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Rapport | Doc. 14851 | 25 mars 2019

Mise en œuvre des Objectifs de développement durable: la nécessaire synergie de tous les acteurs, des parlements aux collectivités locales

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Jennifer DE TEMMERMAN, France, NI

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14353, Renvoi 4317 du 13 octobre 2017. 2019 - Deuxième partie de session

Résumé

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD) visent à réaliser les droits humains pour tous, en éradiquant la pauvreté, en protégeant la planète et en garantissant la prospérité.

Ce rapport étudie comment les parlements nationaux peuvent contribuer à la réalisation des ODD, sur la base d’exemples de bonnes pratiques qui pourraient servir de source d’inspiration. Il identifie également les lacunes auxquelles il faudrait remédier, dont notamment le manque de sensibilisation des parlementaires à l’Agenda 2030. La mise en œuvre effective des ODD requérant l’implication et le soutien de l’ensemble des acteurs concernés, le rapport souligne le rôle déterminant que jouent les autorités locales et régionales, et l’importance du travail de coordination qu’assurent les assemblées parlementaires régionales et internationales, dont l’Assemblée parlementaire.

Afin de garantir que les parlements et les autorités locales et régionales jouent pleinement leur rôle dans la réalisation des ODD, l’Assemblée fait un certain nombre de recommandations, en particulier eu égard aux fonctions législatives, budgétaires et de contrôle des parlements. Elle recommande également aux États membres d’associer les parlementaires et les représentants des autorités locales et régionales aux organes de pilotage/coordination de mise en œuvre des ODD, et dans le Forum politique de haut-niveau qui se tient tous les ans.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 19 mars
2019.

(open)
1. Le 25 septembre 2015, 193 pays ont adopté le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD). L’Agenda 2030 constitue une vision pour un avenir plus juste, plus équitable et plus écologique, conciliant ainsi les trois piliers – économique, social et environnemental – du développement durable. Il vise à réaliser les droits humains pour tous, en ne laissant personne de côté.
2. La mise en œuvre des ODD relève en premier lieu de la responsabilité des gouvernements. Cependant, elle ne peut être couronnée de succès que par la mobilisation, l’implication et le soutien de l’ensemble des acteurs concernés, y compris les parlements, les autorités locales et régionales, les citoyens et la société civile, en particulier la jeunesse.
3. Les parlements nationaux, en tant que détenteurs du pouvoir législatif, représentants du peuple et organes de contrôle de l’action des gouvernements, ont un rôle essentiel à jouer dans la réalisation des ODD. Si certains pays ont déjà mis en place des mécanismes permettant d’impliquer les parlements au processus de mise en œuvre et de suivi de ces objectifs, ceux-ci se limitent souvent à un rôle passif de consultation. Il est tout aussi regrettable que, d’une manière générale, les parlementaires ne soient pas familiarisés avec l’Agenda 2030. À cet égard, l’Assemblée salue le travail important de sensibilisation et de renforcement des capacités des parlementaires effectué par l’Union Interparlementaire.
4. Les autorités locales et régionales jouent un rôle déterminant dans la réussite des transformations économiques, sociales et environnementales nécessaires à l’atteinte des ODD. Leur proximité avec la réalité du terrain et les citoyens, et leur responsabilité en matière de gestion de l’investissement public, les mettent dans une position idéale pour identifier et répondre aux lacunes dans le domaine du développement durable.
5. L’Assemblée note avec intérêt la réunion, tous les ans, du Forum politique de haut-niveau pour assurer le suivi de la progression dans la réalisation des ODD. Elle regrette toutefois que les revues nationales volontaires présentées par les États à cette occasion ne soient soumises à aucun contrôle, et que les autres acteurs clé (les parlements, les autorités locales et régionales et la société civile) n’y soient pas associés de manière systématique, ce qui risque d’affaiblir l’exercice dans son ensemble.
6. L’Assemblée se réfère à la Résolution … (2019) sur le renforcement de la coopération avec les Nations Unies dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, et notamment aux paragraphes [10.2], [10.5] et [11] de cette résolution.
7. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée considère qu’il est urgent de renforcer le rôle des parlements nationaux dans la mise en œuvre et le suivi des ODD et appelle les parlements à s’engager activement dans ce sens. Elle les invite notamment:
7.1. à demander à leurs gouvernements d’élaborer des stratégies de développement durable, et le cas échéant, de les aligner avec les ODD, de les envoyer au parlement pour examen et débat, et de faire un rapport régulier sur les progrès accomplis dans leur mise en œuvre;
7.2. à orienter le travail législatif dans le sens des ODD:
7.2.1. en proposant l’introduction d’une nouvelle législation ou une modification de la législation existante, afin de promulguer une législation adaptée aux exigences des ODD;
7.2.2. en veillant à la cohérence des textes proposés par le gouvernement et en s’opposant aux projets de loi qui iraient à l’encontre des ODD, exigeant que les propositions de loi soient systématiquement accompagnées d’une évaluation de leur impact sur la mise en œuvre des ODD et soumises à un débat public;
7.2.3. en identifiant les accords internationaux essentiels à la mise en œuvre des ODD et en faisant pression sur le gouvernement pour une ratification rapide de ces accords;
7.3. à mettre en place un organe spécifique/une commission qui sera chargé de suivre la mise en œuvre des ODD;
7.4. à demander que les propositions budgétaires du gouvernement soient systématiquement justifiées au regard des ODD;
7.5. à faire usage de tous les mécanismes de contrôle parlementaire, tels que la séance des questions, les questions écrites au gouvernement, les auditions des commissions parlementaires et les consultations, pour demander des comptes au gouvernement dans la mise en œuvre des ODD, en y associant, à chaque fois que c’est possible, la société civile, le secteur privé et les médias;
7.6. à sensibiliser les citoyens aux ODD à travers des campagnes et des activités éducatives, ainsi qu’à intégrer la question du développement durable dans les programmes scolaires.
8. En vue de renforcer la mise en œuvre des ODD, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à associer les parlementaires et les représentants des autorités locales et régionales aux organes de pilotage/coordination de mise en œuvre des ODD, pour faire valoir le point de vue des électeurs et proposer un appui institutionnel;
8.2. à associer les parlementaires, les représentants des autorités locales et régionales et la société civile dans la préparation des revues nationales volontaires, ainsi que dans le Forum politique de haut- niveau qui se tient tous les ans.
9. L’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe et le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales du Conseil de l’Europe (Centre Nord-Sud) à intégrer les ODD dans leur programme de travail.
10. Enfin, l’Assemblée salue le travail effectué par ses différentes commissions en vue de réaliser les ODD, notamment dans les domaines de la lutte contre la pauvreté (Objectif 1), de bonne santé et bien-être (Objectif 3), d’éducation de qualité (Objectif 4), d’égalité entre les sexes (Objectif 5), de réduction des inégalités (Objectif 10), de la lutte contre les changements climatiques (Objectif 13) et de paix, justice et institutions efficaces (Objectif 16). Elle invite les membres de l’Assemblée à se référer aux Objectifs de développement durable dans leurs rapports et à proposer des recommandations spécifiques à leurs égards, à chaque fois que c’est pertinent.

