1. Introduction
1. Chaque jour, des enfants naissent
avec un corps dont les caractéristiques sexuelles ne sont pas exclusivement
masculines ou féminines. On apprend bien trop souvent aux personnes
intersexes à vivre dans la honte de leur corps et à cacher la réalité
de leurs caractéristiques biologiques. Les nourrissons et les enfants intersexes
font fréquemment l’objet d’interventions chirurgicales irréversibles
et extrêmement invasives sans y avoir donné leur consentement éclairé,
et les personnes intersexes de tous âges voient leurs droits fondamentaux
bafoués et subissent des discriminations dans de nombreux aspects
de leur vie quotidienne. La législation visant à lutter contre la
discrimination et à promouvoir l’égalité ne couvre pas toujours
de manière efficace les besoins des personnes intersexes; ces dernières
se heurtent à des problèmes d’état civil et de reconnaissance juridique
de leur genre et, lorsqu’il existe une législation qui protège leurs
droits, les conditions ne sont pas toujours réunies pour assurer
sa mise en œuvre effective.
2. Les estimations relatives au nombre de personnes intersexes
varient de 1/1 500-2 000 (chiffre qui englobe uniquement les personnes
identifiées comme intersexes à la naissance) à plus de 1,7/100
.
La population est néanmoins très peu au fait de la situation de
ces personnes et les préjugés et l’ignorance viennent accentuer
les inégalités auxquelles elles sont confrontées.
3. Il me paraît essentiel d’adopter une vision globale des difficultés
que rencontrent les personnes intersexes. Au-delà des considérations
d’ordre médical, certes très importantes, il nous faut également
tenir compte de l’ensemble des questions de droits de l’homme qui
concernent ces personnes – ce qui inclut évidemment le droit à l’intégrité
physique et les questions relatives au consentement éclairé, mais
aussi, par exemple, la reconnaissance juridique du genre et l’inscription
à l’état civil, la dignité humaine et le droit de ne pas subir de
discriminations.
4. Les droits humains sont universels et leur jouissance ne doit
jamais dépendre des caractéristiques sexuelles de la personne. La
décision prise par l’Assemblée parlementaire d’élaborer un projet
de résolution sur la promotion des droits humains et l’élimination
des discriminations à l’égard des personnes intersexes dans toute
l’Europe est donc particulièrement bienvenue. J’espère, par mon
rapport, sensibiliser plus largement le public aux enjeux et aider
les États membres à adopter une démarche visant à mettre fin aux violations
des droits fondamentaux et aux discriminations subies par les personnes
intersexes.
5. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, j’ai effectué
une visite d’information à Malte les 23 et 24 février 2017. Je tiens
à remercier les autorités de Malte pour l’assistance apportée en
vue de rendre cette visite instructive et utile. Je tiens également
à remercier le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
Nils Muižnieks, d’avoir exposé devant notre commission le 28 janvier 2016
son document thématique «Droits de l’homme et personnes intersexes»
ainsi que les orateurs qui ont accepté, à l’invitation de notre commission,
de participer aux auditions tenues le 21 mars 2017 à Paris et le
29 juin 2017 à Strasbourg et qui ont généreusement donné de leur
temps et mis à disposition leur expérience pour éclairer nos travaux.
Enfin, je souhaite remercier les professionnels de santé que j’ai
rencontrés pour discuter de mon travail et qui ont fourni des conseils
avisés et prudents pour la préparation de ce rapport.
2. Terminologie
6. Les personnes intersexes naissent
avec des caractéristiques sexuelles biologiques (par exemple, des caractéristiques
génitales, hormonales ou chromosomiques) qui ne correspondent pas
aux normes sociales ou aux définitions médicales de ce qui fait
qu’une personne est de sexe masculin ou féminin. Parfois, ces caractéristiques
sont détectées à la naissance; dans d’autres cas, elles ne deviennent
apparentes que plus tard au cours de la vie, notamment au moment
de la puberté. Si les situations sont diverses et variées, ces variations
ou différences en matière de développement sexuel surviennent naturellement
et la majorité des personnes intersexes sont en bonne santé physique.
Seules quelques-unes sont atteintes d’affections médicales mettant
en danger leur santé
.
7. L’emploi du terme «intersexe» fait débat. Depuis la déclaration
publiée en 2006 à l’issue de la Conférence de consensus de Chicago,
le corps médical parle principalement de «troubles», «anomalies»
ou «désordres» du développement sexuel, considérant d’autres termes
en usage (y compris «intersexe») comme trop controversés, voire
péjoratifs
.
Toutefois, de nombreux militants intersexes rejettent cette terminologie, car
elle laisse notamment entendre que leur corps présente un défaut
à corriger. Certaines sources ont cherché à trouver un langage plus
neutre et ont proposé par exemple l’expression «variations du développement
sexuel»
. Pour
ma part, je privilégierai le terme «intersexe» dans le présent rapport
car c’est aujourd’hui le terme le plus couramment employé par les
militants directement concernés et par la communauté internationale
.
Notons toutefois que la terminologie est en constante évolution.
Le nouveau terme «variations des caractéristiques sexuelles», que
j’ai également employé dans ce rapport, est clair, neutre et purement
descriptif. Son emploi pourrait devenir de plus en plus courant
à l’avenir.
3. Biologie
8. Une multitude de caractéristiques
entrent en ligne de compte dans l’assignation sexuelle. Les caractéristiques
sexuelles primaires sont celles qui sont présentes à la naissance:
chromosomes; gonades (ovaires et testicules, qui produisent les
gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes) et les hormones sexuelles influant
sur le développement sexuel ultérieur); hormones (œstrogènes, progestérone,
testostérone, etc.); organes génitaux externes (lèvres, clitoris,
vagin, pénis, scrotum) et organes génitaux internes (utérus). Les caractéristiques
sexuelles secondaires sont celles qui se développent à la puberté,
comme les seins, la barbe et les poils pubiens, la pomme d’Adam,
la masse musculaire, la stature et la répartition des graisses.
9. Les notions fondamentales de biologie nous apprennent que
l’être humain possède 23 paires de chromosomes, dont l’une – XX
ou XY – détermine le sexe (féminin ou masculin) de la personne.
La réalité est cependant bien plus complexe. D’une part, les combinaisons
chromosomiques peuvent varier; autrement dit, le sexe génétique
d’une personne n’est pas toujours évident. D’autre part, le sexe
biologique d’une personne n’est pas uniquement déterminé par les
chromosomes. Jusqu’à la septième semaine de grossesse environ, l’appareil
génital du fœtus est indifférencié. La manière dont les organes
génitaux externes et internes se développent par la suite in utero, et la manière dont les
caractéristiques sexuelles secondaires se développent au cours de
l’enfance et de la puberté, dépendent des types et des quantités
d’hormones produites par l’organisme de chacun et de la réceptivité
de celui-ci à ces hormones.
10. Le terme «intersexe» englobe ainsi une grande variété de situations
et d’expériences vécues. Une personne intersexe peut avoir un sexe
génétique différent de ses autres caractéristiques sexuelles
,
posséder à la naissance des organes génitaux externes habituellement
associés au sexe féminin, mais développer au fil de sa croissance
des caractéristiques sexuelles secondaires plus souvent associées
au sexe masculin (présence plus importante de poils pubiens et/ou
corps particulièrement musclé par exemple)
, présenter une absence
de tissu gonadique ou un tissu insuffisamment développé («gonades
dysgénétiques»)
ou encore posséder
des organes génitaux présentant des caractéristiques habituellement
associées au sexe féminin et d’autres habituellement associées au
sexe masculin
.
