1. Introduction
2. Toutefois, malgré les progrès notables accomplis au cours
de ces dernières décennies, l’inégalité entre les femmes et les
hommes pose toujours de graves problèmes. Elle est présente dans
tous les domaines de la vie publique, y compris la représentation
politique, et particulièrement évidente dans l’économie. Des études récentes
montrent que la situation n’évolue que très lentement. En Europe,
pour des emplois similaires, l’écart de rémunération (« fossé salarial »)
entre les femmes et les hommes est aujourd’hui d’environ 23 %. Le
nombre de femmes occupant des postes de direction dans de grandes
entreprises est dérisoire.
3. Il est possible de modifier cet état de choses: les chiffres
montrent que les niveaux d’inégalité varient considérablement d’un
pays à l’autre et que, dans certains d’entre eux, la participation
des femmes à l’économie a été considérablement accrue par diverses
mesures allant de la discrimination positive (quotas au sein des
organes de direction des entreprises publiques) à des mesures de
conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, sans
compter les actions de sensibilisation, de formation et d’éducation
tout au long de la vie, assurément essentielles pour réaliser des
progrès dans ce domaine.
4. Il est communément admis que l’égalité de genre dépend d’une
série de facteurs étroitement liés les uns aux autres. L’expérience
des sociétés plus égalitaires dans ce domaine montre que l’égalité
entre les femmes et les hommes au travail conditionne les progrès
dans d’autres domaines, dont la vie politique et publique. C’est
la raison pour laquelle il est capital de donner aux femmes les
moyens d’occuper leur place dans l’économie.
5. Le présent rapport aborde l’expérience des femmes et des hommes
au travail et dans l’ensemble de l’économie. Il analyse les obstacles
à la progression des femmes dans la vie professionnelle, leur incidence pénalisante
sur la vie de chacune et sur le développement économique général,
et les moyens de traiter ce problème.
6. La discrimination revêt diverses formes. Les femmes éprouvent
plus de difficultés que les hommes à accéder au marché du travail
et à faire carrière. Et comme il a déjà été indiqué, les écarts
de salaire injustifiés entre les femmes et les hommes restent fréquents.
C’est l’une des formes les plus manifestes de la discrimination
à l’égard des femmes sur le marché du travail. Elle a de graves
répercussions sur le bien-être économique des femmes à court, mais
aussi à long terme, du fait que des niveaux de rémunération inférieurs se
traduisent, avec le temps, par des retraites inférieures.
7. La segmentation par genres est une autre caractéristique du
marché du travail. Les femmes sont souvent surreprésentées dans
certains secteurs féminisés (comme l’éducation, l’action sociale
et la santé) et sous-représentées dans les sciences, l’ingénierie
et la technologie. Ce type de segmentation tend à accentuer les
inégalités, notamment salariales, car les secteurs dans lesquels
les femmes sont le plus présentes offrent souvent des rémunérations
moyennes inférieures.
8. En outre, les femmes sont surreprésentées dans des emplois
hors norme (travail temporaire, à temps partiel et d’astreinte ,
placements intérimaires et autres formules multipartites) ou précaires,
généralement moins ouverts sur la progression professionnelle et
l’avancement dans la carrière.
9. Les femmes sont encore largement sous-représentées dans les
organes de direction des entreprises: les données publiées par l’Organisation
pour la coopération et le développement économiques (OCDE) montrent
qu’en 2014, le pourcentage de sièges attribués à des femmes au sein
des conseils d’administration des plus grandes entreprises cotées
en Bourse n’était que de 20 % dans les 28 États membres de l’OCDE.
10. On constate aussi des différences entre les sexes parmi les
travailleurs indépendants: 8,3 % des femmes actives (contre 12,4 %
des hommes) exercent une activité indépendante et n’ont pas de salariés ; l’écart
se creuse considérablement lorsqu’il s’agit de développer l’entreprise
puisqu’en moyenne, dans les pays membres de l’OCDE, 2,2 % des femmes
seulement, contre 5,5 % des hommes, exercent une activité indépendante
et ont des salariés.
11. Ces diverses manifestations de l’inégalité sont interconnectées.
Elles sont en outre liées aux inégalités entre les femmes et les
hommes au foyer – ce qu’il convient toujours de prendre en compte
dans l’analyse des formes d’inégalité et la recherche des contre-mesures
possibles.
2. Salariées: disparités de rémunération
entre les femmes et les hommes
12. L’écart de rémunération entre
les femmes et les hommes est un problème majeur ; aucun pays ne
l’a entièrement comblé, estime le Forum économique mondial. Il est
en moyenne de 16.7 % dans les États membres de l’Union européenne
.
Il dépend de plusieurs facteurs. L’éducation en est un: les femmes
ont un niveau d’éducation élevé — supérieur à celui des hommes —
mais elles se spécialisent dans des disciplines moins recherchées
sur le marché du travail. Elles sont relativement peu nombreuses
à opter pour les disciplines « STIM » (sciences, technologie, ingénierie
et mathématiques), qui offrent de meilleures perspectives d’emploi.
La maternité constitue depuis longtemps une entrave à l’accès des
femmes à l’emploi et à la progression dans leur carrière. Cela reste
vrai, mais il convient de souligner que le taux de fécondité et le
taux d’emploi des femmes sont positivement corrélés, ce qui s’explique
par le fait que les pays où le taux d’emploi des femmes est le plus
élevé sont souvent aussi ceux qui offrent un soutien adéquat à la
parentalité, notamment par des structures de garde d’enfants et
des aides financières aux familles.
13. Certains traits culturels profondément ancrés dans nos sociétés,
tels que le partage des tâches au sein de la famille, ont des effets
qui débordent dans le monde du travail et contribuent à perpétuer
les différences de rémunération entre les femmes et les hommes.
Les tâches non rémunérées ne sont toujours pas équitablement partagées
entre les femmes et les hommes. L’idée que la parentalité aurait
un effet négatif sur la motivation professionnelle des femmes et
positif sur celle des hommes reste très répandue. La ségrégation entre
les sexes par secteurs d’activité a également une incidence: les
salaires sont souvent plus bas dans les secteurs plus féminisés
que les autres.
