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Rapport | Doc. 14521 | 04 avril 2018

Changement climatique et mise en œuvre de l'Accord de Paris

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. John PRESCOTT, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14093, Renvoi 4232 du 10 octobre 2016. 2018 - Deuxième partie de session

Résumé

La communauté internationale a largement approuvé l’Accord de Paris qui indique la voie à suivre pour l’action mondiale contre le changement climatique. Pour limiter la hausse des températures à 2°C, des efforts ambitieux et concertés aux niveaux national et infranational seront nécessaires. Suite au retrait de l’administration fédérale américaine de l’Accord de Paris, le rôle moteur de l’Europe en faveur d’un développement plus propre et plus durable est essentiel pour la prospérité des générations présentes et futures.

Le rapport souligne le fait que la mise en œuvre de l’Accord de Paris devrait aller de pair avec celle des Objectifs de développement durable (ODD): favoriser la croissance et l’investissement verts est un choix sain pour la planète et a du sens d’un point de vue économique. Le rapport met l’accent sur la nécessité d’une plus grande solidarité entre les pays en développement et les pays développés, et préconise de soutenir les modèles de développement durable urbain et estuarien.

Le rapport plaide également pour une implication plus étroite des législateurs afin de favoriser une plus grande cohérence des politiques, une répartition plus équilibrée des ressources budgétaires et la mise en place d’un cadre législatif pour l’investissement vert en accord avec les objectifs climatiques. Il propose des recommandations à adresser aux États membres pour intégrer les ODD, notamment lorsqu’ils ont trait à la question du changement climatique, dans les principaux domaines politiques (tels que finances liés au climat, transition énergétique, économie circulaire et agriculture durable).

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 20 mars
2018.

(open)
1. En signant l’Accord de Paris en décembre 2015, 194 pays des Nations Unies et l’Union européenne ont reconnu le changement climatique comme une menace existentielle pour l’humanité: il n’y a pas de «Terre bis» et la santé de notre planète est essentielle à notre prospérité. L’entrée en vigueur de l’Accord une année à peine après sa signature reflète la volonté résolue de la communauté internationale d’agir à grande échelle, en s’orientant vers une approche partant de la base en rupture avec la logique inverse suivie jusque-là. Malgré la récente décision de l’administration fédérale américaine de quitter l’Accord, plus de 70 % des émissions globales de gaz à effet de serre restent couvertes par les contributions déterminées au niveau national dans le cadre de l’Accord de Paris. Ceci dit, pour limiter la hausse des températures à 2°C d’ici 2050, des efforts supplémentaires devront être consentis dans les dix prochaines années.
2. L’Assemblée parlementaire salue le rôle moteur de l’Europe dans le pilotage du processus engagé à l’échelle mondiale pour éviter une «surchauffe» de la planète. Un développement «propre» et plus durable est le seul moyen de répondre comme il se doit aux besoins des générations présentes et futures, où qu’elles vivent. Les pays en développement étant plus sévèrement touchés par le changement climatique alors qu’ils ont une responsabilité moindre que les pays développés dans les émissions de gaz à effet de serre, il faudra une plus grande solidarité entre eux pour assurer le partage de savoir-faire, de ressources (financières) et de technologies propres, en particulier avec les petits États insulaires en développement (conformément aux Modalités d’action accélérées des petits États insulaires en développement (Orientations de Samoa)).
3. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée considère que la mise en œuvre de l’Accord de Paris devrait aller de pair avec celle des Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 du développement durable adopté par la communauté internationale la même année. Elle renvoie aux nombreuses données disponibles montrant que l’investissement dans des politiques globales durables et un développement plus respectueux de l’environnement est économiquement avantageux et constitue un choix politique responsable pour l’avenir. À l’échelle mondiale, les événements climatiques extrêmes coûtent de plus en plus cher, tout comme l’inaction a elle aussi un prix: en Europe, le coût les dommages liés aux catastrophes climatiques a déjà doublé entre les années 1980 et les années 2000.
4. L’Assemblée se félicite du lancement du «Partenariat de Marrakech pour l’action climatique globale» en vue de la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Cette stratégie entend associer diverses parties prenantes à l’action pour le climat: elle encourage la collaboration volontaire de la société civile, du secteur privé, des établissements financiers, des collectivités locales et territoriales ainsi que des populations locales, le cas échéant. Dans ce contexte, il convient de promouvoir les modèles de développement urbain et estuarien comme moyens de tirer parti de l’immense potentiel lié à la croissance verte servant à la fois les populations et la cause du climat.
5. L’intégration du développement durable et de la capacité d’adaptation au changement climatique dans les politiques nationales par la loi reste un défi considérable pour les pays européens. L’Assemblée regrette que les délégations nationales officielles aux réunions mondiales sur les changements climatiques (COP) ne comprennent que rarement des parlementaires et invite les pays européens à montrer l’exemple en intégrant systématiquement des parlementaires dans leurs délégations. Cette implication plus étroite des législateurs devrait favoriser une plus grande cohérence des politiques visant à honorer les engagements nationaux et internationaux pris dans le cadre de l’Accord de Paris, à assurer une répartition plus équilibrée des ressources budgétaires et à mettre en place un cadre législatif pour l’investissement vert.
6. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée appelle à des mesures nationales fortes pour promouvoir la mise en œuvre de l’Accord de Paris à tous les niveaux de gouvernance. Elle invite les États membres:
6.1. à établir une stratégie nationale ambitieuse accompagnée d’un plan d’action concret, construit et mise en place avec la participation active et directe des collectivités territoriales, pour intégrer les objectifs de développement durable, notamment lorsqu’ils ont trait à la question du changement climatique, dans les principaux domaines d’intervention des pouvoirs publics;
6.2. à tenir des consultations régulières avec les différentes parties prenantes (société civile, secteur privé, établissements financiers et universitaires, collectivités locales et territoriales et populations locales) pour suivre les progrès accomplis en matière de réduction des émissions et voir quels sont les secteurs qui posent problème dans la réalisation des contributions déterminées au niveau national;
6.3. à mettre à profit les possibilités régionales d’échange de bonnes pratiques et de co-investissement dans des modèles de développement respectueux du climat dans le cadre du Partenariat de Marrakech pour l’Action climatique globale;
6.4. à prendre et honorer l’engagement de reconstituer le Fonds vert pour le climat créé en 2010 dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, en accord avec le principe des responsabilités communes mais différenciées;
6.5. à préparer la transition vers l’économie circulaire et à prendre des dispositions pour encourager le secteur public et le secteur privé à réutiliser les matériaux d’un produit en fin de vie;
6.6. à promouvoir une vision durable de l’urbanisation par la poursuite des politiques visant à créer des «villes intelligentes», en portant une attention particulière aux moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des véhicules, des systèmes de chauffage et de refroidissement, de la production d’énergie, de la gestion des déchets et des activités industrielles;
6.7. à planifier la transition vers une agriculture plus durable pour optimiser l’utilisation des ressources naturelles et réduire de manière significative ou capter et orienter vers d’autres usages les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’élevage bovin;
6.8. à prévoir des mesures volontaires et contraignantes pour faire en sorte que le secteur privé assume sa juste part des efforts entrepris pour atteindre les objectifs climatiques nationaux;
6.9. à restructurer leur production et leur consommation d’énergie de manière à ce que les matériaux fossiles soient de plus en plus dirigés vers des usages non énergétiques et progressivement remplacés par des sources d’énergie renouvelable;
6.10. à assurer la participation de parlementaires nationaux aux négociations mondiales sur le climat et aux consultations gouvernementales qui se déroulent en amont pour déterminer la position nationale dans ces négociations;
6.11. là où il se pourra, à envisager d’adhérer au Système européen d’échange de quotas d’émissions en suivant l’exemple d’autres États non membres de l’Union européenne;
6.12. à garantir une politique climatique qui tient compte du genre avec la mise en œuvre du Plan d’action pour la parité hommes-femmes selon les modalités convenues lors de la COP23.
7. L’Assemblée souligne l’importance de l’action parlementaire en ce qui concerne les mesures précitées. Elle considère que les législateurs des Parties à l’Accord de Paris ont le devoir de vérifier si la feuille de route sur cinq ans visant à évaluer les politiques nationales en matière de climat est en bonne voie et est conforme aux objectifs nationaux convenus. L’Assemblée invite, par conséquent, les parlements nationaux à veiller à ce que des structures, des mécanismes et des ressources spécifiques soient mis en place pour intensifier les efforts nationaux en matière de lutte contre le changement climatique.
8. Enfin, l’Assemblée encourage vivement les trois États membres qui ne l’ont pas encore fait (Fédération de Russie, Saint Marin et Turquie) à ratifier au plus tôt l’Accord de Paris.

