1. Introduction
1. La Bulgarie est membre du Conseil
de l’Europe depuis 1992. Elle a été soumise à la procédure de suivi stricto
sensu jusqu’en 2000. Dans la
Résolution
1211 (2000) sur le respect des obligations et engagements de la
Bulgarie, l’Assemblée parlementaire a décidé de clore la procédure
complète de suivi et d’engager avec les autorités bulgares un dialogue
postsuivi «sur les questions figurant au paragraphe 4 [de la
Résolution 1211 (2000)], ou toute autre question relevant des obligations de
la Bulgarie en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe».
2. Depuis, la commission de suivi a présenté seulement deux rapports
sur les progrès réalisés par la Bulgarie: en 2010 et en 2013
. Les corapporteurs actuels, Frank
Schwabe et Zsolt Németh, ont été nommés respectivement en 2015 et
2016. Nous avons mené trois visites d’information à Sofia: en 2015,
2016 et 2018. Lors de deux visites à Bruxelles (en 2017 et 2019),
nous avons en outre rencontré les responsables du mécanisme de coopération
et de vérification (MCV) au sein de la Commission européenne. Nous
avons également participé aux missions d’observation des élections
présidentielle et législatives conduites par l’Assemblée en 2016
et 2017 respectivement. Nous avons présenté à la commission deux
rapports écrits d’information à la suite de nos visites d’information
de 2015 et 2016
.
3. La Bulgarie a adhéré à l’Union européenne en 2007. Au moment
de l’adhésion de la Bulgarie, la Commission européenne a mis en
place un mécanisme baptisé mécanisme de coopération et de vérification en
vue de répondre aux préoccupations en suspens, notamment dans les
domaines de la justice, de la corruption et de la criminalité organisée.
Douze rapports annuels ont été publiés jusqu’à présent – le dernier en
date a été adopté le 13 novembre 2018. Nous nous appuyons dans le
présent rapport sur les constats des rapports successifs du MCV.
En 2016, par ailleurs, cinq procureurs de plusieurs États membres
de l’Union européenne, soutenus par le service d’appui à la réforme
structurelle, ont mené à bien une analyse indépendante du modèle
structurel et fonctionnel du ministère public, comprenant un examen
de son indépendance. Nous avons pris connaissance des conclusions
de cette analyse.
4. L’Assemblée parlementaire a observé les élections successives,
notamment l’élection présidentielle de 2016 et les élections législatives
de 2017. Les rapports respectifs
des
commissions ad hoc ont été présentés à l’Assemblée et débattus par
celle-ci. Nous utilisons dans le présent rapport les conclusions
des équipes d’observation.
5. Nous nous sommes également appuyés sur les avis juridiques
concernant la loi relative au système judiciaire (adoptée en octobre
2017)
d’une part,
et les modifications du Code électoral (adoptées en juin 2017)
d’autre part,
préparés par la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) à la demande de la commission de suivi.
En outre, nous avons utilisé le rapport sur l’indépendance et l’impartialité
du pouvoir judiciaire dans les États membres du Conseil de l’Europe
préparé par le Bureau du Conseil consultatif des juges européens
(CCJE) sur proposition du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
6. Nous avons aussi pris en considération les constatations et
les conclusions des institutions et mécanismes de suivi pertinents
mis en place dans le cadre des conventions du Conseil de l’Europe
auxquelles la Bulgarie est Partie. Nous nous sommes appuyés en particulier
sur le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe sur la Bulgarie
,
le rapport de conformité établi dans le cadre du quatrième cycle
d’évaluation du Groupe d’États contre la corruption (GRECO)
,
le rapport préparé par le Groupe d’experts sur la lutte contre la
traite des êtres humains (GRETA) dans le cadre de son second cycle d’évaluation
,
le troisième avis sur la Bulgarie adopté par le Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
,
ainsi que le quatrième rapport présenté par la Bulgarie
et
la résolution du Comité des Ministres sur la mise en œuvre de la
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par
la Bulgarie
. Nous avons également pris connaissance
du rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI) sur la Bulgarie dans le cadre du cinquième cycle de monitoring
,
des conclusions de l’ECRI sur la mise en œuvre des recommandations
faisant l’objet d’un suivi intermédiaire adressées à la Bulgarie
ainsi
que des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
.
7. Lors de nos visites, nous avons rencontré les représentants
au plus haut niveau du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire
du pays, notamment le Président de la République, la Présidente
du parlement, le Premier ministre et tous les ministres concernés,
les chefs des groupes politiques au parlement, le procureur général et
le président de la Cour suprême. Ces rencontres ont offert d’excellentes
occasions de dialogue politique. Parallèlement, nous avons consacré
beaucoup de temps à des échanges de vues avec des représentants
de la société civile, dont l’expertise et l’expérience de terrain
nous ont beaucoup aidés à bien comprendre la situation sur place.
8. Nous considérons que les informations rassemblées à partir
d’une telle diversité de sources nous ont permis de préparer un
rapport objectif et équilibré, dans lequel nous nous attachons à
évaluer les progrès accomplis par la Bulgarie s’agissant du fonctionnement
des institutions démocratiques, et en particulier d’établir dans
quelle mesure les réformes entreprises par les autorités répondent
aux préoccupations formulées par l’Assemblée dans les résolutions
adoptées précédemment, si le processus de réforme est durable et
irréversible et s’il est suffisamment ancré dans la vie politique
bulgare.
9. L’avant-projet de rapport a été soumis à la commission de
suivi lors de sa réunion du 23 janvier 2019, qui a alors décidé
de l’adresser aux autorités bulgares pour commentaires. Ces derniers
nous sont parvenus le 27 avril 2019 et ont été pris en compte dans
la version révisée.
10. Enfin et surtout, nous voudrions adresser tous nos remerciements
à la délégation parlementaire bulgare auprès de l’Assemblée parlementaire
et à son Secrétariat pour l’excellente coopération relative à l’organisation de
nos visites dans le pays et son aide précieuse pour la prise de
contact avec différentes autorités et la collecte d’informations.
2. Contexte politique
11. Depuis le dernier débat sur
la Bulgarie tenu à l’Assemblée, en 2013, le pays a connu une période d’instabilité
politique. En février 2013, l’alors Premier ministre Boïko Borissov,
chef du parti de centre-droit GERB, a démissionné après que 14 personnes
eurent été blessées dans des heurts avec la police intervenus durant
des manifestations de protestation contre l’austérité. Le Président
de l’époque M. Plevneliev a alors chargé un gouvernement par intérim,
dirigé par Marin Raïkov, d’organiser des élections législatives
anticipées. Le scrutin tenu en mai 2013 a vu le GERB devancer d’une
courte tête le Parti socialiste bulgare (BSP), sans obtenir toutefois
une majorité. Les parlementaires socialistes ont apporté leur soutien
à un gouvernement technocratique emmené par Plamen Orecharski.
12. En juin et juillet 2013, le pays a été secoué par des manifestations
massives suite à la nomination à la tête de la sécurité nationale
du magnat controversé de la presse Delyan Peevski, et ensuite quand
la nomination a été rejetée par le parlement pour corruption. Au
plus fort de la protestation, le parlement s’est retrouvé bloqué
et des affrontements ont eu lieu avec la police.
13. Le Premier ministre Plamen Orecharski a démissionné en juillet
2014, ouvrant la voie à la tenue d’élections anticipées. En octobre
2014, une élection anticipée peu concluante a donné naissance à
un parlement divisé en huit partis. En novembre 2014, Boïko Borissov
a formé un gouvernement de coalition rassemblant notamment le GERB
et une formation de centre-droit, le Bloc réformateur.
14. Le premier tour de la dernière élection présidentielle en
date s’est tenu le 6 novembre 2016. Les deux candidats arrivés en
tête au premier tour, M. Roumen Radev, représentant le BSP, et Mme Tsetska
Tsatcheva, représentant la majorité au pouvoir, ont obtenu respectivement
25,4 % et 21,97 % des suffrages. Lors du second tour tenu le 13
novembre 2016, 59,3 % (2 063 032) des voix se sont portées sur M. Radev
et 36,1 % (1 256 485) sur Mme Tsatcheva.
Le bulletin «aucun des deux» a été choisi par 4,47 % des électeurs.
La participation a été de 50,44 %.
15. La commission ad hoc constituée par l’Assemblée parlementaire
pour observer l’élection présidentielle en Bulgarie a conclu que
le scrutin avait été bien organisé et que les libertés fondamentales
avaient été respectées. La campagne a été concurrentielle et a permis
de renforcer la confiance du public dans le processus électoral.
16. Parallèlement à l’élection présidentielle de 2016, un référendum
portant sur les modifications à apporter au système électoral et
au financement des partis politiques a été tenu. Cette consultation
avait été organisée à la suite d’une pétition lancée par un présentateur
d’émissions télévisées qui avait recueilli la signature de plus
de 600 000 personnes (le seuil pour la tenue d’un référendum étant
fixé en Bulgarie à 400 000 signatures).
17. En juillet 2016, la Cour constitutionnelle de Bulgarie avait
rejeté à l’unanimité trois des six questions proposées pour le référendum.
Elles portaient sur: 1) la mise en place du vote électronique pour
les élections et les référendums; 2) la réduction du nombre de parlementaires
de 240 à 120; 3) l’élection des chefs des directions régionales
du ministère de l’Intérieur au scrutin majoritaire à deux tours
avec nécessité d’obtenir la majorité absolue au deuxième tour. La
Cour constitutionnelle a rejeté la question concernant la diminution
du nombre de parlementaires au motif qu’une décision en la matière
était du ressort d’une Grande Assemblée nationale.
18. Les trois questions retenues pour le référendum du 6 novembre
portaient sur l’instauration du scrutin majoritaire pour les élections
législatives, l’instauration du vote obligatoire et la diminution
des subventions de l’État aux partis et alliances politiques, passant
à un lev (environ 50 centimes d’euro) par vote valide.
19. Le 13 novembre 2016, le Premier ministre Borissov, chef du
parti GERB, qui soutenait Mme Tsatcheva, a
démissionné. Un gouvernement par interim a été formé. Le président
élu Roumen Radev a pris ses fonctions le 22 janvier 2017. Deux jours
plus tard, il a dissous l’Assemblée nationale et convoqué des élections législatives
anticipées.
20. Les élections législatives anticipées se sont tenues le 26
mars 2017. Cinq partis ou coalitions ont franchi la barre des 4 %:
Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB) –
95 sièges (32,65 % des suffrages); le Parti socialiste – 80 sièges
(27,2 %); le Front patriotique – 27 sièges (9,07 %); le Mouvement
des droits et libertés – 26 sièges (8,99 %); Volya (Volonté) – 12
sièges (4,15 %). Les partis de la droite «traditionnelle» Union
des forces démocratiques (UDF), Démocrates pour une Bulgarie forte
(DSB) et le Bloc réformateur n’ont pas atteint le seuil de 4 % des
suffrages. La participation a été de 54,07 %.
21. La délégation d’observation de l’Assemblée a conclu que les
électeurs avaient pu faire leur choix librement le jour du scrutin.
Le vote a été généralement bien organisé, bien que certaines lacunes
procédurales aient été relevées lors du dépouillement.
22. Rassemblant le GERB et le Front patriotique (UP), un nouveau
gouvernement, conduit par M. Boïko Borissov (dont c’était le troisième
mandat de Premier ministre), a pris ses fonctions en mai 2017.
23. La dynamique politique a été marquée par l’effort de la coalition
au pouvoir (GERB et UP) de rapprocher les points de vue sur les
principaux enjeux et de préserver ce consensus, et par la confrontation
entre le GERB et le BSP. Cette confrontation a pris une nouvelle
dimension avec l’arrivée au pouvoir du président Roumen Radev, qui
a adopté une approche beaucoup plus offensive et politique que son
prédécesseur, en suivant de près le processus législatif et en exerçant
son droit de veto.
24. Malheureusement, depuis février 2019, l'opposition BSP boycotte
les travaux du parlement. Les changements initiés par le gouvernement
et introduits par le Parlement en février 2019, notamment le durcissement
du système de vote préférentiel, ont conduit à ces tensions politiques
internes. Le BSP s'est retiré du Parlement et l'unité de la coalition
gouvernementale s'est effondrée. Le 18 février 2019, le premier ministre
bulgare a déclaré qu’il s’efforcerait de rétablir les limites d’origine
du système de vote préférentiel mais sa déclaration n’a pas changé
la position du BSP. Ces développements pourraient avoir un impact
négatif sur les progrès et pourraient affaiblir les processus démocratiques
dans le pays.
