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Rapport | Doc. 14567 | 06 juin 2018

Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Egidijus VAREIKIS, Lituanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14000, Renvoi 4202 du 22 avril 2016. 2018 - Troisième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme réaffirme son soutien à l'action des défenseurs des droits de l'homme. Il y a près de 20 ans que les Nations Unies ont adopté leur Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme et plus de 10 ans que le Comité des Ministres a adopté une déclaration sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer leur protection.

Cependant, récemment le nombre de représailles contre les défenseurs a accru dans toute l’Europe. Nombre d’entre eux ont été victimes de harcèlement judiciaire ou administratif, de campagnes de diffamation et d’enquêtes judiciaires ouvertes sur la base de chefs d’accusation douteux, souvent liés à des activités terroristes supposées ou concernant prétendument la sécurité nationale. Certains ont été menacés, agressés physiquement ou détenus arbitrairement. D’autres ont même été assassinés.

Les États membres devraient s’abstenir de tout acte de représailles contre les défenseurs des droits de l’homme et les protéger contre les agressions commis par des acteurs non étatiques. Ils devraient également respecter leurs droits fondamentaux. Le Comité des Ministres pourrait prendre un certain nombre de mesures pour renforcer la protection des défenseurs des droits de l’homme, notamment mettre en place une plate-forme similaire à celle qui a été créée pour les journalistes et établir un mécanisme permettant de signaler les cas d’intimidation des défenseurs qui coopèrent avec le Conseil de l’Europe.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 mai 2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle ses Résolutions 1660 (2009) et 1891 (2012) sur la situation des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l'Europe alors que sa Résolution 2095 (2016) et sa Recommandation 2085 (2016) «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des droits de l'homme dans les États membres du Conseil de l'Europe». Elle rend hommage à l'action inestimable des défenseurs des droits de l'homme en faveur de la protection et de la promotion des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les défenseurs des droits de l’homme sont «ceux qui œuvrent en faveur des droits d’autrui», c’est-à-dire les particuliers ou les groupes qui mènent une action pacifique et conforme à la loi de promotion et de protection des droits de l’homme, qu’il s’agisse d’avocats, de journalistes, de membres d’organisations non gouvernementales ou autres.
2. Il y a près de 20 ans, le 9 décembre 1998, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme). De plus, le 6 février 2008, le Comité des Ministres a adopté sa Déclaration sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités. Les deux documents réaffirment qu’il incombe avant tout aux États de promouvoir et de protéger les défenseurs des droits de l’homme.
3. L'Assemblée observe que, dans la majorité des États membres du Conseil de l'Europe, les défenseurs des droits de l'homme sont libres d'agir dans un environnement propice au développement de leurs activités. Néanmoins, elle note que les mesures de représailles visant les défenseurs des droits de l’homme se sont multipliées ces dernières années. De nouvelles lois restrictives sur l’enregistrement et le financement des ONG ont été adoptées. De nombreux défenseurs des droits de l’homme ont été victimes de harcèlement judiciaire, administratif ou fiscal, de campagnes de diffamation et d’enquêtes judiciaires ouvertes sur la base de chefs d’accusation douteux, souvent liés à des activités terroristes supposées ou concernant prétendument la sécurité nationale. Certains d’entre eux ont été menacés, agressés physiquement ou arrêtés, détenus ou incarcérés arbitrairement. D’autres ont même été assassinés. Tout cela a pour effet de réduire de plus en plus le champ d’action des défenseurs des droits de l’homme et de leur faire courir de plus en plus de risques.
4. L’Assemblée condamne ces faits et réaffirme son soutien à l'action des défenseurs des droits de l'homme, dont la sécurité et la vie est souvent mise en danger pour promouvoir et protéger les droits d'autrui, et notamment des groupes les plus vulnérables et les plus opprimés (les migrants, les réfugiés et les membres de minorités nationales, religieuses ou sexuelles), ou pour lutter contre l'impunité de hauts responsables de l’État et contre la corruption. Elle déplore en particulier que certaines des agressions les plus graves dont ont été victimes les défenseurs des droits de l'homme, notamment les meurtres, les enlèvements et les actes de torture, n'aient toujours pas fait l'objet d'enquêtes effectives.
5. L’Assemblée invite, par conséquent, les États membres:
5.1. à respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales des défenseurs des droits de l’homme, notamment leur droit à un procès équitable et leurs libertés d’expression, de réunion et d’association;
5.2. à s’abstenir de tout acte d’intimidation ou de représailles contre les défenseurs des droits de l’homme et à les protéger contre les agressions ou les actes de harcèlement commis par des acteurs non étatiques;
5.3. à garantir aux défenseurs des droits de l’homme un accès à des recours internes effectifs contre les violations de leurs droits, en particulier ceux qui se rapportent à leur action;
5.4. à mener des enquêtes effectives sur tous les actes d’intimidation ou de représailles commis contre les défenseurs des droits de l’homme, et en particulier les affaires d’assassinat, d’agression physique et de menaces;
5.5. à assurer aux défenseurs des droits de l’homme un environnement propice à leur action, notamment en révisant la législation et en la mettant en conformité avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, en s’abstenant d’organiser des campagnes de diffamation contre les défenseurs et les autres militants de la société civile et en condamnant fermement ces campagnes lorsqu’elles sont organisées par des acteurs non étatiques;
5.6. à encourager les défenseurs des droits de l’homme à participer à la vie publique et à faire en sorte qu’ils soient consultés sur les projets de loi relatifs aux droits de l’homme et aux valeurs fondamentales, ainsi qu’à la réglementation de leurs activités;
5.7. à s’abstenir de surveiller d’une manière arbitraire les communications en ligne et autres communications des défenseurs des droits de l’homme;
5.8. à faciliter la délivrance en urgence de visas ou de permis de séjour ou l’octroi en urgence de l’asile aux défenseurs des droits de l’homme qui sont en danger dans leur propre pays et à leur fournir, en cas de besoin, un refuge temporaire;
5.9. à évaluer le caractère suffisant en pratique, au vu de leurs résultats concrets, des mesures prises pour protéger les défenseurs des droits de l’homme depuis l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme et la Déclaration du Comité des Ministres sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités.
6. L’Assemblée salue et encourage les initiatives parlementaires comme celle que le Bundestag allemand a prise pour permettre à chaque parlementaire de s’occuper de cas de défenseurs des droits de l’homme en danger.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 22 mai 2018.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2018) «Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe», l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1. de poursuivre son dialogue avec les défenseurs des droits de l'homme, notamment en procédant à des échanges de vues réguliers avec eux, dans le cadre des activités de ses organes subordonnés;
1.2. de mettre en place une plateforme, analogue à la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, pour protéger les défenseurs des droits de l’homme, ou un autre mécanisme permettant de surveiller les actes de représailles visant les défenseurs commis dans les États membres du Conseil de l’Europe et d’y répondre, comme elle l’a également demandé dans la Recommandation 2121 (2018) «Pour une convention européenne sur la profession d’avocat»;
1.3. d’établir un mécanisme permettant de signaler régulièrement les cas d’intimidation des défenseurs des droits de l’homme qui coopèrent avec les organes du Conseil de l'Europe, et en particulier des avocats qui représentent les requérants devant la Cour européenne des droits de l'homme, et de réagir à ces cas d’intimidation;
1.4. de rationaliser ses travaux dans ce domaine en coordonnant mieux son action en la matière avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Conférence des organisations internationales non gouvernementales, le Secrétaire Général, le Greffe de la Cour européenne des droits de l’homme et l'Assemblée;
1.5. d’adopter sans plus attendre la déclaration du Comité des Ministres sur la nécessité de renforcer la protection et la promotion de l’espace dévolu à la société civile en Europe, établi par le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH);
1.6. d’organiser un séminaire de haut niveau afin de célébrer le 10e anniversaire de la Déclaration du Comité des Ministres sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités et le 20e anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus du 9 décembre 1998, comme l’a recommandé le CDDH;
1.7. de renforcer sa coopération en matière de protection des défenseurs des droits de l’homme avec les autres organisations internationales, en particulier l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les Nations Unies.

C. Exposé des motifs, par M. Egidijus Vareikis, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. Le 22 avril 2016, le Bureau de l’Assemblée parlementaire a décidé de renvoyer à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, pour rapport, la proposition de résolution «Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe». Le 21 juin 2016, la commission a nommé M. Yves Pozzo di Borgo (France, PPE/DC) rapporteur. À la suite de son départ de l’Assemblée, j’ai été nommé rapporteur pour lui succéder le 12 décembre 2017. Le 23 janvier 2018, la commission a organisé une audition à laquelle ont participé M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Mme Anna Rurka, présidente de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales du Conseil de l’Europe, et M. Konstantin Baranov, membre du conseil d’administration du Mouvement international de jeunes pour les droits de l’homme (Fédération de Russie). Le 14 mars 2018, la commission a procédé à une autre audition, à laquelle ont participé M. Hugo Gabbero, directeur adjoint de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) (Paris, France), et Mme Natalia Priloutskaïa, chercheuse auprès de l’équipe chargée de la Fédération de Russie du Bureau régional pour l’Europe orientale et l’Asie centrale d’Amnesty International (Londres, Royaume-Uni). Le 25 avril 2018, la commission a procédé à un échange de vues avec M. Michel Forst, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