B. Exposé des motifs par Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure

(open)

1. Introduction

«45. Nous savons le rôle essentiel que jouent les parlements nationaux du fait de leurs fonctions législatives et budgétaires et du contrôle qu’ils exercent sur l’application effective de nos engagements. Les gouvernements et les institutions publiques suivront également les questions de mise en œuvre, en étroite collaboration avec les autorités régionales et locales (…)»

Transformer notre monde: le Programme de développement durable à l’horizon 2030 Résolution A/RES/70/1 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015

1.1. Procédure

1. Le 27 juin 2017, Mme Ingjerd Schou et 30 autres membres de l’Assemblée parlementaire ont présenté une proposition de résolution sur le thème «Les Objectifs de développement durable des Nations Unies: comment les parlements et les États membres du Conseil de l’Europe peuvent y contribuer». Cette proposition soulignait le rôle de premier plan joué par les parlements nationaux dans la réalisation des objectifs de développement durable (ci-après «ODD») en tant que représentants du peuple et organe de contrôle de l’action des gouvernements. Elle en concluait que les parlements devaient faire en sorte d’inscrire les ODD au nombre des grands chantiers de leur pays, et faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils respectent leurs engagements internationaux.
2. La proposition a été renvoyée à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable pour rapport et, le 6 décembre 2017, j’ai été nommée rapporteure. Le 18 septembre 2018, la commission a examiné une note introductive qu’elle est convenue de déclassifier, et a tenu une audition publique avec la participation de M. José Luís Carneiro, Secrétaire d’État des communautés portugaises; Mme Marta Santos Pais, Représentante Spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants; et M. l’Ambassadeur José Rui Caroço, Directeur du Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) Conseil de l’Europe. Le 4 décembre 2018, la commission a tenu un échange de vues avec la participation de M. Martin Bortzmeyer, Chef de la Délégation au Développement durable, Commissariat général au Développement durable, Ministère de la Transition écologique et solidaire, France; Mme Elisabeth Hege, chercheure, Gouvernement et financement du développement durable, Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI); et M. Benoît Simon, Président de l’Association 4D. Lors de sa réunion du 24 janvier 2019, la commission a examiné un avant-projet de rapport et elle est convenue de modifier le titre du rapport comme suit: «Mise en œuvre des Objectifs de développement durable: la nécessaire synergie de tous les acteurs, du parlement aux collectivités territoriales».

1.2. Objectif et portée du présent rapport

3. La proposition à l’origine de ce rapport souligne l’importance d’examiner la manière dont les parlements nationaux et les États membres peuvent contribuer à la réalisation des ODD. Compte tenu, toutefois, de l’accent mis sur le rôle des parlements dans le libellé de la proposition, j’ai choisi d’étudier dans le présent rapport principalement comment les parlements nationaux peuvent contribuer à la réalisation des ODD, étant entendu qu’il ne s’agit pas ici de se focaliser sur un ODD spécifique, mais de réfléchir aux ODD dans leur globalité. Dans ce contexte, le rapport identifie un certain nombre de bonnes pratiques des parlements liées aux ODD dans différents pays et qui pourraient servir de source d’inspiration, ainsi que les lacunes auxquelles il faudrait remédier. Par ailleurs, la mise en œuvre des ODD ne pouvant être couronnée de succès que par l’engagement de tous les acteurs concernés, je vais également me pencher sur le rôle déterminant que jouent les autorités locales et régionales dans ce contexte, sachant que ces dernières relèvent du mandat de notre commission.
4. Ce rapport se veut comme une contribution de l’Assemblée à l’Agenda 2030 pour le développement durable (tout comme les nombreuses résolutions et recommandations qu’elle a adoptées ces dernières années – voir chapitre 4.1). Son objectif ultime est de garantir que les parlements et les autorités locales et régionales prennent conscience de leur rôle dans la réalisation des ODD et puissent jouer ce rôle pleinement. Il est complémentaire au rapport préparé par la commission des questions politiques et de la démocratie sur «Le renforcement de la coopération avec les Nations Unies dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030» 
			(2) 
			Un troisième rapport
de l’Assemblée sur «Mettre fin à la violence à l’égard des enfants:
une contribution du Conseil de l’Europe aux Objectifs de développement
durable» figure à l’ordre du jour de la partie de session de juin
2019..

