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Avis de commission | Doc. 14805 | 21 janvier 2019

Compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme: des États Parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la «Déclaration du Caire»?

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Manuel TORNARE, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.13965, Renvoi 4188 du 30 juin 2017. Commission chargée du rapport: Commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Voir Doc. 14787. Avis approuvé par la commission le 21 janvier 2019. 2019 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)

La commission sur l’égalité et la non-discrimination félicite M. Antonio Gutiérrez (Espagne, SOC), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, pour son rapport, qui examine la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme dans l’Islam ainsi que l’application de la charia dans certaines parties du Royaume-Uni, de la Grèce et de la Fédération de Russie, dans des circonstances différentes dans chacun de ces pays.

La commission est d’avis qu’en matière de droits humains il n’y a pas de place pour les exceptions religieuses ou culturelles.

Elle estime que les questions abordées dans le projet de résolution sont d'une grande complexité et devraient être abordées avec la plus grande rigueur juridique et sensibilité politique. Dans ses relations avec les États non membres, l'Assemblée devrait chercher à promouvoir la démocratie, les droits humains et l'état de droit par le dialogue et la coopération.

À la lumière de ces considérations, la commission propose quelques amendements.

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 8, supprimer la phrase suivante: «L'Assemblée est consciente que des tribunaux islamiques informels peuvent exister dans d'autres États membres du Conseil de l'Europe.»

Amendement B (au projet de résolution)

Après le paragraphe 11.1, insérer le paragraphe suivant:

«à promouvoir, au sein des organisations multilatérales desquelles ils sont membres ou observateurs, les valeurs universelles des droits humains, sans aucune discrimination fondée, entre autres, sur le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’appartenance, ou non, à une religion;»

Amendement C (au projet de résolution)

Remplacer les paragraphes 14.2 et 14.3 par le paragraphe suivant:

«à réviser la loi sur le mariage afin d'introduire l'obligation pour le célébrant d'un mariage islamique d'enregistrer le mariage civilement;»

Amendement D (au projet de résolution)

Remplacer le paragraphe 14.4 par le paragraphe suivant:

«à éliminer les obstacles à l'accès des femmes musulmanes à la justice et intensifier les mesures visant à assurer la protection et l'assistance à celles qui sont en situation de vulnérabilité;»

Amendement E (au projet de résolution)

Au paragraphe 14.5, remplacer les mots «encourager les communautés musulmanes à reconnaître et à respecter les droits des femmes en droit civil, en particulier dans les domaines du mariage, du divorce, de la garde et de l'héritage» par les mots suivants:

«promouvoir la connaissance de leurs droits auprès des femmes musulmanes, en particulier dans les domaines du mariage, du divorce, de la garde des enfants et de l'héritage, et travailler avec les communautés musulmanes, les organisations de femmes et d'autres ONG pour promouvoir l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes»

