1. Introduction
1. Les technologies numériques
ont un profond impact sur les économies et les sociétés et modifient
notre façon de vivre, d’étudier, de travailler, d’interagir, de
participer à des activités sociales et de nous divertir. Elles déterminent
également les emplois et les lieux de travail de demain. Il est
donc primordial d’investir dans les compétences numériques, et notamment
celles des jeunes générations. Les nouvelles aptitudes numériques exigent
une pensée critique, de la créativité et de l’imagination et peuvent
être encouragées par un enseignement / un apprentissage et des pratiques
appropriés.
2. Cependant, il est de plus en plus préoccupant de constater
que nos systèmes éducatifs sont dépassés et qu’ils ne promeuvent
pas les compétences nécessaires pour préparer convenablement nos
enfants à leur avenir. Un rapport de 2016 de l’OCDE, intitulé «
Innovating
Education and Educating for Innovation »
(«Éduquer pour innover et innover
pour éduquer») confirme qu’à ce jour, l’éducation n’a pas réussi
à tirer parti de la technologie pour accroître la productivité,
renforcer l’efficacité, améliorer la qualité et favoriser l’équité comme
l’ont fait d’autres secteurs publics. Un autre rapport de 2017 de
la Commission européenne, «
Renforcer
l’identité européenne par l’éducation et la culture »
dresse un tableau encore plus sombre:
alors que 90 % des futurs emplois nécessitent un certain niveau
d’habileté numérique, 44 % des Européens (dans les États membres
de l’Union européenne), soit près de 170 millions de personnes,
ne disposent pas des compétences numériques de base
. Il appartiendra aux gouvernements
européens d’élaborer de nouvelles stratégies judicieuses en matière
d’éducation afin d’aider les jeunes à devenir des acteurs compétents
et responsables dans un monde de plus en plus numérisé, et de combler
le fossé actuel entre leurs connaissances informelles et les pratiques
des médias sociaux, les besoins du monde réel et les pratiques des établissements
d’enseignement. Dans ce processus, il est toutefois important de
souligner qu’un rôle primordial des écoles est de favoriser un environnement
social qu’aucun dispositif numérique ne peut reproduire; ce rôle
doit être préservé, quel que soient les progrès technologiques.
3. À cet égard, ce rapport se veut une contribution au débat
international sur la manière de réformer l’école pour doter les
«natifs du numérique» de toute l’Europe des compétences et des expériences
d’apprentissage dont ils ont besoin, et les enseignants, d’un nouvel
ensemble de compétences pédagogiques
.
4. Le rapport aborde deux aspects importants: le premier concerne
la nécessité de moderniser les systèmes éducatifs de sorte qu’ils
puissent transmettre les savoir-faire et les compétences qui répondront
aux besoins du marché du travail dans les prochaines décennies.
Le deuxième concerne la nécessité pour les «natifs du numérique»
de devenir des «citoyens numériques» responsables. Les jeunes générations
nées dans les années 1990 peuvent être qualifiées de «natifs du
numérique» dans la mesure où ils ont toujours connu le monde avec
les technologies numériques. Le fait d’être un «enfant du numérique»
n’implique pas nécessairement une compréhension effective ou sophistiquée
de la technologie dans les milieux éducatifs. En revanche, il existe
souvent un fossé entre leurs connaissances informelles et pratiques
médiatiques et celles des établissements d’enseignement. Par ailleurs,
bien que les médias sociaux procurent un fort sentiment d’appartenance
à cette communauté, ces jeunes sont exposés à la cyberintimidation
et au cyberharcèlement, aux comportements prédateurs ou aux contenus
en ligne choquants.