25. La Bulgarie a assuré la présidence tournante du Conseil de
l’Union européenne durant le premier semestre de l’année 2018. Elle
avait fixé quatre domaines de priorité pour sa présidence: le renforcement
de la coopération avec les Balkans occidentaux et l’encouragement
au développement dans cette région; la stabilité et la sécurité,
en mettant l’accent sur la question des migrations et sur les contrôles
aux frontières; l’avenir de l’Europe et la jeunesse, en s’attachant
particulièrement à la croissance économique et à la cohésion sociale;
et l’économie numérique dans un marché numérique unique.
26. Événement majeur dans le domaine de la politique étrangère,
la Bulgarie a signé avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
un traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération. Ce traité
vient conclure 18 années de négociations et marque un grand pas
en avant.
27. Les autorités bulgares demandent à entrer dans l’espace Schengen
depuis l’adhésion du pays à l’Union européenne, en 2007. Selon la
Commission européenne, le pays remplit les conditions techniques
attendues et les conclusions du Conseil européen ont confirmé son
degré de préparation.
28. La Bulgarie présente le plus faible produit intérieur brut
(PIB) par habitant et le plus bas revenu médian de l’Union européenne.
La conséquence est l’émigration massive des Bulgares, en particulier
ceux ayant un bon niveau d’études et de bonnes compétences professionnelles,
qui cherchent de meilleures perspectives dans d’autres pays. Selon
les statistiques officielles, 17 % des lycéens bulgares choisissent
de suivre des études universitaires à l’étranger, où ils finissent
généralement par s’installer.
3. Problèmes
persistants soulevés dans le dernier rapport
29. Dans le dernier rapport sur
la Bulgarie, qui a fait l’objet d’une discussion en janvier 2013,
l’Assemblée a salué les progrès substantiels faits par la Bulgarie
vers l’accomplissement de ses obligations non encore respectées.
Elle a aussi noté avec satisfaction que les autorités bulgares montraient
une volonté et un engagement politiques soutenus pour honorer pleinement
les obligations et engagements qui s’imposent à la Bulgarie en tant
que membre du Conseil de l’Europe.
30. Dans le même temps, l’Assemblée observait que malgré des progrès
importants en ce qui concerne le cadre législatif et malgré les
réformes déterminantes mises en place, certaines mesures devaient
encore être prises, en particulier s’agissant de l’indépendance
de la justice et de la lutte contre la corruption. D’autres sujets de
préoccupation, notamment les pratiques abusives exercées par les
forces de l’ordre, l’indépendance des médias et, plus généralement,
des violations des droits de l’homme, étaient également mentionnés.
31. Nous allons revenir dans les parties suivantes sur les problèmes
persistants mis en lumière par le dernier rapport, et ferons le
point sur les progrès accomplis depuis
3.1. Fonctionnement
de l’appareil judiciaire
32. Le dernier rapport sur la Bulgarie
présenté par la commission de suivi à l’Assemblée, en 2013, reconnaissait
que d’importants progrès avaient été accomplis dans le domaine de
l’indépendance de la justice depuis le précédent débat, en 2010.
Il faisait toutefois état d’un certain nombre de problèmes persistants,
liés notamment au fonctionnement et à la composition du Conseil
supérieur de la magistrature (CSM) et de l’Inspection, aux nominations
aux postes élevés de la magistrature et à la réforme du Code pénal.
33. Adoptée par le gouvernement en fonction en 2014, la stratégie
de réforme judiciaire a été approuvée à une large majorité au parlement
en 2015. Elle devait s’achever en 2020 et demeure le cadre général
dans lequel s’inscrit la poursuite du processus de réforme judiciaire
en Bulgarie. Il apparaît clairement, toutefois, que l’instabilité
politique qu’a connue le pays entre 2013 et 2017 a eu des conséquences
négatives en termes de possibilités de réforme. La volonté du gouvernement
actuel de poursuivre dans la bonne direction n’est pas en cause,
mais sa détermination à agir vite en matière législative soulève
des préoccupations fondées quant à la qualité du processus lui-même
et ce sur quoi il va déboucher.
34. Des représentants de la société civile rencontrés lors de
notre visite ont déploré que d’importants projets de textes législatifs
ne fassent pas l’objet d’un large débat public ni de consultations
suffisantes auprès de toutes les parties prenantes. La suite réservée
à l’initiative parlementaire de juillet 2017 illustre bien les risques inhérents
à toute procédure menée de façon hâtive: un projet de modification
de la loi sur le système judiciaire a été déposé sans consultation
ni débat public préalables. De nombreuses critiques ont été exprimées
sur les dispositions proposées, que beaucoup ont vu comme une menace
contre l’indépendance de la justice. Certaines des dispositions
les plus critiquées (en particulier celles qui auraient restreint
l’accès des organisations professionnelles de magistrats à des financements
étrangers) ont fini par être retirées, tandis que d’autres tout
aussi controversées ont été adoptées, notamment celle prévoyant
la suspension obligatoire, sans possibilité de recours, de tout
magistrat faisant l’objet d’une information judiciaire, ou celle
faisant obligation aux magistrats de déclarer leur appartenance
à une organisation professionnelle
. Le parlement
a approuvé en octobre 2017 de nouvelles modifications de la loi,
qui corrigeaient certains problèmes liés aux dispositions prises
en juillet. Adoptées dans le cadre d’initiatives parlementaires,
ces nouvelles dispositions n’avaient malheureusement pas davantage
fait l’objet de consultations ou d’un débat public.
35. On peut aussi citer l’exemple des modifications du Code de
procédure administrative qui ont été adoptées de manière précipitée
à la mi-2018, malgré les critiques de la société civile qui soulevait
des inquiétudes concernant l’accès à la justice, et auxquelles le
président avait opposé son veto. La Cour constitutionnelle a été
saisie d’une requête en inconstitutionnalité
.
36. Nous sommes fermement convaincus qu’un processus législatif
conduit de manière adéquate, associant toutes les parties prenantes
et donnant toute sa place à un large débat public est, entre autres,
l’un des éléments essentiels garantissant des réformes durables
et irréversibles. Faire l’impasse sur cette phase préparatoire de
la réforme risque de conduire non seulement à l’adoption de lois
de faible qualité, mais aussi à l’instauration d’un climat d’incertitude
et à un manque d’appropriation. Les gains de temps sont de plus illusoires,
comme on vient de le voir.
37. Cela étant, nous devons reconnaître que dans l’ensemble les
récentes réformes ont indéniablement fait progresser les choses
dans le domaine de la justice et ont pris en compte la plupart des
problèmes recensés dans la
Résolution
1915 (2013) sur le dialogue postsuivi avec la Bulgarie, améliorant
ainsi l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’une des recommandations
essentielles de l’Assemblée a été satisfaite à la suite des modifications
de la loi sur le système judiciaire adoptées en 2015 et 2016: le
CSM a été divisé en deux chambres (ou collèges), l’une pour les
juges et l’autre pour les procureurs, exerçant en toute indépendance leurs
pouvoirs de nomination et de sanction disciplinaire à l’égard des
juges, des procureurs et des magistrats instructeurs.
38. La formation plénière du CSM a ainsi perdu la plupart de ses
pouvoirs de nomination, de révocation et de sanction, qui ont été
confiés aux chambres respectives, conformément aux recommandations
formulées par la Commission de Venise qui a considéré qu’il s’agissait
là d’une mesure essentielle pour parvenir à l’indépendance du pouvoir
judiciaire
. La Commission
de Venise a en particulier salué le fait que la nomination des juges,
à l’exception du président de la Cour suprême de cassation, du président
de la Cour suprême administrative et du procureur général, étaient
du ressort des chambres respectives du CSM.
39. La Commission de Venise a toutefois regretté dans son avis
que la réforme n’ait pas été faite de manière à assurer la pleine
conformité avec la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres
sur les «Juges: indépendance, efficacité et responsabilités», indiquant
qu’«au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être
des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir
judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système
judiciaire». Dans sa composition actuelle, le CSM n’est en effet
pas conforme à ce critère dans la mesure où les juges élus par leurs
pairs sont en minorité au sein de la formation plénière: ils ne
disposent que de six voix sur 25. Même dans la chambre des juges,
les juges élus par leurs pairs représentent moins de la moitié de
l’ensemble des membres: sur les 14 membres de la chambre, six sont
élus par des juges, six le sont par l’Assemblée et deux sont membres
de droit.
40. La proportion de juges élus par leurs pairs par rapport à
l’ensemble des membres du CSM est un élément essentiel car même
si la formation plénière a moins de prérogatives qu’auparavant,
elle conserve d’importants pouvoirs vis-à-vis des membres de l’appareil
judiciaire. Elle peut par exemple proposer des candidats aux postes
de président de la Cour suprême de cassation et de président de
la Cour suprême administrative (la nomination est du ressort du
chef de l’État) et révoquer des membres élus issus du corps judiciaire.
41. Dans son dernier avis sur la composition du CSM
,
la Commission de Venise a également fait état de sa préoccupation
concernant le fait que les procureurs, et en particulier le procureur
général, jouaient toujours un rôle important dans la gouvernance
des juges au sein du CSM. La Commission de Venise envisageait plusieurs
solutions à ce problème. La chambre des juges pourrait par exemple
se voir attribuer une partie des prérogatives du CSM plénier à l’égard
des juges (en particulier le pouvoir de nommer/révoquer les deux présidents
et de révoquer les membres élus issus du corps judiciaire). Une
autre solution serait que ces décisions soient prises à la «double
majorité» des membres élus issus du corps judiciaire et de la formation plénière
du CSM
.
42. La recommandation concernant la composition du CSM demeure
par conséquent valide
.
43. La réforme est venue considérablement améliorer la procédure
d’élection des membres du CSM, conformément aux recommandations
de l’Assemblée. L’un des progrès importants est que les 11 membres
du «quota judiciaire» sont directement élus par les juges et les
procureurs selon le principe «un magistrat – une voix». De plus,
l’élection des 11 membres du «quota parlementaire» se fait désormais
à la majorité des deux tiers, conformément à la recommandation que
nous avons formulée sur la base de l’avis de la Commission de Venise.
44. L’élection des membres au titre du quota judiciaire était
achevée en juin 2017. Grâce à un système de vote électronique, le
taux de participation a été très élevé. Par ailleurs, selon nos
interlocuteurs, le scrutin a donné de l’avis général un résultat
juste et reflétant les préférences de l’ensemble du corps des magistrats. L’élection
des membres au titre du quota parlementaire s’est achevée à l’Assemblée
nationale en septembre 2017. La condition de la majorité des deux
tiers a permis l’élection de personnes ayant recueilli les voix
d’un large éventail de parlementaires, y compris des membres de
l’opposition. Les 18 candidatures avaient été présentées en juin
2017, ce qui a laissé le temps d’un débat public.
45. Cela étant, nous avons entendu lors de notre visite des critiques
de la société civile concernant cette partie de la procédure. En
premier lieu, certains avaient l’impression que les grands partis
politiques s’étaient mis d’accord au préalable et que le résultat,
déterminé à l’avance, ne reflétait pas une prise en considération objective
des mérites des différents candidats. Deuxièmement, certains nous
ont dit que les auditions publiques devant la commission des affaires
juridiques du parlement n’avaient pas ménagé le temps suffisant pour
que toutes les questions aux candidats soient abordées, et que des
points fondamentaux soulevés par des représentants de la société
civile n’avaient pas été traités. En application de la loi, ces
questions ont été publiées sur le site web du parlement.
46. Il reste que la procédure dans son ensemble s’est grandement
améliorée par rapport à l’élection du précédent CSM, en 2012, et
a intégré les recommandations de l’Assemblée. Le nouveau CSM est
entré en fonction le 3 octobre 2017.
47. La nomination des chefs de juridiction et des chefs de parquet
figure parmi les principales fonctions du CSM. La réforme de 2016
a donné aux tribunaux le pouvoir de désigner, lors d’une assemblée
générale organisée dans chacun d’eux, les candidats à ces postes
– la décision finale étant du ressort de la chambre des juges du
CSM. Celle-ci peut toutefois aussi examiner des candidatures indépendantes
et des candidatures transmises directement par le ministère de la
Justice. Compte tenu des réserves formulées précédemment sur la
composition du CSM, et de la recommandation de la Commission de
Venise selon laquelle seules les assemblées générales de magistrats
devraient avoir le pouvoir de soumettre des candidatures à la chambre des
juges, cette disposition continue de poser problème. Le CSM désigne
aussi des candidats pour les trois plus hauts postes de la magistrature
bulgare, à savoir la présidence des deux cours suprêmes et le poste
de procureur général. Ces candidatures sont ensuite soumises à l’approbation
du chef de l’État.