B. Exposé des motifs, par M. John Prescott, rapporteur

(open)

1. Introduction: origine, portée et objectif du rapport

1. Le 21 juin 2016, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a déposé une proposition de résolution sur «Le changement climatique et la mise en œuvre de l’Accord de Paris» (Doc. 14093). Cette proposition souligne que le changement climatique représente la menace la plus importante de ce siècle pour l’humanité et que ce sont l’avenir des prochaines générations et le développement durable de notre planète qui sont en péril. Les auteurs de la proposition déplorent que les pays en développement soient les plus durement touchés alors que leur responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre est bien moindre que celle des pays développés. C’est pourquoi la proposition salue l’accord historique signé à Paris en 2015 et appelle instamment l’Assemblée parlementaire à favoriser la mise en œuvre de ce dernier à tous les niveaux de gouvernance, notamment grâce au recensement des bonnes pratiques adoptées dans les États membres en matière de lutte contre le changement climatique.
2. Étant à l’origine de cette initiative et au vu de mes précédents travaux sur le changement climatique, j’ai été nommé rapporteur par la commission le 10 octobre 2016. La commission m’a par la même occasion désigné pour la représenter à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP22) qui s’est tenue du 7 au 18 novembre 2016 à Marrakech (Maroc), ce qui m’a permis de présenter la position de notre Assemblée lors de la réunion parlementaire organisée par l’Union interparlementaire (UIP) et le Parlement marocain durant cette conférence. J’ai profité de cette visite pour organiser des réunions de haut niveau avec les autorités marocaines et réunir des éléments pour étayer mon rapport. D’autres d’informations ont pu être recueillies lors de la réunion parlementaire et de diverses manifestations qui ont eu lieu les 12 et 13 novembre 2017 pendant la COP23 à Bonn (Allemagne).
3. Le présent rapport, qui s’appuie sur les discussions tenues au sein de la commission, sera axé sur la nécessité d’établir des partenariats étroits et pragmatiques entre pays développés et pays en développement afin d’engager des projets et d’échanger des bonnes pratiques pour répondre plus efficacement aux enjeux climatiques. Il fait le point sur les mesures de lutte contre le changement climatique adoptées par la communauté internationale sur la base de l’Accord de Paris et démontre qu’investir dans un développement plus respectueux de l’environnement et dans des politiques mondiales durables relève du bon sens économique et constitue un choix politique responsable pour l’avenir. Il passe en revue les propositions les plus récentes visant à intégrer les préoccupations liées au changement climatique dans les priorités stratégiques et examine les défis posés par la concrétisation des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris. Les perspectives se sont assombries dernièrement après l’annonce par le Président Trump du retrait des États-Unis de cet Accord.

