1. Introduction
1. L’Europe est une destination
pour les individus qui cherchent à obtenir une protection internationale
ou à accéder à une vie meilleure en raison de conflits armés, de
troubles politiques et de la pauvreté qui affectent les régions
voisines. Cet afflux vient s’ajouter aux immigrés et aux réfugiés
déjà installés en Europe, parfois depuis plusieurs générations.
Dans le même temps, les partis populistes qui jouissent d’un soutien
électoral croissant dans certains pays européens questionnent la
capacité de leur pays à absorber un plus grand nombre de migrants
et de réfugiés, ainsi que la volonté de ces derniers à s’intégrer.
2. Devant cette situation, il est plus important que jamais de
placer la question de l’intégration au cœur de la discussion politique.
On a dit et écrit beaucoup de choses sur les migrations et sur l’intégration.
Cependant, trop peu d’attention a été accordée aux femmes. Le présent
rapport a précisément pour but de mettre au premier plan la situation
des femmes migrantes, en soulignant à la fois leur vulnérabilité
propre dans le processus migratoire et leur rôle potentiel d’acteurs
clés de l’intégration.
3. Dans ce rapport, j’emploie l’expression de «nouveaux arrivants»,
comme l’avait fait Mme Fatuma Musa Afrah
pendant l’une des auditions de la commission sur l’égalité et la
non-discrimination, en tant qu’expression générale à caractère non
technique pour désigner les personnes d’origine étrangère qui sont
arrivées en Europe pendant les dernières années, que ce soit comme
migrants, comme demandeurs d’asile ou comme réfugiés. Les mesures
requises pour donner à ces personnes la possibilité de s’intégrer
à nos sociétés ne dépendent pas principalement de leur statut légal
mais plutôt d’autres facteurs tels que leur niveau d’éducation, leurs
aptitudes, leurs ambitions et la manière dont elles envisagent l’avenir.
4. Ce rapport est axé à la fois sur l’intégration des femmes
et sur le rôle qu’elles peuvent jouer pour promouvoir à leur tour
l’intégration des membres de leur famille et de leur milieu social
en soutenant l’éducation de leurs enfants, en transmettant leurs
traditions à leurs enfants, et en participant à la société de leur
pays d’accueil.
5. La question de l’intégration des femmes, malheureusement,
n’occupe pas une place centrale dans le débat politique. L’intégration
des hommes, principalement sous l’angle du marché du travail, bénéficie
d’une attention beaucoup plus grande. Les hommes qui occupent un
emploi acquièrent généralement une meilleure connaissance de la
langue du pays d’accueil. Ils sont aussi plus visibles dans l’espace
public. Les femmes immigrées sont moins encouragées à trouver un
emploi, et moins censées y parvenir, alors que la majorité d’entre
elles souhaitent travailler. Cette situation est due conjointement
à plusieurs facteurs tels que leur niveau plus faible d’éducation
et de qualification professionnelle et la part plus grande des responsabilités
familiales qui pèse sur elles.
6. Les caractéristiques démographiques des migrations doivent
également être prises en compte dans cette analyse. Pendant des
décennies, dans les pays européens, les migrants, qui provenaient
à la fois de l’Europe et d’ailleurs, étaient essentiellement des
hommes. Les femmes venaient les rejoindre à un stade ultérieur dans
le cadre du regroupement familial. Toutefois, pendant les dernières
décennies, la proportion de femmes ayant migré de manière indépendante
s’est accrue.
7. Bien que je partage les préoccupations concernant la situation
vulnérable des femmes migrantes, une catégorie exposée à des risques
accrus de violences et de discriminations, de types multiples et
croisés en particulier, je souhaiterais mettre en lumière un autre
aspect, plus positif, de cette réalité. Aujourd’hui, il importe non
seulement de protéger les droits de ce groupe de femmes mais aussi
de les aider à réaliser leur potentiel. Cet objectif pourra être
atteint au moyen de diverses mesures telles que des cours d’intégration
et, plus généralement, des programmes d’éducation bien conçus, mais
aussi grâce à une participation accrue de ces femmes à la vie sociale
et politique.
8. Ce rapport présente surtout des exemples concrets d’activités
et de programmes d’intégration, afin de montrer que diverses approches,
qui ne s’excluent pas mutuellement, sont possibles à cet égard.
Ces exemples sont tirés pour l’essentiel des visites d’information
que j’ai effectuées en Italie et en Norvège, ainsi que de mon propre
pays, l’Allemagne, où j’ai suivi de près les programmes mis en œuvre
dans la ville où j’habite, Berlin, et dans ma circonscription, Nuremberg.
9. Des exemples complémentaires provenant d’autres États membres
du Conseil de l’Europe m’ont été communiqués par mes collègues de
la commission sur l’égalité et la non-discrimination. Je les remercie
pour ces contributions et pour les débats constructifs qui ont eu
lieu à diverses occasions au sein de la commission. Les idées et
informations communiquées par les experts qui ont participé à plusieurs
auditions ont également contribué de manière significative au contenu
de ce rapport.
2. Vue d’ensemble de l’immigration dans
différents contextes européens
10. Les migrations présentent des
caractéristiques différentes d’un pays européen à l’autre, en fonction notamment
de l’histoire et du développement économique de chaque pays. En
Allemagne, une très forte immigration a coïncidé avec le boom économique
de la période de reconstruction d’après-guerre. Les immigrés ont
commencé à arriver en grand nombre à partir des années 60. En Norvège,
le phénomène de l’immigration est apparu dans les années 70. Par
contre en Italie, longtemps pays d’émigration, le premier afflux
important d’immigrés date des années 80.
2.1. L’Allemagne:
de l’époque des «travailleurs invités» à celle de l’intégration
11. Dans la République fédérale
d’Allemagne des années 60 et 70, l’intégration des «travailleurs
invités» et de leurs familles n’était pas considérée comme une priorité
car l’on pensait qu’ils retourneraient dans leur pays après un certain
temps. On ne leur offrait tout simplement aucune possibilité d’intégration.
Cette prévision s’est révélée inexacte: beaucoup d’immigrés sont
restés et leurs enfants et petits enfants sont nés en Allemagne.
Il convient donc d’éviter de répéter cette erreur en Europe. Législateurs
et décideurs doivent partir du fait que la présence des immigrés
n’a rien d’exceptionnel: en Allemagne, un enfant sur trois est aujourd’hui
issu de l’immigration. Des projets et des activités visant à favoriser
l’intégration existent dans la plupart des villes allemandes. Je
présenterai quelques-unes des activités proposées à Berlin et à
Nuremberg, que je connais particulièrement bien.
2.2. L’Italie:
un pays d’origine devenu pays de destination
12. J’ai décidé d’effectuer une
visite d’information en Italie, dans un but de diversité géographique,
et j’ai choisi plus particulièrement Milan pour plusieurs raisons.
