1. Introduction
1. En septembre 2012, le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, a
publié son Carnet des droits de l’homme sur les droits des personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) en Europe, dans
lequel il parlait d’une autre génération perdue de PDI qui luttent
pour surmonter, dans de nombreux pays européens, les conséquences
des crises militaires et politiques passées, souvent pendant des
décennies. Plus de cinq ans plus tard, la situation s’est dramatiquement
aggravée et la guerre qui fait rage dans l’est de l’Ukraine a fait
passer le nombre de PDI dans les États membres à plus de quatre
millions de personnes. Face à cette immense tragédie humaine, il
est grand temps que les gouvernements, les parlements et la société
civile en Europe répondent aux besoins humanitaires des PDI dans
le cadre d’une approche résolue et globale tant au niveau national
qu’international.
2. Il y a vingt ans, la Commission des droits de l’homme des
Nations Unies a adopté les Principes directeurs relatifs au déplacement
de personnes à l’intérieur de leur propre pays (1998). Les PDI sont
des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou
contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence
habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de
violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de
catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les
effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement
reconnues d’un État. En revanche, les réfugiés et les migrants sont
des personnes qui ont quitté leur pays d’origine. Ces Principes
directeurs contiennent un certain nombre de normes de base qui doivent
être respectées à l’échelle mondiale et dont il est question dans
le présent rapport
3. En vertu du Statut de la Cour pénale internationale, la déportation
ou le transfert forcé d’une population civile est un crime contre
l’humanité, tandis que le transfert, direct ou indirect, par une
puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le
territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou
hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population
de ce territoire, ainsi que le fait de diriger intentionnellement
des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement,
à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques,
des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés,
à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires constituent
un crime de guerre.
4. Le Centre de surveillance des déplacements internes à Genève
a estimé qu’en 2016, les conflits, la violence et les catastrophes
avaient provoqué 31,1 millions de nouveaux déplacements internes
dans le monde, ce qui équivaut à une nouvelle personne déplacée
chaque seconde. Au total, 40,3 millions de personnes vivaient en
situation de déplacement dans leur propre pays en raison des conflits
et de la violence dans le monde, ainsi que 20 autres millions du
fait de catastrophes naturelles telles que les inondations et la sécheresse
5. Comme le mentionne expressément la proposition de résolution
(
Doc. 13973) à l’origine du présent rapport, les Principes directeurs
des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur
de leur propre pays sont la référence générale principale sur la
manière de répondre aux besoins humanitaires des PDI. Par conséquent,
le présent rapport étudie des situations concrètes de PDI dans les
États membres, identifie les exemples positifs et met en valeur
les moyens d’aider les États membres à remédier aux lacunes
6. Le présent rapport porte sur l’Europe et les déplacements
internes qui relèvent de la protection des droits de l’homme garantie
par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»), en particulier le droit à la vie (article 2),
l’interdiction de la torture (article 3), le droit à la liberté
et à la sûreté (article 5), le droit au respect de la vie privée
et familiale (article 8) et la protection de la propriété (article
1 du protocole additionnel à la Convention (STE no 9)).
Les déplacements anciens datant d’avant l’adoption de la Convention
en sont donc exclus. Ceci ne signifie pas que les problèmes humanitaires
d’autres personnes sont oubliés; les PDI continuent de résider dans
leur pays d’origine et ont les mêmes droits et obligations que les autres
citoyens. Les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants ont
un statut juridique et des droits différents.
7. Ce serait surcharger le présent rapport que d’essayer de s’attaquer
aux différentes causes de déplacement interne en Europe, qui sont
pour la plupart des conflits armés. Il dépasserait également le
cadre de son mandat. Je me concentrerai par conséquent sur les besoins
humanitaires des PDI, notamment en ce qui concerne le respect des
droits fondamentaux et des droits sociaux de ces personnes, ainsi
que sur le droit international humanitaire.
8. En 2009, l’Union africaine a adopté la Convention sur la protection
et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de
Kampala), qui contient un certain nombre d’obligations légales que
ses États signataires doivent respecter. Il est regrettable qu’un
tel instrument juridique ou un traité comparable n’existe pas en
Europe et que la Convention de Kampala ait été rédigée uniquement
pour les États membres de l’Union africaine. Néanmoins, mon rapport
est guidé par l’esprit de la Convention de Kampala pour ce qui est
de l’analyse des besoins humanitaires des PDI en Europe
9. Il ne s’agit pas seulement de donner une définition étroite
de ces besoins mais il est également important d’examiner des questions
connexes telles que la souffrance causée par la disparition de membres
de la famille ou le fait d’en être séparés. Si l’on veut tirer des
enseignements de ces tragédies et relever les défis à venir dans
ce domaine, l’Europe doit accorder une plus grande attention à la
nécessité de mettre fin aux causes violentes et aux conséquences
humanitaires tragiques des déplacements internes tout en renforçant
la résilience des populations face à ces déplacements.
2. Travaux pertinents du Conseil de l’Europe
10. L’Assemblée parlementaire a
déjà abordé la question de la situation humanitaire des PDI en Europe dans
des rapports centrés sur un pays, une région ou un conflit. Le présent
rapport est le premier à rechercher une approche globale. Cela étant,
il est important de donner suite aux résolutions et recommandations antérieures
adoptées par l’Assemblée.
11. Je souhaite donc rappeler la
Résolution 2133 (2016) sur les recours juridiques contre les violations des droits
de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes, la
Résolution 1648 (2009) sur les conséquences humanitaires de la guerre entre
la Géorgie et la Russie, la
Résolution
1628 (2008) sur la situation à Chypre, la
Résolution 1416 (2005) sur le conflit du Haut-Karabakh traité par la Conférence
de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) ainsi que la
Résolution
1879 (2012) sur la situation des personnes déplacées dans le Caucase
du Nord et retournées dans la région, et enfin la
Résolution 1240 (2001) sur la situation humanitaire des réfugiés et des personnes
déplacées de Tchétchénie. Des références particulières sont faites
ci-après dans les chapitres traitant des pays respectifs.
12. Le Comité des Ministres a adopté le 5 avril 2006 sa Recommandation
Rec(2006)6 relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur
propre pays. Dans cette recommandation, qui énumère un certain nombre
de principes de base, le dernier principe (13) énonce ce qui suit:
«En vue de combler les lacunes existantes du droit international
en ce qui concerne le traitement des personnes déplacées à l’intérieur
de leur propre pays, les États membres devraient réfléchir à l’élaboration
d’instruments internationaux supplémentaires.» Il apparaît évident
que des lacunes ne doivent pas exister s’agissant de la situation humanitaire
des PDI en Europe.