11. L’hypospadias (localisation de l’orifice urétral à la face
inférieure du pénis et non à son extrémité) peut également être
associé à des formes d’intersexualité comme le syndrome d’insensibilité
aux androgènes (SICA). La question de savoir si l’hypospadias devrait
être considéré en soi comme une forme d’intersexualité fait actuellement
débat. De mon point de vue, il est essentiel de l’inclure dans le
présent rapport, non seulement parce qu’il peut concerner des personnes
intersexes, mais aussi parce qu’il pose des questions médicales
et éthiques de même nature (notamment celle de savoir, mais j’y
reviendrai plus loin, si la chirurgie non vitale pratiquée sur les
organes génitaux des nourrissons et des enfants sans leur consentement
est acceptable)
.
12. Enfin, il convient de bien distinguer l’intersexualité – qui
est uniquement une question de biologie – de l’orientation sexuelle
ou de l’identité de genre: les personnes intersexes peuvent avoir
n’importe quelle identité de genre (masculine, féminine, intersexe,
non binaire, neutre, indéterminée, etc.) et n’importe quelle orientation
sexuelle, puisque celles-ci sont distinctes des caractéristiques
sexuelles.
4. Approches
médical(isé)es des personnes intersexes, de leur corps et de leurs
droits
13. Parce que leur corps présente
des différences biologiques par rapport à celui des personnes que
l’on peut facilement classer en tant que personnes de sexe masculin
ou féminin, et parce que le corps médical est souvent le premier
à diagnostiquer l’intersexualité d’une personne, les personnes intersexes
sont souvent considérées comme ayant un «problème» médical qu’il
convient de «réparer». Des interventions intrusives et irréversibles,
y compris des traitements hormonaux, sont pratiquées sur les corps
des enfants intersexes sans leur consentement et en violation du
principe fondamental selon lequel les interventions dans le domaine
de la santé ne doivent être pratiquées que sous réserve d’obtenir
le consentement libre et éclairé de la personne concernée. Par ailleurs,
peu de personnes intersexes souhaitent une telle «réparation» de
leur corps.
4.1. Origines
et évolution de la pratique médicale moderne
14. À partir du milieu du XXe siècle
environ, il est devenu d’usage dans le milieu médical de réaliser
des interventions chirurgicales dites de «normalisation sexuelle»
(réductions du clitoris, vaginoplasties, gonadectomies, repositionnement
de l’ouverture de l’urètre à l’extrémité du pénis, etc.
) sur les enfants nés avec des organes
génitaux externes ne correspondant pas parfaitement aux stéréotypes
masculin ou féminin, afin de les rendre conformes en apparence à
l’un ou à l’autre sexe
. Des traitements hormonaux étaient administrés
par la suite pour faire correspondre les caractéristiques sexuelles
secondaires au genre assigné par l’intervention chirurgicale. Parallèlement,
on conseillait aux parents d’élever l’enfant selon ce genre
.
15. Ces protocoles se sont développés au XXe siècle
avec l’évolution des techniques chirurgicales permettant de rendre
les caractéristiques physiques d’un adulte conformes à son identité
de genre. Dans les années 1940, de plus en plus d’interventions
chirurgicales ont été pratiquées sur des enfants intersexes plus âgés,
à la demande des parents. Des études menées dans les années 1950
ont cependant mis en évidence des signes de profonds traumatismes
psychologiques chez les enfants intersexes ayant subi une opération
de «normalisation sexuelle» à l’initiative de leurs parents après
l’âge de trois ans, en particulier lorsque le sexe ainsi assigné
ne correspondait pas à leur identité de genre. C’est à cette époque
qu’a émergé un nouveau paradigme consistant à pratiquer ce type
d’opérations sur les nourrissons et les très jeunes enfants (âgés
de moins de trois ans).
16. On pensait alors qu’en donnant une apparence masculine ou
féminine «type» aux organes génitaux «ambigus» d’un enfant intersexe,
on éviterait à celui-ci d’être stigmatisé en raison de son physique.
On considérait également que les parents pouvaient orienter le développement
du genre de leur enfant en l’élevant dès son plus jeune âge selon
le sexe assigné par l’intervention chirurgicale, et le «façonner» conformément
à ce que la société attendait des personnes de ce sexe
. Dans ce contexte,
on est venu à considérer essentiel que l’opération intervienne à
un très jeune âge et que l’enfant ne soit pas informé des transformations
apportées à son corps. Conjuguée au fait que les parents élèveraient
l’enfant selon le sexe assigné par l’opération, cette approche était
censée favoriser un développement sexuel sain de l’enfant
. L’intervention chirurgicale poursuivait
également un autre objectif (susceptible de nécessiter d’autres interventions,
multiples et risquées, au cours de l’enfance), à savoir la facilitation
des rapports sexuels avec pénétration pénis-vagin, que l’on présumait
être la préférence de l’individu en matière d’activité sexuelle
.
17. Les opérations ainsi réalisées bouleversent toute une vie
et sont très invasives. Elles peuvent nécessiter des périodes d’hospitalisation
longues et répétées, avec notamment de multiples interventions sur
les organes génitaux, et peuvent entraîner des cicatrices hypertrophiques
et douloureuses. En outre, elles ont souvent pour conséquence la
stérilisation
. Par ailleurs,
en cas d’ablation des gonades, l’organisme n’est plus en mesure de
produire des hormones sexuelles. Si une telle opération intervient
à un jeune âge, la puberté ne se déroulera pas naturellement et
devra être stimulée par des traitements hormonaux, ce qui suppose
des visites fréquentes chez le médecin et d’autres examens médicaux
intrusifs réguliers
. Enfin, il n’est pas facile de trouver
la posologie correcte des traitements hormonaux de substitution
et le blocage des œstrogènes ou de la testostérone peut avoir d’autres
conséquences graves comme l’ostéoporose.
18. Toutes ces interventions ont généralement lieu à un très jeune
âge, quand l’enfant ne peut pas encore être consulté et souvent
alors même que sa vie n’est pas menacée – en d’autres termes, elles
sont pratiquées essentiellement pour des raisons esthétiques et
sociales
, sans but thérapeutique, et sont
inutiles
.
4.2. Persistance
des pratiques du passé
19. Certaines équipes médicales
sont aujourd’hui favorables à un report de toute forme de chirurgie
délicate et/ou irréversible jusqu’à ce que l’individu concerné soit
assez âgé pour prendre part à cette décision, et mettent en œuvre
cette approche dans la pratique. Néanmoins, comme cela a été souligné
lors de l’audition organisée par notre commission le 21 mars 2017,
aujourd’hui encore, d’autres médecins, tout en insistant sur l’évolution
des pratiques, reconnaissent que ce type d’opérations sont encore
réalisées, même lorsque la vie de l’enfant n’est pas menacée. Certains
médecins établissent un parallèle entre les enfants intersexes et
ceux nés avec une fente labiale, pour lesquels des arguments thérapeutiques
en faveur d’une intervention sont avancés alors qu’en réalité, celle-ci
répond davantage à des normes sociales qu’à une nécessité médicale.
Si une telle comparaison peut avoir un objectif légitime, les opérations
pratiquées sur les enfants intersexes sont bien plus lourdes, ont
des conséquences physiques et psychologiques à vie et nécessitent
souvent d’être répétées. Par ailleurs, leur bénéfice global n’a
jamais été clairement démontré
.
20. De nombreux professionnels de santé expliquent que la question
des personnes intersexes n’est guère abordée dans leur formation
médicale; bien que les études et articles remettant en cause la
nécessité d’une chirurgie précoce se multiplient dans les journaux
de médecine, ces éléments sont rarement enseignés dans les facultés
de médecine. Le manque de connaissances complètes et à jour contribue
à la persistance de paradigmes anciens.
21. Selon une étude publiée en 2016 sur les pratiques en vigueur
en matière de chirurgie esthétique des organes génitaux d’enfants
âgés de moins de 10 ans en Allemagne, 99 opérations de féminisation
ont été réalisées en moyenne chaque année de 2005 à 2014, le nombre
total de ces opérations n’affichant aucune tendance à la baisse.