48. L’une des premières tâches du nouveau CSM a été l’élection
du président de la Cour suprême administrative. La procédure avait
été lancée en juillet 2017 et le scrutin s’était tenu en septembre
2017 au sein du CSM sortant. Un candidat avait été choisi dans le
cadre d’une nouvelle procédure, plus transparente, mise en place
à la suite de l’adoption en 2016 de modifications à la loi sur le
système judiciaire. Le Président, à qui il appartient de faire la
nomination officielle, a toutefois décidé d’attendre l’entrée en
fonction du nouveau CSM. Le 19 octobre 2017, celui-ci a confirmé
le choix du candidat à une large majorité.
49. Le CSM a depuis nommé plusieurs chefs de juridiction sans
que cela ne soulève apparemment de polémique majeure. Toutes les
nominations se font dans le cadre d’une même procédure transparente comprenant
une audition publique, la présentation par le candidat d’un document
de fond dans lequel il expose les objectifs qu’il entend poursuivre
une fois en poste, ainsi qu’une déclaration de patrimoine et d’intérêts.
Les relevés de vote sont désormais publics. Cette transparence,
qui constitue une rupture majeure avec la situation antérieure,
a été instaurée pour garantir le contrôle de l’opinion publique
et permettre une comparaison entre les mérites respectifs des différents
candidats.
50. En mars 2018, le vote pour la nomination à la présidence du
tribunal de la ville de Sofia s’est soldé par une égalité des voix
au sein de la chambre des juges du CSM. Une nouvelle procédure de
nomination est en cours afin de départager les deux candidats au
poste. Une autre procédure a été lancée pour le poste de président
de la juridiction spécialisée dans les affaires de criminalité organisée,
et d’autres encore sont en préparation pour pourvoir les postes
à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, en commençant par
la Cour suprême de cassation avant de poursuivre par les juridictions
inférieures. Cela constitue aussi un important progrès par rapport
à la pratique antérieure qui consistait à recourir à des mises à
disposition de longue durée pour éviter la promotion officielle
de juges.
51. Malheureusement, une autre recommandation formulée de longue
date concernant la suppression ou la réduction de la période probatoire
de cinq ans imposée aux juges n’a pas été mise en œuvre. Une recommandation
similaire a été formulée par le GRECO dans le rapport du quatrième
cycle d’évaluation. Lors de notre entretien au ministère de la Justice,
il nous a été dit que cette question relevait de la Constitution
et ne pouvait de ce fait être concernée par
les modifications adoptées en 2016 sur le fonctionnement du CSM. Nous
réaffirmons cependant que les périodes probatoires présentent par
principe de sérieuses difficultés du point de vue de l’indépendance
du pouvoir judiciaire. Lorsqu’elles sont prévues par la loi, elles
ne doivent pas excéder le temps nécessaire pour évaluer les compétences
d’un juge.
52. En revanche, nous avons noté avec satisfaction que les modifications
adoptées en 2016 avaient répondu à une autre préoccupation de l’Assemblée
concernant les défaillances du système d’évaluation des juges, l’absence
de normes claires et cohérentes pour l’évaluation des résultats
et d’autres difficultés liées à l’évolution de carrière des magistrats.
Sur proposition de la chambre des juges, la plénière du CSM a adopté le
Règlement sur les indicateurs, la méthodologie et la procédure pour
l’évaluation d’un juge, président ou vice-président d’un tribunal.
Cette procédure qui vise à permettre une meilleure évaluation des
juges avant qu’ils soient nommés à vie comprend des normes et des
indicateurs de conformité avec le Code de déontologie, dont le contrôle
supplémentaire de la déclaration de patrimoine, des conflits d’intérêts
et des récusations liées à l’obtention d’une confirmation pour la
nomination à vie.
53. En outre, la plénière du CSM a adopté, en 2017, le Règlement
pour les concours aux postes de magistrat et l’élection des chefs
administratifs des organes judiciaires, qui précise les indicateurs
et la méthodologie à utiliser pour conduire l’évaluation d’un juge,
d’un procureur ou d’un magistrat instructeur. Les évaluations des
juges, quelles qu’elles soient, sont toutes conduites par la Commission
des évaluations et des concours auprès de la chambre des juges du
CSM. Une réponse a donc été apportée aux préoccupations de l’Assemblée
concernant la nomination et l’évaluation des juges. Comme nous l’avons
expliqué plus haut, ce sont les chambres respectives du CSM qui
procèdent aux nominations à des fonctions judiciaires. De plus,
la Commission de Venise s’est félicitée de l’application de critères
objectifs et du fait qu’une majorité de juges siégeaient automatiquement
dans les commissions chargées des concours.
54. La question de la nomination et de l’évaluation des juges
est liée à celle de l’efficacité de la justice et de la pratique
judiciaire, qui avait été soulevée dans le précédent rapport sur
la Bulgarie. La dernière résolution portait sur la question des
retards de publication des motifs de décision et recommandait la
mise en place d’un système unique et efficace d’affectation aléatoire
et nationale des affaires, et la définition de critères clairs pour évaluer
la complexité des affaires et leur incidence sur la répartition
du volume de travail. Nous sommes heureux de constater que ces recommandations
ont été mises en œuvre de façon satisfaisante.
55. En décembre 2015, le CSM a adopté les Règles pour l’évaluation
du volume de travail des juges, qui sont entrées en vigueur en avril
2016. Ces règles donnent des indicateurs objectifs pour évaluer
la complexité juridique et factuelle des affaires et fixent les
modalités permettant de déterminer le volume individuel de travail ainsi
que les limites de la charge normale de travail des juges. Le «système
de calcul du volume de travail des juges» a été établi à partir
de ces règles. Il est intégré dans le «système centralisé de répartition
des affaires». Les deux systèmes garantissent l’absence d’interférence
humaine à la fois dans le processus d’attribution aléatoire des
affaires et dans le processus de rapport sur la charge individuelle
de travail. Nous saluons ce changement qui permet une attribution
juste et équitable des affaires.
56. De façon complémentaire, le CSM a pris, en coopération avec
le service d’appui à la réforme structurelle de la Commission européenne,
des initiatives pour redistribuer la charge de travail des tribunaux
les plus engorgés, généralement situés à Sofia, vers d’autres tribunaux.
Cette approche a déjà abouti à des modifications concrètes adoptées
depuis peu par le parlement. Parallèlement à ces initiatives législatives,
le CSM a récemment lancé plusieurs procédures en vue du transfert
de postes judiciaires vers les principaux tribunaux de Sofia
.
57. Ce point nous amène à une autre préoccupation formulée par
l’Assemblée, qui concerne l’obligation pour les membres du corps
judiciaire de rendre compte de leurs actes, et plus spécifiquement
les procédures disciplinaires, qui a été prise en compte d’une manière
satisfaisante. En 2016, la chambre des juges du CSM a approuvé les
Règles pour l’organisation et les activités des commissions de déontologie
des tribunaux. En cas d’infraction au Code de déontologie, la commission
doit informer les organes habilités à lancer une procédure (le président
du tribunal, le haut responsable administratif, l’Inspection du
CSM et le ministre de la Justice), ainsi que la chambre des juges
du CSM. Selon les modifications adoptées, celle-ci a le pouvoir d’imposer
des sanctions disciplinaires aux juges.
58. À la suite des modifications concernant le CSM qui ont été
adoptées en 2015, l’Inspection du Conseil supérieur de la magistrature
(l’Inspection), un organe subsidiaire du Conseil, s’est vue dotée
de pouvoir accrus sur les questions d’intégrité, pour la vérification
des déclarations d’intérêts et de patrimoine des magistrats ainsi que
pour les opérations de contrôle dans les cas où l’intégrité des
magistrats est mise en cause. Son rôle a également été renforcé
en ce qui concerne les procédures disciplinaires. Elle est compétente
pour examiner presque tous les aspects des activités des tribunaux,
des parquets, et des juges et procureurs pris individuellement,
et notamment l’organisation interne et l’organisation du travail,
la cohérence de la jurisprudence, la situation financière des magistrats
ainsi que leur patrimoine, leur comportement dans la sphère privée,
etc.
59. Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, en octobre 2016,
la commission de suivi a sollicité l’avis de la Commission de Venise.
Celle-ci a estimé dans son avis
, que les pouvoirs
accrus de l’Inspection peuvent constituer une menace pour l’indépendance
de la justice. Même si le pouvoir de décision officiel appartient toujours
au CSM, le fait de confier à l’Inspection autant de nouvelles fonctions,
qui viennent souvent chevaucher celles du CSM, peut avoir pour conséquence
un transfert de fait du pouvoir dévolu au CSM.
60. Dans ce contexte, le mode d’élection des membres de l’Inspection
(l’inspecteur général et 10 inspecteurs) est d’une importance fondamentale.
Tous sont élus par le parlement à la majorité des deux tiers. La
nécessité de trouver un compromis au parlement devrait donner lieu
à la désignation de personnalités neutres, mais dans le contexte
bulgare toutes les réserves formulées à propos de l’élection des
membres du CSM au titre du quota parlementaire s’appliquent ici
aussi. Nos interlocuteurs de la société civile ont déploré les marchandages
politiques qui conduisent à une situation dans laquelle il y a toutes
les chances que chaque inspecteur soit redevable de quelque obligation
politique vis-à-vis d’un parti ou d’un autre
.
61. L’avis de la Commission de Venise contient des recommandations
concrètes sur les procédures de nomination et de révocation des
inspecteurs, et sur la séparation des pouvoirs entre l’Inspection
et le CSM. La Commission préconise aussi une nouvelle clarification
des règles régissant les procédures d’inspection et les procédures
disciplinaires.
62. À la suite de cet avis, les autorités bulgares ont élaboré,
en coopération avec le service d’appui à la réforme structurelle
de la Commission européenne, un projet visant au renforcement des
capacités de l’Inspection pour le traitement des questions liées
à l’intégrité des magistrats. Ce projet, mis en œuvre par le Conseil
de l’Europe, a été lancé à la fin de l’année 2018 pour s’achever
en 2019.
63. En attendant, l’Inspection a entrepris ses nouvelles tâches.
Depuis le 1er janvier 2017, tous les magistrats
doivent présenter une déclaration de patrimoine et d’intérêts. Outre
les éléments concernant leurs biens et avoirs, celle-ci doit comporter
les informations sur une éventuelle participation à des entreprises commerciales
ou à des organes de contrôle et de gestion d’entreprises commerciales
ou de personnes morales à but non lucratif, et sur tout contrat
avec des personnes exerçant des activités dans un domaine lié aux
fonctions officielles du magistrat. La déclaration doit être soumise
dans le mois suivant la prise de fonctions, tous les ans avant le
15 mai, dans le mois qui suit la cessation de fonctions et dans
le mois qui suit le premier anniversaire de la date de cessation
de fonctions. L’Inspection a reçu et publié les déclarations de patrimoine
et d’intérêts de plus de 4 000 magistrats concernés par les nouvelles
règles. Des procédures ont été entamées contre les magistrats qui
n’ont pas soumis leur déclaration.
64. L’Inspection a été dotée de moyens supplémentaires afin d’enquêter
sur d’éventuels conflits d’intérêts et sur les avoirs personnels
des magistrats. Elle dispose d’un accès direct aux bases de données
électroniques du gouvernement central et des collectivités locales,
ainsi qu’aux autorités judiciaires et à d’autres institutions; elle
peut demander des informations complémentaires à ces organes, qui
ont l’obligation de répondre dans un délai d’un mois. Elle peut
en outre demander la divulgation de données protégées par le secret
bancaire ou le secret de l’assurance, ainsi que d’informations de
nature fiscale ou liées à l’assurance sociale.
65. L’Inspection tient des registres publics en ligne où peuvent
être signalés des cas potentiels de conflit d’intérêts, de fausses
déclarations ou de pratiques corrompues de la part de magistrats.