C. Exposé des motifs, par M. Manuel Tornare, rapporteur pour avis

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1. Remarques préliminaires

1. Je tiens tout d’abord à remercier M. Antonio Gutiérrez d’avoir dédié une place importante aux questions d’égalité de genre et de droits des femmes dans son rapport et dans le projet de résolution qui a été adopté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
2. Le projet de résolution aborde principalement les questions suivantes:
  • la compatibilité de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme dans l’Islam avec les normes internationales relatives aux droits humains;
  • les activités des conseils de la charia en Angleterre et au Pays des Galles, des organes qui n'ont pas de statut juridique et n'ont aucune autorité juridiquement contraignante;
  • l'application de la charia aux Grecs musulmans en Thrace occidentale, qui est fondée sur le Traité de Lausanne et réglementé par la loi grecque.
3. Chacune de ces questions est très spécifique et complexe et aurait mérité d'être examinée de son propre chef. Le fil conducteur étant la référence à la charia, aborder ces questions dans le même rapport pourrait donner l'impression que la charia gagne du terrain en Europe en tant que source de droit. Ce n'est pas le cas: à l'heure actuelle, aucun État membre du Conseil de l'Europe n'a la charia comme source de droit, à l'exception de la situation spécifique du territoire de la Thrace occidentale en Grèce où la charia peut être appliquée dans les limites fixées par la loi et à condition que cela ne conduise pas à une violation de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention»). L'application de la charia par les conseils de la charia en Angleterre et au Pays des Galles ne produit pas d'effets juridiques. De même, aucun État membre du Conseil de l'Europe, qu'il soutienne ou non de la Déclaration du Caire, n'a indiqué vouloir introduire la charia dans son système juridique.
4. La thématique plus large de la compatibilité de la charia avec les droits humains devrait être abordée avec rigueur juridique et sensibilité politique, en évitant la stigmatisation de l'Islam en tant que tel. L'Islam est la deuxième religion la plus pratiquée en Europe et celle de la majorité de la population dans certains États membres du Conseil de l'Europe. Faire en sorte que toutes et tous les Européen-ne-s, abstraction faite de leur foi religieuse, ressentent qu’ils-elles font partie d’une même communauté qui met les droits humains et la démocratie au-dessus de toute autre allégeance et jouissent des mêmes droits et opportunités, sans discrimination ni préjugés, est un défi majeur.
5. Dans le cadre de la préparation de cet avis, le 3 décembre 2018, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a auditionné le Dr Ioana Cismas, maître de conférences, York Law School et Centre for Applied Human Rights, York, Royaume-Uni, une spécialiste de la Déclaration du Caire. Elle a aussi pris connaissance des procès-verbaux des auditions de grande qualité tenues par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme dans le cadre de la préparation du rapport de M. Gutiérrez.

2. La Déclaration du Caire

6. La Déclaration du Caire n’est pas conforme aux principaux instruments internationaux des droits humains. Comme M. Gutiérrez le décrit dans son rapport:
  • elle omet la liberté d’association et la liberté de religion et d’expression;
  • elle admet la discrimination fondée sur le sexe/genre;
  • elle ne mentionne pas l’interdiction de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre;
  • elle ne reconnaît pas l’universalité des droits humains;
  • elle soumet les droits humains aux dispositions de la charia, qui doit aussi guider la lecture de la déclaration 
			(1) 
			Articles 24 et 25 de
la Déclaration du Caire..
7. Or, la charia n’est pas un ensemble de normes figées mais un concept dynamique, soumis à une interprétation évolutive. Elle n'est pas interprétée de manière uniforme ou appliquée de manière exhaustive dans tous ses aspects dans les pays où elle est une source de droit.
8. Comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a souligné dans ses arrêts, certaines dispositions de la charia ne sont pas compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme 
			(2) 
			Voir l'analyse fournie
par M. Gutiérrez dans son rapport, paragraphes 26-30.. Le rapport de M. Gutiérrez liste les règles les plus problématiques, qui concernent surtout l‘inégalité entre les femmes et les hommes dans le droit de la famille, la succession et le statut personnel; la liberté de religion et d’expression; ainsi que l’admissibilité de peines cruelles, inhumaines et dégradantes dans le domaine pénal.

2.1. La Déclaration du Caire et les États membres du Conseil de l’Europe

9. Le titre du rapport pose la question suivante: des États membres du Conseil de l’Europe, qui sont tous Parties à la Convention européenne des droits de l’homme, peuvent-ils être aussi signataires de la Déclaration du Caire? Du point de vue juridique, la réponse est claire: cela est possible. Dans ce cas précis, la Turquie est le seul État membre du Conseil de l’Europe à avoir été membre de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) au moment de l’adoption de la Déclaration du Caire. L’Albanie et l’Azerbaïdjan ont rejoint l’OIC à une date ultérieure. L’Albanie et l’Azerbaïdjan sont devenus membres du Conseil de l’Europe après être devenus membres de l’OCI: la question d’une éventuelle incompatibilité n’a jamais été posée aux cours des négociations en vue de l’adhésion, ni n’a été soulevée au cours du travail mené par l’Assemblée parlementaire dans le cadre de cette procédure.
10. Cela n’est pas surprenant car, comme l’a bien souligné le rapporteur pour rapport, la Convention européenne des droits de l’homme et la Déclaration du Caire sont deux instruments de nature différente: la première est un traité juridiquement contraignant tandis que la seconde n’est qu’une déclaration politique sans effets juridiques. La référence à la charia dans la Déclaration du Caire n'a aucune conséquence en Albanie, en Azerbaïdjan et en Turquie. Ce sont des États laïcs dans lesquels la charia ne constitue pas une source de droit.

