1. Introduction
1.1. Procédure de suivi
1. En devenant membre du Conseil
de l’Europe le 24 avril 2002, la Bosnie-Herzégovine s’est engagée
à honorer les obligations imposées à tous les États membres au titre
de l’article 3 du Statut de l’Organisation (STE no 1),
ainsi qu’un certain nombre d’engagements spécifiques mentionnés
dans l’
Avis 234 (2002) sur la candidature de la Bosnie-Herzégovine à l’adhésion
au Conseil de l’Europe. Pour assurer le respect de ces engagements,
l’Assemblée parlementaire a décidé, en application de la
Résolution 1115 (1997), d’ouvrir une procédure de suivi à l’égard de la Bosnie-Herzégovine
dès son adhésion. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe,
en vue d’adapter en permanence les programmes d’assistance et de
coopération pour la Bosnie‑Herzégovine, a également pris la décision
de suivre de près la situation sur la base de rapports réguliers
du Secrétaire Général.
2. La dernière recommandation adoptée par l’Assemblée est la
Recommandation 2025 (2013) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Bosnie-Herzégovine. Le dernier rapport complet sur le respect
des obligations et engagements de la Bosnie-Herzégovine date de
2008, l’Assemblée ayant entretemps focalisé son attention sur la
réforme constitutionnelle (voir, en particulier, la
Résolution 1701 (2010) et la
Résolution
1725 (2010)) et sur la crise politique intervenue dans le pays à
la suite des élections de 2010 et de l’éclatement de la coalition
gouvernementale au niveau de l’État en mai 2012 (voir, en particulier,
la
Résolution 1855 (2012) et la
Recommandation 2025
(2013)).
3. M. Egidijus Vareikis (Lituanie, PPE/DC) et Sir Roger Gale
(Royaume-Uni, CE) ont été désignés corapporteurs par la commission
de suivi respectivement en mars 2012 et en décembre 2013. Ils ont
effectué des visites d’information en 2014 à Sarajevo et Travnik,
en 2015 à Sarajevo après la réunion de la commission de suivi organisée
à Sarajevo pendant la présidence de la Bosnie‑Herzégovine du Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe, et en 2016 à Sarajevo, Mostar
et Banja Luka. Un avant-projet de rapport sur le respect des obligations
et engagements de la Bosnie‑Herzégovine a été adopté par la commission
de suivi en avril 2017 et transmis à la délégation de Bosnie‑Herzégovine
afin que celle-ci formule d’éventuelles observations dans les trois
mois. Aucune observation n’a été reçue avant la date limite du 28 juillet.
4. M. Tiny Kox (Pays-Bas, GUE), qui a été nommé corapporteur
en mai 2017 en remplacement de M. Egidijus Vareikis, dont le mandat
s’était terminé, a effectué une visite d’information à Sarajevo
les 5 et 6 septembre 2017. La commission de suivi a décidé en septembre 2017
de repousser au 30 octobre la date limite de communication des observations.
Nous regrettons fortement que la délégation n’en ait communiqué aucune
malgré le délai supplémentaire qui lui avait été imparti.
1.2. Coopération avec le Conseil
de l’Europe
5. Au cours des trois dernières
années, les autorités de Bosnie-Herzégovine ont sollicité à plusieurs reprises
l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise), qui a adopté trois avis (au sujet
du projet de loi sur les tribunaux de la Bosnie-Herzégovine, du
projet de loi relatif au Conseil supérieur des juges et des procureurs
de la Bosnie-Herzégovine et du projet de loi sur le médiateur pour
les droits de l’homme de la Bosnie-Herzégovine) et deux mémoires
amicus curiae, sur la demande de la Cour constitutionnelle de la
Bosnie-Herzégovine, qui portent sur la compatibilité du choix de
la date de la fête de la Republika Srpska avec le principe de non-discrimination
et sur le mode d’élection des délégués à la Chambre des peuples
du Parlement de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine.
6. La Bosnie-Herzégovine a ratifié à ce jour 90 conventions et
signé trois autres conventions du Conseil de l’Europe. Durant la
période considérée, la Bosnie-Herzégovine a ratifié la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210),
le Troisième Protocole additionnel à la Convention européenne d’extradition
(STCE no 209), la Convention européenne
dans le domaine de l’information sur le droit étranger (STE no 6),
la Convention européenne concernant des questions de droit d’auteur
et de droits voisins dans le cadre de la radiodiffusion transfrontière
par satellite (STE no 153) et le Protocole
additionnel à la Convention pour la protection des droits de l’homme
et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de
la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d’êtres
humains (STE no 168). Elle a également
ratifié le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe
pour la prévention du terrorisme (STCE no 196)
et signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon
des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la
santé publique (STCE no 211).
7. Fait positif et attendu de longue date (plus de dix ans),
depuis 2013 la Bosnie-Herzégovine a également désigné ses représentants
auprès de la Commission de Venise, du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT), de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
( ECRI), du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales, du Comité d’experts de la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires et du Comité européen des
Droits sociaux. En mars 2015, le Comité des Ministres a adopté un
Plan d’action pour la Bosnie-Herzégovine prévoyant des programmes
de coopération et d’assistance pour le pays à hauteur d’environ 20 millions d’euros
mais le financement de ce plan n’a pas encore été intégralement
assuré.
8. La Bosnie‑Herzégovine a aussi présidé avec succès le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe de mai à novembre 2015.
1.3. Situation économique
9. La Bosnie-Herzégovine est ce
que la Banque mondiale appelle un pays à «revenu intermédiaire supérieur»,
avec un PIB de $US 4.616 par habitant, ce qui représente à peine
28 % de la moyenne du pouvoir d’achat par habitant de l’Union européenne;
il s’agit donc d’un des plus bas de la région
. L’économie de la Bosnie‑Herzégovine
repose sur la consommation et non sur la production
et
le secteur public est hypertrophié et inefficient. Le taux de chômage
est important: il atteint 27,7 % de la population active, 48 % des
chômeurs vivant en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de chômage
des jeunes est particulièrement élevé puisqu’il se situe autour
de 60 %. Depuis plusieurs années, on observe une forte émigration
et un important exode des compétences car les jeunes et les personnes
qualifiées ne peuvent guère trouver d’emploi, sauf en payant
. La
Bosnie-Herzégovine a aussi subi en 2014 les inondations les plus
graves de son histoire, qui ont affecté environ un million de personnes
et provoqué des pertes estimées à environ 15 % du PIB.
10. L’investissement direct étranger
est freiné par la complexité des dispositifs
institutionnels, l’absence d’un marché unifié dans le pays et le
morcellement et la lourdeur de la réglementation: il a chuté de
2,69 % du PIB en 2014 à 1,67 % en 2015. D’après les prévisions,
la croissance du PIB devrait atteindre 3 % en 2017 mais le pays
dépend fortement des envois de fonds de l’étranger qui, selon la
Banque mondiale, atteignaient $US 1 347,93 millions en 2015, d’emprunts
internes et externes importants
et de la poursuite de l’aide internationale.
11. La situation monétaire de la Bosnie-Herzégovine est satisfaisante.
Le système de conseil monétaire, opérationnel depuis 1997, a apporté
une monnaie stable et qui inspire confiance. Par conséquent, la
Banque centrale de Bosnie-Herzégovine, l’une des rares institutions
à avoir été créée par les Accords de Paix de Dayton au niveau de
l’État, dispose actuellement de larges réserves de devises étrangères,
qui couvriraient environ six mois d’importations. Le KM, la monnaie
de Bosnie-Herzégovine, a bénéficié d’une remarquable stabilité face
au Deutsche Mark et maintenant à l’euro; il est resté entièrement
convertible depuis son introduction, et le taux d’inflation en Bosnie‑Herzégovine
est faible et stable, variant entre 0,9 % et 1 %.
1.4. Recensement de 2013
12. Le recensement de 2013, le
premier à être réalisé en Bosnie-Herzégovine depuis la guerre et
dont les résultats définitifs ont été publiés seulement en juin 2016
,
montre que la Bosnie-Herzégovine a perdu 19 % de sa population,
c’est‑à‑dire 824 000 habitants, par rapport aux chiffres d’avant‑guerre.
La population compte aujourd’hui en tout 3 531 159 habitants, parmi
lesquels les Bosniaques représentent 50,11 %, les Serbes 30,78 %,
les Croates 13,43 % et les «Autres» 2,73 %. La Bosnie-Herzégovine
est donc le troisième pays de la région, avec le Kosovo*
et
l’Albanie, à majorité musulmane.
13. Les chiffres recueillis dans les deux Entités
confirment
l’impact de la purification ethnique et des déplacements forcés
de population qui ont eu lieu pendant la guerre. La Republika Srpska
compte aujourd’hui 81,51 % de Serbes et seulement 13,99 % de Bosniaques
et 2,41 % de Croates. Dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine,
les Bosniaques représentent 70,48 % de la population, les Croates
22,4 % et les Serbes seulement 2,55 %. Dans le District de Brčko,
42 % des habitants sont des Bosniaques, 34 % des Serbes, 20 % des
Croates et 2 % sont classés dans la catégorie «Autres».
14. Les résultats du recensement sont importants, non seulement
aux fins de la planification macroéconomique et des stratégies de
développement ciblées mais aussi d’un point de vue politique. Le recensement
réalisé avant‑guerre en 1991 sert de référence à une multitude de
règles et règlements concernant la répartition des postes entre
les groupes ethniques, notamment au niveau gouvernemental
et dans
l’administration publique. Il reste à voir si les résultats du recensement
de 2016 vont modifier cette situation.
2. Les Accords de paix de Dayton
et le rôle du Haut‑Représentant
2.1. Les Accords de paix de Dayton
15. La Bosnie-Herzégovine a proclamé
son indépendance à l’égard de la République fédérale de Yougoslavie
le 1er mars 1992
;
la Fédération de Bosnie-Herzégovine a été créée après les Accords
de Washington de 1994 et l’État actuel de Bosnie-Herzégovine résulte
des Accords de paix de Dayton de 1995. Ces accords de paix comprennent
11 annexes, dont la Constitution de l’État (annexe IV).
16. Les accords de paix ont créé la Bosnie‑Herzégovine en tant
qu’État souverain comportant deux Entités, chacune disposant d’un
haut degré d’autonomie: la Republika Srpska et la Fédération de
Bosnie‑Herzégovine. On entend fréquemment dire que les Accords de
Paix de Dayton, bien qu’ayant mis fin à la guerre, n’ont fait que
geler le conflit, qu’ils ont entériné la division du pays sur la
base des trois peuples constituants, et que les institutions qu’ils
ont mises en place sont totalement inadaptées au développement d’une
démocratie fonctionnelle basée sur la prééminence du droit. En tout
cas il faut reconnaître que le cadre institutionnel prévu par les
accords de paix est d’une extrême complexité.
17. Brièvement, la Bosnie-Herzégovine peut être définie comme
un semi-protectorat international de fait dans lequel les autorités
internationales peuvent toujours intervenir si cela s’avère nécessaire.
Il s’agit de l’un des États les plus décentralisés d’Europe.
18. L’État de Bosnie-Herzégovine est composé de deux Entités et
d’un District:
- la Republika
Srpska, dont le territoire se trouve dans la partie nord‑ouest et
dans la partie orientale de la Bosnie-Herzégovine; il n’y a pas
de continuité territoriale entre les deux parties de la Republika
Srpska car le District de Brčko les sépare;
- une fédération de 10 cantons, regroupant principalement
des Croates et des Bosniaques. Cette Entité est appelée Fédération
de Bosnie-Herzégovine; cinq de ses cantons sont habités en majorité
par des Bosniaques, trois ont une majorité croate (l’Herzégovine
occidentale, le canton 10 et le canton de Posavina qui est une enclave
de la Fédération située près de la frontière croate le long de la
Sava) et deux sont des cantons mixtes (le canton de Bosnie centrale
et le canton d’Herzegovina‑Neretva);
- le District de Brčko, qui dispose d’un statut particulier
depuis le 8 mars 1999, date de la décision d’arbitrage.
19. La quasi-indépendance des Entités, la faiblesse de l’État
et l’obligation constitutionnelle d’assurer la pleine égalité entre
les trois peuples constituants, et ce dans tous les domaines, ont
conduit à la situation actuelle, où environ 60 % du PIB sont consacrés
au fonctionnement de l’appareil de l’État et des Entités: il y a 14
premiers ministres, plus de 180 ministres, 760 membres des divers
organes législatifs, 148 municipalités et trois langues officielles
avec deux alphabets distincts.
20. Chaque Entité possède sa propre Constitution, son gouvernement
et son parlement bicaméral, sa force de police, son pouvoir judiciaire
(incluant une Cour suprême et une Cour constitutionnelle) et son
système légal, fiscal et éducatif. Au sein de la Fédération, la
situation est encore plus complexe: chaque canton dispose de sa
propre constitution, de son propre gouvernement et d’une assemblée
cantonale, ainsi que de compétences exclusives, par exemple dans
le domaine de l’éducation ou des affaires intérieures.
21. La municipalité d’avant-guerre de Brčko, dans la région de
Posavina, au nord-est de la Bosnie, devait sa relative prospérité
à son statut de centre commercial et de transport qui la liait aux
Républiques de Croatie et de Serbie. Le port de Brčko sur la Sava,
qui desservait le bassin minier et industriel de Tuzla vers le sud,
est le plus important de Bosnie-Herzégovine. La question de l’attribution
de Brčko, centre vital et stratégique divisé du nord-est de la Bosnie-Herzégovine,
s’est avérée trop épineuse pour être résolue à Dayton en 1995. La décision
définitive devait être prise par arbitrage après la guerre. Par
conséquent, trois décisions d’arbitrage ont été rendues entre 1997
et 1999, en vue de créer une administration internationale à part
entière, indépendante de celle du Haut-Représentant à Sarajevo et
de portée plus étendue que cette dernière. La décision finale d’arbitrage
de mars 1999 a décrété que les trois municipalités qui existaient
en temps de guerre devaient être unifiées sous forme d’un district
neutre et démilitarisé sous la souveraineté directe de l’État.
22. La décision d’arbitrage définitive rendue par le Tribunal
de Brčko a institué le District de Brčko en tant que territoire
autonome en Bosnie‑Herzégovine, disposant de pouvoirs administratifs,
législatifs et judiciaires. La décision demande au Superviseur de
Brčko de créer un ensemble de lois qui seront applicables dans tout le
district et remplaceront la législation existant au niveau de l’Entité,
qui s’applique d’un côté ou de l’autre de l’ancienne ligne de front
entre les Entités.
23. La ville de Brčko, autrefois considérée comme l’un des déclencheurs
potentiels d’une nouvelle guerre en Bosnie-Herzégovine, a énormément
prospéré depuis, au point qu’elle est régulièrement et légitimement citée
comme un modèle d’intendance internationale en Bosnie-Herzégovine
ou comme un exemple à suivre pour le reste du pays. Les réformes
du système juridique, civil et pénal, de l’éducation et du gouvernement municipal
ont montré la voie en Bosnie-Herzégovine. Les forces de police et
le système éducatif de Brčko sont véritablement pluriethniques.
L’instauration d’une réglementation fiscale, d’un régime fiscal
efficace et adapté et d’un environnement propice aux activités économiques
a entraîné des investissements étrangers considérables et un programme
de privatisation prometteur qui ont fait de Brčko la ville où les
salaires moyens sont les plus élevés du pays. Le taux de chômage
y est de 25 %, contre 40 % dans le reste de la Bosnie-Herzégovine.
24. Deux événements majeurs sont intervenus depuis: la tenue,
pour la première fois depuis 1999, d’élections dans le District
de Brčko en 2004 et l’abolition de toutes les lois des Entités encore
en vigueur à Brčko en 2007. La décision finale d’arbitrage et le
régime de supervision avaient pour but de protéger Brčko contre
les Entités mais les autorités du district ont fini par considérer
que les compétences accrues de l'État mettaient en péril son statut
individuel. En juin 2007, le Tribunal d’arbitrage a rendu public
un addendum à la décision définitive stipulant que: «tout transfert
des deux Entités vers l’État qui ne s’accompagnerait pas d’un transfert
équivalent ou du consentement du District de Brčko est illégal et
contraire à la décision d’arbitrage définitive si ce transfert a
pour effet de diminuer de manière significative la capacité du District
à fonctionner comme un seul gouvernement unitaire, pluriethnique
et démocratique de (…) Brčko». En septembre 2007, les deux chambres
de l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine ont adopté des
amendements et un addendum à la loi sur le Conseil des ministres
faisant du Bureau du coordinateur du District de Brčko un organe permanent
du Conseil des ministres.
25. Pour que la supervision internationale prenne fin dans le
District de Brčko, cependant, son statut particulier doit être reflété
dans la constitution de l’État. Il est à noter que le terme de la
supervision de Brčko est l’un des cinq objectifs énumérés dans la
décision du Conseil de mise en œuvre de la paix de février 2008, qui
doivent impérativement être atteints avant d’envisager la fermeture
du Bureau du Haut-Représentant (BHR). Le premier amendement à la
constitution de Dayton concernant le District de Brčko a été adopté
par le parlement de l’État en mars 2009.
26. Le 31 août 2012, le régime de supervision a été suspendu et
le Bureau du Haut‑Représentant à Brčko a fermé ses portes. Un Superviseur
est toujours présent (depuis 1997, tous les Superviseurs sont des
citoyens américains qui remplissent également les fonctions d’adjoint
du Haut‑Représentant) mais il ne s’occupe plus activement de la
gestion du district. Le président du Tribunal d’arbitrage, dont
le siège est à Washington, est décédé en mars 2016. Son successeur,
John Clint Williamson, a été nommé par le président de la Cour internationale
de justice en janvier 2017.
2.2. Le Haut‑Représentant: fonction
et rôle
27. Le Bureau du Haut‑Représentant
pour la Bosnie-Herzégovine (BHR) est le principal organe de mise
en œuvre des aspects civils des accords de paix en Bosnie-Herzégovine.
Le mandat du Haut‑Représentant est défini à l’annexe 10 des Accords
de paix de Dayton. Ce texte fait de lui l’autorité d’interprétation
en dernier ressort de l’accord sur la mise en œuvre civile du règlement
de paix. Le Haut‑Représentant n’a aucun pouvoir sur la force de
stabilisation militaire de l’OTAN (SFOR), ni sur son successeur,
l’opération ALTHEA de l’EUFOR.
28. C’est le comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la
paix (CMP), organe regroupant 55 États et organisations internationales
et chargé du suivi et de la direction du processus de paix, qui
nomme le Haut‑Représentant dont il a précisé le mandat par la suite.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a approuvé les Accords
de paix de Dayton et le déploiement de troupes internationales en
Bosnie‑Herzégovine, ratifie ensuite cette nomination. Le BHR est
financé par le CMP.
29. La conférence du CMP à Bonn en décembre 1997 a été l’une des
étapes les plus importantes du processus de mise en œuvre de la
paix. Le CMP s’est appuyé sur l’annexe 10 des Accords de paix de
Dayton pour demander au Haut‑Représentant de révoquer toute personne
exerçant une fonction publique qui violerait les engagements de
droit et les Accords de paix de Dayton et d’imposer les lois qu’il
estimait nécessaires en cas de carence des organes législatifs de
la Bosnie‑Herzégovine à cet égard. C’est ce qu’on appelle les «pouvoirs
de Bonn». Ils ont été largement utilisés, en particulier par Paddy
Ashdown.
30. Lord Paddy Ashdown, qui est devenu le Haut‑Représentant et
le Représentant spécial de l’Union européenne peu de temps après
l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l'Europe en avril
2002
, a
été remplacé par le Dr Christian Schwarz-Schilling (Allemagne) le
31 janvier 2006. Le Dr Schwarz‑Schilling a été remplacé par M. Miroslaw
Lajcak (Slovaquie) le 1er juillet 2007
et par l’actuel Haut‑Représentant, M. Valentin Inzko (Autriche),
en mars 2009. Le Haut‑Représentant présente son rapport au Conseil
de Sécurité des Nations Unies deux fois par an.
31. Lors de sa réunion à Bruxelles les 26 et 27 février 2008,
le comité directeur du CMP a fixé les conditions de la fermeture
du Bureau du Haut‑Représentant, fermeture qui doit marquer la fin
du processus de transition du pays. Dans une déclaration adoptée
à l'unanimité, le CMP a estimé que, pour arriver au terme du processus de
transition (initialement envisagé en juin 2008), les autorités de
Bosnie‑Herzégovine devront atteindre cinq objectifs clés, à savoir:
le règlement acceptable et durable de la question de la répartition
des biens entre l'État et les autres niveaux de gouvernement, le
règlement des biens de défense, l’achèvement de la concession finale
de Brčko (administré à ce jour par la communauté internationale),
la pérennisation fiscale, et la consolidation de l'État de droit.