Toujours de 2005 à 2014, les opérations de masculinisation (y compris
celles visant à «corriger» un hypospadias) se sont maintenues à
un niveau quasi constant, à plus de 1 600 opérations par an et ont
même légèrement augmenté en fin de période. Bien que les diagnostics
aient abandonné les catégories «classiques» d’intersexualité telles
que le «pseudo-hermaphrodisme» au profit d’intitulés tels que «malformation
non spécifiée des organes génitaux féminins/masculins», le nombre
d’opérations n’a pas diminué, malgré les déclarations des médecins
qui prétendent fréquemment le contraire
.
22. Une étude récente de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne (FRA) a montré que des opérations de (ré)assignation
sexuelle ou portant sur les organes génitaux sont pratiquées sur
des enfants et des jeunes intersexes dans au moins 21 États membres
de l’Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie,
Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Irlande,
Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni,
République slovaque, Suède et République tchèque). Aucune précision
n’a toutefois été donnée sur la fréquence de ces opérations. Il
y avait d’importantes variations d’un État à l’autre s’agissant
de la participation des enfants au consentement
. Afin d’établir une vision plus complète
de la pratique actuelle, je suis d’avis que tous les États membres
devraient tenir un registre de toutes les interventions pratiquées
sur les caractéristiques sexuelles des enfants, que celles-ci soient
envisagées ou non comme une «normalisation sexuelle» ou «alignement
sexuel».
23. Les protocoles décrits ci-dessus ont continué à être appliqués
malgré l’absence de données à long terme ou de suivi confirmant
leur innocuité et leurs bénéfices pour les patients. En substance,
cela signifie que les médecins ont mené des expériences sur les
enfants pendant des décennies. L’apparition ultérieure de preuves
considérables des dommages causés par ces protocoles n’a pas entraîné
de changement radical des pratiques bien établies consistant à réaliser
des opérations chirurgicales précoces et irréversibles des organes génitaux.
Au lieu d’y mettre un terme, on n’a changé que très légèrement d’approche,
se focalisant le plus souvent sur les moyens d’affiner les pronostics
concernant l’identité de genre de l’enfant et l’amélioration des techniques
chirurgicales
.
Les médecins hostiles à tout changement fondamental d’approche ont
rejeté les arguments de principe fondés sur le respect des droits
humains pour mettre l’accent sur la diversité des situations et
la nécessité de laisser les médecins libres de gérer chaque cas
individuellement
.
4.3. Conséquences
des opérations et traitements précoces de «normalisation sexuelle»
24. Un cas spécifique (connu depuis
sous le nom de «John/Joan») a joué un rôle décisif dans l’enracinement
de la pratique de la chirurgie précoce des organes génitaux. À la
fin des années 1990, une étude de suivi menée sur ce cas a révélé
que le résultat clinique à long terme était très différent de ce qu’affirmaient
les psychologues et que, par ailleurs, rien ne prouvait que l’intervention
chirurgicale immédiate constituait une pratique optimale
.
On sait maintenant qu’il n’existe aucun moyen de savoir quelle sera l’identité
de genre ou l’orientation sexuelle d’un enfant (qu’il soit biologiquement
de sexe masculin ou féminin ou intersexe) et que ni la chirurgie
ni l’éducation ne peuvent le déterminer.
25. Les témoignages apportés depuis la fin des années 1990 par
des personnes intersexes ayant subi les conséquences d’opérations
et de traitements hormonaux précoces d’assignation sexuelle ont
montré les effets dévastateurs de ces interventions sur la vie de
nombreuses personnes. Les conséquences physiques sont multiples
et associent interventions chirurgicales répétées, cicatrices irréversibles,
incontinence, infections chroniques des voies urinaires, effets
de la castration, déséquilibres hormonaux, ostéoporose, perte de sensations,
masculinisation/féminisation non désirée, rétrécissement/sténose
du vagin, procédures de dilatation. Sur le plan psychologique, on
note des souffrances, des troubles dépressifs, un sentiment d’avoir été
violé (en particulier chez les personnes ayant subi une procédure
de dilatation du vagin) et une augmentation des comportements d’automutilation
et comportements suicidaires
.
26. Quelques personnes intersexes dont les parents ont refusé
la chirurgie ont exprimé leur reconnaissance de ne pas avoir été
soumis à un traitement irréversible sans leur consentement
.
27. Les médecins continuent de déplorer l’absence d’études de
suivi à long terme de la situation tant des personnes intersexes
opérées dans leur (petite) enfance que de celles qui n’ont pas subi
d’intervention chirurgicale. Pour certains
médecins, le fait qu’une grande majorité des personnes ne se soient
jamais exprimées laisse penser qu’elles sont satisfaites du traitement
administré et de ses résultats. Les études au long cours se heurtent
au fait qu’on perd souvent la trace de ces personnes lorsqu’elles
grandissent, en particulier lorsque la transition entre les soins
pédiatriques et les soins aux adultes est mal gérée, ou parce qu’elles
évitent tout contact avec les médecins
.
28. En ce qui concerne le traitement prénatal, l’administration
non autorisée de dexaméthasone à la future mère pour réduire la
masculinisation des filles à risque de développer une hyperplasie
congénitale des surrénales (HCS), pratiquée à un stade précoce de
la grossesse avant de pouvoir effectuer les tests permettant de
déceler une HCS, a été vivement critiquée pour des motifs éthiques
; cette pratique a d’ailleurs été
abandonnée en Suède à la suite d’une étude ayant montré ses effets
négatifs (notamment, des troubles de la mémoire verbale de travail
chez les enfants non atteints de HCS exposés au médicament)
. D’autres sources font également
apparaître un risque accru de maladie cardiaque et de diabète à
la suite d’une exposition prénatale au dexaméthasone
.
4.4. Sentiment
de honte, culte du secret et pressions
29. Les personnes intersexes sont
souvent confrontées au secret, à la stigmatisation et à la honte.
Les examens sous toutes les coutures des enfants et leur exhibition
devant de multiples médecins et étudiants en médecine aggravent
leur sentiment de différence et de honte.
30. On recommande souvent aux enfants intersexes de ne jamais
parler de ce qu’ils vivent en dehors de cercles restreints, et il
peut être extrêmement difficile pour les personnes intersexes de
trouver une communauté. Lors de notre
audition du 21 mars 2017, j’ai été particulièrement touché par les
récits de Kitty Anderson et de Dan Christian Ghattas, qui ont évoqué
les conséquences d’années de mensonges et de secrets (de la part
de leur famille comme des médecins) sur leur bien-être, ainsi que
les tabous et le sentiment d’étrangeté et d’hallucination créé par
le décalage entre leurs propres sensations et le déni des autres.
Il aurait pourtant suffi qu’on les accepte et qu’on reconnaisse
la réalité de leur corps
.
31. La manière dont une variation intersexuelle est annoncée par
la profession médicale peut jouer un rôle déterminant dans le développement
du lien entre les parents et l’enfant. Lorsqu’une variation des caractéristiques
sexuelles est présentée aux parents comme une pathologie, une anormalité,
un problème, quelque chose qui devrait être caché ou une crise pour
l’enfant comme pour eux, cela les isole et fait peser sur eux une
injonction à «régler» le problème. Si, en revanche, l’intersexualité
est présentée comme une variation naturelle bien plus fréquente
qu’on ne le croit, dont on peut parler et qui n’empêche en rien
l’enfant de mener une vie saine et heureuse, alors il n’y a plus
aucune raison, ni pour l’enfant ni pour les parents, de ressentir
de la honte et de cultiver le secret
.
