1. Introduction
1. Alors que l’Europe est aux
prises avec les difficultés engendrées par l’afflux de réfugiés
et de migrants en provenance de pays extérieurs au continent, les
conséquences humanitaires du conflit en cours en Ukraine ont été
largement négligées.
2. Trois ans après le déclenchement de la guerre, la situation
demeure extrêmement tendue et instable, avec une intensification
des combats militaires durant les mois d’été. D’après le Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), depuis avril 2014,
10 225 personnes ont été tuées en Ukraine, dont 2 505 civils, et
24 542 personnes ont été blessées
. Le nombre de personnes touchées par le
conflit s’élève au total à 4,4 millions de personnes, dont 4 millions
nécessiteraient une aide humanitaire
.
3. La crise humanitaire et l’instabilité auxquelles les régions
sud-orientales de Donetsk et de Lougansk sont en proie sont particulièrement
inquiétantes car l’aide humanitaire ne parvient que très difficilement
dans ces zones.
4. D’après le ministère ukrainien de la Politique sociale, le
nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) depuis
le Donbass et la Crimée enregistré en Ukraine s’élevait à 1 592 430
personnes en septembre 2017
. Dans la réalité toutefois,
les chiffres pourraient être encore plus élevés, toutes les personnes déplacées
n’ayant pas été enregistrées. Près de 60 % des personnes déplacées
sont des femmes; avec les enfants et les personnes âgées, elles
représentent jusqu'à 70 % des personnes hébergées dans les centres collectifs
pour personnes déplacées
.
5. Les PDI continuent de faire face à d’énormes difficultés dans
leur vie quotidienne en raison du manque de ressources financières
et de la pénurie d’emplois et de logements – avec notamment une
absence de programmes de logement ciblés.
6. Outre les PDI, de nombreux réfugiés ukrainiens ont sollicité
une protection dans les pays voisins.
7. La guerre a eu de graves répercussions sur la situation économique
de l’ensemble du pays et a en particulier fragilisé les conditions
de vie dans les territoires occupés. Plus de 10 000 maisons ont
besoin d’être réparées dans la région de Lougansk et de nombreuses
propriétés privées ont été endommagées ou illégalement occupées
et pillées.
8. Durant l’été, la chaleur et le climat d’insécurité ont généré
des problèmes supplémentaires liés, notamment, à l’approvisionnement
en eau des territoires occupés et des campements installés près
de la «ligne de contact». L’hiver posera de nouvelles difficultés
en matière de chauffage et d’accès à l’eau à près de 2 millions
de personnes situées des deux côtés de la ligne de contact. L’accès
aux soins de santé est un sujet de préoccupation majeur pour les
personnes vivant à proximité de cette ligne et dans les territoires
occupés.
9. Malheureusement, le Plan de réponse humanitaire de 204 millions
de dollars US proposé par le Bureau de la coordination des affaires
humanitaires des Nations Unies (OCHA) pour 2017 est resté largement
sous-financé et n’a recueilli que 26 % des financements requis.
Dans de telles circonstances, il est particulièrement important
d’appeler tous les États membres du Conseil de l’Europe à répondre
de toute urgence à la crise humanitaire imputable à la guerre dévastatrice
que connaît l’Ukraine.
2. Travaux antérieurs de la commission
et portée du rapport
10. Depuis le début de la guerre
en Ukraine, la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
suit de près la situation humanitaire dans le pays. Le premier rapport
sur ce sujet a été élaboré par notre ancien collègue, M. Jim Sheridan
(Royaume-Uni, SOC). L’Assemblée a adopté la
Résolution
2028 (2015) sur la situation humanitaire des réfugiés et des personnes
déplacées ukrainiens, sur la base de ce rapport.
11. La commission s’est ensuite penchée sur deux problèmes différents
mais interdépendants mis en lumière dans le rapport de M. Sheridan,
à savoir les personnes portées disparues et les personnes capturées pendant
la guerre en Ukraine (Résolutions
2067
(2015) et
2112
(2016)).
12. Pour donner suite au rapport de M. Sheridan, la commission
a décidé de demander aux autorités ukrainiennes et russes de rendre
compte de l’avancement de la mise en œuvre des parties pertinentes
de la
Résolution
2028 (2015). Les autorités ukrainiennes ont communiqué leur réponse
à la commission, mais la décision ayant été prise juste avant celle
de la Fédération de Russie de suspendre sa participation aux travaux de
l’Assemblée, il n’y a eu aucun échange sur ce sujet.
13. Dans mon rapport, j’entends donner une vue d’ensemble des
problèmes humanitaires actuels liés à la guerre en Ukraine et examiner
la mise en œuvre des recommandations précédentes de l’Assemblée.
Outre les problèmes déjà soulevés dans les autres rapports (la situation
des PDI et des réfugiés et le cas des personnes capturées et portées
disparues et de leurs familles), j’ai examiné également la situation
de la population civile dans les territoires temporairement occupés
et dans les zones situées le long de la dite «ligne de contact».
14. En coopération avec les organisations partenaires qui s’emploient
à apporter une aide humanitaire en Ukraine, je me suis efforcé de
recenser les mesures susceptibles de contribuer à l’amélioration
de la situation actuelle dans ce domaine et j’invite les organisations
concernées à les mettre en œuvre.
15. J’ai entamé l’élaboration de ce rapport en participant au
Forum dit des villes solidaires, organisé par le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) le 20 juillet 2016 dans
la ville ukrainienne de Marioupol, qui a accueilli 106 000 personnes
déplacées de la zone de guerre.
16. Dans le cadre de l’élaboration de mon rapport, j’ai effectué
deux missions d’information, la première en Pologne, en mars 2017,
pour examiner la situation des migrants et des réfugiés ukrainiens
contraints d’émigrer en raison de la guerre, et la seconde en Ukraine,
en avril 2017, où je me suis rendu à Kiev, à Sloviansk, à Bahmut,
à Kramatorsk et au «point de contrôle» de Mayorsk, qui permet d’entrer
dans les territoires temporairement occupés. Je tiens à remercier
les délégations polonaise et ukrainienne, ainsi que leur secrétariat,
pour leur aide précieuse dans l’organisation de ces missions.
