1. Introduction
1.1. Procédure
1. Le 29 janvier 2016, l’Assemblée
parlementaire a renvoyé à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, pour rapport, la proposition de résolution
«Immunité de juridiction des organisations internationales et droits
des personnels»
. Lors de sa réunion
du 7 mars 2016, la commission m’a nommé rapporteur. Lors de sa réunion
à Paris le 13 décembre 2016, elle a tenu une audition avec la participation
de trois experts:
- Mme Mireille
Heers, Juge, Tribunal Administratif du Conseil de l’Europe;
- Mme Monika Polzin, Professeur,
Faculté de droit, Université d’Augsbourg (Allemagne);
- Mme Liesbeth Zegveld, Avocate
et Professeur à l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas).
1.2. Les
questions en jeu
2. La proposition de résolution
précitée met l’accent sur l’immunité de juridiction des organisations internationales
(OI), qui leur permet de ne pas être attraites devant les juridictions
de leurs États d’accueil. Mais elle souligne que cette immunité
de juridiction ne doit pas équivaloir à une zone de non-droit et
qu’il importe de ne pas priver les agents des OI du droit à un procès
équitable et de la possibilité de défendre leurs droits, notamment
devant les tribunaux. L’immunité de juridiction dont jouit une organisation
internationale ne doit pas lui permettre de s’exonérer de toute
responsabilité en cas de violation de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
ou de la Charte sociale européenne (STE nos 35
et 163). La proposition de résolution vise également à examiner
les «droits sociaux (individuels et collectifs)» des agents des
OI et à réfléchir aux moyens de renforcer ces droits.
3. Comme l’ont rappelé les auteurs de la proposition de résolution,
le 31 janvier 2014 l’Assemblée avait adopté la
Résolution 1979 (2014) et la
Recommandation
2037 (2014) sur l’obligation des institutions internationales de
répondre de leurs actes en cas de violations des droits de l’homme.
Elles se fondaient sur le rapport de notre ancien collègue, M. José
Maria Beneyto (Espagne, PPE/DC)
, qui examinait également la question
de l’immunité de juridiction des OI, surtout dans le cadre de l’obligation
de répondre des violations des droits de l’homme commises par leurs
agents. Comme cette question a déjà été analysée de manière assez
détaillée par M. Beneyto, je me contenterai de rappeler les grands
principes de l’immunité de juridiction des OI, ainsi que de donner
des exemples d’affaires de contentieux du droit du travail dans
lesquelles elle a été invoquée. Comme la proposition de résolution
souligne la nécessité d’examiner les droits des agents des OI, il
sera utile d’avoir une vue d’ensemble générale de ces droits, et
notamment des immunités et privilèges applicables. Néanmoins, je
me concentrerai davantage sur le droit d’accès à un tribunal, et
non pas sur les droits sociaux des employés des OI (qui mériteraient
un examen plus détaillé dépassant le cadre de ce rapport).
4. Les points abordés dans le présent rapport sont complexes
et soulèvent plusieurs questions: quelle définition du fonctionnaire
international faut-il retenir? Quelle est la portée du droit de
la fonction publique internationale? La jouissance, par les fonctionnaires
internationaux, des droits consacrés par la Convention européenne
des droits de l’homme, et notamment du droit d’accès à un tribunal
au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme en cas de litige avec l’employeur, souffre-t-elle d’un vide
ou d’une lacune juridique? De quelles «autres voies raisonnables
de protection» les fonctionnaires internationaux en litige avec
leur employeur peuvent-ils disposer? Quelles sont les tendances
actuelles de l’immunité des OI et, à cet égard, quel est l’état
d’avancement actuel des travaux du le Comité des conseillers juridiques
sur le droit international public (CAHDI)? Il convient également
d’examiner plus attentivement la structure et la composition des
instances internes/tribunaux administratifs de certaines OI, afin
de vérifier s’ils assurent de manière satisfaisante la protection
des droits de l’homme de leurs agents, et notamment des droits garantis
à l’article 6 de la Convention.
2. Définition
et droits des agents des organisations internationales
5. Depuis le début du XXe siècle,
et surtout après la première guerre mondiale (par l’action de la
Société des Nations) et la deuxième guerre mondiale, les OI ont
joué un rôle de plus en plus important dans tous les domaines de
la coopération internationale; le Conseil de l’Europe s’inscrit
dans cette tendance. Bien qu’il soit difficile de donner le nombre
exact des OI, la plupart des sources indiquent qu’il en existe plus
de 250
;
dans les années 1990, le nombre de fonctionnaires internationaux
était estimé à environ 90 000 personnes
et
il est très probablement plus important encore aujourd’hui. Parmi
les OI, les Nations Unies, l’Union européenne et la Banque mondiale
sont les plus grands employeurs, comptant respectivement plus de
40 000, plus de 30 000 et plus de 10 000 employés, alors que l’effectif
d’autres OI ne dépasse pas ce dernier chiffre
. Le Conseil de l’Europe emploie un
peu plus de 2 000 personnes
.
6. La personnalité juridique des OI, qui est un phénomène relativement
récent, est solidement établie depuis l’Avis consultatif de la Cour
internationale de justice (CIJ) du 11 avril 1949 sur la Réparation
des dommages subis au service des Nations Unies, dans lequel la
CIJ a conclu que les Nations Unies jouissaient de la personnalité
juridique internationale. La jouissance de la personnalité juridique
permet aux OI de conclure des traités et de se voir octroyer des
privilèges et immunités au regard du droit interne
.
7. Dans ce même avis, la CIJ donnait sa définition d’un «agent»
international, qui s’entend «dans le sens le plus large, entendant
par-là quiconque, fonctionnaire rémunéré ou non, employé à titre
permanent ou non, a été chargé par un organe de l’Organisation d’exercer,
ou d’aider à exercer, l’une des fonctions de celle-ci, bref, toute
personne par qui l’Organisation agit»
. La définition de la CIJ vise une catégorie
très étendue de personnes et englobe également celles qui travaillent
pour de brèves missions, comme les consultants. La doctrine l’oppose
parfois à la catégorie des «fonctionnaires internationaux», qui
travaillent pour une organisation internationale «d’une façon continue
et exclusive»
. Bien qu’il n’existe aucune
définition uniforme de ce terme, il est généralement admis que les
agents de diverses catégories et qui sont soumis à des conditions
de service différentes constituent la «fonction publique internationale»
et que les dispositions juridiques qui leur sont applicables et
n’ont pas été codifiées forment «le droit de la fonction publique internationale»,
qui suit la logique de droit public, notamment du droit administratif
des États
.