2. Les objectifs de développement durable des Nations Unies

5. Notre avenir à tous (Our Common Future), publication rédigée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, publication plus communément connue sous le nom de rapport Brundtland, introduit pour la première fois la définition de la notion de développement durable: «Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion: le concept de “besoins”, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.»
6. Le 25 septembre 2015 ont été adoptés par 193 pays les Objectifs de développement durable des Nations Unies, à la suite des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Les ODD couvrent toutefois un champ bien plus vaste que les OMD. Il s’agit de 17 objectifs, déclinés en 169 cibles, qui constituent une vision pour notre avenir: un avenir plus juste, plus équitable, pacifique et écologique, un avenir qui concilie les trois piliers du développement durable, à savoir les aspects environnementaux, sociaux et économiques. L’Agenda 2030 et ses ODD visant à éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité et à réaliser les droits humains pour tous, en ne laissant personne de côté. Cette vision presque utopique, accordant une place essentielle au développement humain et social, contribue à l’avènement et au développement d’une humanité «sereine et épanouie» 
			(3) 
			Patrick Caron, Partie
2, L’idéal d’une humanité épanouie, Introduction in Un défi pour
la planète, Les Objectifs de développement durable, collectif sous
la direction de Patrick Caron et Jean-Marc Chataignier..
7. Les ODD revêtent une dimension transversale, universelle et indivisible. Universelle, car ils concernent l’ensemble des pays de la planète, y compris les pays industrialisés, qui ont encore de nombreux progrès à réaliser en matière environnementale ou sociale et doivent s’assurer que leurs politiques n’ont pas d’effet néfaste sur le reste du monde 
			(4) 
			Pour
les pays, il ne s’agit donc pas seulement de mettre en œuvre les
ODD sur leur territoire mais également dans leurs politiques extérieures.
IDDRI, Policy brief, «ODD:
une feuille de route pour la France», Damien Demailly, no 11/17, octobre
2017.. Transversale, en ce qu’ils reconnaissent les liens entre les trois piliers du développement. Ainsi, par exemple, on retrouve les enjeux environnementaux dans des cibles relatives à la lutte contre la pauvreté, l’agriculture, la santé, l’éducation ou la croissance. À l'inverse, les ODD environnementaux mettent l’accent sur les questions d'accessibilité, notamment pour les personnes les plus vulnérables. Et enfin, indivisible, en ce que les effets d’une politique sectorielle, mise en place pour atteindre un ODD, doivent tenir compte de ses effets potentiels sur d’autres secteurs. L’atteinte des ODD doit être envisagée dans sa globalité, et les politiques publiques mises en œuvre dans ce cadre doivent être cohérentes et harmonisées 
			(5) 
			Rapport
d’information sur la mise en œuvre des objectifs de développement
durable en France, Hervé Maurey et Jérôme Bignon, Sénateurs, Sénat,
no 678..
8. La mise en œuvre des ODD relève, en premier lieu, de la responsabilité des gouvernements. L’engagement politique au plus haut niveau de l’État est donc crucial. Toutefois, les ODD ne sont pas un énième agenda décidé par les politiques, dont la mise en œuvre dépend des seuls gouvernements. En effet, en sus du soutien politique apporté aux processus, cinq autres critères sont cités comme les conditions nécessaires d’un «cercle vertueux» de mise en politique des ODD: la construction d’un cadre institutionnel assurant la cohérence des politiques (afin d’éviter qu’une politique sectorielle ait des retombées négatives sur d’autres secteurs); l’évaluation de l’écart à l’objectif (c’est-à-dire les progrès à accomplir) et de la progression (gap analysis); la cohérence et l’alignement des stratégies nationales avec les ODD; l’implication de la société civile et des citoyens; et l’organisation du partage des responsabilités entre les acteurs publics 
			(6) 
			IDDRI,
Issue brief, «Mise en œuvre des ODD: que font les pays? Une revue
des rapports volontaires présentés au Forum politique de haut niveau»,
Laura Brimont, Damien Demailly et Julie Vaillé, no 17/16,
décembre 2016., dont notamment l’implication des parlements et des collectivités. C’est notamment ce dernier aspect qui nous intéresse dans le présent rapport.

3. Quels rôles pour les parlements dans la mise en œuvre des ODD?

9. Les principales fonctions parlementaires, à savoir l’élaboration des lois, la budgétisation, le contrôle de l’action du gouvernement et la représentation des intérêts des électeurs, sont essentielles pour la mise en œuvre effective des ODD. En effet, si l’adoption d’une législation est rarement la réponse politique complète nécessaire pour atteindre les ODD, il s’agit souvent d’une première étape, ou d’une composante essentielle de l’action. Par ailleurs, si les ODD doivent être couronnés de succès, il sera essentiel que leur mise en œuvre soit financée adéquatement 
			(7) 
			Engager les parlements
sur le Programme 2030 et les ODD: Représentation, responsabilité
et mise en œuvre, Un manuel pour la société civile – abrégé, Together/Ensemble 2030, juillet
2018.. Quant à la fonction de contrôle, celle-ci est un moyen pour le parlement de demander des comptes au gouvernement sur l’efficacité de la mise en œuvre des engagements relatifs aux ODD. Enfin, les politiques publiques de mise en œuvre des ODD devraient être soutenues par les citoyens, sans quoi il est impossible d’atteindre les ODD. C’est là que la fonction de représentation des intérêts des électeurs, que le parlement assure, trouve tout son sens.

3.1. L’élaboration des lois

10. Les parlements examinent les projets de loi et ont le pouvoir d’y apporter des modifications avant leur adoption, voire de les rejeter entièrement. Ils ont également le pouvoir d’initier de nouvelles lois en vue d’un débat. Forts de ces pouvoirs, ils devraient donc orienter le travail législatif dans le sens des ODD, afin d’assurer que de nouvelles lois nécessaires à la réalisation du plan national sur les ODD, et du Programme 2030 dans son ensemble, soient initiées et adoptées. Dans ce contexte, les enquêtes parlementaires peuvent s’avérer fort utiles pour générer une action de l’exécutif. À titre d’exemple, en 2008, la commission des affaires intérieures du Parlement britannique a lancé une enquête parlementaire sur la traite des êtres humains, qui a donné lieu à l’adoption de la loi sur l’esclavage moderne en 2015.
11. À travers le travail législatif, les parlements devraient également veiller à la cohérence des textes proposés par le gouvernement, afin d’éviter qu’une loi visant la réalisation d’un ODD ait un impact négatif sur un autre ODD. Dans ce contexte, les parlements devraient, entre autres, demander que les projets et les propositions de loi soient accompagnés d’une évaluation de leur impact sur la mise en œuvre des ODD. L’Allemagne, par exemple, soumet toutes ses propositions de loi à des études d’impact sur les différentes dimensions du développement durable, via l’application eNachhaltigkeitsprüfung, disponible en ligne (www.enap.bund.de/intro). Pour avoir l’impact souhaité et assurer que les politiques mises en place soient cohérentes, de telles études devraient nourrir le travail interministériel 
			(8) 
			En
France, les études d’impact sont réalisées sous la responsabilité
du ministère en charge de présenter le projet de loi devant le parlement,
c’est-à-dire sans implication d’autres ministères., ainsi que le débat public, par le biais de processus participatifs qui permettent aux citoyens, aux experts et à la société civile de donner leurs points de vue sur les propositions faites.
12. Les parlements ont aussi le pouvoir de ratifier les accords internationaux et devraient, le cas échéant, faire pression sur leurs gouvernements pour que des accords pertinents, notamment des conventions en matière des droits humains, soient inscrits à leur ordre du jour pour ratification. Cela concernerait, par exemple, la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) ou encore la Convention sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201).

3.2. La budgétisation 
			(9) 
			Les
informations fournies dans ce chapitre proviennent principalement
de l’étude suivante: Intégration des ODD dans les processus budgétaires
nationaux, Étude, Elisabeth Hege et Laura Brimont, no 05/18,
juillet 2018.