13. Depuis les décisions qu’elle a prises dans l’affaire Loizidou c. Turquie depuis 1995,
la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a prononcé
plusieurs arrêts qui lui ont permis d’établir une jurisprudence claire
sur les droits fondamentaux des PDI concernant les droits de propriété
et d’autres droits. Cependant, l’exécution des jugements respectifs
est souvent retardée ou fait défaut. Or une justice différée est
une justice refusée. Les besoins humanitaires des PDI ne peuvent
pas être mis en attente. Il est donc important que tous les États
membres veillent à ce que les décisions concernant les besoins humanitaires
des PDI soient mises en œuvre rapidement et efficacement.
14. La Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163)
de 1996 contient, entre autres, le droit au logement (article 32)
et au logement familial (article 16), qui est un droit vital en
ce qui concerne les besoins humanitaires des PDI. Dans sa Résolution
CM/ResChS(2011)6 du 5 mai 2011 concernant la réclamation collective
no 52/2008 du Centre sur les droits au
logement et les expulsions (COHRE) contre la Croatie, le Comité
des Ministres a estimé que l’article 16 de la Charte impose au Gouvernement
de la Croatie des obligations à l’égard des familles qui ont clairement
exprimé leur souhait de retourner en Croatie, ou de celles pour
lesquelles l’absence d’une proposition réelle et significative de
logement ou autres formes de protection économique, juridique ou
sociale a constitué un obstacle au retour, en particulier les familles
serbes de souche, qui sont les plus nombreuses parmi les familles
affectées par la non satisfaction de leurs besoins de logement et
qui constituent un groupe particulièrement vulnérable en raison
de leur origine ethnique. Ce dernier cas concernait des réfugiés
ayant choisi de revenir en Croatie, mais les conclusions peuvent
également être appliquées aux PDI qui souhaitent retourner chez
eux dans le pays ou qui ne peuvent pas rentrer en raison d’un déplacement
interne forcé.
15. La plupart des déplacements internes de personnes en Europe
sont dus à des conflits armés, ce qui suppose la présence de groupes
armés et l’existence de trafics d’armes lourdes au profit de ces
groupes. Ces trafics perpétuent de toute évidence les souffrances
des PDI et constituent une menace grave pour leur sécurité et leur
situation humanitaire. Par conséquent, tous les États membres devraient
appliquer pleinement la Convention de 2005 relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (STCE no 198)
ainsi que la Convention pour la prévention du terrorisme (STCE no 196)
et son Protocole additionnel de 2015 (STCE no 217).
16. Outre ce travail normatif, le Conseil de l’Europe soutient
également les États membres sur le plan pratique. Par l’intermédiaire
de son Fonds pour les migrants et les réfugiés, par exemple, la
Banque de développement du Conseil de l’Europe soutient des projets
visant à fournir des abris, de la nourriture, des soins médicaux
et la sécurité personnelle des migrants et des réfugiés. Depuis
2015, environ € 24 millions ont été alloués. La Banque pourrait
soutenir des projets en faveur des PDI. Les 41 États qui ont adhéré
à la Banque en sont actionnaires et sont à ce titre éligibles à
des financements; parmi eux figurent la Bosnie-Herzégovine, Chypre,
la Géorgie et la Turquie. D’autres pays qui comptent un nombre élevé
de PDI, notamment l’Azerbaïdjan et l’Ukraine, n’en sont malheureusement
pas membres. L’adhésion à la Banque est ouverte aux États membres
et aux observateurs du Conseil de l’Europe.
17. L’accord EUR-OPA Risques majeurs est un accord partiel regroupant
25 États qui collaborent dans le domaine des grandes catastrophes
naturelles et technologiques en contribuant à l’échange de connaissances, au
développement de stratégies de prévention, à la gestion des risques,
à l’analyse post-crise et à la coopération en matière de réhabilitation.
Les États membres et non membres du Conseil de l’Europe peuvent y
adhérer, c’est pourquoi l’Algérie, le Liban et le Maroc en sont
parties prenantes. Parmi ses activités, l’on peut citer par exemple,
l’action des États membres peut être soutenue par sa bibliothèque
virtuelle sur l’assistance psychosociale après les catastrophes
ainsi que par ses politiques visant à réduire la vulnérabilité des
migrants, des réfugiés et des PDI après et pendant les catastrophes.
3. Action
pertinente d’autres organismes internationaux
3.1. Union
européenne
18. L’Union européenne est un important
donateur qui finance des projets humanitaires pour des PDI à l’intérieur
et à l’extérieur de l’Europe. La Direction générale de la coopération
internationale et du développement de la Commission européenne a
soutenu financièrement des projets humanitaires en faveur des PDI
en Ukraine. Dans le cadre du mandat du Commissaire européen chargé
de l’aide humanitaire et de la gestion des crises, le service d’aide
humanitaire et de protection civile de la Commission européenne
a contribué au Fonds d’urgence pour les secours en cas de catastrophe
de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et
du Croissant-Rouge afin d’aider les victimes des inondations qui
ont dévasté le sud de l’Albanie en 2017. Au total, 87 % du budget
annuel de l’Union européenne pour la protection civile et l’aide
humanitaire, soit 1 972 millions d’euros, ont été reversés à des
projets en faveur de personnes déplacées de force dans 56 pays du
monde
.
19. Les chiffres globaux du financement européen sont très élevés
mais certains projets élaborés spécifiquement pour des personnes
déplacées dans les États membres pourraient ne pas recevoir le soutien financier
nécessaire en raison de la situation budgétaire souvent difficile
des pays touchés par des conflits armés ou des catastrophes. Il
est donc nécessaire de continuer à se concentrer sur les besoins
humanitaires actuels des PDI en Europe et qui ont conduit à des
déplacements internes massifs de personnes.
20. Sur le plan normatif, tous les États membres de l’Union européenne
sont Parties à la Convention européenne des droits de l’homme. En
outre, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne contient
un certain nombre de droits qui peuvent être invoqués par les PDI
au sein de l’Union européenne, tels que le droit à la propriété
(article 17) et le droit à la santé (article 35).