2. L’Accord de Paris – un tremplin vers une action climatique d’envergure mondiale

4. Le compte à rebours a commencé pour notre planète. La catastrophe du changement climatique, causée par l’homme, peut encore être évitée à condition d’ouvrir les yeux sur la nécessité d’un développement plus «propre» et plus «vert». Les répercussions du dérèglement climatique qui s’observent déjà dans les écosystèmes devraient se faire sentir de nombreuses décennies durant. Une action immédiate s’impose donc à l’échelle planétaire. Tous ensemble, nous pouvons échapper à la tempête, mais si nous échouons, c’est toute l’humanité qui sombrera. En 1997, le Protocole de Kyoto a été un premier pas dans la bonne direction pour les 40 pays signataires. Grâce à l’Accord de Paris signé en décembre 2015, ce sont désormais 195 signataires qui se sont engagés à agir (174 pays ont ratifié le traité avant février 2018 
			(2) 
			Parmi les États membres
du Conseil de l’Europe, les États ci-après ont signé mais pas encore
ratifié l’Accord de Paris: la Fédération de Russie, Saint-Marin
et la Turquie.; par conséquent, même avec le retrait des États-Unis, plus de 70 % des émissions mondiales sont couvertes). Alors que le processus de Kyoto définissait une approche «du sommet vers la base», l’Accord de Paris préconise une approche «de la base vers le sommet».
5. Ayant acté le principe d’une responsabilité commune mais différenciée et forts de la promesse d’un investissement de $US 100 milliards dans le Fonds vert pour le climat pour la mise en place de politiques d’adaptation, nous devons encore accroître la solidarité de fait entre pays développés et pays en développement pour assurer les échanges de savoir-faire. Si nous voulons faire de l’Accord de Paris un instrument vivant et préserver notre planète du réchauffement en faisant en sorte de ne pas consommer plus de ressources qu’elle ne peut en produire, il nous faudra établir des partenariats solides entre pouvoirs publics et secteur privé à tous les niveaux. Les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites pour limiter l’augmentation des températures à 2°C d’ici à 2050. Dans l’idéal, il faudrait que les objectifs nationaux et mondiaux en matière d’émissions nous permettent d’atteindre une augmentation maximale de 1,8°C.
6. Le Conseil de l’Europe se fait avec l’Union européenne le défenseur des efforts européens de lutte contre le changement climatique. Son Assemblée parlementaire a suivi les négociateurs de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de Kyoto à Paris en publiant de nombreux rapports et déclarations sur le climat, l’eau et la sécurité alimentaire, les nouveaux Objectifs de développement durable, la diversification de l’énergie et les énergies fossiles non conventionnelles, les implications des nanotechnologies pour la santé publique et l’environnement 
			(3) 
			Résolution 1976 (2014) «Le changement climatique: un cadre pour un accord mondial
en 2015» (rapporteur: M. John Prescott, Royaume-Uni, SOC); Résolution 1977 (2014) sur la diversification de l’énergie en tant que contribution fondamentale
au développement durable (rapporteure: Mme Doris
Barnett, Allemagne, SOC); Résolution 1975 (2014) «Intensifier les efforts de lutte contre les inégalités
au niveau mondial: la contribution de l’Europe au processus des Objectifs
du millénaire pour le développement (OMD)» (rapporteur: Sir Alan
Meale, Royaume-Uni, SOC); Résolution 1957 (2013) «La sécurité alimentaire, un défi permanent qui nous
concerne tous» (rapporteur: M. Fernand Boden, Luxembourg, PPE/DC); Recommandation 2017 (2013) «Nanotechnologie: la mise en balance des avantages et des
risques pour la santé publique et l’environnement» (rapporteur:
M. Valeriy Sudarenkov, Fédération de Russie, SOC); Résolution 2085 (2016) «Les habitants de régions frontalières de l’Azerbaïdjan
sont délibérément privés d’eau (rapporteure: Mme Milica
Marković, Bosnie-Herzégovine, SOC); Résolution 2140 (2016) sur l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures
non conventionnels en Europe (rapporteur: M. Geraint Davies, Royaume-Uni,
SOC); Résolution 2152 (2017) sur «les accords commerciaux de «nouvelle génération»
et leurs implications pour les droits sociaux, la santé publique
et le développement durable (rapporteur: M. Geraint Davies, Royaume-Uni,
SOC)., pour ne citer que quelques-uns des points saillants examinés en ayant à l’esprit les impératifs climatiques.
7. En notre qualité de parlementaires engagés au nom du Conseil de l’Europe, nous avons le devoir de plaider en faveur du développement durable, seule voie possible pour prévenir des violations des droits de l’homme (et en particulier les droits à la vie, à l’eau, à l’alimentation et à l’hébergement) dues à des catastrophes climatiques. Le coût des événements climatiques extrêmes ne cesse d’augmenter, tout comme celui de l’inaction. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, la note s’élevait entre 1980 et 2013 à € 400 milliards dans l’ensemble de l’Europe. Elle est passée de € 7,6 milliards par an dans les années 1980 à € 13,7 milliards par an dans les années 2000 
			(4) 
			«Le changement climatique
présente des risques de plus en plus graves pour les écosystèmes,
la santé humaine et l’économie en Europe», Agence européenne pour
l’environnement, 2017.. Dans le contexte actuel, l’Europe est particulièrement bien placée pour jouer un rôle de chef de file mondial en matière de climat, tout particulièrement si elle forge une alliance verte avec des acteurs de premier plan comme la Chine.

3. Enseignements tirés de la COP22 (Marrakech (Maroc), 7-18 novembre 2016): coopération et efficacité des politiques pour faire face au changement climatique

8. Notre climat se réchauffant à un rythme alarmant et sans précédent, il est de notre devoir de réagir. Un engagement politique au plus haut niveau est aussi urgent qu’impératif pour lutter contre ce phénomène, comme l’a reconnu la Proclamation d’action de Marrakech approuvée en novembre 2016, un an après la conclusion de l’Accord de Paris 
			(5) 
			<a href='https://unfccc.int/files/meetings/marrakech_nov_2016/application/pdf/marrakech_action_proclamation.pdf'>Proclamation
de Marrakech pour l’action en faveur de notre climat et le développement
durable</a>.. Les modalités d’application des mesures proposées par ledit accord, entré en vigueur le 4 novembre 2016, restent à définir. Comme cela a été décidé lors de la COP22, ce processus – dont les législateurs sont les principaux artisans – devrait aboutir d’ici fin 2018. Une feuille de route sur cinq ans, destinée à évaluer les politiques nationales pour déterminer si celles-ci vont dans le sens des objectifs nationaux, doit être approuvée dans chacun des pays signataires. Il sera ainsi possible de suivre l’avancement de la mise en œuvre des engagements souscrits dans le cadre de l’Accord de Paris.
9. La réalisation des objectifs passe par la coopération entre pays développés et pays en développement. La COP22 a mis en lumière certains désaccords quant aux actions à entreprendre, les pays en développement étant davantage attachés à l’adaptabilité et à la résilience tandis que les pays développés privilégiaient les objectifs en matière d’émissions. Cette absence de consensus tend à pénaliser les populations les plus vulnérables qui sont les premières à souffrir du réchauffement climatique. Selon l’économiste français Thomas Piketty, la tendance au creusement des inégalités sera exacerbée par les mesures d’atténuation des effets du changement climatique et les efforts d’adaptation. C’est pourquoi les politiques en matière de durabilité proposées à Paris doivent être coordonnées au niveau national en gardant à l’esprit le principe des responsabilités communes mais différenciées, ainsi que la nécessité d’une solidarité accrue envers les pays les plus exposés.
10. L’agriculture durable et l’adaptation au changement climatique ont été les thèmes majeurs de la COP22. Diverses mesures touchant à la sécurité alimentaire ont été examinées: celle-ci deviendra en effet – réchauffement climatique oblige – un enjeu crucial pour les populations vivant dans des régions sujettes à la sécheresse. Les pays en développement doivent attirer des investissements étrangers pour pouvoir s’adapter aux effets du réchauffement climatique sur leur agriculture et continuer de jouer un rôle à part entière dans la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
11. Une agriculture durable suppose un usage plus parcimonieux et rationnel des ressources. Les meilleures ressources et énergies sont celles que l’on ne consomme pas. Une étude réalisée par l’Université de Hull 
			(6) 
			“Economic
and environmental impact of irrigation system: A case study of Souss-Massa-Draa
region in Morocco”, Université de Hull, Institut de logistique,
2016. montre les multiples contributions potentielles des nouvelles technologies à une utilisation plus rationnelle de l’eau et de l’énergie dans le secteur agricole. D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 70 % de la consommation d’eau douce dans le monde sont imputables à l’agriculture. En outre, d’ici 2030, l’agriculture mondiale pourrait devoir produire jusqu’à 50 % de vivres supplémentaires selon les régions, ce qui représente un défi de taille. Dans les régions arides, la pénurie d’eau est d’ores et déjà préoccupante, y compris pour la consommation des ménages. La transition vers une agriculture durable grâce à la modernisation des systèmes d’approvisionnement en eau et à une irrigation plus efficace pourrait permettre d’économiser jusqu’à 40 % d’eau par rapport aux modes d’utilisation traditionnels. Elle contribuerait aussi à réduire les émissions de carbone et les ponctions dans les aquifères extrêmement précieux des régions arides. Le financement vert devrait permettre aux pays en développement d’écologiser leur économie et de renforcer leur capacité d’adaptation 
			(7) 
			«Accord de Paris et
conférence de Marrakech sur le changement climatique», bibliothèque
de la Chambre des Communes, Elena Ares.. En plus d’ouvrir d’immenses perspectives économiques pour le développement durable, cette transition favoriserait la création d’emplois qualifiés et renforcerait la lutte contre la pauvreté.
12. S’agissant de l’adoption de politiques de «décarbonation», il ne faut pas oublier que les émissions de dioxyde de carbone ne constituent qu’une fraction de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, sur une période de référence de 20 ans, le potentiel de réchauffement planétaire du méthane est 86 fois supérieur à celui du CO2. L’élevage représente quant à lui près de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, principalement sous forme de méthane. Cet aspect souvent ignoré doit être dûment pris en compte dans l’optique d’une transition vers un développement écologique. Au total, les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine sont de sept types (CO2, CH4, N2O, HFC, PCF, SF6, NF3). C’est le CO2 qui a le plus faible potentiel de réchauffement planétaire mais c’est aussi lui qui a le plus contribué au réchauffement de la planète depuis 1750 
			(8) 
			«Chiffres
clés du climat France et Monde», édition 2016, Institut de l’Économie
pour le climat, Observatoire national sur les effets du réchauffement
climatique et ministère français de l’Écologie, du Développement
durable et de l’Énergie..

