1. Origine, portée et objectif du rapport
1. La controverse née en France
à la suite des propos tenus lors d’un prêche par l’imam de la Grande Mosquée
de Toulouse, traduits et mis en ligne en juin 2018 par l’Institut
de recherche des médias du Moyen-Orient (MEMRI)
, est assez illustrative de la thématique
de ce rapport.
2. Est en cause un sermon prononcé en décembre 2017 par un imam
franco-algérien, M. Mohammed Tataï, résidant à Toulouse (France)
depuis 30 ans, dans lequel un hadith antisémite
est mis en avant. Certains titres
de la presse française ont alors évoqué le «double langage» de ce
prédicateur qui favoriserait la radicalisation. En outre, la plupart
d’entre eux ont mentionné le fait qu’il tenait à prêcher en arabe
littéraire et non en français.
A contrario,
certains journalistes ont rappelé que cet imam avait préalablement
officié à la Grande Mosquée de Paris, qu’il était impliqué dans
le dialogue interreligieux et qu’il n’était pas considéré comme
«radicalisé» mais au contraire «modéré». Par ailleurs, l’un de ses
défenseurs, en la personne du ministre algérien des Affaires religieuses,
M. Mohammed Aissa, serait intervenu publiquement dans un média algérien
pour soutenir M. Tataï, «un homme pur qui ne violerait pas les lois
de son pays de résidence», et pour fustiger les «médias extrémistes»
qui devraient «cesser de porter atteinte à l’islam»
. Enfin, plusieurs articles ont souligné
la proximité de M. Tataï avec les autorités algériennes et rappelé
que ces dernières avaient financièrement participé à la construction
de la Grande Mosquée de Toulouse.
3. Au-delà de ses différents développements
, cette affaire est marquée
par des accusations de radicalisation, d’un côté, la dénonciation
d’une certaine islamophobie, de l’autre, et l’intervention publique d’autorités
étrangères qui auraient participé au financement d’un lieu de culte
musulman. Tous les ingrédients du débat actuel sur le financement
étranger de l’islam en Europe sont ici réunis.
4. Mon intérêt pour la question du financement des cultes n’est
pas nouveau. Il est la suite logique d’une constatation que j’ai
faite, il y a quelque temps, sur la transparence pas toujours complète
des financements religieux. Je viens d’un État où le culte, lorsqu’il
est reconnu, bénéficie de ressources fiscales propres, grâce à ce
que nous appelons le «Kirchensteuer» ou impôt cultuel. Il est donc
relativement facile de connaître les montants alloués aux différents
cultes collectés par la puissance publique. En revanche, à la différence
des associations reconnues d’utilité publique qui sont soumises
à une série d’obligations en matière de reddition des comptes, les
cultes ne se voient pas imposer de grandes contraintes quant à la
manière dont ils utilisent cet impôt. Or, les sommes en jeu sont
importantes.
5. De ce décalage peut bien évidemment naître une certaine suspicion,
surtout lorsque certains cultes sont confrontés à des scandales
financiers, ce qu’a par exemple connu l’épiscopat allemand en 2013.
Il a ainsi été conduit à être nettement plus transparent en rendant
public son patrimoine, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’alors. On
le sait: l’absence de transparence peut conduire à des pratiques
douteuses et à son corollaire, le soupçon.
6. Compte tenu du contexte sécuritaire actuel, la question du
financement étranger de l’islam a récemment attiré une attention
particulière. Le prétendu manque de transparence ouvre la voie à
des spéculations politiques, à des soupçons et à des peurs, notamment
la peur d’une éventuelle utilisation abusive de ce financement à
des fins de radicalisation. En outre, parce que l’islam, en Europe,
n’est globalement pas financé sur un pied d’égalité avec les autres
religions, il peut être perçu comme particulièrement vulnérable
à l’influence exercée par de généreux donateurs.
7. L’objet de ce rapport est donc de voir dans quelle mesure
le financement étranger de l’islam en Europe est ou non transparent.
S’il ne l’est pas suffisamment, dans quelle proportion cette absence
de transparence permet-elle réellement au phénomène de radicalisation
de prospérer? Et si cette proportion est faible tout en étant réel,
comment éviter, dans le cadre du financement de l’islam, qu’un amalgame
ne soit fait avec l’ensemble des communautés musulmanes et que des
sentiments islamophobes ne se développent?
2. Précisions
d’ordre méthodologique et terminologique
8. Pour mesurer la réalité du
lien entre financement étranger de l’islam, radicalisation et islamophobie,
j’ai effectué deux missions d’information. La première, à Vienne,
a été consacrée à la loi sur l’islam votée en 2015, qui a mis à
jour un texte de l’Empire austro-hongrois datant de 1912, comportant
des dispositions fortes en matière de financement et d’organisation
de l’islam. La seconde, à Londres, avait pour objet de comprendre comment
le Royaume-Uni, habituellement réticent à intervenir dans le domaine
religieux, a géré les éventuels problèmes liés au financement des
activités islamistes extrémistes. L’intérêt résidait dans le fait
que le Royaume-Uni et l’Autriche avaient des traditions diamétralement
opposées quant à la gestion du fait religieux et, à l’inverse, avaient
ceci de commun qu’elles abritent des communautés musulmanes numériquement importantes.
9. Par ailleurs, j’ai adressé un questionnaire détaillé aux parlements
allemand, belge, bulgare, britannique, français, suisse et turc
sur les différentes législations relatives au financement des cultes,
ainsi qu’aux données chiffrées que les flux financiers pouvaient
faire apparaître
. La sélection des parlements a pris
en compte la taille des communautés musulmanes dans les pays concernés
ainsi que le caractère ancien ou relativement récent de leur présence
dans ces derniers. Sur les sept parlements concernés, cinq ont répondu,
les parlements bulgare et turc ne l’ayant pas fait.
10. Enfin, dans le cadre de ce rapport, la commission des questions
politiques et de la démocratie a auditionné M. Jean-Pierre Chevènement,
ancien ministre de l’Intérieur et des cultes français, président
de la Fondation de l’Islam de France, qui a présenté l’un des modèles
européens d’organisation des cultes, celui d’une séparation stricte
entre ces derniers et la puissance publique, avec les conséquences
que cela entraîne en matière de financement.
11. L’Assemblée parlementaire, pour sa part, a eu l’occasion à
de multiples reprises d’appeler les États membres du Conseil de
l’Europe à lutter contre la radicalisation et l’extrémisme.
12. Parallèlement, le Comité des Ministres a adopté, lors de sa
125ème session du 19 mai 2015 à Bruxelles, un
Plan d’action sur la «Lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation
conduisant au terrorisme» (
CM(2015)74addfinal). Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a rendu
compte de sa mise en œuvre lors d’un
rapport
final publié en avril 2018.
13. Si le Plan d’action comprend une large série de mesures, il
reste relativement silencieux sur la définition de la radicalisation.
Le concept de «radicalisation» ne renvoie pas à une catégorie juridique
mais relève plutôt du champ des sciences sociales, ce qui explique
qu’il n’existe pas de consensus quant à sa définition
.
14. Les experts semblent cependant s’accorder sur le caractère
extrémiste et totalitaire d’une pensée radicale, ainsi que l’acceptation
du recours à la violence pour la mettre en œuvre. En revanche, le
passage à l’acte des personnes radicalisées n’est pas toujours certain.