14. Lors de l’audition du 23 juin 2016, M. Sam Smethers, directeur
de la Fawcett Society, une organisation caritative basée à Londres,
a indiqué que l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes
est actuellement de 19 % au Royaume-Uni, et monte même à 30 % dans
les emplois à temps partiel. Ses effets se cumulent au long de la
vie active, ce qui se traduit finalement par des disparités des
retraites encore plus larges, de quelque 40 %. Les chiffres sont
comparables à l’échelle de l’Union européenne: l’Institut européen pour
l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) indique que l’écart
des retraites était de 38 % en 2012. Cela résulte de l’accumulation
des inégalités dont les femmes sont victimes tout au long de leur
vie: outre les différences de salaires, elles sont victimes d’une
« pénalité de maternité » (liée au temps de travail non rémunéré
consacré à la maternité et à la garde des enfants) et d’une ségrégation
sur le marché du travail. Aujourd’hui, les régimes de retraite ne
sont pas adaptés aux contraintes de la vie professionnelle moderne,
qui s’est fractionnée. Les salariés changent généralement d’emploi
plusieurs fois dans leur vie, mais ont souvent du mal à obtenir
une retraite correspondant à la durée et à la valeur de l’ensemble
de leur carrière.
15. Mme Katie McCracken, chercheuse,
Opcit Research, a montré que la capacité d’action d’une femme est soumise
à toute une série de facteurs, certains individuels (subjectifs,
personnels) et d’autres structurels, c’est-à-dire associés à la
structure de la société et au cadre juridique. Les pratiques culturelles
et familiales, les médias, les normes et attentes sociales transcendent
cette distinction. La discrimination présente elle aussi ce double
caractère individuel et structurel.
16. La prise de conscience de cet état de choses progresse et
la volonté politique d’y remédier se renforce, soutenue par les
considérations éthiques et les indicateurs économiques. Pourquoi
le travail de quelqu’un vaudrait-il 20 % à 30 % de moins pour la
seule raison que la personne est une femme ? Et pourquoi un pays devrait-il
renoncer à accroître sa prospérité en raison d’une conception dépassée
des rôles de l’homme et de la femme et autres entraves culturelles
héritées du passé à l’accès des femmes au travail ? En effet, les recherches
montrent que le développement économique s’accélérerait nettement
si les femmes et les hommes pouvaient y contribuer à égalité. Mme Smethers
a évoqué des estimations intéressantes sur le produit national brut
du Royaume-Uni, qui augmenterait de 600 milliards de livres si le
fossé était comblé. Autrement dit, l’écart de rémunération entre
les femmes et les hommes se traduit par un lourd déficit de productivité.
Aux États-Unis, l’économiste Heidi Hartmann, présidente de l’Institute
for Women’s Policy Research, a estimé que l’égalité de rémunération
des femmes et des hommes stimulerait l’économie et ajouterait au
moins trois ou quatre points de pourcentage à la croissance
.
17. Bien qu’un nouvel élan politique apparaisse, il n’est pas
toujours facile pour les décideurs de déterminer le meilleur moyen
de faire leur juste place aux femmes dans l’économie. Pour cette
raison, il convient de recenser les mesures qui se sont révélées
les plus efficaces dans la lutte contre les inégalités (législation, politiques
publiques et autorégulation des entreprises).
18. Mme Paola Profeta, professeure
à l’Université Bocconi, a donné à notre commission des indications
sur les politiques que les économistes jugent les plus efficaces.
Les actions portant sur la garde des enfants en bas âge ont par
exemple une incidence positive non seulement sur le développement
de l’enfant, mais aussi sur la mobilité sociale. Elles englobent
la mise en place d’une infrastructure adéquate et de services de
garde d’enfants accessibles, mais aussi des incitations financières,
telles que déductions fiscales et chèques-garde d’enfants pour les
frais de cette nature. Les politiques relatives au congé de paternité
jouent également un rôle important, car elles ont de multiples effets
à la fois sur l’emploi des femmes, sur les cultures d’entreprise
et sur les mentalités (outre des avantages évidents, au sein de
la famille, en ce qui concerne la relation père-enfant). Des mesures
devraient également être prises par les entreprises pour encourager
les mères à reprendre le travail, car une part notable des femmes
abandonnent leur activité professionnelle à la naissance de leur deuxième
enfant. L’assouplissement des conditions de travail (télétravail
et horaires flexibles) augmente la productivité, un meilleur équilibre
entre travail et vie privée ainsi qu’un plus juste partage des tâches
au foyer. Il faudrait que les emplois de qualité soient aussi ouverts
au temps partiel (aujourd’hui, ils sont en général réservés aux
fonctions déqualifiées). Les obligations de transparence constituent
par ailleurs une pratique intéressante: en l’absence de transparence,
une femme peut difficilement détecter par elle-même et mesurer les
discriminations qu’elle subit en matière salariale. Il pourrait
donc être judicieux d’adopter des dispositions qui imposent aux
organisations de publier leur écart de rémunération entre les femmes
et les hommes et les écarts de primes (comme le fait par exemple
la législation du Royaume-Uni).
19. L’Islande a mis en place des mesures innovantes dans sa loi
sur l’égalité de rémunération votée par l’Althingi (parlement) en
avril 2017. Le nouveau texte impose aux sociétés publiques et privées
employant 25 salariés ou davantage de faire vérifier et certifier
par une instance de contrôle extérieure que leur système de rémunération
garantit l’égalité entre les femmes et les hommes. Il prévoit des
sanctions financières en cas de non-respect, et les syndicats peuvent
aussi agir contre les entreprises fautives. La loi aborde l’égalité
entre hommes et femmes dans l’avancement professionnel et les systèmes
de rémunération des entreprises par le biais de la transparence
des critères. Elle cherche aussi, d’une manière plus générale, à
promouvoir le souci de l’égalité des sexes parmi les employeurs
et les salariés, et à inciter les femmes à se porter candidates
à toutes les fonctions, y compris celles qui sont traditionnellement
considérées comme réservées aux hommes.
20. Le respect des normes définies dans les lignes directrices
permet aux entreprises d’obtenir la certification (un logo spécial
a été créé à cet égard). Le système d’analyse et de certification
prévoit un déploiement échelonné. Dans un premier temps, il s’appliquera
aux entreprises de plus de 215 salariés (les grandes sociétés),
qui doivent être contrôlées d’ici la fin 2018. La seconde étape,
qui doit se clore en 2021, étendra le contrôle aux sociétés de plus
de 25 salariés. Les petites entreprises de moins de 25 salariés
ne sont pas soumises à cette réglementation en raison du coût relativement
élevé de la procédure. Bien qu’une grande partie des sociétés islandaises
appartienne à cette dernière catégorie, la loi devrait couvrir près
de 60 % de la population active.