13. Le vote parlementaire sur les budgets est un élément structurel de la démocratie représentative, car il symbolise le consentement des citoyens à l’impôt et aux décisions prises en matière d’allocation. Dans la plupart des démocraties représentatives, le processus budgétaire implique trois principaux acteurs: le gouvernement, généralement le ministère des Finances, qui propose le budget; le parlement, qui peut modifier et autoriser le budget, même si sa portée diffère d’un pays et d’un régime politique à l’autre; et une Cour des comptes, qui contrôle l’exécution du budget et la gestion des fonds publics.
14. En tant que principale expression politique et économique de la politique gouvernementale, le budget apparaît comme un point de départ naturel pour l’intégration de l’Agenda 2030 et de ses ODD. D’ailleurs, parmi les 64 États volontaires ayant soumis une évaluation nationale lors des sessions du Forum politique de haut-niveau de 2016 et 2017 (voir chapitre 6), 23 ont mentionné qu’ils avaient mis en place des mesures visant à relier les ODD au budget national ou qu’ils comptaient le faire.
15. L’intégration des ODD dans le processus budgétaire sert surtout à rendre plus transparent l’engagement du gouvernement en faveur des ODD. Cette amélioration de la transparence donne un aperçu des priorités budgétaires actuelles par rapport aux ODD, mais n’entraîne pas automatiquement une gestion plus cohérente ou une réflexion sur la réorientation des ressources pour mieux cibler les problèmes les plus difficiles en matière de développement durable. Cela ne conduit pas non plus automatiquement les acteurs à utiliser cette plus grande transparence pour demander aux gouvernements de rendre des comptes sur leurs engagements. Cela suppose que les parlementaires, la société civile et les autres acteurs concernés utilisent réellement les ODD, par exemple pour améliorer le débat sur le budget. Les parlements ont donc un rôle important à jouer dans ce contexte et, à l’instar de la Finlande et de la Norvège, ils pourraient, entre autres, demander aux gouvernements d’utiliser les ODD pour justifier leurs propositions budgétaires.
16. À titre d’exemple, en Finlande, lors de la préparation du budget 2018, le ministère des Finances a demandé à chaque ministère d’inclure un court paragraphe sous chacun des principaux titres de la proposition de budget. Dans ces paragraphes, les ministères ont fourni des renseignements sur la manière dont le développement durable serait reflété dans leurs politiques sectorielles au cours de l’exercice 2018. En Norvège, chaque ministère est responsable d’un ou de plusieurs ODD. Comme en Finlande, chaque ministère rédige un paragraphe sur ses activités liées aux objectifs dont il est responsable, tant du point de vue national qu’international, afin de démontrer le lien entre sa proposition de budget et sa contribution à la réalisation des ODD. Ces projets de paragraphes sont envoyés aux autres ministères pour examen, avant que le ministère des Finances compile les textes et les inclue dans un chapitre sur la mise en œuvre des ODD, qui est ajouté au document principal de la proposition de budget, qui est ensuite soumise au parlement.

3.3. Le contrôle

17. L’institution parlementaire est l’unique acteur doté d’un mandat politique émanant du peuple, qui lui impose de contrôler la gestion de l’État par le gouvernement 
			(10) 
			Rapport parlementaire
mondial 2017, Résumé, Union interparlementaire et Programme des
Nations Unies pour le Développement (PNUD).. Afin de garantir une mise en œuvre effective des ODD, les parlements devraient demander aux gouvernements d’élaborer des stratégies/plans de développement durable, et le cas échéant, de les aligner avec les ODD et de les envoyer au parlement pour examen et débat. La plupart des pays choisissent d’intégrer les ODD dans leurs stratégies existantes, plutôt que d’en créer une nouvelle. Pourtant, la montée des populismes en Europe et les mouvements de protestation, tel celui des gilets jaunes en France, pourraient nous amener à nous interroger sur l’opportunité de revoir totalement les stratégies nationales et les renouveler à l’aulne de l’Agenda 2030. Selon l’IDDRI, l’option d’intégrer les ODD dans les stratégies existantes est intéressante à deux conditions: que la stratégie soit portée politiquement au plus haut niveau, et que l’alignement de la stratégie sur les ODD soit pertinent, et qu’elle ne se limite pas aux enjeux environnementaux. En Allemagne, par exemple, la stratégie nationale de développement durable est pilotée par la Chancellerie et fait travailler ensemble tous les ministères dans le cadre d’un comité interministériel de haut niveau. Elle couvre, par ailleurs, l’ensemble des enjeux économiques, sociaux et environnementaux 
			(11) 
			Note
de bas de page 7..
18. Les parlements devraient également demander aux gouvernements de faire régulièrement rapport sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la stratégie/du plan de développement durable. Les mécanismes de contrôle parlementaire tels que la séance des questions, les questions écrites au gouvernement 
			(12) 
			Voir par exemple l’entretien
avec Mme Petra Bayr, membre du Parlement
autrichien et présidente de la sous-commission de développement
et de coopération, sur <a href='https://www.ipu.org/fr/actualites/actualites-en-bref/2018-11/les-parlements-collaborent-au-dela-des-frontieres-pour-atteindre-les-objectifs-mondiaux'>www.ipu.org/fr/actualites/actualites-en-bref/2018-11/les-parlements-collaborent-au-dela-des-frontieres-pour-atteindre-les-objectifs-mondiaux.</a>, et les auditions des commissions parlementaires peuvent également s’avérer fort utiles pour identifier les obstacles et évaluer les progrès dans la mise en œuvre des ODD 
			(13) 
			Les ODD à l’usage des
parlements, Outil d’auto-évaluation, Union Interparlementaire et
PNUD..
19. Le contrôle parlementaire devrait également être utilisé pour assurer la cohérence des politiques de mise en œuvre des ODD. Dans un rapport de 2016, la commission de développement international de la Chambre des communes britannique a demandé explicitement que le gouvernement adopte une approche pangouvernementale effective pour assurer la cohérence des politiques de mise en œuvre des ODD. À cette fin, il a exigé que le gouvernement mette en place un mécanisme officiel qui réunira régulièrement tous les Secrétaires d’État et ministres responsables pour discuter de la mise en œuvre des ODD au plus haut niveau 
			(14) 
			Working
together: integration, institutions and the Sustainable Development
Goals, World Public Sector report 2018, United Nations.. En Norvège, les ODD sont pilotés par le Premier ministre, mais chaque ministre en charge d’un ODD doit coordonner son action avec les autres ministres concernés par cet ODD. Le Gouvernement norvégien présente un rapport au parlement concernant les progrès en termes de cohérence des politiques pour le développement durable.
20. La capacité du parlement à réaliser un contrôle efficace exige souvent qu’il communique les propositions du gouvernement à des cercles plus larges, ce qui confère une importance primordiale à la nature des relations du parlement avec une série d’acteurs extérieurs. Le parlement a besoin des idées et des compétences de tels organes externes pour compléter et enrichir ses propres activités et conclusions en matière de contrôle 
			(15) 
			Note
de bas de page 9.. À cette fin, les parlements devraient organiser des journées d’évaluation annuelles à l’occasion d’un rapport d’activités et y associer la société civile et les médias, ce qui représente aussi une excellente occasion d’informer les citoyens du rôle que leurs parlements et leurs gouvernements jouent dans la réalisation des ODD.