1.2. Questions en jeu

2. La commission et l’Assemblée assurent le suivi de la situation des défenseurs des droits de l’homme depuis 2006 
			(3) 
			Voir Doc. 10985. Dans le présent rapport, le terme «défenseurs» et l’expression
«défenseurs des droits de l’homme» seront utilisés indifféremment.. Dans l’intervalle, trois rapports sur ce sujet ont été élaborés: en 2009, par M. Holger Haibach (Allemagne, PPE/DC) et, en 2012 et 2015, par Mme Mailis Reps (Estonie, ADLE) 
			(4) 
			La situation des défenseurs
des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe, Doc. 11841 du 24 février 2009, La situation des défenseurs des
droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe, Doc. 12957 du 11 juin 2012, et Renforcer la protection et le rôle
des défenseurs des droits de l'homme dans les États membres du Conseil
de l'Europe, Doc. 13943 du 11 janvier 2016.. L’Assemblée a adopté trois résolutions – 1660 (2009), 1891 (2012) et 2095 (2016) – ainsi que deux recommandations – 1866 (2009) et 2085 (2016). Comme l’ont déjà noté les rapporteurs précédents, les défenseurs des droits de l’homme peuvent être définis comme «ceux qui œuvrent en faveur des droits d’autrui», c’est-à-dire les particuliers ou les groupes qui mènent une action pacifique et conforme à la loi de promotion et de protection des droits de l’homme, qu’il s’agisse d’avocats, de journalistes, d’organisations non gouvernementales (ONG) ou autres 
			(5) 
			Paragraphe
4 du second rapport de Mme Reps, Doc. 13943.. Leur droit à agir pour promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme a été réaffirmé dans la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus du 9 décembre 1998 («Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme»), qui réaffirme que «[c]hacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international» (article 1) et dispose que les États doivent adopter des mesures pour assurer la garantie effective de ce droit (article 2.2). Comme l’a souligné le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs de droits de l’homme au cours de l’échange de vues qu’il a eu avec la commission le 25 avril 2018, la définition figurant dans le présent document doit être entendue au sens large et prendre en compte, notamment, les avocats, les journalistes, les militants de la société civile, les blogueurs et les lanceurs d’alerte. Au Conseil de l’Europe, la Déclaration sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités a été adoptée par le Comité des Ministres le 6 février 2008. Le droit de défendre les droits d’autrui repose lui-même sur des droits fondamentaux, tels que la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et la liberté de réunion et d’association, qui sont protégés par les instruments essentiels de droit international des droits de l’homme, y compris la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»).
3. Les rapports de mes prédécesseurs ont pointé du doigt les représailles auxquelles étaient confrontés les défenseurs des droits de l’homme dans certains États membres du Conseil de l’Europe: atteintes à leur intégrité physique et psychologique, arrestation arbitraire, harcèlement judiciaire et administratif, campagnes de diffamation, voire assassinats ou enlèvements. De plus, ils se sont dits préoccupés de ce que les militants dont l’action portait sur des questions sensibles, comme les droits des minorités, la lutte contre la corruption ou l’impunité des agents de l’État, étaient harcelés par les autorités ou les médias. Qui plus est, les meurtres de certains défenseurs des droits de l’homme n’ont fait l’objet d’aucune enquête en bonne et due forme.
4. Dans ses résolutions, l’Assemblée a rendu hommage à l’action des défenseurs des droits de l’homme et a rappelé que la responsabilité de leur protection incombait avant tout aux gouvernements nationaux. Dans certaines situations, ces derniers peuvent également être tenus responsables des actes commis par des individus ou organes non étatiques dans le but d’intimider les défenseurs et de l’absence d’enquête rigoureuse au sujet de tels actes. L’Assemblée a appelé les États membres à créer un environnement propice à l’action des défenseurs des droits de l’homme et à mettre un terme à toute forme d’intimidation ou de représailles les visant.
5. Dans sa Résolution 2095 (2016) «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe», l’Assemblée s’est dite extrêmement préoccupée par l’augmentation du nombre d’actes de représailles dont les défenseurs sont victimes dans les États membres du Conseil de l’Europe, notamment en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie et en Turquie. Le même jour, elle a adopté sa Résolution 2096 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?», dans laquelle elle s’est inquiétée de la détérioration de la situation de la société civile dans certains États membres, en particulier depuis l’adoption d’une législation restrictive régissant l’enregistrement, le fonctionnement et le financement des ONG 
			(6) 
			Voir le rapport sur
ce sujet de M. Yves Cruchten (Luxembourg, SOC), Doc. 13940 du 9 janvier 2016..
6. La proposition de résolution à l’origine du présent rapport s’inscrit dans la lignée des travaux de l’Assemblée. Les signataires de cette proposition s’avouent extrêmement préoccupés par les cas d’intimidation et de représailles dont sont victimes les défenseurs des droits de l’homme dans certains États membres du Conseil de l’Europe et appellent l’Assemblée notamment à réfléchir à d’autres moyens de renforcer leur protection. Ils font également remarquer que les militants qui travaillent sur des questions sensibles, comme les droits des minorités, la lutte contre la corruption ou l’impunité de responsables de l’État, sont harcelés par les autorités ou les médias. Les signataires de cette proposition de résolution, à l’instar de Mme Reps 
			(7) 
			Ibid.,
paragraphe 47., soulignent que le Conseil de l’Europe ne possède pas de mécanisme unique et efficace de protection des défenseurs des droits de l’homme; bon nombre d’entre eux sont pourtant des partenaires de longue date et fournissent de précieuses informations sur la situation des droits de l’homme dans leur pays. Selon les signataires de la proposition de résolution, il importe que l’Assemblée réagisse aux cas de persécution et d’intimidation des défenseurs des droits de l’homme et réfléchisse aux moyens de renforcer leur protection au sein des États membres et du Conseil de l’Europe. C’est d’autant plus regrettable que les Nations Unies disposent d’un mécanisme de suivi et que l’Union européenne dispense une aide financière substantielle à de nombreux militants des droits de l’homme via le consortium protectdefenders.eu. Ce consortium de 12 ONG, dont Reporters sans frontières et la Fédération internationale des droits de l’homme, a mis en place un système de classement selon la gravité de l’alerte donnée et un répertoire des menaces subies par les défenseurs. En conséquence, le présent rapport se concentrera sur les nouveaux cas de représailles contre les défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe et sur les mesures prises par les organes de l’Organisation pour améliorer leur protection. Comme notre collègue de la commission, M. Yves Cruchten (Luxembourg, SOC), travaille sur un sujet connexe dans le cadre de son rapport «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe», j’ai fait de mon mieux pour coordonner nos travaux et éviter les doubles emplois.

2. Suite donnée par le Conseil de l’Europe à la Recommandation 2085 (2016) de l’Assemblée

7. Dans sa Recommandation 2085 (2016) et établie sur la base du deuxième rapport de Mme Reps, l’Assemblée recommandait au Comité des Ministres de prendre un certain nombre de mesures afin d’améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme: 1) intensifier son dialogue avec les défenseurs des droits de l’homme; 2) coordonner son action en la matière avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales (OING) et l’Assemblée et procéder régulièrement à des échanges d’informations avec le Greffe de la Cour européenne des droits de l’homme; 3) instaurer une plateforme, similaire à celle qui a été créée pour les journalistes, pour la protection des défenseurs des droits de l’homme; 4) faire publiquement et régulièrement rapport à l’Assemblée des cas d’intimidation des défenseurs des droits de l’homme qui coopèrent avec les organes du Conseil de l’Europe; 5) réfléchir aux autres moyens de renforcer la protection des défenseurs contre les actes d’intimidation et de représailles commis par les acteurs étatiques et non étatiques; 6) intensifier sa coopération avec les autres organisations internationales œuvrant dans ce domaine; 7) envisager une révision de la mission du Commissaire aux droits de l’homme, afin de l’habiliter à traiter les cas individuels de persécution de défenseurs; et 8) réaliser un bilan approfondi de la mise en œuvre de sa «Déclaration sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités» de 2008. Dans sa réponse à cette recommandation, datée du 10 avril 2017, le Comité des Ministres a réagi de manière positive à la plupart des propositions de l’Assemblée, en rappelant, néanmoins, que le droit interne est le cadre juridique dans lequel doivent se dérouler les activités des défenseurs des droits de l’homme, et que c’est aux États qu’incombe la responsabilité de les protéger.
8. Concernant les propositions de l’Assemblée, le Comité des Ministres reconnaît qu’il est nécessaire d’intensifier le dialogue avec les défenseurs des droits de l’homme (point 1) et de coopérer avec d’autres institutions et organisations intergouvernementales (point 6). S’agissant de la coordination renforcée entre les divers acteurs du Conseil de l’Europe (point 2), le Comité des Ministres est prêt à procéder à un examen plus approfondi de cette question et rappelle que la protection des défenseurs des droits de l’homme est l’une des priorités du Plan d’action de la Conférence des OING pour 2015-2018 et que celle–ci a mis en place un groupe de travail sur les défenseurs des droits de l’homme au sein de sa commission sur les droits de l’homme. Concernant la mise en place d’une plateforme spécifique (point 3), le Secrétaire Général formulera prochainement des propositions en relation avec la faisabilité d’un mécanisme de protection des défenseurs des droits de l’homme, en tenant compte de ses incidences financières dans le cadre du Programme et Budget et de la nécessité d’éviter les doubles emplois avec des initiatives existantes. Dans ce contexte, le Comité des Ministres étudiera également la demande d’établissement d’un rapport des cas d’intimidation des défenseurs des droits de l’homme, annuel et public, à destination de l’Assemblée (point 4). En mai 2017, le Secrétaire Général a décidé d’instaurer une procédure visant à protéger les défenseurs coopérant avec le Conseil de l’Europe et a créé un «point de contact» à cette fin; il avait déjà promu l’idée d’introduire un tel mécanisme dans son rapport «Situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit » de 2016.
9. Quant à la demande de l’Assemblée visant à réfléchir à d’autres moyens de renforcer la protection des défenseurs des droits de l’homme (point 5) et à réaliser un bilan de la mise en œuvre de la Déclaration du Comité des Ministres de 2008 (point 8), le Comité des Ministres a chargé le Comité directeur pour les droits de l’homme du Conseil de l’Europe (CDDH) d’établir un rapport sur l’impact des législations des États membres sur la situation des défendeurs des droits de l’homme. Le CDDH a adopté ce rapport lors de sa 87e réunion (6-9 juin 2017) et l’a publié en juillet 2017 
			(8) 
			CDDH(2017)R87 Addendum
IV, Analyse de l'impact de la législation, des politiques et des
pratiques nationales en vigueur sur les activités des organisations
de la société civile, des défenseurs des droits de l'homme et des
institutions nationales pour la promotion et la protection des droits
de l'homme, 13 juillet 2017.. Ce document fait état de la nécessité de protéger les défenseurs des droits de l’homme, qui font l’objet de persécutions du fait de leurs activités, souvent critiques à l’égard du pouvoir en place. Il appelle à porter une attention particulière au harcèlement judiciaire et à l’abus des dispositions de droit pénal, à la privation arbitraire de liberté, à l’atteinte à la vie privée des défenseurs des droits des groupes particulièrement vulnérables comme les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) 
			(9) 
			Ibid.,
paragraphes 151 et 158-170.. Le CDDH travaille actuellement sur un avant-projet de déclaration du Comité des Ministres sur la nécessité de renforcer la protection et la promotion de l’espace dévolu à la société civile en Europe, qui sera adopté par le Comité des Ministres courant 2018.
10. S’agissant de la proposition de l’Assemblée tendant à réviser le mandat du Commissaire aux droits de l’homme (point 7), le Comité des Ministres s’est aligné sur l’avis de ce dernier qui considère «qu’il n’est pas nécessaire de modifier le mandat de cette institution à ce stade parce qu’il lui permet déjà de mener les importantes initiatives pour la protection des défenseurs des droits de l’homme qui lui paraissent utiles, et même d’intervenir dans des affaires individuelles». L’(ancien) Commissaire estimait disposer de différents outils lui permettant d’assister les défenseurs face aux menaces, dont la possibilité d’intervenir en qualité de tierce partie dans des affaires pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme, ses échanges avec les autorités des États membres, ses rapports thématiques et sur les pays, ses déclarations publiques (notamment sur les réseaux sociaux) ou ses consultations régulières avec des défenseurs 
			(10) 
			Annexe
à la Réponse du Comité des Ministres à la Recommandation 2085 (2016) (commentaires du Commissaire aux droits de l’homme),
voir le rapport «<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680648397'>Situation
de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit» </a> de 2016 (p. 66)..
11. Dans sa Recommandation 2121 (2018) «Pour une convention européenne sur la profession d’avocat», l’Assemblée faisait part de ses préoccupations au sujet du harcèlement, des menaces et des agressions dont les avocats continuaient à être victimes dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe et qui étaient même en augmentation dans certains d’entre eux. Comme le rapport de notre collègue Mme Sabien Lahaye-Battheu (Belgique, ADLE), sur lequel repose cette recommandation, étudie en détail la situation des avocats en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie, en Turquie et en Ukraine 
			(11) 
			Doc. 14453 du 15 décembre 2017., je me contenterai de mentionner certains cas précis de représailles à l’égard des avocats défenseurs des droits de l’homme dans ces pays.