21. Le processus de certification se déroule en plusieurs phases:
d’abord, le système de rémunération utilisé par les responsables
de la société est analysé ; des écarts injustifiés de salaire entre
les femmes et les hommes peuvent alors apparaître. Ensuite, l’entreprise
met en place un plan d’action pour l’égalité des sexes, que peut
contrôler le Centre pour l’égalité des sexes (bureau national créé
par le ministère de la Protection sociale). Après quoi elle déploie
des politiques de soutien à l’égalité entre les femmes et les hommes
pour remédier à d’éventuels déséquilibres. L’analyse du système
de rémunération est réalisée par des auditeurs externes conformément
aux lignes directrices approuvées par le ministère de la Protection
sociale. Les auditeurs suivent une formation spécifique, supervisée
par le gouvernement.
22. La rédaction de la loi sur l’égalité de rémunération entre
les femmes et les hommes s’est appuyée sur d’amples négociations
et coopérations avec les partenaires sociaux (syndicats et fédérations
d’employeurs). Aboutissement d’un long processus, elle a été précédée
de plusieurs lois et politiques sur l’égalité entre les sexes, qui
lui ont ouvert la voie ces dernières décennies. Il s’agit de mesures
de conciliation de la vie active et de la vie familiale, comme les
mécanismes de congé parental et la loi sur les quotas de genre au
sein des organes de direction des grandes entreprises. Ce texte
commençant juste à être appliqué, il est trop tôt pour en apprécier
les effets. Les premiers résultats ne seront pas connus avant 2019.
23. L’écart de rémunération entre les femmes et les hommes est
un problème complexe qui appelle des interventions dans plusieurs
domaines. Les mesures mentionnées ci-dessus me paraissent conjuguer judicieusement
les aspects culturels, économiques et sociaux. Les politiques de
promotion de l’égalité des sexes constituent un bon investissement
pour n’importe quel pays. Elles apportent une valeur ajoutée à l’économie
et, comme mentionné précédemment, contribuent à la croissance économique.
Elles créent un cercle vertueux en augmentant la présence des femmes
dans les fonctions décisionnelles, dans l’économie et la politique,
ce qui contribue en retour à éliminer les autres formes de discrimination.
Ces politiques devraient être convenablement financées et figurer
en bonne place dans les priorités des décideurs. Ce n’est malheureusement
pas toujours le cas.
3. Quotas
d’hommes et de femmes dans les directions des entreprises
24. La Norvège a adopté en 2006
des mesures radicales pour améliorer l’équilibre hommes-femmes dans les
directions des grandes entreprises, notamment un quota de 40 % de
femmes pour les entreprises cotées en Bourse. Le nouveau texte est
entré en vigueur en 2008; il prévoit des sanctions sévères pour
les entreprises non conformes, dont la dissolution forcée.
25. Neuf ans plus tard, une étude approfondie sur les effets des
quotas de femmes
, fondée sur les réponses
de 404 cadres supérieurs à un questionnaire envoyé à 127 entreprises,
a donné une image nuancée des résultats ainsi obtenus. Les sociétés
cotées en Bourse auxquelles la loi s’applique ont rapidement atteint la
proportion minimale réglementaire de femmes dans les organes de
direction, soit 40 %. Cette proportion est restée identique depuis
2009. Toutefois, le nombre des sociétés cotées en Bourse est passé
de 452 au moment où la loi a été adoptée à 257 en 2013, nombre d’entre
elles ayant changé de statut. Quoi qu’il en soit, ces entreprises
sont grandes, mais peu nombreuses. En revanche, il y a plus de 250 000
sociétés non cotées (qui ne sont pas couvertes par la loi). Dans
ce groupe, la part des femmes au sein des conseils d’administration est
nettement inférieure (autour de 20 %) et n’a quasiment pas changé
depuis dix ans. Cela montre bien que rien ne bouge en l’absence
d’une législation et de sanctions adéquates.
26. L’un des effets secondaires de la loi sur les quotas souvent
mis en avant est que les rares femmes gestionnaires chevronnées
avaient fini par cumuler des sièges dans plusieurs sociétés. Le
phénomène s’est pratiquement résorbé depuis: les femmes occupaient
en moyenne 2,46 sièges et les hommes 2,25 dans des conseils d’administration
en 2013.
27. La loi sur les quotas n’a pas nécessairement changé les mentalités
au sein de la population, et son incidence est même restée limitée
à certains égards: selon les réponses au questionnaire cité ci-dessus,
il reste plus difficile pour les femmes cadres que pour leurs homologues
masculins de concilier vie professionnelle et vie privée. On peut
en conclure que les tâches ménagères et les soins aux enfants continuent
d’incomber davantage aux femmes. Si le nombre de femmes membres
de conseils d’administration a considérablement augmenté, aucune
progression n’a été constatée en revanche en ce qui concerne les présidents-directeurs
généraux (PDG): en Norvège, aucun des 60 plus grandes entreprises
n’est une femme.
28. En dépit de certaines insuffisances, la loi norvégienne sur
les quotas est perçue comme un tournant et a suscité un vif intérêt
en Europe et dans le monde. Le législateur de plusieurs pays (comme
la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Islande et l’Italie) s’est
inspiré de ce modèle. Le Portugal a rejoint le mouvement assez récemment:
la loi adoptée en juin 2017 impose un quota de genre de 33,3 % au
sein des organes d’administration et de surveillance des entreprises
publiques à partir de janvier 2018, et de ceux des entreprises cotées
en Bourse à partir de janvier 2020.
29. J’ai pu me familiariser en janvier 2017 avec la loi française
sur les quotas
, dans le cadre d’une visite d’information
effectuée à l’approche du délai d’application du niveau seuil minimum
de 40 %. Cette loi, présentée par M. Jean-François Copé et Mme Marie-Jo
Zimmermann, notre collègue au sein de la commission, a été votée
en 2011 à une large majorité multipartite. Elle s’applique aux entreprises
cotées ou non en Bourse qui emploient depuis trois exercices consécutifs
un personnel permanent d’au moins 500 personnes et dégagent un chiffre
d’affaires d’au moins 50 millions d’euros. En outre, elle concerne
les établissements publics à caractère industriel et commercial,
comme les entreprises industrielles et les entreprises détenues par
l’État.
30. Mes interlocuteurs de Paris, qui représentaient des entreprises
privées, des professions libérales et des organismes publics de
défense de l’égalité des genres, se sont accordés à reconnaître
que la loi avait eu de notables effets positifs. La plupart des
entreprises ciblées, dans l’ensemble soucieuses de se mettre en conformité
avec la loi, ont atteint le seuil exigé, et on constate même des
changements qualitatifs. La diversité a généralement eu des effets
positifs dans les organes de direction: en moyenne, leurs membres
sont aujourd’hui plus jeunes et possèdent une meilleure formation.