Deux autres conditions ont été ajoutées à celles‑ci: l’évaluation
positive de la situation en Bosnie‑Herzégovine en relation avec
les dispositions de Dayton, d'une part, et la signature de l'Accord
de stabilisation et d'association (ASA), d'autre part.
32. Depuis 2008, un consensus s’est établi sur le passage de la
Bosnie-Herzégovine de Dayton à Bruxelles. Par conséquent, l’accent
s’est déplacé vers une appropriation locale du processus de réforme,
l’idée étant que, si la Bosnie-Herzégovine veut devenir membre de
l’Union européenne, elle doit mettre sa maison en ordre et ne pas
attendre du Haut‑Représentant qu’il fasse le travail. Les pouvoirs
de Bonn ne sont plus
de facto utilisés
.
Le BHR a été maintenu, cependant, comme une police d’assurance dans
l’éventualité où les choses tourneraient mal de nouveau. Depuis
mars 2009, le budget du BHR a été réduit de plus de 53 % et son personnel
de plus de 58 %. Le Haut‑Représentant actuel, que nous avons rencontré
à plusieurs occasions, est extrêmement déçu et préoccupé par la
détérioration du climat politique.
33. La communauté internationale maintient aussi toujours, dans
un but de dissuasion, une force militaire en Bosnie. Les forces
de maintien de la paix de l'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord (OTAN) comprenaient à l’origine 60 000 personnes (IFOR et SFOR);
l’opération ALTHEA de l’EUFOR, qui a pris le relai en 2004, est
aujourd’hui censée maintenir un «climat de sécurité», comme exigé
par les Accords de Dayton. Cependant, avec ses effectifs actuels
de 600 soldats, elle représente moins d’un dixième de ce qu’elle
était au départ (plus de 7 000 soldats), bien qu’elle dispose d’un
mandat au titre du chapitre VII (droit de faire usage de la force)
en vertu des résolutions annuelles du Conseil de Sécurité des Nations
Unies. Certains militaires occidentaux considèrent que les capacités
de dissuasion et de réaction de l’EUFOR sont effectivement nulles
.
2.3. Les menaces qui pèsent sur
les Accords de paix de Dayton
34. Plus de vingt ans après la
fin de la guerre, le pays reste profondément divisé sur des bases
ethniques et ne partage aucune vision commune de l’avenir, même
si les trois principaux groupes ethniques semblent s’accorder sur
l’objectif stratégique de l’intégration européenne. Dodik, le président
de la Republika Srpska, s’est opposé de la façon la plus virulente
au rôle du Haut‑Représentant dont il ne reconnaît plus l’autorité:
il refuse de répondre aux demandes d’information du BHR, contrairement
à ce qui est stipulé à l’annexe 10, réclame la fermeture immédiate
du BHR et annonce régulièrement la tenue en Republika Srpska d’un référendum
sur l’adhésion à l’OTAN, les compétences judiciaires au niveau de
l’État ou, pire encore, la sécession de la Republika Srpska de la
Bosnie‑Herzégovine. De plus, la Republika Srpska refuse de plus
en plus fréquemment de respecter les arrêts de la Cour constitutionnelle
de l’État, qui sont impératifs et définitifs. Les Croates, dirigés
par Dragan Čović, se considèrent marginalisés à l’intérieur du pays,
bien qu’ils soient un peuple constituant, et réclament de plus en
plus ouvertement depuis 2013 le droit de disposer de leur propre entité.
De leur côté, les Bosniaques souhaitent une plus grande centralisation
du pays et ont déclaré de manière répétée qu’ils ne laisseraient
pas la Republika Srpska faire sécession sans réagir. Les objectifs
de guerre semblent aujourd’hui être devenus des projets politiques
en temps de paix; le niveau de confiance entre les trois groupes
ethniques est très faible, comme le montrent les récriminations
fréquentes, l’usage de tactiques d’obstruction et la crise politique
permanente.
3. Les conséquences de la guerre
de 1992‑1995
35. La Bosnie-Herzégovine est le
pays de la région qui a payé le plus lourd tribut pendant le violent processus
de désintégration de l’ex-Yougoslavie. Sur une population estimée
avant-guerre aux alentours de 4,4 millions de personnes, la guerre
de 1992-1995 a fait plus de 100 000 victimes (dont 20 000 enfants)
et il y a eu au total 2,2 millions de personnes déplacées: 800 000
ont été déplacées à l’intérieur du pays et 1,1 million ont fui à
l’étranger. Environ 30 000 personnes sont portées disparues.
36. La guerre a laissé de très nombreuses mines non explosées
à travers le pays, qui tuent ou blessent chaque année une trentaine
de personnes. Environ 750 000 armes illégales sont toujours en circulation, malgré
un certain nombre d’opérations de collecte d’armements. 18 000 tonnes
de stocks excédentaires d’armes et de munitions
sont
toujours présents sur différents sites à l’intérieur du pays et
doivent être éliminés.
37. Plus d’un tiers des logements ont été complètement détruits,
ainsi qu’une grande partie des infrastructures. Sarajevo a été assiégée
et bombardée durant 44 mois; sa population a été victime de tirs
de soldats embusqués et la Bosnie-Herzégovine a connu certains des
pires massacres commis en Europe depuis la seconde guerre mondiale,
notamment à Srebrenica, à l’intérieur d’une zone de sécurité désignée
par les Nations Unies.
38. Dans la procédure engagée pendant la guerre par la Bosnie-Herzégovine
contre la Serbie, la Cour internationale de justice a statué en
février 2007 que le massacre de 8.000 hommes et garçons à Srebrenica en
juillet 1995 constituait un acte de génocide. Elle a également statué,
mais non à l’unanimité, que la Serbie n’était ni directement responsable
du génocide, ni complice de son exécution, mais qu’elle avait enfreint
la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression
du crime de génocide en négligeant d’intervenir pour l’empêcher
et en refusant de coopérer avec le Tribunal pénal international
pour l’ex‑Yougoslavie (TPIY) pour punir ses auteurs, notamment le
général Ratko Mladić qui n’a été arrêté en Serbie qu’en 2011 après
être resté en fuite pendant quinze ans.
39. En février 2017, Bakir Izetbegović, le membre bosniaque de
la présidence, a annoncé qu’il chercherait à obtenir la révision
de ce jugement
et
donné des instructions en ce sens au mandataire de la Bosnie‑Herzégovine
qui a représenté le pays au cours du procès. Cette décision a provoqué
une crise au sein de la présidence tripartite car le membre croate
et le membre serbe s’y sont opposés en faisant valoir que le mandataire
ne pouvait agir que sur instruction des trois membres de la présidence.
Ils ont tous les trois envoyé séparément une lettre à la CIJ qui
a statué en mars 2017 que le mandataire ne pouvait pas agir au nom
de l’État de Bosnie-Herzégovine. Cette décision de Bakir Izetbegović
a conduit de nouveau à des accusations mutuelles et à un fort accroissement
des tensions ethniques à l’intérieur du pays.
3.1. Poursuite du crime de génocide,
des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
3.1.1. Procédures en cours devant
le TPIY et le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux
40. Coopérer pleinement avec le
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et l’aider activement
en traduisant devant le tribunal les personnes accusées de crimes
de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, sans délai
et avec la coopération active des deux Entités, est l’un des engagements
spécifiques souscrits par la Bosnie-Herzégovine lorsqu’elle a adhéré
au Conseil de l’Europe.
41. Le TPIY est le premier tribunal pénal international créé (en
1993) depuis la seconde guerre mondiale et les tribunaux militaires
internationaux de Nuremberg et Tokyo. Il a inculpé en tout 161 personnes,
dont 83 ont été reconnues coupables et 19 acquittées. 56 personnes
ont purgé leur peine et les poursuites ont été abandonnées dans
37 affaires, soit parce que les inculpations ont été levées, soit
parce que l’accusé est décédé avant ou après son transfert au tribunal
(Slobodan Milosević, par exemple, est mort en détention préventive
à La Haye en 2006). Treize affaires ont été renvoyées devant les
juridictions nationales de la Bosnie-Herzégovine (10 affaires),
de la Serbie et du Monténégro au titre de l’article 11bis.
42. Le TPIY cessera son travail à la fin 2017, au terme de ses
deux dernières procédures: le procès Mladić et le procès en appel
dans l’affaire
Prlić et consorts .
Celle-ci est l’une des plus complexes qu’il ait eu à traiter. Elle
concerne six dirigeants de haut niveau de la République croate d’Herceg‑Bosna,
l’Entité bosniaque‑croate du temps de guerre, et du Conseil de défense
croate (HVO). Le procès a commencé en 2006 et un verdict de culpabilité
de crimes de guerre
à
l’encontre de la population bosniaque a été rendu en première instance contre
les six accusés en mai 2013.
43. Le 22 novembre 2017, le TPIY a rendu son dernier jugement
de première instance dans l’affaire Ratko Mladić, qui a été déclaré
coupable de génocide à Srebrenica ainsi que de crimes de guerre
et de crimes contre l’humanité à Sarajevo, alors assiégée, et dans
six autres municipalités. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement
à vie, dont il a l’intention de faire appel. Le 29 novembre, le
TPIY a confirmé son jugement de première instance dans l’affaire Prlić et consorts en les condamnant
à 111 ans de prison au total. L’un des accusés s’est suicidé lors
de la lecture du verdict.
44. Les affaires restantes seront jugées par le Mécanisme pour
les tribunaux pénaux internationaux (MTPI) créé par le Conseil de
Sécurité des Nations Unies en 2010 pour traiter les affaires laissées
en instance par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda,
dont le mandat s’est achevé en 2015) et le TPIY. Parmi les affaires
qui seront prises en charge par le MTPI, on peut citer le procès
en appel de Ratko Mladić et celui de Radovan Karadzic
, qui a été condamné en mars 2016
en première instance par le TPIY à une peine d’emprisonnement de
40 ans pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre,
et l’affaire concernant Vojislav Seselj, l’ancien président du Parti
radical serbe. Le procureur a déposé un recours contre la décision
d’acquittement rendue par le TPIY en mars 2016. M. Seselj a entretemps
repris son activité politique en Serbie et était candidat à l’élection
présidentielle en avril 2017; il a recueilli un peu moins de 5 % des
voix.
45. De nombreux commentateurs considèrent que les jugements rendus
par le TPIY n’ont contribué ni à l’usure des hostilités, ni à la
réconciliation dans la région: un grand nombre des criminels de
guerre condamnés ont été accueillis comme des héros après avoir
purgé leur peine et certains reprennent une part active à la vie politique.
En outre, la Serbie, bien qu’ayant adopté une résolution au sujet
de Srebrenica en 2010 et bien que son Premier ministre ait assisté
à la cérémonie de commémoration organisée à Srebrenica en 2015
, refuse toujours de reconnaître
qu’un génocide y a été commis.
3.1.2. Poursuite interne des crimes
de guerre
46. De 1996 à 2004, le Bureau du
procureur du TPIY a appliqué un système de «règles de circulation»
en vertu duquel les procureurs locaux étaient tenus de lui soumettre
les dossiers de leurs affaires pour examen. Par conséquent, aucune
personne ne pouvait être arrêtée en Bosnie-Herzégovine sur des soupçons
de crimes de guerre sans l’aval du Bureau du procureur du TPIY.
Celui‑ci a examiné en tout 1 419 dossiers portant sur 4 985 personnes
soupçonnées et a autorisé les procureurs nationaux à poursuivre
848 personnes. Depuis la création du Tribunal d’État en 2002 et
de sa chambre des crimes de guerre en 2004, la poursuite des crimes de
guerre relève des compétences juridictionnelles nationales
.
47. Une stratégie nationale de poursuite des crimes de guerre
a été adoptée en décembre 2008. Le Bureau du procureur de Bosnie-Herzégovine
était supposé obtenir en 2010 une vue d’ensemble de toutes les affaires ayant
donné lieu à une enquête dans toutes les juridictions de la Bosnie‑Herzégovine,
afin que le Tribunal d’État puisse décider si une affaire devait
être poursuivie au niveau de l’État ou d’une Entité, dans le but
de traiter au niveau de l’État les affaires les plus complexes et
de plus grande priorité dans un délai de sept ans et les autres
crimes de guerre au niveau des Entités dans un délai de quinze ans.
48. On constate, depuis des années déjà, qu’aucun progrès n’a
été accompli dans les procédures engagées dans des affaires relevant
de la catégorie II (c’est-à-dire les dossiers qui ont été transmis
par le Bureau du procureur du TPIY au Bureau du procureur de la
Bosnie-Herzégovine). Cependant, fin 2015, le Bureau du procureur
de la Bosnie-Herzégovine s’est acquitté de son engagement tendant
à ce que des décisions soient rendues dans toutes ces affaires:
à la fin décembre 2015, des actes d’accusation avaient été émis
dans les dernières affaires restantes. Ces actes ont été confirmés
par le Tribunal d’État de la Bosnie‑Herzégovine en janvier 2016
et les procès ont débuté en mars 2016. Deux affaires, pour lesquelles
davantage d’aide de pays tiers est requise, n’ont pas encore été
réglées. En effet, bien que généralement positive, la coopération régionale
demeure un sujet de préoccupation. Nombre d’affaires ne progressent
pas parce que les personnes soupçonnées résident à l’étranger en
qualité de citoyens d’un pays tiers. Il n’y a pas d’accord au plan
régional permettant d’extrader les personnes soupçonnées d’avoir
commis des crimes de guerre et l’on considère généralement que cela
entrave gravement les efforts engagés pour poursuivre les auteurs
de ces crimes dans la région.
49. La Stratégie nationale relative aux crimes de guerre prévoit
par ailleurs l’harmonisation des pratiques judiciaires. Le 18 juillet
2013, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu son arrêt
dans l’affaire Maktouf et Damjanović
c. Bosnie-Herzégovine. Elle a estimé que l’application
rétroactive du Code pénal de 2003 de la Bosnie-Herzégovine, qui
prévoit des peines particulières pour les crimes contre l’humanité
et le génocide qui ne figuraient pas dans la loi pénale en vigueur
au moment où les crimes de guerre ont été commis, constituait une
violation de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5). À la suite d’un revirement de
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine,
des procédures relatives à des crimes de guerre ont été rouvertes
et de nouveaux procès ont eu lieu. Des condamnations moins lourdes
ont été prononcées à l’encontre des intéressés, dont certains ont
été remis en liberté parce qu’ils avaient déjà purgé leur peine.
Seul un individu n’a pas encore été retrouvé.
50. Le délai de 2015 pour les affaires les plus complexes n’a
pas été respecté et des procédures pour crimes de guerre présumés
ouvertes à l’encontre d’au moins 7 000 personnes devront être menées
à terme avant décembre 2023.
51. D’après un rapport de juin 2016 commandité par le Bureau du
procureur du TPIY et l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE), l’arriéré judiciaire était de 1 210 affaires en
juillet 2013. Le Bureau du procureur de la Bosnie-Herzégovine avait
encore à traiter 346 affaires concernant 3.383 personnes avant janvier
2016. Il a été accusé de mauvaise gestion, le nombre d’inculpations
étant artificiellement accru en divisant les affaires complexes
en plusieurs affaires plus petites ou en travaillant sur des affaires
«faciles», qui sont ensuite transférées aux Entités, afin de remplir
les quotas annuels. En octobre 2015, le Bureau du procureur a annoncé
avoir inculpé 509 personnes pour crimes de guerre au cours des dix
dernières années, dont 255 au cours des deux années et demie précédentes.
De son côté, le Tribunal d’État, depuis qu’il est devenu opérationnel
en 2005, a rendu 169 jugements en première instance et 158 en deuxième
instance (chiffres d’octobre 2015).
52. L’Union européenne et d’autres donateurs ont fourni une aide
budgétaire importante pour permettre au Bureau du procureur de recruter
du personnel supplémentaire mais il est évident qu’avec le temps,
il deviendra de plus en plus difficile de poursuivre des crimes
de guerre de cette ampleur.
3.1.3. Personnes disparues
53. Environ 30.000 personnes ont
disparu en Bosnie-Herzégovine pendant le conflit. La Commission internationale
des personnes disparues (ICMP) a effectué un travail sans précédent
de localisation, d’exhumation et d’identification des personnes
disparues, pour soulager ainsi la peine de leurs familles. Jusqu’à
présent les corps de 70 % environ des personnes disparues ont été
identifiés selon une procédure contraignante rendue possible grâce
aux progrès de la génétique et à une gigantesque base de données d’échantillons
de sang prélevés sur leurs proches. L’existence de ce qu’on appelle
des «fosses communes secondaires» a également entravé le processus
d’identification: lors d’une tentative de destruction de preuves, des
engins de chantier ont déplacé des corps vers de nouvelles fosses
communes, ce qui a eu pour effet de les démembrer et de les mélanger.
54. Le processus de recherche et d’identification des corps a
été géré par les commissions des personnes disparues des Entités
et coordonné par l’ICMP selon la «procédure d’exhumation conjointe»
jusqu’en 2008. La pratique courante en Bosnie-Herzégovine de séparer
les recherches des personnes disparues par groupes ethniques, religieux
ou nationaux – qui a conduit, par exemple, à ce que la commission
de la Fédération ne soit autorisée à procéder à une exhumation en
Republika Srpska que sous condition de réciprocité – a été remplacée
par une approche un peu plus coopérative, qui a abouti à l’adoption
en 2004 au niveau de l’État d’une loi sur les personnes disparues
et la création, également au niveau de l’État, d’un Institut des
personnes disparues qui a commencé ses activités en janvier 2008.
55. Néanmoins, plus de vingt ans après la fin du conflit, plus
de 7.000 personnes sont toujours portées disparues et il devient
de plus en plus difficile d’obtenir des informations exactes et
fiables sur les fosses communes. Les restes de seulement 270 personnes
disparues ont été identifiés en 2016. Les mesures à prendre pour
traiter les 4.000 restes non identifiés répartis dans une douzaine
de morgues et centres d’autopsie et d’identification de Bosnie-Herzégovine
constituent également un problème difficile. Nous sommes à cet égard
préoccupés par le financement insuffisant de l’Institut des personnes
disparues, dont le budget a été réduit de moitié depuis sa création.
3.1.4. Retour des réfugiés et des
déplacés internes
56. L’annexe VII des Accords de
paix de Dayton prévoit le droit de tous les réfugiés et personnes
déplacées de «rentrer librement dans leurs foyers» et de recouvrer
leurs biens ou d’être indemnisés si ces biens ne peuvent leur être
restitués. En 2005, dix ans après la guerre, plus d’un million des
2,2 millions de personnes déplacées par la guerre étaient rentrées
dans leurs foyers et/ou avaient recouvré leurs biens d’avant‑guerre. Plus
de 200 000 biens ont été restitués à leurs propriétaires d’avant‑guerre
au moyen d’un plan de mise en œuvre de la loi sur les biens; environ
317 000 logements ont été reconstruits.
57. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
estime que 40 000 familles ont encore besoin d’aide pour trouver
une solution durable. 84 500 personnes ont toujours le statut de
déplacés internes et 47 000 «rapatriés des minorités»
ont
toujours besoin de soutien, sans parler des ménages vulnérables
qui sont dans l’incapacité de revenir chez eux et qui doivent être
autorisés à trouver une solution sur le lieu où ils ont été déplacés.
8 547 personnes qui n’étaient pas propriétaires d’un logement avant
la guerre et continuent à vivre dans les 156 centres collectifs
qui subsistent ont toujours besoin d’un logement ou d’une forme
de logement spécialisé (maisons de retraite, logement social, etc.).
58. La reconnaissance des besoins spéciaux des rapatriés et des
déplacés internes particulièrement vulnérables a conduit à l’adoption
en 2010 d’une stratégie révisée pour la mise en œuvre de l’annexe
VII. Le défi est maintenant de réussir à impliquer les municipalités,
d’atteindre les bénéficiaires qui sont le plus dans le besoin avec
le peu de ressources disponibles et de résoudre non seulement leurs
problèmes de logement mais de leur donner accès aux services et
à l’emploi. Le Processus de Sarajevo, une initiative régionale lancée par
le HCR en 2005 pour résoudre les problèmes durables auxquels sont
confrontés les réfugiés et les déplacés internes en Serbie, en Bosnie-Herzégovine,
en Croatie et au Monténégro, bien que n’ayant initialement guère
donné de résultats, a permis d’obtenir le soutien de donateurs et
amené les quatre pays à signer en 2011 la Déclaration de Belgrade,
qui a conduit à l’organisation d’une conférence des donateurs et
à l’adoption d’un programme régional pour le logement en avril 2012:
en tout 300 millions d’euros ont été mobilisés à cette fin dans
les quatre pays. Nous notons avec satisfaction que la Banque de
développement du Conseil de l’Europe contribue également au relogement
des personnes vivant encore dans les centres collectifs, dans le
cadre d’un projet initié en 2014 visant à reloger ces personnes
dans 42 municipalités de Bosnie‑Herzégovine.