3.4. La représentation

21. En tant que représentants élus du peuple, les parlementaires sont tenus de dialoguer avec leurs électeurs tout au long de leur mandat, de refléter leurs besoins et leurs préoccupations, et de fournir ainsi un pont politique entre les citoyens et tous les secteurs du gouvernement. Il est de leur responsabilité d’assurer que la mise en œuvre des ODD profite à tous les citoyens, dont notamment les plus désavantagés. En s’adressant directement aux citoyens, les parlementaires peuvent identifier les lacunes et les faiblesses dans la mise en œuvre des ODD qui ne sont peut-être pas pris en compte dans les politiques publiques. En effet, il arrive que des budgets colossaux soient attribués à la réalisation de certains projets, avec peu de résultats concrets. Cela est le cas, par exemple, pour la transition énergétique, qui nécessite, non seulement des mesures d’aménagement/de réhabilitation urbain (par exemple, réduction des espaces de circulation des voitures, construction de pistes cyclables), mais aussi, et surtout, un changement des comportements et des modes de vie. Les politiques publiques devraient être adaptées à la réalité des citoyens.
22. Les consultations auprès des organisations de la société civile, des institutions universitaires et du secteur privé, entre autres, peuvent aider à identifier les préoccupations des différents acteurs 
			(16) 
			Note de bas de page
12.. Ce type de partenariat est mutuellement bénéfique: d’une part les parlements ont accès à l’expertise, aux apports et au soutien de la société civile et d’autres acteurs concernés, d’autre part lesdits acteurs ont la possibilité d’influencer les processus gouvernementaux.
23. Les parlementaires devraient aussi jouer un rôle dans la sensibilisation et la mobilisation des citoyens, en leur expliquant les ODD, y compris à travers leurs actions, ce qui permettrait de rendre les ODD plus concrets aux yeux de la population et de se les approprier 
			(17) 
			Dans la déclaration
de Hanoï sur «Les objectifs de développement durable: passer des
mots à l’action» adoptée par la 132ème Assemblée
de l’Union Interparlementaire, le 1er avril
2015, les parlementaires se sont engagés «à tout mettre en œuvre
pour favoriser l'adhésion des pays aux objectifs, en les portant
notamment à la connaissance des citoyens».. En effet, les ODD sont encore largement méconnus du grand public, bien que la plupart soient très importants pour la vie de chacun, notamment les objectifs relatifs à une éducation de qualité, à la protection sociale, à la bonne santé, et à une énergie saine et d’un coût abordable. Selon un sondage récent organisé par l’Association 4D, seuls 6 % des Français connaîtraient les ODD.

3.5. Mécanismes institutionnels

24. Comme les gouvernements, les parlements ont tendance à travailler en silo. Ainsi, typiquement, les questions relatives à la santé relèveront du mandat de la commission de la santé, tandis que les questions environnementales seront gérées par la commission environnementale, et ainsi de suite. Souvent, il y a peu de coordination entre ces différentes commissions. Or, le caractère transversal des ODD fait que généralement, plusieurs commissions parlementaires seront concernées par différents objectifs d’où l’intérêt d’éviter que celles-ci fonctionnent justement en silo. Les parlements devraient donc trouver un moyen adapté pour travailler de manière transversale entre les différentes structures. Cela pourrait consister à créer une commission qui serait chargée spécifiquement de suivre la mise en œuvre des ODD. Une telle commission pourrait être composée de présidents/présidentes de toutes les commissions concernées par les ODD et assurer le travail de coordination entre elles. Pour s’assurer d’une bonne représentativité, il serait important d’assurer une collaboration multipartite au sein d’une telle commission, c’est-à-dire l’appartenance de toutes les couleurs politiques.
25. Les parlements pourraient également attribuer le rôle de suivi à un organe/une commission déjà existant. C’est le cas du Parlement allemand (Bundestag) où ce rôle est assuré par le Conseil consultatif parlementaire sur le développement durable, institué en 2004. Cet organe, composé de membres de tous les groupes parlementaires, suit la politique de durabilité du gouvernement fédéral menée par les différents ministères. Ses responsabilités comprennent, entre autres, le soutien et le suivi de la stratégie nationale du développement durable du gouvernement fédéral, ainsi que le suivi et l’appui, au niveau européen, de la politique de développement durable (du gouvernement fédéral). Au parlement, le Conseil consultatif joue un rôle de «chien de garde». Il élève la voix dès qu’un projet législatif fait l’impasse sur la stratégie nationale pour le développement durable. Par les auditions qu’il organise et les documents de position qu’il adopte, il relance les débats sur des questions de développement durable.
26. La réalisation des ODD demandant un travail collectif et des efforts concertés, les députés de différents partis qui partagent les mêmes intérêts pour les Objectifs de développement durable, ou pour l’un des objectifs, pourraient également unir leurs forces et créer un groupe ou un caucus, ou lancer des initiatives interpartis à l’appui des ODD, à l’instar du collectif parlementaire «Accélérons» pour la transition écologique en France 
			(18) 
			L’objectif de ce collectif
parlementaire est de fabriquer des lois, d’initier et de soutenir
des coalitions de projets novateurs dans le contexte de la transition
écologique..
27. Toutefois, les parlements devraient non seulement participer à la mise en œuvre et au suivi des ODD, mais ils devraient également porter une attention particulière à leur propre développement institutionnel, conformément à la cible 16.6 visant la mise en place des institutions efficaces, responsables et transparentes et à la cible 16.7 exigeant que le dynamisme, l’ouverture, la participation et la représentation à tous les niveaux caractérisent la prise de décisions. Cela exige non seulement qu’il y a plus de diversité dans les parlements – et dans ce contexte, je ne peux que renvoyer à la Résolution 2222 (2018) «Promouvoir la diversité et l’égalité dans la vie politique», que l’Assemblée a adoptée le 1er juin 2018 –, mais que les parlements explorent aussi de nouvelles méthodes de travail, y compris en visant plus de transparence (par exemple en rendant leurs réunions de commissions accessibles au public et en faisant une utilisation plus importante des technologies de l’information (eParlement)).

4. Le rôle des assemblées parlementaires régionales et internationales

28. Les assemblées parlementaires régionales et internationales jouent un rôle essentiel pour coordonner le travail des parlements nationaux et pour assurer une coopération effective entre eux. Dans le cadre des ODD, ce travail de coordination et de coopération trouve tout son sens, sachant que les mesures de mise en œuvre des ODD dans un pays ne devraient pas avoir d’impact négatif sur les mesures de mise en œuvre dans d’autres pays. Le travail de coordination peut se faire de différentes manières, y compris à travers des débats et l’adoption de textes sur des questions d’intérêt commun et pertinentes dans le cadre des ODD (comme le fait notre Assemblée), ainsi que par le biais d’activités de renforcement des capacités (comme le fait notamment l’Union interparlementaire (UIP)).