Ils semblent également plus indépendants et plus ouverts à l’innovation.
Mme Brigitte Longuet, une juriste expérimentée
possédant une connaissance approfondie du monde des professions
libérales et de la situation des femmes dans d’autres secteurs de l’économie,
a porté un avis très favorable sur la loi. Les mentalités auraient
manifestement évolué au sein des grandes entreprises, et la diversité
accrue au sein des équipes de direction serait unanimement perçue
comme un atout.
31. Certains des interlocuteurs rencontrés ont relevé les insuffisances
de ce texte, notamment l’absence de sanction en cas de non-respect
de ses dispositions. En fait, la loi ne désigne même pas clairement
l’autorité chargée de veiller à son application. Les entreprises
concernées ont fait preuve de bonne volonté, mais rien ne garantit
la pérennité des changements. En outre, le champ d’application de
la loi est restreint, car il ne couvre pas les petites et moyennes
entreprises. Des modifications mineures du texte suffiraient à remédier
à certaines de ses insuffisances. L’an dernier, une évaluation de
son application a été réalisée conjointement par deux organismes
de défense de l’égalité: le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes
et les hommes et le Conseil Supérieur de l’égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes. Leur rapport formule une série de
recommandations visant principalement à rendre l’application des
règles plus aisée et plus efficace.
32. Mme Élisabeth Richard, membre de
la direction de la grande entreprise énergétique ENGIE, a été chargée
du dossier de « la place des femmes ». Elle m’a expliqué que son
entreprise avait pris une série de mesures visant à renforcer la
représentation des femmes à tous les niveaux, à la suite d’une visite
d’un membre du gouvernement français qui s’était enquis de la situation
en la matière auprès de l’équipe dirigeante. Les efforts déployés
par diverses parties prenantes et leurs effets sont encourageants.
La loi sur les quotas reste à mon avis la plus efficace des mesures
adoptées ces dernières années. L’effet positif qu’elle semble avoir
sur la culture d’entreprise et, à plus longue échéance, sur les
mentalités en général, rend cet instrument particulièrement utile
et nécessaire.
33. Des règles similaires ont été adoptées en 2011 en Autriche,
en Belgique, en Italie et aux Pays-Bas. Comme je l’ai déjà indiqué,
notre commission s’est entretenue avec Mme Lella
Golfo, ex-députée italienne et l’un des auteurs de la loi 120/2011,
qui fixait une représentation minimale de chaque sexe de 20 % à
partir de 2012 et de 33 % à partir de 2015 dans les organes de direction
des entreprises cotées. Lorsque la préparation du projet de loi
a débuté en 2009, seuls 5,6 % des membres de ces organes étaient
des femmes. Il était urgent d’adopter des mesures radicales et le
système norvégien avait été choisi comme modèle. Les quotas que prévoit
la loi sont temporaires: ils ne valent que pour trois mandatures
des conseils, soit neuf ans au total. CONSOB (organisme public chargé
de surveiller les entreprises cotées et le fonctionnement du marché boursier)
et le Département de l’égalité des chances du gouvernement sont
chargés de veiller à l’application de la loi. Il leur incombe également
d’appliquer des sanctions en cas de non-respect (amendes comprises
entre 100 000 et 1 million d’euros, voire révocation de l’ensemble
du conseil d’administration).
34. D’après Mme Golfo, la loi a eu
des effets remarquables, qui sont allés bien au-delà des résultats escomptés,
sur le plan quantitatif, mais aussi qualitatif. La proportion des
femmes occupant des postes de direction dans les entreprises concernées
est passée de 5,6 % à plus de 30 %, comme le veut le texte. La qualité
des conseils d’administration s’en est également trouvée améliorée:
tout comme je l’avais observé en France, la loi sur les quotas s’est
traduite par des conseils d’administration composés en moyenne de membres
plus jeunes et mieux formés.
35. Les organisations de défense des droits des femmes ont réalisé
un intense travail de sensibilisation et de mobilisation pour que
la loi sur les quotas soit adoptée, malgré l’opposition de nombreux
parlementaires. Les députées étaient alors moins nombreuses qu’aujourd’hui
(sans compter qu’elles n’étaient pas toutes favorables au projet
de loi), ce qui montre bien, s’il en était besoin, que la représentation
politique des femmes est liée à leur statut dans l’ensemble de la
société. La Fondation Marisa Bellisario, que préside Mme Golfo,
s’est également employée à renforcer la prise de conscience au sein
des grandes entreprises. En réponse à l’objection selon laquelle
il n’y avait pas assez de femmes capables d’occuper des postes de
haute direction, elle a diffusé 2 500 curricula vitae de candidates
possédant le profil requis. En Italie comme ailleurs, la loi sur les
quotas a impulsé un revirement culturel: même les opposants d’hier
sont nombreux à reconnaître aujourd’hui que le texte a eu des effets
bénéfiques. Les similitudes sont frappantes entre les quotas applicables aux
organes de direction des entreprises publiques et les quotas électoraux.
Dans les deux cas, l’instauration de quotas a été obtenue au terme
d’une longue et dure campagne de lutte contre le déficit de représentation. Dans
les deux cas, il peut être utile de considérer les quotas comme
une mesure provisoire et dans les deux cas encore, l’impact est
rapide et visible, et il s’accompagne de changements culturels qui
devraient persister à plus long terme.
36. En novembre 2017, la commissaire de l’Union européenne à la
Justice et à l’Égalité des genres, Vĕra Jourová, a annoncé de nouvelles
propositions de promotion des quotas de genre au sein des organes
de direction des entreprises. Celles dans lesquelles les femmes
sont insuffisamment représentées parmi les directeurs non exécutifs
(moins de 60 %) seraient tenues de leur donner priorité dans l’examen
des candidatures à ce type de fonctions. Je me félicite de cette
initiative ; j’espère que les pays membres de l’Union européenne
la soutiendront (par le passé, plusieurs d’entre eux ont résisté
à des actions de ce type, pour diverses raisons).
37. Eu égard aux similitudes que j’ai évoqué entre les quotas
au sein des directions d’entreprise et les quotas électoraux en
politique, et sachant que je suis fervente partisane de ces derniers,
je ne puis que prôner la discrimination positive au sein des équipes
de direction des entreprises. La logique qui a présidé à son adoption
dans plusieurs pays et la constatation de ses effets montrent qu’il
s’agit d’une mesure efficace et nécessaire, en particulier dans
l’immédiat.