15. En ce qui concerne la question du financement, cela m’incite
à élargir le champ de ce rapport aux mouvements et individus qui
professent, prétendument au nom de la religion musulmane, des valeurs incompatibles
avec les valeurs qui sont celles des États membres du Conseil de
l’Europe, celles des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État
de droit. Comme l’indiquait déjà en 2010 notre collègue M. Mogens Jensen
dans son rapport «L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe»
(
Doc. 12266), au paragraphe 28: «L’islamisme, ou islam politique,
est une idéologie qui vise à obtenir une influence politique, en
vue d’appliquer les principes de l’islam au monde. Les musulmans
pour lesquels les préceptes de l’islam ne représentent pas seulement
une croyance religieuse, mais devraient occuper une place essentielle
dans l’ordre politique et social de la société, peuvent être qualifiés
d’islamistes. Ces derniers estiment que l’islam régit tous les domaines
de l’existence et n’admettent par conséquent pas la séparation de
la religion et de l’État. Ils ambitionnent d’atteindre leur but,
soit par l’endoctrinement pacifique, la propagande et la lutte politique,
soit par des méthodes violentes, comme l’assassinat et le terrorisme.»Un
financement étranger promouvant cette vision ne devrait pas avoir
droit de cité dans les États membres du Conseil de l’Europe.
16. J’ajoute que le Plan d’action du Comité des Ministres me conforte
dans cette voie, dans la mesure où le point 2.1.1. du document CM(2015)74addfinal
met l’accent sur «[v]ivre ensemble sur un pied d’égalité dans des
sociétés démocratiques multiculturelles». Les organisations qui
s’opposent à ce vivre-ensemble ne devraient pas avoir la possibilité
de recevoir des financements étrangers.
17. En ce qui concerne l’islamophobie, le rapport de M. Jensen
soulignait que ce terme était souvent employé pour décrire les préjugés
ou la discrimination dont font l’objet l’islam et les musulmans.
Mais était également très justement indiqué au paragraphe 41 que
«la discrimination pratiquée à l’encontre des musulmans dans les
domaines de l’intégration économique, sociale et culturelle [pouvait]
reposer sur des motifs plus xénophobes que religieux», ce qui paraît
tout à fait exact.
3. Le
financement étranger de l’islam en Europe: une réalité difficile
à cerner, malgré une actualité politique certaine
3.1. Une
absence de données globales publiques agrégées
18. Le premier axe de recherche
a consisté à essayer de quantifier les sources de financement des principaux
cultes dans les sept États concernés par le questionnaire. L’idée
était de repérer la part des financements étrangers dans l’ensemble
des ressources de chaque culte et d’apprécier si, à cet égard, les différents
cultes musulmans présentaient une spécificité par rapport aux autres
cultes. Par financement des cultes, je m’attendais à des réponses
liées aux activités cultuelles (construction de lieux de culte,
entretien, rémunération des ministres du culte, présence d’aumôniers
dans les hôpitaux, les prisons ou les armées…), mais j’ai pris la
peine de demander aux parlements interrogés de préciser le champ
exact de ce financement.
19. Par ailleurs, la dernière question du questionnaire portait
sur les activités non cultuelles (fonctionnement d’écoles religieuses,
actions culturelles, caritatives, sportives…).
20. Le premier enseignement des réponses recueillies à l’aide
du questionnaire est qu’il n’existe pas de données globales publiques
agrégées permettant d’avoir une photographie claire et complète
des sources de financement des différents cultes ainsi que de leur
répartition, à la fois publiques/privées, et, en ce qui concerne
l’objet de ce rapport, nationales/étrangères.
21. Les raisons sont multiples. Elles tiennent par exemple à l’inexistence
d’une réglementation spécifique du financement des cultes, comme
c’est le cas au Royaume-Uni. Elles ont également à voir avec l’absence
de régime ou de pratique unifiée de ce financement dans les États
fédéraux (Suisse, Allemagne). Dans sa réponse au questionnaire,
le Parlement suisse a ainsi indiqué qu’il «existe en Suisse 26 manières
différentes de régler les rapports entre l’État et les communautés
religieuses. De ce fait, le financement de ces différentes communautés
ne fait pas l’objet d’une clarté totale».
22. En outre, à la question de savoir si, en matière de financement
du culte, la législation de leur pays opérait des distinctions selon
que les dons proviennent de nationaux (personnes morales ou physiques)
ou qu’ils ont pour origine des personnes morales ou physiques de
droit étranger, y compris des États (question no 7
du questionnaire), tous les parlements qui ont répondu l’ont fait
par la négative.
23. En d’autres termes, sur ce qui est considéré comme des activités
cultuelles, aucune donnée globale ne permet de mesurer l’importance
des financements étrangers pour quelque culte que ce soit, y compris
le culte musulman, pris dans son acception large (chiite, sunnite
et autre).
24. Il en va a fortiori de
même pour les activités non directement liées aux cultes.
25. La situation actuelle a été assez bien décrite par le think tank de Rand Corporation qui
s’est vu commander une étude par le Parlement néerlandais en 2014
sur le Financement étranger des institutions islamiques aux Pays-Bas,
une étude pour évaluer la faisabilité d’une analyse globale (Foreign
financing of Islamic institutions in the Netherlands – A study to
assess the feasibility of conducting a comprehensive analysis).
L’objectif était d’obtenir une vue d’ensemble de l’ampleur et de
l’étendue des financements étrangers à l’égard des institutions
musulmanes aux Pays-Bas, ainsi que de l’influence que des acteurs
étrangers peuvent éventuellement (et partiellement) exercer à travers
ces financements.
26. Ce rapport constituait la première phase d’un travail qui
aurait dû en comporter trois. Or, à l’occasion d’un débat du parlement
en plénière le 11 juin 2015, le gouvernement a recommandé «de ne
pas engager les phases suivantes au motif que le rapport Rand avait
conclu à un manque d’informations suffisantes pour permettre d’estimer
le volume et la nature du financement étranger des institutions
islamiques aux Pays-Bas», selon le parlement néerlandais. Ce dernier
a par ailleurs suivi la recommandation gouvernementale
.
27. Pour autant, l’absence de données globales ne signifie pas
que le financement étranger de l’islam est un non-sujet. Son actualité
dans le débat publique en témoigne.
3.2. Une
actualité indéniable
28. Pour preuve trois séries de
faits:
3.2.1. La
multiplication des rapports
29. Au-delà du rapport
Rand de 2015 aux Pays-Bas, le Sénat
français s’est intéressé à la fois au financement des lieux de culte
par les collectivités territoriales en 2015
et,
en 2016, aux financements étrangers dans le cadre d’une mission
d’information sur l’organisation, la place et le financement de
l’islam en France et de ses lieux de culte
.
30. En Belgique, la Chambre des Représentants s’est penchée sur
le financement de l’islam dans le contexte de l’enquête sur les
attaques terroristes du 22 mars 2016 que la Belgique a subies, la
question du financement via les pays du Moyen-Orient y a été évoquée.
31. En Allemagne, un rapport d’étape destiné au gouvernement et
consacré à la manière dont les pays du Golfe exportent leur religion
a été rédigé en décembre 2016 par les deux services de renseignement
fédéraux, le Service fédéral de renseignement (
Bundesnachrichtendienst) et l’Office
fédéral de protection de la Constitution (
Bundesamt
für Verfassungsschutz, BfV). Il a partiellement fuité
dans la presse et traiterait notamment «de la stratégie d’influence
à long terme» de ces États ou d’organisations qui leur sont liées, l’aspect
financier étant central.