Premièrement, en tant que centre industriel moteur du pays, cette
ville accueille un grand nombre d’étrangers ou de ressortissants
issus de l’immigration, qui sont originaires de pays et de régions
très divers, dont la Chine, l’Europe centrale et orientale (Roumanie,
Ukraine), l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, et sont arrivés
dans la région pour des raisons économiques. Deuxièmement, ces communautés
sont devenues de plus en plus organisées et visibles ces dernières
années, grâce au travail des associations qui les représentent.
Certains de leurs membres participent aujourd’hui à la vie politique
et ont été élus au sein de conseils locaux. Troisièmement, les collectivités
locales (et notamment le conseil municipal de Milan et la province)
accordent à l’intégration des nouveaux arrivants une haute priorité et
se sont engagées dans un dialogue et une coopération avec leurs
organisations.
13. La réforme du droit de la nationalité, en vue de faciliter
l’accès à la nationalité des enfants nés en Italie de parents immigrés,
occupait une place très importante dans le débat politique au moment
de ma visite sur place, avec une polarisation virulente des opinions.
Ce débat mettait clairement en évidence la ligne de fracture qui,
dans la vie politique italienne, sépare les forces qui soutiennent
l’intégration de celles qui s’y opposent.
2.3. La
Norvège et le «modèle nordique»
14. D’après le Bureau central de
la statistique de la Norvège
, on compte
actuellement 724 000 immigrés dans le pays et 158 000 Norvégiens
nés de parents immigrés, soit respectivement 13,8 % et 3 % de l’ensemble de
la population (5,2 millions). Ce groupe comprend des personnes venant
de 221 pays différents: 52 % sont originaires de l’Europe, 30 %
de l’Asie et 12 % de l’Afrique. Ces personnes sont en moyenne beaucoup
plus jeunes que le reste de la population: la moitié d’entre elles
ont entre 20 et 40 ans et 9 % seulement ont plus de 60 ans. Environ
60 % des immigrés âgés de 15 à 74 ans occupaient un emploi en 2016
contre 65 % pour l’ensemble de la population norvégienne. L’écart
entre le nombre de femmes et d’hommes occupant un emploi est bien
plus grand (le double à peu près) parmi les immigrés qu’au sein
du reste de la population. Toutefois, les chiffres moyens ne reflètent
pas la diversité de la situation: en fait, le niveau d’instruction
et d’emploi varie grandement selon les nationalités.
15. Depuis plusieurs années, le nombre de réfugiés a très fortement
augmenté en Norvège, comme dans le reste de l’Europe, avec un pic
en 2015
. En tout, 30 110 demandeurs
d’asile sont arrivés en Norvège pendant les 11 premiers mois de
cette année, avec une très forte hausse de 500 par mois environ
pendant le printemps à plus de 8 000 par mois en octobre et novembre.
16. Le système économique et social de la Norvège repose sur le
«modèle nordique» qui se caractérise principalement par de forts
taux d’emploi, un haut niveau de productivité et de généreux programmes
sociaux. La Norvège et les autres pays nordiques ont mis en place
«des systèmes universels de protection sociale qui offrent aux populations
un libre accès à l’éducation, des services de santé presque totalement
gratuits et de généreux systèmes de garantie des moyens d’existence
pour les personnes exclues du marché du travail»
. En
outre, «des efforts actifs sont engagés pour faciliter la participation
des femmes au marché de l’emploi». Tous ces facteurs sont imbriqués:
les programmes universels de protection sociale ont un coût qui
ne peut être supporté que si le système est très productif, ce qui
exige de forts taux d’emploi tant pour les femmes que pour les hommes.
Une bonne intégration des immigrés dans le marché du travail est
donc aussi une condition préalable au bon fonctionnement du modèle
nordique. Tenant compte de cette priorité, la Norvège a adopté des
politiques destinées à réduire les disparités entre les nationaux
et les nouveaux venus en matière d’éducation et à lutter contre
la discrimination. Le modèle nordique est à maints égards une réussite:
il permet d’obtenir de hauts niveaux d’instruction, une forte participation
de la main-d’œuvre, des progrès en matière d’égalité entre les femmes
et les hommes, et une plus grande mobilité sociale.
3. Les
différentes approches de l’intégration
17. La préparation de ce rapport
m’a confirmée dans l’idée à laquelle j’étais peu à peu parvenue
en observant de près le travail d’intégration dans mon propre pays,
à savoir qu’il n’existe pas une méthode unique de promouvoir l’intégration.
Diverses activités peuvent avoir des retombées positives sur la
situation concrète des nouveaux arrivants et améliorer leur aptitude
à s’intégrer dans le pays d’accueil. Ces initiatives portent leurs
fruits à court terme ou sur une période plus longue. Je présenterai
ici un certain nombre de programmes et d’acteurs de plusieurs États
membres du Conseil de l’Europe.
3.1. L’approche
dite «à bas seuil»
18. Les projets visant à favoriser
l’autonomisation et l’intégration des femmes n’exigent pas nécessairement des
budgets importants ou la participation à plein temps des personnes
concernées. Des activités à bas seuil, qui ne requièrent pas un
financement important, peuvent aussi être efficaces. Une initiative
adaptée au contexte social et répondant aux besoins du groupe cible
peut avoir un impact tout en restant facile d’accès. En outre les
activités à bas seuil peuvent facilement être reproduites dans d’autres
contextes, avec des moyens financiers limités, afin de multiplier
leur impact positif.
– #Bikeygees, Allemagne
19. #Bikeygees, lancé à Berlin
en 2015, est un projet qui vise à aider les femmes immigrées et
réfugiées à acquérir une plus grande confiance en elles-mêmes en
leur apprenant à se servir d’un vélo. Les enseignantes sont des
femmes de tous âges et origines qui aiment simplement le cyclisme.
La formation, qui est offerte gratuitement, comprend une présentation
en plusieurs langues du code de la route et un cours de réparation de
bicyclettes. Grâce à ce programme, les femmes peuvent accéder de
façon autonome à la mobilité dans leur vie quotidienne. Elles prennent
également conscience de la possibilité pour elles de poursuivre
des objectifs de développement personnel dans leur nouveau pays
de résidence. Cette activité repose sur l’assurance et la confiance:
chacune des participantes est soutenue par deux autres femmes en
qui elle doit avoir confiance.
20. Il s'agit d'un projet à bas seuil: il est facile d'accès et
gratifiant pour les participantes, qui éprouvent très vite un sentiment
de réussite. C'est aussi pourquoi il contribue à l’autonomisation
des participantes. Ce projet combine indépendance, activité de plein
air et mobilité dans la bonne humeur et le respect de l'environnement.
– Action des organisations non
gouvernementales à Milan, Italie
21. J’ai rencontré ensemble à Milan
plusieurs organisations non gouvernementales (NGO). L’ACMID, une organisation
représentant les femmes marocaines, organise des cours d’italien
et de formation professionnelle. L’ADRI (Association des femmes
roumaines en Italie) cherche à soutenir et à améliorer les conditions
de vie et de travail des migrants, et aussi à les sensibiliser au
«syndrome italien», un trouble grave qui affecte de nombreuses femmes
et conduit souvent à la dépression et à d’autres problèmes de santé mentale.