8. Dans l’avis Réparation des dommages, la CIJ a également souligné
que, pour garantir l’indépendance de l’agent et de l’organisation
elle-même (en l’espèce les Nations Unies), «il est essentiel que
l'agent, dans l'exercice de ses fonctions, n'ait pas besoin de compter
sur une autre protection que celle de l'Organisation (sauf, bien
entendu, la protection plus directe et plus immédiate due par l’État
sur le territoire duquel il peut se trouver)»
.
Les agents des organisations internationales ne demandent ni ne
reçoivent d’instructions d’aucun gouvernement, y compris du leur,
ni d’aucune autre autorité externe. Leur indépendance est généralement clairement
réaffirmée dans les actes constitutifs de l’OI, par exemple à l’article
100 de la
Charte
des Nations Unies, l’article 9 de la
Constitution
de l’Organisation internationale du travail (OIT), l’article VI de la
Constitution de
l’UNESCO ou l’article 36 du
Statut
du Conseil de l’Europe (STE no 1)
10. Il s’agit principalement de l’immunité de juridiction pour
tous les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, de
l’exonération d’imposition directe (impôt sur le revenu), de l’exonération
des dispositions limitant l’immigration et des formalités d’inscription
et de rapatriement des ressortissants étrangers, des privilèges
en matière de facilités de change et de rapatriement en temps de
crise internationale (comme pour les diplomates) ou du droit d’importer
en franchise leur mobilier et leurs effets à l'occasion de leur
première prise de fonction. Les conjoints des agents et les autres
membres de leurs familles qui sont à leur charge jouissent de la
plupart de ces privilèges et immunités. Ces derniers reposent sur
un «principe fonctionnel»
et sont octroyés aux agents car ils
sont indispensables à l’exercice de leurs fonctions; ils sont donc
accordés dans l’intérêt de l’OI et non dans l’intérêt personnel
des agents eux-mêmes. Quant aux privilèges fiscaux, ils visent à
éviter de consentir des avantages exorbitants à l’État dans lequel
se trouve le siège de l’organisation, sans quoi celui-ci pourrait
recueillir sous forme d’impôts une part importante du salaire des
agents financé par les contributions budgétaires de tous les États
membres. L’organisation concernée peut renoncer à son immunité de
juridiction lorsqu’elle estime que celle-ci entrave le cours légitime
de la justice.
11. Pour ce qui est des relations de travail au sein des OI, chaque
organisation possède son propre système de service public en fonction
de ses particularités. Les questions de droit du travail au sein
des OI sont habituellement réglées par le règlement interne du personnel.
Le contentieux entre les OI et leurs agents relève de la compétence
des tribunaux administratifs internes (comme, aux Nations Unies,
le Tribunal du contentieux administratif (UNDT) le Tribunal d’appel
(UNAT); le Tribunal administratif de la Banque mondiale (WBAT);
le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail
(TAOIT) ou le Tribunal administratif du Conseil de l’Europe) ou
d’autres moyens de règlement des litiges. Les conflits de droit
du travail susceptibles de survenir entre un agent et son organisation
peuvent porter sur des questions telles que la procédure de recrutement
(y compris pour les promotions et mutations), le niveau de rémunération
ou de pension, la sécurité sociale, les congés, les dossiers administratifs
individuels, la jouissance des privilèges et immunités ou le droit à
la liberté d’association (et notamment l’adhésion à un syndicat).
12. Les relations de travail au sein d’une OI sont régies soit
par un système contractuel, soit par un système statutaire, voire
une combinaison des deux
.
Comme l’indique le rapport de l’ancienne commission du budget de
notre Assemblée (rapporteur: M. Giuseppe Aleffi, Italie, PPE/DC),
«Nature et portée des droits acquis contractuellement par les agents
du Conseil du l’Europe», la quasi-totalité des OI, y compris le
Conseil de l’Europe, sont influencées par la notion de «lien contractuel»,
qui suppose que le lien entre un agent et l’organisation repose
sur un contrat, c’est-à-dire sur un acte bilatéral. À l’inverse,
le «lien statutaire» concerne la nomination des fonctionnaires par
des actes d’autorité, c’est-à-dire par des actes formels qui reposent
sur l’accord de l’employé. Ce dernier type de lien est caractéristique
de la fonction publique de l’Union européenne
,
tout comme de nombreuses fonctions publiques nationales.
13. La notion de «droits acquis» est une autre notion du droit
de la fonction publique internationale qui caractérise la quasi-totalité
des OI, y compris le Conseil de l’Europe. Il s’agit de l’une des
notions les plus complexes, qui se rapporte à l’inviolabilité des
conditions de travail stipulées dans le contrat, sous réserve que ces
conditions puissent avoir été considérées comme essentielles par
l’agent concerné lorsqu’il a décidé d’entrer dans l’organisation.
Les «droits acquis» sont expressément mentionnés dans le règlement
du personnel de certaines organisations (l’OMS, l’OIT, l’UNESCO,
l’Agence internationale de l'Énergie atomique (AIEA), l’Organisation
maritime internationale (OMI), l’Organisation des Nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE), l’Agence spatiale européenne
(ASE) et, dans une certaine mesure, l’Organisation du Traité de
l’Atlantique du Nord (OTAN)). Dans d’autres OI, et notamment au
Conseil de l’Europe, la notion de droits acquis (et contractuels) a
été mise en œuvre au travers des décisions des tribunaux administratifs.
Mais, comme l’a souligné M. Aleffi dans son rapport, «le droit interne
des Organisations internationales présente de nombreuses lacunes.
Les juridictions internationales administratives – dont le nombre
recensé est à ce jour de 23 pour 100 000 fonctionnaires internationaux
au total – sont confrontées dans la pratique à des cas qui ne peuvent
pas être résolus en s’appuyant tout simplement sur le droit interne
de l’Organisation. Ainsi, pour combler des lacunes, le juge international
est-il appelé à avoir recours tantôt à des “principes internationaux
du droit”, tantôt à des “principes internationaux de la fonction
publique internationale”» (paragraphe 13). Il a également fait observer que
ces principes n’avaient pas été codifiés et qu’ils se fondaient
bien souvent sur le droit des pays de l’Europe continentale et de
la France en particulier. En résumé, en droit de la fonction publique
internationale, on retrouve les conventions qui établissement les
OI, le droit dérivé (les actes réglementaires) et les «principes généraux
du droit»
.
3. L’immunité
de juridiction des organisations internationales et le contentieux
du droit du travail
14. Les principes applicables à
l’immunité des OI devant les juridictions nationales (immunité de
juridiction) ont été rappelés par notre ancien collègue M. Beneyto
dans son rapport précité sur «L’obligation des institutions internationales
de répondre de leurs actes en cas de violations des droits de l’homme».