2.2. La Déclaration du Caire, la charia et les partenaires pour la démocratie

11. La Jordanie, le Maroc et la Palestine, dont les parlements jouissent du statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire, étaient membres de l’OCI au moment de l’adoption de la Déclaration du Caire. La République kirghize a rejoint l’organisation plus tard. Leur soutien à la déclaration n'a pas été mentionné comme un problème au cours de la procédure d'octroi de ce statut.
12. Le retrait de leur soutien à la Déclaration du Caire aurait une valeur hautement symbolique mais n'aurait pas d'impact concret, car la charia est incluse comme source de droit dans les systèmes juridiques de la Jordanie, du Maroc et de la Palestine.

2.3. Promouvoir des progrès tangibles

13. Depuis le début, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire se sont engagés avec les partenaires pour la démocratie dans un esprit de dialogue et de coopération: l'objectif est d'aider à rapprocher les législations et les politiques de ces pays des principaux instruments internationaux de droits humains, y compris la Convention européenne des droits de l'homme.
14. S'engager dans un esprit de dialogue ne doit pas être interprété comme une disposition à faire des compromis sur les valeurs et les normes. La critique constructive est possible et est encore plus efficace lorsqu'elle cherche à avoir un impact tangible sur les lois et les politiques. Dans ce contexte, le dialogue, la formation, l'expertise et les échanges d'expériences entre les élu-e-s par le biais d'activités de coopération interparlementaire sont le meilleur moyen d'apporter des changements.
15. En 2018, par exemple, la commission sur l'égalité et la non-discrimination a discuté de sujets tels que la participation des femmes à la vie politique et la lutte contre la violence à l'égard des femmes avec des parlementaires du Maroc, de la Jordanie et de la Palestine lors de deux événements organisés respectivement à Rabat le 5 juillet et à Paris le 20 septembre. Ces échanges ont permis aux participant-e-s de discuter des progrès législatifs récents dans le sud de la Méditerranée, d'en comprendre mieux les défis politiques et sociétaux et de promouvoir les instruments du Conseil de l'Europe tels que les recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), les résolutions de l'Assemblée et la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»). Les efforts doivent se poursuivre dans cette direction, en mettant l'accent sur les réformes concrètes. Et celles-ci sont possibles dans des domaines tels que le statut familial ou personnel, où la charia est la base du cadre normatif.
16. Parallèlement, l'Assemblée devrait investir dans le rôle que ses partenaires pour la démocratie, et plus encore l'Albanie, l'Azerbaïdjan et la Turquie en tant qu'États membres du Conseil de l'Europe, peuvent jouer au sein d'organisations multilatérales telles que l'Organisation de la coopération islamique (OCI) pour promouvoir le respect des droits humains en dehors de la région du Conseil de l'Europe.
17. À cet égard, il convient de rappeler qu'il y a eu des demandes de révision de la Déclaration du Caire. Cette voie reste à explorer, mais il serait erroné d'accorder une attention excessive à la Déclaration du Caire. Selon le Dr Cismas, un seul signataire de la déclaration, l'Arabie saoudite, l'a invoquée pour justifier le manque de respect d’obligations internationales 
			(3) 
			Dans
sa présentation, Mme Cismas a indiqué
que l’Arabie Saoudite avait invoqué la Déclaration du Caire à deux reprises
pour justifier la non-application de dispositions contenues dans
le Pacte International pour les droits civils et politiques des
Nations Unies.. Les efforts devraient être plutôt orientés vers la promotion du respect du droit des droits humains et des recommandations émanant des mécanismes de droits humains.