5. La citoyenneté dans le monde numérique exige des compétences
qui englobent les valeurs, attitudes, aptitudes et connaissances
et une compréhension critique des questions relatives notamment
aux droits et responsabilités numériques, à la législation, l’étiquette,
la culture, la communication, le commerce, l’accès et la sécurité
ainsi qu’à la santé et au bien-être numériques. La «citoyenneté
numérique» se traduit par des normes gouvernant les comportements
adaptés et responsables vis-à-vis de l’utilisation des technologies. C’est
une façon de préparer tous les utilisateurs de technologies (et
pas seulement les élèves ou les étudiants), à vivre dans une société
technologique, et de leur apprendre en particulier comment se comporter
dans le cyberespace et sur les réseaux sociaux numériques.
2. Principaux défis
6. Les statistiques d’Eurostat
(2016) montrent que moins de la moitié des enfants fréquentent des
écoles équipées des technologies numériques, et seulement 20 à 25 %
reçoivent un enseignement dispensé par des enseignants qui utilisent
aisément ces technologies dans la salle de classe. Entre 50 % et
80 % des élèves n’ont jamais utilisé de manuels numériques, de logiciels
ou de jeux didactiques, et 18 % des collégiens n’ont jamais ou presque
jamais utilisé d’ordinateur pendant les cours. Et si l’on inclut
les États du Conseil de l’Europe non membres de l’Union européenne,
le tableau est encore plus sombre.
7. Plusieurs recherches universitaires et documents d’orientation
internationaux récents, tels que le document du Parlement européen
«
Innovative schools: teaching and learning
in the digital era» «(Écoles innovantes: Enseigner &
apprendre à l’ère numérique) soulignent les nombreux défis que pose
l’introduction des technologies numériques dans les salles de classe.
8. Premièrement, très peu de données de recherche disponibles
aujourd’hui sont en mesure de nous éclairer objectivement sur la
meilleure façon d’aller de l’avant. Le problème va bien au-delà
de l’aspect purement technologique; l’éducation doit aujourd’hui
opérer un changement radical de paradigme et passer d’une culture
individualiste d’acquisition des connaissances à une culture collaborative
de l’apprentissage orientée vers la création de connaissances, c’est-à-dire
d’un processus d’enseignement par l’enseignant à un processus d’apprentissage
par les élèves. Lors de la conception de l’apprentissage numérique,
il convient de prendre comme point de départ le processus d’apprentissage
de l’apprenant. L’éducation moderne devrait encourager le développement
de compétences comme la réflexion critique, la collaboration, la
créativité, et les facultés d’apprentissage. Les élèves devraient
participer à des processus supposant à la fois la fixation d’objectifs
et le choix des méthodes d’étude, d’évaluation et de réflexion.
Ces compétences non techniques sont indispensables, alors qu’un
grand nombre de compétences techniques (par exemple la mémorisation
des faits, le calcul de base) seront plus ou moins exercées à l’avenir
par des ordinateurs. Cependant, on sait encore très peu de choses
sur la manière de mettre en pratique ce changement de paradigme,
les ministères et organismes en charge de l’éducation s’efforçant
d’expérimenter les connaissances dont ils disposent.
9. Deuxièmement, ces dernières années, les gouvernements ont
beaucoup investi dans les technologies de l’information et des communications
(TIC) pour les écoles. L’OCDE estime ainsi que l’accent trop prononcé porté
à la technologie et la connectivité – tant de la part des fournisseurs
que des responsables politiques – explique le succès limité actuel
de l’éducation numérique. Le déficit de compétences numériques des enseignants
et des élèves, les difficultés à trouver des ressources et des logiciels
didactiques numériques de qualité, le manque de clarté quant aux
objectifs d’apprentissage et le défaut de préparation pédagogique
sur la façon d’intégrer utilement les technologies dans l’enseignement
accentuent l’écart entre les attentes et la réalité.