32. Il est essentiel de mettre à la disposition des personnes
intersexes et de leurs parents des services d’aide et de conseil
à long terme, sans jugement. À Malte, la loi prévoit que toutes
les personnes souhaitant bénéficier d’un soutien et de conseils
psychosociaux, ainsi que d’une intervention médicale en lien avec
les questions de sexe ou de genre, doivent avoir accès à un soutien
spécifique, adapté et sur mesure dispensé par des psychologues et
des médecins ou à un accompagnement par les pairs, et ce, aussi
longtemps que nécessaire
. Cela signifie –
et il faut le souligner – que les parents d’enfants intersexes,
qui se sentent souvent perdus et seuls face à cette situation complexe
à laquelle ils n’ont pas été préparés, peuvent eux aussi bénéficier
de tels services, de même que toute autre personne concernée.
5. Droits
humains et considérations éthiques relatives aux interventions médicales
et chirurgicales sur les enfants intersexes
33. Conformément aux principes
fondamentaux de la bioéthique, un traitement ne doit être pratiqué
que si les bénéfices attendus l’emportent sur les risques, et sous
réserve d’obtenir le consentement libre et éclairé du patient
. De plus en plus, on se rend compte
que ces principes n’ont pas été dûment appliqués par le passé aux
traitements médicaux des personnes intersexes, notamment les très
jeunes enfants, et qu’il est urgent de les appliquer dès aujourd’hui
et à l’avenir.
5.1. Prises
de position au niveau international
34. Il est désormais clairement
reconnu au niveau international que la réalisation d’interventions chirurgicales
non nécessaires et susceptibles d’avoir des conséquences irréversibles
sur les enfants intersexes, ainsi que l’administration d’autres
traitements médicaux entraînant des séquelles à vie, sans que l’enfant
soit en mesure d’y donner son consentement, sont contraires aux
normes internationales des droits de l’homme.
35. En mars 2007, un groupe de 29 éminents experts en droits de
l’homme venus de 25 pays et de tous les continents a adopté les
désormais célèbres Principes de Jogjakarta concernant l’application
du droit international des droits de l’homme aux questions d’orientation
sexuelle et d’identité de genre. Le principe 18 «Protection contre
les abus médicaux» précise que: «Nul ne peut être forcé de subir
une quelconque forme de traitement, de protocole ou de test médical
ou psychologique, ou d’être enfermé dans un établissement médical,
en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.
En dépit de toute classification allant dans le sens contraire,
l’orientation sexuelle et l’identité de genre d’une personne ne
sont pas en soi des maladies et ne doivent pas être traitées, soignées
ou supprimées». En ce qui concerne les mesures que les États devraient
prendre pour mettre en œuvre les droits de l’homme dans ce domaine,
il est recommandé aux États de: «prendre toutes les dispositions
législatives et administratives, ainsi que toute autre mesure, nécessaires
pour garantir qu’aucun enfant ne voie son corps irréversiblement
altéré par des pratiques médicales visant à lui imposer une identité
de genre sans le consentement total, libre et averti de l’enfant, conformément
à son âge et à sa maturité, et suivant le principe selon lequel,
dans toutes les situations impliquant des enfants, l’intérêt supérieur
de l’enfant doit être une considération primordiale»
.
36. Dans sa
Résolution 1952 (2013) sur le droit des enfants à l’intégrité physique, adoptée
en octobre 2013, l’Assemblée a déjà reconnu que «les interventions
médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués» faisaient
partie d’une «catégorie particulière de violations de l’intégrité
physique des enfants, que les tenants de ces pratiques présentent
souvent comme un bienfait pour les enfants, en dépit d’éléments
prouvant manifestement le contraire». Elle a appelé les États membres
à, notamment, «s’assurer que personne n’est soumis pendant l’enfance
à des traitements médicaux ou chirurgicaux esthétiques et non cruciaux
pour la santé, garantir l’intégrité corporelle, l’autonomie et l’autodétermination
aux personnes concernées, et fournir des conseils et un soutien
adéquats aux familles ayant des enfants intersexués».
37. En février 2013, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants a demandé instamment à tous les États d’abroger toute
loi qui autorise les traitements médicaux invasifs ou irréversibles,
notamment la chirurgie normalisatrice de l’appareil génital imposée
ou la stérilisation involontaire, pratiquées sans le consentement
libre et éclairé de la personne concernée
.
38. Ces dernières années, de nombreux organes des traités de droits
de l’homme des Nations Unies, dont le Comité contre la torture et
le Comité des droits de l’enfant, ont exprimé à plusieurs reprises
leur préoccupation devant les interventions chirurgicales non nécessaires
et irréversibles pratiquées sur des enfants intersexes et les autres
traitements médicaux entraînant des séquelles à vie qui leur sont
administrés sans leur consentement éclairé, ni celui de leurs proches,
et sans que toutes les options possibles leur aient toujours été
exposées. Ils ont souligné le non-respect de l’intégrité physique
des enfants et les souffrances physiques et psychologiques sévères
que cela peut causer, et se sont dits préoccupés par l’absence d’enquêtes
sur les pratiques passées et le manque de sanctions et de procédures
de réparation, de réhabilitation ou d’indemnisation des victimes
. Sur ce dernier point,
il convient de noter qu’en France, le Sénat a lui aussi recommandé
récemment que l’État étudie la mise en place d’une indemnisation, éventuellement
par le biais d’un fonds spécifique, aux personnes souffrant des
conséquences d’opérations chirurgicales et autres traitements irréversibles
pratiqués sur eux en raison d’une variation du développement sexuel.
Je suis d’avis que l’État a le devoir d’enquêter sur les préjudices
causés par ces pratiques et d’indemniser les personnes qui les ont
subies. Une telle approche serait par ailleurs plus utile aux victimes
que de leur demander de présenter une demande individuelle d’indemnisation
devant une juridiction civile.
39. L’Organisation mondiale de la santé et six autres agences
des Nations Unies ont elles aussi recommandé qu’en l’absence de
nécessité médicale, lorsque le bien-être physique d’une personne
intersexe est menacé, les traitements impliquant une stérilisation
soient reportés jusqu’à ce que la personne soit suffisamment mature
pour participer à la prise de décision et donner son consentement
en toute connaissance de cause
.
5.2. Éthique
et consentement éclairé
40. Comme noté ci-dessus, il n’existe
que très peu de données de suivi des personnes intersexes, qu’elles aient
subi une opération chirurgicale dans leur enfance ou non. Malgré
cela, les pratiques consistant à opérer les nourrissons et les jeunes
enfants se poursuivent. D’un point de vue éthique, cela équivaut
à mener des expériences sur les corps de jeunes enfants sans que
ces derniers aient donné leur consentement éclairé et sans que leurs
parents aient été en mesure de prendre une décision éclairée en
leur nom.
41. Par ailleurs, les opérations chirurgicales et/ou les traitements
hormonaux qui ne servent qu’à «normaliser» l’apparence des organes
génitaux (autrement dit, qui n’ont aucune justification thérapeutique) présentent
un risque élevé de causer un préjudice, sans que leurs effets bénéfiques
soient prouvés. D’aucuns affirment que les parents qui choisissent
de ne pas faire opérer leur enfant sont contraints de l’éduquer
comme ayant un «troisième genre», ce qui le mettrait face à des
difficultés sociales. Il s’agit là d’un argument spécieux. Tout
d’abord, il convient de bien séparer les considérations sociales
des questions médicales; par ailleurs, les questions d’état civil
peuvent être réglées de manière non discriminatoire (voir ci-après).
Enfin, les parents qui donnent leur consentement à une intervention
chirurgicale portant sur l’appareil génital le font généralement par
souhait d’éviter que leur enfant soit stigmatisé en raison de son
apparence durant l’enfance et jusqu’à l’adolescence. Or, les personnes
intersexes adultes affirment souvent que ces décisions sacrifient
leur fonction, leur santé et leurs sensations sexuelles à long terme.