3. Évolution récente de la situation des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe

3.1. Situation générale

12. Depuis le dernier rapport de Mme Reps, qui remonte à décembre 2015, on observe un accroissement des menaces subies par les défenseurs des droits de l’homme dans toute l’Europe. Dans son rapport sur la «Situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit » de 2016, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, fait état d’évolutions tout aussi inquiétantes, notamment les actes de représailles subis par les défenseurs des droits de l’homme 
			(12) 
			Page
66 du rapport.. Le 4 avril 2017, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, a observé «dans plusieurs pays européens une nette tendance à la régression en matière de liberté d’association, qui affecte notamment les organisations et les défenseurs des droits de l’homme» 
			(13) 
			Commissaire aux droits
de l'homme, 4 avril 2017, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/news-2017/-/asset_publisher/StEVosr24HJ2/content/the-shrinking-space-for-human-rights-organisations?'>La
marge de liberté des organisations de défense des droits de l’homme
s’amenuise </a>». . Selon Protect Defenders, en 2017, 738 violations commises à l’encontre des défenseurs ont été signalées à travers le monde (dont 92 meurtres et 54 autres faits de violences physiques). En Europe et en Asie centrale, 117 violations ont été signalées, dont deux meurtres et six autres faits de violences physiques; ces chiffres ne concernent que les faits qui ont été effectivement signalés à cette organisation. En 2018, 41 incidents ont été signalés (au 26 avril 2018). Lors de son échange de vues avec la commission, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme a souligné qu’il recevait près de 4 000 plaintes de défenseurs par an. Afin d’examiner ces tendances négatives, je me concentrerai ici – de manière non exhaustive – sur des cas récents concernant les trois États analysés en détail dans le dernier rapport de Mme Reps, à savoir l’Azerbaïdjan, la Fédération de Russie et la Turquie, ainsi que sur quelques autres États membres du Conseil de l’Europe (Espagne, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Malte, République de Moldova, Serbie, République slovaque et Ukraine).

3.2. Exemples choisis

3.2.1. Azerbaïdjan

13. Depuis le dernier rapport de Mme Reps et la Résolution 2095 (2015), certains défenseurs des droits de l’homme azerbaïdjanais qui ont coopéré avec le Conseil de l’Europe et les rapporteurs de l’Assemblée, par exemple Intigam Aliyev, Khadiya Ismayilova et Rasul Jafarov, ont été condamnés pour des faits liés à leurs activités de défenseurs des droits de l’homme 
			(14) 
			Ils ont été condamnés
à de lourdes peines d’emprisonnement en 2016. Même s’ils ont été
libérés depuis, ils subissent toujours d’autres restrictions dans
leurs activités et des procédures pénales engagées contre certains
d’entre eux sont toujours pendantes.. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, M. Michel Forst, a, à la suite d’une visite qu’il a effectuée en Azerbaïdjan le 22 septembre 2016, établi un rapport où il s’alarmait du contexte criminalisé et contraignant dans lequel les défenseurs des droits de l’homme, souvent stigmatisés, sont forcés d’exercer leurs activités. Il a également appelé à mettre en place une protection plus efficace pour certains groupes particulièrement vulnérables, notamment les journalistes et les avocats.
14. Le 3 mars 2017, Mehman Huseynov, blogueur et journaliste très critique à l’égard du gouvernement et connu du grand public, a été condamné à deux ans de prison pour avoir diffamé la police, parce qu’il avait porté plainte contre le recours excessif à la force des policiers qui l’avaient arrêté en janvier 2017. Cette condamnation, qui est maintenant définitive, a été largement condamnée par la société civile et l’Union européenne. Le 28 avril 2017, le blogueur Mehman Galandarov a été trouvé pendu dans sa cellule au centre de détention no 1 de Bakou. Il avait été arrêté en février de la même année, après avoir essayé de peindre avec un pulvérisateur un slogan politique sur une statue de l’ancien Président de la République Heydar Aliyev à Bakou. Selon certaines sources, cette arrestation était aussi liée aux propos de soutien à un prisonnier de conscience exprimés par M. Galandarov sur son compte privé Facebook. Leyla Yunus, directrice de l’Institut pour la paix et la démocratie, et son mari subissent un harcèlement judiciaire sans précédent depuis 2014. Connue pour son travail sur les droits de l’homme et son soutien aux prisonniers politiques, elle a reçu la Légion d’honneur de la République française en 2013. Condamnés à une peine de prison, elle et son mari ont été libérés pour cause d’urgence médicale et se sont réfugiés au Pays-Bas. Néanmoins, le 17 mai 2017, la Cour d’appel de Bakou a ordonné leur retour forcé dans leur pays 
			(15) 
			<a href='http://www.omct.org/fr/human-rights-defenders/urgent-interventions/azerbaijan/2017/05/d24321/'>Déclaration
de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et autres ONG</a>, 3 mai 2017, et <a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/22074/statement-sentencing-mehman-huseynov-azerbaijan_en'>https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/22074/statement-sentencing-mehman-huseynov-azerbaijan_en et
une lettre de plusieurs ONG à Interpol, 12 juin 2017.</a>. De même, le 29 mai 2017, Afghan Mukhtarli, journaliste azerbaïdjanais qui s’était exilé en Géorgie pour échapper à la répression, a été enlevé devant son domicile et ramené de force dans son pays d’origine, où il a été placé en détention provisoire. Ce fait suscite des inquiétudes quant à la protection de nombreux défenseurs des droits de l’homme ayant fui l’Azerbaïdjan pour trouver refuge en Géorgie 
			(16) 
			<a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/azerbaijan/2017/06/d24379/'>Lettre
ouverte de l’OMCT, 7 juin 2017.</a>. Le 12 janvier 2018, M. Mukhtarli a été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement par le tribunal de première instance de Balakan, qui l’a reconnu coupable de franchissement illégal de la frontière, de contrebande et de refus, accompagné de violences, d’obtempérer à un agent de la force publique, chefs d’accusation qu’il nie farouchement 
			(17) 
			La porte-parole du
Service européen pour l’action extérieure a vivement condamné cette
décision: <a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/38212/statement-spokesperson-sentencing-journalist-afgan-mukhtarli-azerbaijan_fr'>https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/38212/statement-spokesperson-sentencing-journalist-afgan-mukhtarli-azerbaijan_fr.</a>. Récemment, avant l’élection présidentielle du 11 avril 2018, certains militants de l’opposition qui avaient appelé au boycott de cette élection présidentielle anticipée ont été condamnés à une peine de détention administrative. Une militante, Fatima Movlanli, a été portée disparue à la suite du rassemblement du 26 mars 2018 à Bakou, mais a été libérée après avoir été placée en garde à vue pendant plusieurs heures.
15. La situation de la société civile en Azerbaïdjan est aussi suivie avec une grande attention par les corapporteurs de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) et a été examinée par l’ancien président de notre commission, M. Alain Destexhe (Belgique), qui a consacré un rapport à la «Présidence azerbaïdajanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?». En octobre 2017, l’Assemblée a, dans ses Résolutions 2184 (2017) et 2185 (2017), appelé les autorités à mettre un terme aux représailles à l’égard des militants, à créer un environnement propice aux activités des ONG et à abroger tous les textes de loi qui restreignent la liberté d’association 
			(18) 
			 Rapport
de la commission de suivi, «Le fonctionnement des institutions démocratiques
en Azerbaïdjan», Doc. 14403 du 25 septembre 2017 (corapporteurs: M. Stefan Schennach,
Autriche, SOC, et M. Cezar Florin Preda, Roumanie, PPE/DC), rapport
de notre commission, Doc. 14397 du 18 septembre 2017, et paragraphe 16.1 de la Résolution 2184 (2017) et paragraphe 11 de la Résolution 2185 (2017)..
16. Le 19 avril 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu son arrêt dans l’affaire Mammadli c. Azerbaïdjan, concernant l’arrestation et la détention entre décembre 2013 et mai 2014 de ce militant de la société civile et défenseur des droits de l’homme, lauréat du Prix des droits de l’homme Václav Havel de 2014. Le Cour a jugé que sa détention était illégale, ne faisait pas l’objet d’un contrôle judiciaire et qu’elle avait été imposée pour des raisons politiques (en violation des dispositions des articles 5.1, 5.4 et 18 de la Convention) 
			(19) 
			Arrêt du 19 avril 2018
(non encore définitif), Requête no 47145/14..