10. Les «natifs du numérique» sont compétents dans les pratiques
informelles, mais n’apprennent pas nécessairement à utiliser les
technologies de manière systématique dans les activités scolaires
ou universitaires. Les enseignants ne se sentent pas suffisamment
qualifiés pour utiliser efficacement les TIC; au mieux, ce sont
des «migrants numériques» qui utilisent les technologies numériques
pour compléter les pratiques d’enseignement courantes. Les innovations
technologiques laissent souvent à désirer sur le plan pédagogique
car les structures fondamentales restent inchangées. Il est donc
urgent de trouver de nouvelles solutions pédagogiques innovantes
pour passer de la transmission du savoir à la création du savoir
et pour introduire de nouvelles formes hybrides d’apprentissage
dans lesquelles les espaces d’apprentissage mobile, numérique, virtuel,
social et physique fusionnent. Un apprentissage constructif, aussi
bien dans l’espace physique que numérique, semble essentiel à la
réussite de l’éducation au XXIe siècle.
11. Troisièmement, les écoles et les systèmes éducatifs présentent
de grandes disparités. L’inégalité d’accès à la technologie et au
savoir entraîne une augmentation des inégalités et défavorise des
communautés et des populations entières d’écoliers et de jeunes,
en particulier les minorités et les apprenants des quartiers pauvres
ou des régions faiblement peuplées ou reculées. À ceux qui en disposent,
les compétences numériques procurent des avantages importants en
termes d’emploi, de revenu et au plan social, mais elles créent
de nouveaux obstacles pour ceux qui en sont privés. Assurer l’accès
de tous les jeunes aux mêmes aptitudes et compétences et les inciter
à développer leur intérêt et leur créativité numérique, et les amener
à créer la technologie et pas seulement à la consommer reste un
défi majeur.
12. En ce qui concerne l’équité économique, plusieurs discussions
sont actuellement en cours pour déterminer dans quelle mesure les
parents et les familles devraient contribuer financièrement à l’équipement technologique
des écoles. Le débat autour de la pratique du BYOD (
Bring Your Own Device), littéralement «apportez
votre propre appareil numérique», en est un exemple, indiquant que
chaque élève pourrait utiliser son propre matériel à l’école, est
largement utilisé en Estonie notamment. Cependant, de nombreux pays interdisent
l’utilisation des appareils mobiles personnels dans les établissements
scolaires. La France a ainsi interdit «tous les objets connectés»
– téléphones, tablettes et montres intelligentes – dans les écoles
qui accueillent des élèves de moins de 15 ans. Les professionnels
de l’éducation reconnaissent généralement qu’au lieu d’interdire
les outils technologiques, les écoles devraient enseigner comment
les utiliser de manière socialement et pédagogiquement acceptable.
Les «natifs du numérique» doivent apprendre à réguler leur propre
usage des appareils mobiles aussi bien au sein qu’en dehors de l’école
.
13. Quatrièmement, le désintérêt pour l’école est une tendance
généralement inquiétante. On considère que l’engagement émotionnel
joue un rôle déterminant dans la réussite scolaire et l’adaptation
des adolescents. Or, des recherches finlandaises, par exemple, montrent
que les élèves qui maîtrisent le mieux les technologies sont aussi
ceux qui s’ennuient le plus et s’intéressent le moins à l’école.
Selon une étude de l’OCDE réalisée en 2013, ces mêmes adolescents
finlandais qui obtiennent les meilleurs résultats aux tests PISA
se classent au bas de l’échelle des pays pour ce qui est du degré
d’intérêt qu’ils portent à l’école. Cela met en lumière l’importance
croissante de l’apprentissage personnalisé
mais aussi de l’apprentissage social et
émotionnel
pour les enseignants, les élèves
et les parents. Il est au moins aussi essentiel que l’éducation aux
médias, la sensibilisation culturelle et la résolution de problèmes
complexes. Les arts, la musique, les sports et les travaux manuels
contribuent également à un développement émotionnel et cognitif
équilibré et doivent être encouragés en lien avec l’acquisition
de compétences et d’aptitudes numériques.
