1. Introduction
1. Le 5 février 2016, Mme Annette
Groth (Allemagne, GUE) et 19 autres membres de l’Assemblée parlementaire
ont déposé une proposition de résolution sur la «Détention de mineurs
palestiniens dans les prisons israéliennes»
. Selon la proposition, «une forte
hausse du nombre d’enfants palestiniens détenus dans les prisons
israéliennes a été constatée par plusieurs organisations de défense
des droits de l'homme». La proposition évoque les investigations
de l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch indiquant
«que les lois en vigueur sont insuffisantes pour garantir les droits
des enfants palestiniens placés sous la garde de la police israélienne
et des Forces de défense israéliennes (FDI) et que les responsables respectent
souvent les obligations et procédures légales d’une façon qui porte
atteinte aux protections qu’elles ont pour but de garantir». La
proposition appelle à «enquêter sur la manière dont Israël – ainsi
que d’autres pays – pourrait mieux défendre les droits des enfants
en détention et donc être en mesure de respecter pleinement les
conventions des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant»,
suggérant une éventuelle coopération entre le Gouvernement israélien
et le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe.
2. Cette proposition a été renvoyée à notre commission pour rapport
le 22 avril 2016 et j’ai été nommée Rapporteure le 2 juin 2016.
Le 25 janvier 2017, j’ai soumis une note introductive à la commission
, qui a décidé de la déclassifier
et m’a autorisée à effectuer une
visite d’information en Israël (sous réserve de l’autorisation du
Bureau). Le Bureau a autorisé la visite d’information mais, malheureusement,
j’ai reçu une lettre de la présidente de la délégation d’observateurs
d’Israël auprès de l’Assemblée parlementaire le 15 mars 2017, m’informant
qu’aucune coopération ne serait apportée à la préparation du rapport
.
3. Le 25 avril 2017, la commission a entendu une déclaration
par vidéo de Mme June Kunugi, à l’époque Représentante
spéciale du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et a
eu un échange de vues avec M. Khaled Quzmar, Directeur général de
«Défense des enfants International – Palestine (DCIP)», et Mme Sarit Michaeli,
Responsable des actions de sensibilisation internationale de «B'Tselem
– Centre d’information israélien pour les droits de l’homme dans
les Territoires occupés»
.
2. Objectifs et contexte du rapport
4. L’Assemblée parlementaire ne
travaille pas dans le vide. Au contraire, elle s’appuie sur les
normes internationalement reconnues en matière de droits humains,
élaborées par le Conseil de l'Europe, les Nations Unies et ses agences,
l’Union interparlementaire ainsi que d’autres organisations et assemblées
régionales (selon le cas). S’agissant de ses propres travaux sur
le traitement des enfants en conflit avec la loi, le Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe a adopté des Lignes directrices
sur une justice adaptée aux enfants en 2010
, et l’Assemblée a adopté, il y a
quatre ans, la Résolution
2010 (2014) «Une justice pénale des mineurs adaptée aux enfants:
de la rhétorique à la réalité»
.
5. En tant qu’organe parlementaire, l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l'Europe ne travaille pas non plus dans un vide politique,
bien sûr. L’Assemblée comprend des délégations parlementaires du
Parlement israélien (la Knesset), qui jouit du statut d’observateur
auprès de l’Assemblée, et du Parlement palestinien (le Conseil législatif
palestinien), doté du statut de partenaire pour la démocratie
. L’Assemblée
est donc l’une des rares structures qui combine une expertise sur
les droits de l’enfant et le Proche-Orient avec une large représentation
parlementaire.
6. L’Assemblée a adopté deux résolutions en janvier 2018 qui
ont certaines répercussions sur le présent rapport: premièrement,
la Résolution
2204 (2018) «Protéger les enfants touchés par des conflits armés»,
dans laquelle l’Assemblée appelle les États à éduquer les enfants
et les jeunes qui ont vécu des conflits armés traumatisants aux
approches non violentes pour mettre fin aux agressions et aux conflits,
de manière à leur apprendre à résister à la transmission transgénérationnelle
de la violence et à leur permettre de grandir dans une culture de
dialogue constructif
. Dans cette
résolution, l’Assemblée appelle également les États à soutenir les
enfants impliqués de façon active dans les conflits et à les aider
à se réadapter «en les traitant comme des enfants et non comme des
adultes délinquants tout au long des procédures»
. Deuxièmement, la
Résolution 2202 (2018) «Le processus de paix israélo-palestinien: le rôle du
Conseil de l’Europe», dans laquelle l’Assemblée réitère son soutien
à une solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien,
sur la base des frontières de 1967, et appelle l’ensemble des forces
palestiniennes «à cesser de soutenir ceux qui sont emprisonnés à
la suite de condamnations pour des actes de terrorisme ainsi que
leurs proches»
.
