1. Introduction
1.1. La
procédure et la collecte d’informations
1. À la suite d’une proposition
de résolution
que
j’ai déposée le 30 septembre 2014, j’ai été nommé rapporteur sur
la question du renforcement de l’État de droit dans les pays d’Europe
du Sud-Est grâce à des réformes ciblées du système judiciaire le
10 décembre 2014. À sa réunion d’Erevan (Arménie), la commission a
tenu une audition sur la situation en Bulgarie et en Roumanie, à
laquelle ont participé deux experts: Mme Zdravka
Kalaydjieva, ancienne juge à la Cour européenne des droits de l’homme,
Sofia (Bulgarie), et Mme Cristina Guseth,
Directrice de l’organisation Freedom House à Bucarest (Roumanie).
Le 19 avril 2016, la commission m’a autorisé à entreprendre des
visites d’information en Bulgarie, en République de Moldova et en
Roumanie. J’ai donc effectué ces visites à Bucarest (Roumanie) le
24 mai 2016 et à Chisinau (République de Moldova) les 25 et 26 mai 2016.
2. Au vu de développements inquiétants dans certains États membres
du Conseil de l’Europe, j’ai déposé, en octobre 2016, une proposition
de résolution intitulée «L’État de droit à nouveau menacé dans les
États membres du Conseil de l’Europe»
, que la Commission permanente a
décidé, le 25 novembre 2016, d’intégrer au rapport «Renforcer l’État
de droit dans les pays d’Europe du Sud-Est grâce à des réformes
ciblées du système judiciaire»
. En raison de l’extension de la portée
de mon mandat, la commission m’a autorisé, à sa réunion du 24 janvier 2017,
à effectuer des visites d’information en Turquie et en Pologne.
Avec l’accord de la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire,
ma visite à Ankara a été programmée du 3 au 5 mai 2017. Mais le
lendemain de l’adoption de la
Résolution
2156 (2017) par l’Assemblée, par laquelle celle‑ci a décidé de rouvrir
la procédure de suivi à l’égard de la Turquie, nos interlocuteurs
turcs ont annulé ma visite, bien que plusieurs rencontres à haut
niveau aient déjà été programmées. En conséquence, je n’ai pas pu effectuer
de visite d’information dans ce pays. En raison d’engagements électoraux
dans mon propre pays, je n’ai malheureusement pas non plus pu me
rendre en Bulgarie et en Pologne. Pour m’informer des développements
récents dans ces pays, j’ai donc organisé des auditions avec des
experts de ces pays devant la commission. Pour ce qui est de la
situation en Pologne, la commission a organisé, à sa réunion du 27 avril 2017
à Strasbourg, une audition avec la participation de M. Ireneusz
Kamiński (Chaire de droit européen et international, Professeur
de droit, Institut d’études juridiques, Académie polonaise des sciences, Varsovie),
M. Kamil Zaradkiewicz (Professeur de droit, Faculté de droit et
d’administration, Université de Varsovie) et M. Jean-Claude Scholsem
(membre suppléant de la Commission de Venise, Professeur émérite de
l’Université de Liège, Belgique). Pour la Bulgarie, à sa réunion
à Belgrade (Serbie), le 18 mai 2017, la commission a eu un échange
de vues avec M. Hristo Ivanov, ancien ministre de la Justice de
la Bulgarie, expert en réforme judiciaire et avocat, président du
parti politique «Da», Bulgarie.
3. À la suite de la décision de la Commission permanente précitée,
la commission a décidé, sur ma proposition, à sa réunion du 27 avril
2017, de modifier le titre du rapport en «Nouvelles menaces contre
l’État de droit dans les États membres du Conseil de l’Europe –
exemples sélectionnés».
1.2. Les
enjeux
4. La proposition de résolution
«Renforcer l’État de droit dans les pays d’Europe du Sud-Est grâce
à des réformes ciblées du système judiciaire» rappelle que le bon
fonctionnement du système judiciaire et l’indépendance des tribunaux
sont des conditions essentielles de l’État de droit. Une justice
véritablement indépendante des influences politiques est un élément
indispensable de la séparation des pouvoirs dans un État démocratique.
La séparation des pouvoirs est plus ou moins solidement établie
selon les traditions et les caractéristiques sociales et politiques
des différents États. Pour les signataires de cette proposition,
dans certains pays, en particulier dans le sud-est de l’Europe,
«le bon fonctionnement du système judiciaire prévu par la Constitution
est menacé par des évolutions extrajuridiques». Les menaces pour
l’État de droit et le principe de la séparation des pouvoirs pourraient
découler notamment des larges pouvoirs reconnus au ministère public
et des changements apportés à la composition des instances judiciaires
autonomes, au sein desquelles l’influence de l’exécutif ou de la
majorité parlementaire s’est accrue.
5. J’avais initialement envisagé de me concentrer sur la situation
dans certains pays d’Europe du Sud‑Est, qui faisaient partie de
l’Union soviétique ou du bloc communiste avant la chute du rideau
de fer et qui sont maintenant membres de l’Union européenne (Bulgarie
et Roumanie) ou bénéficient d’une étroite coopération avec cette
dernière (République de Moldova). Par la suite, une autre proposition
de résolution sur «l’État de droit à nouveau menacé dans les États
membres du Conseil de l’Europe», qui porte sur le risque de paralysie des
cours constitutionnelles dans certains pays et des mesures d’urgence,
dont la révocation d’un grand nombre de juges et de procureurs en
Turquie, a été déposée après le coup d’État avorté du 15 juillet 2016
dans ce pays. La commission a été invitée à la prendre en compte
pour le présent rapport. D’autres développements ont montré que
cette décision était la bonne: au-delà des purges lancées après
la tentative de coup d’État, la situation en Turquie s’est révélée
encore plus inquiétante, les changements constitutionnels proposés
– et approuvés lors d’un référendum controversé le 16 avril 2017 –
menaçant la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans ce pays.
Un autre problème à analyser plus soigneusement est le fonctionnement
de la Cour constitutionnelle polonaise. Les récents développements
survenus en Pologne au sujet d’une réforme controversée et précipitée
du système judiciaire dans son ensemble requièrent aussi une attention
urgente.
6. Pour toutes ces raisons, le présent rapport portera sur les
cinq États membres du Conseil de l’Europe susmentionnés, à savoir,
par ordre alphabétique, la Bulgarie, la République de Moldova, la
Pologne, la Roumanie et la Turquie. Je m’efforcerai d’identifier
et d’analyser les menaces pour l’État de droit, en particulier pour
la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, notamment
à l’aune des éléments suivants: 1) les compétences et le régime
de responsabilité des procureurs, y compris du procureur général,
et la mesure dans laquelle ils sont protégés de toute influence
indue; 2) la situation et les réformes récentes des systèmes judiciaires,
et en particulier des conseils autonomes de la magistrature; 3)
les autres menaces pour l’indépendance de la justice, dont la corruption;
4) les transferts de compétences, en particulier entre l’exécutif et
le législatif, qui limitent la séparation des pouvoirs; et 5) le
niveau de respect et de mise en œuvre des normes et recommandations
relatives au respect de l’État de droit émises par les organes compétents
du Conseil de l’Europe et, pour les pays concernés, par l’Union
européenne.
7. Je m’efforcerai aussi de proposer des mesures pratiques et
concrètes que l’Assemblée et les États membres concernés devraient
envisager afin d’apporter une réponse effective aux menaces à l’État
de droit énumérées ci-dessus. Le Conseil de l’Europe et l’Assemblée
elle-même ont mené des travaux considérables pour définir «l’État
de droit» et fixer et appliquer des normes européennes communes
en la matière (voir ci-dessous).
2. L’État de droit en tant que pierre
angulaire d’un État démocratique et l’acquis du Conseil de l’Europe
2.1. La
définition de «l’État de droit»
8. Selon l’article 3 du
Statut
du Conseil de l’Europe (STE no 1) tout État membre
du Conseil de l’Europe doit reconnaître les principes de prééminence
du droit, des droits de l’homme et de la démocratie. Ces trois valeurs
centrales sont étroitement liées les unes aux autres. «L’État de
droit» – encore désigné, en français, par les expressions «primauté
du droit» ou «prééminence du droit» (
rule
of law en anglais et
Rechtsstaat en allemand) –
est ou, à tout le moins, devrait être un pilier de tout ordre juridique
national et de toute organisation internationale, y compris du Conseil
de l’Europe, et figure dans les grands textes politiques et juridiques internationaux
. Cependant,
aucun texte juridiquement contraignant ne le définit. L’Union européenne
a récemment cherché à établir un mécanisme à ce sujet pour ses États
membres
. Plusieurs documents internationaux
contiennent un certain nombre d’indicateurs destinés à aider les
acteurs intéressés à évaluer le respect de l’État de droit dans
un pays donné
.
Depuis l’an dernier, le Conseil de l’Europe peut aussi utiliser les
indicateurs établis par la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise), qui seront examinés ci-après.
2.2. La
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
9. La Cour européenne des droits
de l’homme («la Cour») a établi que la prééminence du droit est
une notion inhérente à tous les articles de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
. Dans sa
jurisprudence, elle fait souvent référence à cette notion par le
biais de différentes expressions telles que «la prééminence du droit
dans une société démocratique»
ou
«l’impératif général de respect de l’État de droit»
.
10. L’article 6 de la Convention garantit le droit d’accès à des
tribunaux indépendants et impartiaux. La Cour a développé une abondante
jurisprudence sur cette disposition
. Certains de ses arrêts les plus
récents, dont l’exécution est actuellement supervisée par le Comité
des Ministres, sont intéressants dans le contexte des réformes des
systèmes judiciaires et du respect de la prééminence du droit.