Elle reçoit aussi des signalements sur le travail des magistrats,
mais jusqu’à présent un petit nombre seulement ont donné lieu à des
investigations, car les informations données n’étaient pas complètes,
a-t-il été expliqué. L’Inspection ne peut pas intervenir à partir
d’un signalement anonyme, ou d’un signalement ne comportant pas
suffisamment d’éléments concrets. Quant au suivi, elle peut inviter
le magistrat concerné à un entretien, mais l’intéressé n’est pas
légalement obligé de se présenter. Plus généralement, les pouvoirs
d’enquête de l’Inspection sont limités. Il s’ensuit que seul un
très petit nombre de signalements reçus jusqu’à présent ont débouché
sur l’ouverture d’une procédure d’inspection et sur la mise au jour
d’irrégularités. Le nombre de procédures disciplinaires conduites
est encore plus faible.
66. Lors de notre visite nous avons entendu des critiques émanant
de la société civile quant aux capacités de l’Inspection de vérifier
efficacement l’existence potentielle d’un conflit d’intérêts. Il
apparaît en outre que le système de signalement ne s’est pas révélé
efficace jusqu’à présent.
67. Une disposition adoptée dans le cadre des modifications récentes
oblige désormais le CSM à publier tous les ans un rapport sur l’autonomie
et la transparence de la pratique judiciaire et de sa propre pratique.
Ce rapport est soumis au débat public. Cette nouvelle mesure répond
à la recommandation formulée par l’Assemblée.
68. En conclusion, nous constatons que les modifications de la
loi sur la justice et des autres dispositions concernant le fonctionnement
du CSM qui ont été adoptées en 2015 et 2016 constituent un progrès
très important vers le plein respect par la Bulgarie de ses obligations
et engagements.
69. En ce qui concerne le procureur général, la Commission de
Venise a soulevé dans son dernier avis la question de l’obligation
de rendre des comptes. Pour renforcer cette obligation, indiquait-elle,
le CSM devrait mettre en place une procédure permettant la tenue
d’une enquête effective et indépendante lorsque des manquements
sont reprochés au procureur général. De plus, les fonctions et pouvoirs
du parquet ne touchant pas au domaine pénal devraient être strictement
limités. Enfin, la suspension des juges faisant l’objet d’une enquête
devrait être soumise au contrôle effectif de la chambre des juges
du CSM.
70. Sur ce dernier point, nous avons été informés au ministère
de la Justice que de nouvelles dispositions avaient été adoptées
en octobre 2017 pour que le CSM dispose d’une marge d’appréciation
lui permettant de se prononcer sur le fond dans les affaires où
il n’y a pas d’infraction liée aux responsabilités officielles du magistrat,
et pour permettre la saisine de la Cour suprême administrative.
71. Lors de notre entretien avec le procureur général à l’occasion
de la dernière visite que nous avons effectuée dans le pays, nous
avons appris qu’une étude indépendante du modèle structurel et fonctionnel
du parquet avait été conduite en 2016 par cinq experts indépendants
de l’Union européenne – des procureurs venus d’Allemagne, d’Espagne,
des Pays-Bas et du Royaume-Uni et intervenant sous l’égide du service d’appui
à la réforme structurelle à la demande des autorités bulgares. Lors
de leurs sept visites dans le pays, ces experts internationaux se
sont entretenus avec plus de 200 personnes, parmi lesquelles des
magistrats, des policiers, des avocats, des journalistes d’investigation
et des représentants de la société civile. Ils ont élaboré un rapport
comportant un certain nombre de recommandations en matière de pratique
judiciaire au parquet, dans les tribunaux, au CSM, à l’Inspection
et au ministère de la Justice. À la suite de l’étude, le procureur
général a publié en 2017 un plan d’action pour la mise en œuvre
des recommandations figurant dans l’étude indépendante sur le parquet.
Une feuille de route a été élaborée avec le ministère de la Justice.
72. Selon le procureur général, la mise en œuvre des recommandations
a beaucoup avancé. Suite aux amendements à la loi relative au système
judiciaire, le procureur général présente tous les six mois à la chambre
des procureurs du CSM, à l’Inspection et au ministère de la Justice,
une synthèse faisant état des affaires ouvertes, closes et en cours.
Il soumet en outre à la formation plénière du CSM un rapport annuel
sur la mise en œuvre de la législation et sur la pratique judiciaire
au parquet et chez les magistrats instructeurs. Les membres du Conseil
peuvent poser des questions écrites concernant le rapport envoyées
par des particuliers, des institutions et des organisations non
gouvernementales (ONG). Le rapport est publié sur le site web du
ministère public. Le CSM le communique au parlement. Le procureur
général est auditionné par la commission des affaires juridiques
tous les trois mois. Le procureur général estime que toutes ces
mesures ont renforcé l’obligation de rendre compte liée à sa fonction.
73. Il nous a aussi été expliqué que le groupe de travail chargé
par le ministère de la Justice de préparer des propositions de modification
du Code pénal et du Code de procédure pénale (voir le paragraphe
83 infra) examinait la question des procédures permettant d’amener
les titulaires des plus hautes fonctions de la magistrature, y compris
un procureur général en exercice, à rendre compte de leurs actes
en cas d’allégations de manquements graves ou d’infractions pénales.
74. Enfin, nous avons été informés que, dans un objectif de transparence
et de responsabilité, le ministère de la Justice publiait depuis
le début de 2017 un rapport semestriel sur l’avancée de la mise
en œuvre de la stratégie de réforme judiciaire. Avant leur publication,
les rapports provisoires font l’objet de consultations et de discussions
auxquelles participent des représentants des institutions concernées
par la mise en œuvre de la stratégie, ainsi que des organisations
de professionnels et non gouvernementales. Un organe consultatif spécifique,
le Conseil de la réforme judiciaire, a été créé à cette fin sous
l’égide du ministère de la Justice. Ces mécanismes viennent compléter
utilement les consultations officielles sur les initiatives législatives.
75. Le rapport préparé au titre du mécanisme de coopération et
de vérification de l’Union européenne qui a été publié en novembre
2018 a jugé positif le processus de réforme judiciaire, en particulier
en ce qui concerne l’élection et le fonctionnement du CSM et de
l’Inspection. Dans ses conclusions, la Commission européenne a indiqué
qu’elle estimait pouvoir clôturer avant la fin du mandat de la Commission
actuelle le processus lancé au titre de ce mécanisme à propos de
la Bulgarie, si la tendance positive se maintenait.
76. Les représentants de la société civile avec qui nous nous
sommes entretenus lors de notre visite ont exprimé un avis plus
mesuré. Tout en reconnaissant que des progrès indéniables avaient
été faits en matière d’indépendance de l’appareil judiciaire, ils
ont souligné qu’il était trop tôt pour pouvoir évaluer toutes les incidences
des réformes et de la mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives.
77. Les résultats du sondage d’Eurobaromètre, qui montre que en
2017, 74 % des Bulgares tendaient à ne pas faire confiance à la
justice et au système judiciaire de leur pays, et que 18 % y faisaient
confiance vont dans le même sens que les critiques qui précèdent.
Il s’agit du taux le plus bas de l’Union européenne.
3.2. Le
cadre juridique
78. Dans le dernier rapport sur
la Bulgarie, l’Assemblée demandait aux autorités bulgares d’achever
les travaux sur un nouveau code pénal, en coopération étroite avec
des experts juridiques du Conseil de l’Europe. Le cadre juridique
alors en vigueur, et en particulier certaines dispositions du Code
de procédure pénale et du Code pénal, constituaient des obstacles
empêchant les autorités judiciaires de mener des enquêtes et des poursuites
dans les affaires de corruption à un haut niveau et de criminalité
organisée.
79. En 2016, le ministère de la Justice, appuyé par les services
du procureur général et d’autres organes de l’appareil judiciaire,
a préparé un projet de modification du Code de procédure pénale.
En raison des événements politiques qu’a connus alors la Bulgarie,
le projet n’a toutefois pas été porté plus avant dans le processus
législatif. En juin 2017, le nouveau gouvernement du Premier ministre
M. Boïko Borissov a déposé le projet au parlement, qui l’a adopté
sans attendre, en juillet 2017.
80. Les nouvelles dispositions visaient à résoudre le problème
des lenteurs de la procédure pénale, notamment en limitant la possibilité
pour les tribunaux de renvoyer les affaires devant le parquet pour
des raisons de forme. Un autre changement important est le transfert
des affaires de corruption à un haut niveau au parquet et au tribunal
spécialisés dans les affaires liées à la criminalité organisée.
Nous nous pencherons plus en détail sur ce point dans la sous-partie
qui suit. Des mesures visant à assurer une meilleure exécution des
peines, des délais plus courts et une plus grande souplesse dans
la durée de l’instruction des affaires complexes ont également été
adoptées.
81. Les changements sont dans l’ensemble conformes aux recommandations
formulées précédemment. Cependant, la société civile et certains
acteurs de l’appareil judiciaire ont déploré que le travail législatif
ait été mené à un rythme rapide, ce qui n’a pas permis de véritable
débat public à ce stade, et indiqué que certaines des modifications
adoptées posaient problème. L’accélération des procédures et l’imposition
de règles plus strictes limitant la capacité des juridictions à
renvoyer des affaires au parquet risque d’entraîner des acquittements
injustifiés, les délais imposés pouvant être parfois irréalistes.
82. Les modifications adoptées sont maintenant en vigueur. Le
parquet spécialisé a été doté de nouveaux moyens pour faire face
au volume de travail supplémentaire. En termes d’impact, on observe
un grand nombre de renvois en début de procédure. Cela peut être
le signe d’une approche plus prudente de la part des juges, mais
il faut tenir compte aussi du fait que la procédure se déroule désormais
plus rapidement une fois que la phase préliminaire est achevée.
Les résultats positifs des modifications devraient être mis en évidence
dans quelques mois.
83. Des groupes de travail constitués en 2017 sous l’égide du
ministère de la Justice étudient actuellement la possibilité d’introduire
de nouvelles modifications du Code pénal et du Code de procédure
pénale dans un certain nombre de domaines. Ces points sont recensés
dans un document intitulé «Concept de politique pénale», qui a été
élaboré en coopération avec des experts néerlandais.
84. Les questions examinées s’agissant du Code de procédure pénale
portent notamment sur l’encadrement des contrôles ex ante conduits
par les enquêteurs avant l’ouverture officielle d’une instruction, l’autorisation
de recourir à des mesures d’investigation spéciales, le rôle des
témoins dans l’instruction et la possibilité de donner des pouvoirs
d’enquête à l’Agence nationale de sécurité.
85. En ce qui concerne le Code pénal, un certain nombre de questions
sont actuellement à l’étude, notamment la possibilité d’étendre
au secteur privé les infractions d’abus d’autorité et la nécessité
d’apporter la preuve des dommages résultant de l’abus d’autorité.
86. Lors de la visite, nous avons été informés que le parquet
avait commencé, parallèlement au travail effectué dans ce domaine
par le ministère de la Justice, à préparer un projet de modification
de certaines dispositions essentielles du Code de procédure pénale
sur les critères appliqués pour le renvoi d’une affaire devant les
tribunaux ainsi que le contenu et la forme de la mise en accusation.
87. Il est clair que la mise en place d’un cadre juridique complet
pour la politique pénale est une entreprise de longue haleine qui
exige une analyse à de multiples niveaux, des consultations et un
débat public, et que nous devons nous garder de vouloir accélérer
le processus et le travail des différentes parties prenantes. Nous remercions
les autorités bulgares pour leur ouverture et leur coopération avec
les experts juridiques du Conseil de l’Europe, et exprimons notre
satisfaction face à leur volonté d’introduire des modifications
ciblées en vue d’améliorer les enquêtes et les poursuites dans le
domaine de la corruption à un haut niveau et de la criminalité organisée.
3.3. Corruption
à un haut niveau et criminalité organisée
88. En comparaison avec d’autres
domaines, la lutte contre la corruption est le secteur dans lequel,
jusqu’à une période récente, les progrès avaient été les plus faibles
depuis le dernier débat à l’Assemblée. Les agences spécialisées
du Conseil de l’Europe, notamment le GRECO, l’Union européenne dans
ses rapports successifs au titre du mécanisme de coopération et
de vérification et d’autres organisations internationales ont invariablement
considéré que la corruption à un haut niveau était un problème majeur
en Bulgarie.