Nous nous contenterons par conséquent de les résumer brièvement
ci-dessous.
15. Le fait d’octroyer aux OI une immunité devant les juridictions
nationales est une pratique ancienne, qui vise à leur permettre
d’accomplir leur mission de manière indépendante, sans ingérence
unilatérale des gouvernements, y compris du gouvernement de l’État
d’accueil.
16. Concernant l’immunité des États, une distinction est faite
entre les actes
jure imperii, qui
présentent un caractère souverain lorsqu'un État étranger exerce
des fonctions purement gouvernementales, et les actes
jure gestionis, qui sont de nature
commerciale. Les États étrangers jouissent généralement d’une immunité
en matière de contentieux pour la première catégorie d'actes. Alors
que l’immunité des États s’est de plus en plus restreinte au fil
du temps, l’immunité des OI a été interprétée comme une immunité
générale et absolue, même si celle-ci leur est uniquement octroyée
dans la mesure où elle est nécessaire à l’accomplissement effectif
de leur mission. Il s’agit donc d’une «immunité de fonction», qui
vise à permettre aux OI d’exercer efficacement leur mission sans
ingérence excessive de leurs États membres et à empêcher les juridictions
d’un État membre de statuer sur la légalité de leurs actes. Ce type
d’immunité découle du droit international des traités, alors que l’immunité
de l’État découle du droit coutumier et du principe de l’égalité
souveraine des États
. Il n’existe pas de
définition unique de l’immunité de fonction des OI; elle est définie
par les traités pertinents
.
Une OI peut lever son immunité, mais en l’absence d’une telle levée
il n’existe aucune limite généralement admise en droit international
de l’immunité de fonction. La Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour») a récemment réaffirmé l’absence de toute tendance à
l’assouplissement de l’immunité de juridiction des OI en droit international
dans sa décision rendue dans l’affaire
Klausecker
c. Allemagne , concernant
un litige de droit du travail avec les Nations Unies, et dans l’affaire
Kokakshvili c. Géorgie , concernant
le licenciement d’une employée du bureau de l’OSCE à Tbilissi. Comme
l’a souligné lors de l’audition de décembre 2016, Mme Polzin,
cette question fait toutefois débat au sein de la doctrine
. La tendance
la plus marquée à la limitation de cette immunité est celle qui
concerne le contentieux du droit du travail, lorsqu’il n’existe
aucun autre mécanisme de règlement des différends au sein de l’OI
(«autre voie raisonnable de protection», selon la terminologie de
la Cour). Selon certains tribunaux internes, la levée de l’immunité
d’une OI peut intervenir lorsque, au sein de cette dernière, l’individu
ne dispose pas d’un tel mécanisme
. Selon Mme Polzin,
cette tendance peut mener à l’élaboration d’une nouvelle règle du
droit coutumier en droit international.
L’arrêt
de la Cour de cassation belge du 21 décembre 2009 rendu dans l’affaire
Siedler
contre l’Union de l’Europe occidentale (UEO) semble être
un bon exemple pour illustrer cette thèse: dans cette affaire, la
cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour du travail de Bruxelles
du 17 septembre 2003 dans lequel cette dernière a levé l’immunité
juridictionnelle de l’Union de l’Europe occidentale (qui a été dissoute
le 20 juin 2011) en raison de l’insuffisante protection juridictionnelle
au sein de cette dernière. Les juridictions belges ont considéré, notamment,
que la commission de recours interne de l’UEO n’était pas indépendante,
car son mandat était très court (deux ans) et ses membres étaient
nommés par un comité intergouvernemental. Ainsi, le litige pouvait
être tranché par les juridictions belges.
17. Néanmoins, la sentence dans l’affaire
Siedler
c. l’Union de l’Europe occidentale reste un cas isolé
et les juridictions internes d’abstiennent
le plus souvent de lever l’immunité des organisations internationales.
Par exemple, lors de la 50ème réunion
du CAHDI, en septembre 2015
, la délégation de
la Norvège a présenté une affaire concernant un salarié de l’OTAN
qui avait réclamé réparation pour un préjudice lié à des discriminations
et à des représailles alléguées parce qu’il aurait joué le rôle
de donneur d’alerte; le tribunal de district avait rejeté sa plainte
au motif que l’OTAN jouissait de l’immunité et qu’une éventuelle
action en justice devant les juridictions internes mènerait à des
interprétations divergentes et ferait obstacle à la coopération internationale.
18. Lors de l’audition de décembre 2016, Mme Zegveld,
qui a conseillé le SUEPO – le syndicat du personnel de l’Office
européen des brevets (OEB) – pendant plusieurs années, a exprimé
un espoir quant à l’évolution de la jurisprudence des tribunaux
néerlandais suite à l’affaire
SUEPO et
autres c. Office européen des brevets. Cette affaire
concernait l’accès à la justice de SUEPO et d’autres syndicats regroupant
des employés de l’OEB. Le SUEPO est un syndicat du personnel externe,
qui chapeaute des syndicats locaux dans les pays où l’OEB a ses
bureaux, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas. Près de la moitié
des agents de l’OEB – 3 400 (sur 7 000 employés, dont 2 500 travaillent
aux Pays-Bas) – sont aujourd’hui membres du SUEPO. Comme l’OEB ne
le reconnaissait pas et refusait de traiter avec lui, ce syndicat
a porté l’affaire devant les tribunaux néerlandais. Dans un arrêt
du 17 février 2015, la cour d’appel de la Haye a confirmé l’arrêt
de la juridiction de 1ère instance, qui
avait levé l’immunité de juridiction de l’OEB, et a conclu que SUEPO
et les autres syndicats n’avaient à leur disposition aucun moyen
de protéger leurs droits au titre de la Convention, compte tenu
de l’absence de recours interne et de leur impossibilité de saisir
le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail,
qui est compétent pour le contentieux du travail concernant les
agents de l’OEB. La cour d’appel a conclu à une violation du droit
d’association et à l’absence de voie de recours au sein de l’OEB
. Par la suite, l’OEB
refusait d’exécuter l’arrêt de la cour d’appel et s’est pourvue
en cassation devant la Cour suprême néerlandaise. Cette dernière
a rendu son arrêt le 20 janvier 2017 et a infirmé les arrêts de
la cour d’appel et du tribunal de 1ère instance;
selon elle, les juridictions néerlandaises n’étaient pas compétentes pour
statuer sur des recours portés par les syndicats contre l’OEB. La
levée de l’immunité n’était pas justifiée, car on ne pouvait conclure
qu’il y avait des lacunes dans la protection des droits fondamentaux
au sein de l’OEB. L’accès à un tribunal était toujours garanti,
parce que les membres des syndicats pouvaient, à titre individuel,
former des recours devant les instances internes de l’OEB et devant
le TAOIT
.