3.2. Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe
21. L’Assemblée parlementaire de
l’OSCE a mis en place un comité ad hoc sur les migrations qui peut également
examiner les questions relatives aux PDI. En outre, des mesures
spécifiques sont prises par son Représentant spécial pour le Caucase
du Sud, qui rend régulièrement visite aux PDI. En ce qui concerne
la situation des PDI en Ukraine, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE
a adopté à Helsinki (session annuelle du 5 au 9 juillet 2015) sa
résolution sur la poursuite des violations manifestes, brutales
et non corrigées des engagements de l’OSCE et des normes internationales
par la Fédération de Russie.
22. Dans le cadre du Groupe de Minsk de l’OSCE, la France, la
Fédération de Russie et les États-Unis aident depuis 1995 l’Arménie
et l’Azerbaïdjan à œuvrer en faveur d’un règlement pacifique du
conflit qui touche le Haut-Karabakh et les districts environnants.
Un Représentant spécial du Président en exercice de l’OSCE surveille
la situation militaire le long de la ligne de contact.
23. À la demande du Gouvernement russe, l’OSCE déploie une mission
d’observation aux points de contrôle russes à Gukovo et à Donetsk,
dans l’est de l’Ukraine. Ces points de contrôle, et leurs rapports réguliers,
sont également utiles pour évaluer la situation humanitaire des
PDI.
24. La Mission de l’OSCE en Géorgie a existé de 1992 à 2008, date
à laquelle son mandat a expiré et n’a pas été prolongé en raison
du veto de la Fédération de Russie à la suite de la deuxième guerre
avec la Géorgie. Elle avait observé la situation en Ossétie du Sud
et en Abkhazie en coopération avec les Nations Unies.
25. L’OSCE a également établi une Cour de conciliation et d’arbitrage
à Genève, qui est un organe non permanent qui peut créer des commissions
de conciliation et des tribunaux arbitraux sur une base ad hoc pour le
règlement des conflits entre États participants de l’OSCE. Sa Convention,
qui a été ratifiée par 34 États, ne l’a pas été, par exemple, par
l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Fédération de Russie et la Turquie.
3.3. Les
Nations Unies
26. Suite à une initiative de la
Commission des droits de l’homme des Nations Unies en 1992, les
Nations Unies ont créé le poste de Rapporteur spécial sur les droits
de l’homme des personnes déplacées en 1994 et ont depuis renouvelé
son mandat. L’actuelle rapporteure spéciale, Mme Cecilia
Jimenez-Damary, a eu un échange de vues avec notre commission à
Paris le 20 septembre 2017.
27. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies
ainsi que de l’Assemblée générale des Nations Unies s’appliquent
de façon pertinente à la situation humanitaire des PDI en cas de
conflits spécifiques ou en général, notamment la résolution sur
la protection et l’assistance aux personnes déplacées à l’intérieur de
leur propre pays. Tous les États membres des Nations Unies sont
tenus, en vertu de l’Article 25 de la Charte des Nations Unies,
d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité,
mais le fonctionnement du Conseil de sécurité est entravé chaque
fois qu’un membre permanent est directement impliqué dans un conflit et
ne s’abstient pas de voter. Le Conseil des droits de l’homme des
Nations Unies a adopté en 2012 sa résolution sur les droits de l’homme
des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
En 1998, les Nations Unies avaient
déjà préparé leurs Principes directeurs sur le déplacement interne
. Le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR) a publié un manuel détaillé sur la
protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays
.
28. La Cour internationale de justice des Nations Unies à La Haye
peut être saisie par un État pour statuer, par exemple, sur l’application
de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale dans un territoire où un autre
État exerce une autorité de fait. Le 19 avril 2017, à la suite de
procédures judiciaires intentées par l’Ukraine contre la Fédération
de Russie
, la Cour internationale de justice
a estimé que la Fédération de Russie devait s’abstenir d’imposer
des limitations à la capacité de la communauté des Tatars de Crimée
de conserver ses instances représentatives, y compris le Majlis,
et faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue
ukrainienne
. Des procédures similaires sont pendantes
devant la Cour internationale de Justice dans l’affaire Géorgie
c. Fédération de Russie
.
29. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale indique
que le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant
ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent
légalement, sans motifs admis en droit international (Article 7)
est considéré comme un crime contre l’humanité. L’article 8 du Statut
de Rome considère que «le transfert, direct ou indirect, par une
puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le
territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur
ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la
population de ce territoire» (article 8.2.b.xiii) ainsi que «le fait
de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments
consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science
ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux
et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition
qu’ils ne soient pas des objectifs militaires» (article 8.2.b.ix)
sont un crime de guerre. Ces dispositions protègent la situation
humanitaire des PDI pendant les conflits armés.
3.4. Union
africaine
30. La Convention de l’Union africaine
pour la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention
de Kampala) de 2009 met en place un cadre juridique pour prévenir
les déplacements internes ainsi que pour protéger et aider les personnes
déplacées l’intérieur de leur propre pays dans les États membres
de l’Union africaine. Seuls les États membres de l’Union africaine
peuvent adhérer à cette convention, mais les États membres du Conseil
de l’Europe devraient adhérer aux mêmes principes fondamentaux inscrits
dans la Convention de Kampala.
31. Les articles 3 (1.g, h et i) et 7 (4 et 5) de la Convention
de Kampala semblent particulièrement pertinents pour l’Europe, en
prévoyant la responsabilité individuelle des auteurs d’actes de
déplacement arbitraire, y compris la responsabilité pénale des membres
de groupes armés qui violent les droits des PDI, la responsabilité
des acteurs non étatiques, y compris les entreprises multinationales
et entreprises militaires ou de sécurité privées, ainsi que la responsabilité
des acteurs non étatiques impliqués dans l’exploration et l’exploitation
des ressources économiques et naturelles ayant pour conséquence
des déplacements de population,.
32. Alors que des pays se sont efforcés de faire la lumière sur
l’exploitation des ressources naturelles en Afrique au lendemain
des conflits
et que partout dans le monde des
peuples autochtones sont déplacés à cause des ressources naturelles
, il ressort d’informations provenant
de médias que l’exploitation des ressources naturelles dans les
territoires touchés par les conflits a pour conséquence des déplacements internes
en Europe
.
4. Situation
des personnes déplacées en Europe
33. Le nombre de PDI dans un pays
reflète l’ampleur des besoins humanitaires. Les chiffres estimés
pour 2016 par le Centre de surveillance des déplacements internes
à Genève diffèrent en partie des chiffres fournis par les délégations
respectives auprès de l’Assemblée. Ces écarts pourraient s’expliquer
par les différents modes de calcul utilisés pour les enregistrements
de PDI et les différents systèmes de reconnaissance des PDI.