Ce syndrome est provoqué par une combinaison de facteurs, notamment
l’angoisse et la culpabilité d’avoir abandonné leurs enfants ou
leur famille et, pour les migrantes en situation irrégulière, la
crainte d’être expulsées. On l’appelle le «syndrome italien» car
la grande majorité des femmes migrantes roumaines et moldaves se
trouvent en Italie (Rome étant la deuxième ville de population moldave
en dehors de la République de Moldova après Moscou). Soleterre,
une ONG italienne, travaille depuis plus d’une décennie avec les
migrants de divers pays, en leur fournissant des informations et
des conseils juridiques, notamment sur les possibilités de travail
et d’éducation et le regroupement familial, mais aussi un soutien
psychologique individuel ou en groupe.
– Réseau consulaire latino-américain
en Italie
22. Mme Marisela
Morales, consule du Mexique et présidente du Groupe consulaire d’Amérique
latine et des Caraïbes pour l’Italie du Nord, m’a présenté un projet
intéressant appelé «Les communautés latino-américaines et les autorités
italiennes s’unissent pour aider les victimes de violences à sortir
du silence». Plus de 70 % des migrants originaires d’Amérique latine
en Italie sont des femmes, a expliqué Mme Morales.
Les cas de violence sexiste au sein de cette communauté sont très
rarement déclarés, à la fois en raison du manque d’information des
victimes et des obstacles qu’elles rencontrent dans leurs contacts
avec la police. Le projet a permis de former au sein de ces communautés
plusieurs «promoteurs» des questions touchant à l’égalité entre
les femmes et les hommes, et en particulier à la violence sexiste.
Mené en coopération avec des acteurs locaux, notamment l’université
de Milan, ce projet s’adresse aussi aux acteurs du système judiciaire, afin
de les sensibiliser à la situation spécifique des femmes migrantes.
Il permet aux services diplomatiques et consulaires de soutenir
les droits et le bien-être de leurs ressortissants d’une façon nouvelle
intégrant une perspective de genre.
– Mutti-Kulti, Autriche
23. Mutti-Kulti est un projet visant
les mères d’origine immigrée au moyen de rencontres sur les terrains
de jeux pour enfants dans plusieurs quartiers du centre de Vienne.
Il offre à ces femmes diverses formes de soutien comme des cours
d’allemand, des activités de loisirs et des conseils de santé.
3.2. L’approche
axée sur la «conscience de soi»
24. Les difficultés que rencontrent
les femmes immigrées après leur installation dans un nouveau pays
ne sont pas liées uniquement à la satisfaction de leurs besoins
matériels ou à la nécessité de surmonter des obstacles linguistiques
dans la vie quotidienne. Ces femmes sont en effet souvent confrontées
à des différences profondes sur le plan personnel et culturel, qui
les poussent à s’interroger sur leur rôle et leur identité. L’écart
entre la situation des femmes dans leur pays d’origine et dans le
pays d’accueil est souvent énorme. Pour promouvoir l’autonomisation
de ces femmes à l’intérieur de leur famille et dans leur milieu
social, il est donc nécessaire de leur donner la possibilité de
réfléchir à leur situation, à leur rôle au sein de la famille et
dans la société, à leurs ambitions et à leurs besoins. La participation
de femmes issues de l’immigration comme volontaires ou employées
rémunérées à la mise en œuvre de ce type d’activités est un moyen d’accroître
leur crédibilité et, par conséquent, leur efficacité.
– SEEMA, Norvège
25. Au cours de ma visite en Norvège,
j’ai rencontré plusieurs femmes exemplaires qui, ayant elles-mêmes fait
l’expérience de l’immigration, ont mis sur pied des activités visant
à favoriser l’intégration d’autres migrants. Par exemple, Mme Loveleen
Rihel Brenna, née en Inde, est arrivée en Norvège avec ses parents
à l’âge de six ans. Elle a créé SEEMA, un «établissement social
d’entrepreneuriat et de conseil» spécialisé dans la gestion de la
diversité et ciblant les «femmes d’origine cosmopolite hautement
qualifiées». Ses activités s’adressent à des femmes qui parlent
norvégien, ont un niveau d’instruction élevé et disposent du statut
légal de résidente. Pourtant, même ces femmes sont désavantagées
par rapport à leurs homologues d’origine norvégienne car elles ne
disposent pas des relations personnelles et familiales qui permettent
de créer avec succès une entreprise. SEEMA leur propose de suivre
un programme de formation de deux ans en petits groupes. Les participantes
suivent un parcours en plusieurs étapes, la première consistant
à se redéfinir elles-mêmes («Je ne suis pas indienne, je ne suis
pas norvégienne, que suis-je?» est la question que Loveleen se posait autrefois),
et acquièrent, ou apprennent à exploiter, des compétences multiculturelles
qui manquent à d’autres personnes. Le fait d’avoir des racines cosmopolites
est un atout supplémentaire, non un obstacle.
– Visions of my life, Allemagne
26. Visions of my life est un projet
«narratif» qui offre aux femmes réfugiées de Berlin un lieu et des
moyens pour raconter leur histoire de différentes façons. Les ateliers
se déroulent fréquemment en petits groupes afin de créer un environnement
plus intime. Ils ont lieu dans les logements pour réfugiés. Le but
du projet est d'offrir aux femmes réfugiées un espace d’autoréflexion.
Après avoir fui leur pays d'origine, ces femmes sont engagées dans
un processus de construction d’une nouvelle vie. Cependant, recevoir
aide et orientation dans leur travail de remise en cause et de redéfinition
individuelle est une condition indispensable à la réussite de l’intégration.
Dans ce projet, les participantes produisent des photos, des collages
ou des films afin de représenter sous une forme visuelle leur parcours
de vie. Les images permettent un accès affectif aux idées et aux
souvenirs, en facilitant ainsi leur communication, indépendamment
de la langue ou de la culture. C’est pourquoi les animateurs de
ces ateliers insistent constamment sur l’importance de l’expression
artistique. Ils aident les participantes à développer une démarche
personnelle en s’appuyant sur leurs ressources propres et en faisant
l’expérience de leur pouvoir en tant qu’individu. Il s’agit également
pour elles de réfléchir à leur rôle individuel en tant que femmes,
au sein de la famille et de la société, ainsi que de trouver leur
rôle dans leur nouveau pays. Des ateliers sont également proposés
sur d’autres thèmes, par exemple les compétences professionnelles
ou les ambitions des participantes. Par ce travail de réflexion,
elles acquièrent une plus grande confiance en elles-mêmes et apprennent
à se préparer aux entretiens d'embauche.