7. Cependant, je souhaiterais m’écarter, dans la mesure du possible,
de l’analyse de cette question dans son contexte politique. En d’autres
termes, je n’ai pas l’intention de «prendre parti», sauf en faveur
d’une partie prenante: les enfants. Les intérêts que je défendrai
dans le présent rapport sont les intérêts et les droits des enfants
concernés, sur la base du droit et des normes internationales.
2.1. Droit
et normes internationales
8. Les conventions qui sont essentielles
pour la question qui nous occupe sont la Convention des Nations Unies
relative aux droits de l’enfant (CIDE), le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (PIDCP) et la quatrième Convention
de Genève
. Toutes ont été ratifiées par l’État
d’Israël, qui prétend cependant qu’il n’est pas tenu de les appliquer
aux Palestiniens qui vivent sous occupation israélienne; cette position
n’est pas conforme à l’avis de la Cour internationale de justice
et de plusieurs organes conventionnels
onusiens en matière de droits humains. L’Assemblée parlementaire
est bien connue pour promouvoir l’égalité de tous les citoyens s’agissant
de jouir des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit,
qu’ils vivent dans les territoires sous contrôle israélien ou palestinien,
qu’ils soient arabes ou juifs, israéliens ou palestiniens
.
9. Il y a, je crois, une disposition de la CIDE sur laquelle
nous devrions tous pouvoir nous accorder, indépendamment de notre
position sur la question de savoir quelles conventions s’appliquent
officiellement dans tels ou tels cas: il s’agit de l’article 3 de
la convention sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Les enfants sont, avant
tout, des enfants et doivent être traités comme tels, c'est-à-dire
bénéficier d’une protection spéciale. Conformément à l’article 3
de la CIDE, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être considéré
de façon primordiale dans la prise de décisions qui les concernent:
tous les adultes devraient agir dans l’intérêt supérieur des enfants,
y compris de ceux qui sont en conflit avec la loi.
2.2. Le
travail des organisations internationales et des ONG
10. Il existe plusieurs rapports,
dont un grand nombre d’entre eux sont tout à fait récents et bien documentés,
émanant à la fois d’agences des Nations Unies comme l’UNICEF
et d’ONG comme Human Rights Watch
, Défense des enfants International
– Palestine (DCIP)
, B’Tselem
et Military Court Watch
, pour n’en citer que quelques-unes,
sur la question des enfants palestiniens détenus par l’armée israélienne
(et en détention administrative), ainsi que sur la détention des
enfants palestiniens à Jérusalem-Est, par exemple ceux des ONG B’Tselem
et Hamoked
. NGO Monitor a publié un certain
nombre de rapports
remettant en question les conclusions
de l’UNICEF et des ONG susmentionnées. Le Comité international de
la Croix-Rouge (CICR) visite régulièrement les lieux de détention
de Palestiniens en Israël. Au cours de ses 430 visites sur les lieux
de détention en 2017, le CICR a également eu des entretiens individuels
avec plus de 200 mineurs. De plus, également en 2017, le CICR a
facilité plus de 3 600 visites aux familles de détenus mineurs.
Le CICR communique ses conclusions et recommandations aux autorités
compétentes dans le cadre d’un dialogue bilatéral et confidentiel.
11. Les informations les plus récentes publiées par l’UNICEF (datant
de février 2015), autres que la déclaration de l’UNICEF à notre
commission qui date d’avril 2017
, incluent
un tour d’horizon des 38 recommandations que l’UNICEF a adressées
aux autorités israéliennes en 2013; 4 sont classées «en cours de
mise en œuvre», 15 «partiellement mises en œuvre», 14 «en discussion»,
4 «sans objet» et une «rejetée»
. Les autorités israéliennes ont
cependant souligné que pour diverses raisons, tant factuelles que juridiques,
elles n’avaient pas accepté – et n’acceptent toujours pas – les
conclusions du rapport de mars 2013 de l’UNICEF
. La Représentante spéciale actuelle
de l’Unicef dans la région, Geneviève Boutin, a confirmé officiellement
(29 décembre 2017) qu’«une proportion d’enfants détenus par les
militaires continuent d’être confrontés à des traitements qui ne
sont pas conformes aux dispositions du droit international, notamment
du CRC. Nous poursuivons nos efforts en vue d’un dialogue avec les
institutions israéliennes compétentes car nous pensons qu’il est
dans notre intérêt mutuel et dans celui des enfants de mettre fin
à de telles violations»
.