3.2.2. Fédération de Russie

17. Dans sa Résolution 2096 (2016), l’Assemblée s’est dite vivement préoccupée par la «loi relative aux agents étrangers», qui modifie la législation russe applicable aux organisations sans but lucratif en obligeant les ONG bénéficiaires d’un financement étranger à s’enregistrer en qualité «d’agents étrangers». Elle était aussi préoccupée par l’adoption de la loi relative aux organisations indésirables, dont la mise en œuvre pourrait entraîner l’interdiction de nombreuses ONG internationales opérant en Fédération de Russie. De plus, en octobre 2016, la commission de suivi a conclu que «la situation s’est gravement détériorée en ce qui concerne en particulier l’environnement démocratique et l’espace laissé à la société civile pour exercer son activité et ses droits à la liberté d’expression et d’association» 
			(20) 
			Note d’information
sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Fédération
de Russie, <a href='https://pace.coe.int/documents/19887/2221584/AS-MON-2016-29-FR.pdf/a64306ae-d467-4091-925d-b2b5672a718d'>AS/Mon
(2016) 29 déclassifiée</a>, paragraphe 72. Voir également la <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6371&lang=1&cat='>déclaration
de la commission de suivi</a> adoptée lors de sa réunion du 10 octobre 2016. . Au 26 avril 2018, les noms de 76 organisations figuraient au registre des «agents étrangers» et 14 ONG sont actuellement jugées «indésirables» 
			(21) 
			<a href='https://www.hrw.org/russia-government-against-rights-groups-battle-chronicle'>http://unro.minjust.ru/NKOForeignAgent.aspx
et http://minjust.ru/ru/activity/nko/unwanted.</a>.
18. Le 2 juin 2017, pour la première fois sur le fondement de la loi sur les agents étrangers, des chefs d’accusation ont été officiellement retenus à l’encontre de la militante de la défense des droits de l’homme Valentina Cherevatenko, présidente de l’ONG «Les femmes du Don», connue notamment pour son travail en faveur de la paix entre la Russie et l’Ukraine et sur la situation dans le Caucase du Nord. Mme Cherevatenko risquait une peine de deux ans d’emprisonnement pour ne pas avoir déposé les documents nécessaires à l’inscription de son association au registre des «agents étrangers», mais ces accusations ont été finalement abandonnées le 19 juin 2017.
19. En avril 2017, le défenseur des droits de l’homme Semyon Simonov est resté en garde à vue pendant plusieurs heures au poste de police de Volgograd, où son téléphone et son appareil photo ont été fouillés. M. Simonov avait recueilli des informations sur de nombreux cas d’abus commis sur des travailleurs migrants qui participaient au chantier des jeux olympiques d’hiver de 2014 en Russie, à Sotchi; peu de temps avant sa garde à vue, il s’était entretenu avec des ouvriers qui édifiaient un stade pour la Coupe du monde de la FIFA de 2018. Il est aujourd’hui accusé de «tentative d’entrave à la Coupe du monde». Le 3 novembre 2017, à Kaliningrad, Igor Roudnikov, un journaliste connu pour sa dénonciation de la corruption, y compris à propos des chantiers de la Coupe du monde, a été passé à tabac par des fonctionnaires de police et arrêté; il est à présent accusé d’«extorsion». Le 12 septembre 2017, Tatiana Kotlyar, militante de la défense des droits des groupes minoritaires et des migrants, a été reconnu coupable de 167 chefs d’accusation «d’enregistrement fictif» de ressortissants étrangers en 2015. De plus, la Plateforme de solidarité civique, une coalition d’ONG à l’échelle de l’OSCE, a signalé l’arrestation de huit militants du mouvement antifasciste par le Service fédéral de sécurité (FSB) de la Fédération de Russie; ces personnes sont soupçonnées d’appartenance à un groupe terroriste opérant dans différentes régions du pays. Selon la Plateforme, des aveux leur ont été arrachés par la torture et ils font à présent l’objet de poursuites pénales 
			(22) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/eur46/6895/2017/en/'>Russian
Federation: Further information: Russia drops case against rights
defender: Valentina Cherevatenko</a>, 8 août 2017; <a href='https://www.hrw.org/news/2017/11/07/russian-police-violently-arrest-critical-newspaper-editor'>Russian
Police Violently Arrest Critical Newspaper Editor</a>, 7 novembre 2017; <a href='https://www.hrw.org/news/2017/11/09/russian-human-rights-defender-faces-police-court'>Russian
Human Rights Defender Faces Police in Court</a>, 9 novembre 2017; <a href='https://www.hrw.org/news/2017/11/07/russian-police-violently-arrest-critical-newspaper-editor'>Russian
Police Violently Arrest Critical Newspaper Editor</a>, 7 novembre 2017; Frontline Defenders, <a href='https://www.frontlinedefenders.org/en/case/tatiana-kotlyar-criminally-indicted'>Tatiana
Kotlyar Criminally Indicted</a>; OMCT, Fédération de Russie: Wave of violence against
civic activists must be stopped, 12 mars 2018..
20. Rappelons aussi que, d’une façon générale, la situation des défenseurs des droits de l’homme est extrêmement inquiétante dans la région du Caucase du Nord, et notamment en République tchétchène, ce que l’Assemblée a relevé dans sa récente Résolution 2157 (2017) sur «Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles suites donner à la Résolution 1738 (2010)
			(23) 
			Voir
aussi Doc. 14083 du 8 juin 2016 (rapporteur: M. Michael McNamara, Irlande,
SOC), paragraphes 17-27.; ces questions sont à présent examinées par notre collègue M. Frank Schwabe (Allemagne, SOC), qui établit un rapport sur «Le rétablissement du respect des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord». De même, il convient de noter, dans le contexte d’une persécution ciblant des personnes LGBTI, qu’en mai 2017, des militants pour les droits LGBTI qui tentaient de déposer au bureau du procureur général une pétition contre la persécution de personnes LGBTI en Tchétchénie ont été arrêtés et détenus par les autorités russes 
			(24) 
			<a href='https://www.amnesty.org/en/latest/news/2017/05/russia-knee-jerk-repression-as-lgbti-activists-arrested-over-chechnya-petition/'>Amnesty
International: Russia: Knee-jerk repression as LGBTI activists arrested
over Chechnya petition, 11 mai 2017</a>.. En outre, le 9 janvier 2018, le directeur du Centre des droits de l’homme «Memorial» en République tchétchène, M. Oyub Titiev, qui avait fait un compte rendu détaillé des violations des droits de l’homme commises par des autorités locales, a été arrêté. Il a été détenu au secret pendant plusieurs heures et accusé de détention d’une importante quantité de drogue. Responsable de l’antenne tchétchène de Memorial, M. Titiev avait succédé à Mme Natalia Estemirova, assassinée en 2009; les circonstances de sa mort n’ont toujours pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme. M. Titiev a été placé en détention provisoire. Les membres de sa famille, menacés par les services de police, ont quitté la Tchétchénie. L’un de ses avocats, M. Aslan Telkhigov, aurait été forcé de renoncer à le défendre et a également quitté le pays. Le 22 janvier 2018, la voiture du Centre des droits de l’homme «Memorial», qu’utilisait son autre avocat, M. Petr Zaïkine, a été incendiée au Daghestan. De plus, le 17 janvier 2018, le feu a été mis au bureau de Memorial à Nazran (Ingouchie). Le 28 mars 2018, le chef de l’antenne de l’organisation au Daghestan, M. Sirazhutdin Datsiev, a été agressé par des inconnus alors qu’il se rendait à son bureau. Ces événements pourraient être considérés comme une tentative de réduire au silence Memorial, la seule organisation de défense des droits de l’homme opérant actuellement dans la région du Caucase du Nord 
			(25) 
			Voir
la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6916&lang=1&cat=5'>déclaration</a> que j'ai faite le 11 janvier 2018 en compagnie de M. Frank
Schwabe (Allemagne, Groupe socialiste), rapporteur sur «Le rétablissement
des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable
dans la région du Caucase du Nord»; Observatoire pour la protection
des défenseurs des droits de l’homme («l’Observatoire»), appel urgent
du 20 mars 2018..
21. La situation en Crimée mérite une attention particulière à ce sujet. Depuis l’annexion illégale de ce territoire par la Russie en 2014, plusieurs cas d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées, d’exils forcés ou de diverses autres formes d’intimidation de personnes ayant critiqué l’action et la politique des autorités ont été signalés 
			(26) 
			Voir
également la Résolution
2133 (2016) de l'Assemblée «Recours juridiques contre les violations
des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se
trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes», adoptée le 12 octobre
2016, et Doc. 14139 (rapporteure: Mme Marieluise
Beck, Allemagne, ADLE).. Les autorités ont particulièrement pris pour cible les Tatars de Crimée, qui s’opposent à l’annexion de la Crimée par la Russie. Les militants tatars sont souvent qualifiés «d’extrémistes et de terroristes». Le 11 septembre 2017, un tribunal russe a reconnu M. Akhtem Chiygoz, responsable tatar de Crimée de premier plan, coupable d’avoir organisé «des émeutes de grande envergure» et l’a condamné à une peine de huit ans d’emprisonnement. Le 27 septembre 2017, un autre responsable tatar, M. Ilmi Umerov, a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement pour «séparatisme». Fort heureusement, à la suite des négociations engagées entre la Russie et les autorités turques, les deux militants ont été autorisés à quitter la Crimée et à se rendre en Turquie. En outre, l’avocat de M. Chiygoz, M. Nikolai Polozov, et un autre avocat qui représente les dirigeants tatars de Crimée devant les tribunaux ont été victimes de harcèlement et placés en détention 
			(27) 
			Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2017/11/14/crimea-persecution-crimean-tatars-intensifies'>Crimea:
Persecution of Crimean Tatars Intensifies</a>, 14 novembre 2017, Human Rights Watch <a href='https://www.hrw.org/news/2017/09/27/crimea-crimean-tatar-leader-convicted-spurious-charges'>Crimea:
Crimean Tatar Leader Convicted on Spurious Charges</a>, 27 septembre 2017; et Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2017/09/12/crimea-baseless-conviction-crimean-tatar-leader'>Crimea: Baseless
Conviction of Crimean Tatar Leader</a>, 12 septembre 2017..