Pays
|
Chiffres
estimés par le Centre de surveillance des déplacements internes
|
Chiffres
fournis par la délégation du pays auprès de l’Assemblée
|
Azerbaïdjan
|
582 000
|
789 000
|
Bosnie-Herzégovine
|
98 000
|
Aucune réponse
|
Chypre
|
272 000
|
228 125
|
Géorgie
|
208 000
|
275 000
|
Turquie
|
1 312 000
|
0
|
Ukraine
|
1 762 000
|
1 582 565
|
TOTAL
|
4 234 000
|
|
34. En outre, le Centre de surveillance
des déplacements internes estime que 31 000 personnes ont été déplacées
en Italie suite à des catastrophes, 22 600 ont été déplacées sur
le territoire de la Fédération de Russie (19 000 suite à des conflits
et 3 600 en raison de catastrophes) et 17 000 ont été déplacées
au Kosovo*
à cause du conflit. Le nombre
de PDI est beaucoup moins élevé dans les autres pays d’Europe et principalement
lié aux catastrophes naturelles. Compte tenu du nombre de PDI en
Europe, il apparaît utile d’analyser la situation des pays concernés.
35. Mme Angela Cotroneo, Conseillère
sur les déplacements internes auprès du Comité international de
la Croix-Rouge (CICR) à Genève, a expliqué à notre commission le
20 septembre 2017 que les PDI ont des besoins et vulnérabilités
spécifiques pendant les conflits armés, notamment le besoin d’abris,
de nourriture, d’eau, de médicaments et de vêtements, et peuvent
être confrontées à des situations qui mettent leur vie en péril.
Après cette phase d’urgence, l’accès au logement, aux moyens de
subsistance et aux services de base joue un rôle important. Dans
les situations de conflit prolongé, les PDI s’installent souvent
dans des zones urbaines défavorisées, ce qui crée de nouvelles vulnérabilités.
Elles souffrent souvent de la perte de membres de leur famille et
ont donc également besoin d’aide psychologique et d’aide matérielle
pour retrouver leur famille. La responsabilité première de la protection
des PDI incombe à leurs autorités publiques ou aux autorités qui
contrôlent leur territoire. Les États devraient disposer d’une législation
garantissant les droits des PDI conformément aux normes internationales
telles que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement
de personnes à l’intérieur de leur propre pays. Les parlements sont
dans une position unique pour adopter des lois nationales, faire
figurer la situation des PDI au rang des principales priorités de
la communauté internationale, mais aussi garantir le respect du
droit international humanitaire dans les conflits armés, par exemple
en incriminant les violations graves.
4.1. Ukraine
36. L’Ukraine compte plus de 1,7
million de PDI, soit le plus grand nombre de PDI en Europe à l’heure actuelle.
Ces déplacements sont dus au conflit armé dans l’est de l’Ukraine
et à l’annexion de la péninsule de Crimée par la Fédération de Russie
en 2014. L’Assemblée a examiné la situation dans plusieurs rapports
qui ont abouti à la
Résolution
2028 (2015) sur la situation humanitaire des réfugiés et des personnes
déplacées ukrainiens, la
Résolution
2067 (2015) sur les personnes portées disparues pendant le conflit
en Ukraine, la
Résolution
2112 (2016) sur les préoccupations humanitaires concernant les personnes
capturées pendant la guerre en Ukraine, la
Résolution 2132 (2016) sur les conséquences politiques de l’agression russe
en Ukraine et la
Résolution
2133 (2016) sur les recours juridiques contre les violations des
droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes. Le dernier rapport
sur les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine (
Doc. 14463) et la
Résolution
2198 (2018) abordent également de manière détaillée la situation
humanitaire des PDI dans ce pays. Le présent rapport se concentrera
donc sur quelques aspects de la question
37. Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales a déjà constaté en 2014 que les personnes
appartenant à la minorité tatare de Crimée ont été exposées à des
risques particuliers suite à l’annexion russe de la péninsule de
Crimée. La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie par
l’Ukraine au sujet des droits des PDI dans les affaires Ukraine c. Russie (Requête no 20958/14), Ukraine c. Russie (II) (Requête
no 43800/14) et Ukraine
c. Russie (IV) (Requête no 42410/15).
38. Afin de soutenir l’Ukraine et ses PDI dans cette situation
difficile, les États membres de l’Union européenne et la Commission
européenne ont débloqué environ € 751,5 millions d’aide humanitaire
. Le Programme des Nations Unies pour
le développement y coordonne les opérations nationales et internationales de
déminage humanitaire, de sensibilisation aux risques posés par les
mines et d’aide aux victimes
. Suite aux déclarations du Premier
Représentant permanent adjoint de la Fédération de Russie auprès
du Bureau des Nations Unies dans les médias russes, le gouvernement
russe s’est opposé au déminage humanitaire jusqu’à la cessation
du conflit
.
39. Lors de l’audition organisée par notre commission le 2 juin
2017 à Paris, nous avons appris que l’accès aux soins était très
limité dans les zones de conflit situées dans l’est de l’Ukraine.
Souvent, les hommes adultes étaient capturés ou obligés de quitter
leur foyer, tandis que leurs enfants et leurs parents âgés restaient
dans la zone de conflit, soit chez eux, soit dans un autre logement
si leurs propres maisons avaient été détruites ou se trouvaient
dans la zone de combat. Ces personnes âgées ou très jeunes étaient
très dépendantes des unités de soins mobiles parce que, dans la
plupart des cas, elles ne pouvaient pas parcourir les longues distances
qui les séparaient des rares établissements de santé éloignés situés
dans les zones de conflit. Les combats en cours dans l’est de l’Ukraine
ont exposé le personnel humanitaire à de graves menaces.
40. Le conflit étant relativement récent et continu, les besoins
humanitaires des PDI sont notamment des besoins sociaux de base
tels que le logement, l’aide sociale, les soins de santé et la scolarisation
des enfants. En outre, le processus d’enregistrement des PDI est
en cours, ce qui permettra d’identifier les personnes qui peuvent
bénéficier des différents programmes sociaux.