12. La campagne
«No Way to Treat a
Child» , un projet commun de Défense des
enfants International – Palestine et American Friends Service Committee
(États-Unis), vise à «s’opposer et à mettre fin à l’occupation militaire
prolongée des Territoires palestiniens par Israël en dénonçant les
mauvais traitements systématiques et très répandus d’enfants palestiniens
détenus par l’armée israélienne»
.
Cette campagne aurait eu une influence sur le projet de loi proposé
le 13 novembre 2017 par la représentante Betty McCollum, élue du Minnesota,
qui a demandé au Secrétaire d’État américain de certifier que des
fonds américains n’étaient pas versés aux forces de sécurité qui
maltraitent les enfants palestiniens
.
2.3. La
perspective de l’Assemblée parlementaire
13. La perspective de l’Assemblée
parlementaire est évidemment influencée par le fait qu’elle est
l’un des deux organes du Conseil de l’Europe chargés de défendre
les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit sur tout
le continent. Les normes du Conseil de l’Europe sont en effet souvent
plus élevées que celles des Nations Unies en matière de protection
des droits de l’enfant et des droits des détenus
. Les normes
que j’appliquerai seront celles auxquelles Israël est lié en vertu
de ses obligations internationales, mais je recommanderai naturellement
aussi qu’Israël s’efforce d’atteindre et de respecter les normes
du Conseil de l’Europe lorsque cela est dans l’intérêt supérieur
de l’enfant.
3. Le
traitement des mineurs palestiniens dans le système de justice israélien
14. L’UNICEF et la grande majorité
des ONG sont d’avis que les mauvais traitements des mineurs palestiniens
dans le système de détention militaire israélien sont «répandus,
systématiques et institutionnalisés tout au long du processus, depuis
l’arrestation de l’enfant jusqu’à son procès et, le cas échéant,
à sa condamnation et à l’exécution de la peine»
.
Le système de justice militaire israélien ne respecte pas non plus
les normes standard applicables aux enfants en ce qui concerne l’application
régulière de la loi. Pour mettre un terme à toute possibilité de
mauvais traitements, je suis d’avis que des modifications de la
législation et de la pratique s’imposent ainsi qu’un changement
des comportements.
3.1. La
législation
15. Avant toute chose, il est important
de comprendre que différentes lois s'appliquent selon les catégories d'enfants
: le droit civil israélien s'applique
à tous les enfants qui vivent en Israël même (qu'ils soient israéliens ou
palestiniens), aux enfants israéliens vivant dans les colonies et
aux enfants palestiniens de Jérusalem-Est. La législation militaire
israélienne s'applique aux enfants palestiniens qui vivent dans
les territoires occupés.
16. Le droit civil israélien prévoit, en règle générale, de meilleures
garanties pour une procédure régulière et contre les mauvais traitements,
comparativement à la législation militaire
.
Cependant, l’âge minimum de la responsabilité pénale est de 12 ans
(ce qui est relativement jeune) dans les deux législations. Cette protection
accrue du droit civil israélien se serait toutefois quelque peu
érodée depuis 2015, après l’adoption, notamment, d’amendements au
Code pénal israélien et à la loi sur la jeunesse instituant des
peines minimales et maximales pour l’infraction la plus courante
dont sont accusés les enfants palestiniens (jets de pierre), ce qui
réduit considérablement le pouvoir discrétionnaire de la justice
.
17. La législation militaire israélienne, en particulier, n’est
pas en accord avec un certain nombre de garanties et de protections
spécifiques prévues par le droit international des droits humains
concernant la justice pour mineurs (comme la CIDE)
. Il n'est pas toujours clairement établi
qu'il faille modifier cette législation militaire pour mettre fin
aux pratiques abusives, bien que cela semble nécessaire dans certains cas
.
18. Un récent rapport de B’Tselem sur le traitement des mineurs
palestiniens par les tribunaux militaires israéliens
détaille
les modifications apportées par l’État ces dernières années aux
ordonnances militaires qui portent sur l’arrestation de mineurs
et leur traitement par les tribunaux militaires. Selon ce rapport,
«[d]e prime abord, ces modifications visaient à améliorer les protections
accordées aux mineurs dans le système de justice militaire. (…)
Cependant, les modifications apportées par Israël n’ont eu qu’un
effet négligeable sur les droits des mineurs. Il semblerait qu’elles
visent davantage à sauver les apparences plutôt qu’à améliorer ce
qui se passe réellement dans la pratique. (…)». Ainsi, l’ouverture
des tribunaux militaires pour enfants en 2009 n’a eu que peu d’effets
dans la pratique, puisque ces tribunaux ne sont chargés que des
procès proprement dits et ne s’occupent pas des procédures d’arrestation
ni de libération, que ce soit avant ou après l’acte d’accusation,
et plus de 90 % des affaires sont résolues dans le cadre d’une négociation
de plaidoyer plutôt que d’un véritable procès
.