32. Au Royaume-Uni, la ministre de l’Intérieur a présenté au parlement,
le 12 juillet 2017, les éléments principaux d’un rapport relatif
au financement de l’extrémisme, y compris lorsqu’il est d’origine
étrangère
. Toujours au Royaume-Uni, un laboratoire
d’idées, classé à droite selon la réponse que m’a faite la Chambre des
Communes, le Henry Jackson Society, a publié, en juillet 2017, une
étude intéressante intitulée «Le financement étranger de l’extrémisme
musulman au Royaume-Uni»
.
33. Les pouvoirs publics et les faiseurs d’opinion s’intéressent
donc manifestement à la question.
3.2.2. Exemples
d’annonces et de débats politiques
34. En France, l’ancien premier
ministre Manuel Valls avait envisagé d’interdire le financement
des mosquées par l’étranger «pour une période à déterminer» à la
suite de l’attaque terroriste qui avait frappé la ville de Nice
le 14 juillet 2016, annonce non suivie d’effets jusqu’à ce jour
et dont il n’est pas certain qu’elle soit juridiquement applicable,
selon la réponse faite par le Parlement français au questionnaire.
35. En Bulgarie, l’un des pays qui a la plus importante (8% selon
le dernier recensement) et la plus ancienne minorité musulmane d’Europe,
après que la question de l’interdiction du financement étranger
de l’islam a été un thème des élections présidentielle et législatives
de 2016 et 2017, la coalition majoritaire (GERB) issue des urnes
et deux partis de l’opposition (PSB et DPC) se sont accordés, en
mai 2018, pour faire adopter une loi modifiant la loi sur la Dénomination
des cultes de 2002 qui prévoirait le financement, par l’État, des
deux confessions majoritaires (orthodoxe et musulmane) et, en contrepartie,
interdirait les financements étrangers pour toutes les confessions
sauf approbation préalable de la direction des religions, ce qui
n’a pas manqué d’inquiéter les autorités catholiques. Le motif invoqué
pour cette modification est la lutte contre la radicalisation.
36. En Autriche, le débat a été vif lors de l’adoption, en 2015,
de la loi sur l’islam (Islamgesetz),
qui interdit le financement des cultes pour des activités régulières
et sur laquelle je reviendrai.
37. En Allemagne, après l’adoption de l’
Islamgesetz autrichienne,
la question s’est même posée au sein de la CDU de savoir si cette
loi ne devait pas être prise pour modèle. La réponse faite par le
gouvernement fédéral a été que l’Allemagne avait besoin d’intégration
et non d’
Islamgesetz .
3.2.3. Exemple
de controverse récente
38. En Allemagne
, en Autriche
et en Suisse
, les différents parquets fédéraux
ont lancé des enquêtes à la suite des accusations portées par un
ancien député autrichien, M. Peter Pilz, en février 2017, à l’encontre de
pratiques qu’il qualifie d’espionnage de certaines organisations
(comme l’Union des démocrates turcs européens) et, pour ce qui concerne
notre sujet, d’imams ou de responsables religieux qui abuseraient
de leurs fonctions pour participer à celles-ci
.
Or ces imams étaient notamment des salariés de la Diyanet, la Présidence
des affaires religieuses, qui dépend du Gouvernement turc.
39. On le voit, la question du financement étranger de l’islam
en Europe est un sujet sensible qui fait partie de l’agenda politique.
4. Financement
étranger de l’islam en Europe: constats et critiques
4.1. Les
constats
40. S’il est difficile de connaître
l’état du financement étranger de l’islam en Europe, les informations recueillies
grâce à des études sectorielles, aux réponses faites au questionnaire
et aux deux missions d’information permettent de faire certains
constats.
41. Le premier est que dans l’islam sunnite, l’importance du don
privé est réelle, qu’il s’agisse par exemple des aumônes spontanées
(sadaqa) ou de l’«aumône purificatrice»
de la fin du mois de jeûne (zakât al-fitr),
qui sont deux types de dons versés par les musulmans pendant le
ramadan.
42. Si l’on prend ainsi l’exemple de la construction et l’entretien
de mosquées en France, qui est un domaine significatif compte tenu
de la charge financière que ce type d’activité représente pour la
communauté des croyants, le Sénat français, dans son rapport de
2016, estime que la part du financement étranger y est marginale
par rapport aux dons des fidèles et représente environ 20 % de la
totalité des coûts. En 2015, il indiquait que: «Contrairement à
une idée reçue, les financements des États étrangers dirigés vers
des lieux de culte musulmans en France ne représentent qu’une part
minoritaire du financement total des cultes, assurés en majorité
par les dons des fidèles, ces derniers étant toutefois beaucoup
plus difficilement contrôlables. Les financements étatiques portent
en général sur des projets d’envergure mais sont ponctuels et officiellement déclarés
à l’administration française, les principaux cas de financements
d’États étrangers proviennent soit des pays d’origine des fidèles
(Algérie et Maroc pour l’essentiel), soit de la Turquie et des pays
du Golfe
.»
Le Sénat français souligne le fait que les dons des fidèles nationaux
sont plus difficiles à contrôler que le financement étranger qui,
de toute façon, ne concerne qu’une fraction marginale de l’ensemble
des sources de financement.
43. Cette constatation, qui ne vaut pas pour toutes les communautés
musulmanes, ni pour tous les États membres, fait néanmoins écho
à un deuxième élément important: le financement étranger est loin
d’être toujours la source première de la radicalisation.
44. Au contraire, si l’on prend l’exemple du Royaume-Uni, l’ancienne
ministre de l’Intérieur, Mme Amber Rudd,
a présenté, dans une communication écrite au parlement en juillet
2017, les principaux éléments d’un rapport établi par ses services
sur «La nature, l’étendue et l’origine du financement des activités
islamistes extrémistes au Royaume-Uni, y compris ses sources étrangères»
en insistant sur le fait que:
- «i.
la principale source du soutien aux organisations extrémistes islamistes
au Royaume-Uni est celle des dons anonymes de personnes, la majorité
d’entre eux provenant le plus souvent de personnes résidant au Royaume-Uni.
(…)
- Pour un nombre restreint d’organisations présentant un
risque d’extrémisme, le financement étranger est une source significative
de revenus. Cependant, pour la grande majorité des groupes extrémistes au
Royaume-Uni, le financement étranger n’est pas une source significative.»
45. La menace extrémiste est donc majoritairement le fait de financements
nationaux au Royaume-Uni.
46. Un troisième constat tient à ce que j’ai déjà indiqué en introduction:
le manque de transparence du financement de l’islam dans certains
pays crée la suspicion.
47. Ainsi, dans sa réponse au questionnaire, le Parlement allemand
fait-il référence aux propos d’une islamologue basée en Allemagne
qui aurait indiqué, en 2016, qu’il n’existait pas d’étude systématique
sur le financement étranger de l’islam, qu’elle avait fréquemment
entendu parler d’aides financières provenant de l’étranger sans
plus de précision et surtout, que c’était un sujet que l’on évitait
d’aborder.