3. Application de la charia dans les États membres du Conseil de l'Europe

18. Le rapport de M. Gutiérrez décrit les situations spécifiques dans lesquelles la charia est appliquée, légalement ou officieusement, dans certaines parties de quelques États membres du Conseil de l'Europe. Je serais en faveur de la suppression de la phrase «L'Assemblée est consciente que des tribunaux islamiques informels peuvent exister dans d'autres États membres du Conseil de l'Europe» dans le projet de résolution (Amendement A) parce que le rapport n’en fait pas mention. Il s'agit d'éviter que cette phrase, prise hors contexte, soit utilisée pour alimenter les craintes au sujet d'une éventuelle diffusion de l'application de la charia en Europe et qu'elle soit malicieusement utilisée par des forces politiques pour stigmatiser l'Islam et les personnes de foi musulmane.

3.1. Application de la charia par les conseils de la charia en Angleterre et au Pays des Galles

19. Le rapport de M. Gutiérrez décrit en détail les questions soulevées par les activités des conseils de la charia en Angleterre et au Pays des Galles. Le projet de résolution réitère les principales recommandations formulées par l’Étude indépendante sur l’application de la charia en Angleterre et au Pays de Galles présentée au parlement par la Secrétaire d'État chargé des questions intérieures, y compris son approche pragmatique de ne pas demander l'interdiction des conseils de la charia 
			(4) 
			<a href='https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/678478/6.4152_HO_CPFG_Report_into_Sharia_Law_in_the_UK_WEB.pdf'>Étude
indépendante sur l’application de la charia en Angleterre et au
Pays de Galles.</a>. Je ne répète pas les informations contenues dans le rapport principal, mais j'ajouterai quelques considérations. Cette question particulière, cependant, aurait mérité un rapport en elle-même, car elle est extrêmement complexe et politiquement sensible et soulève des questions importantes concernant l'égalité et la non-discrimination.
20. Les éléments recueillis par l’Étude indépendante montrent que plus de 90% des personnes utilisant les services des conseils de la charia sont des femmes, cherchant dans la plupart des cas à obtenir un divorce islamique. Ceci est dû au fait qu'actuellement, le célébrant des mariages musulmans ne peut pas enregistrer les mariages civilement, contrairement aux célébrants des mariages chrétiens et juifs. De nombreux couples musulmans ne célèbrent pas deux mariages, un religieux et un civil. Quand seul un mariage islamique est célébré, le couple est considéré aux yeux de la loi britannique comme simplement cohabitant.
21. Les hommes musulmans peuvent mettre fin unilatéralement à un mariage islamique alors que les femmes sont tenues d'obtenir une décision. En ce sens, l’Étude indépendante considère que les conseils de la charia répondraient à un besoin. Sa principale recommandation est donc d'essayer de répondre à ce besoin en veillant à ce que les mariages islamiques soient également enregistrés en droit civil, de sorte qu'un divorce puisse être obtenu devant les tribunaux compétents.
22. Il convient de noter que, lorsqu'ils «prononcent» un divorce, les conseils de la charia traitent également d'aspects tels que la confiscation de la dot, les recours financiers, les arrangements pour les enfants et les questions relatives au comportement et à la conduite futurs. Ce sont des domaines sensibles dans lesquels les décisions prises selon la charia risquent d'être discriminatoires envers les femmes.
23. L’Étude indépendante estime que, tant qu’existe le besoin d'un divorce islamique, l'interdiction des conseils de la charia les conduira dans la clandestinité, rendant les pratiques discriminatoires et les violations des droits humains encore plus difficiles à détecter. Elle recommande, plutôt, de créer un système d'autorégulation des conseils de la charia, y compris un code de pratique, et de surveiller le respect par les conseils de la charia de ce mécanisme.
24. Cette approche n'a pas été partagée à l'unanimité par tous les membres du panel d’experts ayant préparé l’Étude indépendante. Un avis divergent est inclus dans le rapport, faisant valoir que l’introduction d’un cadre réglementaire approuvé par l'État donnerait une légitimité et un statut quasi-juridique aux conseils: «La création d'un règlement approuvé par l'État envoie le message que certains groupes ont des besoins séparés et distincts et que les conseils de la charia constituent un forum approprié pour résoudre leurs différends familiaux. En bref, il perpétuerait le mythe de la séparation de certains groupes.»