17. La commission a également organisé plusieurs auditions sur
le thème du présent rapport, invitant les représentants des autorités
ukrainiennes, des organisations internationales et de la société
civile.
18. Le présent rapport ne porte pas sur la situation humanitaire
en Crimée, même si certaines parties fournissent des informations
et des données relatives à l’occupation de la péninsule de Crimée
par la Fédération de Russie. Certains aspects du rapport, en particulier
la situation des PDI en Ukraine, seront également abordés dans le
rapport intitulé «Répondre aux besoins humanitaires des personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays: les enseignements à
tirer et les futurs enjeux en Europe», en cours d’élaboration par
M. Killion Munyama.
3. Personnes
portées disparues
19. Concernant la situation des
personnes portées disparues pendant la guerre en Ukraine, j’ai été
informé par le Service de sécurité ukrainien qu’en date d’octobre
2017, 404 personnes étaient considérées comme portées disparues
(112 militaires, 11 combattants appartenant à des unités volontaires
et 281 civils, parmi lesquels 6 bénévoles et un journaliste).
20. Parallèlement, le bureau du Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) en Ukraine a signalé que 645 cas de personnes portées disparues
depuis le début de la guerre demeuraient non élucidés
. La majorité des
disparus sont des hommes et environ la moitié de tous les cas enregistrés
concernent des civils disparus.
21. La situation des familles des personnes portées disparues
est très précaire. La douleur constante de ne pas connaitre le sort
de leurs proches est accentuée par de multiples problèmes, notamment
l’insuffisance de ressources pour survivre, mais aussi des défis
juridiques et administratifs.
22. De nombreux membres des familles de personnes portées disparues
ont besoin d'une assistance psychologique urgente. Certains parents
sont allés dans les territoires temporairement occupés pour rechercher
leur famille disparue et ont vécu des événements traumatisants dus
à la guerre. Les femmes et les enfants sont les plus vulnérables,
car de nombreuses familles de disparus se sont retrouvées sans soutien principal.
Les équipes du CICR, en coopération avec des unités locales de la
Croix-Rouge, aident les familles des personnes portées disparues
à déposer des demandes de recherche et à satisfaire leurs besoins
matériels et psychologiques.
23. En outre, le CICR fournit des conseils, un soutien et une
formation aux autorités locales et aux spécialistes en médecine
légale en matière de recherche, de récupération, d’analyse, d'identification
et de gestion d'un grand nombre de restes non identifiés de personnes
portées disparues
.
Il faudrait cependant un cadre juridique approprié pour introduire
un statut de «personne disparue» dans la législation ukrainienne
et répondre de manière efficace à tous les besoins des familles
des personnes portées disparues.
24. Ainsi que Mme Iryna Gerashchenko,
vice-présidente du Parlement ukrainien et représentante spéciale du
Président pour le règlement pacifique du conflit dans les régions
de Donetsk et de Lougansk, m’en a informé, le projet de loi sur
le statut des personnes portées disparues est actuellement en cours
de lecture au parlement
. D’autres initiatives législatives
qui faciliteront les activités de la Croix-Rouge internationale
ainsi que les activités antimines sont également en cours d’élaboration
par le parlement.
25. Malheureusement, depuis ma visite en Ukraine, en avril 2017,
cette loi très importante est toujours en cours et j’encourage le
parlement à prendre des mesures immédiates pour y remédier, afin
d’améliorer la vie des familles des personnes portées disparues.
26. Il importe également de dépolitiser le processus d’échange
d’informations médico-légales entre le Gouvernement ukrainien et
les services compétents dans les territoires temporairement occupés.
4. Personnes
capturées
27. Comme indiqué par le Service
de sécurité de l’Ukraine, 152 personnes ont été capturées par des groupes
armés illégaux (70 militaires, 4 combattants des bataillons de volontaires
et 78 civils, dont 3 bénévoles et un journaliste). Selon le Centre
indépendant pour la libération des prisonniers et la recherche des
personnes portées disparues, créé sous l’égide du Service de sécurité
ukrainien, 3 140 personnes capturées ont été libérées depuis le
début de la guerre, dont 1 534 civils et 1 606 militaires
.
28. Aucun progrès significatif n’a été accompli depuis l’adoption
en 2016 de la résolution de l’Assemblée sur «Les préoccupations
humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre
en Ukraine». Le processus d’échange de prisonniers est fortement
politisé et bloqué au niveau du groupe de travail sur les questions
humanitaires du groupe de contact trilatéral sur l’Ukraine de Minsk.
Les organisations internationales n’ont pas le droit de rendre visite
aux prisonniers des groupes armés illégaux dans les territoires temporairement
occupés. Les personnes libérées (notamment les civils) rencontrent
maintes difficultés pour récupérer leurs papiers et bénéficier d’une
aide juridique, sociale et médicale. Aucun mécanisme n’est en place pour
garantir un soutien de l’État à ces personnes qui, jusqu’ici, ne
bénéficient d’aucun statut juridique particulier dans la législation
ukrainienne. L’assistance est principalement assurée par les organisations
non gouvernementales. La question de la réadaptation médicale des
prisonniers est cruciale, car les spécialistes qualifiés dans ce
domaine sont peu nombreux en Ukraine.
29. Le Service de sécurité de l’Ukraine a recueilli les témoignages
de plus de 1 500 militaires qui ont été capturés par des groupes
armés illégaux. Selon ce service, la moitié d'entre eux ont témoigné
avoir été torturés et forcés de coopérer par les services de sécurité
russes. Quara nte-sept personnes capturées et libérées depuis ont
déposé plainte auprès d'institutions internationales, notamment
le HCDH.
30. Malgré de nombreuses demandes et discussions à Minsk, les
organisations humanitaires et les ONG internationales qui apportent
une aide humanitaire n’ont pas accès aux territoires temporairement
occupés pour contrôler les conditions de détention des personnes
capturées.