48. Or ce sujet ne devrait pas être tabou et ce, d’autant moins
dans les États qui pratiquent l’impôt cultuel, tels l’Allemagne
ou l’Autriche. Dans ces derniers, les représentants de l’islam pourraient
en effet demander à en bénéficier. Ce que les fidèles versent sous
forme de dons privés serait alors en grande partie prélevé par la
puissance publique et restitué aux cultes concernés. Les sommes
ainsi transférées, sans devenir des fonds publics, seraient alors
parfaitement connues, alors qu’aujourd’hui elles ne le sont pas.
49. Je me suis interrogée sur cette absence de recours à l’impôt
cultuel. Le Parlement allemand m’a répondu que «la plupart des communautés
musulmanes sont opposées à l’instauration par l’État d’un “impôt d’Église”,
car cela serait contraire à la conception qu’elles ont d’elles-mêmes».
50. Je m’en suis également ouverte au Président de l’IGGÖ, principale
organisation du culte musulman autrichienne, qui a été très clair:
si l’aumône fait partie des cinq piliers de l’islam et est donc
à ce titre une obligation pour le croyant, elle n’a pas à être contraignante,
ce qu’un impôt cultuel impliquerait. Il m’a néanmoins indiqué que
l’Islamgesetz de 2015 ayant
interdit les financements étrangers, l’IGGÖ réfléchissait désormais
à une possible mise en place d’un impôt cultuel pour les musulmans
que l’IGGÖ représente, sans que je sache si cette hypothèse s’est
réalisée ou a été abandonnée.
4.2. Essai
de typologie des critiques adressées au financement étranger de
l’islam
51. Le financement étranger de
l’islam en Europe, dont l’organisation est extrêmement diverse,
concentre principalement trois soupçons, d’inégale importance.
4.2.1. Financement
étranger et terrorisme
52. Le premier est d’ordre sécuritaire
et lié aux activités terroristes et à la radicalisation. Des organisations étrangères
contribueraient, sous couvert de financement d’activités religieuses
ou caritatives, à la mise en place de réseaux de soutien sur les
territoires des États membres, comme cela a pu être pratiqué par
Daech, soit pour commettre des attentats, soit pour payer le voyage
d’éventuelles recrues vers les territoires que Daech contrôlait.
53. Les problèmes posés par ce type de financement sont réels
mais bien identifiés et les États membres disposent en général d’un
arsenal législatif et des moyens leur permettant de traquer ces
fonds et de réprimer les comportements criminels.
54. À la demande du Conseil de l’Union européenne, la Commission
européenne a d’ailleurs proposé une révision de la 4ème directive
relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux (2015/849)
adoptée le 20 mai 2015. Les modifications proposées visent notamment
à s'attaquer aux éventuelles menaces liées à l'utilisation de nouvelles
technologies dans les transactions financières, à renforcer et harmoniser
les contrôles exercés sur les flux financiers provenant de pays
tiers à haut risque, à améliorer la transparence et à conférer davantage
de compétences aux cellules de renseignement financier nationales.
55. Au sein du Conseil de l’Europe, dans le cadre du Comité d'experts
sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des
capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), qui est un
organisme permanent chargé d’apprécier la conformité aux principales
normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment
des capitaux et contre le financement du terrorisme, une «Initiative
d’établissement des faits relatifs au financement du terrorisme»
a été lancée.
56. En l’espèce, nous ne sommes clairement pas dans le financement
de l’islam mais dans celui du terrorisme.
4.2.2. L’instrumentalisation
de la religion par des États
57. La deuxième critique du financement
étranger que l’on entend actuellement est l’utilisation politique,
par des États, du fait religieux comme moyen d’influence dans un
pays étranger.
58. Très clairement, la mise en cause concerne ici des États comme
la Turquie, à travers notamment la Diyanet, l’Iran au Royaume-Uni
ou en Allemagne
et, pour un grand
nombre d’États membres, les pays du Golfe, c’est-à-dire l’Arabie
Saoudite, le Qatar, les Émirats-Arabes-Unis et le Koweït, que ces
derniers agissent directement en tant qu’États, ce qui est rare,
ou par l’intermédiaire d’organisations ou de fondations mixtes
.
59. Dans cette liste, la Turquie occupe une place particulière.
La Diyanet perçoit en effet plus l’islam comme un des facteurs de
l’identité des citoyens turcs vivant à l’étranger ou des citoyens
européens d’origine turque et, à cet égard, participe d’une stratégie
politique qui repose sur un mélange de sentiments religieux et de
fierté nationale, ce que certains ont qualifié d’islamo-nationalisme.
Ainsi, même si la Diyanet forme, envoie et salarie des imams dans
les mosquées que ses antennes locales, comme l’ATIB en Autriche,
la DITIB en Allemagne, contrôlent, son objectif n’a rien de messianique.
60. À l’inverse, les pays du Golfe financent des organisations
qui auraient, selon le rapport d’étape des services de renseignement
allemand, une «stratégie d’influence de long terme», promouvraient
«l’exportation de la religion» et seraient engagés en Europe dans
la création de réseaux salafistes à but «missionnaire»
.
61. La littérature relative à ces pays est nombreuse et fait régulièrement
apparaître les noms des organisations suivantes: la Shaykh Eid Charity
Foundation, la Qatar Charity, Al-Muntada Trust, basées au Qatar,
la Ligue islamique mondiale (LIM) ainsi que l’International Islamic
Relief Organisation (IIRO), créée par la LIM, et l’Assemblée mondiale
de la jeunesse musulmane (WAMY en anglais), basées en Arabie Saoudite, la
Revival of Islamic Heritage Society (RIHS), basée au Koweït. À des
degrés divers, toutes ces organisations ont été mises en cause pour
le caractère opaque d’une partie de leurs activités, qu’il s’agisse
de la construction de mosquées
ou
d’écoles religieuses, de l’envoi d’imams, de la fourniture de livres
ou de la prise en charge d’activités caritatives. Certaines ont
été accusées de financer non seulement des groupes salafistes, mais également
des groupes terroristes.
62. Quelques pays du Golfe mis en cause auraient durci depuis
quelques années le contrôle des dons privés recueillis sur leur
sol à destination de l’étranger, notamment en ce qui concerne la
zakat . En
outre, le ministre des Finances qatari, M. Ali Shareef al-Emadi,
a déclaré, à l’occasion de la conférence internationale contre le
financement du terrorisme de Paris en avril 2018, que tout projet
d’aide d’une organisation non gouvernementale (ONG) qatarie devra
désormais faire l’objet d’une autorisation de la part du pays auquel
il s’adresse et, qu’en outre, toute ONG devra faire transiter ses
dons par le Croissant rouge qui est contrôlé par l’État du Qatar
.
63. Malgré mes recherches, je n’ai pas été à même d’apprécier
les mesures qui auraient été prises en l’espèce. Ce domaine mériterait
d’être exploré. À la fois, l’on peut légitimement se demander si
un pays comme l’Arabie Saoudite peut facilement abandonner sa stratégie
d’exportation d’une vision de l’islam, le wahhabisme, qui est une
forme d’islamisme, alors qu’entre 2007 et 2015, son budget visant
à le promouvoir à l’étranger serait passé de 2 à 4 milliards de
dollars
.
A contrario, la politique actuelle
d’ouverture du Royaume, y compris dans le domaine religieux, peut
laisser espérer des infléchissements.