19. En tout état de cause, le droit civil et la législation militaire
israéliens ne satisfont pas aux normes du Conseil de l'Europe dans
des domaines importants. Ainsi, par exemple, selon les Lignes directrices
sur une justice adaptée aux enfants, «[u]n enfant placé en garde
à vue ne devrait pas être interrogé sur un acte délictueux ou tenu
de faire ou de signer une déclaration portant sur son implication,
sauf en présence d’un avocat ou d’un des parents de l’enfant ou,
si aucun parent n’est disponible, d’un autre adulte en qui l’enfant
a confiance»
. Alors que tous
les enfants israéliens et palestiniens ont le droit de consulter
un avocat
, aucune loi israélienne ne confère
à l'avocat ou aux parents des enfants le droit d'être présents lors
de l'interrogatoire
.
3.2. La
pratique
20. Comme l’indique l'UNICEF dans
sa déclaration à la commission du 25 avril 2017: «l’UNICEF s’inquiète des
informations selon lesquelles les enfants palestiniens sont régulièrement
victimes de violations de leur droit à une procédure régulière et
de mauvais traitements lors de leur arrestation par les forces de
sécurité israéliennes et pendant leur détention dans les établissements
pénitentiaires israéliens. (…) Des enfants palestiniens ont été
placés en détention administrative, c’est-à-dire sans avoir été
inculpés et pendant une longue période. (…).» Ce constat repose
sur les déclarations sous serment recueillies par l’UNICEF et ses partenaires
auprès de centaines d’enfants chaque année
. La DCIP a témoigné lors de la
même audience du 25 avril 2017 qu’entre 500 et 700 mineurs (de 12
à 17 ans), y compris des jeunes filles, sont détenus dans les prisons
israéliennes et poursuivis par des tribunaux militaires chaque année;
«environ 60 % d’entre eux ont été transférés des territoires occupés
vers des prisons en Israël, en violation de la quatrième Convention
de Genève»
. Selon les chiffres fournis par les Forces
de défense israéliennes (FDI) à la BBC, près de 1 400 mineurs ont
été poursuivis devant des juridictions militaires spéciales pour
mineurs au cours des trois dernières années
.
21. La DCIP a signalé en mars 2018 que, «selon les chiffres transmis
par le Service pénitentiaire israélien (SPI), 352 enfants palestiniens
étaient détenus dans des prisons israéliennes à la fin décembre
2017, soit une augmentation de 73 % des statistiques du SPI entre
2012 et 2015, date à laquelle 204 enfants palestiniens en moyenne
étaient maintenus en détention par les autorités israéliennes tous
les mois. En octobre 2015, et pour la première fois depuis 2011,
Israël a renoué avec la pratique de la détention administrative
des enfants palestiniens en Cisjordanie»
. Selon la DCIP, 26 mineurs ont été
placés en détention administrative depuis octobre 2015 (tous de
sexe masculin)
.
22. Les principales formes de mauvais traitements et de violations
des droits de l'enfant dont il est fait état dans les déclarations
sous serment recueillies par l’UNICEF et ses partenaires sont contraires
à la loi israélienne elle-même (et aux normes internationales relatives
aux droits humains). Plus des deux tiers des enfants jurent avoir
subi une forme quelconque de violence physique à la suite de leur
arrestation et/ou des violences verbales, des humiliations et/ou
des intimidations, et avoir été arrêtés sans que leurs parents aient été
informés des motifs
.
23. Le dernier rapport de B’Tselem sur la question brosse un portrait
de la «pratique courante» pendant l’arrestation, l’enquête et les
poursuites des mineurs palestiniens comme une pratique de «violations permanentes
systématiques et systémiques de leurs droits»: des arrestations
pendant la nuit (plus de 40 %) et de l’utilisation de menottes et
de bandeaux sur les yeux après l’arrestation (80%), aux audiences
devant les tribunaux militaires qui aboutissent – en règle générale
– au placement des mineurs en prison dès leur arrestation jusqu’à
l’exécution de leur peine et à un taux de condamnation de plus de
95 % en raison de la prépondérance des négociations de plaidoyer,
en passant par diverses formes d’abus lors du transit, de l’attente
et des interrogatoires eux-mêmes, le refus du droit de les laisser
rencontrer et s’entretenir avec un avocat avant l’interrogatoire
(90%) ou les méthodes coercitives pour contraindre les mineurs à
signer des aveux dans une langue qu’ils ne comprennent pas
.
