1. Introduction
1. Dans l’Appel de Namur (2015)
, les ministres des États membres
du Conseil de l’Europe chargés du patrimoine culturel, «[s]’inquiétant
de la multiplication des actes de destruction volontaire de patrimoine
culturel dans les cas de conflits dans toutes les parties du monde»,
ont décidé «d’engager des discussions au sein du Conseil de l’Europe
visant à renforcer la coopération européenne y compris en ce qui
concerne les instruments juridiques, à l’encontre des destructions
délibérées du patrimoine culturel et du trafic illicite des biens
culturels, avec les partenaires concernés dont les Nations Unies
et l’Union européenne».
2. Cette action coïncidait avec les travaux entrepris par les
experts du Conseil de l’Europe en matière de droit pénal (le Comité
européen pour les problèmes criminels (CDPC)), qui ont constaté
une lacune importante dans le cadre juridique international concernant
les crimes contre les biens culturels et les infractions connexes.
Ces développements ont conduit à la création d’un groupe de rédaction
intergouvernemental qui, en collaboration avec les experts compétents,
ont élaboré la nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur les
infractions visant des biens culturels, adoptée en mai 2017 (STCE
no 221, «la Convention»). Son champ d’application
est vaste et elle cherche à permettre l’harmonisation des initiatives
et des législations nationales et à encourager la coopération entre
les États. En prévoyant des sanctions pénales en cas d’infractions
contre des biens culturels, elle remplace la Convention européenne
sur les infractions visant des biens culturel de 1985 (STE no 119,
«Convention de Delphes»), non ratifiée, et est considérée comme
permettant la mise en place d’un cadre international destiné à protéger
les biens culturels, en complément la Convention de l'Organisation
des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO)
pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé («la
Convention de La Haye») (1954) et ses Protocoles (1999), la Convention
de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher
l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites
des biens culturels (1970), la Convention de l’Institut international
pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) sur les biens culturels
volés ou illicitement exportés (1995) et des règlements et directives
de l’Union européenne.
3. En tant que rapporteur, j’ai été étroitement associé à ce
processus, ayant assisté au séminaire international organisé à Lucques
(Italie), et à la dernière réunion du Comité sur les infractions
visant les biens culturels (PC-IBC) en février 2017 à Strasbourg;
à cette occasion, les experts des 47 États membres ont examiné les
articles de la nouvelle convention. J’ai également été rapporteur
pour la préparation de l’avis de l’Assemblée sur le projet de Convention
qui a été adopté en avril 2017.
4. Lors du séminaire de Lucques, le ministre italien de la Culture,
M. Dario Franceschini, et le ministre de la Justice, M. Andrea Orlando,
ont tous deux souligné l’importance et la valeur ajoutée d’un nouvel
instrument juridique du Conseil de l’Europe visant à renforcer la
protection internationale et à garantir une meilleure préservation
des biens culturels grâce au droit pénal. La protection du patrimoine
culturel, le trafic illicite et la culture en tant qu’instrument
de dialogue entre les peuples ont constitué les thèmes principaux
de la réunion du G7 sur la culture qui s’est tenue les 30 et 31
mars 2017 à Florence. Le Gouvernement italien déploie en effet des
efforts considérables pour attirer l’attention de la communauté
internationale sur la valeur de la culture comme outil d’intégration,
de croissance et de développement durable.
5. Je souscris pleinement à cette ligne d’action et estime que
l’Assemblée parlementaire doit soutenir et encourager les parlements
nationaux des États membres et non membres à signer et à ratifier
cet instrument juridique d’actualité. L’Année européenne du Patrimoine
culturel en 2018 sera l’occasion de lancer la nouvelle convention.
Le présent rapport attire donc l’attention sur certaines des difficultés
et lacunes dans la façon de traiter actuellement le problème du
trafic illicite et formule un certain nombre de propositions de
mesures complémentaires pour accompagner la mise en œuvre de la
nouvelle Convention du Conseil de l’Europe.
6. Permettez-moi de remercier ici le Dr John Bold qui m'a aidé
dans ce processus en rédigeant un rapport d'expert qu'il a présenté
à la commission de la culture, de la science, de l'éducation et
des médias en mai 2017. Je tiens également à remercier tous les
autres experts, que j'ai rencontrés lors de mes trois visites d'information
au Royaume-Uni et en Grèce en septembre 2017 et à Malte en février
2018, pour leurs idées et leur précieuse contribution à ce rapport.
2. Ampleur du problème et incidence
7. Les biens culturels sous toutes
leurs formes sont un témoignage unique et important de l’histoire
et de l’identité des différents peuples et un bien commun qu’il
convient de préserver en toutes circonstances. Ils présentent un
intérêt social et politique et ont une valeur intrinsèque. Ils constituent
un élément fondamental des cultures locales et nationales. Ils représentent
les idées et les réalisations qui ont façonné le développement de
l’humanité et ont été célébrés, tout au long de l’histoire, comme
une manifestation de créativité, mais ont aussi été visés en période
de conflit comme symboles d’identité à attaquer pour démoraliser,
vaincre et supprimer des populations. En raison de leur valeur intrinsèque,
ils ont été légitimement commandés, montrés, achetés et vendus mais
aussi volés, pillés, ont fait l’objet de trafic et de falsification
pour en tirer des gains financiers illicites.
8. Le fait de prendre pour cible des biens culturels pour les
détruire est un problème de longue date: il y a 2 000 ans, Tite-Live
faisait état de la dévastation systématique de Rome par les Gaulois
en 390 avant J.-C. La guerre civile anglaise au XVIIe siècle
a vu la destruction iconoclaste de monuments religieux. Au XXe siècle, des
villes historiques ont été systématiquement bombardées lors de la
seconde guerre mondiale et en 1991, le bombardement de Dubrovnik,
aujourd’hui reconnu comme un crime de guerre, a horrifié l’opinion
mondiale et radicalement influencé la perception internationale
du conflit dans les Balkans. La destruction des Bouddhas de Bâmiyân
par les Talibans en Afghanistan en 2001 a représenté l’éradication
d’une manifestation culturelle dont le message n’était pas partagé
par les auteurs de l’acte. La destruction, le pillage et l’excavation
illégale d’antiquités en Irak à la suite de l’invasion de 2003 sont
la preuve de l’incapacité flagrante à planifier les conséquences
de l’intervention militaire. Ces dernières années, l’EIIL a procédé
en Irak, en Syrie et en Libye à une destruction systématique et
très médiatisée des biens culturels, et plus particulièrement des
lieux de culte et des sites antiques et médiévaux, dont Palmyre.
9. Cette destruction s’accompagne fréquemment du pillage des
sites et du vol d’objets de collections publiques et privées. Les
guerres napoléoniennes et la seconde guerre mondiale ont été l’occasion
d’une vaste appropriation d’œuvres d’art dans les territoires occupés
à des fins de consommation publique et privée. À Chypre, après 1974,
des centaines de monuments ont été pillés et un patrimoine culturel
incroyablement riche a été dispersé dans le monde. Le musée national
irakien et les nombreux sites archéologiques ont été pillés après
l’invasion de 2003. Outre la destruction, l’EIIL a aussi commercialisé
des fragments de monuments détruits et d’édifices religieux pillés
pour s’approprier des objets précieux qu’il peut vendre pour financer
de futures activités. Cela étant, le vol à grande échelle de biens
culturels ne se limite pas aux périodes de conflit: l’opération
Pandora (2016), menée par l’Espagne et Chypre, a permis de retrouver
plus de 3 500 objets culturels, dont la moitié sont des antiquités,
qui avaient pour beaucoup été volés dans des musées ou des dépôts
de musées.