19. Comme l’a souligné M. Beneyto dans son rapport, à moins que
l’organisation ne renonce elle-même à son immunité de juridiction,
«les organisations internationales échappent aussi bien aux poursuites
devant les juridictions nationales pour leur contentieux en matière
de droit du travail ou leurs litiges contractuels qu’aux tentatives
de remise en cause de la légalité des décisions politiques»
. Si les États relèvent de la compétence de
leurs autorités judiciaires nationales, les OI ne disposent généralement
pas d’un système judiciaire interne aussi affirmé. En outre, elles
«agissent souvent à l’abri des regards», contrairement aux États,
qui sont soumis au contrôle parlementaire et à d’autres obligations
de rendre des comptes dépourvues de caractère juridique, par exemple
vis-à-vis des médias
.
L’immunité n’exonère pas les OI de l’obligation de respecter les
normes en matière de droits de l’homme et il arrive que les questions
de droit du travail soulèvent un certain nombre de préoccupations
sur le plan des droits de l’homme, notamment pour ce qui est du
droit d’accès à un tribunal, du droit à un procès équitable (article
6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme) ou du droit
à ne pas être victime de discrimination (article 14 de la Convention)
. Ainsi, dans sa
Résolution 1979 (2014) sur l’obligation des institutions internationales de
répondre de leurs actes en cas de violations des droits de l’homme,
l’Assemblée a appelé les États membres du Conseil de l’Europe et
les OI auxquelles ils sont Parties à «formuler des lignes directrices
claires relatives à la renonciation des organisations internationales
à leur immunité ou, à défaut, limitant l’étendue de l’immunité dont
elles jouissent devant les juridictions nationales, afin de garantir
que leur immunité fonctionnelle indispensable ne les protège pas
contre la vérification, notamment, de leur respect des droits non
dérogeables en matière de droits de l’homme» (paragraphe 7.3 de la
Résolution 1979 (2014)). Dans sa
Recommandation
2037 (2014) sur le même sujet, l’Assemblée recommandait notamment
aux États membres «d’examiner le statut des organisations internationales
dans leur ordre juridique national et de veiller à prévoir des dispositions
qui permettent la levée de l’immunité lorsqu’elle s’impose» (voir
paragraphe 2.2). En réponse à cette dernière, le Comité des Ministres
a indiqué que le CAHDI examinait régulièrement la question de l’immunité
des OI et qu’il avait observé un «développement de la pratique et
de la jurisprudence relatives à la portée de cette immunité et à
la question de l’existence d’“autres voies raisonnables” dans le
cadre de l’organisation concernée en vue de garantir une protection efficace
des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme»
. Il résulte des plus récents rapports
des réunions du CAHDI que ce dernier examine régulièrement la problématique
de l’immunité des OI, notamment dans le contexte du règlement des
différends de droit privé auxquels une OI est partie
. Le CAHDI est aussi informé par
les États membres de la récente pratique des juridictions internes
à cet égard et dispose d’une base de données relative aux questions
liées à l’immunité des OI, avec des exemples de législation et de
jurisprudence
. Il résulte des dernières discussions
menées au CAHDI qu’il convient de trouver un juste équilibre entre
la nécessité de préserver l’indépendance des OI et celle de protéger
les victimes d’éventuels abus de la part de l’administration. Selon
plusieurs délégations, une approche sur mesure s’impose pour chaque
OI et il faut aussi prendre en compte la distinction entre les actes
jure imperii et les actes
jure gestionis des OI (comme dans
le cas des États)
.
4. La
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le
contentieux du droit du travail au sein des organisations internationales
20. Les procédures de règlement
des litiges au sein des OI ont été abordées par la Cour européenne
des droits de l’homme dans un certain nombre d’affaires au titre
de l’article 6.1 de la Convention. La jurisprudence de la Cour dans
ces affaires peut être résumée comme suit
.
21. Dans plusieurs affaires relatives au contentieux du droit
du travail au sein des OI auxquelles les États membres du Conseil
de l’Europe sont Parties, la Cour a conclu que les requêtes étaient
incompatibles
ratione personae avec
les dispositions de la Convention, car les décisions litigieuses
émanaient d’un organe interne d’une OI ou d’une juridiction internationale
qui ne relevait pas de la compétence de l’État défendeur, et a souligné
que les OI étaient dotées d’une personnalité morale distincte (par
exemple dans deux affaires qui concernaient des litiges relatifs
aux agents des institutions de l’Union européenne –
Boivin c. 34 États membres du Conseil de l’Europe ; Connolly
c. 15 États membres de l’Union européenne et
dans une affaire qui portait sur une procédure engagée devant le
Tribunal administratif du Conseil de l’Europe –
Beygo c. 46 États membres du Conseil de l’Europe ).
22. À cet égard, la Cour a également cherché à déterminer si
les États membres du Conseil de l’Europe pouvaient être tenus responsables,
au titre de la Convention, des actes ou omissions liés à leur adhésion
à une OI. Elle a rappelé les principes qu’elle avait énoncés dans
l’arrêt
Bosphorus ,
dans lequel elle avait conclu que les États étaient responsables
des actes et omission de leurs organes liés à leur qualité de membre
d’une OI. Elle a également établi qu’il y avait lieu de présumer
qu'un État respecte les exigences de la Convention lorsqu'il ne
fait qu'exécuter des obligations juridiques résultant de son adhésion
à l'organisation et lorsque l'organisation en question accorde aux
droits fondamentaux une protection «à tout le moins équivalente
à celle assurée par la Convention»
.
La Cour a fait état de ces principes dans l’affaire
Gasparini c. Italie et Belgique, à
la suite d’une requête introduite par un fonctionnaire de l’OTAN,
qui avait contesté l’équité de la procédure devant la Commission
de recours de l'OTAN (CROTAN) dans le cadre d’un litige portant
sur l’augmentation des cotisations de pension. La Cour a conclu
que l’affaire était recevable, mais manifestement mal fondée. Elle a
déduit des principes énoncés dans l’affaire
Bosphorus que,
lorsque les États membres transfèrent certains de leurs pouvoirs
souverains à une OI, ils ont l’obligation de contrôler que cette
organisation accorde aux droits garantis par la Convention une «protection
équivalente» à celle que leur assure le système de la Convention. Toutefois,
la responsabilité d’un État au titre de la Convention peut uniquement
être engagée si la protection des droits fondamentaux offerte par
l'OI concernée est entachée d'une «insuffisance manifeste»
.