24. Après la parution du rapport original de l’UNICEF de 2013
sur la question, des responsables israéliens avaient promis d’améliorer
la situation, selon les informations rapportées dans la presse
: «L’avocat général militaire a diffusé
un mémoire aux commandants de brigade et de bataillon en leur rappelant
les bonnes règles en matière d’arrestation. Ce mémoire soulignait
entre autres que le recours à la violence physique était interdit. Les
FDI ont rapporté à l'Association pour les droits civiques en Israël
en 2014 que ce mémoire déclare que le commandant d’une unité d’arrestation
doit veiller à ce que la personne arrêtée soit détenue dans des conditions
raisonnables, notamment dans un lieu protégé de la chaleur intense
ou de la pluie, prévoyant la distribution de nourriture et d’eau
et un accès aux toilettes, avec interdiction de violences physiques
et verbales, ainsi que de toutes autres formes d’abus.» Cependant,
selon le rapport de Military Court Watch paru en octobre 2017, aucune
amélioration n’a été constatée dans la pratique concernant les sévices
physiques aux mineurs.
25. Le recours accru à la détention administrative pose un autre
problème
.
Si le droit international humanitaire autorise la détention administrative
dans des circonstances strictement limitées et uniquement dans des
cas très exceptionnels pour des «motifs impératifs de sécurité»
lorsqu’il n’existe aucune autre alternative, des ONG comme la DCIP
affirment que la détention administrative par Israël d’enfants palestiniens semble
être utilisée comme un substitut à des poursuites pénales lorsqu’il
n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve permettant d’obtenir
une condamnation
. Selon le Rapporteur spécial des
Nations Unies sur les droits de l’homme, François Crépeau, «[l]a
détention à des fins administratives ne peut jamais être dans l’intérêt
supérieur d’un enfant. Elle nuit à leur bien-être physique et psychologique
et a des effets négatifs sur leur développement»
. Cela s’applique naturellement aussi
à l’isolement.
26. La pratique consistant à appréhender des enfants palestiniens
lors d'opérations d'arrestation nocturnes, généralement dans le
cadre de raids menés aux domiciles, pose également des problèmes
particuliers. Ces opérations représenteraient entre 25 % et 45 %
des cas, selon la source et la période considérées
. Si je peux comprendre que les arrestations
et raids nocturnes sont motivés par les craintes d’ordre sécuritaire
des Forces de défense israéliennes qui souhaitent éviter les troubles
à l'ordre public, il s'agit à mon sens de l'une des violations les
plus graves et contre-productives des droits des enfants concernés.
Il est clair que, même en l'absence de toute autre violation, les
chances sont minces d’obtenir une confession véridique de la part
d’un enfant terrifié et épuisé, séparé de ses parents (en l’absence
d’un avocat dans la salle d’interrogatoire). En d’autres termes,
non seulement des règles telles que la privation de la présence
d’un avocat ou de l’un des parents pendant les interrogatoires et
des pratiques comme les arrestations de nuit sont manifestement contraires
à l’intérêt supérieur de l’enfant, mais elles ne sont pas non plus
dans l’intérêt des autorités israéliennes, dont le but est de trouver
les coupables des infractions et non de terroriser et d’accuser
et condamner à tort des enfants innocents et leurs familles
.
27. Il est inquiétant de noter que dans plus d'un tiers des cas,
les juges des tribunaux militaires ont fondé leur décision sur des
aveux rédigés en hébreu, langue que la plupart des mineurs palestiniens
ne comprennent pas
. Ces juges semblent, par ailleurs, n’exclure
que rarement les aveux obtenus par la contrainte ou les mauvais
traitements, ce qui contribue au taux de condamnation extrêmement
élevé (95 %)
,
et refuser presque systématiquement la mise en liberté sous caution
– contrairement aux tribunaux civils, qui
rejettent les demandes de libération sous caution des enfants israéliens
dans seulement 18 % des cas
.
Cette situation incite les avocats des enfants palestiniens à accepter
de «plaider coupable» même s'ils sont convaincus de leur innocence,
car l'alternative serait une période prolongée de détention provisoire
qui dépasserait probablement la peine imposée par une négociation
de plaidoyer
.