10. L’ampleur du problème est colossale: entre 2008 et 2010, le
commandement des carabiniers pour la protection des biens culturels
a retrouvé plus de 44 000 objets. D’après les discussions que j’ai
eues avec des experts à Londres, il semblerait que la majeure partie
du commerce illicite ne porte pas sur des pièces «phares» ayant
une grande valeur culturelle, artistique et financière, mais plutôt
sur de petits objets transportables de faible valeur individuelle,
dont la perte a un effet cumulatif et destructeur sur le patrimoine
et sur les archives archéologiques et historiques: mosaïques, tablettes
cunéiformes, sceaux cylindriques, vases, pièces de monnaie et objets
en verre.
11. Le trafic illégal est étroitement lié au terrorisme et au
crime organisé. Après la drogue et les armes, certains estiment
que les biens culturels sont la troisième source de financement
d’activités illégales la plus lucrative et, en Europe du Sud-Est,
des affaires récentes ont montré l’existence d’une interaction entre
les biens culturels volés et le trafic de drogue ou d’armes. Mais
les chiffres sont inévitablement flous, non vérifiables et contestés
dans l'appréciation d'un commerce illicite de longue date, dont
le succès dépend nécessairement de l'absence de transparence. Les
éléments de preuve laissent entrevoir que le commerce d'objets pillés
dans les zones de conflit emprunte des itinéraires déjà établis
par des réseaux d’intermédiaires qui peuvent ensuite être utilisés
à des fins de financement du terrorisme. Selon les indications disponibles,
ce sont des petits groupes et non des organisations de type mafia
qui sont responsables du gros de l’activité. Il s’agit d’un commerce
international qui va au-delà des frontières, génère d’immenses bénéfices
et comporte peu de risques. Il est très difficile de surveiller
ou de maîtriser ces échanges, car on ne sait pas très bien d’où proviennent
les objets et leurs importation et exportation peuvent mettre en
jeu plusieurs juridictions et pays, qualifiés par le Conseil international
des musées (ICOM) de pays d’origine, de transit et de commercialisation.
3. Difficultés
et lacunes dans la façon de traiter le problème et conséquences
12. Il est difficile d’identifier
les biens culturels volés ou pillés, car contrairement à la drogue,
l’objet commercialisé n’est pas en soi un produit illicite; l’illégalité
réside dans la propriété et la provenance de l’objet, et non dans
l’objet lui-même. L’identification réelle du bien culturel volé
ou pillé et l’incrimination ultérieure de l’activité illicite dépendront
de plusieurs variables: la qualité de la documentation, sa disponibilité
et sa diffusion; la mesure dans laquelle les personnes associées
à tous les stades de la chaîne de commercialisation ont accès aux
données; la diligence requise lors de la vérification des bases
de données existantes des acheteurs et des vendeurs; l’efficacité
de la première notification de perte; la vigilance et les connaissances
des agents des douanes, des policiers et des militaires; le soutien
de la population au principe d’incrimination et la procédure d’incrimination.
13. Des problèmes se posent aussi en raison de la portée même
de la notion de bien culturel: comment ce bien est-il défini, quels
objets sont inclus, les biens culturels sont-ils définis par type,
par qualité, par âge, par importance? Il convient aussi de noter
que nombre de biens culturels qui apparaissent sur le marché ne
sont pas connus vu qu’ils sont le produit de fouilles illicites
ou d’extractions de sites sous‑marins non répertoriés. Le problème
de l’identification de l’origine d’un objet est encore plus grave
dans les «berceaux de civilisation» qui ont accueilli de nombreuses
cultures successives ou se recouvrant partiellement (et qui ont
été particulièrement menacées au XXIe siècle).
14. Il existe des disparités juridiques entre les pays qui empêchent
l’incrimination des activités à tous les stades du processus de
commercialisation, de la source à la destination finale en passant
par le transit et la mise sur le marché, d’où une exploitation des
failles et des lacunes par les trafiquants. Ces différences peuvent être
aggravées dans les pays qui hésitent à engager des poursuites et
où la criminalité organisée ou l’implication politique peuvent faire
obstacle à une procédure régulière, profitant à ceux qui ne jugent
pas bon de suivre les règles adoptées au niveau international. Des
titres de propriété entachés d’irrégularités peuvent illégitimement
éclipser la procédure juridique. Le délai de traitement des objets
tout au long de la chaîne de commercialisation et de stockage temporaire
peut légitimement exploiter l’effet de la prescription et permettre une
commercialisation légitime une fois un certain délai écoulé après
la perte initiale. Une coopération internationale s’impose de toute
évidence au-delà de la signature de conventions pour intégrer les recommandations
figurant dans ces instruments dans la législation nationale et les
appliquer, ainsi qu’une coopération et des accords internationaux
sur les procédures d’extradition. Une plus grande clarté est aussi nécessaire
à tous les niveaux, à ceux des objets visés et de la définition
d’une activité criminelle, de manière à qualifier comme il convient
les infractions et à faire en sorte que le grand public comprenne
ce dont il s’agit et donne son adhésion.
15. L’Observatoire international sur le trafic illicite des biens
culturels (ICOM) a dressé la liste des insuffisances juridiques
actuelles en matière de lutte contre le trafic illicite de biens
culturels:
- les principaux instruments
juridiques internationaux sont rarement appliqués pleinement;
- dans de nombreux pays, le vol, le recel et les fouilles
illicites ne sont pas considérés comme des infractions graves;
- les sanctions pénales sont malheureusement très légères
dans de nombreux pays;
- la brièveté des délais de prescription rend beaucoup plus
difficile l’action en restitution d’un objet volé;
- peu de pays ont des procédures d’importation spécifiques
pour les objets culturels;
- la brièveté des délais pour procéder à des saisies complique
la tâche des douaniers s’agissant de repérer les objets d’origine
douteuse.
16. L’acquisition de biens culturels est marquée par l’absence
de responsabilité, car de nombreux acheteurs sont souvent de bonne
foi. Les touristes qui ne savent pas comment le marché fonctionne
peuvent en toute innocence acheter des objets volés ou issus de
fouilles en pensant qu’ils sont légitimes car accompagnés de documents
attestant de leur authenticité. Se pose la question de savoir s’il
faut attendre de l’acheteur la même diligence raisonnable que celle
désormais attendue des marchands et des sociétés de vente aux enchères
qui ont pignon sur rue. On peut penser qu’il y aura toujours un
manque de transparence là où (comme sur le marché de l’art) la confidentialité
et le secret professionnel constituent des éléments déterminants:
le but doit être de parvenir à un équilibre entre la confidentialité
commerciale nécessaire et la diligence requise sur la provenance
des deux parties à la transaction.
17. Il existe un code de déontologie pour les musées et, au Royaume-Uni,
des codes de conduite et d'autoréglementation ont été convenus sur
le marché légitime de l'art et des antiquités, mais il n'en demeure pas
moins qu'au niveau international, «le bien culturel est le dernier
bien de grande valeur qui peut être négocié sans que le titre soit
pleinement vérifié et le seul pour lequel la dissimulation de la
provenance est défendue»
. L’évolution
des technologies de l'information a considérablement élargi le champ
de l’obligation de diligence lors de recherches dans des bases de
données sur internet telles que celles hébergées par Interpol, les Carabinieri
(Banca Dati Leonardo) et le British Art Loss Register. Toutefois,
la consultation de ces registres peut être utilisée abusivement
par ceux qui avancent l’argument spécieux selon lequel la non-apparition
d'un objet dans les bases de données est une preuve de sa légitimité.
Paradoxalement, le développement des technologies de l’information
a aussi aggravé les problèmes que pose la détection du trafic d’œuvres
d’art: internet n’a plus seulement une fonction de place commerciale
légitime pour des biens acquis légalement, il est aussi devenu un
espace commercial non contrôlé pour les biens culturels volés ou
pillés.