14. L’éducation à domicile est également liée au désintérêt pour
l’école, surtout de la part des utilisateurs des technologies numériques
les plus talentueux, qui perçoivent de plus en plus cette méthode
d’éducation comme la méthode la plus adaptée pour leur progrès individuel
et le développement de leurs compétences. Cependant, l’école à la
maison engendre le risque de mener les enfants à l’isolement et
à l’exclusion d’un environnement scolaire, où ils interagissent
d’habitude. Cela peut constituer un développement négatif. Nous devrions
éviter de créer des citoyens numériques qui ont perdu leur capacité
d'interagir et de communiquer avec d'autres humains et qui ne peuvent
interagir qu'avec les médias numériques. Pour utiliser de manière responsable
les nouvelles technologies en tant qu'outils éducatifs, nous ne
devrions pas être excessifs et créer des réalités virtuelles basées
sur l'intelligence artificielle et l'automatisation, remplaçant
progressivement les normes et les valeurs humaines.
15. Cinquièmement, l’innovation dans l’éducation dépend en grande
partie de l’autonomisation et de la mise en relation des enseignants,
des éducateurs et des responsables de l’éducation. Ils doivent également bénéficier
de nouvelles compétences ainsi que d’un environnement, d’une infrastructure,
de matériels et d’un soutien en matière de leadership adéquats.
Pour que les technologies numériques profitent aux éducateurs, il faut
adopter une approche combinant une formation des enseignants, des
programmes et des supports pédagogiques adaptés aux modèles d’enseignement
faisant appel au numérique. Il faut créer un nouveau contenu pour
l’éducation, enrichir le matériel électronique pour les matières
artistiques et les ressources multimédias pour les livres en langues
étrangères. Cependant, aujourd’hui, le changement de pédagogie n’est pas
le seul facteur qui remet en cause la culture de travail opérationnelle
en milieu scolaire: le volume des tâches administratives et des
responsabilités numériques (les carnets de note électroniques dans
les écoles, les systèmes d’information des campus, etc.) a également
augmenté et réduit par conséquent le temps susceptible d’être consacré
au développement pédagogique.
16. Sixièmement, les écoles et les établissements d’enseignement
ont besoin d’un changement systémique de culture opérationnelle
et d’un nouveau leadership pédagogique. Cette transformation ne
peut s’opérer qu’en veillant à ce que ce dernier soit activement
tourné vers l’avenir. C’est à la fois un grand défi et une opportunité
pour les responsables de l’éducation – qui doivent aller à contre-courant des
traditions scolaires encore fortement ancrées dans le corps enseignant.
Les responsables de l’éducation doivent accompagner les enseignants
vers leur nouveau métier et les amener à être des acteurs et des
facilitateurs des processus d’apprentissage personnalisés des élèves.
17. Il n’en reste pas moins qu’un nouveau leadership motivé, surtout
dans des contextes descendants, ne saurait suffire. Le développement
de nouveaux environnements d’apprentissage dès le plus jeune âge
et leur mise en œuvre requièrent un leadership et un savoir-faire,
mais aussi un climat coopératif et une culture propice à l’innovation.
Les enseignants et les apprenants doivent avoir voix au chapitre
et être associés aux décisions et au choix des outils appropriés.
Ces nouvelles approches nécessitent une vision globale des choses,
y compris un soutien technique, mais aussi de former les parents
et la communauté. Toutefois, le plus important est de se rappeler
que l’éducation numérique consiste à enseigner de nouvelles compétences
et non à susciter la crainte ou l’obéissance. Les élèves devraient
être équipés pour se servir de l’informatique afin de créer des
programmes, des systèmes et des contenus; ils devraient en outre
être capables d’utiliser les technologies de l’information et de
la communication (et pas seulement de les reproduire), pour s’exprimer
et développer leurs idées.
18. Septièmement, la plupart des études, sinon toutes, ou les
études traitant des effets de la technologie sur la réussite scolaire
s’appuient sur des tests standardisés qui datent du XXe siècle.