27. L'approche clé de l'autonomisation des femmes réfugiées que
met en œuvre Visions of my life dans ses ateliers diffère grandement
de celle des autres projets que j'ai visités. Les participantes
sont amenées à sortir de leur vie quotidienne difficile – surtout
au début dans leur pays d’accueil – et à trouver un espace de repos et
de réflexion, où elles peuvent se concentrer et retrouver leur force
intérieure. La conscience de soi est à mon avis la base de l’intégration.
Dans ce rapport, il est question du rôle clé des femmes dans l'intégration:
je pense qu'il est très important surtout pour les femmes d'être
en accord avec elles-mêmes et avec l’image de la femme dans le pays
d’accueil, en partie nouvelle à leurs yeux. Cela les aide également
à faire face aux attentes de la société d’accueil.
– Tiroler Sozialdienste (Service
social du Tyrol), Autriche
28. Ce projet s’adresse aux réfugiés
et aux demandeurs d’asile dans leur quartier d’habitation et leur
offre une aide quel que soit leur statut légal. Il propose des services
d’information, des cours de langue et une évaluation des compétences
individuelles. Il cherche aussi à apporter une aide contre l’ennui,
qui est une menace constante, et à favoriser le développement de
l’autodétermination et d’un mode de vie pacifié.
3.3. L’approche
fondée sur l’autonomisation
29. L’autonomisation des individus,
en particulier dans l’économie mais aussi en vue de la participation
à la vie sociale et à la vie publique, est un facteur essentiel
pour l’intégration. Un large éventail de mesures peut contribuer
à l’autonomisation, notamment dans le domaine de l’éducation, de
la formation, de l’information et de la sensibilisation, de l’aide
financière et des conseils juridiques. En Norvège, l’autonomisation
économique est considérée comme la voie principale d’accès à l’intégration
et la plupart des exemples que je présente ci-dessous proviennent
donc de ce pays.
– Centre MIRA, Norvège
30. Le Centre de documentation
MIRA pour les femmes noires, immigrées et réfugiées a été créé en
1979 par Mme Fakra Salimi, une Norvégienne
originaire du Pakistan qui en est toujours la directrice. Ce Centre
est géré pour et par des femmes immigrées et réfugiées. C’est un
lieu de rencontre (les mercredis sont des journées «portes ouvertes»
et chacune est libre de passer pour un café et une réunion informelle)
qui offre également des possibilités de formation, de conseil et
d’assistance judiciaire. Il mène aussi une activité de sensibilisation
à la démocratie: de nombreuses femmes immigrées, souligne Mme Salimi,
ne participent pas aux élections car elles ne sont pas bien au fait
de la politique et ne savent même pas comment voter. En conséquence,
le Centre organise des simulations de scrutin pour permettre aux
participantes de «pratiquer/répéter» la procédure de vote. Cette
expérience a suscité un grand intérêt et d’autres organisations
amènent au Centre les personnes dont elles s’occupent pour leur
montrer comment cela se passe. D’autres activités de formation à
la politique consistent à résumer les programmes des divers partis
politiques, pour aider les participantes à faire leur choix. Des
responsables politiques de premier plan ont été invités à venir
au Centre: même la Première ministre et la ministre des Finances
s’y sont rendues et la plupart des partis politiques ont délégué
d’éminents représentants. Cet exemple d’éducation politique est
particulièrement intéressant. Bien que la participation au marché
du travail soit une condition préalable à un niveau de vie décent,
il ne faut pas, à mon sens, réduire l’intégration à l’obtention
d’un emploi. À long terme en particulier, les personnes d’origine immigrée
devront aussi avoir leur mot à dire sur le fonctionnement de la
société dont elles font désormais partie.
– Centre norvégien pour la création
de valeur multiculturelle, Norvège
31. Le Centre norvégien pour la
création de valeur multiculturelle (Norsk senter for flerkulturell
verdiskaping, NSFV), un «centre de documentation pour l’entrepreneuriat
multiculturel», a été créé par Mme Zahra
Moini, qui est d’origine iranienne. Le NSFV propose aux immigrés
un programme d’assistance entrepreneuriale visant à les mobiliser
et à les inciter à créer leur propre entreprise. Ce Centre fait
office d’espace de coopération en réseau, dont l’une des fonctions
les plus importantes est de faciliter le financement de projets
grâce à un réseau d’établissements financiers. Participent à ce
programme des immigrés de la première et de la deuxième génération
ayant un bon niveau d’instruction et un potentiel entrepreneurial
(environ 1 200 personnes à ce jour). Les stages de formation du
NSFV commencent par renforcer la confiance en soi des participants.
Le but ultime (et la philosophie sous-jacente) du Centre est d’aider
les immigrés à créer leur propre entreprise, non seulement par solidarité
mais aussi pour leur permettre d’apporter une contribution positive
à l’économie nationale. C’est là une approche qui favorise davantage
une autonomie accrue.
32. Le NSFV est un bon exemple de partenariat entre les secteurs
public et privé, tant en termes de coopération (les acteurs et pouvoirs
publics figurent parmi les 34 membres du partenariat établi par
le NSFV) que de financement: les autorités locales tout d’abord,
puis le gouvernement national, ont financé cette initiative couronnée
de succès.
– Stadtteilmütter («mères de
quartier»), Allemagne
33. Stadtteilmütter est un projet
basé à Nuremberg qui s'appuie sur les expériences des femmes nouvellement
arrivées. Des femmes vivant en Allemagne, en particulier à Nuremberg,
depuis sept à neuf ans et qui se sont intégrées soutiennent d’autres
femmes et des familles qui viennent de s'y installer. Des hommes sont
également impliqués. À Nuremberg, il y a environ 15 «mères de quartier»
volontaires et d'autres projets du même type ont également formé
des femmes volontaires. Stadtmission Nuremberg, une association
à but non lucratif, assure la coordination et l’information des
volontaires. Chaque semaine, les «mères» se rendent auprès des femmes
et de leurs familles, s'occupent d'elles et leur apportent une aide
dans toutes sortes de domaines: traductions, visites conjointes
auprès des services de la ville ou résolution de problèmes de la
vie quotidienne qui posent de grandes difficultés aux personnes,
notamment à celles qui se sont récemment installées. Lors de ces
visites hebdomadaires des mères de quartier, des questions sont
souvent posées sur le système éducatif et sur la santé des femmes
et des enfants. Ce projet aide également à construire des liens avec
les services de la ville qui peuvent apporter une aide dans ces
domaines particuliers.