4.1. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

29. Les droits humains sont au cœur des ODD. En tant qu’organisation paneuropéenne qui défend les droits humains, le Conseil de l’Europe a donc un rôle majeur à jouer dans la réalisation des ODD. L'Assemblée parlementaire est un acteur important dans ce contexte car, par le biais de ses résolutions et ses recommandations, elle demande l'adoption de mesures au nom des 830 millions d'Européens dont elle porte la voix et les États membres du Conseil de l'Europe sont tenus d’y réagir.
30. Depuis leur adoption en 2015, notre Assemblée a ainsi contribué à la réalisation des ODD par des dizaines de résolutions et recommandations – et continue de le faire à travers des dizaines d’autres qui sont en cours d’élaboration –, dont notamment dans les domaines de la lutte contre la pauvreté (Objectif 1), de bonne santé et bien-être (Objectif 3), d’éducation de qualité (Objectif 4), d’égalité entre les sexes (Objectif 5), de réduction des inégalités (Objectif 10), de la lutte contre les changements climatiques (Objectif 13) et de paix, justice et institutions efficaces (Objectif 16). Je me contenterai ici de citer quelques exemples récents: Résolution 2197 (2018) «Un revenu de citoyenneté de base, une idée qui se défend», Résolution 2249 (2018) sur l’offre de soins palliatifs en Europe, Résolution 2220 (2018) sur l’intégration, l’autonomisation et la protection des enfants migrants par la scolarité obligatoire, Résolution 2135 (2016) «Les mutilations génitales féminines en Europe», Résolution 2159 (2017) «Protéger les femmes et les filles réfugiées de la violence fondée sur le genre», Résolution 2177 (2017) «Mettre fin aux violences sexuelles et au harcèlement des femmes dans l’espace public», Résolution 2210 (2018) sur le changement climatique et la mise en œuvre de l'Accord de Paris, Résolution 2262 (2019) «Promouvoir les droits des personnes appartenant aux minorités nationales», Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l'égalité quelle que soit l'orientation sexuelle», Résolution 2158 (2017) «La lutte contre les inégalités de revenus: un moyen de favoriser la cohésion sociale et le développement économique», Résolution 2141 (2017) sur les attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe, Résolution 2096 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?».
31. Par ailleurs, l’Assemblée a contribué aux Objectifs 5 et 16 également à travers son réseau pour le droit des femmes de vivre sans violence et son réseau de parlementaires de référence contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, notamment en jouant un rôle primordial dans l’entrée en vigueur des deux conventions pertinentes du Conseil de l’Europe en la matière, à savoir la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210) et la Convention sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels. Par ailleurs, l’alliance parlementaire contre la haine, lancée en 2015, contribue à lutter contre la discrimination et à promouvoir l’inclusion.
32. Une autre activité en lien direct avec l’Objectif 5 est le lancement le 23 novembre 2018, d’une nouvelle initiative pour lutter contre le sexisme, le harcèlement et la violence à l’égard des femmes dans les parlements, à savoir #PasDansMonParlement. Cette action de l’Assemblée fait suite à la publication récente d’une étude régionale conjointe de l’Assemblée parlementaire et de l’UIP, qui a révélé des niveaux alarmants de sexisme, de harcèlement et de violence à l’égard des femmes dans les parlements nationaux.

4.2. L’Union interparlementaire

33. Afin que les parlements puissent jouer un rôle effectif dans la mise en œuvre et le suivi des ODD, il faut avant tout que les parlementaires s’y intéressent. Or, il semblerait que d’une manière générale, les parlementaires ne s’intéressent pas suffisamment aux questions de développement durable et qu’ils ne connaissent pas bien l’Agenda 2030 et les ODD. C’est le cas en France, par exemple, où même au sein de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, les parlementaires sont très peu informés sur les ODD. S’il existe un groupe de travail au Sénat sur ces questions, il n’y a rien d’équivalent pour l’instant à l’Assemblée nationale. Il faudrait donc sensibiliser l‘ensemble des parlementaires aux ODD. Il faudrait aussi établir une mémoire institutionnelle au sein des parlements pour assurer une continuité, compte tenu du renouvellement des parlementaires.
34. L’UIP fait un travail important de sensibilisation des parlementaires et de renforcement des capacités. En 2017, dans le cadre de son objectif intitulé «Mobiliser les parlements en faveur du programme mondial de développement», l’UIP a organisé plusieurs séminaires régionaux sur les ODD pour les parlements de différentes régions du monde, un sommet des Présidents de parlement (d’Asie du Sud) et un séminaire interrégional en Chine pour les parlements asiatiques et africains. Par ailleurs, en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement, elle a également élaboré un outil d’évaluation «Les ODD à l’usage des parlements», qui est un guide pour aider les parlements à évaluer les mesures qu’ils doivent prendre pour mettre en œuvre et suivre les progrès accomplis dans la réalisation des ODD. Dans ce contexte, l’outil permet de répondre à des questions essentielles comme: Avons-nous les capacités nécessaires pour entreprendre ce travail? Quelle a été la qualité de nos prestations jusqu’à présent? Quelles priorités fixer pour réussir? 
			(19) 
			Rapport annuel 2017,
UIP. De plus, la commission permanente des affaires des Nations Unies de l’UIP maintient un lien institutionnel avec le Forum politique de haut-niveau en organisant une session spéciale dédiée au suivi parlementaire des ODD lors de ses réunions de printemps.

5. Le rôle déterminant des autorités locales et régionales 
			(20) 
			Les informations fournies
dans ce chapitre proviennent principalement du document suivant:
Réunion des membres du Conseil sur le Programme de développement
durable à l’horizon 2030, Paris, 14 mars 2018, Principales questions
à examiner.

35. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la participation des autorités locales et régionales est essentielle pour réussir les transformations économiques, sociales et environnementales nécessaires pour atteindre les ODD. En effet, d’après les estimations, 65 % des 169 cibles associées aux ODD ne seront pas atteintes sans une véritable participation des administrations locales et régionales, et en coordination avec elles. Autrement dit, plus de la moitié des 169 cibles exigent une action infranationale ou locale.
36. Étant proche des citoyens, les administrations locales et régionales sont les mieux placés pour identifier et répondre aux lacunes et besoins dans le domaine du développement durable. En effet, les leçons tirées de la mise en œuvre des OMD 
			(21) 
			Voir la Résolution 1975 (2014) «Intensifier les efforts de lutte contre les inégalités
au niveau mondial: la contribution de l’Europe au processus des
Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)», adoptée sur
la base d’un rapport de notre commission. montrent que si l’on utilise seulement des données nationales globales pour rendre compte des progrès accomplis, on a une fausse image des réalités du terrain, car de telles données masquent les disparités régionales et ne fournissent pas aux pouvoirs publics l’information dont ils ont besoin pour atteindre les groupes les plus pauvres et les plus marginalisés.
37. Par ailleurs, les administrations infranationales (à savoir les villes, les régions ou les municipalités) sont responsables d’une partie considérable de l’investissement public total 
			(22) 
			En 2015, de près de
40 % de l’investissement public total à l’échelle mondiale, et de
59 % de l’investissement public total dans la zone OCDE. qu’elles utilisent, en grande partie, pour les infrastructures nécessaires à la fourniture des services de base relevant de leur ressort et qui sont intimement liés aux ODD. C’est le cas pour les infrastructures éducatives, sanitaires et sociales, l’eau potable, les services d’assainissement, la gestion des déchets solides, le transport et le logement, par exemple.
38. Il faudrait donc sensibiliser les administrations infranationales aux ODD 
			(23) 
			Aux Pays-Bas,
l’association des municipalités néerlandaises (VNG) a lancé une
campagne Municipalities4GlobalGoals (Gemeenten4GlobalGoals en néerlandais)
afin de sensibiliser les municipalités aux ODD et les aider à y
contribuer., et faire en sorte que les stratégies nationales de mise en œuvre des ODD s’adaptent aux attentes locales, afin de permettre une réelle appropriation des ODD. Par ailleurs, il faudrait donner aux villes, régions et municipalités les moyens financiers et logistiques de participer à la mise en œuvre des ODD par une action locale. Enfin, il faudrait mettre en place des dispositifs – ou là où elles existent, les renforcer – afin de lier et coordonner les efforts déployés à l’échelon national, infranational et local, en vue d’assurer la mise en œuvre des ODD. En Allemagne, par exemple, la stratégie de développement durable adoptée en janvier 2017 crée un mécanisme de coordination entre le gouvernement fédéral, les Länder et les municipalités. Actuellement, 13 des 16 Länder ont déjà préparé, ou sont en train de préparer, leurs propres stratégies de développement durable.

6. Forum politique de haut-niveau pour le développement durable

39. Depuis 2015 se déroule tous les ans au siège des Nations Unies de New York le Forum politique de haut-niveau (FPHN), la plate-forme centrale des Nations Unies pour le suivi et l’examen annuel de l’Agenda 2030 pour le développement durable et les ODD. À cette occasion, acteurs économiques et politiques, de la société civile et des services de l'État se rassemblent pour faire le point sur les avancées dans l’atteinte des ODD.
40. Le FPHN remplace l’ancienne Commission du développement durable des Nations Unies créée en 1992 au sommet de la Terre de Rio. Cette décision s’explique à la fois par le manque de résultat souvent reproché, mais aussi par la question de la souveraineté des États, que certains jugeaient mise à mal par l’obligation de rendre compte de leurs progrès sur le respect de leur engagements. Le Forum relève davantage du processus que de l’instance de décision, et le problème est ainsi contourné. De plus, le FPHN, dans sa forme actuelle, a élargi le débat aux plus hautes instances, avec les chefs d’État, mais aussi vers d’autres catégories d’acteurs, ce qui renforce sa légitimité. Par ailleurs, ce mode de gouvernance est symbolique d’un changement important de prisme. Les OMD revenaient à transposer avec plus ou moins de succès et de diplomatie un modèle considéré comme «développé», celui du Nord, aux pays en voie de développement, ceux du Sud. Désormais, le bipole n’existe plus, les pays du Nord s’étant rendu compte, en partie, qu’ils étaient responsables et concernés par les changements nécessaires, mais aussi qu’ils contenaient au sein même de leurs territoires des «tiers-monde» (selon l’ancienne expression). Le forum devient donc un lieu de rencontre entre acteurs tous concernés, à égalité. Les ODD, par leur universalité, redonnent du sens à un multilatéralisme trop souvent contesté ces dernières années.
41. Chaque année, le suivi prévu met en place trois types de revues: les revues thématiques et transversales regroupant plusieurs ODD, les revues statistiques, et les revues nationales volontaires. Ces dernières s’inspirent du mécanisme d’examen des politiques commerciales de l’Organisation Mondiale du Commerce et du processus d’examen périodique universel des Nations Unies dans le domaine des droits humains. Ces revues sont à la fois l’occasion de partager les bonnes pratiques entre pays, mais aussi de renforcer les processus politiques et institutionnels, et de mobiliser les différentes parties prenantes qui collaborent à l’élaboration du rapport. On peut, cependant, regretter que ces rapports ne soient pas vérifiés par des tiers. D’ailleurs, certaines organisations non-gouvernementales qui ont participé au FPHN de 2015 et 2016 considèrent le Forum comme un exercice de «relations publiques» pour les pays, plus qu’autre chose 
			(24) 
			IDDRI, Study, «NGO
mobilisation around the SDGs», Elisabeth Hege et Damien Demailly,
no 01/18, janvier 2018.. Il serait important de remédier à ce manque de crédibilité, en y associant plus étroitement et plus systématiquement la société civile et d’autres acteurs concernés, y compris les parlements.
42. Au moins 80 ministres et vice-ministres, ainsi que 2 500 acteurs non étatiques ont participé aux séances officielles, comme aux manifestations parallèles, en 2018. Les nombreux discours ont permis de souligner les avancées depuis 2015. La déclaration ministérielle issue du débat invite, toutefois: «à faire passer nos efforts à la vitesse supérieure et à prendre les mesures audacieuses qui sont nécessaires à la mise en œuvre efficace du Programme 2030 et à la construction de sociétés durables et résilientes partout dans le monde, en accordant la priorité aux plus défavorisés et en veillant à ne laisser personne de côté. 
			(25) 
			Déclaration
ministérielle issue du débat de haut niveau tenu par le Conseil
économique et social à sa session de 2018, E/2018/L.20–E/HLPF/2018/L.2.»
43. Pour cela, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, s’est réjoui de l’implication grandissante de la société civile, du secteur privé et des scientifiques. L’implication des gouvernements, mais aussi des autorités locales et régionales, a été remarquée 
			(26) 
			En
marge du FPHN 2018, ont été tenus un événement spécial «le Forum
des gouvernements locaux et régionaux» ainsi qu’un événement parallèle
«Local2030», présenté sous
forme d’un hub, et réunissant les agences des Nations Unies et les
autorités locales et régionales pour imaginer des solutions concrètes
pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030.. En revanche, un seul événement était organisé par l’UIP, et la participation des parlementaires était très inégale selon les pays. La France y a participé avec une grande délégation, qui comptait, entre autres, cinq parlementaires (ainsi que cinq élus locaux et régionaux). Il y a également des améliorations à attendre en termes d’engagement des parlementaires dans les revues nationales volontaires que les gouvernements présentent lors du FPHN. En 2017, 44 pays ont présenté des revues nationales volontaires: parmi les parlements de ces pays, 13 étaient impliqués dans la préparation desdites revues (à des degrés divers, variant d’une implication importante à superficielle), tandis que seuls trois d’entre eux avaient eu l’occasion d’examiner et de faire des commentaires sur la revue nationale préparée par le gouvernement avant sa finalisation 
			(27) 
			Note de bas de page
15..
44. En septembre 2019, comme tous les quatre ans, le FPHN se tiendra sous l’égide de l’Assemblée générale des Nations Unies, et rassemblera les chefs d’état (une partie du FPHN se tiendra déjà en juillet 2019 sous l’égide du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC)). À cette occasion, il serait positif que l’implication des parlements dans les ODD soit plus importante, notamment celle des États membres du Conseil de l’Europe, et que les ODD aient progressé dans nos États – ou, qu’au moins, il y ait un vrai plan en place pour les faire progresser dans le futur. Les fonctions des représentants présents au FPHN, comme l’ampleur de la délégation nationale, en taille comme en diversité, est un bon indicateur de l’importance pour ces États de l’Agenda 2030. Plus le niveau de responsabilité politique est élevé, plus l’on peut considérer que le soutien politique est important.