Spontanément, les parents ont donc tendance à privilégier l’apparence
tandis que leurs enfants (une fois devenus adultes) préféreraient
privilégier la fonction sexuelle. L’une des conséquences de ce potentiel
conflit d’intérêts est que les parents risquent d’outrepasser leur
autorité parentale en donnant leur accord à la réalisation d’une
intervention chirurgicale inutile au plan médical sur leurs enfants
intersexes. En somme, même l’autorisation éclairée des parents ne
peut légitimer ces interventions
.
42. L’importance d’un consentement libre et éclairé est reconnue
dans la Convention pour la protection des Droits de l'Homme et de
la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie
et de la médecine: Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine
(STE no 164, «Convention d’Oviedo») à
laquelle 29 États membres sont Parties. Je salue le fait que le
Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe étudie actuellement
les problèmes liés aux droits de l’enfant dans le domaine de la
biomédecine, notamment en ce qui concerne les questions de consentement.
Une étude spécialisée commandée récemment par le Comité a noté que
les bénéfices des techniques de modification du genre en l’absence
de nécessité médicale sont largement débattus et que tant que les
cliniciens eux-mêmes ne se mettront pas d’accord sur les avantages
et inconvénients de ces interventions, en particulier lorsqu’elles
sont réalisées à un jeune âge, même la notion de «nécessité médicale»
restera incertaine. Les auteurs de l’étude observent que certaines
techniques de modification du genre utilisées sur les enfants intersexes
(par exemple la stérilisation ou les procédures irréversibles, non
sollicitées et médicalement inutiles) pourraient constituer une
violation de leur droit à la protection et à l’intégrité physique,
ainsi que de leur droit de protéger et maintenir leur identité,
autant de questions qui relèvent de la responsabilité des États.
En ce qui concerne la participation à la prise de décisions, ils
notent que les techniques de modification du genre sur les enfants
intersexes sont généralement mises en œuvre avant que l’enfant puisse
donner son consentement. L’autorisation est donnée par les parents
qui, même s’ils sont bien intentionnés, sont souvent pris au dépourvu
et sous-informés. L’étude a souligné la nécessité d’orientations
concrètes, voire de normes juridiques contraignantes, sur ces questions
.
5.3. Évolutions
récentes dans les États membres du Conseil de l’Europe
43. La Commission nationale suisse
d’éthique pour la médecine humaine a établi qu’aucune décision significative
visant à déterminer le sexe d’un enfant ne devrait être prise avant
que cet enfant puisse se prononcer par lui-même, dès lors que le
traitement envisagé entraîne des conséquences irréversibles et peut être
reporté. Font exception à ce principe les interventions médicales
urgentes visant à prévenir des atteintes sévères à l’organisme et
à la santé. Pour cette commission, l’élément essentiel est la protection
de l’intégrité de l’enfant. Du fait de sa part d’incertitude et
d’impondérable, une indication psychosociale ne saurait justifier à
elle seule une opération d’assignation sexuelle pratiquée sur les
organes génitaux d’un enfant incapable de discernement
.
44. En Allemagne, le Conseil d’éthique a conclu que tout acte
médical irréversible ayant pour but d’assigner un sexe à une personne
dont le sexe est ambigu constitue une atteinte au droit à l’intégrité
physique, à la préservation de l’identité de genre et de l’identité
sexuelle, ainsi qu’au droit à un avenir ouvert et bien souvent, au
droit de procréer. La décision de faire pratiquer de telles interventions
est strictement personnelle et devrait donc toujours être prise
par la personne concernée elle-même. S’il s’agit d’un mineur, le
choix ne doit se faire qu’après mûre réflexion et prise en considération
des avantages, des inconvénients et des conséquences à long terme
de ces opérations, qui doivent par ailleurs être indispensables
au bien-être de l’enfant. Cette dernière condition sera remplie
si l’intervention en question est destinée à écarter un grave danger
pour la santé physique, voire la vie de l’enfant
.
45. En France, il est désormais reconnu que par le passé, les
situations d’intersexualité étaient présentées aux parents comme
des pathologies nécessitant un traitement, mais que ceux-ci n’étaient
ni bien informés, ni à même de prendre une décision au nom de leur
enfant quant à un tel traitement. Cette situation pose des questions
de responsabilité médicale qu’il y aurait tout intérêt à examiner
dans le cadre de procédures collectives de réparation
.
Depuis, le Sénat français a recommandé que, sur la base de la présomption
de discernement de l’enfant, tout enfant qui présente des variations
du développement sexuel soit associé dans la mesure du possible
par les équipes médicales à toute décision le concernant. Il a en
outre préconisé la mise à l’étude de l’indemnisation des personnes
ayant souffert des conséquences d’opérations pratiquées en lien avec
une variation du développement sexuel et la saisine du Comité consultatif
national d’éthique sur la situation des personnes concernées par
les variations du développement sexuel. Gardant à l’esprit le caractère
irréversible des opérations pratiquées sur les organes génitaux,
le Sénat a également souhaité que soit établi un protocole de traitement
des variations du développement sexuel qui fasse prévaloir le principe
de précaution avant toute décision concernant une intervention chirurgicale;
préconise d’apprécier la nécessité médicale de l’opération envisagée
et de s’interroger sur sa réelle urgence et prévoie que les familles
soient systématiquement orientées vers les centres spécialisés où
leur enfant pourra être pris en charge par une équipe pluridisciplinaire
. La Délégation interministérielle
à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT
a par la suite appelé à cesser les opérations sur les enfants intersexes,
au motif que lorsqu’elles ne sont pas impératives pour raisons médicales,
ces opérations sont des mutilations
.
46. Malte est le premier État européen à avoir expressément légiféré
pour protéger le droit à l’intégrité corporelle et à l’autonomie
physique des personnes intersexes. La loi de 2015 sur l’identité
de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles
(loi GIGESC) (article 14) interdit tout traitement d’assignation
sexuelle ou toute intervention chirurgicale modifiant les caractéristiques
sexuelles d’une personne mineure lorsque de telles pratiques peuvent
attendre que la personne concernée soit en mesure de donner son
consentement éclairé. Si le mineur est en mesure de donner un tel
consentement par l’intermédiaire de son tuteur ou de la/des personne(s)
exerçant l’autorité parentale sur lui, alors il peut recevoir le
traitement ou subir l’intervention en question. Le consentement
éclairé suppose que le mineur concerné comprenne le type de traitement
proposé et qu’il soit en mesure d’exprimer, par l’intermédiaire
de ses parents et de manière dûment étayée, son souhait de se soumettre
à ce traitement. Mes interlocuteurs au ministère m’ont expliqué
que le terme «traitement d’assignation sexuelle» renvoie à la fois
à des actes chirurgicaux et à des traitements hormonaux et que ces
dispositions signifient en substance que tout traitement ou toute intervention
pouvant être reportés jusqu’à ce que le mineur concerné soit en
mesure de donner son consentement éclairé devrait l’être. Dans les
cas où un mineur exprime son consentement par l’intermédiaire d’un
adulte, l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute autre
considération, conformément aux dispositions de la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
47. La loi GIGESC dispose en outre que dans des circonstances
exceptionnelles, le traitement peut être administré sans le consentement
du mineur concerné; pour cela, il faut qu’un accord soit conclu
entre une équipe interdisciplinaire nommée par le ministre chargé
de l’égalité, d’une part, et la/le(s) personne(s) exerçant l’autorité
parentale ou le tuteur du mineur concerné, d’autre part. Les interventions
médicales motivées par des facteurs sociaux et pratiquées sans le
consentement du mineur sont définies comme contraires à la loi
. Il ne serait
possible d’intervenir sans le consentement éclairé d’un enfant que
dans des situations qui présentent un risque vital immédiat pour
lui-même ou qui sont susceptibles d’avoir des répercussions graves
et immédiates sur sa santé. La question de savoir si les cas d’hypospadias
entrent dans le champ de cette interdiction pourrait être tranchée
par les tribunaux.
48. Le Portugal élaborerait actuellement une loi similaire à celle
de Malte
.