4. Partenariat de Marrakech pour l’Action climatique globale, à travers l’investissement et le renforcement de l’engagement de toutes les parties prenantes

13. D’après le Secrétaire exécutif de la CCNUCC, le mouvement collectif amorcé avec l’Accord de Paris sera déterminant pour assurer l’irréversibilité de la dynamique et un avenir durable pour tous. Dans le cadre de l’Accord de Paris, ce ne sont pas seulement les États, mais aussi les autorités régionales et les entreprises privées qui se disent prêtes à s’engager et à agir en faveur d’un développement durable et respectueux de l’environnement. C’est dans cet esprit que le Partenariat de Marrakech pour l’Action climatique globale («le Partenariat de Marrakech») a été lancé lors de la COP22. Conçu pour asseoir solidement le processus de la CCNUCC, il a pour but de catalyser et de soutenir l’action des États parties et non parties entre 2017 et 2020 en appliquant les mesures définies lors de la COP21 à Paris. Le Partenariat de Marrakech entend mobiliser des acteurs de tous bords et encourage à cet effet la coopération volontaire, y compris de la société civile, du secteur privé, des institutions financières, des villes et autres autorités infranationales, des communautés locales et de l’ensemble de la population.
14. Il faut impérativement que les gouvernements travaillent avec les principaux acteurs financiers, banques de développement et organismes privés pour réunir les financements nécessaires à la transition vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone et résistant au changement climatique. Sans appuis financiers soutenant des objectifs de développement durable, les objectifs de l’Accord de Paris ne pourront être atteints dans les délais voulus. C’est pourquoi il faut en particulier encourager les partenariats d’investissement public-privé. Le domaine des énergies renouvelables est un bon exemple de secteur dans lequel ces partenariats peuvent être bénéfiques pour les deux parties et servir la cause du climat. Alors que de nombreux pays européens ont déjà entamé leur transition vers des énergies plus propres, les entreprises privées pourraient se positionner comme des facilitateurs industriels de la transition énergétique sur tout le continent et dans les régions voisines.
15. Les partenariats public-privé ne donneront pas leur pleine mesure sans synergies avec les universités, les centres de recherche et la société civile. La transmission de données et de savoir-faire à l’échelle européenne devrait stimuler la recherche de nouvelles solutions durables. Il faudrait également s’intéresser davantage aux actions citoyennes. Pour atteindre les objectifs fixés à Paris, il faut que les États établissent un cadre mondial et que les citoyens d’Europe et du monde entier se comportent en acteurs conscients, éclairés et solidaires de ces efforts titanesques. Les organisations non gouvernementales (ONG) et les pouvoirs locaux permettront quant à eux d’agir en faveur de la durabilité aux niveaux régional ou urbain. L’Agenda 21, plan d’action global des Nations Unies lancé lors du Sommet de la Terre en 1992, reste un outil précieux non seulement pour les organisations multilatérales et les gouvernements à travers le monde, mais également pour les ONG et les autorités locales. Le Partenariat de Marrakech pour l’action climatique globale a mis en place une plate-forme structurée et cohérente destinée à accélérer ce processus planétaire qui s’impose de toute urgence.
16. Le degré de partenariat civique et régional entre les pays/régions développés et les pays/régions en développement reflète l’Accord de Kyoto comme cadre de référence et l’Accord de Paris, avec des engagements nationaux envers des objectifs au niveau national. Une telle coopération est un grand pas en avant quant à la réduction des émissions de carbone au niveau régional. Un exemple particulièrement frappant de cette coopération est l’université de Hull (Royaume-Uni), qui a des projets concrets pour un développement à l’échelle régionale par le biais d’accords entre les régions du Humber (Royaume-Uni), du Maroc et du Ghana. En fait, l’université de Hull a créé un nouvel Institut pour l’énergie et l’environnement en vue de développer cette approche innovante de partenariat régional entre une région du Maroc et le Ghana dans le cadre de l’Accord estuarien.

5. Modèles estuariens et urbains: avantages du développement durable et d’une économie à faible production de carbone pour le climat

17. Après un XIXe siècle tout entier voué à l’accélération de la production par l’industrialisation et une économie du XXe siècle basée sur la consommation, l’enjeu au XXIe siècle est d’assurer la durabilité de l’économie. Un développement plus respectueux de l’environnement n’est pas nécessairement incompatible avec un développement économique: il peut même le favoriser et présenter des avantages substantiels pour la société à moyen et à long terme. En effet, selon le Global Footprint Network, 48 pays ont réussi à maintenir la croissance de leur produit intérieur brut (PIB) tout en diminuant leur empreinte écologique entre 2000 et 2013, alors qu’à l’échelle planétaire, le déficit écologique ne cesse de se creuser depuis 1971. Cette croissance durable repose avant tout sur une économie sobre en carbone, des énergies renouvelables, une utilisation rationnelle des ressources (combinée au recyclage des déchets) et des circuits courts. Divers modèles économiques peuvent s’appliquer en fonction de la situation géographique et économique. Des modèles estuariens et urbains sont présentés ici pour illustrer l’énorme potentiel du développement vert, à la fois pour les populations locales et pour le climat.