4. Les relations avec l’Union
européenne, l’OTAN et la coopération régionale
4.1. Relations avec l’Union européenne
59. Depuis le sommet de Thessaloniki
en 2003, la Bosnie‑Herzégovine fait partie des candidats «potentiels» à
l’intégration européenne dans la région. À l’origine, l’Union européenne
pensait que la Bosnie‑Herzégovine ne pourrait devenir un pays candidat
à l’adhésion avant la fermeture du BHR. Cette position a été abandonnée au
début 2008 à cause de l’instabilité du pays et des querelles politiques
permanentes entre les trois peuples constituants, notamment au sujet
de la réforme prévue des forces de police
.
En juin 2008, après l’adoption en avril de lois fortement édulcorées
sur la réforme de la police, l’Union européenne a signé un Accord
de stabilisation et d’association (ASA) avec la Bosnie‑Herzégovine,
ainsi qu’un accord commercial intérimaire. L’ASA a été ratifié en
2010 par tous les États membres de l’Union européenne mais n’est
entré en vigueur qu’en juin 2015, notamment parce que la loi sur
le recensement et la loi sur l’aide de l’État ont été adoptées seulement
en 2012 et, plus important, parce que la Bosnie‑Herzégovine n’avait
pas rempli son engagement
de
mener des «efforts crédibles» en vue de l’adoption des amendements
constitutionnels et électoraux requis pour la mise en œuvre de l’arrêt
rendu en 2009 par la Cour européenne des droits de l’homme dans
l’affaire
Sejdić et Finci.
Cependant, toutes les tentatives de convaincre les trois peuples
constituants de trouver un accord sur cette question ont échoué
(voir plus bas la section «Réforme constitutionnelle») et l’Union européenne
a décidé de lever provisoirement cette condition.
60. À la fin 2014, suite aux violentes émeutes qui s’étaient produites
dans l’ensemble du pays en février 2014 et aux inondations catastrophiques
du mois de mai, l’Union européenne a décidé
de donner la priorité aux
réformes socioéconomiques et à la réforme de l’État de droit, en
reportant les réformes constitutionnelles et politiques requises
à une étape plus tardive du processus d’adhésion. Les autorités
de la Bosnie‑Herzégovine à tous les niveaux (État, Entités, cantons
et District de Brčko) se sont formellement engagées en juillet 2015
à mettre en œuvre un ambitieux programme de réformes et en dépit
une fois encore des querelles politiques
, le Conseil
des ministres de la Bosnie‑Herzégovine a adopté en janvier 2016
le mécanisme de coordination
devant permettre
(au moins théoriquement) au pays de parler d’une seule voix et,
en juillet 2016, le protocole d’adaptation de l’ASA qui était nécessaire
depuis l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne en 2013.
61. En février 2016, la Bosnie‑Herzégovine a officiellement déposé
sa demande d’adhésion à l’Union européenne. En décembre de la même
année, un questionnaire comprenant plus de 3 000 questions a été remis
aux autorités pour permettre à la Commission européenne de préparer
un avis sur la demande d’adhésion. Comme elles ont mis plus de temps
qu’initialement prévu pour préparer leurs réponses à ce questionnaire,
les autorités du pays projettent à présent de communiquer celles-ci
pour la fin 2017.
62. L’Union européenne et d’autres institutions financières
se
sont engagées à soutenir financièrement la Bosnie‑Herzégovine en
lui fournissant 1 milliard d’euros pendant les trois prochaines
années, afin d’aider directement le pays à supporter le coût des
réformes, et en dégageant 500 millions d’euros supplémentaires à
des fins d’investissement. En septembre 2016, le FMI a approuvé
un mécanisme élargi de crédit de plus de 553 millions d’euros pour
les trois prochaines années et la première tranche d’environ 76 millions d’euros
a été décaissée un peu avant les élections locales organisées dans
le pays au début octobre 2016. Les décaissements suivants seront
effectués après un examen trimestriel des progrès obtenus, parmi
lesquels sont notamment attendues une réduction significative des
dépenses publiques et l’adoption d’une loi visant à augmenter les
droits d’accise sur les carburants. Le parlement national ayant
échoué à adopter cette loi à plusieurs reprises, le FMI a suspendu
le décaissement de la deuxième tranche début 2017, ce qui pourrait amener
l’agence de notation Standard & Poor’s à abaisser la note qu’elle
attribue, soit B/B à l’heure actuelle, à la dette à long terme et
à la dette à court terme de la Bosnie‑Herzégovine, en devises étrangères
et en monnaie nationale.
63. L’Union européenne investit aussi fortement en faveur de programmes
régionaux axés principalement sur l’infrastructure (comme le corridor
Vc reliant Budapest à la Croatie), les transports et l’énergie.
4.2. Coopération régionale
64. Officiellement, la Bosnie‑Herzégovine
entretient de bonnes relations avec les pays voisins, en particulier la
Croatie et la Serbie. Pour sa première visite à l’étranger, le nouveau
ministre des Affaires étrangères croate, M. Kovač, s’est rendu à
Sarajevo, et le Premier Ministre croate, Andrej Plenković, s’y est
quant à lui rendu début septembre 2017.
65. Une session conjointe des gouvernements de la Bosnie‑Herzégovine
et de la Serbie a eu lieu à Sarajevo le 4 novembre 2015. La tenue
de la session conjointe, ainsi que la visite de la présidence de
la Bosnie-Herzégovine à Belgrade le 22 juillet 2015 et celle du
Président Vučić début septembre 2017 (première visite officielle
d’un président serbe depuis 2011), sont autant de signes de l’amélioration
de la situation régionale après les tensions précédentes. Toutes
les institutions pertinentes ont confirmé leur engagement en faveur
de la réconciliation et de la coopération.
66. Une importante initiative régionale dénommée «Processus de
Berlin» a été engagée avec la tenue de la première Conférence sur
l’Ouest des Balkans organisée le 28 août 2014 à Berlin par l’Allemagne.
Cet événement a réuni les chefs de gouvernement et les ministres
des Affaires étrangères et de l’Économie de l’Albanie, de la Bosnie‑Herzégovine,
de la Croatie, de «l’ex‑République yougoslave de Macédoine», du Monténégro,
de la Serbie, du Kosovo et de la Slovénie, ainsi que des représentants
de la Commission européenne, de l’Autriche, du Royaume-Uni et de
la France. Le Processus de Berlin offre un cadre pour une période
de cinq ans pendant laquelle les participants sont convenus de redoubler
d’efforts pour avancer encore dans le processus de réforme, régler
les problèmes bilatéraux et internes en suspens et parvenir à la réconciliation
au sein des sociétés de la région et entre elles. Les pays ont fait
bloc dans le but de renforcer la coopération économique régionale
et de créer les conditions d’une croissance durable.
67. La deuxième conférence dans le cadre de ce processus a eu
lieu à Vienne le 27 août 2015. Tous les participants se sont vivement
félicités des progrès notables accomplis en matière de connectivité
des transports, notamment l’accord conclu par les six premiers ministres
de l’Ouest des Balkans à Bruxelles en avril 2015 sur les corridors
du réseau principal de transport régional.
68. La troisième conférence, organisée à Paris en août 2016, était
principalement axée sur les questions énergétiques. Les participants
y ont réaffirmé l’importance de la coopération régionale et leur
volonté d’éviter que les questions bilatérales n’interfèrent avec
le processus d’adhésion à l’Union européenne
.
Un office pour la coopération régionale entre les jeunes a été créé
sur le modèle de l’Office franco‑allemand de la jeunesse. Trois
nouveaux projets ferroviaires ont aussi été décidés, avec un cofinancement
de l’Union européenne d’environ 100 millions d’euros s’ajoutant
au financement provenant des institutions financières internationales et
des budgets nationaux des États de l’Ouest des Balkans. Les parties
ont également approuvé le lancement d’une initiative en faveur de
l’efficience énergétique soutenue par un financement de l’Union
européenne de 50 millions d’euros.
69. Le quatrième sommet a eu lieu à Trieste en juillet 2017. À
l’exception de la Bosnie‑Herzégovine, les pays des Balkans occidentaux
ont signé avec l’Union européenne un traité instituant une Communauté
des transports. Ce traité a pour objet de mettre en place un réseau
de transports pleinement intégré au sein des Balkans occidentaux
et entre cette région et l’Union européenne ainsi que d’amener ces
pays à aligner leurs normes et politiques en matière de fonctionnement
des transports sur celles de l’Union européenne. La Bosnie‑Herzégovine
a signé le traité en septembre 2017 après que la Republika Srpska
a renoncé à exiger que le pays soit représenté au sein du conseil
ministériel du traité alternativement par le ministre des transports et
des communications au niveau de l’État et par les ministres de l’Entité.
La présidence fédérale a accepté le traité en vertu d’une décision
adoptée le 18 septembre 2017, mais celui-ci doit encore être ratifié
par le parlement.
70. Le cinquième sommet se tiendra à Londres en 2018.
71. Le 1er janvier 2016, la Bosnie-Herzégovine
a entamé la présidence annuelle de l’Initiative centrale européenne
(ICE). La présidence de la Bosnie-Herzégovine accorde une attention
privilégiée aux initiatives efficaces en matière de transport et
d’énergie, ainsi qu’à la promotion de l’entrepreneuriat, en particulier l’élément
relatif aux petites et moyennes entreprises. La Bosnie‑Herzégovine
est aussi membre, entre autres, du Conseil de coopération régional
(dont le siège est à Sarajevo), du Centre de maintien de l’ordre
de l’Europe du Sud‑Est, de l’Initiative régionale en matière de
migration, d’asile et de retour des réfugiés, de la Communauté énergétique
de l’Europe du Sud‑Est
et
de l’Accord de libre‑échange centre‑européen.
4.3. Relations avec l’OTAN
72. La Bosnie‑Herzégovine, «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» et la Serbie sont les seuls pays de la
région
qui n’ont pas encore adhéré à
l’OTAN. La Slovénie a adhéré en 2004, l’Albanie et la Croatie en 2009.
L’adhésion de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» est bloquée
par la Grèce qui refuse toujours d’accepter le nom de ce pays. L’adhésion
du Kosovo n’est pas actuellement envisagée.
73. L’adhésion à l’OTAN reste une question litigieuse en Bosnie‑Herzégovine.
La Republika Srpska s’aligne généralement sur la politique étrangère
de la Serbie (refus d’adhérer à l’OTAN, refus de reconnaître le
Kosovo, coopération avec la Russie, y compris dans le domaine économique
et militaire
).
La Republika Srpska a menacé à plusieurs reprises d’organiser un
référendum sur la question de l’adhésion à l’OTAN.
74. Le 18 octobre 2017, l’Assemblée nationale de la Republika
Srpska a adopté une résolution (non contraignante) sur «la protection
de l’ordre constitutionnel et la déclaration de neutralité militaire
de la Republika Srpska», dans laquelle il est indiqué que l’Entité
restera en dehors de toute alliance militaire (nommément: l’OTAN)
dans l’attente d’un référendum sur cette question et qu’elle coordonnera
sa politique avec celle de la Serbie. Le 27 octobre, le groupe bosniaque
à la Chambre des peuples de la Republika Srpska a invoqué la protection
de la clause de l’intérêt national vital, notamment parce qu’il
estime que la question d’une éventuelle adhésion à des alliances
militaires relève des affaires étrangères et donc de la seule compétence
du gouvernement central. En réaction à l’adoption de cette résolution,
Bakir Izetbegović, membre bosniaque de la présidence, a publiquement
déclaré qu’il espérait que la Bosnie‑Herzégovine reconnaîtrait bientôt
l’indépendance du Kosovo, et a ainsi provoqué une nouvelle querelle
politique.
75. La Bosnie‑Herzégovine est en effet le seul pays de la région,
exception faite de la Serbie, qui n’a pas reconnu le Kosovo. Les
déplacements sans visa entre le Kosovo et la Bosnie‑Herzégovine
ne sont donc pas possibles et les visas sont délivrés au cas par
cas, en particulier pour assister aux conférences internationales organisées
en Bosnie‑Herzégovine.
76. Les forces armées de la Bosnie-Herzégovine
comptent
actuellement 10 000 militaires d’active et 5 000 réservistes. D’après
le Rapport défense adopté à la fin 2016, ces chiffres devraient
être encore réduits. Les militaires de Bosnie-Herzégovine participent
à des opérations à l’étranger, notamment en Afghanistan, et leur
contribution semble fortement appréciée.
77. En 2006, la Bosnie-Herzégovine a adhéré au Partenariat pour
la paix de l’OTAN et, en 2010, à Tallinn, la Bosnie-Herzégovine
a été invitée à participer au Plan d’action pour l’adhésion, un
programme de conseils, d’assistance et de soutien pratique. La dernière
condition nécessaire à l’activation du Plan d’action est l’enregistrement
au niveau de l’État de ce qu’on appelle les biens immeubles signalés
comme nécessaires aux fins de la défense.
78. Il existe actuellement 63 biens de défense immeubles sur l’ensemble
du territoire de la Bosnie‑Herzégovine. Vingt‑six ont été enregistrés
jusqu’ici, mais uniquement dans la Fédération de Bosnie‑Herzégovine
(20 sont en attente d’enregistrement). En dépit de l’accord de succession,
de la loi de défense de la Bosnie‑Herzégovine et des décisions pertinentes
de la présidence de la Bosnie‑Herzégovine, la Republika Srpska continue
à rejeter l’enregistrement au niveau de l’État de tous les biens
militaires situés sur son territoire et elle s’est opposée à tous
les efforts de l’État en ce sens.
79. Néanmoins, le 27 juillet 2016, la chambre d’appel du Tribunal
d’État a ordonné l’enregistrement de biens militaires étendus situés
à Han Pijesak en Republika Srpska. Ce jugement est en principe définitif
et devait être appliqué dans un délai de 30 jours. Les autorités
de la Republika Srpska ont annoncé qu’elles déposeraient un recours
devant la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (qui l’a
rejeté le 6 juillet 2017) et que, le moment venu, elles saisiraient
la Cour européenne des droits de l’homme. Le président Dodik a déclaré publiquement
que les autorités de la Republika Srpska n’appliqueront pas cette
décision.
5. Institutions démocratiques
5.1. Élections générales de 2014
et développements électoraux
80. Les élections qui ont eu lieu
en octobre 2014 au niveau de l’État, des Entités et des cantons
ont été organisées pour la deuxième fois sur la base d’un cadre
législatif et constitutionnel qui n’est pas conforme à la Convention
européenne des droits de l’homme: en effet, seuls les Serbes, les
Croates et les Bosniaques étaient une nouvelle fois autorisés à
se présenter à la présidence de l’État ou à déposer leur candidature
pour être élus/nommés au sein de la Chambre des peuples de l’État.
81. Selon les résultats officiels
de l’élection des trois membres de
la présidence de l’État, M. Izetbegović, chef du Parti d’action
démocratique (SDA) a obtenu un deuxième mandat en recueillant 32,86 %
des suffrages
,
M. Čović, chef de l’Union démocrate croate de Bosnie‑Herzégovine
(HDZ), a obtenu 52,20 % des voix et M. Mladen Ivanić, chef du Parti
du progrès démocratique (PDP) et leader de l’Alliance pour le changement,
a recueilli 48,69 % des voix. La nouvelle présidence a pris ses
fonctions en novembre 2014.
82. Aux élections à la Chambre des représentants de l’Assemblée
parlementaire de Bosnie‑Herzégovine, le SDA a remporté 10 des 42
sièges, le Front démocrate
(DF)
5, l’Alliance pour un meilleur avenir (SBB) 4, la coalition autour
du HDZ de Bosnie‑Herzégovine 4, le Parti social‑démocrate (SDP)
3, le HDZ 1990 1, le Parti patriotique de la Bosnie‑Herzégovine
(BPS) 1, l’A‑SDA 1, l’Alliance des sociaux‑démocrates indépendants (SNSD)
6, le Parti démocratique serbe (SDS) 5, l’Alliance populaire démocratique
(DNS) 1 et le PDP 1.
83. En Republika Srpska, Milorad Dodik a été réélu président avec
45,39 % des voix
. À l’Assemblée nationale
de Republika Srpska, le SNSD a remporté 29 des 83 sièges, le SDS
24, le PDP 7, le DNS 8, le Parti socialiste (SP) 5, le Mouvement
populaire démocratique 5 et la coalition «Patrie» 5.
84. À la Chambre des représentants de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine,
le SDA a obtenu 29 sièges sur 98, le SDP 12, le SBB et le DF 16
et 14 respectivement, tandis que la coalition autour du HDZ Bosnie‑Herzégovine
en a remporté 12 et le HDZ 1990, 4.
85. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a observé
les élections générales dans le cadre d’une mission internationale
d’observation des élections avec l’OSCE/BIDDH. Les observateurs
de l’Assemblée ont conclu que les élections avaient eu lieu sous
le signe de la concurrence électorale mais que les clivages interethniques
demeuraient un problème majeur. Ils ont également noté que l’absence
d’une vision commune pour l’avenir du pays et d’une coopération
entre les trois peuples constituants continuait à entraver les réformes
indispensables pour garantir la tenue d’élections tout à fait démocratiques.
Des problèmes fondamentaux subsistent, notamment les restrictions
du droit de se présenter aux élections et du droit de vote fondées
sur l’appartenance ethnique, compte tenu en particulier de la non‑application
de l’arrêt
Sejdić et Finci de
2009
. Les observateurs
de l’Assemblée ont constaté que, globalement, la Commission électorale
centrale (CEC) avait administré les élections de manière efficiente
et jouissait de la confiance de la plupart des acteurs électoraux.
Toutefois, plus généralement, l’Assemblée a observé que le fonctionnement
des institutions démocratiques faisait l’objet d’une défiance croissante
des citoyens et exhorté tous les responsables politiques et partis
politiques à trouver les moyens de regagner la confiance du public
.
86. Une situation préoccupante s’est présentée dans le District
de Brčko, où les électeurs devaient opter pour la citoyenneté d’une
Entité au plus tard le 28 août 2014 pour pouvoir exercer leur droit
de vote. Aux élections générales, près de 50 % des électeurs n’ont
pu exercer ce droit car ils n’avaient pas opté pour la citoyenneté
d’une Entité. Par ailleurs, les électeurs du District de Brčko qui
avaient opté pour la citoyenneté de la Fédération n’ont pu participer
aux élections (indirectes) à la Chambre des peuples de la Fédération, exclusivement
formée de délégués issus des assemblées cantonales.
87. Le gouvernement de la Bosnie‑Herzégovine est né d’un accord
de coalition entre le SDA, le HDZ de Bosnie‑Herzégovine, la coalition
Alliance pour le changement de la Republika Srpska (formée du Parti démocratique
serbe SDS, du Parti du progrès démocratique PDP et du Mouvement
démocratique national NDP) et le DF. Le SDA, le HDZ de Bosnie‑Herzégovine
et le DF ont également décidé de former une coalition au niveau
de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine et des cantons. Le SNSD a
décidé de ne pas participer au gouvernement au niveau de l’État.
88. Les gouvernements de la Bosnie-Herzégovine et de la Fédération
de Bosnie-Herzégovine ont été institués le 31 mars 2015. Le Parlement
de la Fédération n’a pas été entièrement formé car le nombre de représentants
serbes élus à partir des parlements cantonaux était insuffisant.
La séance d’ouverture de la Chambre des peuples a eu lieu le 2 décembre
2015 avec seulement 13 délégués serbes (sur les 17 requis).
89. En Republika Srpska, la nomination du gouvernement a été entérinée
le 27 décembre 2014. Le SNSD et ses partenaires de coalition détiennent
une étroite majorité au Parlement de la Republika Srpska (44 délégués
sur 83), tandis que les partis qui y représentent l’opposition (Alliance
pour le changement) font partie de la majorité au niveau de l’État.
90. La coalition au pouvoir dans la Fédération s’est disloquée
en mai 2015 en raison d’un désaccord entre le parti DF et le HDZ
sur la question du contrôle des entreprises publiques par les partis
.