3.2.3. Turquie

22. À la suite de la tentative de coup d’État de juillet 2016, l’état d’urgence a été déclaré en Turquie; il a été récemment prorogé pour la septième fois. Les autorités ont procédé à des renvois en masse dans l’appareil judiciaire, l’administration publique, les milieux universitaires, d’autres institutions publiques et les médias. De nombreux défenseurs des droits de l’homme ont été harcelés, menacés physiquement, arrêtés, voire emprisonnés. Dans sa Résolution 2156 (2017), l’Assemblée a approuvé la mise en place d’une procédure de suivi du fonctionnement des institutions démocratiques turques. Elle a aussi appelé les autorités turques à libérer tous les journalistes (plus de 150 à l’époque) et les défenseurs des droits de l’homme en détention 
			(28) 
			Résolution 2156 (2017) sur
le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie, paragraphe 27.1. Sur la situation des journalistes,
voir le chapitre 4 du rapport de la commission de suivi sur lequel
était basée la résolution, Doc. 14282 du 5 avril 2017 (corapporteurs: Mme Ingebjørg
Godskesen, Norvège, GCE, et Mme Marianne
Mikko, Estonie, SOC).. Depuis l’adoption de cette résolution, de nouvelles représailles ont été lancées contre les défenseurs des droits de l’homme. Le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme qui a été publié en mars 2018 et porte sur la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2017 indique que quelque 300 journalistes et 570 avocats ont été arrêtés pour des infractions liées au terrorisme. Trois cent quatre-vingts universitaires «pour la paix» qui avaient signé une pétition contre la violence dans le sud-est de la Turquie ont été licenciés. Quant aux avocats, ils sont 1 480 à être poursuivis à des titres divers; 79 ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement et 34 barreaux ont été dissous. De plus, le gouvernement a fermé 1 719 ONG, dont des organisations de défense des droits de l’homme, des organisations humanitaires et des associations professionnelles d’avocats. Le rapport conclut que l’état d’urgence a contribué à la dégradation de la situation des droits de l’homme dans le pays. Dans sa Résolution 2209 (2018) «État d’urgence: questions de proportionnalité relatives à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme» 
			(29) 
			Rapport
de notre commission, Doc. 14506 (rapporteur: M. Raphaël Comte, Suisse, ADLE)., l’Assemblée a conclu que la réaction de la Turquie face à la situation ayant débouché sur l’état d’urgence était disproportionnée pour de nombreux motifs.
23. Le 6 juin 2017, le président de l’antenne turque d’Amnesty International, Taner Kiliç, et 22 autres avocats ont été arrêtés par la police turque 
			(30) 
			Amnesty
International: <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/06/chair-of-amnesty-international-turkey-swept-up-in-post-coup-purge/'>Le
président d'Amnesty International Turquie victime de la purge consécutive
au coup d'État manqué</a>, 6 juin 2017.. M Kiliç a été déféré devant un juge le 9 juin 2017 et a été inculpé d’appartenance au groupe Fethullah Gülen (appelé «FETÖ/PDY», un acronyme signifiant «Organisation terroriste fethullahiste/Structure d’État parallèle», dans les documents officiels turcs), au motif qu’il aurait téléchargé une application de messagerie, Bylock, utilisée par les «gülénistes». Il reste en détention provisoire dans l’attente de son procès et risque une lourde peine d’emprisonnement. Le 31 janvier 2018, un tribunal d’Istanbul a ordonné sa libération conditionnelle, mais le procureur ayant fait appel de cette décision, un autre tribunal l’a annulée. La date de la prochaine audience est fixée au 21 juin 2018. Amnesty International a demandé la libération immédiate et sans condition de Taner Kiliç, dénonçant des accusations non fondées. Le 5 juillet 2017, la directrice d’Amnesty International, Idil Eser, a été arrêtée avec sept autres défenseurs turcs des droits de l’homme et deux formateurs étrangers (un Suédois et un Allemand) au cours d’un séminaire qui se tenait sur l’île de Büyükada, au motif qu’ils auraient commis une infraction pour le compte d’une «organisation terroriste» dont ils ne sont pas membres. Ces 10 personnes ont toutes été libérées sous caution le 25 octobre. La procédure pénale engagée à leur encontre est toujours pendante et leur affaire a été jointe à celle de M. Kiliç 
			(31) 
			«<a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/turkey/2017/07/d24454/'>Turkey:
Ten human rights defenders indicted on trumped-up terrorism charges;
six remain in pre-trial detention», OMCT, 18 juillet 2017</a> (en anglais), et Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/11/turkey-court-decision-to-keep-amnesty-chair-in-jail-flies-in-the-face-of-reason/'>Turquie:
La décision judiciaire maintenant le président d’Amnesty International
Turquie en prison est contraire à toute raison</a>, 22 novembre 2017. Voir également la déclaration de
mon prédécesseur, M. Yves Pozzo di Borgo, <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6688&lang=1&cat=5'>communiqué
de presse, 8 juin 2017, </a>le <a href='https://pace.coe.int/en_GB/web/as-mon/main?p_auth=9KlleGX4&p_p_id=newsreader_WAR_PACECALENDARportlet&p_p_lifecycle=1&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_p_col_id=column-1&p_p_col_pos=1&p_p_col_count=2&_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_articleId=6838&_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_backUrl=%2Fen_GB%2Fweb%2Fas-mon%2Fmain%3Bjsessionid%3DB0D52E47F44C14464E60AC11FE0BB586%3Fp_p_id%3Dnewsreader_WAR_PACECALENDARportlet%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-1%26p_p_col_pos%3D1%26p_p_col_count%3D2%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_delta%3D6%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_keywords%3D%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_advancedSearch%3Dfalse%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_andOperator%3Dtrue%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_resetCur%3Dfalse%26cur%3D4&_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_javax.portlet.action=viewDetail'>communiqué
de presse</a> des corapporteurs de la Commission de suivi du 13 octobre
2017 et les déclarations d’experts des Nations Unies en date du 13
novembre 2017 «Turkey: UN experts call for dropping of terror charges
against leading human rights defenders» (en anglais et en turc)
et du 16 février 2018 «Turkey: Drop terror charges against Amnesty
chair Taner Kiliç, UN human rights experts urge» (en anglais et
en turc)..
24. Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Le 19 mai 2017, M. Levent Piskin, avocat et membre d’une association promouvant les droits des personnes LGBTI et de la commission sur la justice du Parti démocratique des peuples (HDP), a été arrêté aux motifs qu’il «discréditait l’image de la Turquie» et qu’il «soutenait un groupe terroriste». Selon l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme («l’Observatoire»), l’arrestation a eu lieu le jour même où celui-ci devait défendre 46 avocats victimes de harcèlement judiciaire. De même, en avril 2017, un autre avocat, M. Muharrim Erbey, a été condamné à six ans et trois mois de prison au motif qu’il aurait été membre du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Enfin, en mars 2017, M. Raci Bilici, enseignant et vice-président de l’Association des droits de l’homme (IHD), a été arrêté pour avoir «participé à des activités ayant pour but d’empêcher des opérations intérieures de lutte contre le terrorisme». Le 18 mai 2017, M. Ali Tanriverdi, président de l’antenne de l’IHD de Mersin a été accusé d’être «membre d’une organisation terroriste» et de «propagande en faveur d’une organisation terroriste»; il bénéficie d’une mise en liberté provisoire. En août 2017, Mme Gïlseren Yoleri, présidente de l’antenne d’Istanbul de l’IHD et membre du Comité exécutif d’IHD, et M. Doğan Özkan, membre du Conseil exécutif d’IHD Istanbul, ont été placés en garde à vue pendant trois jours à la suite de leur participation à une manifestation de soutien en faveur de deux enseignants révoqués. Selon l'Observatoire, ils ont été maltraités par les fonctionnaires de police lors de leur arrestation et sont à présent accusés de «propagande pour le compte d’une organisation illégale» et de participation à une manifestation non autorisée. De même, d’autres militants d’IHD – M. Ozturk Turkdogan, Mme Sevim Salihoglu, Mme Derya Uysal et Mme Besra Varli, qui avaient pris part à une manifestation à Ankara – ont été brièvement placés en garde à vue le 9 novembre 2017 et ont été accusés d’infraction à la législation relative aux manifestations. À la fin de janvier 2018, plusieurs membres de l’IHD ont été placés en détention pour des infractions liées au terrorisme au motif qu’ils avaient publié sur les médias sociaux des messages dans lesquels ils critiquaient l’«opération Rameau d’olivier» menée par l’armée turque à Afrin, dans le nord de la Syrie. Selon Human Rights Watch, la même chose est arrivée en février 2018 à plus de 800 personnes qui avaient critiqué cette opération sur les médias sociaux, dans le cadre de manifestations de rue ou d’une autre manière; elles font à présent toutes l’objet de poursuites pénales. Le 30 janvier 2018, la police a, après avoir perquisitionné leur domicile et leur lieu de travail, arrêté 11 membres du Conseil central de l’Union des médecins de Turquie (TTB) sur la base des dispositions de la loi antiterroriste turque, quelques jours après que la TTB eut publiquement critiqué l’opération menée à Afrin, dans le nord de la Syrie. Les membres de la TTB ont été libérés sept jours plus tard, mais sont toujours sous le coup d’une inculpation pénale 