34. Pour soutenir les mères de quartier et leur fournir des informations
importantes, des sessions de formation sont régulièrement organisées
sur des sujets tels que les valeurs, la religion, les droits des
femmes et des enfants, la violence domestique, les droits des étrangers
et la consultation de spécialistes. L’expérience de l’immigration
qu’ont acquise les mères de quartier joue un rôle crucial: leur
riche expérience et leur histoire propre les aident à répondre de
manière appropriée aux problèmes, aux besoins et aux attentes des
familles qu'elles encadrent. La proximité culturelle et linguistique
avec les bénéficiaires leur permet d'aborder certains sujets de
manière directe. Les mères de quartier peuvent si nécessaire employer
un ton que des Allemandes chercheraient à éviter ou qui leur semblerait
gênant. Si une leçon doit être tirée de ce projet, c'est que très souvent,
des activités plus petites et faciles à réaliser ont une grande
valeur ajoutée en termes d'intégration.
3.4. L’approche
reposant sur l’échange d’expériences
35. On ne saurait sous-estimer
le rôle des réseaux dans le travail en faveur de l’intégration.
Le soutien de femmes appartenant à la même communauté est particulièrement
efficace à cet égard: il permet d’éviter les problèmes linguistiques,
assure une meilleure communication et facilite le développement
de la confiance. Même lorsque les participants proviennent de régions
différentes, l’expérience commune de l’immigration et de l’installation
dans un environnement nouveau facilite la compréhension mutuelle.
Les projets en faveur de l’intégration ont tout à gagner de la participation
de personnes issues de l’immigration, que ce soit comme bénévoles
ou comme personnel rémunéré, selon la nature et le mode d’organisation
des activités.
– FOKUS, Norvège
36. FOKUS, le Forum pour les femmes
et le développement, se définit lui-même comme un «centre de connaissances
et de documentation sur les questions concernant les femmes au niveau
international en mettant l’accent sur la diffusion d’informations
et la coopération au développement axée sur les femmes». Il s’agit
d’un organe fédérateur qui rassemble 66 groupes et commissions de
femmes au sein de partis politiques, de syndicats ainsi que d’organisations
de solidarité et d’assistance. Grâce à FOKUS, j’ai eu la possibilité
de rencontrer des représentantes d’associations de femmes bosniaques,
kurdes, somaliennes et panafricaines, ainsi que des associations
travaillant avec des immigrés ou actives dans le domaine du développement. FOKUS
est le Comité national norvégien pour l’ONU-Femmes depuis 2010 et
coordonne le contre-rapport national soumis au Comité de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDAW). Ce rapport couvre entre autres la situation des
femmes immigrées en Norvège. L’organisation reçoit une aide financière
de l’Agence norvégienne pour le développement (NORAD), du ministère
des Affaires étrangères et du Téléthon national. Mes interlocutrices
étaient toutes d’accord sur certains points comme la priorité absolue
à accorder à l’information, la sensibilisation et l’éducation en particulier.
Selon elles, il est essentiel de donner aux femmes immigrées les
moyens de maîtriser le norvégien et d’acquérir une formation professionnelle.
37. Dans certains cas, les hommes empêchent les femmes de leur
famille de s’inscrire à des cours. FOKUS considère que les activités
de sensibilisation doivent être de préférence organisées par les
autorités locales et destinées à l’ensemble de la communauté, en
sorte que chacun soit invité à y participer et que les femmes ne risquent
pas d’en être exclues. Les femmes immigrées devraient aussi recevoir
des informations sur leurs droits, dont elles n’ont souvent pas
connaissance, et bénéficier le cas échéant de conseils juridiques.
– Centre Stella, Norvège
38. Le Centre Stella est le centre
d’expertise de la Croix-Rouge pour les femmes immigrées. Il a été
créé en 2012 avec l’aide de la Direction gouvernementale de l’intégration
et de la diversité (IMDi) et s’appuie sur des fonds à la fois publics
et privés. Il se veut un espace inclusif qui promeut la participation
et l’engagement dans la société norvégienne en mettant l’accent
sur les compétences, le développement personnel, le travail en réseau
et la coopération avec le monde des entreprises. Il offre des conseils
personnalisés, des cours et activités à la carte ainsi que la possibilité
de faire du bénévolat. L’ensemble des activités et programmes est gratuit
pour les participantes. Le Centre coordonne ses activités avec d’autres
initiatives de la Croix-Rouge et coopère avec les pouvoirs publics
et leurs programmes. Il a pour groupe cible l’ensemble des femmes
d’Oslo et des environs mais se concentre plus particulièrement sur
les femmes appartenant à une minorité. Il propose des activités
d’éducation, de formation et d’orientation, ainsi que d’autres activités
de soutien, et coopère avec divers acteurs des secteurs public et
privé: police, médecins participant à titre individuel et autres
experts.
– Cinzia Hu, représentante de
la communauté chinoise de Milan, Italie
39. Je me suis rendue dans le quartier
chinois de Milan où j’ai rencontré Mme Cinzia
Hu, diplômée de l’université de Bocconi, conseillère fiscale et
l’une des représentantes les plus connues, bien qu’à titre non officiel,
de la communauté chinoise. L’intégration a pendant longtemps été
particulièrement ardue pour les immigrés chinois, en particulier
pour des raisons linguistiques. Ils recouraient généralement à d’autres membres
de la communauté chinoise pour résoudre leurs problèmes administratifs
ou autres. Cependant, grâce à la scolarisation, mais aussi aux échanges
professionnels avec les fournisseurs, ces obstacles ont généralement
été surmontés, notamment parmi les jeunes.
40. Les nouveaux arrivants de toutes origines contribuent de façon
non négligeable à l’économie, notamment en tant qu’entrepreneurs.
Cependant, les Chinois viennent en première place pour le nombre d’entreprises
créées. Selon Mme Hu, les femmes sont
particulièrement actives au sein de cette communauté du fait de
l’égalité relative entre les femmes et les hommes, l’égalité entre
les sexes ayant été un objectif des pouvoirs publics en Chine depuis
la venue des communistes au pouvoir. À Milan, les femmes sont souvent
les intermédiaires principaux entre la communauté chinoise et le
reste de la population. Elles semblent être plus ouvertes au reste
de la société et à son évolution. Cependant, la communauté dans
son ensemble s’intéresse traditionnellement très peu à la vie politique,
y compris au niveau local. Les Chinois sont devenus un peu plus actifs
il y a une dizaine d’années, lorsque des organisations ont été créées
pour défendre les intérêts des commerçants contre les nouvelles
réglementations plus strictes adoptées par les collectivités locales. Toutefois,
comme l’a indiqué pour finir Mme Hu,
la plupart des personnes d’origine étrangère ne peuvent pas voter
et leur impact sur la politique reste donc très limité.
– Fondation Yasmin, Pays-Bas
41. La Fondation Yasmin, basée
à La Haye aux Pays-Bas, se définit comme un «centre de participation» pour
les femmes désireuses de développer leurs talents ou de travailler
pour la société. Selon leur situation et leurs compétences, elles
peuvent prendre part à des activités bénévoles ou à un travail rémunéré,
ou suivre une formation. Un entretien initial permet aux nouvelles
participantes de décrire leurs attentes et leurs besoins (apprendre
le néerlandais ou acquérir d’autres compétences au moyen de cours
en groupe ou de mentorat individuel, ou contribuer par leurs aptitudes
à l’enseignement ou à l’animation des sessions). La Fondation Yasmin
offre la possibilité de rencontrer des gens nouveaux, de nouer des
contacts et d’échanger des expériences. L’éducation et le développement
personnel sont au cœur de ce projet. «Les points forts des femmes
deviennent ainsi les points forts de La Haye», affirme la Fondation.