La question de la validité de ces tests pour mesurer si le système
éducatif prépare les enfants aux exigences de l’économie du XXIe siècle
est en grande partie ignorée, ce qui peut être très problématique,
car la maîtrise du numérique deviendra probablement un facteur déterminant
de la productivité et de la créativité
.
19. Huitièmement, l’accès à Internet et à la technologie a également
révolutionné le processus de transmission de l’apprentissage des
enseignants auprès de leur classe. De l’antiquité au début de l’éducation en
ligne, un enseignant pouvait incarner la richesse des connaissances
que les enfants devaient apprendre (et reproduire), n’ayant aucun
moyen immédiat de vérifier l’exactitude des connaissances qui leur
étaient transmises ou de les contester. Cela a changé et les enfants
qui ont des compétences numériques peuvent désormais contester la
source, la précision et l’applicabilité des informations qu’ils
reçoivent, simplement en effectuant une vérification des antécédents
en ligne.
20. Enfin, la question de la sécurité et de la protection des
données est elle aussi importante dans ce débat. La plupart des
enfants ignorent comment leurs données et informations sont traitées
et ne savent pas comment exercer leur droit au respect de la vie
privée et à la protection des données. Parmi les questions qui se
posent, celle de la cybersécurité et de la protection des données
est aujourd'hui l’une des plus importantes. Les enfants, en particulier
ceux qui n’ont que peu ou pas d'expérience en matière d’outils numériques,
sont très exposés à l’hameçonnage et au piratage. De plus, à une
époque où les fake news sont relayées et où le discours de haine
est omniprésent, la pensée critique et l’utilisation éthique d’internet
deviennent des compétences essentielles pour les enfants et les
jeunes. Des documents d’orientation et d’éducation clairs et ciblés
doivent être élaborés pour donner aux enfants et aux jeunes les
outils, les connaissances et les compétences dont ils ont besoin
pour naviguer en toute sécurité. En somme, je pense que la meilleure approche
pour faire face aux différents défis est celle qu’on pourrait appeler
en grec «Μηδέν άγαν»: «sans excès»
ou «avec modération». Nous devons être conscients des limites et
des menaces de l’utilisation des technologies numériques dans l'éducation.
L'accent devrait plutôt être mis sur les nouveaux types d'instruction adaptés
et adaptables à la société moderne, plutôt que sur la numérisation
maximale de l'éducation.
3. Craintes
des citoyens et avantages de l’utilisation des moyens numériques
dans l’éducation
21. Les effets de la technologie
sur les enfants, avec ses avantages et ses inconvénients, sont complexes. La
pénétration grandissante des technologies modernes de l’information
dans le quotidien des jeunes suscite des craintes quant aux effets
sur leur cerveau en développement. Un débat public animé a donné
lieu à des allégations selon lesquelles une utilisation intensive
de la technologie pourrait être la cause d’une régression des facultés
intellectuelles qui s’exprimerait par l’incapacité à se concentrer
ou à réfléchir. Malgré la polarisation des opinions émises avec
force conviction dans la sphère publique, rares sont les preuves scientifiques
réelles qui étaient ces affirmations. Quelques études expérimentales
seulement se sont penchées sur la relation entre l’utilisation de
la technologie et le fonctionnement cognitif, et leurs résultats
sont contradictoires. Une étude souvent citée dans les médias populaires
a établi, par exemple, un lien entre le média-multitâche chronique
et une distractibilité accrue chez les adultes, mais l’étude de
suivi menée par un autre groupe de recherche n’a pas réussi à reproduire
ces résultats.
22. Tout comme l’émergence de la lecture a encouragé notre cerveau
à se concentrer et à faire preuve d’imagination, l’essor d’internet
renforce notre capacité à balayer l’information plus rapidement
et plus efficacement. La lecture développe plus la réflexion, la
pensée critique, la résolution de problèmes et le vocabulaire que
les médias visuels, mais la recherche montre aussi que les jeux
vidéo et autres écrans, par exemple, améliorent les capacités visuelles
et spatiales, développent la capacité d’attention, la réactivité
et la capacité à identifier des petits détails au milieu du désordre.