			(32) 
			<a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/turkey/2017/08/d24480/'>Appel
urgent de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits
de l’homme</a>, 9 août 2017; <a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/turkey/2017/11/d24607/'>9
novembre 2017</a>; Observatoire, «Turkey: Ten human rights defenders indicted
on trumped-up terrorism charges; six remain in pre-trial detention»,
18 juillet 2017; Human Rights Watch, Turkey: Crackdown on Social
Media Posts, 27 mars 2018, et Appel urgent de l’Observatoire du
31 janvier 2018..
25. De plus, des poursuites pénales ont également été engagées à l’encontre de Mme Şebnem Korur Financı, présidente de la Fondation des droits de l’homme de Turquie (HRTF), M. Erol Önderğlu, représentant en Turquie de Reporters Sans Frontières, et de M. Ahmet Nesin, journaliste. En 2016, tous trois avaient pris part à une campagne de solidarité en faveur du droit à la liberté de la presse, et en particulier d’un quotidien kurde, Özgür Gündem, dont la fermeture avait été ordonnée. Ils sont accusés «d’incitation à la commission d’une infraction», «de faire l’apologie de l’infraction et des auteurs d’infractions» et de «propagande en faveur d’une organisation terroriste par voie de presse». M. Murat Çelikkan, journaliste et codirecteur de Hafiza Merkezi (Centre Vérité Justice Mémoire), qui avait pris part à la même campagne de solidarité, a été condamné à une peine de 18 mois d’emprisonnement le 18 mai 2017, que le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a critiquée dans une déclaration datée du même jour. Son travail de rédactrice en chef du même journal a valu à Mme Eren Keskin, coprésidente de l’IHD, 143 procédures judiciaires entre 2014 et 2015. Elle a été condamnée à de lourdes amendes et à 7,5 années d’emprisonnement. Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur a soumis l’IHD à une opération de vérification de grande ampleur. Certains membres de cette association, ainsi que des membres de la HRTF, ont été mis en examen pour avoir établi des rapports d’enquête et de suivi sur le couvre-feu décrété dans l’est et le sud-est de l’Anatolie en août 2015 
			(33) 
			<a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/turkey/2017/06/d24393/'> Appel
urgent de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits
de l’homme, 19 mai 2017, 14 avril 2017, 16 mars 2017, 30 juin 2017
et 20 juin 2017, et </a>Rapport de la Plateforme conjointe pour les droits de
l’homme (IHOP) sur «State of emergency measures: updated situation
report – 2018» (État des mesures d’urgence: rapport de situation actualisé
– 2018), p. 20..
26. Le cas de M. Osman Kavala, homme d’affaires et personnalité de premier plan de la société civile, connu pour être favorable au dialogue culturel, à la tolérance, à la paix et à la réconciliation, est lui aussi intéressant. Le 1er novembre 2017, un tribunal d’Istanbul a ordonné son arrestation pour tentative de renversement du gouvernement et de l’ordre constitutionnel en lien avec les événements du parc Gezi de 2013 et du coup d’État avorté de 2016 
			(34) 
			Human
Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2017/11/02/turkey-arrest-civil-society-leader-arbitrary-punitive'>Turkey:
Arrest of Civil Society Leader Arbitrary, Punitive</a>, 2 novembre 2017. .
27. À Ankara, les ONG plaidant pour le respect des droits des personnes LGBTI se sont récemment vu interdire toute activité publique. Toutefois, les représailles contre ces militants ne sont pas chose nouvelle. En août 2016, Hande Kader, militante de la défense des droits de l’homme des personnes transgenre bien connue, a été violée, mutilée, brûlée et tuée 
			(35) 
			Amnesty
International, Human Rights Defenders Under Threat – a Shrinking
Space for Civil Society, 2017, p. 37..
28. Les médias ont également accordé une grande attention au cas de certains journalistes étrangers. M. Mathias Depardon, photographe de presse français dont le travail l’amène à s’intéresser tout particulièrement aux problèmes rencontrés par les migrants, a été arrêté le 8 mai 2017 par la police turque et placé en détention administrative à Gaziantep. Les autorités turques l’accusaient d’avoir travaillé sans carte de presse et le soupçonnaient de propagande terroriste pour le compte du PKK. Après que le président de la République française eut demandé au président Erdoğan le retour en France «le plus vite possible» de M. Depardon, celui-ci a été libéré et est rentré le 9 juin 2017. De même, un autre journaliste français, M. Loup Bureau, qui avait effectué un reportage sur les combattants kurdes qui luttaient contre Daech en Syrie, a été arrêté sous le chef d’accusation «d’appartenance à une organisation terroriste» le 26 juillet 2017. À la suite d’interventions à haut niveau, il a été libéré le 15 septembre 2017 et est rentré en France; il fait cependant toujours l’objet de poursuites pénales en Turquie. Accusé de propagande terroriste, le journaliste germano-turc Deniz Yücel a passé une année en prison, dont neuf mois à l’isolement, avant d’être libéré en février 2018. Un tribunal turc a condamné par contumace une journaliste finno-turque, Mme Ayla Albayrak, a une peine de plus de deux ans d’emprisonnement pour propagande terroriste. Selon Reporters sans frontières, plusieurs dizaines de journalistes étrangers ont été expulsés de Turquie au cours des deux dernières années. La Turquie se classe actuellement 155e sur 180 au Classement 2017 de la liberté de la presse 
			(36) 
			<a href='https://rsf.org/fr/actualites/rsf-se-felicite-de-la-liberation-de-mathias-depardon-en-turquie'>Communiqué
de presse de Reporters sans frontières (en français), 9 juin 2017
,</a> et <a href='https://rsf.org/fr/actualites/loup-bureau-bientot-libre-la-fin-dune-prise-dotage-detat'>https://rsf.org/fr/actualites/loup-bureau-bientot-libre-la-fin-dune-prise-dotage-detat
et https://rsf.org/fr/turquie.</a>.
29. Le 12 juin 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a communiqué la requête Sabuncu et autres c. Turquie au Gouvernement turc. Dans cette affaire, en octobre et en novembre 2016, 10 journalistes du journal d’opposition Cumhurriyet («la République»), bien connu pour sa ligne éditoriale critique à l’égard du gouvernement actuel, ont été placés en détention provisoire parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis des infractions au nom d’organisations terroristes et d’en avoir fait la propagande. Ils font état d’une violation des articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 10 (liberté d’expression) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits) de la Convention 
			(37) 
			Requête
no 23199/17, communiqué de presse de
la Cour européenne des droits de l’homme, 8 juin 2017.. Le 20 mars 2018, la Cour a rendu deux arrêts – Şahin Alpay c.Turquie et Mehmet Hasan Altan c. Turquie 
			(38) 
			Requêtes nos 16538/17
et 13237/17. Les arrêts les concernant ne sont pas encore définitifs., dans lesquels elle a jugé que la détention des deux journalistes à la suite du coup d’État manqué, qui était maintenue alors que la Cour constitutionnelle avait ordonné leur libération, contrevenait aux articles 5.1 (droit à la liberté et à la sûreté) et 10 (liberté d’expression) de la Convention. Le premier journaliste a été libéré le 16 mars 2018 (il est depuis assigné à résidence), mais M. Altan demeure sous les verrous.