89. Dans son indice de perception de la corruption 2017, Transparency
International a classé la Bulgarie au 71e rang,
sur un total de 180 pays, avec une note de 43 sur une échelle de
0 (niveau de corruption élevée) à 100 (pas ou peu de corruption)
par rapport à une note de 41 en 2016. Pour l’indicateur «maitrise
de la corruption» des Indicateurs mondiaux de la gouvernance de
la Banque mondiale, la Bulgarie a obtenu en 2017 un score de 51,4
(exprimé en centiles). Si ce niveau est légèrement meilleur que
celui de l’année précédente, il reste bien plus mauvais que celui
de 2004 et de 2005.
90. Selon l’Eurobaromètre spécial sur la corruption de 2017, 87 %
des Bulgares pensent qu’il existe de la corruption dans les institutions
publiques nationales, ce qui représente une augmentation de 5 %
par rapport à l’année 2016. L’enquête montre en outre que 83 % des
personnes interrogées pensent que les affaires de corruption à un
haut niveau ne font pas l’objet de poursuites efficaces.
91. Ces dernières années, des scandales de corruption impliquant
des personnes à un haut niveau de responsabilité ont éclaté au grand
jour, et notamment en 2017: le «TsumGate» (rencontre hors de tout
cadre officiel entre des hommes d’affaires et le procureur général,
durant laquelle des menaces ont été formulées et des pressions exercées
en vue d’obtenir un traitement de faveur dans plusieurs procès commerciaux);
le «Suzdhukgate», impliquant un ancien parlementaire du GERB ayant
joué de son influence pour contourner la réglementation en matière
de sécurité sanitaire des aliments, éliminer la concurrence et obtenir
du parquet qu’il n’ouvre pas d’enquête sur une affaire d’homicide
involontaire; l’affaire «de l’hôpital militaire», dans laquelle
un ancien ministre de la Santé est accusé d’avoir eu recours à des
procédures de passation de marché irrégulières; et la faillite de
la Banque centrale coopérative, dans laquelle est impliqué un haut
responsable de la Banque nationale bulgare. Bien que le parquet
ait ouvert une enquête dans tous ces cas, aucune condamnation n’a
été prononcée jusqu’à présent. L’aspect plus positif de ces affaires
est que leur plus grande médiatisation semble avoir conduit les
partis à faire preuve de moins de tolérance vis-à-vis de leurs membres impliqués
dans des scandales, et à ne plus tenter de les couvrir.
92. Certains dysfonctionnements du système judiciaire entravent
de toute évidence la lutte contre la corruption; ils ont fait l’objet
de recommandations de l’Assemblée dans le domaine de l’indépendance
de la justice. Nous nous sommes penchés dans les parties précédentes
sur les questions spécifiques liées au rôle du Conseil supérieur
de la magistrature en tant que garant de l’indépendance des juges.
La nouvelle structure du CSM, sa composition, le mode de désignation
de ses membres, ses pouvoirs, la mise en place d’une procédure simple
et transparente pour garantir une évaluation rigoureuse et approfondie
des qualifications, de l’intégrité, des capacités et de l’efficacité
d’un juge avant qu’il soit nommé à vie, et l’élaboration de critères transparents
et objectifs pour l’évaluation et la promotion des personnes, les
pouvoirs accrus de l’Inspection, notamment en ce qui concerne le
contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts: toutes ces
mesures positives prises à la suite de nos recommandations précédentes
contribuent à la lutte contre la corruption. Elles avaient aussi
été préconisées par le GRECO dans son rapport du quatrième cycle
d’évaluation sur la Bulgarie et ont été considérées comme satisfaisantes
dans le rapport de conformité de 2017.
93. Malheureusement, certains problèmes concernant l’indépendance
de la justice et pouvant avoir une incidence sur la lutte contre
la corruption n’ont pas été traités: il s’agit notamment de la recommandation
du GRECO appelant à l’application au sein du système judiciaire
d’un système de rémunération supplémentaire soumis à des critères
clairs, objectifs et transparents. Dans son rapport d’évaluation,
le GRECO mentionnait une pratique préoccupante, à savoir l’octroi,
à la fin de l’année, à chaque juge d’une prime déterminée par le président
de son tribunal, et des rumeurs selon lesquelles cette pratique
servait à favoriser certaines allégeances au sein des tribunaux.
94. La deuxième catégorie de problèmes concernant directement
la lutte contre la corruption est liée aux instruments offerts par
le Code pénal et le Code de procédure pénale. Après avoir évoqué
de manière générale les changements dans la politique pénale dans
la sous-partie précédente, nous souhaitons ici nous pencher sur
des questions plus spécifiques. Dans le dernier rapport sur la Bulgarie,
l’Assemblée demandait aux autorités de mettre en œuvre les recommandations
formulées par le GRECO, en particulier celles concernant l’incrimination
claire de corruption et de trafic d’influence, et de veiller à une
interprétation plus large du concept d’avantage indu ainsi qu’à
l’application intégrale et à l’utilisation des possibilités offertes
par la loi relative à la confiscation au profit de l’État de biens
acquis de manière illicite, adoptée en 2012.
95. Dans ses deux rapports de conformité et dans un addendum au
deuxième rapport de conformité sur la Bulgarie du troisième cycle
d’évaluation
,
le GRECO reconnaissait que la recommandation sur l’incrimination avait
été mise en œuvre de façon satisfaisante. En septembre 2015, le
parlement a adopté les modifications du Code pénal prévoyant expressément
l’incrimination de la corruption à la fois passive et active et
du trafic d’influence lorsque l’avantage retiré est destiné à un
tiers. L’incrimination de la corruption d’arbitres étrangers a en
outre été introduite.
96. Nous saluons le fait que la Bulgarie a investi des moyens
considérables dans la formation et la sensibilisation d’un grand
nombre de juges, de procureurs et de membres des forces de l’ordre
sur les questions ayant trait à la corruption et au trafic d’influence
et sur l’incrimination des avantages non matériels. Nous avons par
ailleurs été informés lors de notre visite de l’adoption par les
services du procureur général d’un catalogue unifié des infractions
de corruption, conforme aux définitions de la corruption figurant
dans les instruments juridiques internationaux. Cet outil est une
référence pour les rapports statistiques et l’analyse des données
que le procureur général doit publier à intervalles réguliers (voir
les paragraphes 71 et 72).
97. En janvier 2018, le parlement a adopté une loi sur la lutte
contre la corruption et la confiscation des avoirs, qui est conforme
aux recommandations formulées précédemment. Les personnes que nous
avons rencontrées lors des réunions officielles ont souligné le
fait que cette nouvelle loi mettait en place une réforme complète
du cadre législatif pour la prévention des conflits d’intérêts,
de l’enrichissement illicite et de la corruption.
98. La nouvelle loi prévoit aussi la création d’une agence unifiée
de lutte contre la corruption – la Commission de lutte contre la
corruption et de confiscation des avoirs – chargée de vérifier l’absence
de conflits d’intérêts et de contrôler le patrimoine des hauts fonctionnaires,
de mener des enquêtes sur les allégations de malversation parmi
ces fonctionnaires, d’établir des garanties pour la prévention de
la corruption et de mener des procédures pour la saisie et la confiscation
des avoirs illicites. Cette mesure vient répondre à une autre recommandation
formulée dans le précédent rapport, par laquelle l’Assemblée demandait
aux autorités bulgares de mettre sur pied des institutions indépendantes
dans le domaine de la lutte contre la corruption en les dotant de
la compétence et de l’obligation de formuler des propositions, d’intervenir
de façon proactive et d’assurer un suivi indépendant, conformément
aux recommandations formulées par la Commission européenne.
99. La nouvelle agence repose sur la fusion de cinq institutions
existantes, dont la commission pour la confiscation des avoirs illicites,
et a repris leur personnel et leurs ressources. Elle est compétente
pour assister le parquet dans les enquêtes sur des cas présumés
de corruption à un haut niveau. Bien qu’elle ne dispose pas de pouvoirs
indépendants d’enquête pénale, elle a une compétence étendue pour
mener des activités de surveillance et de renseignement dans le
cadre de ses attributions. Elle est chargée de vérifier l’absence
de conflit d’intérêts et de contrôler la déclaration de patrimoine
de quelques 15 000 hauts responsables, notamment les ministres,
les maires et les hauts fonctionnaires. Elle est aussi la principale
agence responsable de la saisie et de la confiscation d’avoirs illicites.
La loi prévoit qu’elle est responsable devant le parlement et qu’elle
doit publier un rapport annuel.
100. Parallèlement, le gouvernement, par une ordonnance adoptée
en juin 2018, a mis à jour et précisé le cadre juridique des services
d’inspection internes de l’administration de l’État, notamment en
élargissant leurs pouvoirs en ce qui concerne les conflits d’intérêts
et la vérification des déclarations de patrimoine des fonctionnaires.
L’amendement à la loi sur la fonction publique a été adopté en octobre 2017.
Les nouvelles règles prévoient également un renforcement du rôle
de coordination de l’inspection principale relevant du cabinet du
Premier ministre et des règles plus claires pour le travail et les
qualifications des inspecteurs. Des moyens humains et matériels
supplémentaires ont été donnés aux services d’inspection.
101. Lors de notre visite, l’agence était déjà pleinement opérationnelle
et tous nos interlocuteurs du ministère de l’Intérieur, du ministère
de la Justice et du parquet étaient convaincus qu’elle allait permettre
de franches avancées dans la lutte contre la corruption. Nous avons
aussi relevé, cependant, certaines critiques émanant de représentants
de la société civile qui déploraient la faible protection accordée
aux lanceurs d’alerte et le fait que l’encadrement de l’agence était
élu à la majorité simple au sein du parlement – ce qui pourrait
donner lieu à des arrangements politiques. Le président Radev a
opposé son veto à la loi, mais celui-ci a été annulé par l’Assemblée.
Selon le Président, le projet de loi ne serait pas assez efficace
et pourrait être utilisé pour persécuter des opposants politiques
.
102. Un des principaux défis à relever par la nouvelle agence sera
de gérer efficacement le vaste champ de ses compétences, allant
de la prévention aux activités liées aux enquêtes et à la confiscation
des avoirs. L’indicateur essentiel de son efficacité tiendra dans
les décisions qu’elle prendra au bout du compte sur les cas de corruption
à un haut niveau, et dans le nombre de condamnations. En 2016, le
parquet a procédé à l’examen d’un échantillon d’affaires de corruption
achevées afin de recenser les problèmes qui entravent l’aboutissement
des poursuites dans ces affaires. Un certain nombre de mesures ont
été prises à la suite de cet examen, et des propositions de modification
législative ont été formulées.
103. Lors de notre visite, nous avons appris que dans le premier
semestre 2018 un nombre important de hauts responsables (dont un
ministre, deux vice-ministres et plusieurs maires) avaient été inculpés d’infractions
de corruption. Un parlementaire, trois ministres, deux vice-ministres
et plusieurs maires ont été mis en accusation par les tribunaux.
Plusieurs affaires, dont six concernaient des maires, ont débouché
sur une condamnation. En outre, plusieurs enquêtes de grande ampleur
étaient en cours.
104. Ceci nous amène à la question plus générale d’un mécanisme
visant à informer le grand public des progrès réalisés dans les
affaires de corruption à un haut niveau. La Bulgarie a créé en 2017
un mécanisme visant à informer le grand public des progrès réalisés
dans les affaires de criminalité organisée à un haut niveau relevant
du domaine public. La mise en place à la Cour suprême de cassation
d’un site web public présentant des informations sur les procédures
en cours est un élément positif à cet égard. Le procureur général
doit communiquer sur les enquêtes et les mises en accusation, et
la Cour suprême de cassation et le ministère de la Justice sur les
condamnations et l’exécution des peines.
105. Nous attendons par ailleurs avec intérêt le résultat concret
des discussions menées par les groupes de travail placés sous l’égide
du ministère de la Justice (voir le paragraphe 83) sur d’autres
points de la politique pénale qui concernent la corruption à un
haut niveau. Ces groupes sont parvenus en 2018 à des conclusions sur
un certain nombre de questions pour lesquelles il n’a pas été jugé
nécessaire de donner une suite législative. Parmi ces points qui
devraient faire l’objet de mesures administratives figurent notamment
le contenu et la forme des mises en accusation, et l’implication
de la direction dans les décisions sur des cas concrets au sein
du parquet.
106. Des discussions sont toujours en cours sur un certain nombre
de questions fondamentales, notamment le seuil requis pour l’ouverture
d’une instruction ou le recours à des enquêtes préliminaires. Comme
nous l’avons vu, la question de la responsabilisation du procureur
général fait également l’objet de discussions et nous avons bon
espoir que les solutions proposées répondront aux préoccupations
formulées par la Commission de Venise dans le document CDL-AD(2018)018.