6. Besoins
médicaux à long terme des personnes intersexes et accès aux dossiers
médicaux
49. Les personnes intersexes, au
même titre que toute autre personne, présentent des besoins de santé quotidiens.
Cependant, beaucoup d’entre elles – traitées comme des aberrations,
examinées sous toutes les coutures, exhibées devant les étudiants
en médecine en raison de la rareté de leur cas – perdent toute confiance
dans le corps médical dès le plus jeune âge. Si on leur cache des
choses à propos de leur corps, par honte de leur «anomalie», le
sentiment de trahison est encore plus vif. Ce manque de confiance
incite certains adultes intersexes à éviter les consultations médicales,
même lorsque les raisons de consulter sont sans rapport avec leurs
caractéristiques sexuelles. Il convient de redoubler d’efforts pour
garantir aux personnes intersexes un accès adéquat aux soins de
santé, qui doivent être centrés sur le patient et fondés sur les
besoins réels de la personne.
50. Même lorsque la confiance est établie, la transition entre
les soins pédiatriques et les soins aux adultes peut, si elle est
mal gérée, entraîner une interruption prolongée de l’accès aux soins
de santé, voire rendre tout suivi impossible car on perd totalement
la trace de ces personnes
. Cela soulève des questions concernant leur
accès aux soins de santé en général.
51. Les professionnels de santé devraient aussi s’inquiéter de
cette situation car elle réduit la possibilité d’étudier les effets
à long terme des choix de traitement sur les personnes intersexes.
52. Enfin, il est essentiel que les personnes intersexes puissent
accéder à leur dossier médical. Leur situation ayant été si longtemps
marquée par la honte et la stigmatisation, ou considérée comme un
problème qu’il convenait de «régler» puis de taire, il leur est
souvent impossible d’obtenir des informations fiables auprès d’autres
sources. Par ailleurs, le droit de toute personne à connaître toute
information recueillie sur sa santé est reconnu à l’article 10 de
la Convention d’Oviedo.
7. État
civil et reconnaissance juridique du genre
53. Comme indiqué précédemment,
l’identité de genre est distincte de l’intersexualité (biologique).
De nombreuses personnes intersexes s’identifient soit comme hommes,
soit comme femmes, mais pas toutes; elles sont de plus en plus nombreuses
à chercher à faire reconnaître leur appartenance à un autre genre
(non binaire, neutre, indéterminé, non précisé, etc.).
54. En avril 2017, la Cour de cassation française a rejeté un
pourvoi introduit par un citoyen français pour demander la rectification
du sexe inscrit sur son acte de naissance au profit de la mention
«neutre», au motif que la loi française ne prévoyait pas d’autre
marqueur de genre que «masculin» ou «féminin». La Cour a reconnu
une atteinte au droit au respect de la vie privée du requérant,
mais estimé qu’elle n’était pas disproportionnée au regard du but
légitime poursuivi
. En parallèle,
des débats ont eu lieu récemment sur d’éventuels changements de
la loi. À l’heure actuelle, les parents ont cinq jours pour déclarer
le sexe de leur enfant mais peuvent demander une dérogation allant
jusqu’à deux ans, sur avis médical. Le Sénat a demandé la prolongation
de cette période
. Le Défenseur des droits
a étudié trois options: la suppression de toute mention du sexe
de la personne sur ses papiers d’identité; la création d’une troisième
catégorie de genre (neutre, par exemple); et la simplification de
la procédure de changement du sexe juridiquement reconnu, cette dernière
étant privilégiée par l’institution, conformément aux procédures
en vigueur à Malte et au Danemark. Elle devrait également être ouverte
aux mineurs, à condition que leur représentant légal en fasse la
demande et qu’un juge vérifie le consentement de l’enfant.
55. En ce qui concerne les marqueurs de genre, plusieurs États
proposent aujourd’hui d’autres options que «masculin» ou «féminin».
En Allemagne, depuis le 1er novembre 2013,
le sexe d’un nouveau-né ne doit pas être renseigné si l’enfant ne
peut pas être identifié comme masculin ou féminin. En Nouvelle-Zélande,
il existe au moins depuis les années 1950 des certificats de naissance
portant la mention «sexe indéterminé»
. Aux États-Unis, depuis le milieu
de l’année 2016, des tribunaux de l’Oregon et de la Californie ont
autorisé au moins sept personnes à faire modifier leur sexe en «non
binaire»
.
En Australie, des passeports non binaires (où figure le marqueur
de genre «X») sont délivrés depuis 2003. À l’origine délivrés uniquement
aux détenteurs d’un acte de naissance indiquant «sexe indéterminé»,
ces passeports sont depuis 2011 accessibles à tous, sur simple présentation
d’une lettre signée par un médecin
. Les lignes directrices actuelles
du gouvernement australien en matière de reconnaissance du sexe
et du genre indiquent que toute personne peut s’identifier et être
reconnue par la communauté sous un genre autre que celui assigné
à sa naissance ou durant son enfance, ou sous un genre qui n’est
pas exclusivement masculin ou féminin – fait qui doit être inscrit
dans ses dossiers personnels conservés par les ministères et les
organismes publics australiens. Ces textes reconnaissent expressément
que le sexe et le genre d’une personne ne sont pas nécessairement
identiques et que les personnes intersexes peuvent s’identifier
en tant qu’homme, femme ou aucun des deux. Ils prévoient que lorsque
des informations relatives au sexe et/ou au genre sont recueillies
et consignées dans un dossier personnel, les personnes doivent avoir
le choix entre M (masculin), F (féminin) ou X (indéterminé/intersexe/non
précisé). Cette dernière catégorie concerne toute personne qui ne
s’identifie pas selon la distinction homme/femme, mais comme «non
binaire». Divers termes peuvent être employés par ces personnes
pour s’identifier
.
56. Les militants intersexes ont critiqué la législation allemande
pour son caractère contraignant: le marqueur de genre doit obligatoirement
être laissé blanc sur l’acte de naissance si le sexe de l’enfant
ne peut pas être déterminé. Or, cet aspect est problématique pour
plusieurs raisons. Tout d’abord, cette décision est prise par le
corps médical. Ensuite, on ne sait pas vraiment qui l’enfant pourra
épouser quand il sera adulte – et, bien que le texte de la législation
récemment adoptée pour autoriser le mariage entre personnes de même sexe
semble résoudre cette difficulté, des questions subsistent quant
à la possibilité d’adopter un enfant. Troisièmement, dès lors que
l’acte de naissance est présenté (par exemple pour une inscription
au jardin d’enfants ou à l’école), le fait que le marqueur de genre
de l’enfant ne soit pas renseigné révèle automatiquement son statut.
Il semblerait que l’Allemagne ait commencé à s’interroger sur la
nécessité de faire figurer des marqueurs de genre sur les actes
de naissance, les enfants n’en ayant en définitive pas besoin. Enfin,
un marqueur de genre non renseigné ou indéterminé ne protège en
rien les nourrissons contre d’éventuelles interventions chirurgicales.
Cette dernière critique a également été formulée à l’égard de la législation
néo-zélandaise
.
57. Pour ce qui est de Malte, la loi GIGESC simplifie les procédures
à suivre pour faire correspondre sexe déclaré et identité de genre.
L’État est également tenu de reconnaître les marqueurs de genre
autres que «masculin» ou «féminin» (ou l’absence de tels marqueurs)
juridiquement reconnus par des autorités ou juridictions étrangères.
Le Code civil de Malte dispose que le sexe d’un mineur doit être
indiqué sur son acte de naissance, mais que cette information peut
rester en suspens jusqu’à la détermination de l’identité de genre. Ceci
permet, le cas échéant, de ne pas renseigner le marqueur de genre
sur un acte de naissance jusqu’à l’âge de 18 ans. Malte travaille
également depuis quelques mois à l’élaboration de passeports et
de cartes d’identité non binaires comportant une option «X» pour
le genre
.