5.1. Le modèle de l’estuaire du Humber

18. L’estuaire du Humber est un exemple instructif de développement respectueux de l’environnement. Le Humber est une région du nord-est du Royaume-Uni comptant près d’un million d’habitants, dont l’économie génère annuellement quelque £ 14 milliards. Une étude réalisée en 2009 
			(9) 
			«The Economics of Low
Carbon cities: A Mini-Stern Review for the Humber”, Anny Gouldson,
Niall Kerr, Corrado Topi, Ellie Dawkins, Johan Kuylenstierna et
Richard Pearce, Centre for Low Carbon Futures. a montré qu’il était possible d’arriver à une baisse de 30 % des émissions de carbone du Humber sur la période 1990-2022 grâce à des investissements rentables ou neutres en termes de coûts. Une modernisation conduisant à la mise en place d’une économie à faibles émissions de CO2 peut considérablement réduire la consommation énergétique et l’empreinte carbone tout en créant des emplois dans de nouveaux secteurs d’activité. Il est également ressorti de l’étude que les solutions technologiques et comportementales existantes permettaient une décarbonation à l’échelle régionale. Par ailleurs, au niveau mondial, le poids économique des secteurs des biens et services environnementaux et à faibles émissions de carbone est estimé à £ 3 200 milliards par an; il est en augmentation constante, preuve de l’attractivité de ce secteur pour les investisseurs privés.
19. La clé de ce développement à faibles émissions de carbone à l’échelle régionale est la production d’énergies renouvelables, solution à la fois techniquement réalisable et économiquement intéressante. Elle permet une diminution progressive de la dépendance aux énergies fossiles, une réduction importante des polluants et des émissions de gaz à effet de serre et, dernier point mais non des moindres, la création de nouveaux emplois d’avenir. Dans le cas du Humber, c’est l’énergie éolienne qui a été choisie et des turbines ont été installées sur la côte et en mer. La région compte trois des plus vastes parcs éoliens au monde et ses industries travaillent à la mise au point de turbines à haut rendement. L’énergie solaire demeure elle aussi une option à approfondir dans les régions ensoleillées, grâce aux progrès technologiques considérables accomplis ces dernières années (même si des efforts supplémentaires sont nécessaires pour le recyclage du matériel usagé).
20. Ce cas particulier est également un exemple de partenariat civique entre le Maroc et l’estuaire d’Humber, qui produit 20% de l’électricité du Royaume-Uni dans l’une des zones les plus grandes d’Europe en ce qui concerne la production de carbone. Ce défi a conduit l’estuaire d’Humber à mettre en place un partenariat civique qui contribue à l’objectif fixé au Royaume-Uni par l’Accord de Paris de réduire les émissions de carbone de 80% d’ici 2050. Des accords de partenariat civique sont en cours avec des régions au Ghana et au Maroc. Mais plus important encore, ce modèle a reçu le soutien de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, qui a piloté l’action de la communauté internationale sur les objectifs du Millénaire pour le développement dans le domaine du partenariat.
21. Les estuaires jouent depuis longtemps un rôle central dans la vie économique de tous les grands pays côtiers et maritimes. Leurs ports, villes et industries en font des pôles de développement à part entière, mais ce sont également des couloirs de transport essentiels entre pays ou régions d’un même pays. Reliant les bassins hydrographiques aux mers, ils sont également indispensables à la faune. Il en découle que le développement des estuaires doit répondre au double défi de protéger les espèces sauvages tout en permettant une croissance économique et en apportant des bénéfices pour la société. Les estuaires peuvent être à la fois des sources d’émissions de carbone (par les transports, les zones urbaines et l’industrie) et des puits de carbone. La perte de zones humides naturelles réduit la capacité de piégeage du carbone, d’où la nécessité de les protéger tout particulièrement. Les usages des estuaires doivent avant tout et surtout être durables pour résister aux sources de stress liées au développement. C’est pourquoi il nous faut des modèles de gestion reposant sur ce que l’on pourrait appeler une approche intégrée «carbone/couloirs/connectivité».

5.2. Le(s) modèle(s) et enjeux urbains

22. Les citadins tendant à devenir majoritaires dans la population mondiale, il est désormais indispensable de concevoir un modèle de développement urbain écologique qui permette de faire face au changement climatique et à la pollution. Cela dit, pour réussir la transition environnementale, la gestion des villes doit être axée sur la résilience car une amélioration de la capacité d’adaptation des villes peut réduire considérablement leur vulnérabilité aux aléas climatiques et leur empreinte environnementale. Cette capacité d’adaptation repose sur les savoir-faire, les technologies et infrastructures modernes, les ressources économiques et l’efficacité des institutions. Certaines municipalités ambitieuses comme Séoul et Oslo mènent déjà des campagnes zéro émission; la capitale norvégienne vise d’ailleurs à atteindre cet objectif dans moins d’une décennie.
23. En Europe, l’adaptation des villes au réchauffement climatique concerne tous les niveaux de gouvernement. Tandis que les communes et les collectivités locales axent leurs efforts sur la mise en œuvre de mesures d’adaptation à l’échelle du territoire, les autorités nationales et européennes ont un rôle de soutien à jouer 
			(10) 
			«Urban adaptation to
climate change in Europe», Rapport de l’Agence européenne pour l’environnement,
2012.. Lorsque les États-nations se montrent inefficaces ou lents à réagir face aux impératifs environnementaux, les villes doivent affirmer leur droit et leur responsabilité d’instaurer un monde plus durable 
			(11) 
			«How
to fix climate change: put cities not countries in charge», article
de Benjamin Barber, The Guardian, 7 mai 2017. . Les municipalités peuvent lancer des projets véritablement innovants, par exemple pour faciliter la multiplication des flottes de véhicules électriques, l’investissement dans les infrastructures vertes et la modernisation de l’habitat urbain. Une coordination horizontale entre différents secteurs devrait amplifier la portée des mesures adoptées.
24. Comme les modèles estuariens, les modèles urbains mis en place dans les pays développés pourraient aussi être testés comme modèles pilotes dans les pays en développement. Les progrès de la technologie, mais aussi l’amélioration de l’efficacité énergétique, permettront d’assurer un développement économique moins vorace en ressources. La même remarque vaut pour les circuits courts: le transport des marchandises et des ressources (dont l’énergie) ayant un coût à la fois économique et environnemental, ces modes d’approvisionnement revêtiront une importance cruciale pour asseoir la durabilité. Le dernier levier est l’économie circulaire, qui devrait progressivement prendre le pas sur le statu quo pour réduire les déchets et compenser l’épuisement des ressources non renouvelables. Cette transition vers plus de durabilité doit s’appuyer sur une réduction de la consommation d’énergie et une orientation stratégique vers un recours accru aux énergies renouvelables. La croissance démographique en Europe et dans le monde nécessite plus que jamais une utilisation efficace et raisonnée de l’énergie et des ressources.
25. En Chine, l’étalement urbain a longtemps été assimilé à un cauchemar écologique accompagné d’une pollution massive: en l’espace de deux décennies, de 1991 à 2012, la population urbaine a doublé, atteignant 53 % de la population totale; en 2014, les valeurs limites fixées pour les polluants de l’air n’étaient respectées que dans huit des 74 plus grandes villes. Cette situation a eu pour corollaire une explosion des problèmes de santé au sein de la population. Les choses pourraient toutefois être en train de changer. Les autorités centrales chinoises expérimentent en effet activement un concept global d’écocité, comme à Guiyang, ville que j’ai eu l’occasion de visiter récemment. Pas moins de 280 villes affichent leur ambition de poursuivre leur transformation urbaine en s’appuyant sur les transports et les bâtiments verts, de grands espaces végétalisés, une gestion et un recyclage intelligents des déchets, la préservation de l’eau et le recours massif aux sources d’énergie renouvelables (pour les besoins des secteurs résidentiel et tertiaire). Si ce concept vert de développement urbain est à la hauteur des attentes, il pourrait devenir une référence mondiale en matière d’excellence verte urbaine 
			(12) 
			The Online Journal of the China Policy Institute,
26 juin 2017, Nottingham, Royaume-Uni. .
26. En outre, la Chine ne perd pas de vue les objectifs de l’Accord de Paris et développe sa stratégie sous-régionale d’une «nouvelle route de la soie» en tissant une nouvelle filière d’éco-investissement à grande échelle porteuse d’activités pour les entreprises européennes et chinoises dans les zones urbaines et rurales de l’Asie du sud-est. L’initiative chinoise «Belt and Road» (la Ceinture et la Route) qui s’étend sur quelque 11 000 kilomètres englobe 60 pays et relie la région Asie-Pacifique et les économies européennes. Ses grands axes sont la coordination des politiques, la connectivité des installations, le commerce sans entrave et l’intégration financière. Elle applique aux considérations écologiques le principe de consultations élargies et de bénéfices partagés. Les «couloirs de croissance» se développent également en Europe avec le concept d’«autoroute de la mer» au sein de l’Union européenne et le corridor reliant l’Irlande à l’Europe continentale via le Royaume-Uni.