3.3. Les
comportements
28. L’affaire Ahed Tamimi (qui
avait 16 ans, à l’époque) a fait la une des journaux en décembre 2017. Comme
l’a expliqué la BBC, tout a commencé avec la diffusion en ligne
d’une vidéo tournée le 15 décembre 2017, dans laquelle Ahed fait
face à deux soldats israéliens devant sa maison familiale, dans
le village occupé de Nabi Saleh, en Cisjordanie, et leur demande
de quitter les lieux. Alors qu’elle les pousse, l’un d’entre eux
cherche à l’écarter. La jeune fille se met alors à les gifler et
à donner des coups de pied, avec l’aide de sa cousine plus âgée,
Nour. Les soldats israéliens restent impassibles et la mère d'Ahed,
Nariman, s’interpose. L’incident a été retransmis en direct sur
le compte Facebook de cette dernière
.
Selon plusieurs rapports d’ONG, la vidéo a été filmée après que
la jeune fille ait appris que son cousin de 15 ans avait été grièvement
blessé à la tête par une balle en caoutchouc tirée par un soldat
lors d'une manifestation organisée dans le village
.
29. Après que la vidéo soit devenue virale, Ahed Tamimi a été
arrêtée lors d'un raid nocturne mené à 4 heures du matin, le 19 décembre 2017.
Le même matin, le ministre de l'Éducation, Naftali Bennett, a déclaré sur
Army Radio (la radio de l'Armée) que les jeunes femmes montrées
en train d’agresser les soldats devraient «finir leur vie en prison»
.
Nariman Tamimi a, quant à elle, été arrêtée alors qu’elle se rendait
au poste de police pour prendre des nouvelles de sa fille, plus
tard dans la journée. Le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman,
a appelé à des sanctions sévères à l’encontre d’Ahed et de sa famille,
comme moyen dissuasif, et a interdit à une vingtaine de membres
de sa famille de lui rendre visite sur son lieu de détention en
Israël, où elle avait été transférée
.
30. Tandis que le juge militaire a, début janvier, libéré sous
caution Nour, la cousine d’Ahed Tamimi âgée de 20 ans (accusée d'agression
aggravée), le 17 janvier 2018, le juge a approuvé la réquisition
du parquet de maintenir Ahed et sa mère en détention provisoire.
Ahed a été inculpée de 12 chefs d'accusation, notamment d'agression
contre un soldat israélien, d'entrave aux devoirs d'un soldat et
de deux faits antérieurs (des jets de pierres), alors que sa mère
a été accusée «d’incitation» pour avoir filmé et diffusé en direct
l’altercation
.
31. Tant Ahed que sa famille ont fait l’objet dans le passé d’intenses
débats, qui ont conduit les Israéliens à les accuser de provoquer
délibérément les soldats pour se livrer à de la propagande anti-israélienne
.
Ahed a été filmée à l’âge de 11 ans, alors qu’elle menaçait de frapper
un soldat après l'arrestation de son frère aîné. Il y a deux ans,
elle a été filmée en train de mordre un soldat qui tentait d’arrêter
son jeune frère – mais avant l'incident de décembre 2017, elle n'avait
jamais été placée en détention ni inculpée d'aucun crime
.
32. Le procès d’Ahed s’est ouvert le 13 février 2018 (elle a eu
17 ans dans la prison d’Hasharon, en Israël, en janvier). Le procès
devant la Cour militaire d’Ofer s’est tenu à huis clos car le juge
a estimé qu’un procès ouvert au public n’était pas dans l’intérêt
d’Ahed, qui est jugée comme un mineur (malgré la demande de l’avocat
d’Ahed qui souhaitait la présence des médias en tant qu’observateurs).
Le juge a ajourné le procès au 11 mars sur demande des procureurs
d’avoir plus de temps pour se préparer.
33. Le 21 mars 2018, Ahed a été condamnée à une peine de huit
mois d’emprisonnement et à une amende de 5 000 shekels (environ
$US 1 400), assortie d’une peine de trois ans avec sursis dans le
cadre d’une négociation de plaidoyer. Sa mère a été condamnée à
huit mois d’emprisonnement plus une amende de 6 000 shekels (environ
$US 1 780), assortie d’une peine de trois ans avec sursis pour complicité
dans l’agression d’un soldat, entrave à la mission d’un soldat et
incitation. La cousine d’Ahed, Nour Tamimi, a été condamnée à une
amende de 2 000 shekels (environ $US 500)
.