31. Il importe de souligner que l’échange et la libération des
prisonniers devraient relever du seul domaine humanitaire. En dépit
des précédentes recommandations de l’Assemblée, le statut des personnes
capturées et des personnes portées disparues n’est toujours pas
défini dans la législation ukrainienne. Il est donc essentiel de
reconnaître que les combats militaires dans la région du Donbass
constituent un «conflit militaire international» et d’appliquer
les normes du droit humanitaire international énoncées dans les
conventions de Genève.
5. Prisonniers
en Fédération de Russie
32. Selon des informations provenant
de la campagne internationale «
LetMyPeopleGo», fin novembre 2017 au moins 56 citoyens ukrainiens
avaient été poursuivis pour des motifs politiques par les forces
de l'ordre russes. Ce nombre de prisonniers est en constante augmentation
tandis que la persécution de la
population pro-ukrainienne continue.
33. En 2016, cinq prisonniers ukrainiens avaient été libérés des
geôles russes, dont Mme Nadia Savtchenko, ancienne
membre de l’Assemblée parlementaire. Le processus d’échange et de
libération des prisonniers est excessivement politisé et en conséquence
très lent. Le groupe de contact trilatéral de Minsk est la seule plateforme
de négociation dans ce domaine. Le sort des personnes détenues en
Fédération de Russie et sur le territoire de la Crimée n’est pas
examiné à Minsk. Ce type de questions relatives au droit humanitaire international
et au respect des droits des détenus, des civils et des militaires
est bloqué par le processus de Minsk, très politisé. Par conséquent,
je soutiens fermement l’idée avancée par plusieurs ONG ukrainiennes
de créer, outre le groupe de travail sur les questions humanitaires,
une nouvelle plateforme de négociation pour les questions humanitaires
liées à la guerre en Ukraine.
34. Le 25 octobre 2017, deux dirigeants tatars de Crimée, M. Akhtem
Chiygoz et M. Ilmi Umerov, qui avaient été condamnés en Crimée occupée
à la suite de procès motivés par des raisons politiques, ont été
libérés par les autorités russes suite aux négociations entre le
président russe Poutine et le président turc Erdoğan. Je me félicite
des efforts déployés par le président turc pour défendre les droits
de la population tatare de Crimée en Crimée. La communauté internationale
devrait continuer à mettre la pression sur les autorités russes
pour faire libérer d'autres prisonniers ukrainiens poursuivis pour
des raisons politiques dans la Fédération de Russie et en Crimée.
6. Situation
des PDI
35. La situation des personnes
déplacées à l’intérieur du pays du fait des combats militaires dans
la région du Donbass et de l’occupation de la Crimée par la Fédération
de Russie demeure un défi majeur pour le Gouvernement ukrainien.
Malgré une certaine aide des organisations internationales, les
ressources financières sont insuffisantes pour répondre aux besoins
immédiats des PDI. L’aide sociale de l’État en leur faveur s’est
élevée à UAH 1,9 milliard (600 millions d’euros) en 2017, mais ces
fonds ne suffisent pas pour satisfaire aux besoins des PDI en matière
de logement. L’information, le soutien psychologique, le logement, l’emploi
et les soins de santé sont les principaux sujets de préoccupation
cités par les représentants des PDI que j’ai rencontrés en Ukraine.
Outre le logement, qui demeure un problème majeur à résoudre par
le gouvernement, le niveau d’emploi des PDI est très bas, d’après
la dernière enquête réalisée par l'Organisation internationale pour
les migrations (OIM). Seuls 40 % des PDI sont parvenues à trouver
un emploi, tandis que 38 % des PDI en âge de travailler sont considérées
comme sans-emploi. Les personnes dénoncent l’absence d’emplois,
les bas salaires et des postes qui ne correspondent pas à leurs
qualifications.
36. L’absence de logements est un problème grave pour les personnes
qui ont fui la guerre. D’après le rapport interservices sur la vulnérabilité
dans les régions de Donetsk et de Lougansk, 70 % des PDI qui ne parviennent
pas à trouver de solution en matière d’hébergement retournent dans
les zones touchées par le conflit et les territoires temporairement
occupés.
37. Contrairement à la loi ukrainienne sur les droits et les libertés
des PDI, la plupart des PDI ne sont pas placées dans des logements
temporaires. Beaucoup d’entre elles habitent là où elles ont été
accueillies immédiatement après leur déplacement (sanatoriums, foyers)
et refusent d’en partir. Les structures qui les ont prises en charge
se retrouvent tenues de s’acquitter de leurs créances (électricité,
gaz et autres factures d’approvisionnement).
38. Il n’existe toujours pas de procédure définie pour protéger
les droits au logement et les droits de propriété des PDI, et aucune
évaluation des besoins concernant le droit au logement des PDI,
ni aucune évaluation des propriétés privées perdues ou endommagées,
n’ont pas été effectuées (il n’existe aucun registre des propriétés
privées perdues ou endommagées).
39. À ce jour, le gouvernement ne propose aucune stratégie adaptée
pour régler la question de l’hébergement des PDI. Toutefois, le
ministère des Territoires temporairement occupés et des PDI s’est
attelé à la question à long terme de la restitution des biens endommagés
ou détruits dans le cadre de sa stratégie nationale en matière de
logement.
40. À titre de premier pas, la Verkhovna Rada ukrainienne a adopté
la loi no 1954-VIII du 16 mars 2017 portant
modification de l’article 4 de la loi ukrainienne visant à prévenir
l’influence de la crise financière mondiale sur le développement
du secteur de la construction et du bâtiment
(qui porte sur la mise en œuvre des
programmes publics en matière de logement), qui envisage notamment
une aide de l’État aux PDI à hauteur de 50 % de la valeur de la
construction (de l’acquisition) de logements abordables et/ou des
crédits immobiliers à taux préférentiels pour l’acquisition d’une
résidence. Cela étant, aucun fonds n’a été affecté au budget de
l’État ukrainien pour la mise en œuvre de ladite disposition.