La Cour a conclu que les dispositions qui régissent la procédure
devant la CROTAN étaient conformes aux exigences qui découlent de
l’article 6.1 de la Convention et que la protection accordée aux
requérants par l’OTAN n’était en conséquence pas entachée d’une
«insuffisance manifeste».
23. Dans quelques autres affaires qui portaient sur le contentieux
du droit du travail au sein des OI, la Cour n’a pas conclu que les
requêtes étaient incompatibles
ratione
personae et a privilégié la question de l’immunité de
juridiction des OI. Dans les affaires
Beer
et Regan c. Allemagne et
Waite
et Kennedy c. Allemagne ,
elle a examiné, sous l’angle de l’article 6.1 de la Convention,
les griefs des requérants qui avaient été mis à la disposition de
l'Agence spatiale européenne et avaient cherché, en vain, à obtenir
le statut d’agent de cette organisation. À la suite de la procédure
engagée par les requérants, les juridictions allemandes ont déclaré leur
action irrecevable en se fondant sur l’immunité de juridiction de
l’ASE. La Cour a conclu que la restriction du droit d’accès des
requérants à un tribunal (en l’espèce aux juridictions allemandes)
avait un but légitime, car l’immunité de juridiction vise à assurer
le bon fonctionnement des OI. Elle était également proportionnée au
but poursuivi, puisque les requérants pouvaient et devaient saisir
la Commission de recours de l’ASE, solution qui offrait selon la
Cour «d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs
droits garantis par la Convention». La Cour a souligné que «le critère
de proportionnalité ne saurait s’appliquer de façon à contraindre
une telle organisation à se défendre devant les tribunaux nationaux
au sujet de conditions de travail énoncées par le droit interne
du travail» et que l’application de la législation nationale en
la matière «entraverait (…) le bon fonctionnement des organisations
internationales et irait à l’encontre de la tendance actuelle à l’élargissement
et à l’intensification de la coopération internationale»
. Elle a donc conclu à l’absence
de violation de l’article 6.1 de la Convention.
24. Plus récemment, en janvier 2015, la Cour a réaffirmé sa jurisprudence
antérieure et a rejeté les requêtes introduites dans le cadre de
deux litiges de droit du travail au sein des OI dans les affaires
Pérez c. Allemagne et
Klausecker c. Allemagne (susmentionné).
Dans la première affaire, une ancien agente des Nations Unies faisait
grief, d’une part, des défaillances alléguées de la procédure engagée
devant les instances de recours internes des Nations Unies et le
Tribunal d’appel des Nations unies (UNAT) au sujet de sa révocation
et, d’autre part, d’un défaut d’accès aux juridictions allemandes
en raison de l’immunité de juridiction des Nations Unies. La Cour
a rejeté les deux demandes pour défaut d’épuisement des voies de recours
nationales, considérant que la requérante aurait dû tout d’abord
saisir la Cour constitutionnelle fédérale (même si, s’agissant du
premier grief, la Cour a estimé que la question de la «protection
équivalente» offerte par les Nations Unies pouvait être mise en
doute dans les circonstances de l’affaire). Dans la deuxième affaire,
le requérant, candidat à un poste au sein de l’Office européen des
brevets, n’avait finalement pas été retenu en raison de son handicap
et se plaignait d’un défaut d’accès à un tribunal à propos des procédures qu’il
avait engagées devant les juridictions allemandes (la Cour constitutionnelle
fédérale, qui avait jugé son recours irrecevable, avait réaffirmé
l’immunité de juridiction de l’OEB devant les juridictions allemandes),
ainsi que de celles qu’il avait engagées devant les instances de
l’OEB et le Tribunal administratif de l’OIT. S’agissant de la première
série de procédures, la Cour a rappelé les arrêts
Beer et Regan c. Allemagne et
Waite et Kennedy c. Allemagne et
a fait observer que le requérant disposait «d’autres voies raisonnables»
pour protéger ses droits consacrés par la Convention, puisque l’OEB
lui avait proposé une procédure d’arbitrage. Quant à la procédure
engagée devant l’OEB et le TAOIT, la Cour a rappelé les principes
qui découlent des affaires
Bosphorus et
Gasparini et a conclu qu’en raison
de cette proposition d’arbitrage, la protection des droits fondamentaux
au sein de l’OEB n’était pas entachée d’une «insuffisance manifeste»
; elle a donc rejeté la
requête en ce qu’elle était manifestement mal fondée.
5. Organes
compétents pour les litiges du travail au sein des OI: quelques
exemples
5.1. Épuisement
des voies de recours administratives
25. Afin d’avoir un aperçu bref
des systèmes du contentieux du travail au sein de différentes OI
(mais nécessairement incomplet, vu le nombre d’OI et les contraintes
de ce rapport), nous allons nous intéresser aux systèmes du contentieux
à l’Organisation des Nations Unies, la Banque Mondiale, l’OIT, l’Union
européenne, l’OEB et les
six
organisations coordonnées, à savoir l’OCDE, l’OTAN, l’ASE, le Centre européen
pour les prévisions météorologique à moyen terme (CEPMMT), l’Organisation
européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (EUMETSAT)
et le Conseil de l’Europe même. Nous verrons les différents organes (juridictionnels
ou quasi-juridictionnels) qui reçoivent les plaintes du personnel
de ces organisations, ensuite le statut de ces organes (est-ce qu’ils
peuvent être considérés comme des juridictions?) et s’il existe
ou pas une juridiction d’appel.
26. Avant d’entamer une procédure devant une juridiction (ou «quasi-juridiction»)
interne, les agents sont obligés d’épuiser les voies de recours
administratives, à savoir déposer une plainte administrative devant l’organe
administratif qui a émis la décision en cause. Dans le cas des Nations
Unies, il s’agit d’un recours hiérarchique formé devant le Secrétaire
Général (voir règle 11.2 du
Règlement
du personnel), à l’Union européenne – d’une réclamation auprès de
l’autorité investie du pouvoir de nomination (voir article 90.2
du
Statut
des fonctionnaires des Communautés européennes), à la Banque Mondiale et à l’OIT – de tout recours interne
mis à disposition (voir article II.2 du
Statut
du Tribunal administratif de la Banque mondiale et article VII.1 du
Statut
de TAOIL). Le
Statut
des fonctionnaires de l’OEB prévoit que l’intéressé doit intenter une procédure
de réexamen a d’introduire un recours interne auprès de la commission
de recours; une fois que cette dernière aurait statué, il sera possible
de déposer une requête auprès du TAOIL (voir articles 109-113 du Statut).