18. Des certificats d’authenticité délibérément falsifiés peuvent
masquer la véritable provenance des biens culturels. L’établissement
de documents destinés à attester une provenance légitime ou la falsification
de documents existants dans le même but doivent être érigés en infractions
pénales. Il convient toutefois de noter que la diligence s’impose
pour identifier les faux, car des transactions successives rapides
peuvent délibérément créer une accumulation de documents dans l’intention
d’enfouir la véritable histoire de l’objet dans la paperasse. Il
faut distinguer la contrefaçon ou la falsification de documents
de la contrefaçon d’objets.
4. Brève
analyse du cadre juridique existant et du droit souple aux niveaux
international et européen
19. Les conventions en vigueur
sur les infractions contre des biens culturels qui sous-tendent
les cadres juridiques actuels devraient être considérées, d’une
façon générale, comme complémentaires et successives et non comme
s’annulant et se remplaçant.
20. La destruction de biens culturels ou les dommages causés à
ces biens et la réquisition de biens culturels meubles en cas de
conflit armé sont expressément interdits sauf en cas de nécessité
militaire en vertu de la Convention de l’UNESCO pour la protection
des biens culturels en cas de conflit armé («la Convention de La Haye»,
1954). D’après le Deuxième Protocole relatif à la Convention de
La Haye (1999), les attaques contre des biens culturels et le vol,
le pillage ou le détournement de biens culturels sont érigés en
infractions, chaque Partie à la Convention est chargée d’incriminer
dans son droit interne ces infractions et étend la responsabilité pénale
à des personnes autres que les auteurs directs de l’acte. Toute
exportation, autre déplacement ou transfert de propriété illicites
de biens culturels depuis un territoire occupé est expressément
interdit.
21. La Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre
pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert
de propriété illicites des biens culturels (1970) met l’accent sur
la prévention et la coopération internationale. La convention commence
utilement par une longue liste de biens devant être considérés comme
des biens culturels qui est aujourd’hui largement adoptée. Elle
déclare ensuite son opposition à l’importation, l’exportation et
le transfert de propriété illicites des biens culturels qui constituent
un appauvrissement du patrimoine culturel des pays d’origine de
ces biens et précise qu’une collaboration internationale est nécessaire
pour rendre ces actes illicites: les États Parties devraient instituer
des services de protection du patrimoine culturel sur la base de
textes législatifs et réglementaires pour prévenir les activités illicites
et assurer les fonctions suivantes: établir un inventaire national
de protection, organiser le contrôle des fouilles archéologiques,
fixer des règles à l’intention des conservateurs, des collectionneurs
et des antiquaires (qui devraient être obligés de tenir un registre
indiquant la provenance de chaque bien culturel et mentionnant le
nom et l’adresse du fournisseur et la description et le prix de
chaque bien vendu) et exercer une action éducative afin de développer
le respect du patrimoine culturel de tous les États. En outre, les
États doivent prendre des mesures pour récupérer les biens et les
rendre à leur propriétaire légitime et verser une indemnité à l’acquéreur
de bonne foi ou à la personne qui détient légalement la propriété
du bien.
22. Dans une évaluation de la Convention de l’UNESCO de 1970
, il est indiqué que certains
États disposant de vastes collections publiques et privées d’objets
d’art et d’artefacts («États détenteurs») ou les États abritant
la plus grande part du commerce d’objets culturels («États désignés
comme marchés d’art») étaient, au départ, réticents à l’idée d’entreprendre,
sur leur territoire, des contrôles portant sur des éléments du patrimoine
d’autres pays et de modifier leurs lois et pratiques en conséquence.
Mais la convention est aujourd’hui (2017) ratifiée par 137 États
et l’attitude publique en a été influencée: très souvent, l’emplacement d’un
objet en 1970 est devenu un élément clé pour en établir la provenance.
Certains problèmes demeurent toutefois: l’absence de délai pour
les demandes, la question de l’acquisition de bonne foi, et l’indemnisation obligatoire.
Des difficultés ont aussi porté sur l’établissement des responsabilités
transnationales lorsque des objets archéologiques ont été découverts
par des pilleurs avant d’avoir été inventoriés.
23. Compte tenu des omissions de droit privé dans la convention
de 1970, la Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés
ou illicitement exportés a été rédigée à la demande de l’UNESCO
pour élaborer des règles notamment sur les délais de prescription
et l’acquisition de bonne foi. Retenant les mêmes catégories de
biens que l’UNESCO, la Convention d’UNIDROIT s’intéresse au droit
privé et met plus l’accent que l’UNESCO sur la procédure de restitution,
indiquant clairement que «le possesseur d’un bien culturel volé
doit le restituer» («volé» s’entend d’un bien culturel issu de fouilles
illicites ou licitement issu de fouilles mais illicitement retenu).
La Convention cherche à établir des règles juridiques communes minimales
pour la restitution et le retour d’objets culturels entre les États,
à condition que les États contractants introduisent une demande
devant les tribunaux ou les autorités compétentes d’un autre État
contractant pour que ces derniers ordonnent la restitution d’un
objet culturel exporté illégalement dans un délai précis qui varie
en fonction des circonstances et avec l’indemnité due si l’objet
a été acquis de bonne foi et que la diligence a été exercée (dont la
nécessité a eu une influence croissante sur les professionnels de
l’art et du patrimoine).
24. Une autre collaboration entre l’UNESCO et l’UNIDROIT a répondu
à la nécessité de clarifier la question de savoir si les antiquités
ayant fait l’objet de fouilles illégales devaient être traitées
comme celles qui ont été volées; cette question relative à la propriété
des biens non découverts a été traitée dans les Dispositions modèles
définissant la propriété de l’État sur les biens culturels non découverts
diffusées conjointement (2011). Ces dispositions modèles étaient
destinées à aider les États à rédiger ou à renforcer leur législation nationale:
les objets culturels non découverts peuvent se trouver dans le sous-sol
ou sous l’eau et devraient être considérés comme étant la propriété
de l’État sous réserve qu’il n’existe aucun droit de propriété antérieur; les
biens culturels issus de fouilles illicites ou licitement issus
de fouilles mais illicitement retenus sont considérés comme des
biens volés et le transfert de propriété d’un tel bien est nul et
sans effet.
25. Si les conventions de l’UNESCO et d’UNIDROIT ont été les principaux
instruments internationaux de lutte contre le trafic illicite de
biens culturels, d’autres conventions ont contribué à traiter des
aspects des problèmes plus larges en cause. Rappelant la destruction
délibérée des Bouddhas de Bâmiyân (Afghanistan, 2001), l’UNESCO
a adopté une Déclaration concernant la destruction intentionnelle
du patrimoine culturel (2003) dans laquelle il est instamment demandé
aux États membres de prendre toutes les mesures appropriées pour
prévenir les actes de destruction et incriminer ceux qui commettent
ou donnent l’ordre de commettre des actes de destruction intentionnelle
du patrimoine culturel revêtant une grande importance pour l’humanité.
26. Face aux menaces transnationales que représentent la criminalité
organisée et la corruption, qui ont toutes deux une influence sur
le trafic de biens culturels, les Nations Unies ont élaboré successivement
deux conventions détaillées et ambitieuses qui donnent, à toutes
fins utiles, une large définition des «biens». Que ce soit dans
la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée (2000) ou dans la Convention des Nations Unies contre
la corruption (2003), «on entend par “biens” tous les types d’avoirs, corporels
ou incorporels, meubles ou immeubles, tangibles ou intangibles,
ainsi que les actes juridiques ou documents attestant la propriété
de ces avoirs ou les droits y relatifs».
27. Se fondant sur des instruments antérieurs, l’Assemblée générale
des Nations Unies «[a]larmée par l’implication croissante des groupes
criminels organisés dans toutes les formes et tous les aspects du
trafic de biens culturels et des infractions connexes», a adopté
en 2014 la
Résolution
69/196 qui n’est pas contraignante: Principes directeurs
internationaux sur les mesures de prévention du crime et de justice
pénale relatives au trafic de biens culturels et aux autres infractions
connexes
.