Du fait de l’utilisation universelle des moteurs de recherche sur
internet, les enfants sont moins enclins à retenir les choses, mais
ils savent mieux où les trouver. Vu qu’il est facile de trouver
l’information aujourd’hui, il est évident que, pour les enfants,
savoir où chercher est plus important que savoir vraiment quelque
chose. Le fait que leur cerveau n’ait pas à retenir l’information leur
permet potentiellement de se consacrer à des processus d’un ordre «supérieur»
comme la contemplation, la pensée critique et la résolution de problèmes
.
23. À ce stade, il n’est pas facile d’apprécier l’impact des technologies
numériques sur l’éducation. Un récent rapport du Parlement européen
souligne qu’il est important de tenir compte des recherches neurologiques
sur les effets des technologies numériques sur le développement
du cerveau et demande des investissements dans des recherches impartiales
et interdisciplinaires sur les différentes incidences des technologies numériques
sur l’éducation, en mettant en relation les sciences de l’éducation,
la pédagogie, la psychologie, la sociologie, les neurosciences et
l’informatique, afin de parvenir à «une compréhension aussi profonde
que possible de la façon dont les esprits des enfants et des adultes
répondent à l’environnement numérique»
.
24. La crainte que la technologie ne remplace les emplois fait
elle aussi polémique. Dans son étude, McKinsey prédit que d’ici
2030, l’automatisation pourrait entraîner la disparition de 800
millions d’emplois au niveau mondial et que les progrès de l’intelligence
artificielle et de la robotique auront un effet radical comparable
à celui de la révolution industrielle, qui a signé la disparition
des sociétés agricoles, sur la vie professionnelle
. Rien qu’aux États-Unis, entre 39
et 73 millions d’emplois – représentant un tiers de la main-d’œuvre
totale – seront automatisés. Il existe d’autres scénarios plus optimistes,
dont les auteurs sont convaincus que de nouveaux emplois remplaceront
ceux qui auront disparu. Ce n’est pas l’objet du présent rapport
que d’examiner cette question, mais quel que soit le scénario, il
est clair que nous devons réfléchir à la manière dont nous allons
gérer la période de transition pour la main-d’œuvre et dont nous
devons y préparer nos enfants.
25. Une chose est très claire: l’éducation, les compétences sociales
et les compétences entrepreneuriales deviennent des éléments vitaux
à promouvoir en réponse aux défis de la numérisation. L’une des
clés de la réussite est de promouvoir une culture de l’innovation
parallèlement à l’acquisition des compétences numériques et sociales
(telles que les aptitudes à la pensée critique, à l’adaptation au
changement, à la gestion des risques et des difficultés). Si elles
sont correctement employées, les technologies numériques peuvent faciliter
l’accès à l’éducation, réduire les inégalités d’instruction, accroître
la qualité et l’utilité de l’instruction, renforcer les qualifications
des enseignants et améliorer l’administration et la gouvernance
des écoles.
26. L'éducation en ligne s'accompagne d'une flexibilité accrue.
L’éducation traditionnelle obligeait les jeunes à résider dans un
seul endroit et à tout caler sur le planning de leurs cours. L’éducation
en ligne et l’école numérique permettent quant à elles de suivre
n’importe quel programme ou cours disponible dans le programme d’enseignement
national. Elles permettent aussi aux élèves d’atteindre les objectifs
à tout moment et d’organiser leur programme d’apprentissage en fonction
de leurs besoins individuels. L’auto-apprentissage présente beaucoup
d’avantages et favorise la mobilité et l’indépendance des apprenants.