11. Dans l’affaire
Oleksandr Volkov
c. Ukraine , la Cour a constaté quatre violations
du droit du requérant à un procès équitable à la suite de sa révocation
illégale de son poste de juge à la Cour suprême de l’Ukraine en
juin 2010 (article 6.1). La Cour a ordonné, dans le dispositif de
son arrêt, que le requérant soit réintégré dans son ancien poste
de juge à la Cour suprême dans les plus brefs délais, ce qui a finalement
été fait en février 2015. Dans l’intervalle, la réforme constitutionnelle
du système judiciaire attendue depuis longtemps a été adoptée.
12. Dans l’arrêt
Báka c. Hongrie , la Cour a conclu à la violation
de l’article 6.1 de la Convention au motif qu’il a été mis fin au
mandat du président de la Cour suprême de Hongrie avant sa date
normale d’expiration du fait de l’entrée en vigueur de la nouvelle
constitution, qui prévoyait la création d’une juridiction suprême,
la Kúria, en lieu et place de la Cour suprême. Le requérant n’a
pas bénéficié du droit d’être entendu par un tribunal car la cessation
de son mandat résultait des dispositions transitoires du nouveau
texte constitutionnel, qui ne pouvait faire l’objet d’aucun contrôle
juridictionnel. Dans l’affaire
Erményi
c. Hongrie , relative
à la cessation prématurée du mandat de vice-président de la Cour
suprême du requérant sur la même base légale, il est intéressant
de noter que la Cour a conclu qu’il y avait violation du droit au
respect de la vie privée, qui inclut aussi l’établissement de relations
de nature professionnelle (article 8 de la Convention).
13. Dans plusieurs affaires contre «l’ex-République yougoslave
de Macédoine»
, la Cour a examiné les requêtes
de juges qui avaient été révoqués pour faute professionnelle. Elle
a conclu à la violation de l’article 6.1 de la Convention au motif
que les instances qui avaient examiné leurs cas (le Conseil suprême
de la magistrature ou un collège d’appel de la Cour suprême) n’avaient
pas fait preuve de l’indépendance et de l’impartialité requises.
14. Il est déjà arrivé que des doutes quant à l’efficacité des
enquêtes au vu du manque d’indépendance et d’impartialité des autorités
concernées soient soulevés dans des affaires portées devant la Cour,
notamment dans l’affaire
Kolevi c. Bulgarie , qui portait sur l’impossibilité de mener
des poursuites et sur le fait que l’enquête avait été supervisée
par un procureur général soupçonné par la famille de la victime
d’avoir commandité le meurtre de cette dernière et dans laquelle
la Cour a conclu à une violation procédurale de l’article 2 de la
Convention (droit à la vie). Dans l’arrêt
S.Z.
c. Bulgarie , la Cour a dit que l’inefficacité
des enquêtes était un problème structurel et a appelé les autorités
bulgares à prendre les mesures générales nécessaires pour résoudre
ce problème.
2.3. Les
travaux de la Commission de Venise
15. La Commission de Venise s’est
employée à aider les États membres à élaborer leur législation relative à
l’indépendance de la magistrature et à rendre des avis sur les projets
de lois relatifs à la magistrature qui lui étaient soumis. Les avis
les plus récents rendus par la Commission de Venise en la matière
concernent l’Albanie, l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine, la République
de Moldova, le Monténégro, la Serbie et l’Ukraine
. En 2013,
la Commission de Venise a rendu un avis important sur les réformes
constitutionnelles controversées en Hongrie
. Elle a aussi publié des études
thématiques sur les critères garantissant l’indépendance de la justice
(voir, en particulier, le Rapport sur l’indépendance du système
judiciaire – Partie I: l’indépendance des juges
et le rapport
Nominations judiciaires
), ainsi que
sur le rôle des procureurs (Rapport sur les normes européennes relatives
à l’indépendance du système judiciaire: partie II – le ministère public
et la
Compilation of Venice Commission Opinions and Reports concerning
Prosecutors
).
16. À la suite de la
Résolution
1594 (2007) sur l’expression «principle of the Rule of Law»
, la Commission de Venise a été invitée
à mener une réflexion approfondie sur le concept de
«rule of law» et la notion française de
«prééminence du droit», très souvent remplacée par «État de droit».
L’ancien président de la commission Serhiy Holovaty (Ukraine/ADLE)
a mis en garde à de multiples reprises l’Assemblée contre les risques
de méprise dans les anciens pays communistes, où la notion de
rule of law est interprétée dans
le sens de «dictature de la loi». En conséquence, en mars 2011,
la Commission de Venise entreprenait une étude sur la notion de
prééminence du droit. Elle constatait que «la prééminence du droit
au sens propre fait partie intégrante de la société démocratique»
et qu’elle «impose aux décideurs de traiter toute personne de manière digne,
égale et rationnelle, dans le respect du droit et en mettant à sa
disposition des voies de recours pour contester la légalité d'une
décision devant des juridictions indépendantes et impartiales, selon
une procédure équitable». La Commission de Venise ne défend pas
une vision purement formaliste de la prééminence du droit, qui se
contenterait d’imposer que tout acte d’un agent public soit autorisé
par la loi. Elle relève aussi que la notion de prééminence du droit
apparaissait rarement «dans les anciens pays socialistes où régnait
autrefois la notion de
légalité socialiste»
.
17. En mars 2016, la Commission de Venise a adopté la
Liste
des critères de l’État de droit, qui a déjà été approuvée par le Comité des Ministres
et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux et devrait l’être prochainement
par l’Assemblée
. La Commission de Venise estime
qu’il y a consensus sur les éléments centraux couverts par les expressions
Rule of Law,
Rechtsstaat et
État de droit (bien qu’elles aient
des origines historiques différentes
); ces éléments sont la légalité,
la sécurité juridique, l’interdiction de l’arbitraire, l’accès à
la justice, le respect des droits de l’homme, la non-discrimination
et l’égalité devant la loi. Elle traduit ces principes de base en
questions concrètes. De plus, elle donne deux exemples concrets
de dangers pour la prééminence du droit: 1) la corruption et les
conflits d’intérêts; et 2) la collecte de données et la surveillance. La
Liste des critères de l’État de droit définit donc celui-ci par
son contenu. C’est un outil qui peut être utilisé par toute personne
ou instance intéressée (autorités nationales, organisations internationales,
organisations non gouvernementales (ONG), universitaires ou simples
citoyens). La Commission de Venise précise toutefois que l’État
de droit ne doit pas être appliqué de la même manière dans tous
les pays au mépris des contextes juridiques, historiques, politiques,
sociaux et géographiques. Si les principaux «ingrédients» sont constants, leur
application peut varier d’un pays à l’autre (voir paragraphe 34
de la Liste des critères de l’État de droit).
2.4. Les
travaux du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
18. Bien que le Commissaire aux
droits de l’homme se concentre principalement, dans ses travaux,
sur les questions relatives aux droits de l’homme, il a attiré,
à plusieurs occasions, l’attention sur l’indépendance ou la bonne
administration de la justice, en particulier en ce qui concerne
l’Albanie, la Géorgie, la Hongrie, la Pologne, la République de
Moldova, la Fédération de Russie, la Turquie et l’Ukraine
.
2.5. Les
travaux d’autres organes du Conseil de l’Europe
20. De plus, le Comité des Ministres a également fait plusieurs
recommandations concernant le fonctionnement de la justice et du
ministère public, dont la Recommandation
CM/Rec(2010)12 sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilités,
la
Recommandation
CM/Rec(2012)11 sur le rôle du ministère public en dehors du système
de justice pénale et la
Recommandation
(2000)19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice
pénale. Il a aussi publié un document intitulé «Le Conseil de l’Europe
et la prééminence du droit: un aperçu» (
CM(2008)170).
22. Les questions relatives au fonctionnement de la justice et
des autres institutions démocratiques des États membres sont également
examinées dans les rapports annuels du Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe sur la situation de la démocratie, des droits de l’homme
et de l’État de droit, notamment dans le quatrième et plus récent
de ces rapports, publié en 2017 et intitulé
«Populisme
– Le système de contre-pouvoirs est-il suffisamment puissant en
Europe?».
2.6. Récapitulatif
des précédents travaux de l’Assemblée parlementaire sur le sujet
24. Dans la
Résolution
1685 (2009) sur les allégations d'abus du système de justice pénale,
motivée par des considérations politiques, dans les États membres
du Conseil de l'Europe
, l’Assemblée a recommandé de permettre
aux procureurs d’exercer leurs fonctions sans ingérence des milieux
politiques et de les protéger contre les instructions qui peuvent
leur être données au sujet d’une affaire précise, tout au moins
lorsque ces instructions visent à empêcher qu’une enquête aboutisse
à la tenue d’un procès. Le rôle des conseils de la magistrature
en matière de recrutement, de promotion et de régime disciplinaire
des juges et procureurs a également été souligné. L’Assemblée faisait
remarquer que les systèmes de justice pénale de tous les États membres
sont potentiellement exposés aux ingérences motivées par des considérations
politiques, bien qu’à des degrés très divers, et appelait à la prise
de mesures supplémentaires pour renforcer l’indépendance de la magistrature.
Deux autres rapports de Mme Leutheusser-Schnarrenberger,
«Les circonstances entourant l’arrestation et l’inculpation de hauts
dirigeants de loukos» (
Résolution
1418 (2005) et
Doc. 10368) «Enquêtes sur les crimes qui auraient été commis par
de hauts responsables sous le régime Koutchma en Ukraine: l’affaire
Gongadze, un exemple emblématique» (
Résolution 1645 (2009),
Recommandation
1856 (2009) et
Doc. 11686), ont exposé et condamné des cas précis d’ingérence
politique. Un rapport intitulé «Séparer la responsabilité politique
de la responsabilité pénale» et approuvé par l’Assemblée le 28 juin
2013 (rapporteur: M. Pieter Omtzigt, Pays-Bas, PPE/DC) établissait
plusieurs principes permettant de distinguer décisions politiques
et actes ou omissions délictuels, à la lumière d’un avis que notre
commission avait demandé à la Commission de Venise (
Doc. 13214 et
Résolution
1950 (2013)).