41. S’agissant de la péninsule de Crimée annexée, la Cour internationale
de justice a estimé en 2017
que les Tatars de Crimée ont été
privés de leurs droits culturels, ce qui a entraîné de nouveaux
déplacements de ces personnes
4.2. Turquie
42. Depuis 1994, le Gouvernement
turc a mis en œuvre le projet de retour au village et de réadaptation
des PDI en Turquie. Une enquête menée par l’université Hacettepe
à Ankara a révélé qu’entre 950 000 et 1,2 million de PDI se trouvaient
en Turquie en décembre 2006
. Aujourd’hui, le Centre de surveillance
des déplacements internes à Genève recense encore quelque 1,3 million
de PDI en Turquie.
43. Dans le cadre de la loi no 5233
du 27 juillet 2004 sur l’indemnisation des pertes résultant d’actes terroristes
et les mesures prises contre le terrorisme, 105 commissions régionales
d’évaluation et d’indemnisation ont été créées et environ 731 millions
d’euros ont été octroyés à titre de compensation en 2010
.
44. S’il est difficile d’évaluer l’efficacité du programme d’indemnisation
et la situation humanitaire actuelle des PDI en Turquie, il convient
de noter que le Comité des Ministres a mis fin au contrôle de l’exécution
du jugement Doğan et autres c. Turquie (Requête
no 8803/02) parce qu’il était satisfait
du niveau d’indemnisation octroyé aux PDI. En 2011, la Cour européenne
des droits de l’homme a déclaré irrecevables plusieurs centaines
de requêtes similaires déposées par des PDI dans les affaires Akbayir et autres c. Turquie, Fidanten et autres c. Turquie, Bingölbali et autres c. Turquie et Boğus et autres c. Turquie. Toutefois,
le groupe d’affaires Erdoğan et autres
c. Turquie (Requête no 19807/92)
est toujours en instance devant le Comité des Ministres qui, en
mars 2016, a instamment demandé aux autorités turques de redoubler
d’efforts pour veiller à ce que des enquêtes effectives soient menées
conformément aux normes de la Convention afin que tous ceux qui sont
responsables des violations commises dans ces groupes d’affaires
soient tenus responsables.
45. À la suite des nouvelles opérations antiterroristes menées
par l’armée turque dans le sud-est de la Turquie, le Commissaire
aux droits de l’homme a publié en décembre 2016 un mémorandum sur
sa visite dans cette région
ainsi qu’un résumé de son intervention
en qualité de tierce partie devant la Cour européenne des droits
de l’homme
. En outre, le Haut-Commissaire des
Nations Unies aux droits de l’homme a publié en 2017 un rapport
sur le sud-est de la Turquie, d’où viennent la plupart des déplacements
internes
. Les deux rapports font état de destructions
massives de logements par des raids aériens et d’autres actions
militaires ainsi que des souffrances humaines causées par ces interventions.
Il convient bien sûr de garder à l’esprit que la situation est politiquement
difficile en Turquie depuis la tentative de coup d’état de 2016
et la situation humanitaire en Syrie
telle qu’exprimée par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans
sa Résolution 2393 (2017).
4.3. Azerbaïdjan
46. Le conflit armé qui sévit dans
le Haut-Karabakh et ses régions avoisinantes a commencé en 1992
et se poursuit malgré le cessez-le-feu
de 1994
. L’Assemblée a abordé les aspects
humanitaires du conflit dans la
Résolution 1416 (2005) et la
Résolution
2085 (2016) «Les habitants de régions frontalières de l’Azerbaïdjan sont
délibérément privés d’eau».
47. Le Centre de surveillance des déplacements internes estime
qu’il existe 582 000 PDI en Azerbaïdjan, tandis que la délégation
parlementaire de l’Azerbaïdjan auprès de l’Assemblée fait état d’un
nombre plus élevé, qui serait de 789 000 selon les registres officiels
des PDI. La délégation a informé notre commission qu’environ 50
000 familles (250 000 PDI) avaient bénéficié de nouveaux logements,
et que 151 écoles, 58 centres culturels, 59 établissements de santé
et 60 structures d’accueil pour les enfants avaient été mis à disposition. Cependant,
de nombreuses PDI vivent encore dans des bâtiments publics, des
dortoirs et d’autres installations résidentielles temporaires dotées
d’infrastructures médiocres.
48. Lors de sa réunion à Bakou les 15 et 16 mars 2017, la commission
a tenu une audition avec M. Furio De Angelis, Représentant du HCR
en Azerbaïdjan, et Mme Amanda Paul, analyste
principale des politiques, Turquie et Région Eurasie, Centre de
politique européenne. Mme Paul a informé
la commission que le retour des PDI avait été rendu difficile non
seulement par l’absence persistante de règlement politique du conflit
mais aussi par la destruction de leurs maisons. M. De Angelis a
déclaré que la loi azerbaïdjanaise de 1999 sur les personnes déplacées
et les réfugiés était conforme aux normes du HCR et que plus de
$US 6 milliards avaient été alloués aux PDI en Azerbaïdjan pour
des aides diverses allant de l’aide vitale à l’aide à l’intégration.
M. De Angelis estime que le nombre de PDI en Azerbaïdjan est d’environ
630 000, qui viennent s’ajouter aux plus de 300 000 réfugiés d’Arménie
qui ont reçu la citoyenneté azerbaïdjanaise.
49. La commission a également visité un camp de PDI situé dans
le district de Mushvigabad à Bakou. Ce camp compte 761 familles,
soit plus de 3 400 personnes. La commission a tenu un échange de
vues avec M. Ali Hasanov, vice-premier ministre, président du Comité
d’État pour les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur
du pays. Malgré les fonds fournis par les ressources pétrolières
de l’Azerbaïdjan, le fardeau financier s’est avéré trop élevé pour
fournir un logement et un bien-être à un si grand nombre de PDI.
Un soutien humanitaire international est donc également nécessaire.
50. Ce point de vue était partagé par Mme Cecilia
Jimenez-Damary, rapporteure spéciale des Nations Unies sur les droits
de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, dans le
rapport qu’elle a présenté à la commission à Paris le 20 septembre
2017. Elle a indiqué que de bonnes conditions de logement étaient offertes
en Azerbaïdjan, mais que la question des droits de propriété des
PDI est toujours problématique.
51. La Cour européenne des droits de l’homme a établi dans son
arrêt Chiragov et autres c. Arménie (Requête
no 13216/05) que l’Arménie exerce un
contrôle effectif sur le Haut-Karabakh et les territoires environnants,
que le refus de laisser les requérants accéder à leurs biens et
l’absence d’indemnisation pour cette ingérence sont injustifiés,
que le refus de les laisser accéder à leur domicile porte atteinte
à leur droit au respect de leur vie privée et familiale et que les
requérants n’ont accès à aucun recours susceptible de fournir une
réparation à cet égard, ce qui équivaut à des violations continues
de l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme, de l’article 8 et de l’article 13 de la Convention.