6. Les nations européennes ensemble face au changement climatique

27. Le développement durable est une stratégie à long terme et de grande envergure pour le futur que nous souhaitons. Les nouveaux Objectifs de développement durable fixés par la communauté internationale en 2015 sont limpides: ils incitent à lutter contre le changement climatique dans le cadre d’une vision globale de l’avenir de l’humanité pour les prochaines décennies. Le changement climatique trouve ses causes profondes dans l’expansion industrielle des pays développés qui négligent depuis trop longtemps l’environnement. Les régions du sud et du sud-est de l’Europe sont particulièrement vulnérables et ont besoin d’une intervention rapide 
			(13) 
			«Le
changement climatique présente des risques de plus en plus graves
pour les écosystèmes, la santé humaine et l’économie en Europe»,
Agence européenne pour l’environnement, 2017.. Il faudra cependant attendre avant de pouvoir constater les résultats des solutions mises en œuvre aujourd’hui, raison pour laquelle les objectifs de développement durable ont besoin d’un appui politique solide et constant. Il faut que les nations européennes relèvent ensemble le défi du changement climatique, qu’elles fassent ou non partie de l’Union européenne.
28. Le Brexit sème une confusion inutile. Toutefois, le Royaume-Uni quitte l’Union européenne et non l’Europe. La politique climatique britannique est à ce point imbriquée dans le droit environnemental communautaire que négocier de nouvelles formes de relations commerciales amènerait inévitablement la question suivante: faut-il se conformer aux normes en vigueur ou chercher à adopter des mesures équivalentes aux normes environnementales de l’Union européenne en général et aux objectifs climatiques en particulier? La décision de quitter l’Union européenne pourrait compromettre la stabilité des politiques du Royaume-Uni et remettre en cause ses engagements sur la question du changement climatique au niveau européen et mondial. Le Brexit pourrait avoir des conséquences graves sur l’environnement, non seulement au Royaume-Uni, mais plus généralement en Europe 
			(14) 
			«Brexit: l’environnement
et le changement climatique», Chambre des Lords, Commission sur
l’Union européenne, 12e rapport de la
session 2016-17 (document 109).. Dans de nombreux domaines comme la protection des espèces ou la qualité de l’eau et de l’air, l’avenir des Européens et celui des Britanniques sont liés.
29. Selon la Chambre des Lords, il est impératif que le Royaume-Uni et l’Union européenne poursuivent leur coopération pour protéger l’environnement européen commun. L’environnement n’a pas été le thème principal de la campagne de référendum sur le Brexit mais 80 % des Britanniques sont en faveur d’un niveau égal – voire supérieur – de protection de l’environnement que celui requis par le droit de l’Union européenne. C’est pourquoi le gouvernement britannique n’aura pas de répit et devra rapidement définir des priorités en matière d’environnement et de climat. Au-delà de la législation environnementale nationale, une coopération entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale est absolument indispensable.
30. L’intégration du développement durable et de la capacité d’adaptation au changement climatique dans les politiques nationales à travers le droit européen est un défi de taille. Outre les critères politiques de l’Union européenne en matière de climat 
			(15) 
			Le paquet de mesures
2020 pour le climat et l’énergie vise à réduire les émissions de
gaz à effet de serre de 20 % (par rapport aux niveaux de 1990),
à augmenter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la production
d’énergie et à améliorer l’efficacité énergétique de 20 %. Le cadre
pour le climat et l’énergie à l’horizon 2030 met ces objectifs à
40 %, 27 % et 27 % respectivement., les instruments du Conseil de l’Europe – dont la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163, «la Charte») – et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») sont applicables à la défense du climat 
			(16) 
			«Manuel sur les droits
de l’Homme et l’environnement», Conseil de l’Europe, 2e édition,
2012.. La Cour a jugé que le droit à la vie (article 2 de la Convention) couvrait les risques environnementaux menaçant la sécurité humaine et que l’article 8 qui consacre le droit à la vie privée était lui aussi applicable dans certains cas. De plus, l’article 11 de la Charte prévoit le droit à la protection d’un environnement sain dans le cadre du droit à la protection de la santé. Même si ces outils n’ont pas été initialement conçus pour la protection de l’environnement, ils peuvent être invoqués pour protéger des droits individuels susceptibles d’être affectés par l’environnement et, par extension, par des catastrophes climatiques.
31. La conclusion d’alliances pour la protection du climat entre les États, les collectivités locales et les villes peut venir compléter utilement les actions menées au niveau européen. L’objectif consiste à renforcer la cohérence des politiques pour lutter contre le changement climatique dans différents domaines d’action et à différents niveaux de gouvernement. Ceci vaut tout particulièrement pour les problèmes de pollution qui débordent les frontières nationales et ont des répercussions sur le climat et la santé publique. Les réglementations européennes en matière de qualité de l’air, comme celles établies par la législation de l’Union européenne, présentent des avantages évidents par rapport aux efforts déployés isolément par les pays dans le but de juguler la pollution 
			(17) 
			La commission prépare
actuellement un rapport pour l’Assemblée sur le thème «Qualité de
l’air et émissions des moteurs diesel dans les centres urbains»
(rapporteur: M. Serhii Kiral, Ukraine, CE). . Plus la coopération sera étendue, plus les résultats seront tangibles.