41. De nombreuses PDI souffrent du syndrome de stress post-traumatique
à la suite de leur expérience traumatisante de la guerre et ont
besoin d’un traitement immédiat. Le long de la ligne de contact,
où vivent de nombreuses PDI, les services médicaux qualifiés manquent.
L’Ukraine ne possède pas suffisamment de psychologues qualifiés
pour traiter les cas de stress post-traumatique; les organisations
internationales et ONG telles que le Conseil de l’Europe, le CICR,
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Unicef, l’OCHA, Médecins
du Monde, USAID et Caritas s’efforcent de répondre aux besoins immédiats
des groupes les plus vulnérables (personnes âgées, enfants, femmes).
Toutefois, l’absence de coordination entre les diverses organisations
qui assistent les PDI, en particulier au niveau local, est, selon
les représentants des ONG et des organisations internationales,
une source de préoccupation majeure et entraîne un chevauchement
d’activités.
42. La vulnérabilité des PDI est en outre aggravée par leur accès
limité aux pensions de retraite et aux prestations sociales. Les
PDI qui ont droit à des prestations sociales ou à des pensions de
retraite sont soumises à quatre niveaux de procédure d’identification
par différentes institutions, ce qui est discriminatoire car ce
sont les seules à faire l’objet d’une telle procédure. Qui plus
est, si le ministère décide qu’il y a eu violation des règles sur
l’aide ciblée, les PDI concernées sont contraintes de restituer
la totalité de l’aide ciblée reçue au fil des ans. Les organisations
internationales et non gouvernementales qui s’occupent des PDI ont invité
le gouvernement à abroger la Résolution no 365
(relative à l’inspection des hébergements des PDI) et la Résolution
no 167 (relative à l’identification physique
à la Caisse d’épargne de l’Ukraine «Oschadbank»), qui font peser
une charge disproportionnée sur les PDI, en particulier les catégories
les plus vulnérables. L’abrogation de ces textes permettrait d’améliorer
nettement la situation des PDI en Ukraine, ainsi que la situation
humanitaire dans les régions orientales de l’Ukraine.
43. En réponse aux critiques incessantes de la communauté des
PDI et des acteurs internationaux, le ministère de la Politique
sociale s’est efforcé d’améliorer la procédure d’identification
des PDI par l’adoption de la Résolution 964 du Conseil des ministres
ukrainien du 14 décembre 2016, portant modification de certaines résolutions
du Conseil des ministres ukrainien. La résolution prévoit notamment
une procédure simplifiée d’enregistrement (notification par téléphone
des changements du lieu de résidence au sein de la même unité territoriale
administrative par exemple), la fourniture d’une assistance sociale
gratuite et le paiement des retraites au lieu actuel de résidence,
par l’intermédiaire du service de la Caisse d’épargne de l’Ukraine
pour les personnes handicapées.
44. Cela étant, ces modifications réglementaires ne donnent pas
effet aux recommandations formulées par l’Assemblée dans sa Résolution
2112 (2016) exhortant le Gouvernement ukrainien à améliorer, dans
la mesure du possible, les conditions de vie des citoyens résidant
dans les territoires non contrôlés et des personnes déplacées depuis
ces régions en simplifiant les procédures administratives relatives
à leur accès aux prestations sociales et au paiement des retraites.
L’État a l’intention de verser ces retraites aux seuls citoyens
des territoires temporairement occupés qui ont été déplacés vers
des zones contrôlées par le gouvernement.
45. Le 14 septembre 2017, le Conseil des ministres a finalement
adopté les modifications aux Résolutions nos 505,
365 et 637, améliorant ainsi nettement l’accès à l’aide sociale
pour les PDI (le taux mensuel d’aide sociale a été augmenté, les
procédures de vérification pour certaines catégories de PDI employées
ont été supprimées et les obligations discriminatoires imposant
aux PDI d’être servies uniquement dans une banque publique spécifique
sans pouvoir choisir leur banque ont été supprimées, etc.).
46. Les PDI ont également été privées de leurs droits de vote,
notamment pour les élections locales. La législation ukrainienne
actuelle exige des électeurs qu’ils renseignent leur adresse d’habitation,
ce qui, pour une PDI, entraîne la perte de son statut de PDI et
des prestations correspondantes. L’élaboration, par des ONG de premier
plan, d’un projet de loi sur l’accès aux droits de vote pour les
PDI et d’autres groupes mobiles, en coopération avec le groupe de
travail du le ministère des Territoires temporairement occupés et
des PDI, constitue cependant une évolution positive. Ce projet de
loi a été soumis au parlement
. Il est très important d'adopter
cette loi dès que possible.
47. Il est également impératif que les PDI soient acceptées et
bien intégrées dans leur communauté d’accueil, ce qui passe assurément
par le travail et l’éducation.
48. Le parlement avait adopté des modifications de la législation
afin de faciliter l’enseignement à distance pour les élèves des
territoires temporairement occupés et le processus d’apprentissage
dans les établissements d’enseignement supérieur évacués. Les modifications
correspondantes dans les cadres réglementaires ont été élaborées
en coopération avec le groupe de travail du le ministère des Territoires temporairement
occupés et des PDI et adoptées par le ministère ukrainien de l’Éducation
et des Sciences. Toutefois, le programme national d’aide aux PDI
(2015-2017), adopté par le gouvernement en 2015, ne bénéficie d’aucun
financement, ce qui signifie que les programmes d’hébergement, d’intégration
et de réhabilitation de ces personnes n’ont pas été mis en œuvre
avec l’appui du budget public. Le ministère est également largement
sous-financé, ce qui ne lui permet pas d’exercer ses missions principales.
49. Lorsque je me suis rendu dans l’oblast de Donetsk, j’ai eu
la forte impression que l’administration locale faisait beaucoup
pour la réhabilitation des territoires libérés après l’occupation
et pour les PDI. De nombreuses organisations non gouvernementales
internationales sont présentes sur place et collaborent étroitement
avec les autorités.
50. Ma visite en Ukraine m’a notamment permis de conclure – et
c’est très important – qu’il manque malheureusement une stratégie
claire du gouvernement en ce qui concerne les PDI et la manière
de faire face aux conséquences de la guerre. De nombreuses PDI ont
déclaré être victimes de discriminations et ne bénéficier d’aucune
protection gouvernementale.