28. Face à la menace que le terrorisme fait peser sur la paix
et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité des Nations
Unies a adopté en 2015 la
Résolution
2199 dans laquelle il dénonce les échanges avec les groupes
terroristes et menace d’imposer des sanctions financières. Il condamne
les destructions du patrimoine culturel irakien et syrien, qu’il
s’agisse de dommages accidentels ou de destructions intentionnelles, le
pillage et la contrebande d’objets utilisés pour financer les efforts
de recrutement ou pour améliorer les capacités opérationnelles de
groupes terroristes, réaffirmant que tous les États membres doivent
prendre des mesures pour empêcher les échanges de biens culturels
irakiens et syriens en interdisant le commerce transfrontalier et
demande notamment à l’UNESCO et à Interpol leur aide.
29. Prenant acte de la résolution, Interpol a reconnu que le trafic
provenant des pays du Moyen-Orient touchés par des conflits armés
avait augmenté, ce qui crée un marché noir des œuvres d’art qui
devient aussi lucratif que celui de la drogue, des armes et des
produits de contrefaçon. Interpol s’attache à sensibiliser les organisations
compétentes et le grand public au problème en encourageant non seulement
la police mais aussi les marchands d’art et les antiquaires à échanger
des informations. L’organisation a reconnu que pour arriver à combattre
efficacement le trafic illicite de biens culturels, elle dépend
de ses réseaux d’information et elle a invité les pays, dans une
récente publication, à créer des unités de police spécialisées au
niveau national pour enquêter sur les affaires de trafic, à constituer
des bases de données nationales qui pourraient alors être connectées
à sa propre base de données des œuvres d’art volées; elle a cité
comme exemples le commandement des Carabiniers chargé de la protection
du patrimoine culturel (
sic)
(Italie), le Centre national de protection du patrimoine culturel
(Argentine) et l’Art Crime Team du FBI (États-Unis): «C’est l’histoire
de l’humanité qui est en jeu dans la lutte contre le trafic et la
contrefaçon d’œuvres d’art à travers le monde. Chaque pays peut
et doit contribuer à cette lutte.
»
30. Il est reconnu, dans les conventions, les résolutions et les
directives en vigueur, que la coopération transnationale est fondamentale
pour le succès futur de la lutte contre le trafic illicite de biens
culturels: ce problème mondial a de profonds effets aux niveaux
national et local. C’est dans cet esprit de coopération que l’ICOM
a publié en 2013 un Code de déontologie pour les musées, considérant
que les musées sont au cœur du problème en tant que victimes de
l’activité illicite. Le Code souligne la nécessité d’une documentation complète
des collections, d’un titre valide de propriété (droit de propriété
incontestable) pour tout objet acquis avec une obligation de diligence
pour établir l’historique complet de l’objet: «Un musée ne doit
pas acquérir des objets s’il y a tout lieu de penser que leur récupération
s’est faite au prix de la destruction ou de la détérioration prohibée,
non scientifique ou intentionnelle de monuments, de sites.» Le musée
doit respecter les conventions internationales, il se doit d’informer
les autorités compétentes s’il pense que des objets ont été acquis
illégalement ou illicitement et doit être prêt à prendre des mesures
pour que les objets ainsi acquis soient rendus. Le personnel de
musée doit faire une exception à l’obligation de confidentialité
professionnelle ordinaire en aidant les autorités à enquêter sur
des biens culturels pouvant avoir été volés.
31. L’ICOM a essayé d’aller au-delà de son public professionnel
immédiat en mettant en ligne une plate-forme accessible, l’Observatoire
international du trafic illicite des biens culturels, qui définit
pour la première fois son sujet: contrairement aux autres biens
illégaux faisant l’objet d’un trafic, la définition du trafic illicite
des biens culturels ne dépend pas de la nature du bien faisant l’objet
du trafic, mais de la nature ou de la propriété de l’objet culturel.
Il s’intéresse ensuite aux personnes concernées: touristes, acheteurs
occasionnels, personnes mal informées et criminels. L’absence de
diligence sur le marché demeure une préoccupation, mais l’ICOM a
observé un changement d’attitude des grandes sociétés de vente aux
enchères, si ce n’est des plus petites, dont la politique d’acquisition
de biens est davantage dictée par l’éthique.
32. De l’avis de l’ICOM, la lutte contre le trafic illégal est
limitée (pour les raisons évoquées au paragraphe 15 ci-dessus).
Ces difficultés ne seront surmontées qu’en luttant efficacement
contre le commerce illégal des biens culturels, ce qui exigera le
soutien de la population ainsi que la ratification et l’application
des conventions.
33. Compte tenu du caractère transnational des échanges en général
et des échanges de biens culturels en particulier, les directives
et règles européennes ont des conséquences au niveau international
même si elles sont d’abord fixées au niveau européen. Le Conseil
des Communautés européennes a publié, en 1992, le Règlement (CEE)
3911/92 sur l’exportation de biens culturels pour veiller à ce que
ces biens soient soumis à des contrôles uniformes aux frontières
extérieures de la Communauté. Des autorisations d’exportation sont nécessaires
et peuvent être refusées «lorsque les biens culturels en question
[définis dans une longue annexe] sont couverts par une législation
protégeant des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique
ou archéologique». L’année suivante, la
Directive 93/7/CEE du Conseil (1993) sur la restitution de biens
culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre
a été élaborée pour garantir la restitution de trésors nationaux
retirés illégalement de collections inventoriées publiques, le possesseur
ayant droit à une indemnité s’il peut être prouvé qu’il a exercé
la diligence requise lors de l’acquisition.
34. Le Règlement (CE) 116/2009 du Conseil (2008) concernant l’exportation
de biens culturels a précisé les mesures modifiées pour assurer
un contrôle uniforme des exportations de biens culturels aux frontières extérieures
de la Communauté. Le Règlement (UE) no 1024/2012
du Parlement européen et du Conseil concernant la coopération administrative
par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur décrit
le mécanisme de communication centralisé destiné à faciliter les
échanges transfrontaliers d’informations, améliorant ainsi le fonctionnement
du marché interne.
35. La
Directive 2014/60/UE (2014) relative à la restitution de biens culturels
ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre précise
les directives antérieures et modifie les dispositions du règlement
no 1024/2012: les dispositions applicables
en matière de libre circulation des marchandises sur le marché intérieur
ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation,
d’exportation ou de transit justifiées par des raisons de protection
des trésors nationaux telles que définies par chaque État membre.
Le champ d’application de la
directive
93/7 est étendu pour inclure tout objet culturel défini
par un État membre comme ayant une valeur artistique, historique
ou archéologique, qu’il fasse ou non partie de collections publiques
ou autres et qu’il provienne de fouilles légales ou clandestines.
Le délai pour introduire une action en restitution est porté de
1 à 3 ans et le délai de prescription de l’action en restitution
a été porté de 30 ans à 75 ans dans certaines conditions (sauf dans
les États membres où l’action est imprescriptible). Dans cette directive,
le Conseil recommande aux États membres d’envisager la ratification
des conventions de l’UNESCO et d’UNIDROIT: «[I]l est souhaitable
de s’assurer que tous les acteurs du marché exercent la diligence
requise lors des transactions de biens culturels. Les conséquences
de l’acquisition d’un bien culturel de provenance illicite ne seront
vraiment dissuasives que si le paiement d’une indemnité est subordonné
à l’obligation pour le possesseur du bien de prouver l’exercice
de la diligence requise». Il est notamment tenu compte de la documentation
sur la provenance, des autorisations de sortie, de la qualité des
parties, du prix payé, de la consultation des registres accessibles,
etc. Toute personne, en particulier tout acteur du marché, devrait
avoir facilement accès aux informations publiques sur les biens
culturels classés comme des trésors nationaux par les États membres.