4. Entrepreneuriat
féminin
38. Les femmes ne travaillent pas
seulement dans des entreprises, à des fonctions d’encadrement ou autres:
certaines créent leur propre entreprise. Des différences entre les
femmes et les hommes existent aussi dans ce domaine. Comme l’a expliqué
devant notre commission Mme Valérie Frey,
chercheuse à l’OCDE, rares sont les données permettant de comparer
les pays sur ce terrain, mais les statistiques sur le travail indépendant
fournissent certaines indications. Environ les deux tiers des chefs
de petites entreprises sont des hommes pour un tiers de femmes.
Celles-ci seraient moins nombreuses que les hommes à opter pour
une activité indépendante, et cela pour des motifs en partie subjectifs:
certaines d’entre elles n’ont pas la confiance en soi nécessaire
(cet élément est frappant et j’y reviendrai). Des facteurs objectifs
contribuent également à ce déficit d’entrepreneuriat chez les femmes ;
l’accès plus difficile à des financements joue un grand rôle à ce niveau,
comme le montrent des études menées dans plusieurs États membres
de l’OCDE.
39. Les entreprises dirigées par une femme ou un homme diffèrent
également par la taille (en moyenne, les femmes créent et dirigent
des entreprises plus petites) et malheureusement aussi par les bénéfices
(l’écart observé entre les femmes et les hommes est ici encore plus
important que pour les salaires). Même la femme chef d’entreprise
supporte une charge de travail non rémunéré plus lourde que son
partenaire masculin et a donc du mal à concilier ses tâches au foyer
et son travail rémunéré. Les entreprises dirigées par des femmes opèrent
souvent aussi dans des secteurs d’activité s’appuyant traditionnellement
sur du personnel féminin, comme les soins. Les femmes chefs d’entreprise
ont généralement un niveau d’éducation supérieur à celui de leurs
homologues masculins, mais dans des domaines qui ne sont pas nécessairement
en rapport avec leur activité professionnelle. Point plus positif,
le taux de survie des entreprises est comparable dans les deux groupes.
40. L’un des moments les plus intéressants de ma mission en France
a été la visite de la pépinière d’entreprises Paris Pionnières.
Des dizaines de « pionnières » travaillent dans un espace commun
de création d’entreprises. Les start-up sont en plein essor à Paris
et il est encourageant de voir que l’une des organisations à l’avant-garde
du phénomène est inspirée et dirigée par des femmes. Cet « incubateur
au féminin », comme il se définit lui-même, offre à ses membres
non seulement un local, mais aussi et surtout un appui technique, des
formations, des conseils juridiques et d’autres services. Mme Marie
Georges, sa présidente actuelle, est une femme d’affaires chevronnée
qui a créé sa propre entreprise il y a dix ans avec l’appui de cette organisation.
Elle a clairement indiqué que ses services ne sont pas réservés
aux femmes, bien au contraire, puisque le mot clé est « diversité »:
la pépinière Paris Pionnières elle-même, ainsi que les jeunes entreprises créées
avec son aide, tirent parti des idées et du travail de femmes et
d’hommes de générations différentes. J’ai eu l’occasion de rencontrer
des représentantes de trois nouvelles entreprises. L’une d’entre
elles, qui prépare actuellement une application pour smartphone,
m’a expliqué que la contribution de l’un des associés, un homme
d’une soixantaine d’années, était indispensable pour créer un outil
utilisable par les jeunes et les moins jeunes.
41. L’expérience de cet incubateur est une bonne pratique qui
mérite d’être partagée et, partout où cela est possible, transposée
dans d’autres contextes. Elle montre que si les pouvoirs publics
ont le devoir d’agir pour permettre aux femmes de s’affirmer, les
entrepreneur(e)s et les entreprises ont aussi un rôle à jouer. Et
ce rôle peut être déterminant.
42. Pour ce qui est de la marge d’action du législateur et des
responsables politiques, l’OCDE formule une série de recommandations
à l’intention de ses membres. L’égalité d’accès à des financements
pour les femmes et les hommes devrait être une priorité de premier
ordre. On trouve également de bonnes pratiques en la matière chez
certains États membres non européens de l’OCDE: en Corée par exemple,
un fonds spécial a été créé pour les femmes entrepreneures ; au
Mexique, un fonds accorde des taux préférentiels aux femmes. Il
est en outre souhaitable d’adopter des politiques de soutien à l’internationalisation
et à l’innovation dans les entreprises, l’innovation amenant souvent
à mettre en question des schémas culturels traditionnels et la ségrégation
entre les sexes dans les affaires. L’OCDE recommande par ailleurs
d’organiser des campagnes de sensibilisation ainsi que des programmes
de formation, de mentorat et d’accompagnement.
43. Je rappelle une fois encore que les femmes se heurtent à des
facteurs subjectifs et culturels pour prendre leur place dans l’économie.
Il est décevant de constater que c’est le manque de confiance en
soi qui les empêche de créer autant d’affaires indépendantes que
les hommes. Il leur est difficile de surmonter les effets manifestement
durables des stéréotypes de rôles que leur impose subtilement, mais
constamment, la société dès le premier âge. J’y vois la confirmation
que les politiques en faveur des femmes doivent s’appuyer sur l’éducation,
la sensibilisation, l’orientation professionnelle et la lutte systématique
contre les stéréotypes sexuels.
5. La
fracture numérique entre les femmes et les hommes
44. La fracture numérique entre
hommes et femmes a fréquemment été mentionnée à la 61ème session
de la Commission sur la condition de la femme (CSW) des Nations
Unies, en mars 2017. Les parties prenantes ont parfaitement conscience
que l’accès à internet est très inégal, avec des variations notables
en fonction des zones géographiques, des groupes socio-économiques
et du sexe. Ces cinq dernières années, la recherche et les débats
politiques ont bien mis en lumière que la fracture numérique affecte
tout particulièrement les femmes, ce qu’a confirmé le rapport annuel
de l’Union internationale des télécommunications (UIT) publié au début
de 2017
.
On y lisait malheureusement aussi que l’écart continue de se creuser.
L’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et
la culture (UNESCO) a constitué un groupe de travail sur la fracture
numérique entre les femmes et les hommes en septembre 2016, en réaction
à la conclusion inquiétante que le déficit d’accès des femmes à
l’internet était de 11 % par rapport aux hommes au niveau mondial
(selon l’UIT il a depuis atteint 12 %) et de 29 % dans les pays
les moins avancés. À l’échelle mondiale, les femmes étaient environ
200 millions de moins que les hommes à posséder un téléphone portable
— le mode de connexion à internet le plus courant dans les pays
en développement.