7. Actions en justice dans le monde relatives au changement climatique

32. Il est communément admis aujourd’hui qu’un État peut être poursuivi par des citoyens pour manquement à ses obligations. Plusieurs États ont ainsi été traduits en justice pour n’avoir pas protégé l’environnement de manière adéquate ou pour avoir mis en œuvre des politiques publiques dont l’efficacité était jugée insuffisante. Les États ont désormais aussi une responsabilité dans le changement climatique. Bien que la toute première action en justice relative à des questions climatiques remonte à 1994, c’est en 2015 qu’un jalon a été posé en Europe avec une affaire directement liée au changement climatique (affaire climat Urgenda). Dans ce dossier, qui opposait quelque 900 citoyens néerlandais à leur gouvernement, le tribunal a donné raison aux plaignants, ordonnant à l’État d’adopter des mesures pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici 2020, alors qu’une baisse de 17 % au mieux était prévue (l’État a toutefois fait appel du verdict; la procédure est en cours).
33. La même année en Allemagne, des associations environnementales ont poursuivi l’État car il n’était pas parvenu à ramener les concentrations de polluants atmosphériques en-dessous des seuils autorisés. En 2015-2016, la Cour suprême britannique, saisie par des citoyens, a jugé que l’État ne respectait pas la directive (de l’Union européenne) sur la qualité de l’air car il n’avait pas pris des mesures immédiates pour ramener les émissions d’oxyde d’azote (N2O) à un niveau conforme aux normes européennes. Dans ces deux affaires, les griefs des citoyens concernaient principalement des gaz qui sont à la fois des polluants et des gaz à effet de serre contribuant au réchauffement climatique.
34. Suite à des incendies meurtriers qui ont dévasté leur pays à l’été 2017, des enfants portugais ont décidé de porter plainte contre les États membres du Conseil de l’Europe, estimant que ces derniers, qui représentent collectivement près de 15 % des émissions mondiales, n’avaient pas pris de mesures suffisamment vigoureuses pour mettre un terme au changement climatique à l’origine de ces gigantesques incendies et avaient donc une responsabilité dans ces événements. Les requérants, représentés par des avocats spécialistes du droit de l’environnement et l’ONG britannique Global Legal Action Network, sont déterminés à agir en tant que représentants des générations actuelles et futures.
35. En France, l’association «Notre affaire à tous» milite pour une plus grande justice climatique et déplore le manque d’ambition des politiques menées par les autorités françaises pour lutter contre le changement climatique malgré le lancement officiel d’un grand paquet de mesures «énergie-climat» à l’été 2017. Elle considère que les mesures et l’investissement public actuellement prévus ne suffiront pas pour réduire les émissions de manière substantielle à court terme. En marge du «One Planet Summit» (organisé juste après la réunion de la COP23 à Bonn), l’association a accentué la pression sur le gouvernement et pourrait intenter une action en justice en 2018.
36. D’une manière générale, les poursuites concernant l’environnement sont en hausse à travers le monde: près de 900 actions en justice ont été engagées depuis 1994 et près d’un quart des procès qui ont eu lieu sont liés au changement climatique 
			(18) 
			«Global trends in climate
change legislation and litigation», actualisé en 2017, rapport établi
par le Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment,
le Sabin Center for Climate Change Law, l’Union interparlementaire
(UIP) et le Centre for Climate Change Economics and Policy (au sein
de l’Université de Leeds et de la London School of Economics).. Ces actions peuvent apporter de grands changements et ne devraient pas être sous-estimées par les États concernés, au premier rang desquels les États-Unis (avec plus de 600 procès). Parmi les 25 États de l’étude visés par des actions en justice relatives au climat, 14 sont des États membres du Conseil de l’Europe, ce qui représente 80 procès sur 250. Quarante-deux autres cas concernent l’Union européenne. À ce jour, 40 % des actions en justice sont menées par des entreprises qui contestent des décisions gouvernementales protégeant le climat et ayant un impact sur l’activité économique. Les gouvernements sont donc attaqués d’un côté par des sociétés qui leur reprochent d’être trop respectueux de l’environnement, et de l’autre par des ONG, des associations et des citoyens (près de 33 % des cas) qui leur reprochent de ne pas l’être assez. Il importe toutefois de noter que deux tiers des actions en justice relatives au climat ont eu une issue positive pour la planète car les tribunaux se sont prononcés en faveur d’un renforcement, ou au moins d’un maintien des réglementations en vigueur.