Le 12 juin 2015, les quatre ministres appartenant au DF ont présenté
leur démission au Président de la Fédération. Le 19 octobre, le
SDA et le SBB ont signé un accord de coalition en vue d’une action
conjointe à tous les niveaux du gouvernement. Le 28 octobre, la
Chambre des représentants de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine
a approuvé la nomination de quatre ministres du SBB au sein du gouvernement
de la Fédération, en replacement des ministres du DF.
91. Le 16 novembre 2015, les représentants du SDA et du SBB sont
convenus que le SBB devrait également remplacer le DF au sein du
Conseil des ministres de la Bosnie-Herzégovine
et de tous les gouvernements cantonaux.
Cela a été fait en mai 2016, après que les ministres du DF ont démissionné
en décembre 2015.
92. La situation s’est considérablement détériorée depuis lors,
à tel point qu’à un an des prochaines élections générales, qui se
tiendront en octobre 2018, il semble ne plus y avoir de majorité
parlementaire au niveau de l’État. La coalition entre le SDA et
le SBB s’est effondrée après que le SBB a voté avec l’opposition en
juillet 2017 pour rejeter le rapport de travail annuel du Conseil
des ministres pour 2016. En outre, les principaux partis politiques
ont connu des dissensions internes: trois membres du SDA ont été
exclus du parti (notamment le chef de la délégation du pays auprès
de l’Assemblée, Senad Šepić) et ont fondé leur propre parti en septembre
2017 (le Bloc indépendant); le président du SDS, notre collègue
Mladen Bosić, a quitté son poste après les résultats catastrophiques
des élections locales d’octobre 2016 et un autre important responsable
politique serbe, Ognjen Tadić, actuellement président de la Chambre
des peuples au niveau de l’État, a quitté le SDS le 26 octobre 2017
pour former un nouveau parti politique, appelé «Parti du Peuple».
Les six représentants du SNSD à la Chambre des représentants ont
boycotté les sessions jusqu’en août 2017 et retiré leurs délégués
des commissions parlementaires des deux chambres. Enfin, les désaccords
vont grandissants entre le SDA et le HDZ, notamment à propos de
la réforme électorale et du financement du système public de radiodiffusion.
93. Comme l’a indiqué dans ses conclusions du 16 octobre 2017
le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, il semble
«qu’une rhétorique de la division qui trouve ses racines dans le
passé et un processus électoral engagé à un stade précoce aient
ralenti le rythme des réformes». Dans son 52e rapport au
Conseil de sécurité des Nations Unies, pour la période allant d’avril
à octobre 2017, le Haut-Représentant a fait observer que le Parlement
de Bosnie-Herzégovine a adopté seulement trois textes, sous forme d’amendements
à la législation existante, et rejeté 11 lois. Dans la Fédération,
une seule loi et cinq amendements à la législation existante ont
été adoptés. Cette faible production législative est très inquiétante vu
les réformes urgentes qui doivent être entreprises.
5.2. Modifications de la législation
électorale
94. Toutes les parties prenantes,
y compris les observateurs internationaux, s’accordent à reconnaître l’efficacité
de la Commission électorale centrale dans l’organisation et la conduite
des élections, ainsi que le bon niveau de son travail de communication
en direction du public. La CEC plaide en faveur de la tenue des élections
locales et générales la même année plutôt qu’à l’intervalle actuel
de deux ans, pour éviter des campagnes électorales quasi-permanentes
et permettre à la classe politique de se focaliser sur les réformes.
95. La CEC est aussi chargée de mettre en œuvre la loi sur le
financement des partis politiques, tâche dont elle s’acquitte en
grande partie par le biais de son service d’audit. Lors de son troisième
cycle d’évaluation, le GRECO a recommandé une augmentation des ressources
financières et humaines affectées à ce service.
96. Un groupe de travail interinstitutionnel chargé de préparer
les amendements à la législation électorale de la Bosnie-Herzégovine
a achevé son travail en avril 2016. Il était composé de trois représentants
de chacune des deux chambres de l’Assemblée parlementaire de la
Bosnie‑Herzégovine, du Conseil des ministres et de la CEC, ce qui
est considéré comme une évolution positive. Les ONG étaient membres associés.
Le groupe de travail a soumis à la procédure législative deux ensembles
de projets d’amendements à la loi électorale de la Bosnie‑Herzégovine
et à la loi sur le financement des partis politiques. Les amendements
à la loi électorale ont été adoptés par les deux chambres de l’Assemblée
parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine le 28 avril. Les amendements
sur le financement des partis politiques ont été débattus en première
lecture par la Chambre des représentants de l’Assemblée parlementaire
de Bosnie‑Herzégovine le 11 mai. D’après les membres du groupe de
travail, les amendements proposés sont de nature technique. La question
de la ville de Mostar a été laissée de côté et fera l’objet d’une
solution distincte.
97. Deux amendements spécifiques à la loi électorale sont préoccupants.
Le premier, qui a été rejeté lors du vote final, visait à mettre
en place une structure plus flexible en matière de répartition des
hommes et des femmes sur les listes électorales, dans le cadre du
quota existant de 40 % pour le sexe sous-représenté. Plusieurs ONG
et la commission pour l’égalité entre les femmes et les hommes de
la Chambre des représentants de l’Assemblée parlementaire de la
Bosnie‑Herzégovine ont affirmé qu’un tel amendement aurait pour
effet de reléguer les femmes candidates en fin de liste et réduirait
fortement la probabilité qu’elles obtiennent un mandat législatif.
Le deuxième amendement visait à augmenter le seuil des votes préférentiels individuels
nécessaires à un candidat pour pouvoir prétendre à un mandat préférentiel
au sein de la liste de son parti. D’après la société civile et les
experts, cela pourrait accroître le contrôle de la distribution
des mandats par les présidences des partis. La version finale de
l’amendement adopté porte ce seuil à 10 % pour les élections locales
et 20 % pour les élections générales.
98. En ce qui concerne les amendements à la loi sur le financement
des partis politiques, certains membres du groupe de travail ont
dit que toutes les recommandations restantes du troisième cycle
d’évaluation du GRECO demandant un changement juridique ont été
mises en œuvre, tandis que les représentants de la société civile
affirment que les modifications proposées ne répondent pas à la
nécessité d’une définition détaillée des compétences de la CEC en
matière de contrôle des dépenses des partis. Certains ont salué l’introduction,
par les amendements à la loi électorale, d’une obligation pour les
partis politiques de ne communiquer qu’un seul numéro de compte
bancaire aux fins du financement des campagnes politiques lors de
leur enregistrement, tandis que d’autres ont estimé que cette disposition
n’empêchait pas les partis politiques d’avoir d’autres comptes bancaires.
Certains amendements prévoient un programme de formation régulier
pour les présidents des bureaux de vote, ce qui est une évolution
positive car cette mesure était également recommandée par la CEC.
99. Une autre proposition d’amendements à loi électorale, introduite
par la commission du parlement pour l’égalité entre les femmes et
les hommes et qui tendait à porter à 50 % les quotas hommes-femmes
et à placer systématiquement les candidats du sexe minoritaire en
deuxième position sur la liste du parti, a été rejetée par l’Assemblée
parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine le 27 avril 2016 en même
temps que trois amendements proposés à la loi électorale concernant
Mostar.
100. Le 5 avril 2016, la Chambre des représentants de l’Assemblée
parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine a adopté des conclusions
visant à reconduire le mandat du groupe de travail pour qu’il puisse
continuer à travailler sur les points non résolus à améliorer avant
les élections générales de 2018, parmi lesquels la situation de
la ville de Mostar et la mise en œuvre de l’arrêt Sejdić et Finci de la Cour européenne
des droits de l’homme. Nous n’avons pas d’autres informations sur
les activités qu’effectue ce groupe de travail.
5.3. Développements politiques
dans la période qui a précédé les élections locales de 2016: le référendum
sur la date de la fête nationale de la Republika Srpska
101. Le 26 novembre 2015
,
la Cour constitutionnelle a donné suite au recours déposé par Bakir Izetbegović,
membre de la présidence de la Bosnie‑Herzégovine, en vue de l’examen
de la constitutionnalité de l’article 3(b) de la loi de la Republika
Srpska sur les jours fériés. Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle
a statué que le choix du 9 janvier comme jour de la fête de la Republika
Srpska et la pratique de célébrer la fête de la République à cette
date allaient à l’encontre de plusieurs dispositions de la Constitution
de Bosnie‑Herzégovine, en particulier les dispositions interdisant
la discrimination
.
La Cour constitutionnelle a ordonné à l’Assemblée nationale de la
Republika Srpska de mettre en conformité la disposition litigieuse
de la loi avec la Constitution de la Bosnie‑Herzégovine dans les
six mois. Cette décision a soulevé un tollé dans la Republika Srpska.
102. Auparavant, le 17 avril 2015, Assemblée nationale de la Republika
Srpska avait adopté une Déclaration relative à la loi sur les jours
fériés de la Republika Srpska dans laquelle elle exprimait son intention
de ne pas appliquer la décision, alors en instance, de la Cour constitutionnelle
si celle‑ci était contraire au point de vue exprimé publiquement
par la Republika Srpska, ainsi que sa volonté de passer en revue
les décisions antérieures de la Cour constitutionnelle. Cette déclaration
mettait en cause la présence de juges internationaux
au
sein de la Cour constitutionnelle, comme prévu à l’article VI de
la constitution de la Bosnie‑Herzégovine, et la légitimité des arrêts
rendus par la Cour constitutionnelle avec la participation de ces juges.
Elle demandait aussi à l’Assemblée parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine
d’adopter une loi sur la Cour constitutionnelle de la Bosnie‑Herzégovine
définissant sa composition
,
l’élection de ses juges, son organisation, ses compétences et procédures,
ainsi que d’autres aspects importants relatifs au fonctionnement de
la Cour constitutionnelle.
103. Le 15 juillet 2016, l’Assemblée nationale de la Republika
Srpska a décidé la tenue d’un référendum dans la Republika Srpska
le 25 septembre 2016, c’est‑à‑dire une semaine avant les élections
locales prévues dans l’ensemble du pays le 2 octobre. Le 19 août,
le Superviseur du District de Brčko a informé le maire du District de
Brčko qu’en vertu d’une ordonnance de surveillance émise en 2007,
qui exige l’autorisation écrite préalable du Superviseur pour pouvoir
organiser un référendum sur le territoire du District de Brčko,
il ne pouvait approuver la tenue d’un référendum dans le District
de Brčko.
104. Le Haut‑Représentant s’est abstenu de prendre une décision
comparable dans le cadre des pouvoirs de Bonn. Cependant, le 30 août
2016, les ambassadeurs siégeant au comité directeur du Conseil de
mise en œuvre de la paix, à l’exception de celui de la Fédération
de Russie, ont publié une déclaration exhortant les autorités de
la Republika Srpska à ne pas tenir le référendum. L’Union européenne
n’a pas réagi officiellement, sinon pour rappeler à la Republika
Srpska que les arrêts de la Cour constitutionnelle sont impératifs
et définitifs.
105. Le 17 septembre 2016, la Cour constitutionnelle a adopté une
mesure intérimaire suspendant l’exécution de la décision de l’Assemblée
nationale de la Republika Srpska de tenir un référendum. La Republika
Srpska a néanmoins organisé le référendum et 99,8 % des électeurs
ont voté oui. Dans un rapport spécial soumis au Conseil de sécurité
des Nations Unies en octobre 2016, le Haut‑Représentant a conclu
que «la Republika Srpska s’est en fait retirée du système judiciaire
de l’État de Bosnie‑Herzégovine et a donc fondamentalement rejeté
la souveraineté de la Bosnie‑Herzégovine. Ces actes remettent gravement
en cause la durabilité de la mise en œuvre des aspects civils des
Accords de paix de Dayton et constituent une menace directe pour
la paix et la sécurité internationales». En octobre
,
l’Assemblée nationale de la Republika Srpska a adopté des amendements
à la loi désignant le 9 janvier comme jour de la fête nationale
mais en en faisant un jour férié «laïque».
106. Les résultats du référendum ont été annulés par la Cour constitutionnelle
le 1er décembre 2016. Cependant, le 9 janvier
2017, la Republika Srpska, maintenant son attitude de défi, a célébré
sa journée nationale en fanfare à Banja Luka en dépit de l’interdiction,
avec la participation du président Ivanić, le membre serbe de la
présidence tripartite de la Bosnie‑Herzégovine, et du président
Nikolić de la Serbie. La décision du président Ivanić de requérir
la présence de membres du troisième régiment d’infanterie de l’armée
bosnienne comme garde d’honneur militaire, en passant outre aux
mises en garde du ministère de la Défense de la Bosnie‑Herzégovine
et de l’OTAN, a provoqué un nouveau tollé.
107. Le président Dodik a été personnellement sanctionné par le
Gouvernement des États‑Unis en janvier 2017 pour son comportement
contraire aux Accords de Dayton: il ne peut plus se rendre en visite
aux États‑Unis, il est interdit aux Américains d’entretenir des
relations d’affaires avec lui
et
ses actifs ont été gelés.
108. Nous condamnons la tenue de ce référendum en violation d’un
arrêt impératif et définitif de la Cour constitutionnelle, mais
nous nous interrogeons aussi sur les raisons qui ont conduit le
président Bakir Izetbegović à contester la constitutionnalité de
la fête nationale de la Republika Srpska, vingt ans après la guerre.
Cette décision, qui a de nouveau attisé inutilement les tensions
interethniques, montre que le discours ethnique et nationaliste
continue à être utilisé pour obtenir des avantages politiques à
court terme.
5.4. Élections locales de 2016
109. Les élections locales du 2
octobre 2016 ont eu lieu dans un contexte de tensions interethniques
attisées par le référendum organisé le 25 septembre 2016 dans la
Republika Srpska au sujet de la fête nationale de l’Entité. Le taux
de participation a été de 53,88 %. Les élections de 2016 ont vu
le plus grand nombre de candidats depuis 2002: 107 partis politiques,
309 candidats indépendants, 58 représentants de minorités nationales
et 24 coalitions étaient en lice dans les 78 villes et municipalités
de la Fédération et les 63 villes et municipalités de la Republika
Srpska. Le nombre très élevé de partis politiques enregistrés pour
ces élections est peut‑être dû à l’absence au niveau de l’État de
législation régissant l’enregistrement des partis politiques. Les
partis politiques peuvent se faire enregistrer auprès de dix tribunaux
de canton dans la Fédération, cinq tribunaux de canton dans la Republika
Srpska et un seul tribunal dans le District de Brčko, sur la base
de critères extrêmement variables.
110. Le SNSD a clairement remporté les élections dans la Republika
Srpska où il a obtenu 13 postes de maire supplémentaires (soit une
augmentation d’environ 50 %). Au vu de ses faibles résultats électoraux
, le chef
de l’opposition représentée par le SDS, notre collègue Mladen Bosić,
a démissionné peu après le scrutin. Dans la Fédération de Bosnie‑Herzégovine,
les deux blocs principaux, la liste bosniaque conjointe du SDA et du
SBB et le parti croate HDZ, ont conservé leur position dominante
à l’égard des autres partis, bien que le SDA ait perdu six postes
de maire, notamment au profit de candidats ex‑SDA qui s’étaient
présentés comme indépendants.
111. Les élections n’ont pas amélioré la répartition entre les
sexes: sur 26 femmes candidates à un poste de maire, cinq seulement
ont été élues, soit 3,5 % de l’ensemble des postes de maire comme
auparavant. À Srebrenica, pour la première fois depuis la guerre,
un Serbe a été élu maire, ce qui a suscité une vive déception parmi
la population bosniaque
. Un criminel de guerre
condamné
a été élu maire de Velika Kladusa
et, pour la première fois, un représentant de la minorité rom a
été élu maire de Zavidovići.
112. Exception faite de quelques incidents violents
,
le scrutin s’est déroulé globalement dans l’ordre et le calme. Le
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe
a observé ces élections et noté certaines améliorations eu égard
au système de «vote par procuration», qui avait été réformé avant
les élections, et à l’amendement à la loi électorale instituant
un quota de 40 % pour le sexe sous‑représenté sur les listes de
candidats aux conseils municipaux. Les recommandations du Congrès
portent notamment sur le problème récurrent de la qualité des listes
électorales et sur la procédure de mise à jour des listes, ainsi
que sur la nécessité de clarifier la situation des électeurs vivant
de facto à l’étranger. En outre,
l’absence de professionnalisme et la politisation de l’administration
des élections demeurent des sources de préoccupation; il serait
clairement nécessaire de réduire l’influence des partis politiques,
d’éviter l’échange de postes et de modifier les conditions de nomination
et de renvoi des membres des commissions à tous les niveaux. Plus généralement,
la transparence et l’intégrité du processus devraient être renforcées
en appliquant la législation existante sur la fraude et les infractions
électorales, ainsi que sur le détournement de ressources administratives.
En mai 2017, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a organisé
une mission d’observation dans le cadre de son dialogue post-électoral
avec les autorités de Bosnie‑Herzégovine et de son mécanisme d’évaluation
de la démocratie locale et régionale; cette mission portait essentiellement
sur la situation dans la ville de Mostar, où aucun scrutin n’a eu
lieu depuis 2008. Nous constatons avec préoccupation que, d’après
le rapport
publié
par le Congrès en septembre 2017, aucun progrès n’a été accompli.
5.5. La situation à Mostar
113. Mostar est une ville divisée
dont le Statut a été imposé par le Haut‑Représentant en 2004. Avec Sarajevo
et Brčko, c'est la seule ville de Bosnie‑Herzégovine dont le maire
est élu au suffrage indirect. Le Statut de 2004 devait ouvrir la
voie à une réunification de la ville. Nos interlocuteurs ont déclaré
que l’objectif de la réunification avait été atteint, au moins dans
une certaine mesure, sur les plans administratif et institutionnel
mais que la plupart des services publics (eaux, assainissement,
électricité, pompiers) étaient toujours divisés entre Mostar Est
et Mostar Ouest. Aucun scrutin ne s’est tenu à Mostar depuis 2008.
114. Nous nous sommes rendus à Mostar en juin 2016, quelques mois
avant les élections locales prévues le 2 octobre. Nos réunions ont
porté principalement sur l'exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle
de la Bosnie-Herzégovine qui, en novembre 2010, avait déclaré inconstitutionnelles
plusieurs dispositions propres au système électoral de Mostar
. La Cour
constitutionnelle avait imposé un délai de six mois à l’Assemblée parlementaire
de la Bosnie‑Herzégovine pour modifier les dispositions pertinentes
de la loi électorale. Une fois ce délai expiré, la Cour constitutionnelle
a décidé en février 2012 d’abroger les dispositions qu’elle avait auparavant
jugées inconstitutionnelles. Pour mémoire, l’arrêt rendu le 26 novembre
2010 par la Cour constitutionnelle de la Bosnie‑Herzégovine portait
sur la «valeur» inégale des voix des électeurs, trois conseillers
municipaux étant élus dans chacun des six secteurs urbains indépendamment
du nombre d’électeurs inscrits dans chaque circonscription électorale,
ainsi que sur le fait que les électeurs du secteur central ne peuvent
voter pour un candidat dans les sept autres unités électorales de
la ville de Mostar.
115. Le 21 avril 2016, la Chambre des peuples du Parlement de la
Fédération de Bosnie‑Herzégovine a voté à l’unanimité une résolution
appelant les membres de l’Assemblée parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine
à apporter d’urgence des changements à la loi électorale de la Bosnie‑Herzégovine
afin de permettre la tenue d’élections municipales à Mostar (pour
l’élection du conseil municipal et du maire) dans le cadre des élections régulières
prévues dans le pays en 2016. Les chefs du HDZ de Bosnie‑Herzégovine
et du SDA ont tenu plusieurs séries de pourparlers et trois séries
d’amendements ont été présentées au parlement par différents partis
politiques; ils ont été examinés le 27 avril par la Chambre des
représentants de l’Assemblée parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine
mais aucun n’a été adopté.
116. Devant la situation de vide juridique, la Commission électorale
centrale a estimé en 2012 qu'elle ne pouvait pas organiser d’élections
à Mostar. Nous nous sommes entretenus avec le maire en exercice
et un certain nombre de représentants des principaux partis politiques
en juin 2016, peu avant les élections locales. La situation est
très tendue: les Bosniaques refusent d'accepter la proposition croate
visant à amender la loi électorale pour faire de la ville une seule
circonscription électorale, parce que les Croates y seraient alors majoritaires
(au lieu des Bosniaques avant la guerre).