25. La mise en œuvre des recommandations adressées par l’Assemblée
sur la base des rapports susmentionnés a fait l’objet d’un suivi
dans le rapport de Mme Marieluise Beck
(Allemagne, ADLE) intitulé «Menaces contre la prééminence du droit
dans les États membres du Conseil de l’Europe: affirmer l’autorité de
l’Assemblée parlementaire». Constatant que plusieurs pays (à savoir
l’Allemagne, la France, la Fédération de Russie et l’Ukraine) n’avaient
toujours pas mis en œuvre ces recommandations pertinentes, l’Assemblée
a invité instamment les États membres à faire en sorte que la justice
soit totalement indépendante, de manière à ce qu’elle puisse résister
aux poursuites engagées pour des raisons politiques à l’encontre
d’opposants, de journalistes et de militants de la société civile
(voir
Doc. 13713 et
Résolution
2040 (2015)).
26. Dans sa
Résolution
1703 (2010) et sa
Recommandation
1896 (2010) sur la corruption judiciaire
, l’Assemblée a souligné la nécessité
d’assurer les plus hauts niveaux de professionnalisme et d’intégrité
dans l’institution judiciaire et de restaurer la confiance du public
dans la justice. Elle y appelait les États membres à mettre en place
des garanties qui permettent d’engager la responsabilité (y compris
pénale) des juges, sans compromettre leur indépendance et leur impartialité.
Elle a réexaminé la même question dans un autre rapport intitulé «La
corruption judiciaire: nécessité de mettre en œuvre d’urgence les
propositions de l’Assemblée» (rapporteur: M. Kimmo Sasi, Finlande,
PPE/DC); voir
Doc. 13824,
Résolution
2098 (2016) et
Recommandation
2087 (2016)).
27. Dans sa
Résolution
1943 (2013) et sa
Recommandation
2019 (2013) sur «La corruption: une menace à la prééminence du droit»
, l’Assemblée appelait les
parlements nationaux à contribuer à la mise en œuvre des recommandations
faites par le GRECO, en particulier celles résultant de son quatrième
cycle d’évaluation, consacré à la corruption des juges et procureurs
et des parlementaires.
3. Exemples
sélectionnés de nouvelles menaces contre l’État de droit dans les
États membres du Conseil de l’Europe
3.1. Bulgarie
28. L’Assemblée poursuit son dialogue
postsuivi avec la Bulgarie; sa dernière évaluation des réformes
dans ce pays date de janvier 2013 (
Résolution 1915 (2013))
.
Depuis, les corapporteurs de la commission de suivi ont effectué
plusieurs visites d’information en Bulgarie (la dernière remonte
à juin 2016)
. La Bulgarie fait par ailleurs
toujours l’objet d’une procédure de suivi lancée lors de son adhésion
à l’Union européenne en 2007 – le mécanisme de coopération et de
vérification (MCV) – qui porte sur l’indépendance et l’efficacité
du système judiciaire, l’intégrité et la lutte contre la corruption
et la criminalité organisée (six critères de référence).
29. Si le dernier rapport
du MCV de l’Union
européenne, publié le 25 janvier 2017, soit dix ans après l’adhésion
de la Bulgarie à l’Union européenne, note que le pays a fait des
progrès importants en 2016 pour mettre en œuvre la stratégie de
réforme judiciaire, il souligne également que sur ces dix dernières
années le rythme global des réformes n’a pas été aussi rapide que
prévu, en raison notamment de périodes d’instabilité politique.
Pendant cette décennie, la Bulgarie a modifié sa Constitution à
deux reprises; la première fois, peu après son adhésion à l’Union
européenne, le 2 février 2007, afin d’octroyer davantage de pouvoirs
au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et de mettre en place
une Inspection du Conseil supérieur de la magistrature (ICSM), chargée
de veiller au respect des normes d’intégrité dans la magistrature;
la seconde fois, le 16 décembre 2015, pour réformer ces deux institutions
.
30. La révision constitutionnelle de 2015 visait à améliorer le
fonctionnement de l’appareil judiciaire et du CSM, mais n’a pas
mis en œuvre de nombreuses recommandations figurant dans l’avis
de la Commission de Venise
. En conséquence,
l’ancien ministre de la Justice, M. Hristo Ivanov, a remis sa démission,
estimant que la réforme n’était pas allée assez loin. Le CSM, dont
la composition est régie par l’article 130 de la Constitution, a
été divisé en deux chambres, l’une pour les procureurs et l’autre
pour les juges; le principe «un magistrat, un vote» a été introduit
pour les élections au CSM et la transparence du processus décisionnel
a été améliorée. Toutefois, les tensions persistantes entre les
membres du CSM et les allégations de manque d’objectivité restent
un problème, et le CSM «n’a pas été en mesure ni désireux» de mener
les réformes dans des domaines sensibles tels que la restructuration
des tribunaux et des parquets, ce qui a entraîné un déséquilibre
de la charge de travail pour les juridictions les plus importantes
du pays; par ailleurs, peu de progrès ont été accomplis afin de
faire en sorte que les procédures disciplinaires du CSM soient équitables
et transparentes
. Comme l’a récemment souligné le GRECO,
les représentants élus par l’Assemblée nationale sont membres des
deux chambres, leur nombre égalant celui des juges et des procureurs
élus (on compte 11 membres élus par l’Assemblée nationale, six élus
par les juges, quatre élus par les procureurs, un élu par les magistrats
instructeurs et trois membres de droit: les présidents de la Cour
suprême de cassation et de la Cour suprême administrative ainsi
que le Procureur général). D’où un risque de politisation des décisions concernant
la carrière des juges et des procureurs
(même
si, depuis les modifications apportées en 2016 à la loi sur le système
judiciaire, ils sont élus à la majorité des deux tiers des députés).
31. Deux séries de modifications de la loi sur le système judiciaire
ont été adoptées les 31 mars et 26 juillet 2016; elles sont actuellement
examinées par la Commission de Venise (qui a été saisie pour avis
par la commission de suivi). Ces modifications visent à améliorer
la législation concernant le CSM, la gouvernance interne des tribunaux
et la décentralisation du parquet
.
32. Il convient de rappeler que dans de nombreuses affaires contre
la Bulgarie, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à
une durée excessive de la procédure devant les tribunaux bulgares.
Le Comité des Ministres continue ainsi d’examiner l’exécution de
tels arrêts dans le cadre du groupe d’affaires
Kitov et
Djangozov . Ce problème
a déjà été soulevé par l’Assemblée dans les travaux de ses rapporteurs
sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour (voir en particulier
Résolution 2178 (2017)).
33. D’après la Commission européenne, la réforme du ministère
public s’est également révélée particulièrement sensible. Alors
que le parquet fait partie du système judiciaire et ne dépend donc
pas du pouvoir exécutif, il joue un rôle important dans le contrôle
de l’administration, ce qui suscite des soupçons d’ingérence politique
et d’absence générale d’obligation de rendre des comptes. Il est
au cœur des discussions sur l’absence de bilan convaincant en matière
de condamnations pour corruption à haut niveau et formes graves
de criminalité organisée
. Le procureur général, qui exerce une influence
sur l’ensemble du parquet, ne serait pas soumis au système d’équilibre
des pouvoirs
, bien qu’il soit désormais tenu
de rendre compte annuellement de ses activités à l’Assemblée nationale
et au CSM
. En 2016, la Bulgarie a demandé l’assistance
du Service d'appui à la réforme structurelle (SARS) de la Commission
européenne; en décembre de la même année, un groupe de procureurs
indépendants et expérimentés de certains États membres de l’Union
européenne a remis une analyse indépendante du ministère public
bulgare. D’après cette étude, il faudrait que la hiérarchie supervise
mieux les affaires en interne afin de garantir la transparence des
décisions adoptées; il conviendrait aussi d’adopter de nouveaux
mécanismes en vue de contraindre l’ensemble du parquet à rendre
des comptes au public, par exemple en créant une commission parlementaire
spécialisée et un système d’inspections externes
. Comme indiqué plus haut (chapitre 2.2),
la Cour européenne des droits de l’homme a également identifié l’ineffectivité
des enquêtes pénales dans les affaires sensibles comme un problème
systémique, actuellement examiné par le Comité des Ministres
.
34. En juillet 2017, l’Assemblée nationale a commencé à examiner
une proposition visant à modifier la loi sur le système judiciaire,
qui aurait eu pour effet de limiter le financement des organisations
professionnelles de juges et de magistrats aux sources internes
et d’interdire la participation de ces derniers à des activités scientifiques
et universitaires financées par un État étranger ou une organisation
étrangère
. La proposition a été retirée à la
suite de critiques publiques; le 11 août 2017, de nouvelles modifications
de la loi sur le système judiciaire ont été promulguées, qui obligent
notamment le CSM à démettre automatiquement de ses fonctions tout
magistrat inculpé d’une infraction pénale, sans aucun examen judiciaire.
35. La corruption est un problème de longue date en Bulgarie.
Le pays est toujours considéré comme celui qui a le plus haut niveau
de corruption parmi les États membres de l’Union européenne et se
classe 75e sur 176 dans le monde
. La corruption reste perçue comme
un problème majeur par les citoyens et les entreprises. Le Centre
bulgare pour l’étude de la démocratie parle ouvertement de «captation
de l’État» au vu du degré élevé de corruption politique et administrative
. Selon la Commission européenne,
il y a eu très peu de condamnations définitives devant les tribunaux
dans des affaires de corruption à haut niveau et les progrès restent
limités dans ce domaine. En 2015 et 2016, le gouvernement a commencé
à mettre en œuvre une stratégie nationale anticorruption prévoyant
notamment la création d’une agence unifiée chargée de lutter contre
la corruption, dotée des compétences nécessaires pour mener des
enquêtes administratives et vérifier l’absence de conflits d’intérêts.
Cependant, le parlement n’est toujours pas parvenu à un accord sur
la loi portant création de cet organisme
.