7. Conclusions

45. L’Agenda 2030 reste relativement récent et la révolution qu’il contient peut partiellement expliquer les balbutiements que l’on constate par rapport à sa mise en œuvre. Il s’agit, en effet, de réinventer un cadre institutionnel pour s’assurer de la cohérence des politiques. L’interaction entre chacun des 17 ODD a pour conséquence que bouger un curseur sur l’un d’eux peut avoir un impact sur un ou plusieurs autres, parfois de manière positive, mais parfois également de manière négative. Il est donc indispensable que la gouvernance soit la plus coordonnée possible. En 2016, sur les 22 pays ayant présenté un rapport d’avancement, il s’avère que 11 avaient placé la gestion des ODD sous la responsabilité directe du Premier ministre ou du Président. Quatre pays avaient choisi de confier la coordination à un seul ministère, au détriment du décloisonnement.
46. Les ODD forment un cadre large et général que chaque pays doit adapter à ses spécificités locales, tout en identifiant ses propres priorités, afin d’orienter la mise en œuvre du Programme au niveau national. Ceci passe par l’élaboration ou, si nécessaire, la mise à jour de leur propre stratégie/plan national de développement. Les politiques publiques, au lieu d’être en silo, devraient être intégrées, ce qui leur permettrait d’être plus cohérentes et avoir plus d’impact. Elles devraient également être plus participatives, de façon à inclure les différentes parties prenantes dans leur conception et mise en œuvre, dont notamment la société civile, les ONG, les collectivités et les parlementaires. Le rôle de la jeunesse ne doit pas non plus être négligé, à la fois parce que notre jeunesse est particulièrement sensibilisée à ces problématiques, mais également dans une optique de transmission et continuité. Les parlements ont un rôle primordial à jouer à cet égard, en veillant à ce que les ODD nationaux tiennent compte des besoins locaux spécifiques et de la situation de groupes particuliers.
47. Nombre de pays ont établi un groupe de travail national sur les ODD – ou un organe analogue – pour coordonner et piloter la mise en œuvre des ODD. Des représentants parlementaires et locaux devraient être associés à ces organes de haut niveau pour faire valoir le point de vue de leurs électeurs et proposer un appui institutionnel. La France a mis en place un comité de pilotage interministériel des ODD, chargé de préparer une feuille de route sur la mise en œuvre des ODD. Ce comité de pilotage est une instance inclusive composée de l’ensemble des acteurs publics et privés engagés dans la mise en œuvre des ODD, y compris des ONG et des parlementaires.
48. Le Programme 2030 et les ODD, qui reconnaissent la responsabilité des parlements de vérifier le respect des engagements pris par le gouvernement en matière de réalisation des ODD, offrent l’occasion aux parlements et aux parlementaires de renforcer leur engagement sur des questions cruciales pour le développement durable. Pour le moment, cet engagement reste limité, même si de nombreux parlements ont effectué d’importantes démarches dans ce sens, y compris par l’organisation des débats autour de l’Agenda 2030 (Chypre, Estonie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal), en traitant l’Agenda 2030 dans le cadre des travaux des (sous-)commissions existantes (Finlande, Suède, Royaume-Uni, République tchèque), ou en créant de nouvelles (sous-)commissions transversales sur les ODD (Danemark, Finlande, Roumanie). Il est donc urgent d’amplifier la mission de redevabilité des parlementaires. Ceux-ci devraient procéder à des analyses systématiques de la cohérence des politiques publiques et demander des comptes aux gouvernements dans la mise en œuvre des ODD. Il est également important d’inclure plus de parlementaires dans le FPHN qui se tient tous les ans.
49. Il est évident que notre monde est en crise, non pas seulement une crise économique ou financière mais bien une crise sociétale. Le retour d’idéologies extrêmes à l’origine des heures les plus sombres de l’Humanité questionne sur les clivages profonds dans tous les pays à travers le monde. L’indispensable renouveau politique souhaité par les citoyens, ne devrait-il pas s’accompagner d’un changement de paradigme?
50. L’Agenda 2030 remet notamment en cause nos visions de la société comme de l’économie, longtemps seul étalon des politiques internationales, chaque «pôle» essayant d’imposer sa vision de l’économie triomphante. Ce que propose l’Agenda, c’est une économie plus équitable et plus durable, une société plus égalitaire, tout en étant plus sûre, des politiques et des institutions plus accessibles et plus transparentes. Les ODD permettent de repenser nos sociétés, pour créer celles de demain, et j’insisterai de nouveau sur l’implication de la jeunesse.
51. Il est frappant de remarquer à quel point ces revendications émergent en France aujourd’hui dans le mouvement des «Gilets jaunes». De la capacité à répondre à ces revendications dépendra le basculement vers l’extrémisme ou le renouveau démocratique. Les politiques publiques devraient être adaptées au quotidien des citoyens. L’Agenda 2030 et les 17 ODD constituent un récit idéal pour cela. En réalité, nombre des politiques des États membres du Conseil de l’Europe contribuent déjà à l’atteinte des ODD, mais la visibilité n’est pas suffisante. Revoir les stratégies nationales en les mettant en accord formel avec l’Agenda ne permettrait-il pas de réconcilier tous les citoyens en leur offrant une vision d’avenir commune? La notion de «biens publics mondiaux» agrège toutes les bonnes volontés et les ODD en sont la meilleure traduction opérationnelle.