Le Comité des Ministres, qui examine ce jugement, a invité plusieurs
fois l’Arménie à fournir des informations sur l’exécution prévue
de cet arrêt.
52. Le Conseil de la communauté arménienne du Royaume-Uni à Londres
a récemment indiqué qu’«un nombre croissant d’Arméniens syriens
fuient l’escalade de la violence dans leur terre natale et vont
se réinstaller dans le Haut-Karabakh», où «29 familles de réfugiés,
soit environ 90 personnes, ont trouvé un nouveau foyer» dans les
environs de Lachin/Berdzor
. Si les personnes sous protection
internationale en Arménie sont effectivement transférées dans le
Haut-Karabakh, les droits au retour et à l’indemnisation des PDI
deviendront plus complexes et le droit international humanitaire
sera violé. Que l’Arménie et l’Azerbaïdjan envisagent de charger
la mission d’observation du Groupe de Minsk de l’OSCE d’assurer
le suivi de la mission d’évaluation qu’elle a réalisée en 2010 dans
les territoires touchés par le conflit constitue donc un point positif.
4.4. Chypre
53. Chypre compte un nombre important
de PDI depuis le conflit armé avec la Turquie en 1974
. Le 9 janvier 2018, le Secrétaire
général des Nations Unies a fait rapport au Conseil de sécurité
des Nations Unies sur la situation à Chypre, en particulier dans
sa zone tampon
. Le Conseil de sécurité a renouvelé
le mandat de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la
paix à Chypre par le biais de sa Résolution 2398 (2018).
54. L’Assemblée a traité ce conflit pour la dernière fois dans
sa
Résolution 1628 (2008) sur la situation à Chypre. Le Centre de surveillance
des déplacements internes à Genève estime que 272 000 PDI se trouvent dans
ce pays. Je remercie la délégation de Chypre auprès de l’Assemblée
pour ses réponses à mon questionnaire ainsi que pour ses présentations
orales lors des réunions de la commission, auxquelles ont également
participé des représentants de la communauté chypriote turque.
55. La Cour européenne des droits de l’homme a traité des requêtes
déposées par des PDI chypriotes depuis l’arrêt historique prononcé
en 1998 dans l’affaire
Loizidou c. Turquie.
En 2005, les autorités turques ont créé la Commission des biens
immobiliers pour la restitution, l’échange de biens ou l’indemnisation
des Chypriotes grecs déplacés qui ont perdu leurs biens immobiliers
dans la partie nord de Chypre. Toutefois, dans son arrêt
Chypre c. Turquie (satisfaction
équitable) du 12 mai 2014 (Requête no 25781/94),
la Cour a conclu à une violation, estimant que la Turquie avait
fait preuve de complicité en tolérant la vente ou l’exploitation illégale
de maisons et de biens chypriotes grecs dans la partie nord de Chypre.
En outre, il manque encore des informations sur le paiement de la
satisfaction équitable octroyée par la Cour pour les dommages non pécuniaires
subis par les proches des personnes disparues.
4.5. Géorgie
56. Les déplacements de personnes
à l’intérieur de Géorgie se sont produits pendant les conflits armés
en Ossétie du Sud et en Abkhazie en 1991-1992 ainsi qu’en 2008
. L’Assemblée a abordé ce conflit
et la situation humanitaire en découlant dans ses
Résolutions 1633 (2008),
1647 (2009),
1648 (2009),
1664 (2009) et
1683 (2009). La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie
et traite des conséquences humanitaires de la guerre dans l’affaire
Géorgie c. Russie (II) (Requête
no 38263/08), qui est toujours en instance.
57. L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté des résolutions
concernant la Géorgie, en particulier sur le droit au retour de
toutes les personnes déplacées et de tous les réfugiés en Géorgie
et de leurs descendants, indépendamment de leur origine ethnique
. Dans le même ordre d’idées, la Résolution
1808 (2008) du Conseil de sécurité des Nations Unies réaffirme le
droit au retour en Abkhazie (Géorgie) de tous les réfugiés et déplacés
et réaffirme que les droits de propriété individuelle n’ont pas
été affectés par le fait que les propriétaires ont dû fuir pendant
le conflit
. Le rapporteur spécial des Nations
Unies sur les droits humains des personnes déplacées à l’intérieur
de leur propre pays a présenté un rapport de sa mission en Géorgie
du 24 au 29 septembre 2016.
58. Je remercie la délégation géorgienne à l’Assemblée de m’avoir
permis d’effectuer une visite d’information à Tbilissi le 27 novembre
2017, au cours de laquelle j’ai rencontré M. Sozar Subari, ministre
des Personnes déplacées des territoires occupés à l’intérieur du
pays, du logement et des réfugiés de la Géorgie, d’autres autorités
et des parlementaires géorgiens ainsi que la Mission de surveillance
de l’Union européenne et l’équipe de pays des Nations Unies. J’ai
appris que certains des PDI en Géorgie, qui sont plus de 200 000, avaient
pu retourner chez eux en Ossétie du Sud. Cependant, la fermeture
récente des points de passage installés sur les lignes de démarcation
administrative de l’Ossétie du Sud et la suppression de la langue géorgienne
dans les écoles risquent de provoquer de nouveaux déplacements internes.
La situation des PDI d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud s’est aggravée
après que la Fédération de Russie a signé des traités avec les deux
entités de fait en 2009, qui autorisaient les militaires russes
à surveiller les lignes de démarcation de l’Abkhazie et de l’Ossétie
du Sud, y compris les eaux maritimes
59. La délégation géorgienne auprès de l’Assemblée a déclaré que
59 % des PDI ne sont pas hébergées dans le cadre du programme de
logement durable et ont donc besoin d’un soutien humanitaire. Elles
étaient en outre beaucoup plus dépendantes des prestations sociales.