117. Les partis croates (HDZ et HDZ 1990) estiment que les décisions
de la Cour constitutionnelle peuvent uniquement être appliquées
en accordant la même valeur à tous les suffrages. Aucun accord n'est
en vue; le groupe de travail mis en place par le conseil municipal
n'est pas parvenu à un consensus et le groupe de travail interinstitutionnel
national n'est pas davantage parvenu à un accord sur les amendements.
Le Bureau du Haut‑Représentant a organisé une centaine de réunions
avec les divers partis politiques, mais sans résultats.
118. En mai 2017, le groupe croate à la Chambre des peuples de
Bosnie-Herzégovine a déposé une proposition législative en procédure
d’urgence
. Cette proposition
prévoyait la mise en place à Mostar d’un conseil municipal composé
de 45 membres, dont 26 élus dans cinq quartiers et neuf dans une
circonscription couvrant toute la ville. Chaque peuple constitutif
disposerait au conseil municipal
d’un minimum de quatre membres et d’un maximum de 15. Elle a été
adoptée par la Chambre des peuples le 19 juillet 2017. Toutefois, comme
cette proposition prévoit également des amendements relatifs à l’élection
du membre croate de la présidence et aux règles régissant l’élection
des représentants auprès de la Chambre des peuples de la Fédération,
autrement dit des questions très controversées, elle ne sera vraisemblablement
pas adoptée par la Chambre des représentants. Nous avons appris
lors de notre visite de début septembre 2017 que le SDA déposerait
ses propres propositions une fois celle du HDZ examinée par la Chambre
des représentants.
119. Le mandat des 35 membres du conseil municipal de Mostar est
venu à terme le 5 novembre 2012. Le maire intérimaire, un Croate,
gère la ville sur la base d’un financement temporaire puisqu’il
n’est pas possible d’adopter un budget sans un conseil municipal.
Aucune décision en matière d’investissements, de plans d’aménagement,
de permis de construire ou d’emprunt ne peut non plus être prise
en l’absence d’un conseil municipal. Toutes les décisions financières
prises par le maire doivent être contresignées par le chef des finances
de la ville de Mostar, un Bosniaque. Globalement, nous avons eu
l’impression que la ville fonctionnait et que les arrangements actuels,
bien que loin d’être idéaux, sont tels que le public ne semble pas
réclamer la tenue d’élections, en s’accommodant apparemment de la
situation. De toute façon, en écoutant les propositions détaillées
des représentants du SDA, du HDZ et du SDP, on voit mal comment
il leur serait possible de parvenir à un accord dans un avenir proche.
120. L’impossibilité d’organiser des élections à Mostar depuis
huit ans est, à notre avis, plus que regrettable: cette situation
est révélatrice de la lutte de plus en plus acharnée pour le pouvoir
entre groupes ethniques à tous les niveaux en Bosnie‑Herzégovine,
et de l’incapacité complète des acteurs politiques d’assumer leurs responsabilités.
Elle illustre aussi une tendance croissante à refuser d’appliquer
les arrêts de la Cour constitutionnelle qui, en vertu de la Constitution,
sont impératifs et définitifs.
5.6. Autonomie locale
121. La Bosnie-Herzégovine a ratifié
la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122)
dont la mise en œuvre est supervisée par le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux. À la suite de l’adoption de la
Recommandation
324 (2012) du Congrès, la commission de suivi du Congrès a décidé
d’engager un processus postsuivi afin de poursuivre le dialogue
politique avec les autorités de la Bosnie-Herzégovine sur l’élaboration
d’une feuille de route et la mise en œuvre des recommandations les
plus urgentes. Dans sa recommandation de 2012, le Congrès a souligné
en particulier la nécessité de revoir la législation relative à l’autonomie
locale au niveau des Entités, des cantons et des municipalités en
vue de garantir une répartition claire des compétences des collectivités
locales, d’allouer aux collectivités locales des ressources financières suffisantes
et proportionnelles à leurs compétences et à leurs responsabilités,
de réviser la constitution de l’État conformément à l’avis no 308/2004
de la Commission de Venise adopté en 2005 et d’insérer une référence
au principe de l’autonomie locale dans la Constitution
.
122. En 2014, le Congrès a adopté la
Résolution
369 (2014) dans laquelle il a observé que la plupart des recommandations
adressées aux autorités nationales en 2012 n’avaient pas été mises
en œuvre et qu’aucun calendrier n’avait été fixé pour leur prise
en compte dans un avenir proche. Il a également exprimé ses graves préoccupations,
en particulier au sujet du manque de clarté quant à la répartition
des pouvoirs entre les différents niveaux de la gouvernance locale
(par exemple les Entités et les niveaux inférieurs de gouvernance)
. Le Congrès a également adopté la
Recommandation 356
(2014) dans laquelle il recommande au Comité des Ministres
d’exhorter les autorités de la Bosnie-Herzégovine à obtenir des
progrès dans les domaines susmentionnés
.
5.7. Réforme constitutionnelle
123. Revoir la législation électorale
dans un délai d’un an à la lumière des principes du Conseil de l’Europe, dans
le but de l’amender, le cas échéant avec l’aide de la Commission
de Venise, est l’un des engagements souscrits par la Bosnie‑Herzégovine
lors de son adhésion au Conseil de l’Europe. Cet engagement n’a
pas été rempli.
5.7.1. Niveau de l’État
124. La Bosnie‑Herzégovine n’est
pas une démocratie mais une ethnocratie: elle ne fonctionne pas
sur le principe de l’égalité des voix, qui est l’un des fondements
d’une société démocratique. La Constitution de Dayton de la Bosnie‑Herzégovine
stipule que seuls les citoyens déclarant leur appartenance à l’un
des trois peuples constituants (Bosniaques, Croates et Serbes) peuvent
déposer leur candidature à l’élection à la présidence tripartite
du pays et à la Chambre des peuples de l’État, qui comprend cinq
Serbes, cinq Bosniaques et cinq Croates. Les citoyens vivant dans
la Republika Srpska peuvent uniquement voter pour le membre serbe
de la présidence
, qui est élu au suffrage direct
sur le territoire de la Republika Srpska, et les citoyens vivant
dans la Fédération peuvent voter uniquement pour les membres bosniaques
et croates de la présidence, qui sont élus au suffrage direct sur
le territoire de la Fédération.
125. L’égalité devant la loi de chaque peuple constituant fait
cependant passer les droits collectifs avant ceux des personnes
physiques dans le pays. Nous estimons que la discrimination envers
les «Autres» est inacceptable: en effet, tous les peuples autres
que les Bosniaques, Serbes ou Croates sont simplement appelés «Autres»
dans la Constitution. Il s’agit non seulement des minorités telles
que les Juifs ou les Roms, mais également de tous ceux qui ne souhaitent
pas se déclarer membres de l’un des trois «peuples constituants».
126. Dès 2004, l’Assemblée parlementaire a appelé instamment les
autorités (voir
Résolution 1383 (2004) sur le respect des obligations et engagements de la
Bosnie-Herzégovine) à mettre un terme à cette discrimination constitutionnelle.
En 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu son arrêt
dans l’affaire
Sejdić et Finci concernant
un Rom et un Juif qui se plaignaient de ne pouvoir se présenter
aux élections. Depuis 2009, la Bosnie‑Herzégovine est donc légalement
tenue au niveau international de mettre en œuvre cet arrêt.
127. En décembre 2014, un autre arrêt de la Cour européenne des
droits de l’homme dans une affaire similaire, l’affaire Zornić, est devenu définitif. Il
avait été rendu le 15 juillet 2014. Cette affaire portait sur l’impossibilité
pour Mme Zornić de se présenter aux élections
à la Chambre des peuples et à la présidence de la Bosnie‑Herzégovine
en raison de son refus de déclarer son appartenance à un groupe
ethnique particulier, se considérant comme une citoyenne de la Bosnie‑Herzégovine.
La Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que le constat
de violation formulé en l’espèce résultait directement du fait que
les autorités de la Bosnie‑Herzégovine n’avaient pas adopté de mesures
pour se conformer à l’arrêt Sejdić et
Finci.
128. La Cour a statué, en particulier, que «plus de dix-huit ans
après la fin du conflit tragique qui a sévi, il ne se justifiait
plus de maintenir les dispositions constitutionnelles contestées.
Elle espère qu’un régime démocratique verra le jour sans tarder.
Au vu de la nécessité de garantir une démocratie politique effective, elle
estime que le moment est venu d’adopter un système politique apte
à offrir à tout citoyen de Bosnie‑Herzégovine le droit de se porter
candidat à la présidence et à la Chambre des peuples sans distinction fondée
sur l’appartenance ethnique et sans conférer des droits spéciaux
aux peuples constituants à l’exclusion des minorités ou des citoyens
de Bosnie-Herzégovine».
129. De nombreuses tentatives d’amender la Constitution ont eu
lieu depuis 2004, notamment avec le groupe d’amendements d’avril
2006 (qui a été rejeté au parlement par deux voix
),
l’accord de Prud et le processus de Butmir. Ces efforts, dirigés
la plupart par la communauté internationale, ont été reconnus par
l’Assemblée dans ses résolutions précédentes à ce sujet et ne sont
donc pas décrits en détail ici. Nous nous contenterons d’évoquer
les efforts les plus récents.
130. Le 27 juin 2012, les principaux partis politiques de la Bosnie-Herzégovine
avaient signé une feuille de route à Bruxelles dans laquelle ils
s’engageaient à introduire des amendements constitutionnels dans
la procédure parlementaire avant août 2012 et à les adopter avant
novembre 2012. Cela n’a pas été fait. Le 1er octobre
2013, les partis politiques ont approuvé sept principes qui auraient
dû permettre de sortir de l’impasse, de nouveau sans succès. À la
mi-février 2014, les pourparlers facilités par le Commissaire de l’Union
européenne, M. Füle, entre les six principaux dirigeants politiques
dans le cadre du dialogue à haut niveau sur le processus d’adhésion
à l’Union européenne engagé depuis juin 2012 ont finalement échoué.
Ils étaient supposés favoriser un consensus sur l’exécution de l’arrêt
rendu par la Cour européenne des droits de l'homme dans l’affaire Sejdić et Finci, condition préalable
à l’entrée en vigueur de l’accord de stabilisation et d’association
de 2008 (voir plus haut la section sur les «Relations avec l’Union
européenne»). Le Commissaire, qui s’était personnellement investi
dans cette entreprise en y consacrant beaucoup de temps et d’efforts,
était profondément déçu.
131. Les autorités de la Bosnie-Herzégovine ont réitéré vigoureusement
à de nombreuses occasions leur engagement à appliquer pleinement
l’arrêt de la Cour: plusieurs plans d’action, groupes de travail, commissions
parlementaires mixtes et task forces ont été créés à cette fin.
Le dernier plan d’action de ce type a été adopté par le Conseil
des ministres le 8 septembre 2015. Il prévoyait la création d’une
task force composée de trois ministres, d’un membre de chacun des
groupes parlementaires de la Chambre des représentants, d’un délégué
de chacun des groupes ethniques de la Chambre des peuples et d’un représentant
de la Commission électorale centrale. Cependant, deux groupes parlementaires
de la Chambre des représentants n’ont pas désigné de représentant
et la task force n’a donc pu voir le jour. Le 30 novembre 2016,
le ministère de la Justice a soumis un plan d’action révisé au Conseil
des ministres.
132. Nous ne disposons d’aucune information sur les suites qui
ont été données à ce dernier projet de plan d’action, non plus que
sur les mesures prises par le Conseil des ministres en réponse à
l’initiative adoptée par la Chambre des représentants en décembre
2016 demandant au Conseil des ministres d’élaborer des amendements
à la Constitution et de les introduire dans la procédure parlementaire
dans un délai de 90 jours.
133. En dépit des trois résolutions intérimaires
adoptées
par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 2011, 2012
et 2013 dans le cadre de la surveillance continue de l’exécution
de l’arrêt de la Cour, et bien que l’Assemblée parlementaire ait
déclaré dans sa
Recommandation 2025 (2013) qu’elle «ne tolérera plus d’autres élections en violation
flagrante de l’arrêt
Sejdić et Finci»,
aucun amendement constitutionnel n’a encore été adopté à ce jour
et les élections de 2014 ont été organisées selon les mêmes modalités discriminatoires
que les élections de 2010.
134. Les prochaines élections générales au niveau de l’État, des
Entités et des cantons sont prévues en 2018. Nous exhortons les
autorités à adopter enfin les amendements constitutionnels requis;
sinon, la Cour de Strasbourg sera inondée de requêtes alléguant
des discriminations ethniques ou territoriales à tous les niveaux:
en avril 2015, par exemple, la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine
a donné raison en appel à l’ancien membre de la présidence de la
Bosnie-Herzégovine Željko Komšić et statué que les dispositions
des Constitutions des Entités et de la loi électorale de la Bosnie-Herzégovine
qui régissent l’élection du président et du vice‑président de chaque
Entité
sont également
discriminatoires car elles restreignent aux seules personnes appartenant
aux peuples constituants le droit de déposer une candidature. Toutefois,
dans ce jugement, la Cour constitutionnelle n’a pas ordonné l’«harmonisation»
des Constitutions des Entités et de la loi électorale dans un certain
délai mais s’est contentée de renvoyer à la mise en œuvre de l’arrêt
Sejdić et Finci.
135. Nous sommes bien entendu conscients que, dans le difficile
climat politique actuel, étant donné l’absence manifeste de confiance
et les appels véhéments répétés en faveur de la sécession d’une
partie du pays, même les responsables politiques dotés des meilleures
intentions auront du mal à remplir les obligations internationales
essentielles du pays.
5.7.2. Niveau des Entités
5.7.2.1. Réforme constitutionnelle
dans les Entités
136. Le 19 avril 2002, une réforme
constitutionnelle a été décidée par le Haut-Représentant puis adoptée dans
les deux Entités. Au cœur de cette réforme se trouvait la révision
des Constitutions de la Fédération et de la Republika Srpska en
accord avec la décision phare rendue en 2000 par la Cour constitutionnelle
de la Bosnie-Herzégovine dans l’affaire des peuples constituants.
137. Les amendements aux Constitutions avaient pour but de conférer
un statut d’égalité aux Bosniaques, Croates et Serbes dans les deux
Entités. Autrement dit, à compter de la date de la réforme, la Republika Srpska
ne devait plus être exclusivement une Entité serbe et la Fédération
ne devait plus être seulement bosniaque et croate. Cette réforme
visait à assurer une répartition plus juste des postes entre les
peuples constituants au sein des gouvernements, de l’administration
et du système judiciaire des Entités. Elle prévoyait également un
mécanisme complexe qui devait permettre aux représentants d’un peuple
constituant d’invoquer la clause des droits vitaux dans une procédure
impliquant la Chambre des Peuples du parlement de chaque Entité.
138. Une telle complexité structurelle et des niveaux d'autorité
aussi nombreux existent dans d'autres États européens, mais ces
systèmes ne peuvent fonctionner que si l’on s’accorde clairement
sur qui fait quoi, quand et comment. Sans un minimum de confiance,
une volonté effective de parvenir à un consensus et, chose la plus
importante, un sens de l’intérêt commun, tout système complexe tel
que celui de la Bosnie‑Herzégovine est voué à l’échec.
139. La réforme constitutionnelle n’est pas seulement nécessaire
au niveau de l’État mais aussi, fortement, au niveau des Entités.
Nous sommes très préoccupés par l’échec, le 26 avril 2012, de la
tentative d’adoption des amendements à la constitution de la Republika
Srpska. Le travail sur ces amendements avait commencé en 2006, la
Commission de Venise avait fourni un avis en 2008 et l’Assemblée
nationale de la Republika Srpska avait voté en faveur de ces amendements
en 2009. Les 29 amendements ont finalement été rejetés par la Chambre
des peuples de la Republika Srpska où ils devaient obtenir la majorité
de chaque faction (Serbes, Croates, Bosniaques et Autres). Dans
la faction bosniaque, le SDA a voté contre chacun des 29 amendements,
y compris celui abolissant la peine de mort. Nous appelons instamment
l’Assemblée nationale de la Republika Srpska à relancer le processus
de réforme constitutionnelle.
140. La Constitution de la Fédération date de 1994 et a été amendée
à plusieurs reprises sur décision du Haut‑Représentant. Elle inclut
toujours des dispositions sur l’institution du médiateur de l’Entité,
qui a été supprimée en 2008 suite à la création d’une institution
unifiée au niveau de l’État. Avec ses 10 cantons dotés chacun de
leur propre parlement, de leur propre système judiciaire et de leur
propre constitution, le système est beaucoup trop lourd et coûteux.
C’est pourquoi nous avions salué en 2013 l’initiative parrainée
par les États‑Unis en vue de recueillir des propositions pour une
refonte sérieuse de la Constitution de la Fédération. Un groupe
d’experts locaux a préparé, avec une importante participation de
la société civile, une liste de 185 recommandations qui ont été
soumises aux autorités. Nous regrettons qu’aucune suite n’ait été
donnée jusqu’ici à ces recommandations.
141. Nous sommes également préoccupés par le risque de blocage
futur de la mise en œuvre de la décision rendue par la Cour constitutionnelle
le 1er décembre 2016 dans l’affaire initiée
par Bozo Ljubić, président du conseil général du Congrès national
croate de la Bosnie‑Herzégovine, une organisation regroupant tous
les partis politiques se désignant comme croates, qui était alors
président intérimaire de la Chambre des représentants de la Bosnie-Herzégovine
et qui a obtenu gain de cause.
142. En vertu de la Constitution de la Fédération, la Chambre des
peuples de la Fédération se compose actuellement de 58 délégués
(17 Bosniaques, 17 Serbes, 17 Croates et 7 «Autres»). Chaque canton
propose des délégués sur la base d’un système de calcul complexe
afin de prendre en compte la part de chacun des trois peuples constituants
qui y vivent; cependant, chaque canton doit aussi envoyer au minimum
un délégué de chaque groupe ethnique.
143. Ljubić a fait valoir que ces règles vont à l’encontre du principe
d’égalité inscrit dans la Constitution de la Bosnie‑Herzégovine.
Il estime que la loi électorale de la Bosnie‑Herzégovine enfreint
la disposition de la Constitution relative à la représentation proportionnelle
en prévoyant que chaque peuple constituant se voit attribuer un
siège dans chaque canton, même si le nombre des membres d’un peuple
est très réduit au sein du canton. La mise en œuvre de la Constitution
de la Fédération devrait convenablement garantir la représentation
proportionnelle des délégués au sein de la Chambre des peuples de
la Fédération, conformément à la structure ethnique des cantons
dont viennent les délégués. Aux yeux du requérant, la loi électorale
introduit des distorsions de proportionnalité qui affectent les
trois peuples constituants.
144. Sur la demande de la Cour constitutionnelle, la Commission
de Venise a adopté en octobre 2016 un mémoire amicus curiae sur
le mode d’élection des délégués à la Chambre des peuples du Parlement
de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. La Commission de Venise
a estimé que, même si cette proportionnalité faussée du système
électoral pourrait ne pas respecter les principes de l’héritage
électoral européen s’il s’agissait d’un organe législatif élu au
suffrage direct, il est justifiable de ne pas appliquer la notion
d’égalité de la force électorale à des composantes spéciales de
l’appareil législatif de la Bosnie-Herzégovine instituées pour assurer
la représentation des peuples constituants et des «Autres».
145. La Cour constitutionnelle a également exigé que la Constitution
de la Fédération et la loi électorale du pays soient «harmonisées»
avec son arrêt dans un délai de six mois, c’est‑à‑dire avant juin 2017.
Son arrêt n’ayant pas été appliqué en temps opportun, elle a décidé,
le 6 juillet 2017, d’abroger simplement les dispositions contestées
de la loi électorale, si bien qu’elle a créé un vide juridique comparable
à celui qui empêche la tenue d’élections locales à Mostar depuis
huit ans.
146. Les conséquences risquent d’être désastreuses pour la formation
d’un gouvernement au niveau de l’État après les élections générales
d’octobre 2018: en effet, la Chambre des peuples de la Fédération
nomme des délégués (cinq Croates et cinq Bosniaques) à la Chambre
des peuples au niveau de l’État. Si dix de ses quinze délégués ne
sont pas nommés, la Chambre des peuples de la Bosnie‑Herzégovine
ne peut fonctionner. Cela pourrait se traduire par une paralysie
complète des institutions de l’État car aucune loi ni aucun budget ne
peut être adopté sans un vote de la Chambre des peuples.
147. Pour finir, nous appelons en outre à ce que les amendements
à la Constitution soient adoptés par les assemblées cantonales des
cantons d’Herzegovina-Neretva, de Posavina, d’Herzégovine occidentale
et du canton 10. Depuis 2012, ces quatre cantons n’ont toujours
pas amendé leur constitution afin que les Serbes puissent avoir
le statut de peuple constitutif
.