3.2.4. Autres cas de représailles à l’égard des défenseurs des droits de l’homme

30. Des cas d’intimidation des défenseurs des droits de l’homme ont également été signalés dans d’autres pays.
31. À Athènes, en Grèce, le 6 janvier 2017, des parlementaires et des militants d’Aube Dorée, parti d’extrême-droite grec, ont violemment interrompu un séminaire sur les droits des minorités nationales, organisé par des militants des droits de l’homme. La police n’avait pas pris les mesures nécessaires pour éviter cette situation et le parquet ne s’est pas automatiquement saisi malgré les carences évidentes des forces de l’ordre. Ce sont les militants victimes qui ont dû porter plainte. Cependant, le 22 décembre 2017, le procureur a versé le dossier aux «archives des auteurs d’infractions non identifiés». De plus, le 22 mars 2018, le groupe d’extrême-droite «Krypteia» a incendié, pour des motifs racistes, les locaux du Centre communautaire afghan d’Athènes, qui prône le respect des droits de la communauté afghane. Les responsables de ce Centre avaient déjà reçu des menaces de mort. Le même jour, Krypteia a également menacé les membres de la Ligue hellénique des droits de l’homme (HLHR), dont on connaît le travail en faveur des droits des migrants et des réfugiés, dans leur bureau athénien. La police continue d’enquêter sur cet incident 
			(39) 
			<a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/greece/2017/01/d24144/'>Appel
urgent de l’Organisation mondiale contre la torture, 6 janvier 2017
et 1er février 2018, et Appel urgent de l’Observatoire du 30 mars
2018</a>..
32. Le 13 juin 2017, la Hongrie a adopté une loi sur «la transparence des organisations financées par des capitaux étrangers», en vertu de laquelle les ONG qui reçoivent plus de 24 000 euros de financement en provenance de l’étranger doivent se réenregistrer en qualité d’«organisation civile financée par des capitaux étrangers» et afficher cette nouvelle appellation sur toutes leurs publications. Cette nouvelle loi a été critiquée par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe. Une campagne d’affichage financé par le gouvernement a été lancée contre le milliardaire philanthrope Georges Soros. Le Premier Ministre Viktor Orbán et d’autres responsables de haut rang ont fait un certain nombre de remarques désobligeantes sur les ONG financées par des capitaux étrangers, en particulier ceux qui sont versés par M. Soros et l’Open Society Foundation qu’il a créée, considérant un grand nombre de défenseurs des droits de l’homme comme de simples «militants à sa solde». En février 2018, le gouvernement a présenté au parlement un ensemble de trois projets de loi dit «Stop Soros», destiné à imposer des limitations strictes au travail des ONG qui œuvrent en faveur du respect des droits des réfugiés et des migrants. Cet ensemble de textes, dont la Commission de Venise a entrepris l’examen, prévoit en particulier la possibilité d’ordonner des mesures d’éloignement en vertu desquelles nul ne pourrait se trouver dans une zone longue de huit kilomètres de part et d’autre de la frontière ou l’ensemble du territoire serait interdit aux ressortissants de pays tiers 
			(40) 
			<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/06/hungary-ngo-law-a-vicious-and-calculated-assault-on-civil-society/'>Article
d’Amnesty International, Hongrie: La loi sur les ONG est une attaque
dangereuse et calculée contre la société civile</a>, 13 juin 2017<a href=''>, </a>et Commission de Venise, Avis concernant le projet de
loi sur la transparence des organisations financées par des capitaux
étrangers, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)015-e&lang=en'>CDL-AD(2017)015</a> (en anglais) 20 juin 2017; déclaration de deux rapporteurs spéciaux
des Nations Unies chargés des droits de l’homme du 15 mai 2017,
«UN rights experts urge Hungary to withdraw Bill on foreign funding
to NGOs» (en anglais) et Comité des droits de l’homme des Nations
Unies, Observations finales sur le sixième rapport périodique de
la Hongrie, CCPR/C/HUN/CO/6 du 5 avril 2018, paragraphes 53-56..
33. L’avocate moldave, Mme Ana Ursachi, s’est fait connaître en défendant dans le cadre d’affaires très médiatisées les intérêts d’opposants à l’oligarque et homme politique moldave Vladimir Plahotniuc. Dans son pays, elle a été victime de campagnes de diffamation orchestrées par les médias progouvernementaux et s’est exilée en Pologne 
			(41) 
			The Captured State:
Politically Motivated Prosecution in Moldova And Usurpation of Power
by Vladimir Plahotniuc, Open Dialog, 22 mai 2017, p. 4-5.. En raison d’allégations selon lesquelles elle aurait été impliquée 20 ans plus tôt dans une affaire de meurtre, le tribunal central de Chisinau a, le 29 mars 2018, en l’absence de ses avocats, fait droit à la demande du parquet qui avait requis son arrestation, et Interpol a publié une notice rouge à la demande du Bureau central national moldave.
34. En Serbie, en janvier 2017, neuf membres de l’Initiative de la jeunesse pour les droits de l’homme (YIHR) ont été agressés par la police dans le nord du pays, à la suite d’une manifestation non violente organisée pendant le discours d’un homme politique serbe condamné pour actes de torture par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, M. Veselin Sljivancanin. Trois militantes de la même organisation ont également été agressées par des membres du Parti démocratique de Serbie (DSS) 
			(42) 
			<a href='http://www.omct.org/fr/human-rights-defenders/urgent-interventions/serbia/2017/01/d24193/'>Appel
urgent de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits
de l’homme (en anglais), 27 janvier 2017.</a>.
35. En Ukraine, les militants de la lutte contre la corruption sont préoccupés par l’adoption, le 23 mars 2017, de la loi no 6172 anticorruption, qui leur impose de présenter une déclaration électronique de leur patrimoine au même titre que les responsables du gouvernement ou les fonctionnaires. De plus, une série d’enquêtes pénales ont été ouvertes contre certaines ONG et leurs responsables, à savoir l’organisation caritative «Patients d’Ukraine», le Réseau panukrainien des personnes vivant avec le VIH/sida, l’Alliance pour la santé publique ou le Centre de lutte contre la corruption. L’agression physique de deux militants de la lutte contre la corruption de Kharkiv, M. Evhen Lisichkin et M. Dmytro Bulakh, a été signalée respectivement en septembre et en août 2017. En outre, Mme Iryna Nozdrovska, avocate spécialiste des droits de l’homme, a été assassinée. Le 1er janvier 2018, son corps a été retrouvé dans une rivière près de Kiev. L’avocate avait empêché la libération du neveu d’un juge de première instance qui avait tué sa sœur dans un accident de voiture en 2015; elle avait apparemment reçu de nombreuses menaces de la part du condamné et de sa famille 
			(43) 
			Commissaire aux droits
de l'homme, <a href='https://www.coe.int/en/web/kyiv/-/commissioner-calls-on-ukrainian-authorities-to-revise-the-anti-corruption-legislation-that-might-negatively-affect-ngos-and-journalists'>Commissioner
Calls on Ukrainian authorities to revise the anti-corruption legislation
that might negatively affect NGOs and journalists</a> (en anglais et en ukrainien), lettre adressée aux autorités ukrainiennes
le 2 mai 2017, Observatoire pour la protection des défenseurs des
droits de l'homme, <a href='http://www.omct.org/fr/human-rights-defenders/urgent-interventions/ukraine/2017/11/d24605/'>Ukraine:
Open letter to the Ukrainian authorities: Stop Prosecution of Anti-corruption
Activists</a> (en anglais), 8 novembre 2017, et <a href='https://www.nytimes.com/2018/01/09/world/europe/ukraine-nozdrovska-murder.html'>https://www.nytimes.com/2018/01/09/world/europe/ukraine-nozdrovska-murder.html.</a>.
36. La question des défenseurs des droits de l’homme qui assurent la protection des droits des migrants et des réfugiés mérite une attention particulière, car les représailles dont ils sont la cible se sont intensifiées dans certains pays occidentaux au cours de ces derniers mois. Ainsi, en août 2017, Mme Helena Malena Garzón, une journaliste espagnole qui enquêtait sur des affaires de traite des êtres humains et défendait les droits des migrants et des réfugiés, a reçu plusieurs menaces, dont des menaces de mort, sur son adresse électronique privée et sur les comptes qu’elle possède sur des médias sociaux. Ces menaces ont été proférées après son intervention à la télévision, au cours de laquelle elle avait critiqué l’action de la police envers les migrants dans les enclaves de Ceuta et Melilla 
			(44) 
			<a href='http://www.omct.org/es/human-rights-defenders/urgent-interventions/spain/2017/08/d24499/'>Appel
urgent de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits
de l’homme</a> (en espagnol), 25 août 2017.. Selon l’Observatoire, certains défenseurs des droits de l’homme français qui assurent la protection des droits des migrants et des réfugiés font l’objet d’un harcèlement judiciaire constant sur le fondement de l’article L. 622-1 du Code pénal français, qui incrimine l’aide facilitant «l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France» (délit de solidarité). C’est tout particulièrement le cas des militants qui agissent dans la vallée de la Roya, à la frontière italienne. L’Observatoire a été particulièrement préoccupé par les cas de M. Cédric Herrou (membre de l’ONG «Roya citoyenne», qui est régulièrement convoqué par la police et a été placé en garde à vue à plusieurs reprises), de M. Pierre-Alain Mannoni (un ingénieur qui œuvre en faveur de la défense des droits des migrants, condamné à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis) et de M. Raphael Faye Pico (un étudiant qui vient en aide aux migrants, condamné à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis). Récemment, une militante d’Amnesty International, Mme Martine Landry, a été accusée d’infraction à l’article L. 622-1 pour avoir aidé deux Guinéens mineurs à entrer sur le territoire français 
			(45) 
			Observatoire pour la
protection des défenseurs des droits de l'homme, <a href='http://www.omct.org/fr/human-rights-defenders/urgent-interventions/france/2017/10/d24584/'>France:
Note conjointe: Vers une politique assumée de criminalisation des
défenseurs des droits des migrants?</a>, 24 octobre 2017
et Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/une-de-nos-membres-poursuivie-pour-delit-de-solidarite'>Une
de nos membres poursuivie pour «délit de solidarité»</a>, 15 décembre 2017. .
37. Rappelons encore deux assassinats survenus récemment, à savoir ceux des journalistes d’investigation Mme Daphne Caruana Galizia à Malte, le 16 octobre 2017, et de M. Ján Kuciak en République slovaque, le 21 février 2018. J’espère que Ie prochain travail de notre collègue de la commission, M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC), en sa qualité de rapporteur sur l’assassinat de Mme Caruana Galizia, aidera à faire la lumière sur les circonstances de cet événement tragique 
			(46) 
			«L’assassinat
de Mme Daphne Caruana Galizia et l’État
de droit, à Malte et ailleurs: veiller à ce que toute la lumière soit
faite», proposition de résolution, Doc. 14479..