27. Quant aux organisations coordonnées, à l’OTAN, avant de saisir
le Tribunal administratif (TAOTAN), les agents doivent épuiser toutes
les voies de recours internes, à savoir, en principe, un recours
hiérarchique suivi d’une réclamation par écrit auprès du chef d’organisme
OTAN (voir articles 61 et 62 ainsi que l’Annexe IX du
Règlement
du personnel civil de l’OTAN). À l’OCDE et au Conseil de l’Europe, le requérant doit
d’abord s’adresser au Secrétaire Général (avec une «demande écrite»
– voir article 3, annexe III du
Statut,
règlement et instructions applicables aux agents de l’organisation de l’OCDE; et une réclamation administrative – voir articles
59 et 60 du
Statut
du personnel du Conseil de l’Europe), à l’EUMETSAT et CEPMMT – au
Directeur général (voir article 37 du
Règlement
du personnel de l’EUMETSAT et article 1 de l’Annexe VII du
Règlement du
personnel du CEPMMT). À l’ASE, lorsqu’un membre du personnel estime qu’une
décision prise à son égard doit être annulée, il doit d’abord demander
l’avis du Comité consultatif, sauf si les parties décident de ne
pas demander un tel avis (article 30.1(ii) du
Statut
du personnel de l’ASE).
5.2. Organes
compétents pour connaître les litiges du droit du travail
5.2.1. Nations
Unies
28. Au sein des Nations Unies,
suite à la Résolution 63/253 de l’Assemblée générale du 24 décembre
2008 et une réforme mise en place en 2009, il existe un double système
de juridiction pour la résolution des litiges du travail: le Tribunal
du contentieux administratif des Nations Unies (UNDT) et le Tribunal
d’appel des Nations Unies (UNAT). L’UNDT est compétent pour connaître,
notamment, des requêtes introduites par des fonctionnaires en activité
ou d’anciens fonctionnaires contre une décision administrative qu’ils
estiment contraire à leurs conditions d’emploi ou leur contrat de
travail (voir articles 2.a et
3 de son Statut). Ses décisions sont susceptibles d’appel devant
l’UNAT, selon les conditions fixées à l’article 2 du Statut de ce
dernier.
29. L’UNDT est composé de trois juges à temps plein, de deux juges
à mi-temps et trois juges ad litem nommés par l'Assemblée générale.
L’UNAT est composé de sept juges. Les juges de ces deux juridictions
ne peuvent pas être de la même nationalité, sont nommés eu égard
aux principes de la répartition géographique et de l’équilibre entre
les effectifs des deux sexes, doivent jouir de la plus haute considération
morale et être impartiaux. Les juges de l’UNDT doivent avoir au
moins 10 ans d’expérience en droit administratif auprès d’une juridiction
nationale; ceux de l’UNAT – au moins 15 ans d’expérience en matière
du droit administratif, droit du travail ou d’une expérience équivalente
acquise auprès d’une juridiction nationale ou internationale. Leur mandat
est de sept ans, non-renouvelable (voir article 4 du
Statut
de l’UNDT et article 3 du
Statut
de l’UNAT)
.
5.2.2. Union
européenne
31. D’après l’article 2 du
règlement
2016/1192 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 relatif au transfert au Tribunal de
la compétence pour statuer, en première sur les litiges entre l'Union
européenne et ses agents, le Tribunal de première instance de l’Union
européenne (TUE) statue, en première instance, sur les litiges entre
l'Union européenne et ses agents. Selon ce règlement, toutes les
affaires pendantes au Tribunal de la fonction publique (un tribunal
spécialisé créé suite à une décision du Conseil de l’Union européenne
du 2 novembre 2004 et dissous par le règlement en question) ont
été transférées au TUE au 1er septembre
2016. Le système juridique de l’Union européenne étant composé de
deux juridictions – la CJUE et le TUE, cette première est aussi
compétente pour examiner des pourvois, limités aux questions de droits,
contre les décisions de cette dernière (article 56 du
Protocole
sur le Statut de la CJUE).
32. Les juges du TUE sont au nombre de 44 (au 19 septembre 2016)
et ceux de la CJUE – au nombre de 28
(plus 11 avocats généraux). Ils sont nommés d’un commun accord par
les gouvernements des États membres, après consultation d’un comité
chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats. Leur mandat
est de six ans, renouvelable (voir articles 253-255 du TFUE).
5.2.3. Autres
organisations internationales
33. Le Tribunal administratif
de la Banque mondiale peut être saisi par tout employé du groupe
de la Banque mondiale, pour toute question concernant le non-respect
du contrat de travail ou les conditions de nomination d’un membre
du personnel (article II.1 de son
Statut). Les membres du Tribunal administratif de la Banque mondiale
sont au nombre de sept, tous de nationalité différente pour une
durée de cinq ans et ne peuvent être réélus qu’une seule fois. Ils
sont choisis par les Directeurs exécutifs de la Banque après une
consultation appropriée, à partir d’une proposition du Président
de la Banque. Afin de choisir les candidats, le Président de la
Banque crée un comité consultatif ayant une expérience dans le domaine
(voir Article IV.1 et 2 de son Statut; ces dispositions fixent aussi
les compétences requises pour le poste de juge, les juges doivent
notamment posséder les qualifications requises pour l’exercice de
hautes fonctions judiciaires ou être un jurisconsulte possédant
une compétence notoire dans les relations du travail, la fonction
publique internationale ou la gestion des OI).
34. Le Tribunal administratif de l’Organisation Internationale
du Travail, qui est aussi compétent pour les recours concernant
le personnel de l’OEB, examine des requêtes «invoquant l'inobservation,
soit quant au fond, soit quant à la forme, des stipulations du contrat
d'engagement des fonctionnaires du Bureau international du Travail
et des dispositions du Statut du personnel qui sont applicables
à l'espèce», ainsi que sur les différends concernant les indemnités
prévues pour les cas d'invalidité et d'accident ou de maladie survenus
à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions (article II.1
et 2 de son
Statut). Ses sept juges, tous de nationalités différentes,
sont nommés pour une durée de trois ans par la Conférence internationale
du travail (article III du
Statut).
5.2.4. Organisations
coordonnées
35. Trois organisations coordonnées,
dont l’OCDE, l’OTAN et le Conseil de l’Europe (qui sera examiné séparément),
ont créé des tribunaux administratifs, alors que les trois autres
disposent de commissions de recours.