7. Situation
le long de la ligne de contact
51. La population civile qui vit
près de la ligne de contact et dans des zones qui ne sont contrôlées
ni par une partie, ni par l’autre est systématiquement confrontée
à des difficultés s’agissant d’accéder aux services essentiels tels
que l’électricité, le chauffage, l’eau potable et les soins médicaux.
En raison des combats militaires, l’infrastructure d’approvisionnement
en eau est fréquemment endommagée par les bombardements et les personnes
qui vivent dans les régions de Donetsk et de Lougansk souffrent
d’un manque d’accès à l’eau potable. Selon l'Organisation mondiale
de la santé
,
160 établissements de santé ont été détruits depuis le début de
la guerre et plus de 700 établissements scolaires ont été endommagés
par les bombardements.
52. Tout autour de la ligne de contact, de vastes zones, et en
particulier des terres agricoles, sont jonchées de mines, notamment
des mines antipersonnel. On a enregistré une forte et alarmante
augmentation du nombre de victimes d’engins explosifs depuis mars
2017 et le début de la saison de culture. Plus de 40 % des victimes
civiles sont des enfants. La Mission spéciale d’observation de l’OSCE
en Ukraine a souligné la nécessité urgente de déminer les lieux
des deux côtés de la ligne, mais aucune mesure ou presque n’a été signalée
dans ce sens. La présence de mines sur les terres agricoles fait
courir des risques aux agriculteurs et aux autres personnes et pourrait
limiter les sources de revenus de la population locale.
53. Au cours de la dernière année, le nombre de personnes franchissant
la ligne de contact a considérablement augmenté et atteint un nombre
record de 1,3 million de passages en juillet 2017. Une telle augmentation
peut s'expliquer par la dégradation de la situation économique dans
les territoires temporairement occupés, qui pousse les individus,
malgré les risques pour leur sécurité, à franchir la ligne de contact
pour accéder aux prestations sociales et aux pensions de retraite
et à rechercher des provisions essentielles sur les territoires
contrôlés par le gouvernement.
54. Les autorités ukrainiennes, soutenues par des partenaires
humanitaires, en particulier le HCR, tentent d'améliorer la situation
aux postes de contrôle en modernisant les postes de passage et en
fournissant du personnel qualifié. Un nouveau point de passage à
Zolote (oblast de Lougansk) devrait être ouvert prochainement, ce
qui pourrait améliorer de manière significative la situation de
la population de l'oblast de Lougansk qui n’a pu emprunter, jusqu'à
présent, qu'un seul point de passage pour piétons.
55. La population vivant près de la ligne de contact est composée
en majorité de personnes déplacées et de résidents locaux touchés
par la guerre. Les possibilités d’emploi étant rares, beaucoup comptent
sur l'aide humanitaire. Les services de santé sont très limités,
car de nombreux professionnels de la santé ont quitté la région
à cause des menaces pour la sécurité.
56. L'approvisionnement en eau est un gros problème dans les zones
de contact car les installations sont constamment endommagées par
les actions militaires. Les populations reçoivent de l'eau de façon
irrégulière et l'approvisionnement en eau potable est discontinu.
Il est indispensable de régler le problème de l'approvisionnement
en eau, surtout pendant l'hiver, car les systèmes de chauffage central
nécessitent une alimentation en eau
.
8. Situation
des populations vivant dans les territoires temporairement occupés
57. La situation humanitaire dans
les territoires temporairement occupés est alarmante et aggravée
par les groupes armés illégaux qui empêchent les principales organisations
humanitaires internationales d’y accéder. D’après les estimations
du Programme alimentaire mondial, 620 000 personnes vivant dans
les territoires temporairement occupés sont en situation d’insécurité
alimentaire et 500 000 autres n’ont pas ou peu de moyens de subsistance
.
Trois millions de personnes ont été directement touchées par une
interruption du système d’approvisionnement en eau en 2017.
58. Les populations sont aussi confrontées à des menaces pour
leur sécurité quotidienne car les actions militaires sont concentrées
dans des zones urbaines très peuplées. Les organisations internationales
et les ONG enregistrées dans les territoires temporairement occupés
signalent des violations constantes du droit international humanitaire,
notamment des meurtres, des actes de harcèlement, des enlèvements
et des tortures. En raison des bombardements, l'approvisionnement
en eau et en électricité est souvent perturbé. De nombreuses personnes
ont besoin d'un hébergement car leurs logements ont été détruits.
59. Le paiement des retraites aux personnes qui résident dans
les territoires temporairement occupés est également extrêmement
problématique. En août 2014, 1 278 200 retraités étaient enregistrés
dans les régions de Donetsk et de Lougansk, qui ne sont pas contrôlées
par le gouvernement. Au 1er janvier 2016,
956 000 PDI percevaient des pensions de retraite, soit 75 % des
retraités vivant dans les territoires temporairement occupés. Ce
chiffre suggère qu’une proportion importante de ces retraités a
néanmoins été en mesure de se déplacer vers des zones contrôlées
par le gouvernement pour toucher leurs pensions. En décembre 2016,
le nombre de PDI percevant des pensions de retraite est tombé à
548 900, ce qui indique que 407 100 PDI (soit 43 %) ont cessé de
toucher des retraites en 2016 sous l’effet des mesures de vérification
.
60. De nombreuses personnes n’ont pas perçu leur pension de retraite
parce qu’elles n’étaient pas enregistrées en tant que personnes
déplacées, comme l’exige la procédure. Même celles qui l’étaient
mais qui, pour d’autres raisons, n’ont pas pu achever la procédure
de vérification ont été privées de retraite. Comme indiqué par le
HCDH, il est contraire à la législation ukrainienne et au droit
international de subordonner le paiement des retraites à l’enregistrement
en tant que PDI et de suspendre ces retraites à la suite de procédures
de vérification
. Cela étant, le groupe
de travail du le ministère des Territoires temporairement occupés
et des PDI, en coopération avec les principales organisations internationales
et ONG, a proposé d’établir un mécanisme permettant aux personnes
résidant dans les territoires temporairement occupés de toucher
leur retraite sans qu’il soit nécessaire qu’elles s’enregistrent
en tant que PDI, sous réserve qu’elles en fassent la demande à tout
bureau de la Caisse des retraites dans le territoire contrôlé par
le gouvernement. En coopération avec les organisations internationales,
un mécanisme de paiement sera également mis en place pour les personnes
handicapées et les personnes ayant des problèmes de mobilité.