36. Dans son rapport de conformité 2017, le GRECO a conclu que
la Bulgarie avait mis en œuvre de façon satisfaisante 12 des 19
recommandations formulées lors du quatrième cycle d’évaluation consacré
à la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et
des procureurs. Il a salué notamment la création d’un Conseil public,
au sein de l’Assemblée nationale, pour faire participer la société
civile au processus législatif; la mise en place d’une procédure
pour lutter contre la violation des règles d’éthique par les députés; l’obligation
pour les membres du pouvoir judiciaire de présenter régulièrement
des déclarations de patrimoine; le principe d’attribution aléatoire
des affaires aux juges et aux procureurs, ainsi que l’octroi de
pouvoirs supplémentaires à l’ICSJ. Cela étant, il a relevé que «des
progrès supplémentaires [devaient] encore être marqués dans les
18 prochains mois pour démontrer un niveau acceptable de conformité
avec les recommandations»
.
3.2. République de Moldova
37. Les 25 et 26 mai 2016, j’ai
effectué une visite d’information à Chisinau où j’ai rencontré le
Premier ministre, l’ancien Premier ministre Iurie Leanca, le ministre
de la Justice, Aurel Baiesu, juge à la Cour constitutionnelle, la
Présidente de la commission permanente des affaires juridiques,
des nominations et des immunités, la délégation moldave auprès de
l’Assemblée parlementaire et des représentants d’ONG. À l’issue de
ma visite, dans une
déclaration
datée du 27 mai 2016, j’ai exprimé de vives inquiétudes au sujet de la corruption,
ainsi que du manque d’indépendance de la justice et de l’absence
de séparation effective des pouvoirs.
38. La République de Moldova fait l’objet d’une procédure de suivi
de l’Assemblée (voir la
Résolution
1955 (2013) du 2 octobre 2013). L’accord d’association entre l’Union
européenne et la Moldova est entré pleinement en vigueur le 1er juillet
2016 après avoir été appliqué à titre provisoire depuis septembre
2014. Aux termes de cet accord, le pays s’engage à entreprendre
d’ambitieuses réformes dans un certain nombre de domaines clés comme
la justice et la lutte contre la corruption.
39. La lutte contre la corruption demeure l’un des défis majeurs
auxquels est confronté ce pays. Malgré certaines mesures positives,
la corruption reste largement répandue et la perception de ce phénomène élevée
, l’appareil judiciaire étant considéré
comme la branche la plus touchée
. La politisation excessive des institutions
de l’État ainsi que les liens étroits entre la politique et le milieu
des affaires constituent d’importants sujets de préoccupation dans
ce contexte.
40. Avant les élections législatives de novembre 2014, un milliard
de dollars US a «disparu» de trois des principales banques du pays
dans le cadre d’un important scandale de fraude bancaire, provoquant
des manifestations pour demander la démission du gouvernement, du
procureur général et du chef du Centre national de lutte contre
la corruption. Le 29 octobre 2015, le parlement a adopté une motion
de censure contre le gouvernement et un nouveau gouvernement de
coalition a été formé en janvier 2016. Malgré la condamnation de
l’ancien Premier ministre Vlad Filat et les poursuites pénales engagées
à l’encontre de certaines autres personnes, le scandale bancaire
n’a pas encore fait l’objet d’une enquête. Après l’aide d’urgence
accordée par la Banque centrale nationale afin de remplacer l’argent
«volé» dans les réserves de devises des trois banques, le gouvernement
a décidé, en juin 2016, l’émission de bons spéciaux du trésor, une décision
largement perçue comme de nature à faire porter la charge financière
aux citoyens
.
41. Lors de ma visite à Chisinau, certains de mes interlocuteurs,
pour l’essentiel des représentants d’ONG, ont évoqué la notion de
«captation de l’État», en raison de la présumée influence illégale
exercée par des intérêts privés sur des instances gouvernementales.
Cette influence serait apparemment due à la concentration des pouvoirs
dans les mains d’un homme d’affaires, Vladimir Plahotniuc, dont
le volume des actifs est estimé à $US2-2,5 milliards, soit près
de 30 % du PIB national, et qui détient la majeure partie des médias
moldaves. Il semblerait que M. Plahotniuc, qui n’occupe aucune fonction
publique élevée, soit proche de nombreux membres du gouvernement
et exerce une influence sur les responsables d’instances judiciaires et
répressives
. Ces allégations concordent avec
les conclusions du GRECO selon lesquelles «en l’absence de financement
public, les partis sont eux-mêmes faibles et soumis à l’influence
d’un cercle étroit de personnes privées»
.
42. Dans son dernier rapport, le GRECO a recensé un certain nombre
de problèmes dans le domaine de la lutte contre la corruption, notamment
l’application incohérente du cadre législatif et des politiques
de lutte contre la corruption en place, ainsi que les capacités
insuffisantes et le manque d’indépendance des principales institutions
chargées de combattre ce phénomène, dont le Procureur général, le
Centre national de lutte contre la corruption et la Commission nationale
pour l’intégrité. Les sanctions prononcées en cas de corruption
sont clémentes et l’impunité est largement répandue. Peu de progrès
ont été réalisés à cet égard malgré certaines mesures prises par
les autorités comme la
Stratégie
nationale de lutte contre la corruption 2011-2015, qui a été prolongée à 2016 puis 2017
.
43. Selon le GRECO, s’agissant des parlementaires, d’autres mesures
s’imposent pour assurer un débat parlementaire adéquat, permettre
une véritable consultation publique et définir les modalités d’interaction
des députés avec des tiers cherchant à influencer le processus législatif.
Dans son rapport, le GRECO a également recommandé l’adoption d’un
code de conduite pour les parlementaires et de mesures afin de garantir
que les procédures de levée de l’immunité parlementaire n’empêchent
pas la conduite d’enquêtes liées à des infractions de corruption
.
44. D’après le rapport du GRECO, les hauts postes au sein des
institutions chargées de la lutte contre la corruption, comme le
Procureur général, le Centre national de lutte contre la corruption
et la Commission nationale pour l’intégrité, étaient «répartis en
fonction de l’allégeance politique, après accord entre les partis politiques».
Il convenait en particulier de renforcer sensiblement la Commission
nationale pour l’intégrité afin de garantir un contrôle indépendant
et efficace du respect des normes relatives aux conflits d’intérêts
par les députés, les juges et les procureurs ainsi que leur intégrité.
45. L’appareil judiciaire moldave souffre d’une image négative
auprès du public et «l'ingérence politique observée au niveau de
la justice et de l'application de la loi constitue une entrave systémique
au développement social et économique»
.
Certains juges ont été poursuivis pour leurs décisions (par exemple la
juge Domnica Manole, qui a annulé la décision de la Commission électorale
centrale rejetant le projet de référendum visant à modifier la Constitution
sollicité par un parti politique), au même titre que des avocats intervenant
dans des affaires hautement médiatisées (voir par exemple celles
d’Ana Ursachi, Veaceslav Turcan et Maxim Belinschi)
.
46. Le GRECO a recommandé de modifier la composition et le fonctionnement
du CSM, notamment en supprimant la participation de droit du ministre
de la Justice et du Procureur général, en autorisant l’inclusion de
profils plus divers parmi les membres non professionnels et en veillant
à ce que les membres judiciaires et non judiciaires du CSM soient
élus au terme de procédures transparentes
.
Il a également conclu que les décisions du CSM devaient être davantage
motivées et faire l’objet d’un contrôle juridictionnel (à la fois
sur des motifs procéduraux et sur le fond), en ce qui concerne en
particulier le recrutement, la promotion et la responsabilité disciplinaire
des juges. Le GRECO a par ailleurs recommandé de prendre des mesures
afin de mieux informer les juges des règles d’éthique et d’intégrité
et des dispositions relatives aux cadeaux et aux autres avantages,
ainsi que de réviser le cadre juridique et opérationnel de responsabilité
disciplinaire des juges.
47. Le gouvernement continue de mettre en œuvre la
Stratégie de
réforme du secteur de la justice 2011-2016, tout en s’employant à préparer une nouvelle stratégie
dans ce domaine. Une nouvelle loi sur le ministère public est entrée
en vigueur le 1er août 2016, conformément
aux recommandations du GRECO. Elle prévoit la création du Bureau
du procureur spécial anticorruption et du Bureau contre la criminalité
organisée et le blanchiment de capitaux et vise à améliorer le professionnalisme
et l’indépendance des procureurs, à établir des critères clairs
pour leur nomination et leur promotion ainsi qu’à renforcer les
capacités du Conseil supérieur des procureurs. Il reste cependant
à voir comment la loi sera appliquée dans la pratique. Dans son
rapport, le GRECO a également appelé à l’adoption de mesures supplémentaires
concernant la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur
des procureurs et la sensibilisation de ces derniers aux règles
d’éthique et d’intégrité
.
48. Plus récemment, des préoccupations ont été exprimées concernant
la proposition du Gouvernement moldave de modifier le système électoral
du pays en vue de passer d’un système proportionnel à un système mixte
à l’approche des élections législatives de 2018. La réforme prévoit
l’élection de 50 députés à la proportionnelle à scrutin de liste
bloquée dans une circonscription unique, et de 51 au scrutin majoritaire
dans des circonscriptions uninominales. Selon l’avis rendu par la
Commission de Venise et le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l’homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE), la réforme proposée suscite
«des préoccupations majeures», avec un risque potentiel d’influence
du monde des affaires sur les candidats et d’imposition de seuils
excessifs de représentation parlementaire pour la composante proportionnelle.
Si le choix d’un système électoral est une décision souveraine d’un
État, un tel changement fondamental «n’est pas recommandé actuellement»
. La loi
a été adoptée par le parlement le 21 juillet 2017. Elle viserait
à favoriser les intérêts du Parti démocrate (PDM) dirigé par M. Plahotniuc
et du Parti socialiste (PSRM), deux partis dominants au sein de
l’actuel parlement
.