58. Comme l’a fait remarquer le docteur Benjamin Moron-Puech à
l’audition tenue par notre commission le 29 juin 2017, la Cour européenne
des droits de l’homme reconnaît depuis longtemps que l’identité
sexuelle d’une personne est un aspect de la vie privée couvert par
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cela
implique à la fois une obligation «passive» (négative) de ne pas
contraindre une personne à révéler son identité sexuée, et une obligation
«active» (positive), lorsqu’on enregistre ou fait appel à l’identité sexuée
d’une personne, de ne pas la dénaturer. Or, les États agissent souvent
en violation de ces deux obligations. Ils demandent aux individus
de révéler leur identité sexuée (sur leur certificat de naissance,
leur passeport, leur carte d’identité, etc.) et ne voient pas d’objection
à ce que des acteurs privés demandent aux individus de dévoiler
leur identité sexuée pour pouvoir accéder à un service. Par ailleurs,
les personnes intersexes qui souhaitent éviter une catégorisation
binaire n’ont généralement pas la possibilité de le faire. Même
à Malte et en Allemagne, la seule autre option qui s’offre aux personnes
intersexes que de s’identifier en tant qu’individu de sexe masculin
ou féminin consiste à ne pas inscrire d’identité sexuée sur leur
certificat de naissance ou leur carte d’identité, ce qui les prive
de fait du bénéfice des lois fondées sur l’identité sexuée d’une
personne.
59. M. Moron-Puech formule quatre recommandations pour mettre
un terme à ces violations des droits de l’homme. Dans un premier
temps, toute personne devrait avoir le droit de ne pas divulguer
son identité sexuée (ou de genre) lorsque cela ne correspond à aucun
but légitime. Il s’agirait d’une application directe de l’article 8 à
la situation des personnes intersexes. Deuxièmement, et en conséquence,
la mention du sexe d’une personne sur ses documents d’identité doit
être facultative
pour tous (si
elle ne l’est que pour les personnes intersexes, celles-ci risquent
à nouveau d’être stigmatisées). Les États pourraient bien entendu
aller plus loin, comme cela leur a été demandé par les personnes
intersexes dans la déclaration qu’elles ont faite à Malte en 2013
.
Troisièmement, toute personne devrait être reconnue dans l’identité
sexuée (de genre) de son choix – qui ne doit pas se limiter aux
identités masculine et féminine et pour laquelle une certaine liberté
doit être laissée à l’individu – dans chaque règle ou loi dont l’application
dépend de cette identité. Bien entendu, les personnes intersexes
ne devraient pas être obligées de choisir une identité autre que
masculine ou féminine, puisque certaines s’identifient en tant qu’homme
ou femme. De la même manière, toute autre identité ne doit être
reconnue qu’à la demande de l’intéressé.e. Il doit également être
possible, d’une part, de modifier cette identité, l’identité sexuée
(de genre) d’une personne intersexe pouvant évoluer avec le temps,
et d’autre part, de s’identifier différemment selon les circonstances
(par exemple, «X» sur le passeport, mais en tant qu’homme dans le
cadre de compétitions sportives). Quatrièmement, toutes les dispositions
juridiques s’appuyant sur des catégories de sexe doivent être formulées
de manière à ne pas exclure les personnes présentant une identité
sexuée non binaire. Cette recommandation découle directement du
fait que l’article 8 demande aux États de reconnaître les identités
sexuelles non binaires. Elle pourrait être appliquée de trois manières:
en ajoutant une troisième catégorie de sexe (par exemple pour les
dispositions relatives à l’état civil, aux lieux de détention ou
aux salles d’eau/toilettes); en appliquant des critères autres que
l’identité sexuée (par exemple dans le domaine du sport); ou en
supprimant les catégories de sexe des dispositions en question (par exemple
en ce qui concerne la filiation). Si ces quatre recommandations
sont mises en œuvre, le droit des personnes intersexes au respect
de leur identité sexuée sera garanti et la discrimination institutionnelle
dont il a été question précédemment cesserait.
60. Gardant à l’esprit que les modèles de genre demeurent pour
l’instant binaires (nos sociétés ayant tendance à suivre une classification
stricte homme/femme), les organisations de personnes intersexes
ont demandé aux gouvernements d’enregistrer tous les enfants intersexes
à la naissance sous le sexe «masculin» ou «féminin». Elles ont cependant
fait valoir que les personnes intersexes, comme n’importe qui d’autre, pouvaient
s’identifier à un autre sexe/genre en grandissant, d’où la nécessité
de pouvoir modifier les catégories correspondantes au moyen d’une
simple procédure administrative, à la demande de l’intéressé.e.
Les organisations de personnes intersexes ont en outre souligné,
en ce qui concerne les marqueurs de genre, que tous les adultes
et les mineurs capables de discernement devaient pouvoir choisir
entre «féminin», «masculin», options non binaires ou options multiples.
Les organisations intersexes demandent également à ce qu’à plus
long terme, la case «sexe» ou «genre» soit supprimée, pour tous,
sur les actes de naissance ou les documents d’identité (comme cela
a été le cas pour l’appartenance ethnique et la religion)
.
8. Mesures
de lutte contre la discrimination et promotion de l’égalité
61. Ainsi que mes interlocuteurs
me l’ont clairement indiqué lors de ma visite d’information à Malte,
il convient de mettre résolument l’accent sur les mesures de lutte
contre la discrimination à l’égard des personnes intersexes et la
promotion de l’égalité pour leur permettre de jouir pleinement de
leurs droits. Toutefois, peu de pays traitent expressément de la
situation des personnes intersexes dans leur législation antidiscrimination.
62. En 2013, l’Australie a modifié sa législation antidiscrimination
pour l’étendre à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle,
l’identité de genre et l’intersexualité
.
L’intersexualité est définie en termes biologiques comme le fait
de présenter des caractéristiques physiques, hormonales ou génétiques
a) ni tout à fait féminines, ni tout à fait masculines ou b) et
féminines et masculines ou c) ni féminines ni masculines. La loi
interdit toute forme de discrimination, directe ou indirecte, qu’elle
soit le fait d’acteurs publics ou privés.
63. Malte aussi a expressément légiféré pour interdire la discrimination
à l’égard des personnes intersexes
. Contrairement à la législation
australienne, le terme «intersexe» n’apparaît jamais dans la législation
maltaise. La loi GIGESC fait systématiquement référence aux «caractéristiques
sexuelles» d’une personne, qui désignent ses «caractéristiques chromosomiques,
gonadiques et anatomiques», celles-ci englobant les caractéristiques
primaires, telles que les organes reproducteurs et organes génitaux
et/ou les structures chromosomiques et les hormones, ainsi que les
caractéristiques secondaires, telles que la masse musculaire, la
pilosité, la poitrine et/ou la structure corporelle
. Cette approche est importante
pour deux raisons. Premièrement, elle signifie que la loi a une
portée universelle, c’est-à-dire qu’elle ne s’adresse pas spécifiquement
aux personnes intersexes, mais à tous (puisque tout le monde a des
caractéristiques sexuelles). Les mêmes droits sont donc reconnus
à tous. Plutôt que de créer des droits spéciaux pour certains, elle
reconnaît des droits identiques à tous. Deuxièmement, mes interlocuteurs
m’ont expliqué que le terme «intersexe» pouvait être défini différemment
selon les parties prenantes, d’où la nécessité d’éviter impérativement,
dans le cadre de cette loi, les interprétations restrictives susceptibles
de priver certains enfants intersexes de la protection contre les
atteintes à l’intégrité physique que la loi entend apporter.