61. Afin de réglementer le transfert des biens depuis et vers
les zones non contrôlées par le gouvernement, le ministère des Territoires
temporairement occupés et des PDI a adopté le décret no 39
du 24 mars 2017
réglementant la liste des biens et
des objets pouvant être transportés par-delà la ligne de contact.
Ce décret précise également l’ordre d’acheminement des convois humanitaires
selon une procédure simplifiée.
62. La reconnaissance des documents civils et administratifs délivrés
par les soi-disant «autorités» des territoires temporairement occupés
à la population locale est également problématique, car ces actes
de naissance, de décès et de mariage, ainsi que d’autres documents,
n’ont aucune valeur juridique en Ukraine. La procédure de régularisation
de ces actes civils en Ukraine est très complexe (et exige une décision
de justice). Pour résoudre ce problème, il est urgent de mettre
en place une procédure administrative simplifiée permettant d’enregistrer
les informations contenues dans ces documents.
63. Je suis très heureux de noter que, le 6 octobre 2017, la Verkhovna
Rada d'Ukraine a adopté une loi sur la réintégration du Donbass,
officiellement intitulée «Sur les particularités de la politique
de l'État pour assurer la souveraineté de l'Ukraine sur les territoires
temporairement occupés dans les régions de Donetsk et Lougansk».
Cet acte juridique a une importance vitale pour l'Ukraine et sa
population, car il reconnaît que la Fédération de Russie est un
État occupant et définit l'objectif de la politique de l'État pour
rétablir l'état de la souveraineté de l'Ukraine sur les territoires
temporairement occupés dans les régions de Donetsk et Lougansk. Il
protège également les droits des citoyens ukrainiens à jouir de
leurs biens dans les territoires temporairement occupés.
64. L’occupation de la Crimée par la Fédération de Russie a eu
d’immenses répercussions sur la population locale. Les autorités
russes ont commencé à mettre en œuvre une politique de transfert
de la population civile depuis la Fédération de Russie vers la Crimée,
tout en pratiquant une discrimination et en persécutant, pour des
motifs politiques, la population pro-ukrainienne et en particulier
les Tatars de Crimée. Dans le droit humanitaire international, les
transferts de population depuis leur territoire vers un territoire
occupé par une puissance occupante équivaut à un crime de guerre
.
L’étude réalisée par trois ONG ukrainiennes
fournit des
données factuelles et statistiques très claires sur cette pratique.
Les autorités russes ont également expulsé de Crimée vers l’Ukraine
plusieurs personnes qui n’avaient pas la nationalité russe, mais
qui vivaient dans la péninsule.
65. Depuis l’occupation, en 2014, 44 Ukrainiens ont disparu en
Crimée: 6 d’entre eux ont été retrouvés morts, 17 ont été libérés
après avoir été détenus, 2 personnes ont été condamnées et 19 sont
toujours portées disparues
.
66. Le problème de la propriété privée en Crimée est devenu un
problème très grave, en particulier pour les personnes qui ont acheté
leur maison ou leur appartement avant l'occupation russe. À Sébastopol,
environ 600 personnes ont vu leurs actes de vente annulés par décision
judiciaire. Cette pratique est une violation flagrante du droit
international humanitaire
.
67. Il est également important de noter que les organisations
de la société civile qui fournissent une assistance humanitaire
aux personnes vivant dans les territoires temporairement occupés
ont de grandes difficultés à accéder à ces territoires.
9. Situation
des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés déplacés par
la guerre en Ukraine
68. Depuis le début de la guerre
en 2014, plus de 480 000 Ukrainiens ont demandé l'asile dans d'autres pays
d'Europe. Le HCR confirme que la majorité des réfugiés et des demandeurs
d'asile fuyant la guerre en Ukraine ont demandé l'asile en Fédération
de Russie (427 240). Toutefois (voir tableau en annexe), beaucoup d’autres
ont sollicité une protection en Italie, en Allemagne, en Pologne
et dans d’autres pays européens
.
69. Pendant ma mission d’information en Pologne, j’ai examiné
tout particulièrement la situation des Ukrainiens ayant fui le conflit
dans leur pays. Les organismes publics comme les organisations internationales ont
confirmé que, depuis le début de l’année 2014, environ 5 300 Ukrainiens
avaient sollicité une protection internationale en Pologne, ce qui
représente une augmentation considérable par rapport au nombre de demandes
déposées avant 2014, qui était de 100 environ. En outre, au cours
de cette période, plus de 119 000 Ukrainiens ont demandé un permis
de séjour temporaire et plus d’un million d’Ukrainiens sont entrés
en Pologne au moyen de visas et d’un mécanisme simplifié de migration
économique.
70. Depuis 2014, seules 146 personnes se sont vu octroyer une
protection subsidiaire en Pologne et 37 ont obtenu le statut de
réfugié. Dans leur majorité, les demandes ont été rejetées par les
autorités polonaises au motif qu’il existait pour les demandeurs
d’autres possibilités de réinstallation interne en Ukraine. Cela
étant, les Principes directeurs du HCR sur la protection internationale
indiquent que «le concept de possibilité
de fuite ou de réinstallation interne» n’est pas en soi un principe
à part entière du droit des réfugiés et devrait être pris en compte
dans l’examen global de la demande de protection, selon les circonstances
individuelles
. Les associations de migrants que
j'ai rencontrées en Pologne ont déclaré que l'utilisation de ces
possibilités était un argument qui jouait un rôle clé dans le rejet
des demandes de demandeurs d'asile ukrainiens.