5.8. Réforme de la justice
148. Poursuivre les réformes permettant
la mise en place d’un système judiciaire et d’un ministère public professionnels
et indépendants, et veiller à doter la justice d’un financement
suffisant pour renforcer son indépendance, est l’un des engagements
spécifiques souscrits par la Bosnie‑Herzégovine lors de son adhésion
au Conseil de l’Europe.
149. Selon la Commission de Venise, le système juridique et judiciaire
de la Bosnie‑Herzégovine est aujourd’hui le plus complexe et le
plus décentralisé de tous les pays européens. Il existe quatre ordres juridiques
–
l’État, les deux Entités et le District de Brčko – qui se sont développés
en grande partie de manière autonome au cours des deux dernières
décennies et diffèrent dans de nombreux domaines du droit positif
et du droit procédural. En outre, comme les deux Entités, le District
de Brčko et l’État disposent de leur propre système judiciaire,
des différences peuvent aussi apparaître dans l’interprétation et
l’application de dispositions légales similaires ou même identiques.
Les pouvoirs étatiques, la législation et les organes judiciaires
chargés d’appliquer la législation
sont
donc fragmentés. Cela est potentiellement une source permanente
de conflits de lois et de compétences, que renforce l’absence de
coopération entre les divers organes judiciaires ou autres en Bosnie‑Herzégovine.
150. Le système judiciaire souffre du manque de confiance du public,
principalement à cause d’une très forte polarisation sur la base
de l’appartenance ethnique. Les responsables politiques accusent
régulièrement le système judiciaire de parti pris ethnique: la Republika
Srpska, par exemple, se plaint souvent du fait que le Tribunal d’État
traite uniquement des crimes de guerre commis par des Serbes. De
leur côté, les responsables politiques bosniaques ont fréquemment
accusé le ministère public de ne pas enquêter sérieusement sur les allégations
de corruption à l’encontre de hauts représentants de la Republika
Srpska, y compris le président Dodik. Aucun des procureurs généraux
nommés depuis 2006 n’a réussi à terminer son mandat: ils ont tous
été suspendus avant. Le Conseil supérieur des juges et des procureurs,
avec lequel nous nous sommes entretenus à Sarajevo en juin 2016,
a indiqué qu’une trentaine de procédures disciplinaires sont ouvertes chaque
année. Cet organe est chargé des nominations et des promotions au
sein de la magistrature. L’application de quotas ethniques est aussi
obligatoire dans la magistrature et cela ne facilite pas les choses.
151. Il s’est produit récemment un événement inquiétant qui risque
de porter atteinte davantage encore à l’indépendance du pouvoir
judiciaire et de saper la confiance dans ce dernier. Le 9 octobre 2017,
le Tribunal d’État a acquitté en première instance Naser Orić
, commandant des forces
armées bosniaques à Srebrenica du temps de la guerre, des accusations
du meurtre de prisonniers de guerre serbes. Cette décision a suscité l’indignation
à la fois en Republika Srpska et en Serbie: le Président Dodik de
la Republika Srpska a une fois de plus appelé les Serbes siégeant
au Tribunal d’État et membres du ministère public à démissionner
de leurs fonctions. Pire encore, les autorités de la Republika Srpska
ont formulé une réclamation devant le Haut Conseil de la magistrature
au motif que neuf juges et six membres du ministère public auprès
des institutions de l’État auraient manifesté des préjugés ethniques
à l’encontre des Serbes, à la fois durant la guerre et dans l’exercice de
leurs fonctions actuelles (en ce compris, le juge bosniaque dans
l’affaire Orić). Les 26 et 27 octobre, le Haut Conseil de la magistrature
a adopté des conclusions visant à ce que, entre autres, les juges
ou les membres du ministère public qui ne conviennent pas puissent
être démis de leurs fonctions sans procédure disciplinaire, avec
une majorité des deux-tiers au Parlement. Ceci est vraiment inacceptable.
152. Il existe seulement deux tribunaux au niveau de l’État: la
Cour constitutionnelle, seul organe judiciaire mentionné dans la
Constitution de Dayton et le Tribunal d’État. Ce dernier a été créé
sur décision
du Haut‑Représentant en 2000, en même
temps que le Bureau du procureur de Bosnie‑Herzégovine, sur la base des
pouvoirs inhérents ou implicites de l’État. Le Tribunal d’État est
principalement chargé de traiter les crimes de guerre les plus graves,
ainsi que les affaires de criminalité organisée, de criminalité
économique et de corruption.
153. La Republika Srpska a demandé de façon répétée le retour aux
Entités des compétences attribuées au Tribunal d’État, en affirmant
que la création de ce tribunal était contraire à la Constitution
de Dayton. Elle a menacé d’organiser un référendum à ce sujet en
2011. Ce projet n’a été abandonné qu’après que l’Union européenne
ait proposé de mettre en place un dialogue structuré Union européenne/Bosnie‑Herzégovine
sur la justice devant servir de cadre de discussion pour répondre
aux préoccupations de la Republika Srpska.
154. Néanmoins, quatre ans plus tard, le 15 juillet 2015, l’Assemblée
nationale de la Republika Srpska a adopté une décision prévoyant
la tenue d’un référendum en Republika Srpska sur la validité de
la législation relative au Tribunal d’État et au ministère public
de Bosnie-Herzégovine et sur l’applicabilité des décisions de ces
institutions sur le territoire de l’Entité, ainsi que sur les pouvoirs
et décisions du Haut Représentant. La question du référendum devait
être formulée comme suit: «Êtes-vous favorable à l’imposition inconstitutionnelle
et illégale de lois par le Haut‑Représentant (…) et, en particulier,
la loi imposée concernant le Tribunal d’État et le Bureau du procureur
de Bosnie-Herzégovine et la mise en œuvre de leurs décisions sur le
territoire de la Republika Srpska?»
155. Dans un rapport spécial sur cette question, présenté au Secrétaire
général des Nations Unies en septembre 2015, le Haut‑Représentant
a affirmé que cette décision constituait l’une des violations les
plus graves de l’Accord-cadre général pour la paix depuis sa signature
en 1995. Il a estimé qu’il s’agissait là de la continuation de la
politique poursuivie de longue date par le parti au pouvoir dans
la Republika Srpska pour contester la souveraineté et l’intégrité
territoriale de la Bosnie‑Herzégovine, y compris en soutenant ouvertement
la sécession de la Republika Srpska et la dissolution du pays.
156. Cependant, la décision de l’Assemblée nationale de la Republika
Srpska concernant l’organisation du référendum n’a été publiée au
Journal officiel de la Republika Srpska que le 19 septembre 2017.
Le 7 novembre 2017, après un débat houleux, cette assemblée a voté
en faveur de la suspension de ladite décision.
157. Durant la période considérée, le dialogue structuré sur la
justice engagé avec l’Union européenne en 2011 a continué à fournir
un cadre de discussion. En juillet 2015, la Commission européenne
a modifié la composition des parties au dialogue pour travailler,
de manière restreinte, avec des représentants de l’exécutif
(les ministres
de la Justice de la Bosnie‑Herzégovine, de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine
et de la Republika Srpska, ainsi que le président de la Commission
judiciaire du District de Brčko). Depuis lors, ces représentants
joueraient un rôle essentiel dans le dialogue. Cependant, aucune
réunion n’a été organisée dans ce cadre depuis février 2016.
158. Pendant les dernières années, le dialogue structuré a principalement
porté sur un projet de loi relatif aux tribunaux de Bosnie-Herzégovine,
qui pourrait entraîner la création d’une cour d’appel distincte
au niveau de l’État. En avril 2013, la Commission de Venise a reçu
du ministère de la Justice de la Bosnie‑Herzégovine une demande
d'avis concernant le projet de loi sur les tribunaux de la Bosnie‑Herzégovine,
qui a été adopté en juin 2013. Ce projet de loi traitait en un seul
texte de l’ensemble des juridictions au niveau de l’État de Bosnie‑Herzégovine
(à l’exception de la Cour constitutionnelle) et instaurait une nouvelle
Haute Cour de la Bosnie‑Herzégovine servant de juridiction du deuxième
degré au niveau de l’État. Cette Haute Cour examinerait en appel
les affaires traitées par le Tribunal d’État et se prononcerait
également sur d’autres questions énoncées dans le projet de loi.
159. La Commission de Venise a conclu que les dispositions relatives
à la composition, au nombre de juges et à la compétence pénale de
cette cour d’appel soulevaient un certain nombre de problèmes que
les autorités devaient régler. Les parties au dialogue ont principalement
examiné la question de la compétence pénale de cette nouvelle cour
d’appel, certaines proposant une compétence étendue, formulée en
des termes généraux tandis que d’autres, à l’opposé, étaient favorables
à sa suppression complète.
160. Des discussions sont également en cours dans le cadre du dialogue
structuré au sujet de l’adoption d’une nouvelle loi sur le Conseil
supérieur des juges et des procureurs.
161. En ce qui concerne la loi sur le Conseil supérieur des juges
et des procureurs, la Commission de Venise a conclu dans son avis
adopté en mars 2014 suite à une demande du ministère de la Justice
de la Bosnie‑Herzégovine, que le projet de loi est un instrument
soigneusement élaboré, qui tient compte des normes internationales
et des précédents avis de la Commission de Venise. Elle s’est félicitée
en particulier de la création de deux sous-conseils au sein d’un
seul et même Conseil supérieur: un pour les juges et un pour les
procureurs, un système qu’elle jugeait adapté dans le contexte particulier
de la Bosnie-Herzégovine à condition que les deux sous-conseils
jouissent d’un degré d’autonomie maximal.
162. La Commission de Venise, cependant, a aussi formulé plusieurs
recommandations importantes portant spécifiquement sur les procédures
d’élection et de nomination. Elle a en outre réitéré sa recommandation
de doter expressément le Conseil supérieur des juges et des procureurs
d’une base constitutionnelle pour faciliter son rôle de garant de
l’indépendance du pouvoir judiciaire en Bosnie‑Herzégovine.
163. Nous n’avons reçu aucune information sur la situation au regard
de ces deux projets de loi et, en particulier, sur la question de
savoir si les recommandations de la Commission de Venise ont été
prises en compte.
164. La Republika Srpska a émis de vives critiques à l’égard de
la Cour constitutionnelle. En novembre 2015, Les principaux partis
politiques de la Republika Srpska ont demandé une réforme de la
Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine après que celle-ci
ait statué, dans son arrêt du 26 novembre 2015, que le choix de la
date de la fête nationale de la Republika Srpska, le 9 janvier,
était contraire à la constitution et discriminatoire à l’égard des
non‑Serbes. En réponse, le SNDS et le SDS ont introduit un projet
de loi visant à réformer la Cour constitutionnelle pour que les
juges étrangers (nommés par le Président de la Cour européenne des
droits de l’homme) cessent d’y siéger et que les décisions de la
Cour constitutionnelle ne soient valables qu’avec l’accord d’au
moins un juge de chaque peuple constituant. Un autre projet de loi
propose des amendements au Code pénal de la Bosnie‑Herzégovine visant
à dépénaliser la non-exécution des arrêts de la Cour constitutionnelle
.
165. La Commission de Venise avait examinée le mode de fonctionnement
(et la composition) de la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine
dans un avis adopté en 2005, notamment sur la question de savoir s’il
était possible de faire dépendre la validité d’un arrêt de la Cour
constitutionnelle de l’assentiment d’au moins un juge de chaque
peuple constituant. La Commission de Venise avait conclu qu’une
telle règle – qui confirmerait le choix du vote ethnique au sein
de la Cour constitutionnelle – «serait contraire aux normes européennes»
.
166. Les deux projets de loi en question ont reçu un avis défavorable
de la commission juridique et constitutionnelle de l’Assemblée parlementaire
de la Bosnie-Herzégovine. Lors de sa session du 28 avril 2016, la
Chambre des représentants de l’Assemblée parlementaire de la Bosnie‑Herzégovine
a suspendu la procédure relative à ces deux projets de loi. Il a
été décidé que le Bureau de la Chambre des représentants présenterait
une proposition de création d’un groupe de travail interinstitutionnel
composé de députés des deux chambres de l’Assemblée parlementaire
de la Bosnie‑Herzégovine et de juges de la Cour constitutionnelle
pour examiner les avis défavorables rendus par la commission juridique
et constitutionnelle.
167. Le délai initial de quatre mois donné par les parties serbes
pour l’adoption des projets de loi a expiré le 29 mars 2016. Nous
n’avons connaissance d’aucune suite donnée au groupe de travail
interinstitutionnel (si toutefois celui‑ci a bien été créé). Nous
avons appris du ministre de la Justice au niveau de l’État, en septembre 2017,
que le dialogue structuré était «mort». Ceci nous a été confirmé
par le chef adjoint de la délégation de l’Union européenne à Sarajevo,
qui a ajouté que l’Union européenne ne voyait pas l’utilité de poursuivre
un dialogue qui n’avait donné aucun résultat concret depuis des
années, principalement en raison de l’obstruction de la Republika
Srpska.
6. État de droit
6.1. Lutte contre la corruption
et le crime organisé
168. Redoubler d’effort pour lutter
contre la corruption au sein du système judiciaire, du ministère
public et de la police, ainsi que dans l’administration, est l’un
des engagements souscrits par la Bosnie‑Herzégovine lorsqu’elle
a adhéré au Conseil de l’Europe. Cet engagement n’a toujours pas
été rempli. La corruption, en particulier la corruption politique,
demeure endémique: d’après Transparency International, la Bosnie‑Herzégovine
a reculé de sept places dans l’Indice de perception de la corruption
2016 et occupe maintenant la 83ème place
sur 176 pays.
169. La corruption politique est peut‑être la plus inquiétante:
il n’existe aucun mécanisme crédible et indépendant pour traiter
les conflits d’intérêts ou contrôler les déclarations de patrimoine
des élus et des agents publics au niveau de l’État. La CEC est chargée
des déclarations de patrimoine mais elle se contente de les recevoir
et de les enregistrer dans une base de données; personne ne vérifie
si elles sont authentiques et l’augmentation – ou la diminution
– du patrimoine à l’entrée en fonction et au terme d’un mandat ne
fait l’objet d’aucun contrôle. Le mécanisme censément mis en place
pour traiter les conflits d’intérêts est complètement inadéquat;
cette attribution a été reprise de la CEC et confiée à une commission
parlementaire mixte des deux chambres du parlement au niveau de
l’État (avec la participation de trois membres de l’Agence pour
la prévention de la corruption).
170. Nous espérons que le nouveau projet de loi sur la prévention
des conflits d’intérêts au sein des institutions de Bosnie‑Herzégovine,
qui a été soumis à la procédure parlementaire le 31 octobre 2017,
palliera les graves lacunes de la loi en vigueur afin que le pays
se rapproche des normes internationales minimales, notamment eu
égard aux recommandations du GRECO.
171. Nous avons fréquemment entendu dire que les nominations au
sein des conseils d’administration des entreprises publiques ou
à d’autres emplois de l’administration publique sont effectuées
sur la base de l’appartenance à un parti politique et non sur la
base du mérite. Les citoyens se plaignent du favoritisme, du népotisme
et du clientélisme. La corruption serait aussi répandue dans les
secteurs de l’éducation et de la santé, ainsi que dans le domaine
des marchés publics.
172. Nous sommes heureux de constater, cependant, que des mesures
ont été prises en vue de l’adoption de tous les documents cadres
relatifs à la lutte contre la corruption. Dans le cadre de son troisième
cycle d’évaluation portant sur l’incrimination de la corruption
et la transparence du financement des partis politiques, le GRECO
s’est félicité de l’adoption de la Stratégie de lutte contre la
corruption pour la période 2015-2019 et du Plan d’action y afférent
qui comprend un ensemble de mesures visant à renforcer l’efficacité
de la législation pénale relative à la corruption. Le GRECO s’est
également félicité des projets d’amendements au Code pénal de la
Bosnie‑Herzégovine, qui sont conformes à six recommandations pendantes.
Il a toutefois regretté que la réforme soit limitée à l’échelon
étatique et ne vise pas à harmoniser la législation pénale applicable
aux différents échelons du gouvernement. Le GRECO a également relevé
que la recommandation tendant à harmoniser pleinement les sanctions
applicables aux auteurs d’infractions de corruption et de trafic
d’influence dans l’ensemble du pays n’avait pas encore été suivie
d’effet.
173. N’ayant reçu aucun renseignement sur les progrès tangibles
accomplis dans le domaine de la transparence du financement des
partis politiques, le GRECO a engagé une procédure de non‑conformité
à l’égard de la Bosnie-Herzégovine. Dans son troisième rapport intérimaire
de conformité de juillet 2016, le GRECO note qu’aucun progrès nouveau
n’a été accompli dans la mise en œuvre des 15 recommandations considérées
comme partiellement ou non mises en œuvre (sur les 22 incluses dans
le rapport d’évaluation du troisième cycle).
174. Le GRECO est fortement préoccupé par l’absence totale de nouveaux
progrès au regard des deux thèmes de l’évaluation. Il s’inquiète
gravement du fait que, plus de cinq ans après l’adoption du rapport d’évaluation,
la grande majorité de ses recommandations n’ont toujours pas été
prises en compte de manière satisfaisante. Le GRECO exhorte les
autorités à accélérer le processus de réforme et à prendre des mesures déterminées
pour mettre en œuvre les recommandations en suspens, à la fois dans
le domaine du financement des partis politiques et du droit pénal
sur la corruption. D’autre part, le fait que les autorités n’aient pas
présenté d’informations actualisées sur les mesures prises (ou les
difficultés rencontrées) eu égard au rapport actuel et en réponse
à la demande – suivie de plusieurs rappels – de fournir ces informations
avant le 31 mars 2016 est inacceptable.
175. Depuis, la Chambre des peuples de la Bosnie-Herzégovine a
adopté le 27 mai 2016, au moyen de la procédure d’urgence, des amendements
portant sur le financement des partis politiques qui avaient été adoptés
par la Chambre des représentants le 24 mai. Ces amendements répondent
partiellement à certaines des recommandations émises par le BIDDH
à la suite des élections de 2014, en particulier la recommandation prioritaire
d’améliorer le cadre juridique relatif au financement des campagnes
électorales, ce qui était également recommandé par le GRECO. Les
amendements adoptés imposent de nouvelles obligations aux partis
politiques, notamment la réalisation d’audits internes des états
financiers et la publication des sources de leurs revenus financiers.
La CEC est maintenant soumise à l’obligation légale d’alerter le
ministère public en cas de soupçons d’actes criminels relatifs au
financement des partis politiques. Les partis politiques ne sont plus
autorisés à recourir à des prêts bancaires pour leur financement
et le montant des amendes pécuniaires a été relevé tant pour les
individus que pour les partis politiques.
176. Le 4 décembre 2015, le GRECO a adopté son rapport d’évaluation
sur la Bosnie-Herzégovine au titre du quatrième cycle d’évaluation
sur la prévention de la corruption des parlementaires, juges et
procureurs. Les recommandations contenues dans ce rapport donneront
lieu à une évaluation par le GRECO au deuxième semestre 2017.
177. Le rapport du GRECO prend note des mesures positives prises
pour promouvoir la transparence et la connaissance par la population
des activités parlementaires. Il est aussi souligné que d’autres
mesures pourraient être prises pour accroître les possibilités pour
la population de participer à l’élaboration, à l’application et
à la révision de la législation, ainsi que pour assurer la transparence
des relations entre les parlementaires et les tiers qui cherchent
à influencer le processus législatif. Certains outils sont disponibles pour
promouvoir les principes d’intégrité dans l’exercice du mandat parlementaire
et pour réglementer et limiter les activités susceptibles d’engendrer
des conflits d’intérêts. D’après le rapport, l’adoption d’une législation séparée
sur les conflits d’intérêts à l’échelon de l’Entité/District de
Brčko, et la mise en place d’institutions de suivi autonomes ne
doit pas se solder par l’application de normes divergentes au sein
des parlements respectifs. Plus important encore, il est nécessaire
de renforcer de manière significative le système de contrôle et
d’application des normes permettant de garantir l’intégrité et la
prévention des conflits d’intérêts au sein du corps législatif.
178. D’après le GRECO, si les parlementaires ont l’obligation de
respecter les règles déontologiques inscrites dans le code de conduite,
ainsi que les normes internes pertinentes du règlement du parlement,
le lien entre la faute commise et l’application d’une sanction n’apparaît
pas clairement. Par ailleurs, de graves lacunes sont à déplorer
concernant l’efficacité des organes existants chargés de surveiller
les conflits d’intérêts: ils manquent soit de l’indépendance, soit
des compétences nécessaires pour garantir le respect des règles.