36. En juillet 2017, la Commission européenne a proposé de soumettre
au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne de nouvelles
règles pour éliminer l’importation et le trafic illégaux de biens culturels
(vieux de 250 ans au moins) provenant de l’extérieur de l’Union
européenne en mettant en place un nouveau système de licences d’importation
qui obligerait à prouver que les biens ont été exportés légalement et
qui donnerait aux douaniers le pouvoir de saisir et de retenir les
biens dont on ne peut prouver qu’ils ont été légalement exportés.
37. La Convention européenne sur les infractions visant des biens
culturels (de 1985) avait pour objet de promouvoir la coopération
entre les États dans la lutte contre le trafic illicite de biens
culturels par le droit pénal: chaque Partie est invitée à prendre
des mesures appropriées pour promouvoir dans le public la conscience
de la nécessité de protéger les biens culturels et à coopérer dans
la prévention des infractions contre des biens culturels et la découverte
des biens culturels enlevés à la suite de ces infractions, en vue
de la restitution. Chaque Partie devait établir sa compétence en
vue de poursuivre toute infraction visant des biens culturels, commise
sur son territoire, y compris ses eaux territoriales ou son espace
aérien, ou en dehors de son territoire par un de ses ressortissants.
Cette convention n’est jamais entrée en vigueur.
5. La
nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant
des biens culturels
38. La nouvelle Convention repose
sur le principe selon lequel les biens culturels sont fragiles et irremplaçables.
Ces biens sont visés à une fréquence alarmante, en temps de paix
comme de guerre: des objets culturels ont été volés et pillés et
d’importants sites archéologiques ont été illégalement fouillés
et détruits. Le trafic est transnational: il existe un marché noir
des antiquités, de l’art et des biens culturels qui peut financer
la corruption, le terrorisme et la violence. Ces dernières années,
le nombre d’antiquités pillées et volées, notamment de sites importants
en Irak et en Syrie, a considérablement augmenté sur les marchés occidentaux.
La lutte contre le trafic a aussi évolué, car le marché noir s’est
éloigné des circuits commerciaux traditionnels au profit des médias
sociaux et du web profond.
39. La nouvelle convention vise:
- à prévenir et à combattre la destruction, les dommages
et le trafic de biens culturels en prévoyant l’incrimination de
certains actes;
- à renforcer la prévention du crime et la réponse de la
justice pénale;
- à promouvoir la coopération nationale et internationale
et ainsi à protéger les biens culturels.
40. La définition des biens culturels meubles donne suite à la
Convention de l’UNESCO et à la
Directive 2014/60 de l’Union européenne qui sont largement acceptées
dans le monde, y compris par tous les États membres du Conseil de
l’Europe qui ont signé ou ratifié la Convention de l’UNESCO.
41. Le chapitre II de la Convention, relatif au droit pénal matériel,
est destiné à garantir l’incrimination des différents éléments du
phénomène du trafic des biens culturels, y compris la complicité
et la tentative, lorsque ces infractions sont commises intentionnellement.
Ces infractions (en résumé) comprennent le vol, les fouilles et
les prélèvements illégaux, l’importation illicite, l’exportation
illicite, l’acquisition, la mise sur le marché et la falsification
de documents. Y figure aussi la destruction et la détérioration
de biens culturels (entraînées par les démolitions effectuées dans
des sites culturels majeurs au Mali, en Irak et en Syrie) et le
prélèvement illégal d’éléments d’un bien culturel en vue d’importer
ces éléments, de les exporter ou de les mettre sur le marché.
42. Chaque Partie à la Convention est invitée à appliquer des
sanctions «effectives, proportionnées et dissuasives» en cas d’infractions
pénales visant des biens culturels qui peuvent se traduire par des
peines privatives de liberté et/ou des sanctions pécuniaires.
43. Il est recommandé aux Parties qui prennent des mesures législatives
ou autres de veiller à ce que les professionnels chargés des enquêtes
soient spécialisés dans la lutte contre le trafic de biens culturels
et formés à cette fin.
44. Les principes généraux régissant la Convention incluent:
- la création ou le développement
d’inventaires des biens culturels et de bases de données (pouvant comprendre
des garanties limitant l’accès de manière que certaines informations,
comme la localisation, demeurent confidentielles);
- l’introduction de procédures de contrôle des importations
et des exportations comprenant la délivrance de certificats spécifiques;
- l’introduction de dispositions de diligence requise pour
les marchands d’art, les salles de vente et les autres personnes
impliquées dans le commerce de biens culturels et l’obligation d’établir
et de conserver des registres de toutes les transactions (qui peuvent
être mis à la disposition des autorités compétentes);
- la création d’un mécanisme de coordination des activités
relatives à la protection des biens culturels;
- la promotion de campagnes de sensibilisation à destination
du grand public concernant la protection des biens culturels et
les menaces qui pèsent sur ces biens;
- la nécessité de veiller à ce que les musées publics et
privés, les galeries, les salles de vente et les marchands d’art
se conforment aux règles éthiques existantes;
- la nécessité d’encourager les fournisseurs de services
internet à prendre des mesures proactives pour lutter contre les
infractions pénales visant des biens culturels en rappelant aux
acheteurs la nécessité de vérifier la provenance de ces biens;
- l’adoption de mesures visant à empêcher l’utilisation
de ports francs aux fins de trafic de biens culturels en autorisant
le stockage d’œuvres d’art échangées illicitement;
- l’amélioration de l’échange d’informations pour permettre
aux autorités douanières et aux autorités de police de prendre des
mesures préventives plus efficaces lorsque des biens culturels risquent
de faire l’objet d’un trafic.
45. On estime que l’échange d’informations et une coopération
internationale forte et robuste sont essentiels pour lutter effectivement
contre le commerce illicite de biens culturels. La consultation
et la collecte de données sont nécessaires aux niveaux national
et international – les États Parties devraient étudier les possibilités
de partager ou d’interconnecter leurs bases de données ou inventaires
nationaux concernant les biens culturels pour accroître les informations
sur les biens qui ont fait l’objet d’une infraction ou qui peuvent être
en péril en période d’instabilité ou de conflit. Il est en effet
regrettable que la proposition du PC-IBC d’établir un «observatoire
européen» ayant pour tâche de collecter des données et d’en faciliter
l’échange n’ait pas été retenue lors de la dernière phase des négociations.
J’ai soulevé ce point dans l’
Avis
293 (2017), adopté par l’Assemblée parlementaire en avril 2017.
46. En résumé, cette Convention est novatrice, elle représente
l’étape suivante dans la série d’instruments qui a commencé par
la Convention de La Haye de 1954, appelant expressément à l’incrimination
des infractions relatives aux biens culturels (et supprimant ainsi
les difficultés qui remontent à très loin et qui étaient dues à
des disparités entre les législations civile et pénale et entre
les États) et traitant de la question difficile de la vaste gamme
d’acteurs différents engagés dans le trafic illégal. Si la nouvelle
Convention tient compte des règles qui figurent déjà dans les textes
nationaux et internationaux, son succès dépendra des intérêts de chaque
État, de leurs ressources et de leur volonté de céder une partie
de leur souveraineté pour harmoniser leur législation nationale
et la mettre en conformité avec les législations pénales internationales,
équilibrer le respect des différences culturelles dont dépendent
les législations nationales et le souhait d’harmoniser ces législations
aux fins d’une coopération internationale dans la lutte contre un
problème transnational commun.
6. Propositions
de mesures complémentaires pour accompagner la nouvelle Convention
du Conseil de l’Europe
47. Lors des visites d’information
que j’ai effectuées au Royaume-Uni, État désigné comme marché d’art (11-12 septembre 2017),
et en Grèce, pays qui regorge de sites du patrimoine et d’antiquités
(26-27 septembre 2017), j’ai discuté d'un certain nombre de questions
importantes avec des représentants gouvernementaux concernés (responsables
de la culture, des affaires juridiques, des affaires étrangères,
de la police et des douanes), avec des experts dans le domaine (notamment
des archéologues et des conservateurs de musées, des marchands d’art,
des directeurs de salles de vente et des juristes), avec des chercheurs
universitaires ainsi qu’avec des organisations non gouvernementales.