36. Le Tribunal administratif de l’OTAN remplace l’ancienne Commission
de recours de l’OTAN depuis le 1er juillet
2013. Il peut connaître de tout litige d’ordre individuel porté
devant lui par un membre du personnel ou un membre du personnel
retraité de l’OTAN, ou par son ayant droit, s’estimant lésé par
une décision qui serait non conforme au Règlement du personnel civil
de l’OTAN ou aux conditions d’engagement. Le Tribunal administratif
de l’OTAN comprend cinq membres, qui doivent avoir la nationalité
de l’un des États membres de l’OTAN. Les membres, tous de nationalité
différente, sont nommés par le Conseil de l’Atlantique Nord pour
un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Ils doivent
notamment posséder les qualifications requises pour l’exercice de
hautes fonctions judiciaires ou être un jurisconsulte possédant
une compétence notoire dans un ou plusieurs domaines relevant du
tribunal (article 6.1.1 de l’Annexe IX au
Règlement
du personnel civil).
37. Le Tribunal administratif de l’OCDE, qui depuis 1992 remplace
l’ancienne Commission de recours de l‘OCDE, a compétence pour résoudre
toute question relative à l’interprétation et à l’application du
Statut du personnel, des règlements applicables et des conditions
d’engagement (voir Article 1 de l’Annexe III au Statut, règlement
et instructions applicables aux agents de l’Organisation). Il comprend
trois juges, ainsi que trois suppléants, de nationalité différente
et n’appartenant pas à l’Organisation. Ils sont désignés par le
Conseil de l’OCDE pour une durée de trois ans (renouvelable) parmi
des personnes offrant des garanties d’impartialité et qui sont des
juristes ou d’autres personnes hautement qualifiées en droit du
travail ou de la fonction publique ou dans le domaine des relations
du travail, sur le plan national ou international (article 22 du
Statut,
règlement et instructions applicables aux agents de l’Organisation).
38. L’Agence spatiale européenne dispose d’une «Commission de
recours indépendante de l’Agence qui connaît les litiges relatifs
à toute décision explicite ou implicite prise par l’Agence et l’opposant
à un membre du personnel en fonctions, un ancien membre du personnel
ou ses ayants droit» (article 33.1 du
Statut
du personnel). La Commission de recours est composée de six membres
de nationalité différente, désignés par le Conseil de l’Agence.
Ses membres sont indépendants; ils ne peuvent être membres du personnel
de l'Agence ni d'une délégation d'un État membre. Ils ne doivent
ni solliciter, ni accepter d'instructions de quiconque. Ils sont
nommés par le Conseil pour six ans; leur mandat peut être renouvelé
(article 34 du
Statut du
personnel).
39. Les membres du personnel de l’EUMETSAT et du CEPMMT peuvent
attaquer les décisions du Directeur général devant la Commission
de recours, composée d’un président et de deux membres; ils peuvent
avoir des membres suppléants et sont nommés pour un mandat (renouvelable)
de trois ans respectivement par le Conseil de l’EUMETSAT ou du CEPMMT,
sur la base d’une liste de candidats indépendants de l’organisation, proposés
par le directeur général (article 38 du
Règlement
du personnel de l’EUMETSAT et article 39 du
Règlement
du personnel du CEPMMT).
5.2.5. Tribunal
Administratif du Conseil de l’Europe
40. Le Tribunal Administratif du
Conseil de l’Europe (TACE) connaît les litiges entre l’Organisation
et ses agents, anciens agents, les ayants droits de deux catégories
de personnes et aux candidats extérieurs admis à des concours de
recrutement, si les conditions de l’article 60, paragraphes 1 et
3 du Statut de Personnel sont remplies, à savoir en cas de rejet
de réclamation administrative par le Secrétaire Général. La compétence
du Tribunal administratif a été reconnue par la
Commission
Centrale pour la Navigation du Rhin (CCNR).
41. Le TACE est composé de trois juges n’appartenant pas au personnel
du Conseil de l’Europe; un juge et un suppléant sont nommés par
la Cour européenne des droits de l’homme, parmi des personnalités
qui exercent ou ont exercé une fonction judiciaire dans un État
membre du Conseil de l’Europe ou dans une juridiction internationale,
à l’exclusion des juges de la Cour en fonction. Les autres juges
(deux titulaires et deux suppléants) sont désignés par le Comité
des Ministres parmi des juristes ou d’autres personnes de haute compétence,
possédant une grande expérience en matière administrative. Les juges
du TACE sont nommés pour une durée de trois ans; ils sont rééligibles
(voir article 1 du
Statut
du TACE). Comme l’a souligné la Juge Heers lors de l’audition
de décembre 2016, la plupart des juges sont nommés par le Comité
des Ministres (et non pas par l’Assemblée, qui n’a aucun rôle dans
cette nomination, contrairement à l’élection par elle des juges de
la Cour européenne des droits de l’homme) et les avis de vacance
ne sont pas publiés. Néanmoins, les juges du Tribunal Administratif
sont désormais des juristes professionnels, et non pas des anciens ambassadeurs,
comme c’était le cas auparavant.
42. Malheureusement, le cadre de ce rapport ne me permet pas d’analyser
en détail la jurisprudence du TACE (ni, d’ailleurs, celle d’autres
juridictions internes des OI). Néanmoins, comme l’a souligné la
Juge Heers lors de l’audition de décembre 2016, le TACE offre une
protection très large et parfois audacieuse sur certains points,
même s’il n’a pas imposé la règle – reconnue en droit national et
en droit de l’Union européenne – selon laquelle un certain nombre
de CDD aboutirait à un CDI (et certains spécialistes dans le domaine
ont une opinion plus critique sur sa jurisprudence
).
Son Statut ne contient pas de référence à la Charte sociale européenne,
mais cette dernière est applicable en tant que «principes généraux
de droit». Le TACE a souligné à plusieurs reprises la nécessité
de prévoir un recours effectif et approfondi contre le pouvoir de
l’autorité administrative, ce pouvoir pouvant être discrétionnaire,
mais pas arbitraire. Le contrôle du TACE est restreint, car le TACE
ne sanctionne que des erreurs d’appréciation manifestes. Toutefois,
il y a eu quelques cas où il est allé assez loin dans sa critique
de l’administration. Par exemple, dans une sentence du 28 avril
2015
, suite
à l’éviction de la procédure de recrutement de six personnes, il
a considéré que le rôle de l’administration d’une OI consistait
à traiter les agents dans une «dimension humaine» et s’est dit concerné
par la «manière hautement formaliste» de la procédure de recrutement.