64. L’intersexualité ayant trait à des caractéristiques corporelles
et n’étant pas fonction de l’orientation sexuelle ni de l’identité
de genre d’une personne, l’Agence européenne des droits fondamentaux
a considéré que le motif de discrimination le plus approprié dans
les cas de discrimination à l’égard des personnes intersexes (en
l’absence de motif spécifique) était celui fondé sur le sexe plutôt
que celui couvrant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
Lorsque la législation antidiscrimination d’un pays donne une liste
non exhaustive de motifs de discrimination, les personnes intersexes
peuvent entrer dans la catégorie «autre». Cela étant, cette approche
n’est pas satisfaisante car elle perpétue l’invisibilité des personnes
intersexes et peut conduire à une situation dans laquelle les actes
de discrimination à leur encontre ne sont pas dénoncés
.
65. Je suis d’avis que la législation antidiscrimination protégera
mieux les personnes intersexes si elle inclut un motif clair et
spécifique (par exemple, la discrimination fondée sur les caractéristiques
sexuelles) couvrant leur situation. Cela dit, lorsque de tels motifs
ne figurent pas expressément dans la législation, la loi doit être interprétée
de manière suffisamment large pour inclure la discrimination à l’égard
des personnes intersexes.
9. Sensibilisation
de l’opinion publique
66. L’opinion publique commence
à être davantage sensibilisée à la situation des personnes intersexes, grâce
aux actions menées au niveau national par les autorités maltaises
et par des instances telles que la Commission nationale suisse d’éthique
en matière de médecine humaine, le Conseil d’éthique allemand et
le Sénat français
,
ainsi qu’aux travaux d’organismes internationaux tels que les organes
des traités des Nations Unies et le Conseil de l’Europe. En Europe,
le Forum IDAHO a également permis d’attirer l’attention sur la situation
des personnes intersexes, en particulier à Budva (Monténégro) en
2015, où le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a présenté son document thématique relatif à cette question, ainsi
qu’en 2017 à Bruxelles, où une session plénière entière, que j’ai
eu l’honneur d’ouvrir, a été consacrée à ce sujet
.
67. La sensibilisation aux enjeux cruciaux et aux droits des personnes
intersexes passe également par la mise en avant d’exemples, à l’instar
de la mannequin belge mondialement connue, Hanne Gaby Odiele. Sa décision
d’annoncer au début de l’année 2017 son intersexualité a envoyé
un signal fort au monde entier montrant que les personnes intersexes
pouvaient faire cette révélation en toute sécurité, sans gêne et
sans conséquence pour leur réussite future.
68. Néanmoins, et bien que les caractéristiques biologiques des
personnes intersexes nous indiquent le contraire, nos sociétés continuent
d’avoir une vision très binaire des êtres humains, considérés soit
comme des femmes, soit comme des hommes. Ces questions sont très
peu abordées dans les médias et quand elles le sont, c’est souvent
pour se concentrer sur des cas «sensationnels» ou des affaires dans
le domaine du sport, où les personnes intersexes sont accusées de
tricherie.
69. Les mesures de sensibilisation de l’opinion publique sont
essentielles et plus que nécessaires, non seulement dans le cadre
des groupes de soutien destinés aux personnes intersexes, à leurs
parents et à leur famille (voir plus haut), mais aussi pour informer
la population en général – notamment, mais pas seulement, les enseignants,
les travailleurs sociaux et les membres du corps médical. Pour les
personnes intersexes, il est également capital de recevoir le soutien
des organisations de la société civile, où elles peuvent rencontrer d’autres
personnes à l’expérience similaire: il est important pour elles
de savoir qu’elles ne sont pas seules, qu’elles ne sont pas des
monstres et que quelqu’un les comprend.
10. Conclusions
70. Le terme «intersexe» désigne
un large éventail de particularités corporelles qui se produisent naturellement.
Les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuelles
biologiques (par exemple, des caractéristiques génitales, hormonales
ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux normes sociales
ou aux définitions médicales de ce qui fait qu’une personne est
de sexe masculin ou féminin. Parfois, ces caractéristiques sont
détectées à la naissance; dans d’autres cas, elles ne deviennent
apparentes que plus tard au cours de la vie, notamment au moment
de la puberté. Si les situations sont diverses et variées, la majorité
des personnes intersexes sont en bonne santé physique. Seules quelques-unes
sont atteintes d’affections médicales mettant en danger leur santé
.
71. Pourtant, la situation des personnes intersexes est traitée
depuis longtemps comme un problème essentiellement médical. La thèse
dominante depuis le milieu du siècle précédent est que le corps
des enfants intersexes peut et doit être rendu conforme à un paradigme
soit masculin, soit féminin, que cela doit être fait le plus tôt
possible, et que les enfants doivent ensuite être élevés selon le
genre correspondant au sexe qui a ainsi été assigné à leur corps.
Cette approche était censée garantir que les enfants grandissent
en bonne santé et s’intègrent facilement dans la société.
72. Dans bien des cas, les parents – qui sont les représentants
légaux de leurs enfants et autorisent les interventions médicales
en leur nom – ne savent pas comment réagir à la nouvelle de l’intersexualité
de leur nouveau-né. Souvent, l’aide qu’ils reçoivent se limite à
des avis médicaux dans le droit fil de ce qui vient d’être décrit.
Cela fait peser sur eux une pression pour qu’ils prennent d’urgence,
au nom de leur enfant, des décisions qui changeront la vie de celui-ci.
73. Une telle approche entraîne souvent des atteintes graves à
l’intégrité physique, notamment des interventions chirurgicales
lourdes telles que la castration et la vaginoplastie, touchant dans
bien des cas de très jeunes enfants ou des nourrissons qui ne sont
pas en mesure de donner leur consentement et dont on ne connaît
pas l’identité de genre. Ces actes sont pratiqués alors que la santé
des enfants n’est pas directement menacée et que les traitements
ne sont pas justifiés par une réelle visée thérapeutique, étant
destinés à éviter ou à atténuer des problèmes d’ordre social (qui
ne relèvent pas de la compétence des professionnels de santé) plus
que médical. Il en découle souvent des complications médicales qui
perdureront tout au long de la vie, par exemple des infections chroniques
des voies urinaires, des douleurs invalidantes, des cicatrices et
des troubles dépressifs.
74. Cette souffrance physique et mentale est décuplée par la honte
et le secret qui entourent l’intersexualité chez les enfants auxquels
on dit de ne pas montrer leur corps et de ne pas parler de leurs
caractéristiques sexuelles. Nombreux sont les parents et les professionnels
de santé qui cachent aux enfants intersexes le fait qu’ils ont fait
l’objet d’interventions médicales, y compris des interventions chirurgicales
lourdes, ou la nature des opérations pratiquées; à cela s’ajoute
le fait que par la suite, les adultes intersexes ont souvent beaucoup de
mal à accéder à l’intégralité de leur dossier médical.
75. Il est essentiel de veiller à ce que la loi régisse ces questions
d’une manière qui facilite la vie des personnes intersexes. Pour
cela, il faut notamment faire en sorte que les personnes intersexes
qui ne s’identifient pas en tant que personne de sexe masculin ou
féminin puissent obtenir la reconnaissance juridique de leur identité
de genre et puissent faire rectifier le sexe enregistré à leur naissance
au moyen d’une procédure simple. Des modifications de la législation
antidiscrimination pourraient également être nécessaires pour couvrir
effectivement la situation des personnes intersexes.
76. Bien que l’on assiste à une prise de conscience croissante
de ces questions, des efforts supplémentaires considérables restent
nécessaires pour continuer de sensibiliser l’opinion publique, les responsables
politiques et les professionnels de santé à la situation et aux
droits des personnes intersexes, afin qu’elles soient pleinement
acceptées au sein de la société, indépendamment de leurs caractéristiques sexuelles.
77. Les États ont un rôle majeur à jouer dans l’élimination des
violations des droits fondamentaux et des discriminations à l’égard
des personnes intersexes. J’espère que ce rapport les aidera à progresser
sur cette voie.