Enfin, le système de déclaration du patrimoine souffre de carences
essentielles en matière de transparence et de contrôle véritable
des déclarations soumises. D’après le GRECO, les dernières modifications
apportées à la loi sur les conflits d’intérêts, entrées en vigueur
en novembre 2013, ont vidé la loi d’une bonne partie de sa substance
et considérablement affaibli sa fonction dissuasive.
179. Dans son rapport d’évaluation du quatrième cycle, le GRECO
note également que la complexité des quatre systèmes judiciaires
et les menaces qui pèsent sur l’indépendance des juges nuisent profondément
à l’efficacité de la justice et sont à l’origine de l’image très
négative des magistrats dans la population. En outre, il conviendrait
de renforcer la sensibilisation aux règles d’éthique et d’intégrité,
de développer les règles relatives aux conflits d’intérêts pour
tous les juges et procureurs et de les appliquer comme il se doit.
180. De plus, les progrès accomplis dans le processus de renforcement
des capacités institutionnelles de l’Agence de lutte contre la corruption
ont été lents; l’Agence n’est pas encore pleinement opérationnelle.
En juillet 2015, le Conseil des ministres a adopté un Règlement
relatif à l’organisation interne de l’Agence et en janvier 2016,
il a adopté une décision par laquelle l’Agence s’est vu attribuer
ses propres locaux. La question du statut précis de son personnel
reste en suspens.
6.2. Blanchiment de capitaux
et financement du terrorisme
181. Le dernier rapport d’évaluation
mutuelle des mesures de lutte contre le blanchiment et le financement du
terrorisme (LCB/FT) prises par la Bosnie‑Herzégovine a été adopté
en 2015 dans le cadre du quatrième cycle d’évaluation de MONEYVAL.
La Bosnie‑Herzégovine a été soumise à la procédure régulière de
suivi et invitée à fournir rapidement un rapport de suivi en septembre
2016. La réunion plénière de MONEYVAL a conclu en septembre 2016
que le pays avait engagé au cours de l’année précédente des efforts
sérieux et positifs pour mettre en œuvre plusieurs des mesures recommandées
dans le rapport d’évaluation du quatrième cycle. Elle a noté que
des progrès importants avaient été obtenus en particulier dans les
domaines suivants: l’infraction de financement du terrorisme, l’introduction
d’un cadre national de sanctions financières ciblées pour lutter
contre le terrorisme, et le renforcement des mesures préventives.
Cependant, dans d’autres domaines (confiscation et surveillance),
les progrès demeuraient limités. La Plénière a invité la Bosnie‑Herzégovine
à fournir un nouveau rapport et à demander la levée de la procédure
régulière de suivi au plus tard dans les trois années suivantes
(avant septembre 2019). Elle a encouragé le pays à demander de sortir
plus tôt de la procédure, en 2017 ou 2018, sur la base des nouveaux
développements législatifs qui seraient prévus en 2017.
182. Il convient de rappeler qu’en 2010, MONEYVAL avait décidé
de soumettre la Bosnie‑Herzégovine aux procédures de conformité
renforcée, en raison de l’insuffisance des progrès obtenus après
le rapport d’évaluation du troisième cycle (adopté en 2009). Cela
incluait l’envoi d’une mission politique de haut niveau dans le
pays (février 2014) et une déclaration publique (juin 2014).
183. En avril 2015, MONEYVAL a décidé de recourir à la dernière
mesure prévue dans le cadre des procédures de conformité, c’est‑à‑dire
le renvoi du pays devant le Groupe d’examen de la coopération internationale
(ICRG) du Groupe d’action financière (GAFI). Peu après, la Bosnie‑Herzégovine
a adopté un certain nombre de modifications essentielles du Code
pénal, ce qui a conduit au retrait de la déclaration publique et
à la levée des procédures de conformité en septembre 2015. La Bosnie‑Herzégovine
demeure néanmoins soumise au processus de l’ICRG du GAFI, conformément
à la décision d’avril 2015. Le GAFI, par conséquent, continue à
suivre de près les progrès réalisés par le pays pour remédier aux
lacunes stratégiques identifiées en matière de LCB/FT, au sujet
desquelles un plan d’action a été développé avec le GAFI.
184. Le 23 novembre 2016, le Conseil des ministres de la Bosnie-Herzégovine
a précisé dans une déclaration que la Bosnie‑Herzégovine n’était
pas inscrite sur la liste noire du GAFI mais confirmé qu’en raison de
la mise en œuvre seulement partielle du plan d’action établi avec
le GAFI au sujet de la lutte contre le blanchiment de capitaux et
le financement du terrorisme en Bosnie-Herzégovine, le pays demeure
sur la «liste grise» du GAFI, ce qui veut dire que les banques étrangères
exercent un contrôle renforcé sur les mouvements de fonds vers ou
depuis la Bosnie‑Herzégovine, provoquant ainsi certains retards.
Le Conseil des ministres a également reconnu que certaines mesures
devaient encore être adoptées et mises en œuvre avant la fin 2016, en
particulier l’harmonisation des codes pénaux des Entités et la création
d’un registre unique des ONG en Bosnie‑Herzégovine. Le ministre
de la Sécurité de la Bosnie‑Herzégovine, Dragan Mektić (SDS), a
indiqué dans une interview que MONEYVAL avait transmis le dossier
au GAFI et que le GAFI avait décidé de placer le pays sur une «liste
gris clair». Il a également déclaré que la Bosnie‑Herzégovine devait
remplir ses obligations à l’égard du GAFI avant la fin janvier 2017
car elle risquait autrement d’être inscrite sur la liste noire.
185. Nous n’avons reçu aucune information sur la question de savoir
si la Bosnie-Herzégovine a rempli ses obligations en suspens à l’égard
du GAFI car le pays dépend fortement des envois de fonds de l’étranger
et des investissements directs de l’étranger et ne peut donc se
permettre d’être inscrit sur cette liste, mais nous avons appris
que des délégations du GAFI se rendraient prochainement en Bosnie-Herzégovine
pour contrôler l’application des lois et des règlements.
6.3. Lutte contre le terrorisme
186. Plusieurs attaques terroristes
isolées ont eu lieu en Bosnie‑Herzégovine pendant les dernières
années: une bombe a explosé dans un commissariat de police à Bugojno
en 2010, tuant une personne; un homme a tiré sur l’ambassade des
États‑Unis au milieu de la journée en 2011; en avril 2015, un commissariat
de police de Zvornik a été attaqué, entraînant la mort d’un policier;
enfin, deux soldats ont été tués par un terroriste à Rajlovac, dans
la banlieue de Sarajevo, en novembre 2015. Il existe une petite
communauté wahhabite à Gornja Maoca, un village isolé du centre
de la Bosnie, que les autorités surveillent de près.
187. Environ 1 500 moudjahidines, combattants paramilitaires originaires
pour la plupart du Moyen‑Orient et d’Afrique du Nord qui ont combattu
avec les Bosniaques pendant la guerre, sont ensuite restés en Bosnie‑Herzégovine,
dans bien des cas en épousant une femme de la région et en acquérant
la nationalité bosniaque
. Au cours des dernières années,
de jeunes Bosniaques radicalisés sont allés se battre en Irak et en
Syrie. La Bosnie-Herzégovine a adopté en 2014 une loi sur les «combattants
étrangers» qui incrimine le fait de combattre dans un pays étranger,
le recrutement de combattants pour Daech et l’incitation publique
au terrorisme. En 2015, on estimait qu’environ 200 personnes étaient
parties se battre en Syrie et en Irak. Les autorités surveillent
celles qui rentrent en Bosnie‑Herzégovine et les tribunaux ont condamné
un certain nombre de personnes à de lourdes peines de prison en
appliquant la loi sur les «combattants étrangers».
188. Le chef de la communauté islamique de Bosnie‑Herzégovine,
Husein Kavazović, a fait d’importants efforts pour condamner l’enseignement
des extrémistes et réaffirmer l’engagement de la Bosnie en faveur d’une
conception libérale de l’Islam.
189. Enfin, il convient de mentionner l’existence en Bosnie‑Herzégovine
d’écoles et d’universités qui seraient liées au mouvement Gülen
qualifié par le gouvernement turc d’organisation terroriste. Les
autorités turques ont demandé à plusieurs reprises leur fermeture
mais ces écoles et universités ont été vendues récemment à une société
privée américaine et les autorités de Bosnie‑Herzégovine ne peuvent,
semble‑t‑il, accéder à cette demande. Cette situation risque de
créer des problèmes pour les étudiants, le gouvernement turc ayant annoncé
qu’il ne reconnaîtra pas les diplômes délivrés par ces établissements
d’enseignement et ne permettra pas aux titulaires de ces diplômes
de travailler en Turquie.
6.4. Lutte contre la torture
et les mauvais traitements
190. Il existe trois administrations
pénitentiaires distinctes dans le pays, une au niveau de l’État
et une dans chacune des deux Entités
. L’absence d’harmonisation
des lois sur l’exécution des sanctions pénales demeure un problème
car des règles différentes s’appliquent par exemple à la durée de
la réclusion cellulaire, aux privilèges des détenus, ainsi qu’aux
peines de substitution et aux peines de travaux d’intérêt général.
191. Dans son rapport
au sujet de sa dernière visite,
qui a eu lieu du 29 septembre au 9 octobre 2015, le CPT a approuvé
la Stratégie de réforme de la justice de Bosnie-Herzégovine pour
la période 2014-2018, qui a pour buts: l’harmonisation du cadre
légal relatif à l’exécution des peines dans l’ensemble du pays,
la création d’une institution unique de formation du personnel pénitentiaire
et la mise en place d’un système de collecte des données pénitentiaires.
192. Le rapport du CPT indique que 1.913 personnes sont détenues
dans la Fédération (dont 278 en détention provisoire) pour une capacité
totale des prisons de 1 911 places, et que 885 personnes sont détenues
dans la Republika Srpska (dont 91 en détention provisoire) pour
une capacité totale de 1 404 places. De nouvelles prisons sont en
projet à Mostar (400 places) et à Bijeljina (250 places).
193. Il est prévu depuis des années de construire et de mettre
en service au niveau de l’État un établissement pénitentiaire moderne
de haute sécurité qui compterait 350 places. Le Tribunal d’État,
qui s’occupe des crimes de guerre et des grosses affaires de corruption
et de crime organisé ne dispose que d’un petit centre de détention
provisoire qui ne peut accueillir toutes les personnes qu’il condamne
à une peine d’emprisonnement. Ces personnes doivent donc servir
leur peine soit dans la prison de Foca (Republika Srpska), soit
dans celle de Zenica (Fédération), ici encore en fonction de leur
appartenance ethnique.
194. On espère que la prison d’État, qui est financée en grande
partie par la Banque de développement du Conseil de l’Europe, l’Union
européenne et d’autres donateurs, deviendra opérationnelle en 2017.
L’ouverture de cette nouvelle prison devrait permettre de réduire
la surpopulation des établissements pénitentiaires, qui atteint
un niveau particulièrement grave à Sarajevo et à Mostar. Le CPT
note également le recours plus fréquent à des alternatives à la
détention comme les peines de travaux d’intérêt général, les amendes
ou la détention à domicile avec surveillance électronique. Cependant,
aucun système de probation n’a encore été mis en place.
195. Au cours de sa visite, le CPT a recueilli de très nombreuses
allégations de mauvais traitements physiques infligés systématiquement
aux détenus par le personnel des services de répression et il a
de nouveau critiqué le fait que les procureurs et les juges ne prennent
aucune mesure pour enquêter sur les allégations de mauvais traitements.
Le CPT a recommandé la création d’organes pleinement indépendants pour
examiner les plaintes à l’encontre de la police en suggérant que,
dans l’intervalle, les procureurs fassent appel aux services de
contrôle interne de la police pour les aider à enquêter sur les
allégations de mauvais traitements visant des policiers. Les personnes
arrêtées ne peuvent avoir systématiquement accès à un avocat et
à un médecin et, dans la plupart des locaux de garde à vue de la
police où s’est rendue la délégation du CPT, les conditions matérielles
étaient inadaptées à la détention de personnes pendant la nuit.
196. Le CPT a également constaté que les personnes placées en détention
provisoire sont toujours confinées 22 heures ou plus par jour dans
leur cellule et n’ont accès à aucune activité significative, et
que les services de santé auxquels elles ont accès sont très insuffisants.
Il a exigé que soit mis fin immédiatement à la pratique consistant
à placer en détention provisoire les patients psychiatriques souffrant
de psychose chronique et exprimé l’espoir qu’avec l’ouverture du
nouvel établissement psychiatrique de Sokolac, cette pratique inacceptable
cessera tout à fait.
7. Droits de l’homme
7.1. Lutte contre la discrimination
197. En septembre 2015, conformément
à son programme de travail pour 2016, le ministère des Droits de l’homme
et des Réfugiés a créé un groupe de travail chargé d’élaborer des
modifications à la loi sur l’interdiction de la discrimination
. Les modifications
à cette loi ont été jugées nécessaires pour préciser les définitions,
en particulier celles de la discrimination, du harcèlement sexuel,
de la qualité de victime et de la discrimination indirecte, et pour
les aligner plus avant sur les acquis de l’Union européenne, ainsi
que pour renforcer les garanties de procédures et assurer une protection
efficace contre la discrimination.
198. Considérés comme un fait nouveau encourageant par les principales
parties prenantes, les projets de modification visent à préciser
la définition des motifs de discrimination proscrits, en particulier
en ce qui concerne l’identité de genre et l’orientation sexuelle,
mais aussi le handicap et l’âge. De plus, les modifications couvrent
la discrimination et le harcèlement directs et indirects; comportent
une disposition qui prévoit l’inversion de la charge de la preuve
dans certaines circonstances (qui incombe alors à la personne accusée de
discrimination); prévoient l’aide aux plaignants et aux victimes;
définissent le harcèlement non intentionnel et apportent des précisions
à la définition de la victime; et apportent certains changements
en matière de compétence des tribunaux (qui, au lieu de dépendre
du lieu de résidence du défendeur, est fonction du lieu où les faits
allégués se sont produits), tout en autorisant un tiers à intervenir
au nom des victimes ou des groupes de victimes. Ces projets de modification
ont été adoptés par le Conseil des ministres en décembre 2015 et
ont été soumis au parlement de la Bosnie‑Herzégovine qui les a examinés
en première lecture le 5 avril 2016.
199. Le ministère des Droits de l’homme et des Réfugiés a également
élaboré une stratégie de lutte contre la discrimination, qui été
établie sur la base de cas concrets de discrimination et de l’expérience
acquise par le ministère en matière de lutte contre la discrimination.
Cette stratégie est axée sur des questions thématiques précises
et s’appuie aussi sur les conclusions formulées dans les rapports
du médiateur des droits de l’homme. Le 26 avril 2016, le Conseil
des ministres a adopté un plan d’action en matière de lutte contre
la discrimination. Cependant, d’après certains observateurs de la
société civile, peu de progrès concrets ont été accomplis dans la
pratique en ce qui concerne la lutte contre la discrimination; ces
observateurs ont également relevé que les moyens alloués au Bureau
des médiateurs continuent de poser problème et que les groupes vulnérables (notamment
les femmes, les Roms, les personnes gays, lesbiennes, bisexuelles
et transgenres (LGBT), et les personnes handicapées) restaient confrontés
à des difficultés.
7.2. Protection des minorités
200. La loi sur la protection des
droits des personnes appartenant aux minorités nationales a été
adoptée en 2003. Cette loi stipule que la Bosnie‑Herzégovine protège
l’égalité de statut et les droits des personnes appartenant aux
17 minorités nationales présentes dans le pays: les Albanais, les
Monténégrins, les Tchèques, les Italiens, les Juifs, les Hongrois,
les Macédoniens, les Allemands, les Polonais, les Roms, les Roumains,
les Russes, les Ruthènes, les Slovaques, les Slovènes, les Turcs
et les Ukrainiens. Cependant, l’attention privilégiée accordée dans
la sphère politique aux droits des peuples constituants s’est traduite
par l’exclusion des minorités nationales, dont certaines sont de
très petite taille, des débats publics.
201. Les Roms sont le groupe minoritaire le plus important et le
plus marginalisé en Bosnie‑Herzégovine. Afin de remplir les obligations
internationales du pays et d’assurer la mise en œuvre du droit interne,
le ministère des Droits de l’homme et des Réfugiés a élaboré au
fil des ans un certain nombre de stratégies et de plans d’action
couvrant certains des problèmes qui affectent les Roms, par exemple
l’accès au logement, l’emploi, les services de santé, la sécurité sociale
et l’inscription à l’état‑civil. L’objectif est de promouvoir l'égalité
de ce groupe minoritaire, ainsi que sa participation accrue à la
vie publique en général. En 2010, le plan d'action révisé de la
Bosnie‑Herzégovine sur les besoins éducatifs des Roms a été finalisé
et adopté par le Conseil des ministres. La Bosnie-Herzégovine a
adhéré en septembre 2008 à la Décennie de l’inclusion des Roms 2005-2015.
Un plan d'action révisé pour les Roms, portant sur le logement,
l’emploi et la santé, a aussi été adopté. Ce plan s’achève en 2016
et le ministère des Droits de l’homme et des Réfugiés en prépare
actuellement un nouveau.
202. Un travail considérable a été entrepris ces dernières années
pour veiller à ce que les Roms soient en possession de documents
d’identité, et une nouvelle législation sur l’enregistrement des
naissances a été adoptée dans les deux Entités. Néanmoins, de nombreux
Roms continuent à vivre dans une extrême pauvreté et la situation
économique et financière du pays n’est pas propice à l’octroi d’une
aide suffisante aux communautés roms.
204. En ce qui concerne la participation institutionnelle, il existe
maintenant des conseils des minorités nationales au sein des parlements
des deux Entités et au niveau de l’État. Une commission rom a aussi
été créée auprès du Conseil des ministres au niveau de l’État. En
outre, lors des élections locales de 2008 et 2012, des sièges étaient
réservés aux minorités au sein des conseils des municipalités et
des villes. Nous ne disposons d’aucun chiffre sur les élections
locales de 2016.
7.3. Lutte contre la traite des
êtres humains
205. La Bosnie-Herzégovine a ratifié
la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains (STCE no 197) le 11 janvier 2008.
Elle a soumis son premier rapport au GRETA en mai 2015.
206. Le GRETA a procédé en mars 2017 à l’examen du deuxième rapport
sur la mise en œuvre de la Convention par la Bosnie-Herzégovine.
Dans sa Recommandation CP(2017)27, le Comité des Ministres a salué
les progrès accomplis depuis le premier cycle d’évaluation: l’introduction
de l’infraction pénale de traite dans les codes pénaux des Entités
et l’adoption de dispositions sur les droits des victimes de la
traite dans la nouvelle loi sur les étrangers; les mesures prises
pour former les professionnels concernés et sensibiliser le grand
public ainsi que des groupes ciblés à la traite des êtres humains
et l’adoption d’une disposition légale prévoyant la non-sanction
des victimes de la traite pour des infractions commises dans le
cadre de la traite dans les codes pénaux de l’État, de la Fédération
et du District de Brčko. Le Comité a formulé ensuite d’autres recommandations
détaillées et demandé au Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine de
rendre compte au GRETA des mesures prises d’ici au 15 octobre 2018.
7.4. Médias et liberté d’expression
207. Poursuivre les réformes dans
le domaine des médias de façon à garantir la liberté d’expression
et l’indépendance des journalistes est l’un des engagements souscrits
par la Bosnie‑Herzégovine lorsqu’elle a adhéré au Conseil de l’Europe.
208. La Bosnie-Herzégovine est dotée d’un régime juridique avancé
en matière de liberté des médias. Des lois de dépénalisation de
la diffamation et de la calomnie sont, par exemple, en vigueur en
Republika Srpska depuis juin 2001 et, dans la Fédération, depuis
novembre 2002.
209. La Bosnie-Herzégovine est dotée des mécanismes d’autorégulation
parmi les plus avancés d’Europe. L’Autorité de réglementation des
communications est chargée de délivrer les autorisations et de réglementer les
services de radiodiffusion et de télécommunications, tandis que
le Conseil de la presse, un organe bénévole et auto-réglementé,
s’occupe des plaintes relatives à la presse écrite. Les plaintes
concernant la radiodiffusion sont transmises à l’Agence qui a le
droit d’examiner une plainte chaque fois qu’un programme, une publicité
ou une émission radiophonique semble partial, incorrect, insultant
ou préjudiciable, porte atteinte à la vie privée, met en danger
le développement physique, mental ou moral des enfants, ou contient
des éléments d’incitations à la haine raciale, religieuse ou nationale.