64. Pour ce qui a trait aux fonds étatiques ou paraétatiques étrangers,
le débat apparaît relativement balisé et il appartient aux États
membres de distinguer entre ce qui relève assez naturellement d’une
stratégie classique d’influence plus ou moins acceptable, ce qui
concerne des activités d’espionnage et ce qui participe au développement
de la radicalisation et de l’extrémisme.
4.2.3. La
remise en cause du vivre-ensemble
65. Au-delà de l’activité financée
ou de l’origine du financeur, l’enjeu principal est celui de la
cohésion, du vivre-ensemble, auxquels s’attaque l’islamisme politique.
66. Constatant que nos systèmes juridiques différaient largement
dans leur organisation des différents cultes, notre collègue et
ancienne présidente, Mme Anne Brasseur,
avait souligné, lors de l’audition de l’ancien Ministre de l’intérieur
et des cultes français, M. Jean-Pierre Chevènement, devant la commission
des questions politiques et de la démocratie que notre texte sacré
en matière de droits et libertés était la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5). Ce
texte reflète les valeurs que nous avons en partage et est à la
base de notre vivre-ensemble.
67. Dans son rapport précité, M. Mogens Jensen ne disait pas autre
chose lorsqu’il indiquait au paragraphe 74 de son rapport «L’islam,
l’islamisme et l’islamophobie en Europe» que «les valeurs européennes
– droits de l’homme, démocratie et État de droit – garantissent
la cohabitation pacifique des citoyens» et qu’il fallait également
«rejeter la mise en place d’une société parallèle».
68. À cet égard, mon sentiment est les États membres du Conseil
de l’Europe devraient pouvoir rejeter un financement étranger qui
favorise la diffusion d’idées nettement contraires à la Convention
européenne des droits de l’homme, même s’il ne conduit pas nécessairement
à la radicalisation et n’induit pas forcément des comportements
illicites comme des appels à la haine.
69. Tel est par exemple le cas, lorsque ce financement a pour
objectif et pour effet de s’opposer à l’intégration des communautés
musulmanes dans le pays où elles demeurent et favorise le repli
sur elles-mêmes. Un exemple en ce sens serait le diagnostic effectué
par les services de renseignement espagnols, le CNI, en 2011, à
propos du financement de la construction de deux mosquées en Catalogne,
à Reus et à Torredembarra, par l’organisation koweitienne RIHS.
Le CNI indiquait qu’il s’y «diffusait une interprétation de la religion
contraire à l’intégration dans la société espagnole favorisant la
séparation et la haine envers les communautés non-musulmanes».
70. Les États membres devraient également pouvoir mettre un terme
aux tentatives d’endoctrinement des jeunes qui s’opèrent par l’instrumentalisation
de la religion. Cela semble avoir été le cas en Autriche dans un jardin
d’enfants (
Kindergarten),
à Vienne, où une structure liée à la Diyanet insistait, dans son
projet pédagogique, sur «la turquité» et la religion
.
71. La remise en cause du vivre-ensemble peut bien évidemment
intervenir à partir du moment où les communautés musulmanes deviennent
le théâtre d’affrontements entre puissances extérieures, qui exportent leurs
conflits ou leurs tensions politico-religieuses. Tel est ainsi le
cas dans certains pays des Balkans où la Diyanet turque est très
présente depuis 2001 et où elle a affronté les réseaux gülenistes
après la tentative de putsch manqué à l’encontre du Président Erdoğan.
Parallèlement, s’y opposent des États du Golfe, partisans ou adversaires
des Frères Musulmans, via le financement de mosquées et l’envoi
d’imams
.
5. Exemples
d’actions menées dans le domaine du financement étranger des cultes
72. En fonction de la situation
à laquelle ils sont confrontés et du type d’organisation qui régit
les relations entre la puissance publique et les cultes, les États
membres prennent des mesures assez différentes à l’égard du financement
étranger comme le montrent les trois exemples suivants.
5.1. L’exemple
russe
73. La loi fédérale no 341-FZ
du 28 novembre 2015 a amendé la loi fédérale no 125-FZ
du 26 septembre 1997 sur la liberté de conscience et les associations
religieuses. Deux types de dispositions ont été introduits.
74. Elle a tout d’abord augmenté les obligations déclaratives
des associations religieuses recevant des fonds de l’étranger (nouvel
article 25). Désormais, ces associations doivent présenter des comptes
isolant les recettes provenant de fonds étrangers et détailler leur
usage. Elles sont également tenues d’adresser un rapport annuel
à l’autorité fédérale en charge de leur enregistrement précisant
leurs activités, la composition de leurs organes décisionnels, l’objet
des dépenses ou l’usage des moyens octroyés. Elles doivent enfin diffuser
ce rapport en ligne.
75. La seconde disposition importante (article 1.2.b.4 de l’amendement) est l’octroi
aux autorités fédérales d’enregistrement de la possibilité de demander
communication de documents et de la possibilité d’inspection sans
notification préalable. Dans les deux cas, cette faculté s’exerce
à l’égard des associations religieuses recevant des fonds étrangers
ou à l’égard desquels il existe soit des «signes d’activité extrémiste»,
soit des violations de la loi.
76. Cette législation a inquiété la plupart des cultes, à l’exception
de l’église orthodoxe, dans la mesure où cette dernière semblait
être la seule à ne pas être visée par ce nouveau dispositif. En
revanche, le rapprochement du financement étranger et des «signes
d’activité extrémiste» a été interprété comme une volonté des autorités
russes de cibler les communautés musulmanes.
77. Bien que les associations religieuses n’entrent pas dans le
champ d’application de la loi fédérale sur les «agents étrangers»,
la loi de 2015 a été perçue comme s’inscrivant dans le climat actuel
de restriction à l’égard de toute activité publique indépendante.
En outre, la mention des «signes d’activité extrémiste» renvoie directement
à la législation fédérale sur la lutte contre les activités extrémistes,
c’est-à-dire le terrorisme. Or celle-ci a été mise en cause en 2015
par le Comité des droits de l’homme, à l’occasion du 7ème rapport périodique
sur la mise en œuvre, par la Fédération de Russie, du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. À cette occasion, le comité
a appelé la Fédération de Russie à clarifier sa définition des «activités extrémistes»,
qui ne renvoie actuellement à aucun élément de violence ou de haine
et
peut être largement entendue.
5.2. L’exemple
autrichien
78. Adoptée en 2015, l’
Islamgesetz a mis à jour une loi de l’Empire
austro-hongrois de 1912 régissant les rapports entre ce dernier
et les communautés musulmanes. La loi de 2015 définit les droits
et les devoirs de «la communauté religieuse islamique en Autriche»
et de «la communauté alévie en Autriche».
79. Elle est intervenue dans un pays qui compte, selon les autorités
autrichiennes, 500 000 à 700 000 musulmans, dont la moitié possède
la nationalité autrichienne. Ce chiffre, rapporté aux 8,7 millions d’habitants,
en fait, en proportion (8 %), l’une des plus grandes communautés
musulmanes d’Europe occidentale.
80. L’Autriche pratique un système de reconnaissance des cultes
(15), avec lesquels elle organise ses relations, soit sur la base
d’un texte spécifique – comme pour l’islam –, soit sur la base d’un
texte général datant de 1874.