25. L’introduction du droit/obligation d'enregistrer le mariage islamique civilement, bien que nécessaire, ne mettra pas nécessairement fin au recours aux conseils de la charia. Des femmes pourraient continuer à s'adresser aux conseils de la charia, que leur mariage soit ou non civilement enregistré, de leur propre volonté ou en raison des attentes ou de la pression de leur famille ou de leurs communautés. Même si l’Étude indépendante réitère que les conseils de la charia ne devraient pas être appelés «tribunaux» et que leurs membres ne devraient pas être désignés comme «juges», «le pouvoir des conseils de la charia réside dans la façon dont ils sont perçus par leurs communautés» 
			(5) 
			Baronne
Cox, dans le cadre du débat parlementaire..
26. Il est donc nécessaire de mettre l'accent sur le dialogue, la sensibilisation et les campagnes d'information. Ces activités devraient être menées intensivement, de pair avec les organisations féminines, d'autres organisations non gouvernementales (ONG) et la société civile, pour informer les femmes musulmanes de leurs droits et promouvoir leur autonomisation. Je propose donc un amendement qui ajoute à la nécessité de campagnes de sensibilisation le concept d'autonomisation des femmes (Amendement E).
27. Comme exposé au début de cet avis, faire en sorte que toutes et tous les Européen-ne-s, quelles que soient leurs croyances religieuses, fassent partie de la même communauté plaçant les droits humains et la démocratie au-dessus de toute autre allégeance, est un défi. Mais celui-ci ne sera jamais relevé à moins que tous les Européens et les Européennes jouissent des mêmes droits et opportunités, exempts de discrimination et de préjugés.
28. Les femmes musulmanes sont souvent représentées comme des victimes de traditions religieuses ou culturelles très patriarcales qui les confinent à une position de subordination par rapport aux hommes, dans la famille et dans la société. Malheureusement, elles sont également la cible principale des attaques islamophobes et racistes et de stéréotypes, un problème qui s’est accru avec la menace terroriste. Elles sont victimes de discriminations multiples et intersectionnelles, en tant que femmes et musulmanes. Trop souvent, cependant, on oublie que les femmes musulmanes peuvent également être des actrices du changement: le réseau Muslim Women Network United Kingdom, par exemple, offre des conseils aux femmes musulmanes cherchant à développer leur rôle, et des mouvements féministes au sein de l'Islam existent à la fois en Europe et ailleurs.
29. Malheureusement, les femmes musulmanes sont confrontées à des barrières et à la discrimination dans l’accès au domaine clé de la justice. Cela avait déjà été décrit par la commission sur l'égalité et de la non-discrimination dans les rapports sur «L’égalité et la non-discrimination dans l’accès à la justice» 
			(6) 
			Doc. 13740 (rapporteur: M. Viorel Riceard Badea, Roumanie, PPE/DC)
et Résolution 2054 (2015). et «Discriminations multiples à l'égard des femmes musulmanes en Europe: pour l’égalité des chances» 
			(7) 
			Doc. 12956 (rapporteure: Mme Athina
Kyriakidou, Chypre, SOC) 	et Résolution
1887 (2012)..
30. Dans ses dernières observations finales sur le Royaume-Uni 
			(8) 
			<a href='https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW/C/GBR/CO/7&Lang=En'>https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW/C/GBR/CO/7&Lang=En.</a>, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) s'est dit préoccupé par le fait que la réforme de l'aide juridictionnelle introduite au Royaume-Uni en 2012 aurait un impact négatif sur l'accès des femmes à la justice, entre autres, parce qu'il a supprimé l'accès à l'aide juridictionnelle pour les litiges concernant, par exemple, le divorce, les différends d’ordre patrimonial, le logement et les questions d'immigration. Le Comité a noté «avec préoccupation des informations indiquant que ces restrictions peuvent conduire des femmes, en particulier celles appartenant à des minorités ethniques, à s’adresser à des systèmes d’arbitrage communautaires informels, y compris des tribunaux à caractère religieux, qui, souvent, ne sont pas conformes à la Convention». Il a donc exhorté le Royaume-Uni à: «a) garantir l’accès effectif des femmes, en particulier des femmes victimes de violences, aux tribunaux et cours de justice; b) évaluer en permanence les incidences des réformes de l’aide juridictionnelle sur la protection des droits des femmes; c) protéger les femmes contre les systèmes d’arbitrage communautaires informels, en particulier ceux qui violent les droits qui leur sont garantis par la Convention».
31. L’évaluation de l'impact de la réforme de l'aide juridictionnelle au Royaume-Uni va bien au-delà de ce que je peux faire dans le cadre d’un avis, mais en termes généraux, il me semble que le recours des femmes musulmanes aux conseils de la charia serait fondamentalement réduit si les obstacles à leur accès au système de justice formel étaient levés. Je propose pour cette raison l'amendement D, qui mentionne également la vulnérabilité particulière des femmes qui se sont mariées et dont le mariage n'est pas reconnu civilement. Elles ont besoin de protection et d'assistance, surtout si elles souhaitent mettre fin à leur mariage.