Tous les citoyens, y compris les fonctionnaires, ont le droit de
déposer une plainte.
210. La Bosnie-Herzégovine compte actuellement trois services de
radiodiffusion – BHRT (niveau de l’État), RTFB-H (Fédération de
Bosnie‑Herzégovine), RTRS (Republika Srpska) – et quatre principaux
services de radiodiffusion commerciale (OBN, Pink TV, BN TV et TV
Hayat). Al Jazeera Balkans est également diffusé en Bosnie‑Herzégovine.
211. L'étude de faisabilité de 2003 de la Commission européenne,
qui énumérait les conditions que la Bosnie‑Herzégovine aurait à
satisfaire pour entrer en négociation avec l'Union européenne en
vue d’un Accord de stabilisation et d'association, indiquait que
la Bosnie-Herzégovine devait accomplir des progrès significatifs dans
un certain nombre de domaines, notamment la législation sur la radiodiffusion.
L’une des conditions était en particulier la création d'un système
de service public de radiodiffusion unifié, géré au niveau de l’État.
À cette fin, l’adoption de quatre lois était prévue, mais seules
trois ont été adoptées à ce jour. La non-adoption de la dernière
continue d’entraver la mise en place de ce nouveau système public
de radiodiffusion.
212. La première loi sur le système de radiodiffusion publique
de la Bosnie‑Herzégovine (ou loi systémique) définit la structure,
la gouvernance, le financement, la gestion de la base de ressources
commune et d’autres responsabilités du système global de radiodiffusion
publique. Elle a été adoptée le 5 octobre 2005. La loi prévoit la
création d’une société des services publics de radiodiffusion (ou
société commune) conçue comme une organisation chapeautant les trois
services publics de radiodiffusion. Cette société serait chargée
de définir la stratégie de développement, de coordonner les ressources
humaines et techniques des trois services de radiodiffusion, et
d’harmoniser les différents systèmes, politiques et procédures des
trois services publics de radiodiffusion existants. Certaines fonctions
actuellement exécutées séparément par les trois services publics
de radiodiffusion devaient être centralisées en vertu de cette loi.
Parmi les plus importantes, on peut citer la perception des droits
de licence et la vente des espaces publicitaires. La nouvelle loi
aurait aussi transformé les trois services publics de radiodiffusion
en une seule entité morale, en garantissant à chacun des services
un certain degré d'autonomie.
213. Cependant, la société commune n’a toujours pas été créée,
principalement parce que les Serbes ont refusé d’accepter la création
d’une société des services publics de radiodiffusion au niveau de
l’État et parce que les Croates estiment qu’elle aurait dû inclure
un radiodiffuseur public purement croate
.
214. Le système de radiodiffusion public est pourtant demeuré confronté
à des difficultés persistantes de financement, la Republika Srpska
soutenant ouvertement le non‑paiement de la redevance; il s’est
trouvé dans une situation très délicate en 2015 lorsque le système
de collecte de la redevance radio‑télévision au moyen des factures
téléphoniques a pris fin. La radio et la télévision de la Bosnie-Herzégovine
et les radiodiffuseurs des deux Entités – Radio et Télévision de
la Fédération de Bosnie-Herzégovine et Radio et Télévision de la Republika
Srpska – se sont retrouvés en situation de faillite. Le système
de financement existant a finalement été reconduit jusqu’en juin 2016
pour permettre au Conseil des ministres et aux trois radiodiffuseurs
de trouver une nouvelle solution. Début juin 2016, la Radio et Télévision
de la Bosnie‑Herzégovine a annoncé qu’elle cesserait ses émissions
le 30 juin, en particulier parce qu’elle était dans l’incapacité
de rembourser les 6 millions de francs suisses qu’elle devait à
l’Union européenne de radio‑télévision.
215. Si une solution temporaire semble avoir été trouvée, il reste
cependant à en adopter une permanente.
216. Le fait que les trois radiodiffuseurs publics se comportent
en tant que concurrents directs, au lieu d’agir comme les éléments
d’un seul et même système, ne fait qu’aggraver la situation financière
du réseau audiovisuel public. La qualité des programmes des médias
publics est affectée par la prolifération de petits médias publics
souvent liés à des partis politiques. Il existe aujourd’hui plusieurs
propositions d’initiatives émanant de divers acteurs institutionnels
et politiques pour modifier certains aspects du réseau audiovisuel public.
Certaines d’entre elles ont pour objet de mettre en place un nouveau
modèle de financement, y compris au moyen de fonds des Entités.
Une proposition simultanée du ministère de la Communication et des Transports
de la Bosnie‑Herzégovine vise à la création de trois chaînes au
sein de la société nationale de radio télédiffusion (radiodiffuseur
d’État). Elle prévoit l’adaptation des programmes aux besoins de
chaque peuple constituant qui, par conséquent, seraient diffusés
depuis les studios de Sarajevo (en bosnien), Banja Luka (en serbe)
et Mostar (en croate). La demande de création d’un radiodiffuseur
public en langue croate, formulée de longue date par les partis
croates, est depuis peu réapparue.
217. La Bosnie-Herzégovine dispose d’un environnement médiatique
diversifié: il existe environ 140 stations de radio et plus d’une
quarantaine de chaînes de télévision, auxquelles s’ajoutent 80 autres
chaînes accessibles sur les réseaux câblés. D’après Freedom House
2016, «il existe un certain nombre de journaux imprimés et de médias
de radiodiffusion indépendants mais ceux‑ci s’adressent le plus
souvent à un public ethnique étroit et la plupart d’entre eux négligent
l’information de fond et le journalisme d’investigation». Cette situation
est peut‑être due au fait que la loi sur le libre accès à l’information
est mal appliquée, ce qui empêche les journalistes d’avoir accès
à l’information en temps opportun.
218. Les journalistes sont mal rémunérés et soumis à des pressions
politiques. La transparence de la propriété des médias est inexistante.
219. La sécurité des journalistes continue de poser problème, les
cas de menaces de mort à leur encontre et les visites de la police
dans les locaux des organes de presse allant croissant. La permanence
téléphonique non gouvernementale «Free Media», qui offre une assistance
juridique gratuite aux journalistes menacés, a enregistré 57 agressions
pour la seule année 2015. Dans la plupart des cas, les véritables
auteurs de ces attaques n’ont pas été retrouvés; seuls quelque 15 %
des affaires relatives à des attaques contre des journalistes ont
été élucidées. En outre, depuis la dépénalisation de la diffamation,
on observe une tendance croissante à engager des actions au civil
contre les journalistes dans un but de pression politique.
220. Les médias audiovisuels sont agréés et surveillés par l’Agence
de réglementation des communications (ARC) qui est compétente pour
mettre à exécution les règles pertinentes. Elle est également habilitée
à adopter des règles contraignantes. L’Agence est indépendante d’un
point de vue financier et, bien qu’on affirme souvent qu’elle est
exposée à des pressions politiques, ses décisions sont généralement
considérées comme équitables. Son directeur général est nommé par
le conseil de l’Agence et cette nomination doit être approuvée par
le Conseil des ministres de la Bosnie‑Herzégovine. Le poste de directeur
général est resté vacant pendant presque 8 années. C’est donc un
fait positif que, le 25 avril 2016, le Conseil des ministres a donné
son aval à la nomination d’un nouveau directeur.
221. Il convient de noter qu’au niveau des Entités, l’adoption
en février 2015 par le parlement de la Republika Srpska d’une loi
sur la paix et l’ordre publics a suscité des inquiétudes parmi les
acteurs de la société civile et les professionnels car cette loi
étend la notion d’«espace public» aux réseaux sociaux en ligne.
Suite à l’adoption de ce texte, le bureau de Transparency International
en Bosnie‑Herzégovine et l’Association des journalistes de la Bosnie-Herzégovine
ont saisi la Cour constitutionnelle d’une demande d’examen de certains articles
de la loi. À ce jour, la Cour ne s’est pas encore prononcée sur
la recevabilité de cette requête.
7.5. Institution des médiateurs
222. La création, à long terme,
d’un Bureau du médiateur unique et centralisé au niveau de l’État
(et devant donc absorber les organes de médiation existant actuellement
au niveau des deux Entités) est l’un des engagements souscrits par
la Bosnie-Herzégovine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe
Cet engagement a été partiellement rempli.
223. La loi adoptée en définitive le 27 mars 2006 est, comme si
souvent en Bosnie‑Herzégovine, le résultat d’un mauvais compromis:
au lieu de créer une institution d’une seule personne, la loi stipule
que l'institution du médiateur est composée de trois personnes dotées
d’un mandat renouvelable de six ans. Ces personnes doivent appartenir
à chacun des trois peuples constituants, «ce qui n'exclut pas la
possibilité de désigner un médiateur dans le rang des “Autres”».
L'institution aura une présidence tournante (les présidents se succédant tous
les deux ans dans l'ordre alphabétique des personnes élues) et le
président exercera un rôle de «coordination» pendant son mandat.
Le siège de l'institution a été fixé à Banja Luka (Republika Srpska)
avec des bureaux à Mostar, Sarajevo et dans le District de Brčko,
ou ailleurs le cas échéant.
224. Appliquer la législation visant à garantir l’indépendance
de l’institution du médiateur et veiller au financement adéquat
des institutions des droits de l’homme fait également partie des
engagements souscrits par la Bosnie-Herzégovine lors de son adhésion
au Conseil de l’Europe. Cet engagement a été partiellement rempli.
225. Après expiration du mandat des médiateurs en décembre 2014,
le parlement de la Bosnie‑Herzégovine, en application de la loi
sur le médiateur des droits de l’homme, a nommé le 10 novembre 2015
trois médiateurs appartenant aux trois peuples constituants à l’issue
d’un appel à candidatures et d’entretiens menés par une commission
ad hoc. Les trois nouveaux médiateurs ont pris leurs fonctions le
17 novembre 2015; leur mandat est de six ans. Deux d’entre eux avaient
été réélus pour un second mandat.
226. Parallèlement, en juillet 2014, le ministère des Droits de
l’homme et des Réfugiés a constitué un groupe de travail pour préparer
des modifications à la loi relative au médiateur des droits de l’homme,
qui a achevé ses travaux en septembre 2015. À mi-parcours de ses
travaux, ce groupe de travail a été chargé non plus d’élaborer des
projets de modification de la loi mais de préparer une nouvelle
mouture, les modifications proposées affectant plus de la moitié
du texte. Le ministère a également pris en considération l’inclusion
d’une disposition relative au Mécanisme national de prévention de
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, conformément aux obligations de la Bosnie‑Herzégovine
au titre du Protocole facultatif des Nations Unies se rapportant
à la Convention contre la torture.
227. Une fois achevé le premier projet de loi, le ministère des
Droits de l’homme et des Réfugiés a sollicité en juillet 2015 un
avis de la Commission de Venise, qui a été adopté en octobre 2015
. La Commission de Venise a noté
que le projet de loi amendant fortement la loi en vigueur visait
à répondre à certaines préoccupations nationales et internationales
– en particulier dans le contexte de la réévaluation, prévue en 2015
puis reportée à 2016, du statut A accordé au médiateur de la Bosnie‑Herzégovine
par le Comité international de coordination des institutions nationales
des droits de l’homme – au sujet de l’absence d’indépendance et
de neutralité de l’institution et de son incapacité à agir comme
une institution véritablement unifiée.
228. La Commission de Venise a constaté que le projet de loi apportait
des améliorations substantielles, en particulier en ce qui concerne
la composition de l’institution et la procédure de nomination. Cependant,
elle a recommandé des améliorations supplémentaires: le mandat du
médiateur devait être plus long et non renouvelable et les critères
régissant sa désignation moins restrictifs. Ses relations avec les
tribunaux devaient être définies avec davantage de précisions à
la lumière du principe de l’indépendance du judiciaire et les garanties
de son indépendance financière devaient être renforcées. Elle a
recommandé en outre que les principales fonctions du médiateur et
les principes relatifs à l’organisation de cette institution soient
régis et définis de manière à en renforcer l’unicité (en parlant
systématiquement de «l’institution» et non de «l’institution et
les médiateurs»).
229. En décembre 2015, le ministère des Droits de l’homme et des
Réfugiés a soumis le projet de loi relatif au médiateur des droits
de l’homme au Conseil des ministres qui a estimé que ce projet,
notamment les dispositions relatives au financement, devait être
modifié. Il a donc prié le ministère des Finances d’élaborer un
nouvel article sur ce point. La version révisée a été adoptée par
le Conseil des ministres et soumise au Parlement de la Bosnie‑Herzégovine
le 28 janvier 2016
. Le bureau des lois du parlement
ayant rendu un avis négatif, le projet de loi a été renvoyé devant
le Conseil des ministres au début février 2016. Un nouveau projet de
loi a été soumis par le Conseil des ministres au parlement le 29
février 2016. Le 31 mars 2016, la commission juridique et constitutionnelle
a estimé que le projet de loi n’était pas compatible avec la Constitution
et le système juridique de la Bosnie-Herzégovine. Le 5 avril 2016,
la Chambre des représentants du parlement a rejeté cet avis défavorable
et prié la commission juridique et constitutionnelle d’en rendre
un nouveau.
230. Nous n’avons aucune information sur la question de savoir
si cette loi a été adoptée et si les recommandations de la Commission
de Venise ont été prises en compte. Nous avons le sentiment que
le projet de loi a été mis au placard. En septembre 2017, durant
notre visite à Sarajevo, nous avons appris que le Conseil des ministres
venait juste d’adopter des amendements à la loi sur le médiateur
des droits de l’homme en Bosnie-Herzégovine, notamment afin de renforcer
l’indépendance financière de ce dernier. Ces amendements doivent
maintenant être adoptés par le parlement.
231. À l’heure actuelle, l’institution du médiateur continue de
se heurter à de nombreuses difficultés. Le processus de décision
demeure lent et inefficace car les trois médiateurs doivent prendre
leurs décisions à l’unanimité. La conséquence en est qu’ils ne prennent
aucune décision sur les questions litigieuses.
232. La plupart de ses recommandations ne sont pas appliquées et
son mandat n’est pas connu du grand public. De plus, depuis 2010,
le budget de l’institution est à la baisse, ce qui s’explique notamment
par la crise économique qui sévit dans l’ensemble du pays. La rotation
de ses effectifs est élevée. L’institution s’appuie souvent sur
des représentants de la communauté internationale. Il est essentiel
de la renforcer dans le cadre du programme de réformes, en particulier
au regard des nouvelles lois sur le travail (adoptées en Republika Srpska
et en Fédération de Bosnie‑Herzégovine). L’application de ces lois,
qui devrait se solder par une importante réduction du secteur public,
risque de causer des difficultés supplémentaires à l’institution,
le nombre de plaintes pouvant augmenter.
233. Depuis l’adoption de la loi sur l’interdiction de la discrimination
en 2009, qui charge l’institution du médiateur de suivre sa mise
en œuvre en prévoyant l’allocation de fonds budgétaires à cette
fin, aucun progrès n’a été obtenu en vue du financement du service
pertinent de l’institution. Dans son dernier rapport sur la Bosnie‑Herzégovine
publié en février 2017, l’ECRI a demandé que soit appliquée en priorité
sa recommandation de renforcer les capacités institutionnelles de
l’institution du médiateur, afin de lui donner les moyens de remplir
effectivement son mandat en matière de lutte contre la discrimination,
notamment en simplifiant les processus de décision et en portant
son financement à un niveau adéquat. L’ECRI a également recommandé
de donner à l’institution du médiateur le droit et la capacité de
représenter les victimes devant les tribunaux dans les affaires
de discrimination.
7.6. Éducation
234. Maintenir et poursuivre la
réforme dans le domaine de l’éducation et éliminer toutes les formes
de ségrégation et de discrimination fondées sur l’origine ethnique
est l’un des engagements spécifiques souscrits par la Bosnie‑Herzégovine
au moment de son adhésion au Conseil de l’Europe. L’Assemblée a
exhorté à plusieurs reprises les autorités de la Bosnie‑Herzégovine
à régler en priorité tous les problèmes de ségrégation ethnique
qui subsistent à l’école, à élaborer et à mettre en œuvre, à tous
les échelons pertinents, des politiques pour assurer la protection
du droit à l’éducation dans la langue maternelle, dans le cadre
d’un environnement éducatif tolérant, ouvert et intégré.
235. Dans son dernier rapport sur la Bosnie‑Herzégovine publié
en février 2017, l’ECRI a également demandé que soit appliquée en
priorité sa recommandation, formulée dès 2010, de mettre un terme
de toute urgence à toutes les formes de ségrégation à l’école, y
compris la politique dite des «deux écoles sous un même toit»
et les écoles mono-ethniques
,
et d’utiliser et de continuer à développer le programme d’enseignement
de tronc commun. De même que l’ECRI, nous jugeons regrettable –
et compréhensible uniquement dans l’optique d’une idéologie ethno-nationaliste
– que le principe de l’éducation en langue maternelle continue d’être
utilisé pour justifier la ségrégation ethnique, alors que les trois
langues concernées (bosnien, croate et serbe) sont si proches qu’il
n’existe objectivement aucun obstacle linguistique à un enseignement
pleinement intégré.
236. Dans la Fédération et surtout dans le canton de Bosnie centrale
et celui d’Herzegovina‑Neretva, aucun progrès n’a été enregistré
en ce qui concerne la politique dite des «deux écoles sous un même
toit». En novembre 2014, la Cour suprême de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine
a confirmé le jugement rendu en première instance par le tribunal
municipal de Mostar qui, en 2012, avait conclu que le canton d’Herzegovina‑Neretva
et les écoles primaires de Stolac et de Čapljina s’étaient rendus
coupables de discrimination à l’égard des élèves en les séparant
sur la base de leur appartenance ethnique. La Cour suprême a ordonné
l’abolition de cette pratique mais, à ce jour, les autorités pertinentes
n’ont pris aucune mesure en ce sens.
237. En Republika Srpska, les écoles mono-ethniques restent un
fait saillant, nombre d’enfants bosniaques rentrés chez eux fréquentant
toujours des établissements scolaires provisoires et non des écoles
régulières. De plus, les programmes d’enseignement ont été modifiés
au début de l’année scolaire en septembre 2005 et le terme utilisé
pour désigner le bosnien a été remplacée par l’expression «langue
du peuple bosniaque», ce qui a été source de nouvelles difficultés
pour les élèves et parents de Bosniaques rentrés chez eux.
238. En mai 2016, la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine
a rejeté une requête d’examen de la constitutionnalité de l’article 7(1)
de la Constitution de la Republika Srpska prévoyant un enseignement
dans la «langue du peuple bosniaque». La Cour a statué par ailleurs
que les peuples constituants et les «Autres» ont le droit d’appeler
comme ils veulent la langue qu’ils parlent.
239. Étant donné la complexité de la structure du système éducatif
de la Bosnie-Herzégovine, la coordination des organes d’éducation
et l’harmonisation de la législation demeurent difficiles. La Conférence
des ministres de l’éducation, qui rassemble les treize ministres
de l’éducation de la Bosnie‑Herzégovine, s’est réunie après un intervalle
de deux ans en juillet 2015. Pour ce qui est de l’enseignement supérieur,
la Bosnie‑Herzégovine est partie prenante du processus de Bologne
et met en œuvre à ce titre les mécanismes pertinents, quoique lentement.
Fait positif, le cadre des qualifications de la Bosnie-Herzégovine
a été adopté par le Conseil des ministres le 11 décembre 2015.
7.7. Culture et patrimoine culturel
240. Un mot pour finir sur la culture
et le patrimoine culturel: nous regrettons le peu d’empressement
des responsables politiques à résoudre la question du statut juridique
de sept institutions culturelles au niveau de l’État, qui existaient
à Sarajevo dans la République de Bosnie‑Herzégovine d’avant‑guerre.
241. Depuis 22 ans, les querelles se poursuivent autour de la responsabilité
de la gestion et du financement de ces institutions prestigieuses
et, en particulier, du Musée national et de la Bibliothèque nationale.
La Republika Srpska refuse qu’un financement leur soit alloué dans
le budget de l’État parce que ces institutions se trouvent à Sarajevo
et il n’apparaît pas clairement si ces institutions devraient être
financées par le canton ou par la ville de Sarajevo. En conséquence,
le Musée national a été fermé pendant trois ans par manque de financement,
les employés continuant à travailler sans salaires pour assurer
la préservation des collections.