81. La loi de 2015 a pour origine une proposition du Conseil des
Experts pour l’Intégration, organe indépendant, formulée en juillet
2011, dans son rapport annuel sur l’Intégration. Notant l’importance
des religions dans le processus d’intégration, le Conseil avait
diagnostiqué un fossé entre les populations immigrées pratiquant
un islam traditionnel et le reste de la population, avait précisé
que ce fossé relevait plus de différences culturelles que de différences
religieuses et avait considéré qu’il appartenait aux pouvoirs publics
de donner aux premiers les moyens de se familiariser avec les modes
de vie des Autrichiens.
82. Pour le Conseil, l’enjeu était la réaffirmation d’un vivre-ensemble
au sein d’un cadre aux valeurs immuables
. L’effet attendu d’une telle réaffirmation
était de permettre à la population de se débarrasser de ses peurs,
de ses préjugés et de ses inquiétudes. Pour ce faire, le Conseil
préconisait la mise en place d’un forum de dialogue sur le modèle
de l’
Islamkonferenz, créée
en Allemagne en 2006.
83. Dès 2012, un Dialogforum Islam a
été institué en Autriche, regroupant sept groupes de travail composés d’experts
d’horizons variés. Il a rendu son rapport en 2013 avec plusieurs
recommandations, dont la mise à jour de l’Islamgesetz votée
moins de deux ans plus tard.
84. L’un des objectifs de ce texte était de favoriser un «islam
d’Autriche» sur la base d’un «donnant-donnant».
85. D’un côté, la communauté religieuse islamique bénéficiait
d’une reconnaissance pleine et entière (autorisation de fabriquer
des produits conformes aux règles de l’islam, respect des prescriptions
alimentaires des musulmans dans l’armée, les prisons, les hôpitaux,
les établissements d’enseignement public…). En outre, était créée
au sein de l’université publique de Vienne une faculté de théologie
musulmane pourvue de six postes d’enseignants-chercheurs destinée,
au-delà des activités de recherche, à former des imams et des professeurs
de religion musulmane dans les établissements d’enseignement publics
et privés (écoles, collèges et lycées).
86. En échange, obligation était faite à la société religieuse
ayant la personnalité morale pour représenter la communauté islamique
de renoncer aux financements étrangers pour des «activités cultuelles
habituelles» (paragraphe 6.2 de la loi), cette société religieuse
devant assurer elle-même son autonomie financière. Ce faisant les
autorités autrichiennes ont cherché à diminuer l’influence que l’ATIB,
l’antenne locale de la Diyanet en Autriche, possédait à travers
l’envoi d’imams formés en Turquie et la prise en charge de leurs
salaires, ainsi que des dépenses courantes des mosquées qu’elle
administrait.
87. L’Islamgesetz a été
adoptée par la majorité de l’époque, conservateurs de l’ÖVP et sociaux-démocrates du
SPÖ. Bien qu’elle ait été critiquée lors des débats parlementaires,
il est important de noter que l’interdiction du financement étranger
a plutôt recueilli l’ensemble des suffrages, ses détracteurs considérant
soit que cette interdiction n’allait pas assez loin, soit qu’elle
devait être imposée à tous les cultes.
88. À cet égard, j’ai repéré trois types de critiques lors de
ma mission d’information à Vienne.
89. La première porte sur l’effet produit tant par le débat de
2015 que par certaines dispositions de la loi: un sentiment de suspicion
généralisée à l’endroit des musulmans. Ainsi, lorsque le paragraphe
2.2 de la loi dispose que les communautés religieuses et leurs fidèles
ne peuvent faire prévaloir leur corpus religieux sur le droit autrichien
et que ce rappel n’existe dans aucun autre texte régissant les rapports
de l’État autrichien avec les autres cultes, je comprends que cette
affirmation, qui normalement va de soi, peut contrarier un croyant.
La réponse que m’a fournie un représentant des autorités autrichiennes
selon laquelle le principe de cette disposition figurait déjà dans
la loi de 1912 n’est pas satisfaisante, car en mettant cette dernière
à jour, il était tout à fait possible au législateur de supprimer
cette disposition, qui n’a pas de réelle portée normative. La même
critique a été faite à l’égard du paragraphe 6.1 de la loi qui exige
que le dossier en vue de la création d’une société religieuse musulmane
doit notamment comprendre une présentation de la doctrine et des
textes fondateurs de cette religion, exigence qui ne s’impose pas
aux autres religions reconnues en Autriche.
90. La deuxième critique découle de la première et concerne également
l’interdiction du financement étranger: la différence de traitement.
Les paragraphes 2.2 et 6.1 de la loi imposaient déjà des obligations
qui ne touchaient que le culte musulman. Il en va de même de l’interdiction
du financement étranger, pour lequel le groupe des Verts du Parlement
autrichien a remarqué à juste titre qu’elle devrait concerner tous
les cultes. Comment justifier que les Mormons ou les grecs-orthodoxes
continuent en Autriche de bénéficier de financements extérieurs,
alors que les musulmans ne le peuvent pas?
91. Enfin, la troisième critique est spécifique à cette interdiction.
La loi prévoit en effet que les dons étrangers à destination du
culte musulman sont possibles dans le cadre de «fondations» (Stiftung), sans indiquer clairement
le régime qui leur est applicable. Ce faisant, certains ont considéré
soit que la loi était facilement contournable, soit que le législateur
n’avait, de ce fait, pas assez précisé le type de financements étrangers qu’il
souhaitait réellement interdire.
92. En juin 2018, à la suite d’un scandale intervenu dans une
mosquée viennoise tenue par une organisation d’extrême-droite turque,
les Loups Gris, le Gouvernement autrichien semble avoir fait usage
pour la première fois de la loi de 2015 en décidant de fermer sept
mosquées et de renvoyer une quarantaine d’imams de l’ATIB
.
5.3. L’exemple
britannique
93. Dans un pays où l’État répugne
à intervenir dans le domaine religieux et où il n’existe aucune
règle spécifique encadrant le financement des cultes, les autorités
britanniques s’en sont tenues à leurs traditions. À la suite de
la communication écrite de l’ancienne ministre de l’Intérieur (voir
paragraphe 44), un renforcement des règles relatives à la transparence
des «charities» a été mis
en place par la Commission sur les organismes caritatifs (Charity Commission), au sein desquelles
s’organisent les cultes au Royaume-Uni et dont le statut est assez
souple.
94. La mesure a exclusivement porté sur la création de nouvelles
obligations à l’occasion de la publication par les charities de leur rapport annuel.
Ainsi, toutes devront, à partir de 2019, lister les pays dont elles reçoivent
des dons et, pour chacun d’entre eux, indiquer leur provenance (gouvernement,
organisme paragouvernemental, association, ONG, organisation de
la société civile). En outre, celles dont le revenu annuel est supérieur
à 25 000 livres devront préciser la valeur globale des dons versés
par des personnes physiques, ainsi que par des donneurs institutionnels
situés en dehors du Royaume-Uni. Les charities,
dont le revenu annuel est inférieur à 25 000 livres devront faire
mention de ces dons s’ils représentent plus de 80 % de leurs revenus
annuels. Une autre donnée qui devra figurer dans le rapport annuel
est l’utilisation de systèmes de transferts financiers informels
situés en dehors du Royaume-Uni, tels que les passeurs de fonds qui
utilisent de l’argent liquide (cash couriers)
et les réseaux hawala, qui
sont des systèmes traditionnels de paiement informel.