Ces mots résument une certaine idée de l’«intégration» que je soutiens
et expliquent pourquoi nous devons travailler en ce sens.
– Talente-entwicklung, Autriche
42. Le projet Talente-entwicklung
(«Développement de talents») cherche à favoriser les échanges entre personnes
d’origines différentes – Autrichiens et nouveaux arrivants – au
moyen de divers enseignements et activités portant, entre autres,
sur les langues, l’éthique, l’économie et le développement durable.
Des activités pratiques sont aussi consacrées par exemple à la cuisine
en utilisant des produits typiquement autrichiens et du monde entier.
– Un témoignage intéressant:
Fatuma Musa Afrah
43. En juin 2017, la commission
sur l’égalité et la non-discrimination a tenu un échange de vues
avec Fatuma Musa Afrah, une experte d’origine somalienne sur l’intégration
des nouveaux arrivants et une intervenante dynamique actuellement
basée à Berlin. Les compétences acquises par Mme Afrah
proviennent en partie de sa propre expérience de nouvelle arrivante
en Allemagne et de son travail de bénévole dans des camps de réfugiés.
Ayant observé de près les différences de comportement entre hommes
et femmes, elle est profondément convaincue que l’autonomisation
des femmes doit constituer une priorité. Les hommes se sentent libres
de sortir des camps, d’aller jouer au football ou même de sortir
en boîte de nuit, alors que les femmes restent enfermées dans leurs
chambres comme si sortir du camp était pour elles un comportement inapproprié.
La clé est donc de sensibiliser les femmes à leurs droits. Différents
moyens peuvent être employés à cette fin, à condition de bien prendre
en compte les souhaits et les attentes des nouvelles arrivantes
et de fournir aux mères des services de crèche ou de garderie pour
leur permettre de suivre des activités de formation ou autres. L’apprentissage
linguistique est le premier pas, et sans doute le plus important. L’éducation
de base aux droits de l’homme est également importante. Mme Afrah
a fourni un conseil général important qu’il est bon de garder en
tête: lorsque l’on prépare des activités de soutien aux nouvelles
arrivantes, il convient de ne pas perdre de vue que ces femmes ont
souvent derrière elle un passé douloureux et ont parfois subi des
violences sexuelles ou physiques, ou même été soumises à la torture.
Leur fournir un lieu sûr est donc la première chose à faire pour
commencer à répondre à leurs besoins.
44. Le témoignage de Mme Afrah a montré
que la situation des femmes réfugiées varie en fonction de leur origine,
de leur âge et de leur personnalité, et du fait de savoir si elles
sont seules ou accompagnées par leur famille et des enfants. Le
travail avec les réfugiées doit donc être un travail personnalisé,
un processus au cas par cas. Le sens même de la notion d’intégration
varie et ne peut s’appliquer de la même façon à chaque personne.
– Medica Mondiale, Germany
45. Medica Mondiale est une organisation
qui travaille auprès des femmes et des jeunes filles dans les zones
de conflit, dont l’Afghanistan, la République démocratique du Congo,
le Liberia et le nord de l’Irak. Elle a développé une approche psychosociale
unique pour intervenir auprès des femmes qui ont survécu à des actes
de violence, une approche basée sur la solidarité et sensible au
stress et autres traumatismes subis. Cette approche est désormais
appliquée en Allemagne ainsi que dans d’autres régions d’Europe.
Medica Mondiale a lancé un projet intitulé STAR (Stress and Trauma-sensitive Approach to promote
Resilience of refugees) dans le Land de
Rhénanie-Du-Nord-Westphalie. Un des points forts de STAR est le
soutien des pairs, offert aux nouvelles arrivées par des femmes
réfugiées ayant vécu un certain temps en Allemagne. Ce projet montre
que différentes approches peuvent être combinées utilement. En effet,
l’échange d’expériences est seulement l’un des éléments de ce projet.
L’autonomisation des femmes, en particulier par l’amélioration de
la confiance en soi, y joue également un rôle important. De plus,
le soutien reçu des autorités locales est l’un des facteurs ayant
déterminé son succès.
3.5. Facteurs
structurels
46. Les facteurs structurels aptes
à créer des conditions favorables à l’intégration sont de nature
diverse. Ils comprennent premièrement la législation et les politiques,
deuxièmement l’infrastructure et les services fournis par l'État
et les collectivités locales, et troisièmement les services et l’infrastructure
supplémentaires fournis par des acteurs non étatiques importants
comme les organisations patronales et les syndicats. La réglementation
légale et le soutien de l’administration publique déterminent aussi
en grande mesure les possibilités d’intégration qui s’offrent aux
nouveaux arrivants.
– Action des pouvoirs publics
et infrastructure en Norvège
47. En Norvège, toute une série
d’acteurs travaillent pour et avec les personnes d’origine immigrée: assistance
et soutien leur sont apportés non seulement par les pouvoirs publics
mais aussi par des organisations de la société civile; certaines
d’entre elles ciblent spécialement les femmes.
48. Dans ce pays, l’infrastructure et les services d’intégration
sont le résultat d’une réflexion approfondie au niveau politique
et la dimension de genre de l’immigration est prise en compte dans
toutes les politiques pertinentes. Les femmes immigrées peuvent
par exemple s’occuper de leurs enfants à la maison pendant un an
à compter de leur arrivée en Norvège (ce qui, d’un autre côté, peut
rendre plus difficile pour ces femmes de nouer des liens avec la
communauté locale et renforce le rôle de dispensatrice de soins
qui leur est traditionnellement dévolu).
49. Le Gouvernement norvégien a adopté un plan d’action pour lutter
contre les formes négatives de contrôle social, les mariages forcés
et les mutilations génitales féminines, qui prévoit toute une gamme
de mesures à appliquer de 2017 à 2020
. Ce plan d’action
est intitulé: «Le droit de décider de sa propre vie», ce qui indique
bien que la liberté individuelle est considérée à juste titre comme
quelque chose de non négociable. Le contrôle social négatif, défini
comme «les différentes formes de surveillance, de pression, de menaces
et de coercition employées pour s’assurer que les individus vivent
conformément aux normes de la famille ou du groupe», est considéré
comme un grand danger pour les droits de l'homme. Cet aspect de
l’intégration des immigrés a probablement été négligé dans d’autres
contextes et devrait faire partie du débat dans d’autres pays également.