4. Conclusion

38. Les exemples précités démontrent que les défenseurs des droits de l’homme sont toujours victimes de représailles et d’actes d’intimidation et que leur situation ne s’est pas améliorée et s’est même détériorée dans certains États membres du Conseil de l’Europe. Comme l’a indiqué le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, on observe une tendance inquiétante à l’augmentation du nombre des agressions commises contre les défenseurs des droits de l’homme partout dans le monde, y compris dans plusieurs pays européens. Les représailles peuvent prendre des formes diverses: assassinat, autres actes commis avec recours à la violence physique, menaces, campagnes de diffamation, incrimination de certaines activités, limites imposées au financement par des capitaux étrangers (telles que celles prévues par des lois du type de la législation sur les «agents étrangers»), surveillance des communications, notamment celles qui sont publiées sur les médias sociaux, et diverses restrictions aux libertés d’expression, d’association et de réunion. Selon M. Forst, les personnes qui œuvrent pour la défense des droits des «personnes en déplacement» sont aujourd’hui particulièrement en danger 
			(47) 
			Rapport du Rapporteur
spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, A/HRC/37/51,
16 janvier 2018.. Les États doivent protéger les défenseurs des droits de l’homme, quelle que soit l’identité des personnes défendues par ces derniers. Parallèlement, les États ont le droit et même le devoir de défendre l’État de droit, pour autant que les lois qu’ils défendent ne contreviennent pas elles-mêmes aux normes internationales en matière de droits de l’homme. L’incrimination de certaines activités des défenseurs peut donc aller à l’encontre de ces normes.
39. Face à la multiplication des actes de représailles contre les défenseurs des droits de l’homme, l’Assemblée devrait rappeler une fois encore aux États membres l’obligation de protéger les défenseurs et de respecter leurs libertés et droits fondamentaux. Il ne s’agit pas seulement des droits liés à leur participation à la vie publique (libertés d’expression, de réunion et d’association consacrées par les articles 10 et 11 de la Convention), mais aussi de l’interdiction de la détention arbitraire et du droit à un procès équitable, notamment dans le contexte des nombreuses procédures engagées contre des défenseurs pour des infractions liées au terrorisme ou d’autres chefs d’accusation. L’Assemblée devrait demander aux États de mettre fin à ces représailles, de protéger les défenseurs contre les agressions commises par des acteurs non étatiques et de mener des enquêtes effectives sur les actes de cette nature. Les États devraient réviser leur législation pour se conformer aux normes internationales en matière de droits de l’homme et à la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme, et, en particulier, abroger les lois qui facilitent la répression ou les actes de représailles. Ils doivent garantir un environnement propice aux activités des défenseurs des droits de l’homme et à leur participation à la vie publique. Les États devraient également faciliter la délivrance en urgence de visas ou de permis de séjour ou l’octroi en urgence de l’asile aux défenseurs des droits de l’homme qui sont en danger dans leur propre pays et leur fournir, en cas de besoin, un refuge temporaire. Une attention spéciale devrait être accordée aux militantes de la défense des droits de l’homme, qui sont souvent agressées en raison de leur travail sur des thèmes culturellement sensibles remettant en question les coutumes traditionnelles. De leur côté, les parlements nationaux devraient consulter les défenseurs au sujet de tout projet de loi relatif à ces thèmes ou aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales en général.
40. Nous célébrons cette année le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le 10e anniversaire de la Déclaration du Comité des Ministres sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités. Il convient de saisir cette occasion pour appuyer les initiatives lancées par le Conseil de l’Europe en vue d’aider les défenseurs des droits de l’homme; l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, a publié une Déclaration à l’occasion du 10e anniversaire de la Déclaration du Comité des Ministres sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités le 6 février 2018. Comme l’a proposé le CDDH dans l’étude susmentionnée, le Conseil de l’Europe pourrait, par exemple, organiser un séminaire de haut niveau afin de célébrer cet anniversaire et de repenser l’action menée par les États membres, l’Union européenne et d’autres organisations internationales (à savoir l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les Nations Unies) pour mieux protéger les défenseurs.
41. Le Conseil de l’Europe réfléchit déjà de manière approfondie à cette question et a commencé à prendre des mesures concrètes, mais les mesures adoptées jusqu’à présent ne sont pas encore suffisantes. Aussi ai-je proposé la prise de certaines mesures dans le projet de recommandation. En particulier, suivant en cela l’exemple de mon prédécesseur, Mme Reps, j’appuie l’idée de mettre en place une plateforme pour protéger les défenseurs des droits de l’homme, qui signalerait les nouveaux actes de représailles commis dans les États membres du Conseil de l’Europe, à l’instar de la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes. L’index des agressions et des menaces à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme tenu par Protect Defenders pourrait également constituer une source d’inspiration. De plus, l’Organisation devrait accorder une attention et une protection particulières aux défenseurs des droits de l’homme qui coopèrent avec le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme. L’Assemblée devrait également poursuivre son action à cet égard. Comme Mme Reps, je souscris à l’idée de nommer un rapporteur général de notre commission sur la situation des défenseurs des droits de l’homme 
			(48) 
			Doc. 13943, paragraphe 51, supra note
5., car cette question devrait rester au premier rang des priorités de l’Assemblée. Le rapporteur général pourrait suivre de près les cas d’actes de représailles commis contre des défenseurs des droits de l’homme, y réagir et entretenir des contacts de travail réguliers avec les autres organes du Conseil de l’Europe. L’Assemblée pourrait également favoriser la coopération internationale entre parlements nationaux pour l’échange d’informations sur les bonnes pratiques relatives à la promotion des activités des défenseurs des droits de l’homme et sur les abus dont ils sont victimes. Elle pourrait, par exemple, mettre en place un réseau de parlementaires qui appuieraient le travail des défenseurs, condamneraient tout acte de représailles à leur encontre et porteraient la situation des défenseurs œuvrant dans les autres pays à l’attention de leurs parlements respectifs.
42. En conclusion, le Conseil de l’Europe doit aller plus loin dans ce domaine. À l’occasion des anniversaires dont il a été question plus haut, l’Organisation devrait rendre une fois de plus hommage à l’action inestimable des défenseurs des droits de l’homme et saluer la mémoire de ceux qui ont perdu la vie en défendant les droits d’autrui.

Annexe – Avis divergent de M. Mustafa Yeneroğlu 
			(49) 
			En
application de l’article 50.4 du Règlement de l’Assemblée («En outre,
le rapport d’une commission comporte un exposé des motifs établi
par le rapporteur. La commission en prend acte. Les avis divergents
qui se sont manifestés au sein de la commission y sont inclus à
la demande de leurs auteurs, de préférence dans le corps même de
l’exposé des motifs, sinon en annexe ou dans une note de bas de
page»). (Turquie, GDL), membre de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

(open)

Le présent avis divergent vise à réagir à certaines affirmations inexactes du rapport, qui reposent sur le point de vue subjectif du rapporteur. Par la présente, nous donnons notre propre point de vue sur les questions concernées.

L’ordre juridique turc considère la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme comme autant de repères. La liberté d’expression, de réunion et d’association, ainsi que le droit à un procès équitable, sont par conséquent garantis par la Constitution, conformément à la CEDH et à la jurisprudence de la Cour.

Notre Gouvernement attache la plus grande importance au maintien du caractère dynamique et pluraliste de la société civile turque, ainsi qu’à l’action des défenseurs des droits de l’homme. Le processus de réforme approfondi entrepris au cours de ces 15 dernières années a considérablement contribué à créer un environnement propice à la société civile.

Les poursuites engagées à l’encontre des membres de certaines organisations de défense des droits de l’homme ne concernent pas leurs activités au sein de ces organisations, mais tiennent aux infractions pénales qui leur sont reprochées. De même, les mises en examen des personnes qualifiées de «journalistes emprisonnés» ne concernent pas leurs activités journalistiques, mais leurs actes de soutien en faveur d’organisations terroristes ou leurs liens avec celles-ci.

Le journalisme ne peut être invoqué comme un bouclier pour échapper à une enquête judiciaire. D’ailleurs, le fait d’utiliser sa profession pour commettre des infractions est également contraire aux principes du journalisme.

Les droits que leur confère la loi sont protégés. La procédure judiciaire est en cours. À mesure que celle-ci progresse, certaines personnes détenues sont remises en liberté dans l’attente de leur procès. Cela vaut également pour les personnes qualifiées de «défenseurs des droits de l’homme».

Nous sommes confrontés à de graves et multiples difficultés en matière de sécurité à cause d’organisations terroristes (FETÖ, PKK, DHKP-C et DAECH). La prise de mesures efficaces est indispensable non seulement pour des raisons de sécurité, mais également pour protéger les droits de nos concitoyens et de notre démocratie.

La première des priorités en Turquie aujourd’hui est de ménager un juste équilibre entre les libertés et les besoins en sécurité, tout en prenant des mesures adéquates. S’agissant de l’état d’urgence, toutes les mesures sont prises dans une parfaite transparence. La Turquie respecte ses obligations internationales. À ce propos, 42 000 agents publics ont été réintégrés à ce jour (38 000 par le biais de commissions administratives de contrôle et plus de 3600 par décret). 350 établissements privés environ ont également été autorisés à reprendre leurs activités. D’autre part, la Commission d'enquête sur les mesures de l'état d'urgence a été mise en place. Cette commission est habilitée à prendre des décisions contraignantes dans le respect de la légalité. Ces décisions sont également susceptibles de contrôle juridictionnel. La commission représente une voie de recours interne, reconnue comme telle par la Cour européenne des droits de l’homme.

À cet égard, les affirmations formulées dans les paragraphes 22 à 29 de l’exposé des motifs ne reflètent pas la réalité et sont le fruit d’un jugement partial. En outre, il est inadmissible que cet exposé des motifs utilise les termes de «groupe Fethullah Gülen» ou de «gülénistes» pour désigner le FETÖ, l’organisation terroriste qui a organisé la tentative avortée de coup d’état du 15 juillet et qui a assassiné des centaines de civils innocents et en a blessé des milliers d’autres.