Leurs réflexions et leurs points de vue parfois contradictoires
m’ont amené à tirer les conclusions suivantes.
6.1. Ratification
et mise en œuvre de la convention
48. À la suite de l’adoption de
la nouvelle Convention, il importe en premier lieu d’encourager
sa ratification et sa mise en œuvre. L’instrument entrera en vigueur
après les cinq premières ratifications incluant au moins trois États
membres du Conseil de l’Europe
. Au cours de la période à venir,
le Conseil de l'Europe devrait envisager d'organiser des conférences
nationales ou régionales à l'intention des représentants gouvernementaux
de haut niveau concernés afin d'améliorer la prise de conscience
et la compréhension officielles de la Convention. Ces conférences
devraient s'accompagner de manifestations associant des parlementaires
nationaux pour promouvoir la ratification et la mise en œuvre de
la Convention. Ces activités sont d'une importance cruciale, car
il s'agit du seul traité international portant spécifiquement sur
l’incrimination du trafic illicite de biens culturels. Un Comité
des Parties, convoqué par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe,
suivra la mise en œuvre de la Convention, permettra d’échanger des
informations et de formuler des recommandations appropriées. Il
sera nécessaire, à l'appui de la mise en œuvre, de préconiser la
recherche d'un équilibre entre l'harmonisation des ordres juridiques
et le maintien de différences culturelles qu’il faudra toujours
respecter.
6.2. Coordination
des compétences
49. Je suis d’avis que des efforts
concertés sont requis pour encourager la coordination des compétences et
le partage des informations au sein des États. Il est nécessaire
de disposer de mécanismes durables au sein des États pour éliminer
le risque que des activités – par exemple la responsabilité de la
maintenance des bases de données – soient confiées à des personnes
(qui peuvent passer à autre chose) plutôt que d'être intégrées aux
responsabilités des institutions permanentes. La stabilité et la
longévité institutionnelles, qui permettront d'acquérir de l'expérience
et des données et d'établir des contacts fiables dans les organisations
associées, au sein des forces de police et sur le marché de l'art,
dans le pays et à l’étranger, seront cruciales
.
50. La coordination au sein des États peut commencer par une coopération
interministérielle et inclure une collaboration avec la police,
les organismes publics et des représentants du commerce de l'art
et des antiquités, donnant lieu éventuellement à la mise en place
d'une autorité nationale centrale. Une telle autorité peut être
une nouvelle entité, dotée d'un financement adéquat, de responsabilités
et d’attributions claires en matière d'action; il peut également
s’agir d’un petit organe exécutif chargé de veiller à ce que les
autorités existantes soient habilitées et financées, par exemple
s’assurer qu'une unité de police dotée d'un personnel suffisant
continue à diriger les enquêtes sur les affaires de trafic potentiellement
illicite, avec l'appui d'équipes d'experts des nombreuses disciplines
impliquées dans la découverte d’objets, leur transit et leur commercialisation
ultérieurs.
6.3. Coopération
internationale et gestion de l’information
51. La clé du succès de la nouvelle
Convention et de la lutte contre la destruction délibérée et le
trafic d’éléments du patrimoine culturel réside dans la coopération
internationale, qui permet l'échange d'informations, l'harmonisation
des législations (coopération en matière de collecte d'éléments
de preuve, de condamnation des auteurs de l’acte et de récupération
des objets) et la normalisation des procédures (exigences relatives
aux importations et aux exportations, documentation et attentes
en ce qui concerne la diligence requise à tous les niveaux de la
chaîne de commercialisation). Pour lutter contre le trafic de biens culturels,
l'application de normes minimales efficaces, telles que celles énoncées
dans la Convention, est nécessaire pour faciliter et coordonner
les activités de coopération internationale.
52. Les différentes conventions du Conseil de l’Europe sur la
coopération internationale en matière pénale (STE no 30),
comme la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière
pénale, la Convention européenne d'extradition (STE no 24)
et les autres traités de l’Organisation dans ce domaine, joueront
un rôle essentiel en veillant à ce que ceux qui commettent des crimes
visés par la nouvelle Convention puissent être effectivement poursuivis
et condamnés. Parallèlement aux divers instruments élaborés par
les Nations Unies et l’Union européenne, le meilleur moyen de parvenir
à ces objectifs est de renforcer l’efficacité des approches actuelles
de la coopération internationale en matière pénale en encourageant
l'utilisation effective de ces instruments
. En outre, il convient d'améliorer
la coopération transfrontalière concrète et pratique entre les services
répressifs, y compris la police et le pouvoir judiciaire, pour lutter
contre ce phénomène transnational. À cet égard, je voudrais appuyer
les efforts supplémentaires visant à mettre en place des équipes
communes d'enquête composées d'agents des forces de l’ordre, de
fonctionnaires des douanes, de procureurs, de juges et d'experts
des arts et des antiquités, qui constituent un moyen efficace pour
les États de travailler ensemble sur des affaires transnationales
complexes et j’encourage la ratification du Deuxième Protocole additionnel
à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale
(STE no 182)
.
53. Le commerce illicite se caractérisant forcément par le secret
et la dissimulation, nous avons besoin d’une meilleure vue d'ensemble
du fonctionnement et de l'impact de ce phénomène mondial pour mieux
le combattre. Il convient d’attaquer le problème sur tous les fronts:
source, transit et destination finale. Il est dans l'intérêt du
marché légitime de l'art, dont la réputation est ternie par l'activité
illégale de tiers, qu'il puisse contribuer à toutes les discussions
de fond sur la lutte contre le trafic, en appelant à adhérer aux
codes de conduite, en expliquant au grand public les procédures
appropriées et en participant pleinement à l'interdiction de tout
acte illicite. Compte tenu de l’augmentation du nombre de conventions
et de traités internationaux, de la multiplication des lignes directrices
et de l’évolution des législations nationales dans toutes les juridictions, il
est plus que jamais nécessaire de gérer les informations, non seulement
celles relatives aux objets, mais aussi aux procédures réglementaires
qui s'appliquent à leur transit et à leur vente.
6.4. Bases
de données et inventaires
54. Les bases de données et les
inventaires sont essentiels pour la gestion du patrimoine culturel,
car ils constituent la base de l’entretien et de la conservation
des objets et des sites, de la diffusion des connaissances, du partage
d’informations et de la lutte contre le trafic
. L’établissement
d’inventaires pour la sauvegarde des biens culturels est une tâche
spécifiquement recommandée en temps de paix par le Deuxième protocole
relatif à la Convention de La Haye (article 5). Pour être efficaces,
les inventaires doivent être régulièrement tenus à jour; il faut
y ajouter les nouvelles données et supprimer celles devenues obsolètes
ou superflues
. La base de données d’Interpol
sur les œuvres d’art volées comprend plus de 50 000 objets soumis
par 133 pays. Interpol estime que ce chiffre augmenterait considérablement
si les pays établissaient leurs propres bases de données et partageaient
les informations en s’engageant à les mettre régulièrement à jour.
55. L'information est une condition indispensable pour un contrôle
policier et douanier efficace. Interpol et l’UNESCO recommandent
de recourir à la norme Object ID, élaborée par le Getty Information
Institute, désormais hébergée par l’UNESCO et utilisée largement
pour constituer une fiche de base des objets. Étant donné que les
bases de données sont capitales pour échanger rapidement et diffuser
les informations, il importe d’enregistrer rapidement les données
clés qui rendent possible l’identification. Il convient de prendre des
mesures lors de la mise en place de bases de données pour prévoir
des protocoles et des mécanismes visant à déterminer les niveaux
d’accès de façon à ce que les informations confidentielles puissent
être conservées par l’organe qui les détient plutôt que d’être partagées.