45. Une étude est arrivée à la conclusion que l’internet renforce
la capacité d’action des personnes qui y ont accès ; elle avait
été publiée par Betterplace.lab (un projet en ligne ayant vocation
à diffuser des connaissances, à mobiliser par des récits et à lutter
en faveur d’une numérisation qui profite à l’humanité) présent à
une rencontre organisée par le Gouvernement allemand en marge de
la Commission sur la condition de la femme. En d’autres termes,
les technologies de l’information ont transformé le monde plus rapidement que
toute révolution technologique précédente, avec des répercussions
considérables sur l’économie, l’administration publique ainsi que
sur la créativité, la participation à la vie politique et l’intégration
sociale — mais malheureusement pas pour tout le monde.
46. Le rapport de Betterplace.lab (Combler la fracture numérique
entre les femmes et les hommes) » s’appuie sur des recherches menées
dans six pays (de l’Éthiopie à l’Allemagne) placés très différemment
sur l’échelle de l’indice de développement humain. Il révèle que
ce type spécifique d’écart entre les femmes et les hommes est plus
prononcé dans les pays en développement, même s’il apparaît aussi
sous d’autres formes dans des nations plus prospères. Même en Allemagne,
sixième pays sur 188 à l’indice de développement humain, où l’on
compte plus de 126 téléphones portables pour 100 habitants (taux
de couverture de 126,6 %) et où 75 % de la population ont accès
à l’internet à haut débit sur leur réseau mobile, l’égalité des
chances n’existe pas entre les femmes et les hommes dans le monde
numérique. En effet, si l’accès aux technologies de l’information
est le même pour tous dans la vie quotidienne, les femmes accusent
un retard sur les hommes pour ce qui est de la maîtrise de l’internet.
47. On constate également des différences notables dans la branche
des technologies de l’information. L’étude rappelle que les femmes
ne représentent que 15 % des salariés dans les métiers en rapport
avec les mathématiques et la technique, et tout juste 20 % de l’ensemble
des diplômés en TIC. Mme Maren Heltsche, programmeuse
et membre du conseil d’administration de Digital Media Women (un
réseau de femmes opérant dans l’économie numérique allemande) et
citée dans le rapport, déclare que cette activité est totalement dominée
par les hommes, et que les femmes s’y sentent mal à l’aise. Et de
conclure qu’il ne suffit pas d’encourager les femmes à entreprendre
des études en TIC, il faut aussi les inciter à poursuivre dans ce domaine
au terme de leur formation. En outre, la disparité salariale entre
hommes et femmes est de 24 % dans ce secteur, contre 20 % dans l’industrie
allemande en général.
48. Le monde des start-up est lui aussi à dominante masculine.
Hans Raffauf, cofondateur de l’entreprise qui a produit Clue, une
application dédiée à la santé des femmes, a constaté au moment de
recruter du personnel que des femmes se déclaraient inaptes et qu’il
avait à les convaincre de leurs capacités. Dans la même ligne, le
manque de confiance en soi des femmes rejoint le manque de confiance
des banques dans les compétences des femmes, qui ont moins de chances
que les hommes d’obtenir des financements privés pour créer une
start-up.
49. Un soutien spécifique – émanant à la fois des pouvoirs publics,
des pairs et des réseaux – doit venir contrebalancer les obstacles
rencontrés par les femmes désireuses de prendre pied dans le monde
des technologies de l’information et d’y réussir. Des dizaines de
réseaux s’y emploient, dont nous ne citerons que quelques-uns des
principaux.
- Women Who Code (WWCode), une organisation
internationale à but non lucratif ayant vocation à encourager les
femmes à l’excellence dans les carrières technologiques, a constitué
des réseaux locaux dans plusieurs capitales européennes, mais également
dans des villes plus petites comme Belfast et Bristol (Royaume-Uni)
ou Cluj-Napoca (Roumanie).
- Digital Media Women a
son siège à Hambourg et des antennes dans toute l’Allemagne.
- Fintech Ladies Europe se
définit comme un cercle restreint de femmes cadres de très haut
niveau travaillant dans le secteur de la finance et des fintech.
Ses premières activités de réseautage se sont déroulées sous la
forme de dîners organisés dans des capitales financières telles
que Zurich, Londres et Francfort.
- Paris Pionnières,
association à laquelle j’ai rendu visite en janvier 2017, a une
vocation plus générale, mais un large pourcentage de ceux qui prennent
part à ses activités sont associés à des start-up en rapport avec
les TIC.
- QVC NEXT Lab, un
projet de soutien et de mentorat lancé par la branche italienne
de la multinationale américaine QVC, vise les start-up gérées par
des femmes ; il a été lancé à Milan le 4 mai 2017, j’ai assisté
à sa présentation officielle et l’ai trouvé très prometteur.
- La conférence European Women
in Technology, organisée pour la première fois à Amsterdam
en 2016, est devenue un important rendez-vous annuel ouvrant des
possibilités de réseautage aux femmes européennes dans le monde
des TIC.
50. Je souhaiterais encore mentionner un exemple remarquable de
partenariat multipartite: le European Centre for Women and Technology
(ECWT), créé en 2008 et établi en Norvège. L’ECWT rassemble plus
de 130 organisations ainsi que des membres du monde des affaires,
du gouvernement, de l’enseignement et d’organisations à but non
lucratif. Tous s’efforcent d’accroître la participation des filles
et des femmes dans le domaine de la technologie en général, et des
technologies de l’information et de la communication en particulier.
51. Les politiques et financements publics doivent promouvoir
et soutenir les réseaux de femmes de ce type, qui ont prouvé leur
efficacité dans nombre de contextes.
52. La visibilité des femmes dans la technologie revêt également
une grande importance. Il a été constaté que les manuels scolaires
et les musées des sciences présentent les inventrices comme des
exceptions à la règle. Les femmes sont aujourd’hui minoritaires
dans la recherche, mais c’est une minorité significative. Leur contribution
à la recherche et à l’innovation devrait être mise en lumière par
des informations objectives.
53. En 2016, l’équipe de recherche sur le genre et les TIC de
l’Université de Catalogne a organisé un séminaire sur le sexisme
universitaire et les implications éthiques de la sous-représentation
des femmes dans la technologie. Les professeures Montse Serra et
Mireia Farrús ont affirmé qu’il ne suffisait pas d’augmenter la
proportion de femmes dans les domaines technologiques, mais qu’il
fallait « féminiser la technologie », c’est-à-dire intégrer des
éléments traditionnellement perçus comme féminins – empathie, protection,
soins, etc. – dans la recherche scientifique et la technologie.