49. Le Président de la République, M. Igor Dodon, a également
proposé de modifier l’article 85 de la Constitution afin d’étendre
les pouvoirs de dissolution du parlement dont dispose le Président.
La Commission de Venise a estimé qu’il serait «peu judicieux» de
conférer au Président un large pouvoir discrétionnaire en matière
de dissolution du parlement. Cela risquerait en effet de provoquer
des conflits constitutionnels et politiques inutiles et pourrait
être interprété comme habilitant le Président à recourir à la dissolution
comme un instrument de «politique partisane», ce qui irait à l’encontre
du rôle de pouvoir neutre qui est le sien dans un régime parlementaire
.
3.3. Roumanie
50. Le 24 mai 2016, je me suis
rendu à Bucarest, où j’ai rencontré le ministre de la Justice, le
président de la Cour de justice, le président de la Cour constitutionnelle,
le procureur en chef de la Direction nationale anticorruption (DNA),
le conseiller présidentiel sur les réformes des institutions et
de la Constitution, la délégation roumaine auprès de l’Assemblée
et des représentants d’ONG. À la suite de ma visite, j’ai salué
le travail de la DNA et souligné que le gouvernement adoptait trop
d’ordonnances d’urgence, d’où une séparation des pouvoirs qui n’est
plus très nette (voir ma
déclaration
du 27 mai 2016).
51. Comme la Bulgarie, la Roumanie fait l’objet d’un suivi dans
le cadre du MCV depuis son adhésion à l’Union européenne. Le MCV
porte sur quatre critères de référence liés à l’indépendance et
l’efficacité du système judiciaire, à l’intégrité et à la lutte
contre la corruption. Si le dernier rapport du MCV, publié le 25 janvier 2017,
reconnaît que des progrès importants ont été faits dans les domaines
de l’indépendance judiciaire et de la lutte contre la corruption
au cours de la décennie écoulée depuis l’adhésion du pays à l’Union
européenne, un certain nombre de questions majeures restent en suspens.
52. Le rapport du MCV indique que, dans l’ensemble, il y a eu
des progrès considérables dans les domaines concernant l’indépendance,
l’impartialité, la transparence et la responsabilité du système
judiciaire. Cela s’explique par l’engagement dont font preuve de
nombreux juges et procureurs, par le travail réalisé par les ministres
de la Justice aux fins de mise en œuvre, par la coopération fructueuse
entre les autorités roumaines et la Commission européenne ainsi
que par l’implication étroite de la société civile
. Depuis 2012, le Conseil supérieur de la magistrature
(CSM) «lui-même gère le système judiciaire» et continue de jouer
son rôle constitutionnel pour ce qui est de défendre l'indépendance
du système judiciaire; la perception, par le public, de l'indépendance
de la justice et sa confiance dans le pouvoir judiciaire restent
fortes, mais certains magistrats et institutions judiciaires ont
subi de nouvelles attaques politiques et médiatiques. Les progrès affichent
par contre une certaine lenteur en ce qui concerne l'équilibre de
la charge de travail entre et dans les juridictions, ainsi que la
mise en œuvre complète des décisions de justice
. Le rapport
du MCV
et
le rapport 2016 du GRECO
critiquent
également l’absence de procédure ouverte et transparente pour nommer
les procureurs occupant les plus hauts postes (qui forment un corps
unique de magistrats, avec les juges).
53. Ces dernières années, de nouveaux codes civils et pénaux ont
été adoptés. Le Code civil est entré en vigueur en 2011, le Code
de procédure civile en 2013 et les nouveaux codes pénaux en 2014;
la transition a été progressive. Bien que leur mise en œuvre ait
permis de réduire quelque peu la durée des procédures (voir aussi
l’état d’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de
l'homme dans le groupe
Nicolau c. Romania ), il s'est avéré
difficile de faire aboutir ces réformes dans la pratique. En ce
qui concerne le Code civil, les dispositions exigeant de nouvelles
infrastructures ont été reportées. Le Code pénal et le Code de procédure
pénale ont dû être modifiés à la suite de nombreux arrêts de la
Cour constitutionnelle se référant à la Cour européenne des droits
de l’homme et au principe d’équilibre des pouvoirs (pour la seule
année 2016, la Cour constitutionnelle a pris 12 décisions de ce
type) ou d’autres événements urgents. Dans de nombreux cas, le gouvernement
a adopté des ordonnances d’urgence mais le parlement a tardé à donner
son approbation
.
En outre, la Cour européenne des droits de l'homme a souvent critiqué
la Roumanie pour l’inefficacité du mécanisme mis en place pour restituer
les biens nationalisés pendant le régime communiste ou pour verser
une indemnisation et, malgré l’adoption d’une nouvelle loi en 2013,
les autorités administratives et les tribunaux du pays ont toujours
un arriéré d’affaires inacceptable concernant d’anciens propriétaires
.
54. Sur les questions d’intégrité et de lutte contre la corruption,
le rapport du MCV souligne également les avancées enregistrées en
matière de recouvrement d'avoirs afin de combattre la corruption,
notant la mise en place de la nouvelle agence nationale de gestion
des avoirs saisis (ANABI), en janvier 2017, et l’adoption par le
gouvernement de la nouvelle stratégie nationale de lutte contre
la corruption pour la période 2016-2020
. La corruption reste un grave problème
en Roumanie
, malgré le bon bilan des institutions
chargées des enquêtes, des poursuites et des jugements (la DNA,
les procureurs et la Haute Cour de cassation). En 2016, la DNA a
renvoyé devant le tribunal 403 affaires concernant 1 271 accusés,
parmi lesquels de nombreux hauts responsables, députés et sénateurs.
Les tribunaux ont prononcé 339 condamnations contre 879 accusés. Bien
que la durée des peines d’emprisonnement ait augmenté, dans les
deux tiers des condamnations environ la peine a été assortie du
sursis. Le manque de progrès réels dans l’éradication de la corruption
est dû essentiellement aux attaques médiatiques et politiques contre
la DNA (qui ont été particulièrement intenses en 2016 et émanaient
de hauts responsables et de personnalités), aux tentatives permanentes
d’assouplir les lois criminalisant la corruption (y compris le Code
pénal)
et
au refus systématique de lever l’immunité parlementaire pour permettre
d’enquêter sur des parlementaires. À ce propos, il convient de souligner
que les critères sur lesquels se base le parlement pour accepter
ou rejeter la levée de l’immunité parlementaire restent flous ou
ne sont pas communiqués au public ni au parquet
.
Cette situation provient d’une mauvaise interprétation de l’article 72
de la Constitution roumaine, qui peut donner l’impression, à tort,
que les parlementaires jouissent d’une immunité absolue. Dans son
rapport d’évaluation 2015, le GRECO a recommandé de revoir le dispositif
d’immunité des parlementaires, d’accroître la transparence du processus législatif
et d’élaborer un code de conduite pour les membres du parlement
(paragraphe 155, points i), ii) et viii)). De plus, la Commission
de Venise a publié des recommandations claires sur la levée de l’immunité
.
55. L’utilisation abusive des ordonnances gouvernementales d’urgence,
qui permettent à l’exécutif de légiférer en faisant abstraction
du parlement, est un problème de longue date en Roumanie. La Commission de
Venise a examiné la question en 2012
et le GRECO a récemment formulé
des critiques
. En vertu de l’article 115-4
de la Constitution roumaine, ces ordonnances ne peuvent être adoptées
que dans des «situations extraordinaires» dont la réglementation
ne peut être ajournée; le gouvernement est tenu de motiver l’urgence.
À mon avis, les ordonnances gouvernementales d’urgence devraient
être considérées comme des documents administratifs et respecter
la loi. Malheureusement, le gouvernement se comporte de plus en
plus comme un organe législatif. Le recours aux ordonnances gouvernementales
d’urgence devrait être interdit au moins pendant quelque temps afin
de permettre au parlement d’exercer ses fonctions. Il faudrait également fixer
un délai en ce qui concerne le contrôle de ces ordonnances par le
parlement.
56. Un exemple récent d’utilisation abusive est lié à deux projets
d’ordonnance d’urgence – l’un portant sur la grâce, l’autre modifiant
le Code pénal et le Code de procédure pénale – soumis à la consultation
le 18 janvier 2017 par le nouveau gouvernement élu. Tandis que l’ordonnance
sur la grâce a été transmise au parlement
, l’autre (OUG 13/2017)
a été approuvée par le cabinet
du Premier ministre Sorin Grindeanu le 31 janvier 2017. Cette seconde
ordonnance d’urgence redéfinissait et, dans les faits, dépénalisait
certaines infractions de corruption de bas niveau, comme l’abus
de fonction causant un préjudice inférieur à 200 000 lei (€44 000)
. Selon le gouvernement, les deux
ordonnances étaient nécessaires pour lutter contre le problème de
la surpopulation carcérale, relevé par la Cour européenne des droits
de l'homme dans de nombreux arrêts. Il s’en est suivi une levée
de boucliers à l’échelle internationale
et des manifestations dans toute
la Roumanie. La seconde ordonnance a été abrogée par le gouvernement
le 5 février 2017
et le ministre de la Justice, Florian
Iordache, a annoncé sa démission. En ce qui concerne le projet de
loi élaboré à partir de l’ordonnance d’urgence sur la grâce, la
Commission juridique du Sénat a proposé des amendements controversés
permettant de gracier les auteurs d’un certain nombre d’infractions
de corruption. À la suite de nouvelles manifestations dans tout
le pays, elle est revenue sur sa décision. Néanmoins, le 8 mai 2017,
le Sénat a refusé d’adopter le projet, qu’il a renvoyé à la Commission
juridique
. Le 21 juin 2017, le PSD au pouvoir
a adopté une motion de censure contre son propre gouvernement; le
Premier ministre Sorin Grindeanu a été remplacé par Mihai Tudose.