Le besoin de confidentialité et la notion d'organisme détenteur
de ses propres informations sont deux obstacles au partage. Ils
peuvent être surmontés en mettant en commun uniquement les informations
essentielles non contestables et vérifiables, tout en gardant confidentielles
celles qui sont spéculatives, contestées ou qui menacent la liberté
individuelle. Alors que le partage d’informations numériques devient
plus facile et techniquement moins coûteux à réaliser, la compilation
d’inventaires est une tâche experte qui prend du temps et nécessite
des investissements et des formations même au niveau basique de
l’identification de l’objet et de l’entrée des données. Il est donc recommandé
de disposer de programmes cycliques d’inventorisation pour combattre
le trafic illicite d’œuvres d’art: il faudrait envisager de commencer
par inventorier les «points chauds» – Irak et Syrie – où la nécessité de
protéger et d’identifier les objets constituant le patrimoine est
la plus urgente. Le financement de ces bases de données dans des
zones de combat devrait faire partie intégrante de toute stratégie
après l’occupation et avant tout conflit potentiel.
56. Object ID met en avant l’importance fondamentale des photographies
pour l’établissement des fiches. La numérisation de la photographie
et la capacité quasi universelle de prise et de diffusion instantanée
de clichés par le biais des sites web, des courriers électroniques
et des médias sociaux ont levé un obstacle majeur posé auparavant
à l'identification des objets et au délai de transmission des informations
visuelles.
6.5. Documentation
57. L'exigence en matière de photographies
ne devrait pas se limiter à l'établissement d'inventaires, mais devrait
également être obligatoire dans les procédures d'importation et
d'exportation. Ces photographies devraient être intégrées dans la
documentation plutôt qu'annexées à celle-ci, afin de lutter contre
la falsification généralisée de documents qui caractérise le commerce
illicite d'antiquités et d'œuvres d'art. Les trafiquants sont susceptibles
d’exploiter les différences dans les normes de documentation requises
selon les juridictions. Dans le cadre du suivi de la Convention,
j'estime qu'il serait souhaitable de convenir – en consultation
avec les autorités responsables, les musées et les galeries, les
marchands d'art et les salles de vente – des exigences standards
pour la documentation des objets d'art et d’antiquités en transit,
y compris en ce qui concerne la provenance (l'emplacement du bien
depuis au moins 1970, date de la Convention de l'UNESCO) et les apparitions
sur le marché. Ce faisant, il importe de garder à l'esprit la nécessité
de ménager un juste équilibre entre les obligations en matière de
détection des illégalités et le maintien d'un transit simple au
sein du marché légal et entre musées et galeries à des fins de prêt
d'expositions.
6.6. Diligence
requise
58. Un point important serait de
codifier l’exigence de diligence requise pour les salles de vente
et les marchands d’art (en instaurant une obligation de conserver
une trace des transactions)
, ainsi que pour les acheteurs
individuels, suite à l’élaboration du Code de déontologie de l’ICOM
pour les musées. Toute nouvelle réglementation du marché traditionnel
de l’art, allant au-delà de l'autorégulation qui existe déjà dans
certains pays, exigera la recherche d’un équilibre entre l’intérêt
public destiné à protéger les biens culturels et la nécessité de
confidentialité et la protection des intérêts des propriétaires
privés et des marchands, en minimisant tout risque pour la libre
circulation de biens commercialisés légalement. La réglementation
des transactions sur internet suppose la pleine coopération des
fournisseurs de services internet
.
Si les marchands, les salles de vente et les propriétaires privés
constatent que non seulement ils échappent à des activités criminelles
éventuelles, mais qu’ils peuvent effectivement tirer profit de nouveaux
codes de conduite et de l’exigence de diligence requise, grâce à
la création d’un marché plus ouvert et plus transparent, il est probable
qu’ils soient plus enclins à soutenir cette entreprise.
59. Dans l'exercice de la diligence requise, les acheteurs privés
devraient être encouragés à acheter uniquement auprès de marchands
dignes de confiance qui adhèrent à des codes de pratique. Ce devoir
de diligence serait également facilité par la création de «passeports»
pour les objets culturels, détaillant la provenance et les transactions,
bien qu'il faille reconnaître que la création de tels passeports
nécessiterait des ressources considérables. Il serait souhaitable
de fournir aux acheteurs potentiels des conseils sur ce qui est attendu
pour satisfaire à l'exigence de diligence requise, en commençant
par expliquer que cette démarche n'est pas nécessairement onéreuse:
la «diligence raisonnable» peut être interprétée comme la «diligence requise»
– elle devrait être proportionnée et variera selon les objets et
les circonstances. Des guides à l'intention des acheteurs privés
pourraient être élaborés par des marchands et des salles de vente
établis, en collaboration avec les organismes compétents et les
ministères concernés.
6.7. Restitution
60. La complexité du retour des
œuvres d'art et des antiquités échangées illicitement n’entre pas
dans le champ d'application de la nouvelle Convention, dans la mesure
où il s'agit d'une conséquence logique du processus d'incrimination,
mais non d'une partie substantielle de ce processus. La restitution
peut être mieux traitée par des accords bilatéraux ou multilatéraux,
en dehors d'une convention formelle internationalement reconnue,
mais sans toutefois déroger à la Convention du Conseil de l’Europe.
Une approche au cas par cas peut être souhaitable, d'autant plus
qu'il n'est pas toujours évident d’établir avec précision qui est
le propriétaire légitime et, en outre, si la sûreté et la sécurité
après le retour peuvent être garanties. Il est à noter qu'en France et
au Royaume-Uni, certains dépôts de musées détiennent des antiquités
irakiennes en attendant leur retour dans un pays où les institutions
compétentes sont à nouveau pleinement opérationnelles et leurs biens protégés.
Je me permets d’avancer ici que les accords bilatéraux sont susceptibles
de représenter un modèle approprié. Les questions liées aux procédures
requises pour résoudre les problèmes récents de perte et de trafic
illicite sont complexes, font l'objet de négociations détaillées
et sont souvent accompagnées d'une contrepartie. La résolution de
problèmes anciens comme celui de la propriété contestée et de l'emplacement des
marbres du Parthénon, détenus à Londres, nécessitera sans doute
des pourparlers bilatéraux, facilités éventuellement par des organisations
internationales, afin de parvenir à une solution qui s'est avérée
jusqu'à présent difficile à trouver.
6.8. Stratégies
de protection du patrimoine dans les zones de combat potentielles
61. Il incombe certainement aux
pays occupants des zones de combat et aux observateurs non combattants de
mettre en place des stratégies et des mécanismes en amont des crises
potentielles: l'équivalent en temps de guerre des mesures de précaution
contre les tremblements de terre, permettant d'agir immédiatement
en cas de catastrophe. Étant bien connu que le déclenchement d’un
conflit entraîne des pillages orchestrés par des réseaux déjà établis
mais aussi que le phénomène se poursuit après la cessation des hostilités,
il est nécessaire d'engager un débat international et de parvenir
à un accord sur les stratégies requises pour la protection du patrimoine
menacé dans les zones de combat potentiellement sensibles d’un point
de vue archéologique. Je tiens à évoquer ici le précieux travail
réalisé par le Comité international du Bouclier bleu
créé à la suite de la Convention
de La Haye de 1954 et qui regroupe des professionnels des secteurs
suivants: archives (y compris les archives audiovisuelles), musées,
bibliothèques, monuments et sites historiques
. En février
2016, l’UNESCO a lancé une initiative, en coopération avec le gouvernement
italien, afin de créer à Turin un centre de formation pour les «Casques
bleus de la culture» des Nations Unies. Une équipe mixte composée
d'environ 30 experts civils (historiens, universitaires et conservateurs)
et d’une trentaine d’agents de l’unité de police spécialisée dans
la protection du patrimoine culturel en Italie
forme des militaires
pour renforcer les capacités à protéger plus efficacement le patrimoine
culturel dans les zones de conflit
.