– IMDi
50. La Direction gouvernementale
de l’intégration et de la diversité (IMDi), a été créée le 1er janvier
2006 pour servir de «centre d’expertise et force motrice de l’intégration
et de la diversité». Cette administration coopère avec les organisations
d’immigrés, les municipalités, les organismes gouvernementaux et
le secteur privé. Elle donne des conseils au gouvernement et met
en œuvre les politiques publiques. Elle compte 220 agents et dispose
d’un budget de 261,5 millions de couronnes (NOK). L’IMDi gère des
subventions d’un montant d’environ 16 milliards de couronnes, soit
l’équivalent de 1,6 milliard d’euros, ce qui est une somme considérable.
Le caractère ambitieux du but poursuivi, à savoir «contribuer à
garantir l’égalité des conditions de vie et la diversité par l’emploi,
l’intégration et la participation», justifie l’investissement d’une
telle somme d’argent public.
– Virke
51. La Fédération des entreprises
de Norvège (Virke) représente plus de 20 000 entreprises qui emploient plus
de 225 000 salariés en Norvège, dans des secteurs tels que le commerce,
la technologie, le tourisme, la santé, l’éducation, la culture et
l’action bénévole. Elle a accès au plus haut niveau politique puisqu’elle
est consultée régulièrement par le gouvernement sur des questions
économiques et influe activement sur la législation. Dans les limites
de sa mission, Virke contribue à l’intégration des immigrés. Sa
représentante, Mme Marte Buaas, m’a indiqué
qu’un programme de mentorat pour les femmes d’origine immigrée avait
été lancé en 2010. La Fédération identifie des personnalités aptes
à servir de modèles positifs et donne aux stagiaires la possibilité
d’entrer en contact avec elles et d’en tirer des enseignements.
Il est en outre utile pour les employeurs d’apprendre à gérer la
diversité, ce qui est de plus en plus important à l’heure de la mondialisation.
La diversité sur le lieu de travail est une ressource et peut avoir
des retombées positives sur l’activité des entreprises.
– FAFO
52. Le FAFO est un institut de
recherche indépendant qui mène des études réalisées à la demande d’acteurs
qui vont des syndicats aux organisations patronales en passant par
les autorités locales et centrales, ainsi que des ONG. Le dernier
entretien inscrit à mon programme de visite m’a permis de rencontrer
la directrice de recherche du FAFO, Mme Hanne
Cecilie Kavli, dont les travaux portent essentiellement sur la société
multiculturelle et l’insertion des immigrés. Elle m’a fourni des
informations sur la situation des immigrés en Norvège et j’ai pu
discuter avec elle des questions d’éducation et de formation. Elle
m’a expliqué qu’il fallait proposer aux immigrés une formation à
la fois linguistique et professionnelle. La formation professionnelle
est parfois négligée. Les stages d’accueil et d’orientation proposés
aux immigrés ont un double objectif: faciliter l’accès à un emploi
rémunéré, mais aussi la participation à l’ensemble de la vie sociale.
Afin de réduire le nombre de participants, notamment de femmes,
qui abandonnent la formation (problème que j’ai souvent observé
en Allemagne), il importe de veiller à ce que les cours couvrent
des questions touchant à la vie quotidienne.
– Action du conseil municipal
de Milan
53. À Milan, j’ai rencontré Mme Diana
de Marchi, présidente de la commission de l’égalité des chances
et des droits civils du conseil municipal, et Mme Maryan
Ismail, membre du Conseil national des communautés musulmanes. Le
conseil municipal a inauguré il y a plusieurs années la Maison des
droits, une structure publique proposant gratuitement des informations
et des conseils juridiques, et mettant à disposition une ligne téléphonique
d’urgence pour signaler les cas de discrimination fondée sur l’origine
ethnique ou d’autres motifs. La lutte contre la traite des êtres
humains fait également partie des priorités de cette Maison. En
mai 2017, la Charte de Milan sur les migrations a été signée par
un grand nombre de militants des droits de l’homme, d’avocats, d’intellectuels
et de responsables politiques. Elle appelle les autorités nationales
de toute l’Europe, ainsi que les institutions européennes, à protéger
les droits des migrants, à promouvoir le rôle de la société civile
et à veiller à ce que sa capacité d’apporter soutien et assistance
aux migrants et aux réfugiés soit maintenue. La devise de la Charte
est: «La solidarité n’est pas un crime.»
4. Prise
en compte de la dimension de genre et protection des femmes migrantes,
réfugiées et demandeuses d’asile dans les documents du Conseil de
l’Europe
54. La Stratégie pour l’égalité
entre les femmes et les hommes 2018-2023 du Conseil de l’Europe,
adoptée récemment, comprend un nouvel objectif stratégique: «Protéger
les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses
d’asile» (objectif no 5). Cet objectif
concerne les politiques en matière d’immigration, d’intégration
et d’asile. Il confirme la reconnaissance croissante de l’importance
des femmes dans ce contexte.
55. Selon la Stratégie, «[i]l est capital d’intégrer les questions
d’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les mesures
d’intégration, de manière à ce qu’aussi bien les femmes que les
hommes migrant-e-s soient conscient-e-s de la nécessité de respecter
et de défendre les lois et les politiques en matière d’égalité entre
les femmes et les hommes, même si elles ne correspondent pas à la
situation de leur pays d’origine. Cela favoriserait l’intégration
dans les sociétés européennes et sur les marchés du travail européens,
et profiterait à toutes les femmes et tous les hommes, aux filles
et aux garçons».
56. La Stratégie ajoute que l’action du Conseil de l’Europe en
ce domaine visera à «soutenir l’intégration systématique d’une perspective
d’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques et
les mesures concernant les migrations, l’asile et l’intégration
pour garantir les droits humains et les libertés fondamentales des
femmes et des filles, des hommes et des garçons migrant-e-s, réfugié-e-s,
et demandeur-se-s d’asile, indépendamment des comportements liés
à des traditions ou à des cultures».
57. Les femmes migrantes et demandeuses d'asile sont particulièrement
vulnérables à la violence sexiste. La Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (CETS no 210,
«Convention d’Istanbul») stipule que ses dispositions doivent être appliquées
sans aucune discrimination fondée sur le statut d’immigrée, de réfugiée
ou autre, et prévoit des mesures spécifiques pour la protection
des femmes immigrées. Elle envisage par exemple la possibilité d'accorder
un permis de résidence autonome aux femmes migrantes afin d’éviter
les situations où ces femmes ne pourraient échapper à une relation
abusive par crainte de perdre leur statut de résidence.
58. En ce qui concerne spécifiquement les femmes réfugiées et
les demandeuses d’asile, la Convention d'Istanbul exige des États
parties qu'ils fassent en sorte que la violence contre les femmes
fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution
au sens de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut
des réfugiés (article 60.1). Il s’agit ainsi de remédier à l’absence
de prise en compte de la perspective de genre dans la réglementation
en matière d’asile, qui peut empêcher des femmes victimes de violence
d’obtenir la protection internationale à laquelle elles devraient
avoir droit.