71. Cependant, il devrait être clairement souligné que le Gouvernement
polonais met en place un certain nombre de mécanismes juridiques
pour permettre aux Ukrainiens de résider et de travailler légalement
en Pologne. La majorité des demandes de régularisation de séjour
introduites par les Ukrainiens sont acceptées. Ainsi, de nombreuses
personnes ukrainiennes préfèrent faire usage de ces possibilités
juridiques plutôt que solliciter une protection internationale,
qui limiterait leur droit de travailler à une période de six mois
après leur demande et, en cas de rejet, pourrait entraîner leur
expulsion. Néanmoins, de nombreux Ukrainiens continuent de demander
l’asile, car ils ne connaissent pas cette restriction. Par conséquent,
il importe que les autorités ukrainiennes diffusent des informations
en Ukraine sur les procédures de régularisation et de protection internationale
pour les migrants et les demandeurs d’asile en Europe. Je recommanderais
également que les autorités polonaises revoient, de manière périodique,
l’application du principe de possibilité de fuite interne pour ce
qui est des demandeurs d’asile ukrainiens, en prenant en considération
leur vulnérabilité et leur difficulté à s’établir ailleurs en Ukraine.
72. Un autre problème important est lié à la situation des personnes
qui ont quitté l'Ukraine après le déclenchement de la guerre en
2014 et qui n'ont pas pu revenir en raison de l’absence ou de la
perte de documents. Le Service national des migrations de l'Ukraine
n'a pas accès aux archives de l’état-civil en Crimée ou dans les
territoires temporairement occupés et ne peut donc pas confirmer
la nationalité ukrainienne des personnes concernées. Ces personnes
risquent d'être apatrides et un mécanisme devrait être mis au point pour
résoudre ce problème.
10. Réponses
humanitaires internationales
73. Plusieurs organisations internationales
ont uni leurs efforts en constituant des groupes d’action humanitaire
et ont élaboré un Plan de réponse humanitaire coordonné par le Bureau
de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).
En coopération avec les organisations gouvernementales et non gouvernementales,
elles s’efforcent de répondre aux besoins de protection des personnes
touchées par le conflit, de leur apporter une assistance d’urgence
et d’améliorer leur capacité de résistance face aux difficultés,
afin de contribuer à prévenir toute dégradation de la situation
humanitaire.
74. Toutefois, l’aide humanitaire internationale vers l’Ukraine
dispose de financements très limités. Seuls 26 % ($US 36 millions)
des $US 204 millions nécessaires ont été apportés en 2017 par les
bailleurs de fonds internationaux, ce qui a sensiblement freiné
la mise en œuvre du Plan de réponse humanitaire.
75. Depuis le début de la guerre, l'Union européenne a contribué
à hauteur d’environ 399 millions d'euros à l'aide humanitaire et
au redressement rapide dans les zones directement touchées par la
guerre; cette aide concerne en particulier les PDI, les réfugiés
et les rapatriés. L'Union européenne travaille en étroite coopération
avec le CICR, l’OIM et les organisations non gouvernementales sur
des projets axés sur l’aide alimentaire, le logement, l'eau, la
protection et la santé, notamment l'assistance psychologique, l'éducation
et les principaux moyens de subsistance
. L'Union européenne a fourni une
aide d'urgence de plus de 88,1 millions d'euros qui comprend une
aide à la population vulnérable dans les territoires temporairement occupés.
76. L'OIM, financée par l'Union européenne et le Département du
développement international du Royaume-Uni (DFID), offre des programmes
ciblés d'aide à la reconstitution des moyens de subsistance des PID
en leur donnant les moyens de retrouver une certaine indépendance
financière. Plus de 10 000 personnes ont bénéficié de formations
dans 24 oblasts d'Ukraine. L'OIM a également contribué à la rénovation
des installations d'eau, d'assainissement et d'hygiène dans 20 établissements
sociaux, notamment des hôpitaux, des centres d’accueil de PID et
des centres territoriaux de services sociaux dans les territoires
temporairement occupés de Donetsk.
77. Le HCR, qui a dirigé les activités des groupes «Protection»
et «Abris» du Plan de réponse humanitaire, a fourni une assistance
juridique, des conseils en matière de protection et une aide monétaire
en espèces aux PDI dans les zones entourant la ligne de contact
et les territoires temporairement occupés.
78. Le CICR a étendu ses activités en Ukraine et a apporté un
soutien important aux personnes établies près de la ligne de contact,
ainsi qu’aux PDI, aux familles de personnes portées disparues et
à la population en général vivant dans les territoires temporairement
occupés. Plus de 2 millions de personnes ont bénéficié des activités
du CICR dans le domaine de l’eau et de l’habitat. Le Comité a également
soutenu la collecte d'échantillons d'ADN et de données post-mortem
et fourni une assistance technique pour l'analyse médico-légale
des restes humains
. Dans l'est de l'Ukraine, le CICR
a envoyé des fournitures aux hôpitaux et aux cliniques des deux
côtés de la ligne de front, ainsi qu'aux banques de sang et pour
l'hémodialyse en Ukraine, dans la région de Lougansk
.
79. Dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour
l’Ukraine 2015-2017, le Conseil de l’Europe met en œuvre un projet
visant à «Renforcer la protection des droits de l’homme des personnes
déplacées à l’intérieur de l’Ukraine» en vue de soutenir les efforts
déployés par le gouvernement pour améliorer la situation des PDI,
en se concentrant sur les régions de Dnipro, de Kiev, de Lougansk
et de Donetsk. Grâce à ce projet, une formation spéciale a été dispensée
aux juges nationaux sur l’application des normes du Conseil de l’Europe
dans les affaires de violation des droits des PDI. Les recommandations
sur l’amélioration de la législation et des politiques nationales
conformément aux normes du Conseil de l’Europe ont été largement diffusées
et partiellement mises en œuvre (ainsi, en 2016, des procédures
judiciaires de reconnaissance de la naissance et du décès des personnes
dans les territoires temporairement occupés ont été inscrites dans
le Code de procédure civile ukrainien). Conformément aux recommandations
du Conseil de l’Europe et à la suite de sa campagne de sensibilisation,
les PDI bénéficient désormais d’une aide juridique secondaire gratuite depuis
que la loi sur l’aide juridique gratuite a été modifiée et est entrée
en vigueur, le 5 janvier 2017. Le ministère des Territoires temporairement
occupés et des PDI a créé un groupe de travail sur l’amélioration
de la législation interne relative à la protection des droits fondamentaux
des PDI, avec l’assistance technique et l’aide d’experts du projet.