6.9. Formation
62. Partant de l’expérience acquise
entre des musées, des services de police et des forces armées, il faudrait
élaborer des programmes de formation agréés pour tous ceux qui sont
concernés professionnellement par la protection des biens culturels,
y compris le personnel des musées, les membres des forces armées
et de la police, les agents des douanes, et les archéologues
. Tout un éventail
de spécialistes est nécessaire, notamment pour l’identification
des objets et des sites potentiels d'activités archéologiques illicites,
la prévention de telles activités, la conservation des objets, la
publicité et la sensibilisation, la collecte et la saisie de données
dans les bases de données et la diffusion des informations. Des
initiatives importantes et fructueuses de protection et de formation
ont été menées en Irak par les Carabiniers italiens, des forces
et des archéologues polonais, des archéologues d'instituts archéologiques
français, allemands et italiens ainsi que par le British Museum
.
Bien que les stratégies aient été mises au point pour des sites
spécifiques dans une situation particulière, la grande expérience
acquise devrait être transposable à d'autres situations susceptibles de
se présenter à l'avenir.
6.10. Sensibilisation
du public
63. Le problème du trafic illicite
n’inquiète pas seulement les experts et les organismes de répression,
mais il nous concerne tous. Il sera essentiel de sensibiliser le
public afin d’assurer la réussite de la Convention
car pour
mettre celle-ci en œuvre comme il convient, il sera nécessaire de
bénéficier du soutien de la population dans les États exportateurs
et importateurs. Il est capital de bien cerner le problème et d’en
dégager les facettes éthiques et juridiques pour que la Convention
et sa mise en œuvre soient bien acceptées: il faut expliquer la
loi et la réglementation dans un langage accessible aux non-spécialistes
afin d’obtenir un consensus éclairé de l’opinion. Le Manuel de l’UNESCO
intitulé «
Mesures
juridiques et pratiques contre le trafic illicite des biens culturels» (2006) et la brochure d’Interpol «
Création
d’une unité nationale spécialisée dans le patrimoine culturel» (2017) sont des modèles de ce qui peut être réalisé
afin de décrire le problème du trafic et les stratégies employées
pour combattre celui-ci. Le Conseil de l’Europe devrait réaliser
une publication générale équivalente pour accompagner la nouvelle
Convention, afin d’encourager sa ratification et sa mise en œuvre
grâce au soutien du grand public.
64. L’action dans ce domaine pourrait être soutenue par le plaidoyer
politique, une couverture à la télé et dans la presse, la publicité
lors de manifestations consacrées au patrimoine, des programmes
éducatifs ou encore par la diffusion d’informations sur internet
et les médias sociaux. Outre les publications, des expositions sur
les fouilles et le commerce illicites ont été organisées avec succès
en Grèce et en Italie. Elles peuvent ensuite être déplacées dans
d'autres endroits du pays et à l'étranger, complétées par des exemples
locaux propres à chaque site afin d’insister davantage sur le caractère
urgent et actuel de la présentation.
65. Les médias ont tendance à passer d’un centre d’intérêt à un
autre, du pillage dans une zone de combat à une autre, dès lors
qu'une histoire politique plus importante éclate ailleurs. Il convient
d'y remédier grâce à une plus grande continuité des efforts, financés
de manière appropriée, de la part des autorités militaires et civiles
dans les pays où «la spoliation» des antiquités est un problème
persistant. Les obligations qu’ont les puissances occupantes d'interdire
et de prévenir le déplacement et l'exportation illicites de biens
culturels (en vertu de la Convention de La Haye) sont clairement
énoncées dans le Manuel militaire sur
la protection des biens culturels de l'UNESCO (2016).
La sensibilisation du public dans les zones de conflit sera déterminante pour
le succès de ces initiatives.
66. Il convient également de sensibiliser le marché où l’acquisition,
pour une modique somme, d'une pièce de monnaie ancienne faisant
l'objet d'un trafic illégal sur internet peut sembler anodine à
un acheteur individuel. Une fois cumulées, ces ventes peuvent rapporter
au vendeur des sommes d'argent importantes et avoir un effet très
destructeur sur les archives archéologiques et historiques. Des
campagnes d'information à destination du grand public ainsi que
des messages d’avertissements sur internet s’avèrent nécessaires.
La réglementation des transactions effectuées sur internet suppose
la pleine coopération des fournisseurs de services
.
Les juridictions nationales devraient encourager les plates-formes
de commercialisation sur internet comme eBay à faire connaître et
à prévenir toute éventuelle illégalité dans les transactions et
à exiger la présentation de la documentation relative à la provenance
des objets.
6.11. Observatoire
européen
67. Il est regrettable que l'absence
de financement ait jusqu'à présent empêché l’établissement d’un observatoire
européen des infractions visant des biens culturels. Comme évoqué
précédemment, le sujet a fait l'objet de discussions et de négociations
entre les experts du PC-IBC. L'observatoire était envisagé comme
un mécanisme central chargé d’aider le Comité des Parties à faciliter
la mise en œuvre de la Convention. Je maintiens fermement que la
valeur ajoutée potentielle d'une institution permanente de ce type,
qui assurerait un suivi et une coordination systématiques des actions
de lutte contre les infractions visant des biens culturels, est
telle qu'il convient de continuer à explorer les possibilités de
la mettre en place. Entre-temps, nous avons recommandé dans l'
Avis 293 (2017) de l'Assemblée que l'une des fonctions importantes prévues
de l'observatoire, à savoir la tenue d'un registre des infractions
relatives aux biens culturels, soit remplie par le Comité des Parties,
qui sera chargé de suivre et de faciliter la mise en œuvre de la
nouvelle Convention et habilité à formuler des recommandations.
7. Conclusion
68. En obligeant les États à incriminer
la destruction délibérée et le trafic d’éléments du patrimoine,
ainsi qu’à coopérer et harmoniser les législations nationales, la
nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant
des biens culturels s’appuiera sur des conventions antérieures (Conventions
de La Haye, de l’UNESCO et d’UNIDROIT) et les divers règlements
et directives de l’Union européenne, et ce faisant «bouclera la
boucle» en comblant les lacunes qui subsistent dans le droit pénal.
Sa large ratification, son entrée en vigueur et sa mise en œuvre
sont par conséquent essentielles.
69. À cette fin, je propose les initiatives suivantes qui devraient
être prises par le Conseil de l'Europe pour promouvoir comme il
convient la ratification de la nouvelle Convention et sa mise en
œuvre. La tenue de conférences nationales et régionales à ce stade
précoce serait une bonne occasion pour les États membres d'examiner
les grandes lignes de la Convention et ses implications tant sur
le plan législatif que politique, ce qui faciliterait la ratification.
Par ailleurs, je pense que certains États membres pourraient avoir
besoin d’être guidés au moyen d’un «modèle de loi standard» pour
adapter leur législation en vue de ratifier la Convention. En ce
qui concerne la mise en œuvre du nouvel instrument, parallèlement
aux conventions existantes et aux directives et règlements de l'Union
européenne, je suis fermement persuadé que les États membres auraient besoin
d'une plate-forme permanente pour recueillir et échanger des informations
afin de lutter plus efficacement contre le commerce illicite de
biens culturels. Je recommande donc que le Comité des Ministres étudie
les possibilités de créer et de financer une telle plate-forme (un
observatoire) avec l'UNESCO, Interpol et l'Union européenne. La
création de ce type de mécanisme pourrait peut-être aussi être envisagée
dans le cadre d'un accord partiel élargi similaire au programme
des Itinéraires culturels. Le Conseil de l'Europe devrait réaliser
une étude de faisabilité à cette fin. Enfin, en vue d'élargir la
coopération par le droit pénal au plan mondial, je suggère de coopérer
avec l'UNESCO pour promouvoir la nouvelle Convention du Conseil
de l'Europe en vue de sa ratification par des États non membres.