34. Ahed Tamimi est une improbable enfant-vedette pour servir
la «cause» de chacune des deux parties en conflit, et les commentaires
extrêmes qu’a suscité cette affaire de la part des deux parties
en conflit ne feront que durcir encore davantage les positions.
Ahed semble être une enfant qui grandit dans une situation de conflit
et adopte un comportement certainement peu recommandable, voire
même délictueux
.
Elle est peut-être manipulée par des adultes de sa famille, mais
n'est en aucun cas une criminelle qui mérite de passer le reste
de sa vie en prison (comme l’a demandé le ministre de l’Éducation,
Naftali Bennett). Amnesty International a déclaré: «En condamnant
Ahed Tamimi à huit mois de prison, les autorités israéliennes confirment
qu’elles n’accordent guère d’importance aux droits des mineurs palestiniens
et n'ont pas l'intention de revenir sur leurs politiques discriminatoires.
(…) Les autorités israéliennes doivent cesser de réagir à des actes
de désobéissance relativement mineurs avec des sanctions aussi disproportionnées
.»
35. Je crois que nous devrions revenir à l’essentiel: quoi qu’il
ait fait, un enfant ne peut pas être déchu de ses droits fondamentaux.
Rien ne saurait justifier les mauvais traitements à l’encontre d’un
enfant, qu’il soit israélien ou palestinien. La violence physique
et psychologique subie par les mineurs palestiniens dans le système
de justice israélien doit cesser. Cela nécessitera de modifier la
législation, la pratique et les comportements, comme expliqué ci-dessus.
4. Aller
de l’avant: conclusions et recommandations
36. Il existe une abondante documentation
exposant le point de vue des ONG et des organes internationaux sur
cette question, mais on en sait beaucoup moins sur celui des autorités
israéliennes. Je regrette profondément que la délégation d’observateurs
israélienne ait refusé de coopérer avec moi dans le cadre de la
préparation du présent rapport, n’ait pas facilité la visite d’information
en Israël que j’avais sollicitée en vue de m’entretenir avec les
autorités israéliennes compétentes, notamment avec mes collègues
de la Knesset, et n’ait pas souhaité communiquer d’informations
en avril 2017 au cours de l'échange de vues sur la question organisé
au sein de la commission, ni après. Alors que les rapports établis
par l’ONG israélienne NGO Monitor
peuvent
peut-être être considérés comme représentatifs de l'opinion d'une
partie au moins de la population israélienne, voire de certaines
autorités du pays, c’est une mauvaise alternative à la coopération parlementaire.
37. Alors, que peut-on faire? Israël n’a pas été épargné par la
tendance générale au populisme et aux mouvements radicaux qui s’est
développée dans de nombreuses démocraties ces dernières années.
En effet, certains facteurs spécifiques à l’histoire et à la situation
d’Israël (notamment la nécessité perçue de la sécurité avant tout,
l’importance croissante du mouvement des colons et l’influence des
partis religieux) ont, en fait, exacerbé cette tendance. La construction
des nouvelles colonies et la pression qu’elles exercent sur le sol représentent
un obstacle supplémentaire à la solution à deux États.
38. D’un autre côté, les Palestiniens n’ont pas été épargnés par
les tendances à la radicalisation non plus: les actes de terrorisme
contre Israël ne sont pas uniformément rejetés et condamnés, l’endoctrinement
– notamment des enfants – semble omniprésent et le règne du Hamas
à Gaza, avec ses 10 années de blocus à la fois par Israël et l’Égypte,
a produit une catastrophe humanitaire qui a, à son tour, exacerbé
la radicalisation. La réconciliation palestinienne si souvent annoncée
n’a toujours pas produit de résultats concrets, ce qui nuit aux
perspectives de reprise des négociations de paix susceptibles de
réussir. Les autorités israéliennes comme palestiniennes utilisent
des manuels scolaires contenant des informations non-objectives,
ce qui renforce de manière sélective le récit national de chaque
communauté. La faisabilité d’une solution à deux États soutenue
par la communauté internationale (et l’Assemblée) est menacée par
ces évolutions, entre autres.