95. La seule critique que j’ai pu identifier est celle provenant
de l’organisation «Bond UK»
qui se présente comme un réseau d’organismes de la société civile
travaillant dans le développement international et a des liens avec
la fondation Bill & Melinda Gates. Elle consiste à dire qu’en
ciblant les financements étrangers, le Royaume-Uni envoie un mauvais
message aux États autoritaires qui utilisent des moyens identiques
pour contrôler et limiter le travail d’ONG dépendantes de fonds
extérieurs. Pour ma part, je fais la distinction entre une demande
accrue de transparence et les restrictions à la liberté d’association.
Je pense qu’en l’espèce, nous sommes loin de ces dernières.
96. Parallèlement à ces mesures limitées, le Royaume-Uni fait
porter ses efforts dans les domaines de l’éducation et du vivre-ensemble.
97. Ainsi, à partir de 2014, à la suite de l’affaire dite du «cheval
de Troie» dans des écoles à Birmingham, où des pratiques d’entrisme
promouvant une vision ultra-rigoristes de l’islam semblaient se
développer, une politique visant à contrer l’extrémisme dans les
écoles anglaises a été mise en place. L’inspection académique (
Ofsted) s’appuie désormais sur le
respect «des valeurs fondamentales britanniques» («
fundamental British values») pour
s’assurer notamment que les enseignements dispensés dans les établissements
scolaires qui bénéficient de fonds publics et certaines écoles qui
n’en bénéficient pas dites «indépendantes» (
independent schools),
ne favorisent pas l’extrémisme religieux. La directrice de l’
Ofsted, Mme Amanda
Spielman, dont les positions en la matière sont assez tranchées
a ainsi déclaré devant des représentants de l’Église anglicane que
«plutôt que d’adopter un libéralisme passif qui veut que tout est
acceptable, par peur d’offenser quelqu’un, les directeurs d’école
devraient promouvoir un libéralisme musclé» et que cela signifiait
«de ne pas accepter que les voix les plus conservatrices au sein
d’une religion particulière parlent pour tous»
.
98. Par ailleurs, sur la question des
Sharia
councils ,
qui sont des conseils informels prenant des décisions principalement
dans les affaires familiales selon le droit islamique, sans que
celles-ci revêtent un quelconque caractère normatif, le gouvernement
a demandé un examen de leur fonctionnement et étudie deux des trois recommandations
qui lui ont été soumises
.
6. Toute
limitation du financement étranger des cultes doit respecter le
cadre fixé par le Conseil de l’Europe
99. Quelles que soient les mesures
prises par les États membres ou celles que l’on souhaiterait prendre pour
réglementer le financement étranger des cultes, il existe un cadre
contraignant, fait de normes juridiques et morales.
6.1. Les
prescriptions à respecter selon la Cour européenne des droits de
l’homme et la Commission de Venise
100. La liberté de religion est
garantie par l’article 9 de la Convention européenne des droits
de l’homme
, qui dispose en son alinéa 2 que
«[l]a liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut
faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par
la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé
ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui».
101. Tant la Cour européenne des droits de l’homme que la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
ont précisé la portée de ces restrictions et la marge de manœuvre
dont disposaient les États membres.
102. Ainsi, la Cour a consacré le principe général selon lequel
«l’existence autonome des communautés religieuses est indispensable
au pluralisme dans une société démocratique»
, bien qu’elle ait reconnu qu’il n’existait
pas de norme européenne commune en matière de financement des Églises,
du fait de l’histoire et des traditions de chaque pays, et qu’en
conséquence, «la marge d’appréciation des États parties à la Convention
était large»
.
103. La Commission de Venise a déduit de ce principe d’autonomie
que s’agissant des questions financières liées à l’autonomie des
Églises, «le droit de demander et recevoir des dons volontaires
est inhérent aux activités religieuses»
.
104. Elle a également considéré que si les États peuvent légitimement
réglementer divers types de transferts de fonds, les dispositions
établissant une discrimination fondée sur des motifs religieux entre
différents groupes religieux devraient être proscrites
.
En outre, toute réglementation en la matière doit être «proportionnée»
.
105. Après avoir indiqué qu’une «interdiction générale de tout
financement étranger (en particulier par des personnes physiques
étrangères) est vraisemblablement déraisonnable et “non nécessaire
dans une société démocratique”»
, ce qui aurait pu laisser
penser qu’une plus grande tolérance s’appliquait à l’interdiction
du financement par un État étranger ou par une personne morale étrangère,
la Commission de Venise a eu l’occasion de rappeler ce principe
en 2018, à propos d’un financement des organisations religieuses
par leurs «centres spirituels à l’étranger»
.
6.2. Le
cadre posé par l’Assemblée parlementaire
106. Il découle principalement de
la
Résolution 1743 (2010) «Islam, islamisme et islamophobie en Europe»
. Dans celle-ci nous concilions contrôle
et liberté de religion en affirmant clairement quatre choses:
- «Les musulmans sont chez eux
en Europe, où ils sont présents depuis des siècles, comme l’indique l’Assemblée
dans sa Recommandation
1162 (1991) sur la contribution de la civilisation islamique à la culture
européenne.» (paragraphe 3 de la Résolution);
- «L’Assemblée constate (…) avec préoccupation que certaines
organisations islamiques, qui exercent leurs activités dans les
États membres, ont été lancées par des gouvernements étrangers qui
leur dispensent une aide financière et des directives politiques
(…) Il importe de mettre en lumière cette expansion politique nationale
vers d’autres États sous couvert de l’islam (…) Il convient (…)
que les Etats membres imposent aux associations islamiques et autres
associations religieuses de faire preuve de transparence et de rendre
des comptes, par exemple en exigeant la transparence de leurs objectifs statutaires,
de leurs dirigeants, de leurs membres et
de leurs ressources financières» (italiques ajoutés) (paragraphe
7);
- «L’Assemblée reste également préoccupée par les politiques
et les pratiques discriminatoires (…) à l’encontre des musulmans,
et par le risque d’une utilisation abusive des votes, initiatives
et référendums populaires pour légitimer des restrictions des droits
à la liberté de religion et d’expression qui sont inacceptables
au regard des articles 9 et 10 de la Convention» (paragraphe 13);
- «Les clichés, les malentendus et les peurs que suscite
l’islam sont les symptômes typiques d’une large méconnaissance de
ce sujet par les non-musulmans en Europe.» (paragraphe 20).
107. Ces conclusions ont par la suite été confortées par le rapport
«Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique»
,
et la
Résolution 2076
(2015).
7. Conclusions
et recommandations
108. À l’issue de mes recherches,
j’ai acquis les convictions suivantes.
109. Afin de dépassionner le débat, il appartient aux politiques
que nous sommes de réaffirmer en premier lieu que tout financement
étranger de l’islam n’est pas, en lui-même, problématique et qu’il
peut, bien au contraire, favoriser le discours interreligieux ou
l’exercice d’un culte ouvert. Il nous appartient également de rappeler
que, dans certains pays, le financement étranger ne représente qu’une
faible fraction des ressources des cultes musulmans, l’essentiel
d’entre elles relevant de dons privés.