Les carrières technologiques seraient ainsi rendues plus attrayantes
pour les femmes, ce qui contribuerait à un monde meilleur, ont-elles
ajouté.
6. Le
déficit de confiance en soi des femmes par rapport aux hommes
54. Diverses sources indiquent
que les femmes et les hommes ont des attitudes différentes au travail.
Les femmes se montreraient plus réticentes à prendre la parole en
réunion, à postuler pour des emplois, à négocier leur salaire et
à se lancer dans la création d’entreprise. Des recherches révèlent
qu’elles sous-estiment leurs compétences, qu’elles sont moins portées
à se mesurer avec d’autres, et que la confiance en soi est pour
elles un élément déterminant dans le choix de leurs études et de
leur carrière. Certains de ces travaux figurent dans une publication
de l’université de Harvard de 2015
. Partant du principe que progresser
vers une compréhension de la nature du déficit de confiance en soi
est une étape importante dans l’élimination des derniers freins
à l’égalité entre les genres, les chercheurs ont montré que même
au plus haut niveau de responsabilité, les femmes ont moins confiance
en elles que les hommes. En d’autres termes, percer le « plafond
de verre » ne permet pas automatiquement de surmonter cet obstacle
particulier.
55. Une étude dirigée par des chercheurs européens et américains
pour le Journal of Personality and Social Psychology sur
des femmes et des hommes de 48 pays a conclu que les schémas précédemment
observés dans le monde occidental (le degré moyen d’estime de soi
est plus faible chez les femmes que chez les hommes et augmente
pour les deux sexes avec l’âge, de l’adolescence jusqu’au milieu
de l’âge adulte) se retrouvent également ailleurs. Cependant, leur
ampleur varie: en effet, l’écart paraît plus large dans les pays industrialisés
que dans les pays en développement.
56. Ces résultats laissent plusieurs questions sans réponse, dont
celle de savoir si le degré de confiance en soi est un trait de
caractère inné, ou plutôt un reflet de l’environnement et en particulier
des rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes. Par
conséquent, on ne voit pas si le déficit de confiance en soi des
femmes est une conséquence de la discrimination sur le marché du
travail ou l’une de ses causes. Je trouverais plus plausible que,
comme l’observe Jessica Valenti, journaliste au Guardian, le manque de confiance
en soi ne soit pas tant un défaut personnel que le résultat d’une
culture qui ne donne aux femmes aucune raison d’avoir confiance
en elles.
57. Je suis tout à fait d’accord aussi avec tous ceux (économistes,
entrepreneurs et autres) qui estiment que remédier à ce déficit
de confiance en soi aiderait à lutter contre la discrimination au
travail. Mais comment y parvenir ? Le problème étant essentiellement
culturel, il appelle évidemment des solutions culturelles. Il nous faut
créer, notamment par l’éducation, une culture valorisant les femmes
sûres d’elles. Il va de soi que les modèles féminins ont une influence
positive. Il faut que les femmes qui réussissent aient la possibilité
de faire connaître leur histoire et n’hésitent pas à le faire. L’exposition
#Femmes inspirantes, organisée par la commission sur l’égalité et
la non-discrimination en avril 2017 (les membres de la commission
y présentaient des femmes qui les avaient inspirées à entreprendre
une carrière politique), est un bon exemple de présentation de modèles
féminins. Cette exposition a connu un vif succès ; elle pourrait
être reprise dans d’autres contextes, ce qui contribuerait à l’action
de sensibilisation menée par le Conseil de l’Europe sur ce thème.
58. Mme Samantha Cristoforetti, ingénieure,
pilote de chasse dans l’armée de l’air italienne et astronaute de l’Agence
spatiale européenne, s’est fait un nom en Italie en participant
à la mission Futura, ce qui l’a conduite à passer 199 jours dans
la station spatiale internationale entre 2014 et 2015. Au-delà des
travaux scientifiques menés à bord, l’ASE et Samantha Cristoforetti
ont fait un excellent travail de communication en organisant des activités
de sensibilisation auprès des enfants et des jeunes, en postant
sur YouTube de nombreuses vidéos sur la vie quotidienne des astronautes
et en twittant régulièrement depuis le compte @Astrosamantha. Mme Cristoforetti
est devenue un modèle féminin. Cela ne veut pas dire qu’une femme
doive posséder ses extraordinaires qualités physiques et intellectuelles
pour espérer réussir dans la vie. Mais l’histoire d’une femme qui,
non contente de briser le plafond de verre, l’a survolé de plusieurs
milliers de kilomètres, pourrait inspirer et rassurer bien des femmes
et des filles.
59. En projetant une image non stéréotypée des femmes, les médias
traditionnels et en ligne pourraient beaucoup contribuer à transformer
les attitudes. Cela est actuellement rendu plus difficile par la
présence très modeste de femmes à des postes clés au sein des médias.
J’aimerais évoquer une action intéressante de la FKA, l’association
islandaise des femmes chefs d’entreprise. Une journée nationale
de la femme a été organisée dans les médias en 2016 dans le but
de remédier à la sous-représentation des femmes pendant une journée
symbolique. Les chaînes de radiotélévision islandaise interviewent
d’habitude 38 % de femmes (pour une moyenne mondiale de 25 %), et
62 % d’hommes. Pendant une journée, en octobre 2016, elles ont délibérément
inversé les chiffres. Cette initiative a provoqué un débat au sein
du public islandais et a contribué à la sensibilisation. Il serait
opportun et utile de tenter la même expérience à l’échelle internationale.
Le Conseil de l’Europe est probablement le mieux placé pour promouvoir
une journée européenne ou internationale de la femme dans les médias.
7. Promouvoir
l’enseignement et l’emploi dans les disciplines STIM (sciences,
technologie, ingénierie et mathématiques)
60. Dans le monde entier, la demande
de personnes formées aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et
aux mathématiques (STIM) va croissant. Ces disciplines sont en effet
indispensables à l’industrie et à la recherche et développement
ainsi que dans la plupart des autres secteurs, et essentielles aussi
dans la maîtrise des défis actuels du développement durable. La
demande grandissante de spécialistes de ce type se heurte généralement
à une pénurie marquée de main-d’œuvre. Ces effectifs limités, combinés
au haut niveau de formation requis, ont pour effet que les professionnels
des STIM sont parmi les plus convoités sur le marché de l’emploi,
ce qui rehausse leur employabilité et pousse les salaires à la hausse.