39. C’est dans ce contexte que je rédige le présent rapport, dont
l’objectif principal est de contribuer, autant que faire se peut,
à une meilleure protection des droits de l’enfant – droits des enfants
palestiniens qui ne sont malheureusement pas respectés par le système
de justice israélien. Comme partout ailleurs dans les États membres
et associés d’une manière ou d’une autre au Conseil de l’Europe,
ces droits ont la priorité! Certains de mes collègues de la commission
ont émis des critiques quant au fait que j’aie refusé d’établir
un lien explicite entre mon rapport et le conflit sous-jacent. Naturellement,
j’ai mes propres opinions sur le conflit sous-jacent, comme tout
le monde – mais, outre le fait que d’autres commissions de notre
Assemblée ont consacré ou consacrent leurs travaux à ce conflit,
avec un accent plus politique ou juridique – je suis convaincue
que dans le climat de radicalisation, de recrudescence des influences
extrémistes et de durcissement des attitudes des deux parties au
conflit (ce que j’ai décrit dans les paragraphes précédents), c’est
seulement en séparant autant que faire se peut la question étudiée
du conflit sous-jacent que nous pouvons espérer avoir un quelconque effet,
même si cela peut sembler artificiel à certains.
40. Le but de ce rapport est d’aider à faire cesser les mauvais
traitements des mineurs palestiniens dans le système de justice
israélien en portant cette question à l’attention des parlementaires.
Mettre le droit et la pratique en conformité avec les normes relatives
aux droits humains qui définissent la justice pour enfants au niveau
européen et international sert non seulement l’intérêt supérieur
de l’enfant – qui est une considération primordiale – mais c’est
aussi une solution moins coûteuse et plus à même de garantir la
sécurité publique et d’aider les jeunes à réaliser leur potentiel.
Dans le cas du conflit israélo-palestinien, une telle initiative
lèverait un obstacle au processus de paix qui ternit l’image d’Israël
en tant qu’État démocratique qui respecte les droits humains et
l’État de droit et pourrait aider Israël à remplir ses obligations
et engagements liés à l’application du droit international
41. D’autres ont critiqué mon rapport comme étant partial, rappelant
que des enfants israéliens sont également détenus et que les enfants
palestiniens ont été endoctrinés ou instrumentalisés en tant que combattants
pour la cause palestinienne. Permettez-moi de mettre en avant plusieurs
points: avant tout, j’ai très clairement délimité le sujet et la
portée du présent rapport, conformément au renvoi du Bureau tel
que validé par l’Assemblée – je m’occupe du traitement des mineurs
palestiniens dans le système de justice israélien, et non pas du
traitement des mineurs israéliens dans le système de justice israélien,
ni du traitement des mineurs palestiniens dans le système de justice
palestinien, ni d’aucune autre question, s’y rapportant ou non.
Deuxièmement, quoi qu’il ait fait, un enfant ne doit pas être déchu
de ses droits humains. Rien ne saurait justifier les mauvais traitements
à l’encontre d’un enfant, qu’il soit israélien ou palestinien, par
l’État. Or, tous les rapports sur cette question, qu’ils émanent
d’organisations internationales, d’ONG internationales, palestiniennes
ou israéliennes
,
font état des mêmes faits qui prouvent que ce sont les droits des
enfants palestiniens (et non pas des enfants israéliens) qui sont
systématiquement et régulièrement violés dans le système de justice
israélien (et non pas dans le système de justice palestinien, même
si le traitement des mineurs palestiniens dans le système de justice
palestinien pourrait fort bien être critiqué et mériter un rapport distinct)
.
42. Cela dit, certains changements, comme le fait d’élever l’âge
de la responsabilité pénale à 14 ans à la fois dans le droit civil
et militaire israélien, serait bénéfique à tous les enfants relevant
de la compétence des tribunaux israéliens, qu’ils soient israéliens
ou palestiniens, et où qu’ils vivent. D’autres changements suggérés à
la fois aux autorités israéliennes et palestiniennes, comme l’éducation
des enfants et des adolescents aux approches non violentes au sein
de leurs communautés pour mettre fin aux agressions et aux conflits,
seraient également bénéfiques pour tous les enfants vivant dans
cette zone, et aideraient aussi à redonner un nouvel élan au processus
de paix.
43. Toutefois, le message principal de l’Assemblée parlementaire
dans ce rapport devrait être d’appeler les autorités israéliennes
à travailler avec l’UNICEF, le Comité international de la Croix-Rouge,
la société civile et tous les acteurs pertinents afin de modifier,
le cas échéant, les lois, la pratique et les attitudes de manière
à pleinement protéger les droits des mineurs palestiniens dans le
système de justice israélien. L’Assemblée devrait être prête à aider
la Knesset et les autorités palestiniennes à cette fin. Si nous
arrivons à obtenir une amélioration dans ce domaine, nous pourrons
considérer qu’il s’agit d’un premier pas vers la fin de la radicalisation
et du durcissement des attitudes qui alimentent le conflit sous-jacent
et le cycle de violence.