107. Enfin, l’Assemblée a recommandé en 2013 aux autorités d’effectuer
une analyse exhaustive des insuffisances dans les procédures d’enquête
dans le but de redresser la situation et, sur la base des expériences
passées, améliorer l’efficacité de la police, du ministère public
et des tribunaux. Nous avons abordé de manière générale la question
des procédures judiciaires et des modifications du Code pénal et
du Code de procédure pénale dans la partie 3.2. Nous avons également
évoqué l’analyse du modèle structurel et fonctionnel du parquet
conduite par des procureurs de différents pays de l’Union européenne,
et la suite qui a été donnée à leurs recommandations (voir les paragraphes
71-72).
108. Dernier point, nous avons été informés lors de notre visite
à l’Assemblée nationale des mesures spécifiques visant à combattre
la corruption au niveau du parlement. À la suite des recommandations formulées
par le GRECO, le Règlement du parlement a été modifié en octobre
2016 dans le but de garantir la transparence du processus législatif
et de renforcer l’interaction avec la société civile et les autres
parties intéressées. Les nouvelles dispositions prévoient des sanctions
spécifiques en cas d’infraction aux règles éthiques et ont mis en
place une procédure en ce sens.
109. Afin de faire mieux connaître les règles éthiques, la Commission
parlementaire pour la lutte contre la corruption et les conflits
d’intérêts et la promotion d’une éthique parlementaire a l’obligation
d’émettre à destination des députés des avis consultatifs sur la
mise en œuvre des règles éthiques de conduite. Toute personne physique
ou morale peut saisir la commission ou bien signaler une infraction.
Les décisions concernant les procédures disciplinaires contre des
parlementaires sont publiées au registre public du parlement. Le
mandat de la Commission de lutte contre la corruption et de confiscation
des avoirs concerne aussi bien entendu les parlementaires.
110. Pour ce qui est de la lutte contre la criminalité organisée,
les rapports successifs du mécanisme de coopération et de vérification
relèvent d’importants progrès. Cela a été confirmé lors de nos visites
au ministère de l’Intérieur, où les données statistiques sur la
traite et le trafic nous ont été communiquées. Sur ce point également,
il faut saluer le travail des autorités, qui ont mis en place un
système assurant la transparence sur le compte rendu des progrès
accomplis en la matière. En ce qui concerne la corruption en général,
y compris au niveau local et aux frontières, les rapports du MCV
et du GRECO indiquent que la Bulgarie a pris des mesures pour répondre
aux recommandations formulées précédemment.
111. Le dernier rapport du GRECO, qui date de juillet 2017, indique
que 12 des 19 recommandations faites aux autorités ont été mises
en œuvre et relève d’importants progrès. Le dernier rapport du MCV
se félicite aussi des progrès accomplis par la Bulgarie l’année
dernière en matière de corruption et compte que le processus de
suivi sera clôturé avant la fin du mandat de la Commission actuelle.
112. Sur la base de toutes ces informations, nous estimons que
d’importants progrès ont été réalisés cette dernière année dans
la lutte contre la corruption. La nouvelle loi de lutte contre la
corruption et les autres améliorations apportées au cadre législatif
et administratif pour la tenue des enquêtes et des poursuites en matière
de corruption donne aux organes chargés de l’application des lois
tous les outils nécessaires. Il faut maintenant parvenir à des résultats
concrets et constituer un acquis solide. Nous espérons que la transparence et
l’obligation de rendre des comptes, qui semblent désormais faire
partie intégrante du travail de toutes les parties prenantes, contribueront
à de nouveaux progrès dans ce domaine.
3.4. Médias
113. La situation de la liberté
de la presse en Bulgarie est la plus mauvaise de toute l’Union européenne. Dans
son classement mondial de la liberté de la presse 2018, Reporters
sans frontières (RSF) a placé la Bulgarie au 111e rang
mondial (sur 180), derrière des pays comme le Ghana, la Mongolie
ou le Kirghizstan. La situation n’a cessé de se détériorer ces dernières
années, comme en atteste l’évolution du classement: le pays se situait
à la 70e place en 2010, à la 80e en
2011 et à la 109e en 2017.
114. L’un des principaux problèmes et obstacles à la liberté de
la presse en Bulgarie est la concentration de la propriété et l’absence
de transparence. La législation bulgare ne prévoit pas de seuils
spécifiques permettant de prévenir une forte concentration de propriété
des médias. Les données disponibles sur cette question et sur les
parts de marché sont insuffisantes et ne permettent pas d’évaluer
correctement la réalité de la concentration entre différents secteurs
des médias sur le marché national.
115. Selon Reporters sans frontières, 80 % de la presse écrite
se trouve dans le New Bulgarian Media Group, un groupe aux mains
d’une seule personne, le responsable politique et homme d’affaires
Delyan Peevski. Ses journaux sont pour la plupart des titres progouvernementaux.
Le groupe occupe aussi une position dominante au sein de la seule
société de distribution de presse du pays.
116. Les stations de radio et les chaînes de télévision doivent
obtenir une licence auprès du Conseil des médias électroniques,
un organe indépendant dont le budget est approuvé par le parlement.
Selon plusieurs organisations internationales et un certain nombre
d’études, la délivrance de licences se fait de manière arbitraire
.
La nomination des membres de l’autorité de régulation du secteur
de la radiodiffusion commerciale et publique est purement politique
et se décide entre le parlement et le Président. La nomination du
directeur général de la Télévision nationale bulgare, puis celle
de dirigeants à un échelon inférieur de la hiérarchie, ont également
été marquées par l’absence de transparence
.
117. La législation de lutte contre l’ingérence politique dans
les médias n’interdit pas expressément aux responsables politiques
de détenir des organes de presse. S’ajoute à cela le fait qu’elle
ne protège pas de manière adéquate les politiques éditoriales indépendantes.
118. Dans sa dernière résolution sur le dialogue postsuivi avec
la Bulgarie, adoptée en 2013, l’Assemblée a demandé aux autorités
d’adopter une législation faisant obligation aux médias de radiodiffusion
de divulguer les noms de leurs véritables propriétaires, comme c’était
déjà le cas pour la presse écrite. Cette loi a été adoptée le 1er novembre
2018. Selon la société civile, cependant, les dispositions législatives
portant sur la transparence de la propriété des médias ne sont pas
appliquées, ou seulement en partie. Le système actuel d’enregistrement
ne garantit pas la transparence car la plupart des organes de presse
sont enregistrés en tant que sociétés offshore, sociétés anonymes
ou fondés de pouvoir.
119. En mars 2018, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation
CM/Rec(2018)1 sur le pluralisme des médias et la transparence de
leur propriété, qui met à jour les normes visant à garantir la pluralité
du paysage médiatique, la transparence de la propriété des médias,
la diversité du contenu des médias et le caractère inclusif des
médias de service public. Elle fixe des normes qui, nous l’espérons,
seront intégrées dans les futures lois de la Bulgarie.
120. Selon l’Association des journalistes européens, un autre problème
grave de l’environnement médiatique en Bulgarie est l’influence
des pouvoirs publics sur les organes de presse, qui s’exerce au
moyen des budgets de communication des programmes opérationnels
de l’Union européenne, dont les fonds sont attribués en échange
d’un traitement médiatique favorable. Du fait de la crise économique,
les ventes et les recettes publicitaires ont diminué ces dernières
années, ce qui a accru la dépendance de tous les médias vis-à-vis
du soutien de l’État. L’attribution par le gouvernement des fonds
de l’Union européenne à certains organes de presse se fait dans
une totale absence de transparence, sans concurrence et sans que
soit appliquée la législation en matière de passation des marchés
publics.
121. Dans un entretien accordé à la télévision, un vice-Premier
ministre a menacé de priver le groupe de presse BTV et le groupe
de radiodiffusion Nova (les deux plus grandes chaînes privées de
télévision du pays) de leurs fonds européens, les accusant de manipuler
l’opinion publique et de ne pas rendre compte correctement de l’action
des pouvoirs publics
.
122. Le problème fondamental est toutefois celui de l’intimidation
et de l’utilisation de poursuites pénales en tant que moyen de pression.
Les journalistes qui subissent des pressions injustifiées réagissent
souvent en s’autocensurant. Les menaces et les pressions dont font
l’objet les journalistes travaillant dans de petits médias locaux
sont particulièrement préoccupantes.
123. Lors de deux entretiens distincts tenus en octobre 2017, un
député membre d’un parti de la coalition au pouvoir et un vice-Premier
ministre ont tenu des propos menaçants à l’égard d’un journaliste,
sous-entendant qu’il allait subir le même sort que son ancienne
collègue, contrainte à la démission peu de temps auparavant après
une série d’attaques politiques. À la suite des manifestations organisées
en signe de protestation, le député en question a démissionné et
le vice-Premier ministre a dû faire une déclaration publique. Il
reste, malheureusement, que ce cas n’est pas isolé.
124. Plusieurs cas d’ingérence politique directe dans la presse
ont été signalés ces dernières années. L’exemple le plus flagrant
est celui de la journaliste d’investigation Dilyana Gaytandhzieva,
qui a reçu des menaces directes et a été licenciée sans explications
après avoir publié certaines révélations.
125. Plus des deux tiers des 200 journalistes bulgares interrogés
dans le cadre d’une enquête de l’Association des journalistes européens
reconnaissent que la plupart des ingérences qu’ils subissent sont
le fait de responsables politiques. Ces ingérences sont fréquentes
et répandues, indiquent 92 % des journalistes.
126. Cette situation pèse sur la qualité du débat public. Elle
a aussi des conséquences sur l’indépendance de la justice, du fait
des attaques ciblées de certains médias contre des juges et de la
difficulté de faire aboutir les recours contre ces actes. Plus généralement,
un environnement médiatique faible n’est pas propice à la responsabilisation
des hommes et des femmes qui détiennent le pouvoir.
127. En revanche, nous considérons comme infondées les protestations
qui ont eu lieu au sujet d’un autre cas emblématique. En septembre
2018, deux journalistes ont été détenus pendant quelques heures
dans les locaux de la police. Ils avaient tenté de tourner des images
concernant la destruction par le feu de documents portant sur une
affaire de corruption (détournement de fonds européens). L’affaire
a été reprise dans les médias internationaux. Nous avons soulevé
cette question auprès du ministre de la Justice et du vice-ministre de
l’Intérieur. Tous deux nous ont assuré que le placement en détention
était le résultat d’une mauvaise communication; les journalistes
n’avaient pas prévenu la police de leur présence, qui était prévue.
Pour le reste, la coopération avec ces deux journalistes et avec
les journaux qu’ils représentent a toujours été très bonne, ont
fait savoir nos deux interlocuteurs. Un représentant de l’Association
des journalistes européens avec qui nous nous sommes entretenus
par la suite a confirmé cette explication.
128. Par ailleurs, les violences contre les journalistes sont en
hausse. On relève par exemple l’agression perpétrée contre Khristo
Geshov, producteur de l’émission télévisée «On Target». Un autre
journaliste, Georgui Ezekiev, de Zov
News, a enregistré des menaces qui lui étaient adressées;
des enquêtes ont été ouvertes dans les deux cas. En 2017, l’Association
des journalistes européens a recensé 10 cas d’intimidation. Nous
avons pris note avec satisfaction de la réaction du Premier ministre
Boïko Borissov, qui a déclaré en public que «les agresseurs doivent
être punis avec toute la sévérité de la loi».
129. L’événement tragique le plus récent a vu la mort d’une journaliste
d’investigation, Victoria Marinova, assassinée en octobre 2018
. Le 7 décembre
2018, nous avons reçu une lettre du président de la délégation bulgare
nous fournissant des informations à jour sur l’état d’avancement
d’une enquête sur le meurtre et sur la procédure judiciaire en cours.
Les analyses de l’ADN et d’autres éléments de preuve ont permis
d’identifier un citoyen bulgare suspect, âgé de 21 ans, qui, entre-temps,
s’était installé en Allemagne. Le tribunal allemand avait décidé
d’accorder une demande d’extradition. Actuellement, le suspect subit
des examens psychiatriques et l’audience devant la Cour aura lieu
dans un délai de quatre mois. Les autorités bulgares supposent que l’agression
est de nature criminelle.
130. Les autorités bulgares devraient se conformer aux dispositions
de la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres sur la
protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres
acteurs des médias.