110. Par ailleurs, la diversité des situations dans les États membres
montre que pour certains, le danger de l’extrémisme est avant tout
endogène, tandis que d’autres doivent faire face à ce qu’ils perçoivent
comme une ingérence de la part d’acteurs étrangers dans la liberté
religieuse de leurs résidents.
111. L’utilisation de la religion par certains États comme moyen
d’exercer une influence dans un pays étranger est clairement problématique.
À cet égard, il est essentiel que les États membres du Conseil de l’Europe
soient en mesure de mettre un terme à tout financement étranger
de l’islam lorsqu’il est utilisé en vue d’une expansion politique
nationale vers d’autres États sous couvert de l’islam. Ils doivent
également pouvoir rejeter toutes tentatives d’interférence sur leur
territoire de la part d’organisations étrangères qui visent à mettre en
place une société parallèle, et à ne pas permettre que les financements
étrangers parviennent aux organisations, qui sapent les droits de
l’homme et le respect de la personne humaine et qui s’opposent au vivre-ensemble
garanti par les principes des droits de l’homme, de la démocratie
et de l’État de droit. En particulier toute tentative étrangère
d’endoctriner la jeunesse doit être empêchée.
112. Pour le reste, le renforcement de la transparence du financement
étranger de l’islam, que l’Assemblée demande depuis 2010, ne peut
qu’être une bonne chose. Il pourrait se traduire, par exemple, par
un rendu annuel des comptes identifiant clairement l’origine des
financements étrangers et leur usage, y compris lorsque ces financements
relèvent de systèmes de transferts financiers informels, tels les
passeurs de fonds ou les réseaux hawala.
Ces exigences en matière de transparence ne doivent cependant pas
s’inscrire dans un contexte de restriction des libertés et doivent
réellement concerner tous les cultes sur un pied d’égalité. À cet égard,
l’exemple britannique est riche d’enseignement. Il l’est d’autant
plus qu’il vise tant les financements formels qu’informels.
113. Par ailleurs, en matière de transparence, au-delà des normes
que les États membres peuvent édicter, ils seraient bien inspirés
de sensibiliser tant les croyants qui donnent à des organisations
exerçant des activités à l’étranger que les cultes qui reçoivent
des financements étrangers à l’importance de savoir à qui les uns donnent
et de qui les autres reçoivent. Un travail en coopération avec les
communautés religieuses sur ce sujet serait le bienvenu, à l’instar
de ce que j’ai pu observer avec le Trust de la Mosquée centrale
de Londres et le Centre culturel islamique.
114. Lorsqu’une réglementation aux effets drastiques est mise en
œuvre, comme cela a été le cas en Autriche, il importe, au-delà
du respect du cadre posé par le Conseil de l’Europe, de préparer
cette réglementation par une vaste consultation, aux objectifs clairement
définis, comme l’ont fait le Conseil des experts et le Dialogforum. Il est également essentiel
que cette réglementation ne fasse pas l’objet d’une instrumentalisation
politique mais soit guidée par le souhait, pour reprendre l’expression
de M. Chevènement devant notre commission, de faire des citoyens
musulmans des citoyens comme les autres, c’est-à-dire jouissant
de la plénitude de leurs droits, en matière religieuse, comme dans
la vie publique. Le Conseil des experts autrichien ne disait d’ailleurs
pas autre chose.
115. Par ailleurs, quelle que soient les réserves que l’on peut
avoir à l’encontre d’une réforme à l’autrichienne, il ne faut pas
sous-estimer l’aspect positif de certains de ses effets collatéraux.
En premier lieu, l’Islamgesetz a
eu pour effet d’accroître nettement le rôle de la société religieuse
IGGÖ comme interlocuteur des autorités autrichiennes en renforçant
son emprise sur les associations religieuses et communautés de culte
qui lui sont affiliées. Or, on le sait, la mosaïque de l’islam a
toujours été un défi à son organisation par les pouvoirs publics.
116. En outre, l’Islamgesetz pourrait
«normaliser» le financement de la communauté religieuse islamique d’Autriche,
puisque, comme je l’ai déjà indiqué, l’IGGÖ réfléchit à demander
le bénéfice de l’impôt cultuel. Or, on peut espérer qu’un financement
qui rend transparents des dons autrefois privés mais invisibles
et qui fonctionne comme celui d’autres cultes est de nature à dissiper
les soupçons. Il est intéressant de noter que d’autres États membres
se sont engagés dans cette normalisation du financement du culte
musulman, comme l’Italie qui, en février 2017, à la suite de la
signature d’un pacte national pour l’islam italien entre le gouvernement
et des organisations représentatives musulmanes, a décidé de permettre
aux citoyens italiens musulmans d’utiliser le mécanisme de 8 pour
1 000, c’est-à-dire de verser volontairement 8 millièmes de leurs revenus
à leur communauté religieuse, comme le font d’autres croyants.
117. Une autre tendance lourde, qu’illustre également l’exemple
autrichien, est la prise de conscience des États membres que la
formation des imams sur le sol européen est un enjeu de taille.
C’est sans doute dans ce domaine que la réglementation du financement
de l’islam est la plus pertinente. Pour reprendre les termes de
M. Chevènement, la réponse pertinente à la théologie salafiste,
fruste et primaire, qui nourrit le terreau à partir duquel peuvent
se développer les passages à l’acte terroriste est celle d’un islam
cultivé.
118. Cela nécessite des moyens importants, comme le montre l’Islamgesetz. Mais c’est une des
meilleurs façons de répondre aux besoins de la communauté musulmane
et d’éviter qu’elle n’ait recours à des imams formés à l’étranger,
dont la vision de l’islam n’est pas en accord ni avec les valeurs
de la Convention européenne des droits de l’homme, ni avec celle
des sociétés où les croyants évoluent. À cet égard, tout projet visant
à créer des facultés de théologie promouvant un islam d’Europe est
à encourager, tel celui de la Fondation de l’Islam de France qui
vise à en créer une au sein de l’université de Strasbourg, en partenariat avec
l’université de Tübingen.
119. Je souhaiterais clore mon propos sur les résultats de deux
études européennes récentes sur la place des musulmans en Europe,
l’une de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
de juillet 2017
, l’autre de la Fondation Bertelsmann
d’août 2017
. Ces deux études montrent quatre
choses.
120. D’abord que les musulmans des pays européens concernés ressentent
un attachement fort envers leur pays de résidence avec un degré
de confiance dans leurs institutions démocratiques plus élevé que
celui de la population en général. Parallèlement, cet attachement
se double du maintien d’un lien fort avec un pays dont ils sont
originaires ou dont leurs ascendants sont originaires. Par ailleurs,
les musulmans interrogés sont plus religieux que les autres communautés.
Enfin, les discriminations dont ils font l’objet restent à un niveau
élevé et ils font partie des groupes sociaux parmi les plus rejetés.
121. En d’autres termes, l’intégration semble bien avoir progressé
depuis une quinzaine d’années, mais les spécificités des citoyens
et résidents musulmans sont là, de même que l’islamophobie dont
ils sont les victimes. Il appartient aux États membres de prendre
en compte les premières, y compris au regard des besoins en matière
d’exercice de la liberté religieuse et donc de financements, et
de lutter contre l’islamophobie. Nous le savons, si le financement
étranger peut faciliter la radicalisation, l’islamophobie est sans
nul doute l’un de ses terreaux.