Il semblerait que le départ de M. Grindeanu soit dû à son incapacité
à assouplir les lois anticorruption
.
3.4. Turquie
57. Sur la base de sa
Résolution 2156 (2017), l’Assemblée a décidé de rouvrir la procédure de suivi
à l’égard de la Turquie. Il n’est pas dans mon intention de réitérer
les conclusions de la commission de suivi mais plutôt de mettre
l’accent sur les principales menaces posées à l’État de droit dans
ce pays, concernant notamment la situation du système judiciaire,
les décrets-lois d’urgence et les modifications de la Constitution
approuvées par le référendum tenu le 16 avril 2017. Je regrette
sincèrement l’annulation de ma visite d’information à Ankara par
les autorités turques.
58. À la suite du coup d’État manqué du 15 juillet 2016, le Président
Erdoğan a, le 20 juillet 2016, proclamé l’état d’urgence pour une
durée de trois mois (décision approuvée le même jour par le parlement,
en dépit de la pause estivale), conférant ainsi des pouvoirs extraordinaires
au gouvernement. L’état d’urgence a depuis lors été prolongé à quatre
reprises, dont dernièrement le 18 juillet 2017. Le 21 juillet 2016,
les autorités turques ont notifié au Conseil de l’Europe leur dérogation
à la Convention européenne des droits de l’homme au titre de l’article
15 de cet instrument (ce point est actuellement en cours d’examen
par notre collègue de la commission, M. Raphaël Comte (Suisse, ADLE))
.
Les autorités turques ont imputé la tentative de coup d’État au
«mouvement Güléniste» et lancé une vaste purge de personnes apparemment
liées à la conspiration, procédant notamment à des révocations collectives
et à l’arrestation de nombreux fonctionnaires, juges, procureurs,
militaires et universitaires, à la fermeture d’associations et de
médias, à la confiscation de biens, etc
.
59. Depuis la déclaration d’état d’urgence, le gouvernement turc
est en mesure de légiférer au moyen de décrets-lois d’urgence, sans
autorisation préalable du parlement, dans les «matières qui rendent
l’état d’urgence nécessaire» (article 121 de la Constitution). Depuis
lors, 21 décrets d’urgence «ayant force de loi» ont été promulgués.
La procédure relative au régime d’exception est régie par la loi
sur l’état d’urgence de 1983. Ces décrets-lois d’urgence doivent
être approuvés par le parlement (la Grande Assemblée nationale), mais
selon la Commission de Venise, compte tenu des délais, le contrôle
parlementaire a perdu de son efficacité. Le gouvernement a ainsi
légiféré pendant plus de deux mois en l’absence de tout contrôle
du parlement et de la Cour constitutionnelle
.
60. De l’avis de la Commission de Venise, en promulguant des décrets-lois
d’urgence, le gouvernement «a interprété ses pouvoirs extraordinaires
de manière trop large» et adopté des mesures «allant au-delà de
ce que permet la Constitution turque et le droit international».
Ces mesures à caractère permanent «s’étendent au-delà d’un état
d’urgence temporaire et le gouvernement a apporté à la législation
plusieurs modifications structurelles qui devraient normalement
être entreprises dans le cadre du processus législatif ordinaire,
en dehors de la période d’état d’urgence». La Commission de Venise
a recommandé que la Cour constitutionnelle se prononce sur la constitutionnalité
des décrets-lois d’urgence, une fois ces derniers approuvés par
le parlement,
in abstracto et
in concreto. Elle a également exprimé
ses craintes quant à l’absence apparente d’accès à la justice pour
les fonctionnaires qui ont été limogés sur la base des décrets-lois
et a soutenu la proposition du Secrétaire Général du Conseil de
l’Europe de créer un organe indépendant ad hoc chargé d’examiner
ces cas
. En vertu du décret-loi no 685
du 23 janvier 2017, une Commission d’enquête sur les mesures de
l’état d’urgence a été établie le 17 juillet 2017 et saisie de premières
requêtes depuis. L’exécutif nomme cinq des sept membres de la commission,
dont les décisions font l’objet d’un contrôle judiciaire
.
61. Le système judiciaire est considéré comme l’une des institutions
de l’État les plus «infiltrées». Le 16 juillet 2016, le Conseil
supérieur des juges et des procureurs (HSYK) a tenu une réunion
extraordinaire et décidé de relever de leurs fonctions 2 745 juges
et de révoquer cinq de ses propres membres
. D’autres renvois
ont été décidés en vertu de l’article 3 du décret-loi no 667
du 23 juillet 2016. Deux juges de la Cour constitutionnelle, M. Alparslan
Altan et M. Erdal Tercan, ont été démis de leurs fonctions sur cette
base (après avoir été placés en détention le 16 juillet 2016), au
même titre que de nombreux autres juges travaillant à tous les niveaux
de juridiction. Selon les estimations, plus de 4 000 juges et procureurs,
c’est-à-dire un quart de leurs effectifs, ont été révoqués et quelque
2 400 arrêtés; certains d’entre eux sont désormais détenus dans des
prisons surpeuplées ou placés à l’isolement
. L’Association des juges et
des procureurs (YARSAV, membre de l’Association européenne et de
l’Union internationale des magistrats) a également été dissoute
par décision du gouvernement et plusieurs des membres de son conseil
ont été arrêtés, notamment son président, M. Murat Arslan, placé
en détention le 19 octobre 2016. En décembre 2016, l’Assemblée générale
du Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) a suspendu
le statut d’observateur du HSYK. Selon certaines sources, 800 à
900 juges nouvellement nommés ont des liens directs avec le Parti
de la justice et du développement (AKP), au pouvoir
.
62. Les révocations et arrestations massives de juges ont souvent
eu lieu en l’absence de toute accusation individualisée. De nombreux
juges ont été démis de leurs fonctions puis placés en détention
sur décision des juges de paix statuant en matière pénale qui sont
uniquement habilités à superviser les mesures conservatoires prises
au stade de l’enquête et ne sont pas compétents pour prendre des
mesures de privation de liberté à l’égard d’autres juges
. Comme
l’a souligné la Commission de Venise, toute révocation au sein du
système judiciaire ou des organes de régulation de celui-ci «devrait
faire l’objet d’un examen particulièrement rigoureux, même en période
de grave danger public», car «les juges représentent une catégorie
spéciale de fonctionnaires dont l’indépendance est garantie aux
niveaux constitutionnel et international». Ces révocations peuvent
affaiblir le système judiciaire dans son ensemble, tout en ayant
un ‘effet dissuasif’ chez les autres juges qui pourraient alors
se montrer «réticents à l’idée d’abroger des mesures adoptées en
vertu des décrets-lois d’urgence, de crainte de faire eux-mêmes
l’objet de mesures semblables»
.
63. Dans sa décision rendue le 10 mars 2017 dans l’affaire
Çatal c. Turquie concernant
la révocation par le HSYK de la requérante, une ancienne juge, la
Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que la requérante
aurait dû contester sa révocation devant le Conseil d’État (sur
la base du décret-loi no 685
du 2 janvier 2017) et le cas échéant, devant la Cour constitutionnelle.
Par conséquent, la Cour a déclaré la requête irrecevable pour non-épuisement
des voies de recours internes. Il sera intéressant de suivre la
future jurisprudence de la Cour dans des affaires similaires.
64. Le 21 janvier 2017, la Grande Assemblée nationale turque a
adopté le texte des amendements constitutionnels soumis au peuple
par référendum le 16 avril 2017. Les résultats du scrutin ont été
vivement contestés. Auparavant déjà, la Commission de Venise avait
exprimé ses préoccupations quant aux circonstances dans lesquelles
les modifications de la Constitution ont été adoptées par le parlement:
le président et huit autres députés du deuxième parti d’opposition
par la taille, le HDP, étaient en détention préventive, l’immunité
de nombreux parlementaires avait été levée en mai 2016, la règle
du vote à bulletin secret n’a pas été parfaitement respectée au
cours du vote et malgré des débats extrêmement longs, la procédure
a été bouclée très rapidement, les amendements ayant été adoptés
en 12 jours. Par ailleurs, l’adoption de la révision de la Constitution
et le référendum lui-même ont eu lieu au cours de la prolongation de
l’état d’urgence. La Commission de Venise a estimé «extrêmement
douteux que le référendum constitutionnel prévu pour le 16 avril
2017 puisse satisfaire aux principes démocratiques de la tradition démocratique
européenne»
.
65. Les modifications, dont la plupart prendront effet après la
prochaine élection présidentielle prévue en 2019, engendrent une
réforme constitutionnelle extrêmement vaste, passant d’un régime
parlementaire à ce que les autorités turques ont elles-mêmes qualifié
de système présidentiel «à la turque». Selon la Commission de Venise,
la révision «ne s’inscrit pas dans la logique de la séparation des
pouvoirs qui caractérise les régimes présidentiels démocratiques»
et conduit à «une concentration excessive des pouvoirs exécutifs
sur la fonction présidentielle et à l’affaiblissement du contrôle
exercé sur cette dernière par le parlement»
. La Commission de Venise énumère un
certain nombre de préoccupations à cet égard, en particulier
:
- le
Président pourra nommer et révoquer les ministres ainsi que les
hauts représentants de l’État sur la base de critères qu’il sera
seul à fixer (il n’y aura ni Premier ministre, ni gouvernement collégial);
- il pourra choisir un ou plusieurs vice-présidents;
- le Président, les vice-présidents et les ministres ne
pourront être amenés à rendre des comptes que par la procédure de
destitution (il n’y aura pas de possibilité d’interpellation; seules
les questions écrites seront autorisées);
- les élections présidentielles et législatives seront obligatoirement
synchronisées;
- le Président pourra dissoudre le parlement pour quelque
raison que ce soit;
- le Président aura la possibilité d’obtenir un troisième
mandat, sous certaines conditions;
- il pourra promulguer des décrets présidentiels sur des
questions liées au pouvoir exécutif, sans que l’approbation du parlement
soit requise, et sera seul à déclarer l’état d’urgence.