131. Dans un registre positif, une recommandation de l’Assemblée
sur la dépénalisation de la diffamation, formulée de longue date,
a été mise en œuvre; une disposition en ce sens a été introduite
dans le Code pénal.
3.5. Code
électoral
132. Ainsi que le reconnaît la Commission
de Venise dans son dernier avis sur le Code électoral, adopté en juin
2017
,
les diverses modifications du Code électoral adoptées entre 2014
et 2016 ont amélioré le code sur plusieurs points, reprenant certaines
recommandations formulées dans de précédents avis, en 2013 et 2014. Les
nouvelles dispositions ont amélioré notamment le financement des
campagnes électorales et sa surveillance, l’enregistrement des électeurs
et la couverture médiatique des campagnes.
133. Un certain nombre de problèmes demeurent toutefois. En outre,
certaines des modifications adoptées entre 2014 et 2016 soulèvent
des préoccupations.
134. Selon les recommandations de la Commission de Venise dans
son avis rendu en 2017, il conviendrait d’améliorer la procédure
d’enregistrement des électeurs et la compilation des listes électorales;
de réduire les restrictions du droit de suffrage des citoyens purgeant
une peine de prison, quelle que soit la gravité de l’infraction
commise; de veiller à ce que les citoyens bulgares possédant une
double nationalité puissent effectivement exercer leur droit de
se présenter à une élection; de revenir sur les restrictions imposées
à l’observation des élections; d’harmoniser divers délais prévus
dans le processus électoral, notamment les délais relatifs aux procédures
de dépôt des recours; et d’admettre l’utilisation des langues des
minorités dans les campagnes électorales.
135. La Commission recommande en outre qu’une large consultation
publique soit tenue et que toute réforme du Code électoral intervienne
bien avant des élections.
3.6. Questions
relatives aux droits de l’homme
3.6.1. Mise
en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
136. Depuis son adhésion au Conseil
de l’Europe, la Bulgarie a été condamnée par la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») pour traitements inhumains ou
dégradants dans plus de 80 affaires (y compris ces cas concernant
l’absence de procès équitable et quelques cas de torture). En comparaison,
la République tchèque, dont la population est plus importante, n’a
été condamnée qu’à deux reprises dans de telles affaires.
137. À la suite des arrêts rendus par la Cour, la Bulgarie a dû
verser 641 535 euros à titre d’indemnités en 2017 – soit à peu près
12 fois plus que l’Allemagne et 15 % de plus que l’année précédente
.
138. La Bulgarie est l’un des pays comptant la plus grande proportion
d’arrêts non mis en œuvre. Dans la Résolution 2075 (2015) sur la
mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée
a relevé qu’elle figurait parmi les neuf États qui comptent le nombre
le plus élevé d’arrêts non exécutés, dont certains particulièrement
importants qui révèlent l’existence de problèmes structurels et
n’ont pas été réglés depuis plus de cinq ans.
139. La Bulgarie est l’un des quatre États (avec la Turquie, la
Roumanie et la Géorgie) pour lesquels une surveillance renforcée
a été mise en œuvre (7 % du nombre total de cas sont placés sous
surveillance renforcée). Les principaux problèmes concernent la
durée des procédures judiciaires et l’absence de recours effectif
à cet égard, les mauvaises conditions de détention et les mauvais
traitements perpétrés par des membres des forces de l’ordre, l’expulsion
d’étrangers en violation de leur droit au respect de la vie familiale ainsi
que l’ineffectivité des enquêtes pénales.
140. D’après les statistiques du Comité des Ministres sur la surveillance
de l’exécution des arrêts, 207 affaires concernant la Bulgarie étaient
pendantes devant le Conseil des Ministres en décembre 2017 et 208
en décembre 2018. Ce chiffre était toutefois en baisse par rapport
aux années précédentes.
141. Se fondant sur un grand nombre d’affaires qui lui avaient
été soumises au cours des années précédentes, la Cour a retenu en
2015 un problème systémique tenant à l’absence d’enquête effective
sur les infractions pénales en Bulgarie.
142. À la suite de cela, le parquet bulgare a mené en 2016 une
étude de la jurisprudence de la Cour concernant le pays. Il a recensé
un certain nombre de défaillances aux plans législatif et administratif
et formulé des recommandations en vue d’y remédier. L’étude a été
rendue publique sur le site du parquet. En 2017, celui-ci a publié
une feuille de route comprenant une analyse de la jurisprudence
sur le contrôle juridictionnel des décisions du ministère public
de classement sans suite, et prévoyant la désignation de procureurs
et d’enquêteurs spécialisés dans les affaires où il y a dépôt de
plainte pour usage excessif de la force par des agents des forces
de l’ordre et la révision des contrôles internes au sein du ministère
public.
143. Un grand nombre des problèmes identifiés ont été examinés
plus haut. Plusieurs mesures administratives ont été prises en complément
d’éventuelles initiatives législatives. Une formation en matière d’enquête
effective a été mise en place pour les procureurs. En juin 2018,
en outre, un groupe de travail a été instauré en vue d’étudier les
moyens de renforcer la coopération entre le ministère de la Justice
et le parquet s’agissant de la suite à donner aux futurs arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les lacunes
dans l’efficacité des enquêtes pénales en Bulgarie. Enfin, l’établissement
des statistiques du ministère public a été revu de manière à inclure
les contrôles ex ante et les
instructions concernant les plaintes pour violences commises par
des membres des forces de l’ordre et des agents des établissements
pénitentiaires et des autres structures de détention. Tous les arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme doivent être publiés
sur le site web du ministère de la Justice avec les commentaires
du ministère public.
144. Le dernier rapport de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme de l’Assemblée sur la mise en œuvre des
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
, qui a été débattu en juin 2017, a
reconnu les progrès accomplis par la Bulgarie quant au problème
de la durée excessive des procédures judiciaires et de l’absence
de recours effectif à cet égard. En septembre 2015 et en février
2017, au vu des mesures introduites dans le Code de procédure pénale
bulgare, le Comité des Ministres a clos respectivement 56 et 34 affaires.
Certains progrès ont également été relevés dans le cadre de la mise
en œuvre des groupes d’affaires portant sur les mauvaises conditions
de détention (groupe d’affaires
Kehayov et
arrêt pilote
Neshkov et autres)
et les mauvais traitements par des agents des forces de l’ordre
(groupe
Velikova) (voir
infra).
3.6.2. Personnes
en détention
145. Les conditions de détention
en Bulgarie posent des problèmes et le CPT a fait état dans ses
rapports en 2015
de mauvaises
conditions matérielles et d’abus systémiques de la part des forces
de police
146. Lors de notre dernière visite, nous avons été amplement informés
des mesures adoptées pour améliorer la situation à la fois dans
les prisons, qui demeurent placées sous la responsabilité du ministère
de la Justice, et dans les postes de police, administrés par le
ministère de l’Intérieur.
147. En réponse aux préoccupations exprimées par le CPT, le parlement
a adopté en janvier 2017 des modifications de la loi sur l’exécution
des peines et la détention. Les modifications concernent les conditions de
détention, le régime, les libérations anticipées et le contrôle
juridictionnel de l’administration pénitentiaire
.
148. Les conditions matérielles sont très différentes d’un centre
de détention à l’autre, mais quelques améliorations ont été relevées
de façon générale. De grands travaux de rénovation ont été menés
à bien dans certaines prisons grâce à des fonds norvégiens octroyés
spécifiquement à cette fin. La capacité totale actuelle du système
pénitentiaire bulgare est de 8 500 places, selon les normes du CPT,
pour 5 000 détenus en ce moment. Pour la détention provisoire, les
chiffres respectifs sont de 1 500 et 860. Les autorités projettent
de construire une nouvelle prison équipée d’un centre de formation
pour le personnel pénitentiaire.
149. La Cour européenne des droits de l’homme a pris acte des progrès
importants effectués ces dernières années en vue d’améliorer les
conditions carcérales et a conclu à la non-violation dans deux affaires
récentes.
150. En ce qui concerne le traitement réservé aux personnes en
garde à vue, le CPT a émis en 2018 une déclaration faisant état
d’une légère amélioration par rapport à sa dernière visite, en 2015,
en particulier pour ce qui est de la gravité des mauvais traitements
signalés. Le CPT a regretté l’absence de progrès véritable dans
l’application des garanties contre les mauvais traitements, à savoir
le droit d’informer un tiers de son placement en détention, le droit
d’accès à un avocat et à un médecin et le droit d’être informé des
droits susmentionnés.
3.6.3. Groupes
minoritaires
151. Selon les chiffres du recensement
de 2011, la population comptait 7,3 millions d’habitants, dont 5,6 millions
de Bulgares (84,8 % de la population), 588 000 Turcs (8,8 %), 325 000
(4,6 %) Roms et 49 000 personnes (0,7 %) se déclarant comme «autres»
(Russes, Arméniens, Macédoniens, Valaques, Grecs, Ukrainiens et
Juifs)
.
152. Des sources non gouvernementales estiment que la population
rom est bien supérieure aux chiffres officiels et compte environ
700 000 personnes. Le chiffre d’un million de personnes a été avancé
lors d’un entretien avec un représentant de la communauté. Selon
les autorités, cet écart avec les résultats du recensement est dû
au fait que de nombreux Roms se déclarent comme Bulgares ou Turcs.
153. La Bulgarie a ratifié la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales en 1999. La mise en œuvre a depuis fait
l’objet de quatre rapports dans le cadre du mécanisme de suivi de
la Convention. Les structures pertinentes ainsi que le cadre législatif
et administratif ont été mis en place et ont fait l’objet d’une analyse
dans le rapport établi par notre prédécesseur, en 2013. Nous ne
revenons donc pas sur cette question.
154. Lors de notre visite, nous avons rencontré des représentants
de la société civile qui s’occupent des questions de minorités,
notamment des représentants des Roms et des Macédoniens. Nous souhaitons évoquer
ici plusieurs motifs de préoccupation dont ils nous ont fait part.
155. Sur un plan plus général, nos interlocuteurs nous ont dit
que le discours de haine à caractère raciste et intolérant revêtait
toujours un caractère très préoccupant en Bulgarie. Les principales
cibles de ce discours de haine sont les Roms, les musulmans, les
juifs, les Turcs et les Macédoniens. Dans le dernier rapport sur
la Bulgarie, l’Assemblée a demandé aux autorités bulgares de condamner
systématiquement et sans conditions les discours de haine contre
les minorités, de renforcer les mesures visant à favoriser la tolérance
et le respect mutuel, et d’encourager les responsables politiques
à adopter un comportement exemplaire. Nous avons malheureusement
appris que la situation à cet égard ne s’était pas améliorée. Nous
appelons une nouvelle fois les autorités à suivre les recommandations
détaillées énoncées par l’ECRI dans son rapport présenté dans le
cadre du cinquième cycle de suivi
.
156. Les Roms constituent le groupe minoritaire le plus important
de Bulgarie. Une part importante de la population rom (300 000 personnes
environ) vit dans le nord-ouest du pays. Selon nos interlocuteurs,
la situation de ces personnes s’est détériorée ces dernières années.
Les représentants de la communauté sont exclus du processus démocratique
et ne sont présents à aucun niveau du processus décisionnel. Ils
n’utilisent pas les instruments politiques.
157. Leur situation matérielle et sociale est dans l’ensemble très
mauvaise. Quelque 200 000 familles ont des problèmes de logement.
On peut parler d’une société parallèle: dans les zones où vivent
les Roms, on ne voit ni l’État, ni ses institutions ni ses agents.
Ce cercle vicieux d’exclusion sociale et de discrimination se traduit par
une pauvreté toujours plus grande et une émigration massive. Environ
30 % à 40 % des jeunes Roms quittent le pays pour se rendre dans
d’autres pays de l’Union européenne, en particulier en Allemagne.
158. Notre interlocuteur nous a indiqué que son association, qui
représente les Roms, tente d’établir un dialogue constructif avec
les autorités et d’aider la population à s’emparer des outils politiques
existants. Il reconnaît que des progrès importants ont été réalisés
dans le domaine de l’éducation: environ 90 % des Roms ont une instruction
élémentaire et quelque 60 %-70 % terminent leurs études secondaires.
La discrimination sur le marché du travail reste toutefois un obstacle
à une véritable intégration. Notre interlocuteur a regretté que
les manuels scolaires n’aient pas été modifiés de manière à refléter
l’histoire et la culture des Roms, et que les Roms n’occupent pas
de postes d’enseignant.