3.2. Application de la charia en Thrace occidentale

32. En ce qui concerne l'application de la charia en Thrace occidentale, je voudrais rappeler que le rapport «Promouvoir les droits des personnes appartenant aux minorités nationales» 
			(9) 
			Doc. 14779 (rapporteur de la commission sur l'égalité et la non-discrimination:
M. Badea, Roumanie, PPE/DC), qui sera débattu au cours de la partie de session de janvier 2019, mentionne le cadre juridique grec s'appliquant à la minorité musulmane en Thrace occidentale et fournit donc un contexte complémentaire au rapport de M. Gutiérrez.
33. En outre, je voudrais signaler qu'après l'adoption du projet de résolution par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu une décision de Grande Chambre dans l'affaire Molla Sali c. Grèce, déjà mentionnée dans le rapport de Gutiérrez 
			(10) 
			Doc. 14787, paragraphes 43-44..
34. Dans son jugement, la Cour a reconnu une violation de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (non-discrimination), combiné avec l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention (STE no 9) (droit à la propriété) 
			(11) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng-press'>https://hudoc.echr.coe.int/eng-press#'itemid':['003-6284036-8193204'].</a>. La Cour a également souligné que la liberté de religion n’astreint pas les États contractants à créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial impliquant des privilèges particuliers. Néanmoins, un État qui a créé un tel statut doit veiller à ce que les critères pour que ce groupe bénéficie de ce statut soient appliqués d’une manière non discriminatoire. Par ailleurs, le fait de refuser aux membres d’une minorité religieuse le droit d’opter volontairement pour le droit commun et d’en jouir non seulement aboutit à un traitement discriminatoire, mais constitue également une atteinte à un droit d’importance cruciale dans le domaine de la protection des minorités, à savoir le droit de libre identification.

4. Remarque finale

35. Certaines des questions abordées dans le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme soulèvent d'importantes interrogations concernant la promotion et la protection des droits des femmes dans l'ensemble de la société, les droits des minorités, la prévention de la discrimination multiple et intersectionnelle et la lutte contre l'intolérance et les stéréotypes. J'invite la commission sur l'égalité et la non-discrimination à étudier les éventuelles suites à donner à certaines de ces questions avec la préparation d'un rapport spécifique.