66. Les modifications apportées à la Constitution renforcent aussi
le contrôle exercé par l’exécutif sur la justice, en conférant au
Président le pouvoir de nommer six des 13 membres du Conseil supérieur
des juges et des procureurs, dont le ministre de la Justice et son
sous-secrétaire. Les sept autres membres seront nommés par le parlement.
Ainsi, plus aucun membre du Conseil ne sera élu par ses pairs. La
Commission de Venise a rappelé que «un conseil de la magistrature
doit contenir une proportion substantielle de juges désignés par
leurs pairs». Suite aux modifications, «si le parti du Président
(…) possède une majorité d’au moins trois cinquièmes des sièges
[de la Grande Assemblée nationale], il sera en mesure de pourvoir
tous les sièges du Conseil» Cela «compromettra[it] gravement» l’indépendance
de la justice, du fait que le HSYK est le «principal organe de gestion
autonome de la justice, chargé des nominations, des promotions,
des transferts, des mesures disciplinaires et de la révocation des
juges et des procureurs»
.
Les modifications prévoient l’élection du HSYK dans les trente jours
suivant leur entrée en vigueur. Dès lors, le 7 juin 2017, les nouveaux
membres du HSYK – quatre désignés par le Président et sept par le
parlement – ont prêté serment
.
3.5. Pologne
67. À l’issue des élections générales
tenues le 25 octobre 2015, le parti «Droit et justice» (PiS) a recueilli 37,6 %
des voix, obtenant ainsi 235 sièges sur 460 au sein du Sejm (la
chambre basse du Parlement polonais), et 61 sièges sur 100 au Sénat.
Depuis le début de la transformation démocratique en 1989, c’est
la première fois qu’un parti obtient en Pologne la majorité absolue
au Sejm. Les élections générales ont été précédées en mai 2015 par
une élection présidentielle qui a vu la victoire du candidat du
PiS, M. Andrzej Duda. Le PiS a considéré que cette victoire électorale
lui conférait un mandat clair pour réformer le système politique
ainsi que le système judiciaire. Très rapidement, certaines des
réformes engagées par la nouvelle majorité ont suscité les préoccupations
de l’Union européenne, à laquelle la Pologne a adhéré en mai 2004,
et du Conseil de l’Europe. La commission de suivi de l’Assemblée
examine actuellement la situation de la Pologne et ses corapporteurs
préparent un rapport sur «Le fonctionnement des institutions démocratiques
en Pologne». Sans vouloir faire double emploi avec leurs travaux,
il me faut souligner un certain nombre de points qui, à mon sens, ne
sont pas conformes aux principes de l’État de droit dans un État
démocratique. J’évoquerai par conséquent la «crise constitutionnelle»
et la réforme du système judiciaire.
68. Peu de temps après le scrutin législatif, le PiS a contesté
l’élection de cinq juges (sur 15) du Tribunal constitutionnel le
8 octobre 2015 par le précédent Sejm, à la suite d’un amendement
adopté par l’ancienne majorité parlementaire dirigée par le parti
Plateforme Civique (PO). Le parlement sortant a ainsi pu remplacer les
juges du Tribunal constitutionnel dont le mandat venait à expiration
en novembre et décembre 2015. Ceci a donné lieu à ladite «crise
constitutionnelle», dont les détails ont été expliqués de manière
approfondie dans la note d’information des rapporteurs de la commission
de suivi
et dans le rapport
de notre collègue de la commission, M. Philippe Mahoux (Belgique,
SOC), relatif à la «Liste des critères de l'État de droit de la Commission
de Venise»
. À deux occasions,
la Commission de Venise a émis des avis sur les modifications consécutives
de la loi sur le Tribunal constitutionnel votées par le nouveau
parlement
. Les recommandations de la Commission
de Venise n’ont pas été intégralement suivies par le Sejm, qui a
modifié la loi sur le Tribunal constitutionnel à trois reprises
entre novembre 2015 et juillet 2016. Au cours de cette «crise»,
la Première ministre a refusé de publier deux décisions du Tribunal
constitutionnel (du 9 mars et du 11 août 2016), bien que l’article
190, paragraphe 2, de la Constitution polonaise prévoie la publication
de ces décisions au
Journal officiel.
Finalement, la nouvelle législation relative au Tribunal constitutionnel
(la loi sur l’organisation et la procédure devant le Tribunal constitutionnel
et la loi sur le statut des juges du Tribunal constitutionnel du
30 novembre ainsi que la loi sur les dispositions transitoires du
13 décembre 2016) est entrée en vigueur le 13 décembre 2016; elle
n’a pas été évaluée par la Commission de Venise. La crise constitutionnelle
a engendré une situation dans laquelle les cinq juges élus par le
Sejm précédent («les juges d’octobre») ont été remplacés par des
juges élus par le nouveau Sejm («les juges de décembre»). Alors
que le Sejm avait également invalidé l’élection des «juges d’octobre»,
le Tribunal constitutionnel a estimé que seuls deux d’entre eux
avaient été élus en violation de la Constitution. Néanmoins, les
trois autres «juges d’octobre» n’ont pas été habilités à prendre
leurs fonctions, en raison principalement du refus du Président
de la République de les assermenter, et ce malgré les critiques
de la Commission de Venise
. Trois «juges de décembre» ont été autorisés
à statuer en décembre 2016 par la nouvelle Présidente du Tribunal constitutionnel,
Mme Julia Przyłębska, dont l’élection
avait été boycottée par sept juges. De ce fait, la composition actuelle
du Tribunal constitutionnel soulève un problème quant à la validité
de ses décisions et au principe de sécurité juridique. Depuis le
début de la crise, le nombre de questions juridiques soumises par
les juridictions ordinaires au Tribunal constitutionnel a considérablement
diminué et le Conseil national de la magistrature (
Krajowa Rada Sądownictwa – KRS)
a décidé de ne pas recourir à cette voie de droit
.
69. Il convient de souligner que selon l’actuelle Constitution
polonaise de 1997 (article 194, paragraphe 1) les juges du Tribunal
constitutionnel sont élus par le Sejm à la majorité simple, ce qui,
dans une situation où un parti détient la majorité, fait naître
un risque de politisation de ces élections. La Commission de Venise
a recommandé «de modifier à plus longue échéance la Constitution,
afin d’y inscrire l’obligation de majorité qualifiée pour l’élection
des juges au Tribunal constitutionnel par le Sejm, en l’assortissant
d’un mécanisme qui permettra d’éviter efficacement les situations
d’impasse»
. Comme l’a souligné lors de l’audition
du 27 avril 2017 M. Jean-Claude Scholsem, membre suppléant de la
Commission de Venise, qui a pris part à la rédaction des deux avis,
le travail sur ce dossier a été d’une complexité extrême du point
de vue juridique, politique et humain. En raison de la crise constitutionnelle
en Pologne, la Commission européenne a déclenché pour la première
fois son nouveau mécanisme au titre du «cadre de l’État de droit»
et a conclu, dans ses recommandations du 27 juillet 2016 et du 21
décembre 2016, à une «menace systémique envers l'État de droit»
.
70. La durée excessive des procédures est un problème chronique
en Pologne depuis près de deux décennies, qui a donné lieu à plus
de 400 conclusions similaires de la Cour européenne des droits de
l’homme depuis 1998
. Les mesures prises
par les autorités polonaises pour le résoudre ont fait l’objet d’une surveillance
constante de la part du Comité des Ministres au titre de l’article
46.2 de la Convention
. Cependant,
la réforme du système judiciaire récemment proposée, initiée par
le parti au pouvoir et prétendument nécessaire pour améliorer l’efficacité
des tribunaux et renforcer la confiance de la population dans la
justice, qui n’a pas été réformée en profondeur depuis la chute
du régime communiste, a suscité de nombreuses controverses. Le 12
juillet 2017, le parlement a adopté deux lois – l’une modifiant
la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et l’autre
portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature.
Le 20 juillet 2017, à l’initiative d’un groupe de députés du PiS,
il a adopté une nouvelle loi sur la Cour suprême. Ces mesures ont
déclenché de nombreuses critiques tant au plan national
qu’international
et provoqué
des manifestations d’envergure à Varsovie et dans de nombreuses
villes polonaises. Le Président Duda a signé la première loi le
25 juillet 2017, mais a annoncé le lendemain qu’il opposerait son
veto aux deux autres. Les deux lois ont pour l’heure été renvoyées
devant le Sejm et le processus législatif est suspendu, dans l’attente
des propositions du Président, qui s’est donné un délai de deux
mois.
71. Plusieurs raisons peuvent expliquer les critiques formulées
à l’encontre des lois auxquelles le Président a opposé son veto.
Les amendements à la loi sur le Conseil national de la magistrature,
sont, avant toute chose, jugés contraires à la Constitution. L’article
187 de la Constitution régit clairement la composition de ce Conseil,
disposant que sur ses 25 membres, 15 sont élus par les juges. Selon
la nouvelle loi, le pouvoir de nommer les 15 juges membres du Conseil
sera transféré du système judiciaire au Sejm. Le nouveau Conseil national
de la magistrature serait formé de deux assemblées, l’une composée
de juges et l’autre de personnes nommées par le pouvoir politique;
toute décision concernant la nomination d’un juge nécessiterait
l’accord des deux assemblées et aucun mécanisme destiné à éviter
les blocages n’a été envisagé. Par ailleurs, la loi prévoit également
de mettre fin aux mandats de l’ensemble des juges siégeant actuellement
au sein du Conseil national de la magistrature.
72. La nouvelle loi sur la Cour suprême, qui vise principalement
à restructurer cette juridiction et à établir une chambre disciplinaire
pour les juges, contient une disposition sur la base de laquelle
tous les juges siégeant actuellement à la Cour suprême seraient
mis d’office à la retraite le lendemain de l’entrée en vigueur de
la loi, à l’exception de certains, désignés arbitrairement par le
ministre de la Justice.