60. La Géorgie a également engagé des procédures judiciaires contre
la Fédération de Russie en 2008 devant la Cour internationale de
justice
, qui a été invitée à se prononcer
sur l’application de la Convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale en Ossétie du Sud
et en Abkhazie
. Dans une affaire similaire relative
à la péninsule de Crimée annexée, la Cour internationale de Justice
a conclu en 2017 que les Tatars de Crimée avaient été privés de
leurs droits culturels au titre de la Convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
4.6. Autres
pays
61. En vertu de l’article 5 du
Statut du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes
présumées responsables de violations graves du droit international
humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis
1991 (TPIY), la déportation de civils et les persécutions pour des
raisons politiques, raciales et religieuses constitue un crime contre
l’humanité. Le TPIY a élaboré une jurisprudence sur les déplacements
forcés à cet égard
.
62. L’Observatoire des déplacements internes de Genève estime
que 98 000 personnes sont toujours déplacées en Bosnie-Herzégovine
en raison de conflits
. Malheureusement, je n’ai reçu aucune
réponse à mes questions écrites de la part de la délégation nationale
auprès de l’Assemblée. On peut néanmoins conclure que la situation
humanitaire des PDI nécessite encore d’énormes efforts de la part
des autorités nationales et de la communauté internationale. Dans
le cadre du Programme régional de logement en Bosnie-Herzégovine
, 435 logements ont été construits
pour les PDI et la construction de 1 200 autres est prévue en 2018
. En plus des PDI déplacées en raison
de conflit, quelque 90 000 personnes ont été déplacées par les fortes
précipitations et inondations qui ont touché la Bosnie-Herzégovine
en mai 2014
. Plusieurs programmes de l’Union
européenne ont permis de venir en aide aux personnes concernées
.
63. Le nombre de personnes déplacées par le conflit armé dans
l’est de la République de Moldova entre novembre 1990 et juillet
1992 est estimé à environ 130 000 personnes de la région de Transnistrie
. Selon les estimations du HCR, il
y avait 2 300 PDI en République de Moldova en 2016
. Bien qu’on ne dispose d’aucune information
sur la manière dont le grand nombre de PDI ont été indemnisées et
se sont volontairement réinstallées ailleurs, il importe de rappeler
que la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, dans son
arrêt
Ilaşcu et autres c. Moldova et
Russie (Requête no 48787/99),
que la Fédération de Russie exerce sa juridiction dans la région
de Transnistrie au sens de l’article 1 de la Convention. Récemment encore,
en 2017, le Gouvernement moldave a demandé à l’Assemblée générale
des Nations Unies le retrait des troupes russes de la région de
Transnistrie
. Dans l’arrêt
Catan
et autres c. Moldova et Russie (Requêtes nos 43370/04,
8252/05 et 18454/06), la Cour européenne a conclu que l’interdiction
de l’utilisation de l’alphabet latin à l’école dans la région de
Transnistrie, qui a favorisé le déplacement de personnes à l’intérieur
de la République de Moldova pour des raisons culturelles, constituait
une violation du droit à l’éducation.
64. La Fédération de Russie a été jugée responsable des violations
des droits humains des PDI par la Cour européenne des droits de
l’homme dans les affaires
Khamidov c.
Russie (Requête no 72118/01)
et
Aslakhanova et autres c. Russie (Requête
no 2944/06). D’autres affaires contre
la Fédération de Russie portant sur le contrôle de celle-ci sur
un territoire situé en dehors de la Fédération de Russie indiquent
que la Région militaire Sud des forces armées russes s’étend au-delà
de ses frontières pour inclure l’Arménie, l’Abkhazie et l’Ossétie
du Sud en Géorgie et la péninsule de Crimée en Ukraine
.
65. L’Italie compte environ 31 000 personnes déplacées à la suite
de catastrophes naturelles
, dont un grand nombre a été affecté
par de graves tremblements de terre. Un rapport au Parlement européen
a constaté en 2013 que les ressources financières de l’Union européenne
utilisées pour répondre aux besoins humanitaires des PDI après le
tremblement de terre qui a dévasté L’Aquila en 2009 avaient été
dépensées à mauvais escient et étaient allés en partie au crime
organisé
. Près de dix ans après le séisme,
la moitié seulement du centre de L’Aquila semble avoir été reconstruite
. Parmi les 80 000 PDI originaires
de L’Aquila, beaucoup ont emménagé dans des logements neufs, mais
y sont mécontents
. Les PDI italiens ont besoin d’une
aide internationale continue et de stratégies de résilience en prévision
de futures catastrophes naturelles
5. Enseignements
à tirer
66. Le très grand nombre de PDI
en Europe nécessite la mobilisation d’énormes moyens humanitaires
et financiers de la part des pays concernés. Les conflits qui ont
conduit à un nombre aussi considérable de PDI ont causé d’énormes
souffrances humanitaires, qui persisteront tant que les conflits
n’auront pas été réglés. Les PDI dans les zones de conflit ainsi
que les membres de leur famille qui sont restés dans ces zones sont particulièrement
vulnérables et ont besoin d’une aide humanitaire spéciale.
67. Afin d’éviter une nouvelle déstabilisation de ces pays, les
États membres du Conseil de l’Europe devraient continuer à fournir
une assistance humanitaire coordonnée aux PDI. Les résolutions de
l’Assemblée et les arrêts pertinents de la Cour européenne des droits
de l’homme doivent être mis en œuvre intégralement et sans délai
par tous les États membres. Le Comité des Ministres devrait veiller
à ce que des retards injustifiés ne se produisent pas dans l’exécution
des arrêts
68. Les décisions et les mesures prises par l’Organisation des
Nations Unies concernant les PDI en Europe devraient être soutenues
par tous les États membres. Les Principes directeurs des Nations
Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur
propre pays (1998) doivent être respectés. Les principes généraux
de la Convention de Kampala de l’Union africaine devraient être
incorporés dans le droit national et international en Europe.
69. Les travaux des organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires
et du Comité international de la Croix-Rouge devraient être facilités
et soutenus. Les États membres devraient coordonner l’aide humanitaire
bilatérale ou multilatérale qu’ils fournissent aux PDI au niveau
européen et surveiller son efficacité.
70. L’autosuffisance économique des PDI devrait être un objectif
fondamental de l’aide humanitaire mais tous les États membres se
doivent de respecter leurs droits fondamentaux. Des commissions
ou d’autres organismes nationaux pour l’indemnisation des biens
perdus devraient être créés, et des dommages-intérêts devraient
être prévus pour les pertes non pécuniaires des victimes et des
membres de leur famille ayant survécu.
71. Les PDI devraient être aidées et incluses dans les décisions
concernant leur situation humanitaire, soit devant les tribunaux,
soit lors des processus démocratiques locaux, régionaux et nationaux.