8. Les années à venir seront cruciales pour ramener les émissions à la baisse – observations finales

37. Selon les calculs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, les trois années à venir seront décisives pour juguler les émissions de gaz à effet de serre. Alors que les quatre dernières années (2014-2017) ont été les plus chaudes jamais enregistrées sur notre planète, les émissions de dioxyde de carbone sont restées globalement stables, ce qui laisse espérer que la courbe des émissions pourrait être inversée d’ici à 2020. De l’avis de Christiana Figueres, ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui a amené les États Parties à signer l’Accord de Paris, le défi est colossal mais pas insurmontable, car il «coïncide avec une ouverture sans précédent des gouvernements infranationaux aux États-Unis, des gouvernements à tous niveaux en dehors des États-Unis et du secteur privé en général».
38. Les conséquences de l’annonce par le gouvernement Trump du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, très critiquée, pourraient être atténuées grâce à l’action en faveur du climat des États fédérés des États-Unis et des chefs d’entreprise locaux et mondiaux, ainsi qu’aux efforts déployés massivement à tous les niveaux, partout dans le monde. Les résultats du G20 à Hambourg (7-8 juillet 2017) témoignent d’une volonté politique forte de la part des pays les plus puissants qui réaffirment leur mobilisation à grande échelle en faveur du climat et la priorité donnée aux sources d’énergie renouvelables et au développement durable. L’Union européenne, la Chine, l’Inde, la Fédération de Russie, l’Australie et beaucoup d’autres acteurs majeurs sur la scène internationale se sont engagés à poursuivre la lutte contre le changement climatique «avec ou sans les États-Unis». Lors de la COP23 à Bonn (6-17 novembre 2017), une délégation d’acteurs non fédéraux représentant l’initiative «We are still in» (nous en sommes encore) a présenté un rapport intitulé «America’s pledge» (la promesse américaine) qui explique comment cette coalition de villes, d’États et d’entreprises représentant plus de la moitié de l’économie américaine entend contribuer au respect des engagements pris par les États-Unis dans le cadre de l’Accord de Paris en intensifiant les actions en faveur du climat 
			(19) 
			Les
États-Unis se sont engagés à réduire d’ici 2025 leurs émissions
de gaz à effet de serre de 26 % à 28 % par rapport au niveau de
2005. Entre 2005 et 2015, grâce aux technologies propres et aux
projets innovants d’États, de villes et d’entreprises américaines,
les États-Unis sont parvenus à réduire leurs émissions de 11,5 %
tout en enregistrant une croissance économique de 15 % sur la même
période..
39. Dans le pire des scénarios, la décision des États-Unis pourrait entraîner une augmentation de 0,3°C de la température du globe d’ici à la fin du siècle, selon l’Organisation météorologique mondiale des Nations Unies. Dans le meilleur scénario (le plus probable), la réaction internationale pourrait se traduire par une intensification des mesures en faveur du climat dans le monde entier. Cette attitude positive émane très largement des entreprises et des collectivités locales qui font volontairement des choix d’investissements propres pour l’avenir. À titre d’exemple, en 2015 les sources d’énergies propres (comme l’éolien et le solaire) représentaient déjà plus de la moitié des nouvelles capacités de production électrique installées dans le monde (selon l’Agence internationale de l’énergie), et de nombreux pays – à l’exception des États-Unis sous le gouvernement Trump – éliminent progressivement le charbon. La balance penche désormais en faveur des stratégies d’entreprise vertes et responsables pour répondre aux attentes de la société.
40. Dans ce contexte, les arguments en faveur d’une implication parlementaire se trouvent renforcés: les élus assurent en effet le lien entre leur électorat et les instances chargées de l’élaboration des politiques, notamment par leur rôle de contrôle de l’action menée par les gouvernements pour assurer la mise en œuvre des engagements nationaux et internationaux des États, la répartition équilibrée des ressources budgétaires et la continuité des investissements à long terme destinés à garantir la prospérité des générations actuelles et futures. Il est regrettable que les délégations nationales aux réunions mondiales sur les changements climatiques («COP») comprennent rarement des parlementaires. Cela pourrait changer si les pays européens associaient systématiquement des groupes de parlementaires à leurs travaux, donnant ainsi l’exemple. C’est l’une des recommandations qui devraient être formulées dans le présent rapport.
41. Les parlementaires devraient en outre plaider en faveur de la reconstitution intégrale, en temps voulu, du Fonds vert pour le climat (mécanisme international créé par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) moyennant le versement des $US 100 milliards promis il y a des années aux pays en développement. Ce fonds est nécessaire pour aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables à conjuguer croissance et développement durable sans «réinventer la roue» et à ne pas reproduire les erreurs commises par les pays développés dans le passé. Chaque pays rencontre des difficultés spécifiques mais de taille pour tenir les engagements pris en faveur du climat et du développement durable dans le cadre de l’Accord de Paris et des Objectifs de développement durable. Il est temps d’appliquer concrètement le principe du «pollueur-payeur». À cet égard, les parlementaires pourraient proposer des solutions adaptées au contexte national, par exemple des taxes sur les émissions de CO2, la suppression des subventions aux énergies fossiles et une refonte des politiques de gestion des déchets.
42. Il ne nous reste plus beaucoup de temps pour définir d’ici à fin 2018 les modalités d’application de l’Accord de Paris. Il incombe aux législateurs de vérifier si la feuille de route sur cinq ans destinée à évaluer les politiques nationales en matière de climat est en bonne voie et conforme aux objectifs nationaux fixés. Ils devront également appeler à la ratification de l’Accord de Paris dans certains pays (les ratifications de trois États membres du Conseil de l’Europe demeurent en attente) et suivre les progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements pris. Au niveau européen, un soutien plus large au Système européen d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne est nécessaire: par exemple, des pays hors Union européenne pourraient rejoindre ce système comme l’a fait la Suisse 
			(20) 
			En signant
un accord formel le 23 novembre 2017, l’Union européenne et la Suisse
sont convenues d’unir leurs efforts en matière d’échange de quotas
d’émissions..
43. De plus, des efforts spécifiques seront nécessaires pour adapter le mix énergétique de chaque pays en vue d’augmenter la part des énergies renouvelables et de réduire celle des combustibles fossiles. Comme l’ont montré les rapports précédents de l’Assemblée, pour plafonner durablement les émissions globales, 80 % des ressources fossiles existantes doivent rester sous terre ou être converties pour des usages hors secteur énergétique (en tant que matières premières) dans l’industrie chimique, la construction et d’autres secteurs 
			(21) 
			Actuellement, environ
6 % des ressources fossiles sont utilisées en dehors du secteur
de l’énergie dans l’Union européenne.. Il convient également de rappeler la mise en garde relative à la production d’hydrocarbures non conventionnels, non compatible avec les objectifs climatiques et de développement durable 
			(22) 
			Voir les rapports de
l’Assemblée sur «Le changement climatique: un cadre pour un accord
mondial en 2015» (Doc. 13362, Résolution 1976 (2014)) et sur «L’exploration et l’exploitation des hydrocarbures
non conventionnels en Europe» (Doc. 14196, Résolution 2140 (2016)).. Dans une démarche audacieuse, certains pays comme la France et le Royaume-Uni ont déjà pris l’engagement prioritaire de supprimer progressivement les voitures à essence et diesel d’ici 2040, tandis que certaines grandes villes prévoient de les interdire complètement bien plus tôt.
44. Plusieurs villes européennes prennent des initiatives résolument tournées vers l’avenir en matière de développement durable et devraient être encouragées à poursuivre en ce sens: tout ce qui favorise une baisse de la pollution (mobilité, utilisation des ressources et gestion des déchets) sert également la cause mondiale du climat. Des projets d’économie circulaire peuvent ainsi être testés à l’échelon local avant d’être mis en œuvre au niveau national. De même, le modèle de développement estuarien pourrait être davantage mis en valeur dans le cadre des programmes existants d’aide au développement.
45. Pour conclure, le changement climatique est un phénomène mondial qui exige une solution globale avec des apports locaux selon le principe «penser mondialement, agir localement». La santé de notre planète est la clé de notre prospérité. Le moyen le plus sûr de pérenniser cette prospérité est le développement durable, qui doit être pris en compte à tous les niveaux de gouvernance, mais d’abord et avant tout par les collectivités locales et les villes. L’Accord de Paris incarne une solution globale pour le climat. Ce texte de référence en matière de lutte contre le changement climatique est un appel à agir à l’échelon national (et ce à tous les niveaux, du local au régional) et à l’échelle internationale. En tant que parlementaires, nous avons un devoir moral de nous mobiliser. Face à cet immense défi, notre voix est importante pour construire dès aujourd’hui un avenir plus viable pour tous.