73. La loi modifiant la loi sur l’organisation des juridictions
de droit commun, entrée en vigueur le 12 août 2017
,
contient quant à elle des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires
à l’encontre des juges, régissant leur retraite et l’introduction
d’une procédure d’attribution aléatoire des affaires. Elle permet
au ministre de la Justice de désigner les présidents et vice-présidents
de l’ensemble des tribunaux ordinaires sans que les assemblées générales
de ces tribunaux n’aient à se prononcer sur les candidats. Par ailleurs,
le ministre de la Justice sera habilité à les démettre de leurs
fonctions pour un nouveau motif, en l’occurrence «le constat que
le président s’acquitte de façon particulièrement inefficace de
sa mission de supervision administrative ou d’organisation des travaux
au sein du tribunal qu’il préside ou des juridictions subordonnées à
ce dernier» (selon l’article 27.1.3 de la loi amendée); toute démission
devrait être fondée sur un avis du Conseil national de la magistrature,
sachant que celui-ci n’aura de caractère contraignant qu’à condition
d’avoir été adopté à une majorité des deux tiers. Cependant, dans
les six mois après l’entrée en vigueur de la loi, le ministre de
la Justice pourra démettre de leurs fonctions les présidents et
vice-présidents des tribunaux sans consulter le Conseil national
de la magistrature
. Ces nouvelles dispositions
ont également fait l’objet de nombreuses critiques, car le ministre
de la Justice est également procureur général selon la nouvelle
loi relative au ministère public du 28 janvier 2016, actuellement
en cours d’évaluation par la Commission de Venise. De plus, la nouvelle
loi prévoyant un âge de retraite différent pour les juges femmes
(60 ans) et les juges hommes (65 ans), le 29 juillet 2017, la Commission
européenne a entamé une procédure d’infraction à l’encontre de la
Pologne
.
74. Cette initiative vient compléter le Dialogue sur l’État de
droit, mentionné précédemment et engagé par la Commission européenne
en janvier 2016, y compris la toute dernière recommandation concernant
l’État de droit du 26 juillet 2017, adoptée par la Commission européenne
en réaction à la réforme prévue du système judiciaire. La Commission
européenne a été particulièrement préoccupée par la révocation prévue
de l’ensemble des juges de la Cour suprême, a estimé que cette réforme
«accroît la menace systémique pesant sur l'État de droit» et demandé
aux autorités polonaises de remédier à ces problèmes dans un délai
d’un mois
.
4. Conclusions
75. Bien que le Conseil de l’Europe
ait élaboré maintes recommandations concernant le respect de l’État
de droit et plus particulièrement l’indépendance de la justice,
ses organes ont toujours pris en compte la diversité des systèmes
et des approches juridiques de la séparation des pouvoirs. Il est
souligné dans la Liste des critères de l'État de droit de la Commission
de Venise, que «les éléments contextuels de l’État de droit ne se limitent
pas à la dimension juridique» et qu’il convient de prendre en considération
des facteurs tels que la présence (ou l’absence) d’une culture politique
et juridique commune au sein d’une société
.
Ainsi, il n’est pas toujours évident de conclure à la violation
ou non du principe d’État de droit dans un pays donné. Cela étant,
les exemples examinés dans ce rapport illustrent quelques faits
nouveaux intervenus dans certains États membres du Conseil de l’Europe
qui confirment l’aggravation des menaces pesant sur l’État de droit
et l’exposition particulière au risque de ses composantes telles
que la légalité, la sécurité juridique, l’interdiction de l’arbitraire
et l’accès à la justice. Cette évolution est principalement due
à la tendance à limiter l’indépendance du système judiciaire par
le biais de tentatives de politisation des conseils de la magistrature et
des tribunaux (principalement en Bulgarie, Pologne et Turquie),
de révocations massives de juges et de procureurs (Turquie) ou de
démarches en ce sens (Pologne). On relève également certaines tendances
visant à restreindre le pouvoir législatif du parlement (République
de Moldova, Roumanie et Turquie) ainsi qu’à la corruption, qui pose
un défi majeur à l’État de droit et reste un phénomène largement
répandu en Bulgarie, en République de Moldova et en Roumanie.
76. J’aimerais rappeler certains principes de base découlant des
activités des organes du Conseil de l’Europe. Dans son avis sur
«Nominations judiciaires», la Commission de Venise a relevé que
dans certaines démocraties plus anciennes, on trouve des systèmes
dans lesquels le pouvoir exécutif a une forte influence sur les
nominations judiciaires; ces systèmes fonctionnent parce que l’exécutif
est limité par la culture et les traditions juridiques, qui se sont
développées au fil des décennies. Dans les nouvelles démocraties,
des dispositions constitutionnelles explicites sont nécessaires
pour empêcher les abus politiques qui pourraient être commis par
les autres pouvoirs de l’État à l’occasion de la nomination des
juges. Beaucoup de pays européens ont instauré un conseil de la
magistrature jouant un rôle dans la nomination des magistrats. Bien qu’il
n’existe pas de modèle normalisé pour ces organes, la Commission
de Venise a souligné «qu’une partie importante ou la majorité des
membres du Conseil de la magistrature devrait être élue par les
magistrats eux-mêmes». Dans sa Recommandation CM/Rec(2010)12, le
Comité des Ministres est allé encore plus loin, estimant qu’«[a]u
moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges
choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire
(…)» (paragraphe 27). La Commission de Venise a également recommandé
que les membres d’un conseil de la magistrature ne soient pas des
parlementaires actifs et s’est déclarée fermement favorable à une
majorité qualifiée pour l’élection de sa composante parlementaire
.
77. Concernant la révocation des juges, la Recommandation CM/Rec(2010)12
a rappelé, dans ses paragraphes 49 et 50, que «[l]’inamovibilité
constitue un des éléments clés de l’indépendance des juges» et que
«les juges devraient être inamovibles tant qu’ils n’ont pas atteint
l’âge obligatoire de la retraite»; «leur terme de fonctions devrait
être établi par la loi» et «il ne devrait être mis fin à une nomination
définitive qu’en cas de manquement grave d’ordre disciplinaire ou
pénal établi par la loi, ou lorsque le juge ne peut plus accomplir
ses fonctions judiciaires», ou encore en cas de départ anticipé
à la retraite, décidé sous certaines conditions.
78. Concernant les procureurs, leur «indépendance» est d’une nature
différente de celle des juges et il n’existe aucune norme commune
qui l’exige; cependant, dans son rapport de 2010 sur le ministère
public, la Commission de Venise a donné certaines indications sur
la façon de protéger les services de poursuite des influences externes
.
79. Je suis particulièrement préoccupé par la situation en Turquie,
où les développements récents menacent non seulement le principe
d’État de droit, mais nuisent aussi à la démocratie et violent les
droits de l’homme de nombreuses personnes. Cette évolution témoigne
d’une incompatibilité flagrante avec les valeurs du Conseil de l’Europe.
J’exhorte les autorités turques à se conformer aux normes du Conseil
de l’Europe à cet égard, et notamment à reconsidérer les derniers
amendements constitutionnels, à lever l’état d’urgence, à veiller
à l’approbation des décrets-lois par le parlement, à réexaminer
la révocation des juges et des procureurs conformément à l’article
6 de la Convention européenne des droits de l’homme et aux recommandations susmentionnées
de la Commission de Venise et à la Recommandation CM/Rec(2010)12
(voir paragraphes 75-76 ci-dessus), à remettre en liberté les parlementaires
de l’opposition et à poursuivre leur coopération avec le Conseil
de l’Europe au travers de ses organes statutaires et ses instances
spécialisées.
80. Concernant la Pologne, j’appelle les autorités polonaises
à s’abstenir de toute réforme susceptible de menacer le respect
de l’État de droit, et notamment le fonctionnement du Conseil national
de la magistrature et l’indépendance du système judiciaire et des
procureurs. Je les encourage par ailleurs à tirer parti des normes
pertinentes du Conseil de l’Europe et à coopérer pleinement avec
ses organes, notamment à respecter la Recommandation CM/Rec (2010)12
et à mettre en œuvre les recommandations de la Commission de Venise.
La situation actuelle du Tribunal constitutionnel devrait également
être revue à la lumière des recommandations des organes internationaux
afin de garantir le respect plein et entier des principes de légalité et
de sécurité juridique. J’invite également le Parlement polonais
et l’ensemble des forces politiques du pays à se pencher plus avant
sur la révision de la Constitution de 1997, actuellement en vigueur.
81. S’agissant de la Bulgarie, de la République de Moldova et
de la Roumanie, j’invite les autorités à redoubler d’efforts pour
combattre la corruption, garantir la séparation des pouvoirs et
renforcer l’indépendance du système judiciaire à la lumière des
recommandations susmentionnées de la Commission de Venise et de
la Recommandation CM/Rec(2010)12. Elles devraient continuer de faire
appel à l’expertise des organes pertinents du Conseil de l’Europe,
notamment le GRECO et la Commission de Venise. La Bulgarie et la
Roumanie ont fait des efforts considérables pour se conformer aux
normes du Conseil de l’Europe et aux critères fixés par l’Union
européenne dans le cadre du MCV et devraient persévérer dans cette voie.
De même, la République de Moldova devrait poursuivre la mise en
œuvre des réformes globales résultant des exigences liées à son
adhésion à notre Organisation et à son Accord d’association avec
l’Union européenne. Un «État capté», par définition, ne respecte
pas les principes d’État de droit et de démocratie.
82. L’Assemblée devrait faire preuve de vigilance face à toute
nouvelle menace posée à l’État de droit dans les États membres du
Conseil de l’Europe et réagir rapidement, au besoin, en recourant
à la procédure de suivi ou à toute autre procédure jugée appropriée.
Elle devrait également encourager tous les États membres du Conseil
de l’Europe à promouvoir une culture politique et juridique favorisant
la mise en œuvre du concept d’État de droit.