Les PDI devraient également continuer à être représentées politiquement
durant leur exil intérieur
72. Les droits sociaux et culturels des PDI doivent être respectés
conformément à la Charte sociale européenne ou à d’autres conventions
et les organes respectifs du Conseil de l’Europe devraient accorder
une attention particulière à la situation de ces personnes.
6. Futurs
enjeux
73. Nous souvenant des nombreux
cas de déplacements internes forcés de personnes dans l’histoire
de l’Europe, il convient de noter que les accords internationaux
qui ont réglé les conflits sont devenus le fondement de la réconciliation,
de la reconnaissance des droits des PDI et d’une juste indemnisation.
En l’absence de tels accords, les droits humains des PDI restent
menacés. Par conséquent, les futurs accords devraient aussi traiter
les droits de ces personnes.
74. Le droit international doit devenir le principal critère d’évaluation
de la situation humanitaire des PDI. À cet égard, les droits suivants
des PDI doivent être respectés et appliqués:
- le droit à la protection de la vie, à la liberté et à
la sûreté en vertu des articles 2 et 5 de la Convention européenne
des droits de l’homme;
- le droit au respect de la vie familiale en vertu de l’article
8 de la Convention, qui inclut le droit de recevoir des informations
sur l’endroit où se trouvent les membres disparus de la famille
et le droit au regroupement familial;
- le droit à la protection de leurs biens et propriété en
vertu de l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention;
- le droit au logement, aux soins de santé et à d’autres
droits sociaux en vertu de la Charte sociale européenne (révisée)
qui, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme sur les obligations extraterritoriales, lie également
les États membres qui exercent un contrôle en dehors de leur propre
territoire;
- le droit à l’instruction en vertu de l’article 2 du Protocole
additionnel à la Convention et le droit à la préservation de leur
identité culturelle et d’autres droits culturels en vertu de l’article
27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
ainsi que de la Convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale;
- la protection de leurs biens culturels en vertu de la
Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en
cas de conflit armé ainsi que de la Convention du Conseil de l’Europe
sur les infractions visant des biens culturels (STCE no 221);
- le droit de conserver leur nationalité, conformément à
la Convention européenne sur la nationalité (STE no 166),
qui s’applique également aux PDI et à leurs familles et descendants
qui se trouvent dans des zones de conflit;
- le droit à des élections libres, sans discrimination fondée
sur le déplacement, en vertu de l’article 3 du Protocole additionnel
à la Convention et de l’article 14 de la Convention, ce qui implique
également que les instances politiques locales et régionales élues
par la population avant qu’elle ne soit déplacée à l'intérieur de
son propre pays soient maintenues durant leur exil intérieur;
- le droit au retour volontaire, en toute sécurité et dans
la dignité, dans leur foyer ou lieu de résidence habituel, ou à
une réinstallation volontaire dans une autre partie de leur pays,
ainsi que le droit de ne pas être expulsé du territoire de leur
pays en vertu de l’article 3 du Protocole no 4
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 46).
75. Les États membres devraient évaluer régulièrement, en collaboration
avec les Nations Unies, l’Union européenne et le CICR, les besoins
humanitaires de leurs PDI et publier ces évaluations, qui seraient
utiles à la communauté internationale pour fournir une assistance
aux pays et aux personnes concernés.
76. Toute exploitation financière des foyers et du territoire
des PDI par des groupes armés, des autorités de fait et des entreprises
privées doit être interdite et poursuivie en vertu de la Convention
du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à
la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du
terrorisme (STCE no 198). Tout acteur
étatique ou non étatique qui retire un bénéfice financier d’une
telle exploitation devrait être tenu responsable.
77. Les États membres devraient aider les PDI à obtenir soit la
restitution de leurs biens perdus ou pillés soit une indemnisation.
À cet égard, la Déclaration de Terezín sur les avoirs liés à l’époque
de la Shoah et les questions connexes du 30 juin 2009, ainsi que
le Groupe de travail sur la restitution des biens de la Shoah (HEART)
créé par Israël sont des exemples historiques.
78. Le déplacement forcé de personnes à l’intérieur de leur propre
pays constituant une violation grave du droit international humanitaire
voire un crime contre l’humanité, les autres États membres devraient
autoriser, en vertu de leur droit interne, les procédures de reconnaissance
et d’exécution des arrêts pertinents de la Cour européenne des droits
de l’homme et la saisie des avoirs d’un État défendeur détenus dans
un autre État, si l’État défendeur refuse de verser l’indemnité
octroyée par la Cour
.
79. Grâce aux images satellite en haute résolution aujourd’hui
disponibles, il est possible de visualiser les agressions militaires,
y compris le déplacement de personnes causé par la destruction de
leurs maisons, des bâtiments médicaux, des écoles, des sites religieux
et d’autres infrastructures civiles
. Ces images satellite sont un outil
de plus en plus important pour évaluer la situation humanitaire
et établir les droits des PDI qui en découlent
.
80. Outre l’évaluation des besoins et droits humanitaires des
PDI après qu’elles ont été déplacées de force, il est de la plus
haute importance de prévenir tout déplacement forcé futur et de
renforcer la résilience de la population. À cet égard, les États
membres devraient combattre toute propagande visant à déshumaniser
les populations. Une telle propagande contre un groupe de personnes
a généralement pour but de justifier la violence à leur encontre,
la violation de leurs droits, leur déplacement forcé ou le nettoyage
ethnique et même leur assassinat.
81. Les États membres devraient réagir raisonnablement aux provocations
bien calculées pour aggraver la situation dans une région afin qu’un
autre État ait un prétexte pour lancer une intervention militaire
préméditée et déplacer de force des personnes de cette région. L’État
concerné et la communauté internationale, en particulier par le
biais d’organisations internationales comme les Nations Unies, l’OSCE,
le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, doivent maintenir
leur vigilance, faute de quoi d’autres déplacements internes et souffrances
humaines pourraient être infligés à un plus grand nombre d’Européens
dans le but illégal de conquérir des territoires et de maintenir
les tensions ethniques.
82. Enfin, il ne sera possible de répondre durablement aux besoins
humanitaires des PDI qu’en réduisant les tensions qui sous-tendent
leur déplacement forcé. À cette fin, les États membres devraient
établir des commissions scientifiques chargées d’analyser les souffrances
humanitaires et les histoires personnelles des PDI. La
Résolution 1613 (2008) de l’Assemblée «Exploiter l’expérience acquise dans
le cadre des “commissions vérité”» peut servir d’orientation à cet
égard.