61. Les femmes sont nettement sous-représentées dans les STIM. Cette
moindre participation débute dans l’enseignement, les filles étant
moins nombreuses que les garçons à opter pour des études scientifiques
à l’école ou à l’université (en revanche, la représentation des
deux groupes est pratiquement égale parmi les diplômés de droit,
d’études commerciales et de médecine). Le déséquilibre entre les
femmes et les hommes s’accentue encore à l’issue des études: moitié
moins de diplômées en STIM optent pour une carrière dans ces domaines
que leurs pairs masculins.
62. L’UNESCO estime que les femmes ne représentent dans le monde
que 28 % des chercheurs, et que l’écart se creuse davantage encore
aux plus hauts niveaux décisionnels. Le rapport
She figures 2015 de l’Union européenne
confirme la sous-représentation
des femmes dans les métiers des sciences et de la technologie en
Europe. Il contient cependant des informations encourageantes: les
pays membres de l’Union européenne auraient par exemple de plus
en plus tendance à intégrer la dimension de genre dans les contenus de
la recherche.
63. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la sous-représentation
des femmes conduisent évidemment à penser qu’il conviendrait d’encourager
les jeunes filles à étudier les STIM et à y faire carrière. Cela
aurait en outre pour effet d’ouvrir l’accès des femmes à des emplois
mieux rémunérés et de résorber les disparités salariales actuelles
entre les femmes et les hommes.
64. Les politiques publiques d’éducation revêtent une importance
capitale dans ce secteur et les indications des organisations internationales
sont utiles aux gouvernements. Le Conseil de l’Europe est intervenu
en la matière il y a une dizaine d’années déjà avec la Recommandation
CM/Rec(2007)13 du Comité des Ministres relative à l’approche intégrée
de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’éducation (Orientation scolaire
et professionnelle). Ce texte fournit en effet des outils concrets
pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans et
par l’éducation, dans le but de lutter contre les préjugés sexistes
et sexuels traditionnels et de garantir en définitive l’égalité
entre les sexes pour le plus grand bien de la société tout entière.
65. La publication 2015 de l’OCDE intitulée «L’égalité des sexes
dans l’éducation — Aptitudes, comportement et confiance» offre des
éléments utiles à cette fin. Le document qualifie la situation de préoccupante,
car il apparaît que les filles ne sont pas incitées à poursuivre
des études scientifiques et que leurs enseignants sont moins convaincus
de leurs compétences que de celles des garçons. Les filles sont
ainsi moins motivées, et même les meilleures d’entre elles ont moins
confiance en leur aptitude à résoudre des problèmes scientifiques
et mathématiques. Les écarts de performance entre les femmes et
les hommes ne résulteraient pas de différences d’aptitudes innées,
mais plutôt des attitudes des élèves à l’égard de l’apprentissage
et de leur comportement à l’école, de la façon dont ils choisissent
d’utiliser leur temps libre et de leur confiance en soi, explique
le rapport.
66. Des activités de sensibilisation pourraient contribuer à remédier
à cette situation. L’UNESCO organise par exemple une Journée internationale des femmes et des filles
de science (11 février), qui crée l’occasion de faire
un point annuel sur la situation et d’entreprendre des actions concrètes.
L’UNESCO dirige également le projet SAGA (STEM
et égalité des genres) qui vise à améliorer la situation
des femmes et à réduire l’écart entre les sexes dans les disciplines
STIM dans tous les pays et à tous les niveaux de l’éducation et
de la recherche. Pour ce faire, il a été procédé à un inventaire
des politiques en faveur de l’égalité hommes-femmes dans ce domaine.
Ce projet fournit également des outils d’élaboration de politiques
fondées sur des faits et mène au sein des États membres des activités
de renforcement des capacités en vue de la collecte de données sur
l’égalité entre les femmes et les hommes dans les disciplines STIM.
67. Je voudrais évoquer une pratique particulièrement intéressante
des Pays-Bas: les interventions conjuguées à long terme pour accroître
la participation des femmes dans les disciplines STIM (sciences, technologies,
ingénierie et mathématiques) par recours à des modèles féminins.
Ces actions touchent l’ensemble de la chaîne du système d’éducation,
du primaire au supérieur, ainsi que le marché du travail. Une base
de données de plus de 200 modèles féminins a été constituée et les
femmes qui y figurent rencontrent des élèves et des étudiantes de
tous niveaux pour leur faire part de leur expérience.
68. Le Royaume-Uni a réalisé entre 2009 et 2012 le programme national
HE STEM en Angleterre et au pays de Galles. Cette action visait
à accroître la participation dans les disciplines STIM et à améliorer
les compétences de la population active dans ces domaines. Plus
de 90 établissements d’enseignement supérieur y ont participé. Il
s’agissait de tenter d’appliquer de nouveaux modes de recrutement
des étudiants et d’enseignement de ces matières. La première évaluation,
à laquelle il a été procédé dès la clôture du programme, a conclu
que les principaux buts avaient été atteints, en particulier pour
ce qui est de la sensibilisation des étudiants. Il serait intéressant
de déterminer si le programme continue d’avoir des effets à moyen
terme.
69. L’étude des disciplines STIM est encouragée dans divers contextes
pour remédier à la pénurie de personnel qualifié, mais ces actions
ne visent pas nécessairement les femmes et les filles. Il est toutefois important
d’intégrer la dimension de genre dans les activités d’information
et de sensibilisation. Le message à transmettre est que la science
et la technologie sont indispensables aux progrès de la société
et bénéficient à tous ceux qui s’y consacrent.
8. Conclusions
70. La discrimination et les inégalités
entre femmes et hommes présentent de multiples facettes. Les recherches
effectuées en préparation à ce rapport, les contributions des experts
recueillies au fil de multiples auditions et les informations obtenues
à la faveur des visites d’information ont montré à l’évidence qu’il
n’existe pas de recette toute simple d’élimination de la discrimination
et d’instauration de l’égalité. Des actions multiples sont nécessaires,
depuis les quotas imposés dans les organes de direction des entreprises
jusqu’à la transparence des rémunérations, en passant par l’éducation
et la formation. Il est essentiel de promouvoir les disciplines
STIM, car cela contribuerait à la résorption de la ségrégation fondée
sur le genre entre secteurs d’activité et à l’élimination des disparités
de rémunération. Des mesures facilitant la conciliation du travail
et de la vie privée sont également nécessaires. Les actions à entreprendre
pourront varier d’un pays à l’autre, et les priorités dépendront
des particularités sociales, économiques et culturelles de chaque
situation.