59. L’Assemblée parlementaire a abordé à plusieurs reprises des
questions touchant à la situation des femmes immigrées. Je voudrais
en particulier mentionner trois textes récents qui sont particulièrement pertinents
dans le contexte de ce rapport.
60. La
Résolution 2159
(2017) «Protéger les femmes et les filles réfugiées de la violence
fondée sur le genre»
analyse
les diverses formes de violence fondée sur le genre auxquelles sont
confrontées les femmes réfugiées (contrainte, sexe comme moyen de
survie, esclavage sexuel, prostitution forcée, violence domestique,
harcèlement ou autres formes d’extorsion) et indique les mesures
concrètes que devraient adopter les États membres, en particulier:
prévoir des dortoirs séparés et sûrs pour les femmes réfugiées; assurer
la présence de femmes en nombre suffisant parmi le personnel de
sécurité et les travailleurs sociaux; et fournir aux femmes réfugiées,
dans une langue comprise d’elles, des informations sur leurs droits
et les services d’aide existants.
61. La
Résolution 2167
(2017) sur les droits en matière d’emploi des travailleurs
domestiques en Europe, spécialement ceux des femmes
souligne
la vulnérabilité des travailleurs domestiques dont l’activité se
déroule dans l’intimité des foyers et qui sont souvent invisibles,
sous-payés et non déclarés. L’Assemblée déclare dans ce texte, qui
n’ignore aucunement la dimension de genre de la question, qu’il
est urgent de reconnaître le travail domestique comme un «vrai travail».
62. Enfin, la
Résolution
2176 (2017) «L’intégration des réfugiés en période de fortes pressions: enseignements
à tirer de l’expérience récente et exemples de bonnes pratiques»
souligne
que l’intégration des réfugiés est un processus long et complexe
qui suppose une détermination durable de la part des réfugiés eux-mêmes
et des autorités, et un engagement constant de la société civile.
Dans ce texte, l’Assemblée réaffirme entre autres le principe important
selon lequel l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation («selon laquelle
les nouveaux arrivants adoptent la culture, les valeurs et les traditions
du pays hôte en lieu et place des leurs») et ne s’apparente pas
non plus au multiculturalisme, avec des communautés menant des existences
à part.
63. Les principes énoncés dans ces textes sont pertinents et opportuns.
Ils ont guidé mon travail et je me suis efforcée de produire un
rapport et une résolution en harmonie avec eux. Il m’a paru nécessaire
cependant de mettre plus fortement l’accent sur la dimension de
genre, en soulignant le rôle positif que peuvent jouer les femmes.
5. Conclusions
64. La manière dont est comprise
et traitée l’intégration varie selon les États membres du Conseil
de l’Europe, comme le montrent les visites d’information que j’ai
effectuées pendant la préparation de ce rapport. L’histoire de chaque
pays en matière d’immigration détermine les aspects de l’intégration
qui sont privilégiés au niveau national.
65. Étant donné le rôle particulier que jouent les femmes dans
l’intégration, notamment à l’intérieur de la famille et sous l’angle
des générations futures, il est indispensable d’adopter une perspective
de genre lors de l’élaboration des politiques d’intégration.
66. Le travail de recherche, les auditions et les visites d’information
menées en vue de la préparation de ce rapport m’ont permis d’identifier
six aspects, étroitement liés entre eux, qui sont pertinents au
regard de l’intégration des femmes, à savoir: l’égalité juridique
entre les femmes et les hommes et la protection des droits des femmes;
l’autonomisation propre des femmes; leur autonomisation au sein
de la famille; l’acquisition des compétences linguistiques de base;
l’insertion dans le marché de l’emploi; et, enfin, la participation
des femmes à la vie sociale.
67. J’ai également pu recueillir des indications utiles sur les
mesures concrètes à prendre au regard de ces six aspects. L’éducation
y tient une place déterminante: les nouvelles arrivantes devraient
avoir accès à l’enseignement scolaire, à l’apprentissage tout au
long de la vie et à la formation professionnelle. Le tout premier
pas, cependant, est l’acquisition de la langue locale. La maîtrise
de cette langue est le premier – et le plus important – outil d’intégration
dans le pays d’accueil, et une condition indispensable pour l’accès
à toutes les autres formes d’éducation. Souvent, il est utile d’inclure
les hommes dans les activités d’intégration, plutôt que de cibler
les femmes indépendamment. Toutefois, il est nécessaire de prévenir
et de contrer les risques d’effets négatifs du contrôle social sur
les femmes.
68. En Norvège, les politiques d’intégration sont mises en œuvre
grâce à une coopération constante entre divers acteurs. Les pouvoirs
publics participent à cette mise en œuvre au niveau central, régional
et local, sur la base d’une claire répartition des tâches, et sont
engagés en permanence dans un dialogue avec la société civile, notamment
les organisations qui représentent les migrants, les réfugiés et
les demandeurs d’asile, en particulier les femmes. En effet, la
contribution d’un large éventail d’acteurs – universités et autres établissements
d’enseignement, syndicats et employeurs – est nécessaire. Même les
organes diplomatiques et consulaires peuvent jouer un rôle dans
la protection des droits des femmes.
69. L’exemple de la Norvège montre aussi que les politiques d’intégration
nécessitent un financement adéquat. Les activités d’information
et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes
doivent constituer un élément à part entière des politiques d’intégration:
les femmes et les hommes d’origine immigrée doivent en particulier
être sensibilisés aux valeurs d’égalité entre les sexes qui sont
inscrites dans les systèmes légaux des États membres du Conseil
de l’Europe.
70. Les femmes devraient aussi, dans la mesure du possible, recevoir
des conseils au sujet des possibilités d’éducation et d’emploi qui
s’offrent à elles dans le pays d’accueil, en les aidant aussi à
comprendre les attentes de la société hôte qui ne sont pas nécessairement
identiques à celles de leur pays d’origine. En apprenant à connaître
leur rôle et leurs opportunités, les femmes développeront leur amour
propre et acquerront une plus grande confiance dans leurs capacités
personnelles. Les programmes de mentorat et l’exemple de personnalités
modèles pourront y contribuer de manière efficace. Les programmes
d’intégration mis en œuvre en Allemagne offrent de bons exemples
à cet égard, qui pourront être reproduits dans d’autres contextes.
71. Il faut aujourd’hui investir du temps et des ressources pour
faciliter l’intégration des migrants, des réfugiés et des demandeurs
d’asile, dans l’intérêt du bien-être de l’ensemble de la société.
Le rôle clé des femmes dans ce processus doit être reconnu et mis
en valeur. Elles constituent en effet des acteurs clés du changement
et méritent d’être soutenues dans cette fonction. L’argent utilisé
à cette fin ne constituera pas tant une dépense qu’un investissement
en vue de l’avenir dans nos pays, et contribuera de manière positive
non seulement à la production de richesse mais aussi au maintien
de la cohésion sociale.