Le TACE a aussi regretté la manière dont l’Organisation poursuivait
sa politique contractuelle (voir point 71 de la sentence) et lui
a recommandé d’instaurer un système d’information transparent (voir
point 75 de la sentence).
6. Conclusions
43. Au vu de ce qui précède, l’immunité
des OI demeure assez absolue, contrairement à celles des États, qui
a fait l’objet d’un certain nombre de limitations; elle est difficilement
contestable devant les juridictions nationales et internationales.
La Cour européenne des droits de l’homme en reconnaît l’existence
et se montre clairement réticente à examiner les affaires de litiges
qui portent sur des questions de droit du travail au sein des OI,
même lorsqu’elles pourraient avoir des répercussions sur le plan
des droits de l’homme, en particulier pour ce qui est du droit d’accès
à un tribunal et du droit à un procès équitable. Certaines de ces
affaires ont été jugées incompatibles
ratione
personae (à l’exception de l’affaire
Gasparini), tandis que, dans d’autres affaires,
la Cour a fait appel au critère de «l’insuffisance manifeste» de
la protection et au critère de «proportionnalité» au regard de l’article
6.1 de la Convention et s’est appuyée sur la notion «d’autres voies raisonnables»
de protection. Aucune requête de ce type introduite devant la Cour
n’a abouti au constat d’une violation de la Convention et il semble
que la Cour donne la priorité à l’autonomie des OI
.
44. Même si les arguments juridiques pour le maintien de l’immunité
juridictionnelle des OI restent bien solides et ce système marche
relativement bien en pratique, l’exemple de l’affaire des syndicats
auprès de l’OEB – présentée par Mme Zegveld
lors de l’audition de décembre 2016 – démontre que cette immunité
de juridiction peut être utilisée de manière abusive en cas de mauvaise
gestion et de conflits internes dans une OI. Suite à l’affaire portée
par le SUEPO et les autres syndicats devant les tribunaux néerlandais,
les dirigeants de l’OEB ont lancé une campagne contre les membres
de SUEPO; certains d’entre eux ont été licenciés ou suspendus ou
ont subi une diminution de leurs salaires ou pensions. L’OEB échappant
à tout contrôle public, son Conseil d’administration, qui est l’organe
de surveillance de cette organisation, n’a rien fait pour empêcher les
procédures disciplinaires et les enquêtes internes injustes. Il
en résulte que les activités des OI, qui souvent échappent au contrôle
démocratique des parlements nationaux et des médias, devraient être
plus transparentes et mieux contrôlées par les États, qui sont tenus
responsables des abus ayant lieu dans ces organisations. Cette affaire
démontre aussi l’importance du respect de la liberté d’association
en cas de litige avec l’employeur y compris quand celui-ci est une
OI et la nécessité pour les syndicats d’avoir accès à toutes les
voies de recours disponibles.
45. Le droit d’accès à un tribunal et à un procès équitable est
un droit primordial et les membres du personnel des OI devraient
en jouir dans la même mesure que les personnes soumises aux règles
du droit du travail national. Cela est surtout nécessaire dans les
affaires qui présentent d’importantes souffrances psychologiques,
comme les affaires de harcèlement ou de discrimination au travail,
car les mécanismes d’arbitrage ou de médiation qui sont opérationnels
dans la plupart des OI, ne permettent pas de résoudre ces problèmes
et d’accorder une protection juridique appropriée aux victimes.
C’est pour cela que «d’autres voies raisonnables» de protection,
remplissant les critères d’un «tribunal» au sens de l’article 6
de la Convention, doivent être établies au sein des OI. Un examen
superficiel du système du contentieux du travail de quelques OI
permet de constater que même si la plupart de ces OI disposent d’une
sorte de juridiction interne pour trancher les litiges entre le
personnel et l’administration (notamment suite à des réformes mises
en place dans la dernière décennie à l’OTAN, les Nations Unies et
l’Union européenne), accessible après l’épuisement de voies de recours
administratives, la nomination des membres de ces juridictions relève
souvent du pouvoir exécutif de l’organisation et les dispositions
de certains statuts ou règlements ne sont pas suffisamment précis quant
aux compétences requises pour le poste de juge au sein d’une telle
juridiction. En outre, seulement les Nations Unies et l’Union européenne
– deux organisations qui disposent d’un système de recours assorti
de garanties – ont introduit un système de deux instances judiciaires.
Afin d’évaluer d’une manière plus complète la façon dont ces juridictions
remplissent les critères de l’article 6 de la Convention, une analyse
de leur jurisprudence serait utile, mais malheureusement cela n’a
pas été possible dans le cadre de ce rapport.
46. Une analyse comparative de ces systèmes de juridictions internes
se heurte à plusieurs difficultés, notamment à un certain manque
de transparence, les documents de base n’étant pas toujours faciles
à trouver et les sites des OI n’étant pas toujours mis à jour quant
aux questions concernant les droits du personnel. Il est intéressant
de noter qu’une étude sur les juridictions internes de 30 OI (dont
les Nations Unies, l’OIT, l’Union européenne et quatre organisations
coordonnées – à part le Conseil de l’Europe et CEPMMT) a été récemment
menée (
Internal
Justice Systems of International Organisations Legitimacy Index
2016 ).
Selon cette étude, les critères suivants ont été pris en compte
dans l’évaluation de ces juridictions: leur structure, les dispositions
juridiques applicables et leur clarté ainsi que le fonctionnement,
les compétences et la structure des organes de première et de deuxième
instance. Suite à une évaluation globale de ces critères, les 10
OI qui avaient obtenu le meilleur score dans cette étude étaient:
le Secrétariat du Commonwealth, les Nations Unies, l’Union européenne,
la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Banque
européenne pour la reconstruction et le développement, l’OCDE, l’OEB,
l’Organisation maritime internationale et l’Organisation mondiale
de la santé. Dans ce classement, l’ILO, l’OTAN, l’ASE, l’EUMETSAT
et l’OSCE figurent respectivement 14ème,
18ème, 25ème,
28ème et 29ème.
47. Pour conclure, le droit de la fonction publique internationale
ne fait l’objet d’aucun système juridique codifié et l’applicabilité
de la Convention européenne des droits de l’homme reste limitée
dans ce domaine. Toutefois, les États Parties à la Convention doivent
vérifier si les OI accordent une «protection équivalente»; selon
certains auteurs, il existe même une règle coutumière du droit international
selon laquelle les OI sont liées par les normes internationales
concernant la protection des droits de l’homme
. Le Conseil de l’Europe, en
tant qu’organisation internationale chargée de la protection des
droits de l’homme et de l’État de droit, devrait davantage approfondir
ces questions.