également de garder un œil sur son passé tout en dessinant
son modèle pour demain.
112. C’est dans ce contexte et en réaction à ce que j’ai décrit
comme l’actuelle toile de fond que je soumets ma plaidoirie en faveur
d’un quatrième Sommet des Chefs d’État et de gouvernement des États
membres du Conseil de l’Europe: préservons et renforçons l’unique
projet pan-européen, menacé aujourd’hui par les divisions et la
montée des nationalismes, en obtenant de tous les États membres
qu’ils renouvellent, au niveau politique le plus élevé, leur engagement
envers l’idéal d’unité européenne et les valeurs et les principes
qu’ils partagent en termes de démocratie, de droits de l’homme et
d’État de droit et que défend l’Organisation.