159. Les incidents les plus récents dans le village de Gabrovo,
en avril dernier, concernent des violences exercées contre la population
rom instiguées par la large diffusion d’une vidéo montrant des hommes
identifiés comme rom supposés provoquer une rixe dans un magasin.
Ces violences ont duré plusieurs jours et ont eu comme conséquence
la fuite de 80 % de la population rom du village comptant 800 habitants,
ce qui illustre le problème dans le pays.
160. Une autre source de préoccupation a trait à la minorité macédonienne,
qui n’est pas reconnue comme telle par les autorités bulgares du
fait de l’application restrictive des critères officiels, alors
que ce groupe a fait part à de multiples reprises de son souhait
de bénéficier de la protection offerte par la Convention-cadre.
De ce fait, il n’y a pas de représentant macédonien à la Commission
des minorités. Les Macédoniens ne bénéficient d’aucun programme
destiné aux communautés ethniques et ne reçoivent aucune aide de
l’État pour la conservation et le développement de leur culture
et de leur identité. Ni la langue ni l’histoire macédoniennes ne
sont enseignées à l’école. Aucune organisation ou formation macédonienne
n’est enregistrée. Nos interlocuteurs estiment que les membres de
leur communauté font l’objet de discriminations.
161. Nous avons évoqué toutes ces questions avec les autorités,
qui nous ont répondu que plusieurs programmes, stratégies et plans
d’action avaient été adoptés au cours des dernières années pour
améliorer la situation des Roms, notamment la Stratégie nationale
pour l’intégration des Roms (2012-2020). Un travail a été entrepris
avec les régions et les municipalités en vue d’élaborer des stratégies
spécifiques à chaque région de Bulgarie. Le nombre de Roms parvenant
à un niveau d’études plus élevé, y compris d’études universitaires, a
augmenté. Certaines initiatives, telles que le recrutement de médiateurs
pour les questions de santé et de travail, ont par ailleurs eu des
effets positifs.
162. Dans sa dernière résolution sur la mise en œuvre de la Convention-cadre
par la Bulgarie, adoptée en 2018, le Comité des Ministres a relevé
un certain nombre de faits positifs. La Commission pour la protection contre
la discrimination continue d’examiner les réclamations individuelles
pour discrimination raciste et ethnique en vertu de la loi sur la
protection contre la discrimination et a étendu son réseau de représentants régionaux.
Son budget annuel a été augmenté.
163. Il existe diverses dispositions touchant à la protection des
droits culturels des personnes appartenant aux minorités et, fait
encourageant, les autorités élaborent actuellement une stratégie
culturelle nationale comptant la promotion de la diversité culturelle
parmi ses objectifs opérationnels. Les autorités ont invité l’ensemble
des ONG intéressées à participer au processus.
164. Des programmes en langue turque continuent d’être diffusés
quotidiennement, soit une émission télévisée de dix minutes et un
programme radiophonique de trois heures sur les ondes moyennes.
Le turc, l’arménien, l’arabe, le grec, l’hébreu et le romani sont
toujours enseignés dans les écoles. Le nombre d’élèves étudiant
la langue romani a considérablement augmenté ces dernières années.
Des manuels scolaires et des cahiers d’exercices ont été créés pour
promouvoir l’histoire et le folklore roms.
165. Les personnes appartenant aux minorités continuent d’être
représentées dans les partis politiques au parlement. Dans les régions
où elles vivent en nombre substantiel, elles sont également maires
et membres des instances élues locales. Organe consultatif et de
coordination, le Conseil national de coopération sur les questions
ethniques et l’intégration est le principal mécanisme de participation
des représentants des minorités ethniques. Il compte de nombreuses
ONG et les autorités ont indiqué qu’elles étaient disposées à ce
que d’autres y soient représentées.
166. La résolution relevait aussi certains sujets de préoccupation.
Les autorités bulgares n’ont organisé aucune consultation ou discussion
sur la protection offerte par la Convention-cadre avec certaines
personnes qui s’identifient comme appartenant à des minorités nationales
et ont à plusieurs reprises manifesté un intérêt pour que la Convention-cadre
leur soit appliquée, mais qui, selon les autorités bulgares, ne
remplissent pas tous les critères.
167. Selon des données officielles, 10 % environ des plaintes déposées
auprès de la Commission pour la protection contre la discrimination
concernent des questions de race ou d’appartenance ethnique.
168. Des cas d’incitation à l’intolérance et au racisme ont été
signalés. Il n’existe toujours pas dans le Code pénal de disposition
spéciale faisant de la motivation raciste une circonstance aggravante
.
3.6.4. Réfugiés
et demandeurs d’asile
169. La Bulgarie a ratifié en 1993
la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés
et le Protocole de 1967. Elle a adopté un cadre législatif et administratif
régissant l’accueil et les procédures d’asile. Située à un carrefour
des routes migratoires à la frontière sud-est de l’Union européenne,
le pays a connu une forte augmentation des arrivées de migrants
à la suite du conflit en Syrie. En 2015 et 2016, quelque 15 000 personnes
ont traversé la frontière avec la Turquie, contre un millier en
moyenne les années précédentes.
170. Le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile a considérablement
baissé depuis lors. Selon les informations qui nous ont été communiquées
oralement au ministère de l’Intérieur, 3 700 demandes d’asile ont été
déposée en 2017; 804 personnes ont obtenu le statut de réfugié et
900 la protection subsidiaire
.
La chute est due en partie à la décision du gouvernement de construire
un mur provisoire le long d’une partie de sa frontière avec la Turquie,
et au déploiement de 600 agents de l’Agence européenne de garde-frontières
et de garde-côtes (Frontex).
171. Nos interlocuteurs de la société civile ont dénoncé les défaillances
de la politique et des pratiques en matière d’asile et à l’égard
des réfugiés. Nous souhaitons mettre en relief les effets positifs
des programmes d’appui global aux localités accueillant des réfugiés,
qui permettent de faire tomber l’hostilité vis-à-vis des nouveaux
venus et de soutenir le développement durable. Nos interlocuteurs
ont aussi déploré le nombre insuffisant de cours de langue, qui
constitue un frein à une intégration réussie
.
172. La dernière visite en Bulgarie du Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe
a
porté sur les problèmes liés aux demandeurs d’asile et aux migrants
en situation irrégulière. Le Commissaire ayant formulé des recommandations
concrètes en vue d’améliorer la situation, nous n’approfondirons
pas cette question ici. Nous invitons les personnes intéressées
à consulter le rapport du Commissaire.
173. Dans leurs commentaires, les autorités bulgares nous ont informés
des développements positifs récents, selon leur évaluation, concernant
les politiques et pratiques en matière d’asile et à l’égard des réfugiés,
s’agissant en particulier de l’aide juridique offerte aux demandeurs
d’asile, de l’identification des personnes appartenant à des groupes
vulnérables qui demandent une protection internationale et un soutien approprié,
ou encore de l’intégration sociale et culturelle.
3.6.5. Droits
des femmes
174. La question de la ratification
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»)
a suscité un très vif débat au sein de la société bulgare. La Convention
a été signée par la Bulgarie le 21 avril 2016. Le 8 février 2018,
alors que la ratification allait être soumise à l’Assemblée nationale,
75 députés, pour la plupart membres du Groupe socialiste, ont saisi
la Cour constitutionnelle d’une requête en inconstitutionnalité,
arguant que la Convention introduisait les concepts de «rôles socialement
construits» et de «rôles stéréotypés», ainsi que le terme de «genre»,
et que ces éléments ouvraient la voie au mariage entre personnes
de même sexe.
175. Dans son arrêt du 27 juillet 2018, la Cour constitutionnelle
bulgare a jugé la Convention d’Istanbul contraire à la Constitution.
La décision a été prise par huit voix contre quatre. La Cour a estimé
que malgré d’indéniables aspects positifs, la Convention présentait
des contradictions internes qui créaient une dualité. La signification
de certaines des dispositions de la Convention allait ainsi au-delà
de son but déclaré et de son titre, indique l’arrêt. La Cour a considéré
en particulier que l’utilisation du mot «femmes» en tant qu’objet
de la protection n’était pas cohérente avec les définitions, qui
comprennent le mot «genre»
.
176. Les représentants du parti GERB (au pouvoir) que nous avons
rencontrés ont insisté sur le fait qu’ils étaient favorables à la
ratification. Compte tenu de la décision de la Cour constitutionnelle,
ils ont décidé de préparer un ensemble de modifications législatives
du Code pénal et du Code de procédure pénale ainsi que de la loi
sur l’exécution des peines et la détention provisoire afin de renforcer
la protection des victimes de violences, dont la violence domestique.
Les travaux étaient en cours lors de notre visite. Tout en regrettant
que la Convention d’Istanbul n’ait pas été ratifiée, ces représentants
considéraient que grâce au débat tenu, l’adoption d’une telle loi
semblait désormais possible.
177. Nous avons aussi rencontré lors de notre visite des représentantes
d’organisations non gouvernementales de défense des droits des femmes,
qui avaient un point de vue différent et considéraient que le débat
a eu des effets beaucoup plus négatifs. En premier lieu, le débat
a selon elles soulevé beaucoup d’émotion et donné lieu à l’utilisation
d’arguments fallacieux et de propos haineux qui ont favorisé l’expression d’une
hostilité ouverte vis-à-vis de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle
et transgenre (LGBT), et entraîné la fermeture d’associations LGBT.
178. L’arrêt de la Cour constitutionnelle aura une autre conséquence
négative: l’absence d’une loi d’ensemble de protection des femmes,
dont l’adoption revêt pourtant un caractère d’urgence en Bulgarie. Actuellement,
les victimes de violences se retrouvent dans une situation dramatique
et malgré tous les efforts de la société civile, cette situation
ne s’améliorera pas tant que des politiques publiques adaptées et
des fonds suffisants ne seront pas mis en place. Certaines régions
ne disposent pas de centres d’accueil et n’offrent aucune aide matérielle
ou psychologique.
179. Nos interlocutrices de la société civile se sont montrées
très sceptiques quant à la perspective de l’adoption d’une loi sur
la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes.
Elles ont déploré de n’avoir à aucun moment été associées à sa préparation.
Selon les informations qui nous été transmises, il n’y avait pas
de consultation en cours sur ce sujet. Nous espérons néanmoins que
le texte, de toute évidence nécessaire, sera adopté.
180. Dans leurs commentaires, les autorités bulgares ont précisé
que les amendements proposés avaient été inscrits dans le registre
public – conformément à l’article 76 des règles d’organisation et
de procédure de l’Assemblée nationale – et publiés le 24 octobre 2018
sur le site internet officiel de l’Assemblée avec une date limite
fixée au 22 novembre 2018 pour la soumission de commentaires. Sept
ONG ont présenté leur avis. Par ailleurs, les amendements ont été
examinés au sein d’un groupe de travail interinstitutions du ministère
de la Justice auquel ont participé des représentants de neuf ONG
et de la société civile.
181. Le 7 février 2019, le Parlement bulgare a adopté la loi modifiant
et complétant le Code pénal.
4. Conclusions
182. En conclusion, nous reconnaissons
que la Bulgarie a accompli des progrès importants depuis l’adoption, en
2013, du dernier rapport sur le dialogue postsuivi. Le pays a partiellement
mis en place une législation qui, à plusieurs exceptions près, est
conforme aux normes du Conseil de l’Europe et a par ailleurs répondu
à quelques préoccupations formulées par l’Assemblée et d’autres
mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. Cependant, la pérennité
et l’irréversibilité des réformes ainsi que l’efficacité des mesures
visant à lutter contre la corruption à haut niveau restent subordonnées
à une bonne mise en œuvre de la législation.
183. Malheureusement, en raison de la période d’instabilité politique
qu’a connue le pays entre 2013 et 2016 et des élections successives,
un certain nombre de réformes ont fait l’objet d’une procédure législative
menée de façon hâtive dans les années 2016-2017, sans réelle consultation
ni participation appropriée de toutes les parties prenantes. Il
reste à voir si elles apporteront des améliorations durables. La
situation politique actuelle, marquée depuis février 2019, par le
boycott des travaux du parlement par le parti d’opposition Parti
socialiste bulgare, pourrait freiner les progrès et fragiliser le
processus démocratique dans le pays.
184. L’Assemblée note que, pour assurer la pérennité et l’irréversibilité
des réformes, certaines mesures, dont le cas échéant des modifications
législatives, doivent encore être mises en œuvre.