Plusieurs projets de législation sont déjà en cours d’élaboration
par ce groupe de travail du le ministère des Territoires temporairement
occupés et des PDI.
80. Les capacités des autorités locales (représentants des services
de la protection sociale, caisses de retraite) ont été renforcées
par une formation et des séminaires sur les normes du Conseil de
l’Europe en matière de protection des droits fondamentaux des PDI
et sur le droit des PDI à une protection sociale (plus de 150 personnes
ont été formées). Une coopération intensive et productive a été
mise en place avec le système d’aide juridique gratuite (plus de
400 professionnels du droit ont été formés, notamment des avocats des
centres d’aide juridique gratuite, et les bureaux d’aide juridique
ont augmenté leurs capacités en matière de conseil juridique aux
PDI et de défense de leurs droits devant les tribunaux). Des pratiques
et des politiques positives en matière d’intégration, visant à offrir
des solutions durables aux PDI au niveau régional, ont été développées
et diffusées dans l’ensemble des régions ciblées par le projet (au
total, ces activités ont sollicité quelque 3 500 représentants des
PDI). Au titre du projet, le Groupe de coopération en matière de
lutte contre l’abus et le trafic illicite des stupéfiants (Groupe
Pompidou) dispense des formations appropriées sur le syndrome de
stress post-traumatique, en coopération avec le ministère ukrainien
de la Santé, et il a l’intention de créer un «centre de résilience».
11. Conclusions
et recommandations
81. Selon moi, le Gouvernement
ukrainien devrait poursuivre l’objectif stratégique d’avancer dans
la recherche de solutions aux problèmes graves auxquels les PDI
sont confrontées en Ukraine. Tout d’abord, les PDI devraient recevoir
un message clair sur l’avenir que le gouvernement envisage pour
elles à court et à long terme. La garantie de leurs droits politiques
devrait être une priorité, car les PDI n’ont jusqu’ici pas été en mesure
de prendre part aux élections locales, ni de voter aux élections
législatives ukrainiennes.
82. À court terme, les droits sociaux des PDI devraient être garantis:
la procédure de versement des prestations sociales devrait être
simplifiée et le paiement des retraites devrait être dissocié de
l’enregistrement des PDI par une modification des Résolutions nos 365,
505 et 637 du Conseil des ministres et de tout autre acte normatif
pertinent.
83. Il convient d’accorder une attention particulière à la garantie
du droit à un logement adéquat et à résoudre les problèmes de logement,
en tant qu’élément d’une solution durable pour les PDI. Les cadres juridiques
régissant la mise en place et l’exécution de différents types de
programmes de logement devraient être adoptés. Différentes formes
de soutien devraient être prévues pour régler les questions de logement (notamment
des prêts sans intérêt, la mise à disposition de logements sociaux
et une aide financière publique partielle pour aider les PDI à acquérir
des maisons, etc.) et pour veiller à la restitution et l’indemnisation
des biens perdus.
84. Les PDI et les habitants des territoires temporairement occupés
devraient avoir accès à une éducation préscolaire, scolaire, professionnelle
et supérieure en Ukraine. En 2017, l’accès à l’enseignement supérieur pour
les PDI et les élèves ayant réussi l’examen de sixième année été
largement simplifié. L’accès des enfants des PDI aux jardins d’enfants
et aux établissements d’enseignement secondaire devrait constituer
une priorité. Dans l’intervalle, d’autres améliorations seraient
bienvenues.
85. Les PDI devraient être dûment informées de leur droit à une
aide juridique secondaire gratuite et notamment à une représentation
devant les tribunaux pendant les audiences.
86. Il est essentiel d’ouvrir de nouveaux points de contrôle pour
pouvoir accéder au territoire contrôlé par le gouvernement dans
les régions de Lougansk et de Donetsk.
87. Il est urgent que les diverses parties prenantes au conflit
respectent le caractère civil des infrastructures et garantissent
la protection des civils et leur plein accès aux services essentiels.
88. Le Gouvernement ukrainien, et notamment le Comité d’État pour
les migrations ainsi que les consulats de l’Ukraine en Europe, devraient
diffuser des informations sur les procédures de régularisation et
de protection internationale pour les migrants et les demandeurs
d’asile en Europe. Les Ukrainiens qui entendent émigrer par des
voies légales devraient avoir accès à des informations sur les conditions
du marché du travail dans les divers pays européens.
89. Je pense également qu’il ne devrait y avoir aucune discrimination
dans l’examen des demandes de protection internationale introduites
par des ressortissants ukrainiens dans les pays européens. Toutes
les demandes devraient être examinées au cas par cas, en tenant
compte des circonstances individuelles et des besoins spécifiques
des personnes vulnérables fuyant la guerre ou la répression.
90. En ce qui concerne la situation des Ukrainiens détenus pour
des motifs politiques en Fédération de Russie, le Conseil de l’Europe
pourrait faciliter l’organisation d’une visite de médecins indépendants
chargés de contrôler leur état de santé et les conditions de leur
détention dans les établissements pénitentiaires en Fédération de
Russie et dans le territoire de Crimée.
91. Je suis également convaincu que la communauté internationale
devrait convoquer une conférence humanitaire internationale sur
l’Ukraine, à l’image de la Conférence internationale du Caire sur
la Palestine, afin de lever des fonds pour le plan d’aide humanitaire
et de concevoir des stratégies de coordination de l’aide humanitaire
internationale. Les autorités ukrainiennes devraient en outre revoir
leur réglementation dans ce domaine.