27. L’éducation en ligne relie directement les citoyens du monde
entier. Grâce aux forums de discussion, aux courriels, aux webinaires
vidéo, aux chatrooms de groupe,
aux sessions de questions/réponses en direct, les apprenants peuvent
communiquer non-stop avec d’autres apprenants, des tuteurs et des
professionnels motivants. Les relations qu’ils développent pourraient
s’avérer inestimables s’ils veulent changer d’emploi ou évoluer
dans leur fonction actuelle.
28. Enfin, les matériels en ligne et l’éducation numérique sont
d’une grande utilité pour aider les élèves ayant des «besoins spéciaux»
et les enfants handicapés en tenant compte de leurs spécificités
individuelles et pour leur permettre d’acquérir les aptitudes et
compétences dont ils auront besoin pour mener une vie autonome plus
tard.
4. Priorités
et politiques de l’Union européenne
29. Les institutions européennes,
notamment la Commission européenne, sont aujourd’hui aux avant‑postes
des efforts de modernisation de l’éducation et de la formation,
avec le financement de la recherche et de l’innovation dans le but
de promouvoir les technologies numériques à des fins d’apprentissage et
de mesurer les progrès de la numérisation des écoles. S’assurer
que les citoyens de l’Union possèdent les compétences nécessaires
pour réussir sur le marché du travail et pour évoluer dans l’univers
numérique est une priorité pour l’Union européenne.
30. En 2009, le Conseil de l’Union a adopté un cadre stratégique
pour l’éducation et la formation (ET 2020), qui définit les objectifs
et l’organisation de la coopération européenne dans les domaines
de l’éducation et de la formation jusqu’en 2020.
31. Depuis 2015, il a adopté plusieurs résolutions, recommandations
et programmes décisifs
, dont:
- le programme de travail pour la période 2016-2021 (adopté
en novembre 2015), qui met l’accent sur six domaines prioritaires:
-
- le développement
des compétences pertinentes et de qualité élevée au moyen de l’apprentissage
tout au long de la vie;
- la promotion de l’éducation ouverte à tous, de l’égalité
et de la non‑discrimination;
- une éducation plus ouverte et innovante, entrant de plain-pied
dans l’ère numérique;
- le renforcement du soutien aux enseignants et aux formateurs;
- l’amélioration de la transparence des compétences et des
qualifications, afin de favoriser davantage l’apprentissage et la
mobilité;
- la promotion des investissements durables, de la qualité
et de l’efficacité des systèmes d’enseignement et de formation;
- la résolution du Conseil sur le développement socioéconomique
et l’inclusion dans l’Union européenne au moyen de l’éducation (adoptée
en février 2016), qui met l’accent sur les mesures visant à assurer des
investissements ciblés dans l’éducation, les moyens de remédier
au mieux aux déficits de compétences afin relancer la création d’emplois
et de favoriser une croissance économique durable en Europe et le
rôle de l’éducation pour promouvoir la citoyenneté et l’inclusion
sociale;
- les conclusions du Conseil sur le développement de l’éducation
aux médias et de l’esprit critique au moyen de l’éducation et de
la formation (mai 2016), qui insistent sur le rôle fondamental de
l’éducation et de la formation pour aider les jeunes à acquérir
une compétence numérique et à devenir des citoyens responsables
dans le futur;
- la résolution du Conseil sur une nouvelle stratégie en
matière de compétences (novembre 2016), dans laquelle sont mis en
évidence les principaux aspects qui orienteront les travaux du Conseil
dans ce domaine; elle vise à promouvoir l’investissement dans les
personnes tout au long de la vie et porte sur des domaines tels
que le développement des compétences, la reconnaissance mutuelle
des qualifications, le soutien à l’enseignement et à la formation
professionnels ainsi qu’à l’enseignement supérieur et les moyens
d’exploiter tout le potentiel de l’économie numérique;
- la recommandation du Conseil sur le cadre européen des
certifications pour l’apprentissage tout au long de la vie (mai 2017),
dont l’objectif est d’améliorer la transparence, la comparabilité
et la transférabilité des certifications dans toute l’Europe en
mettant en place un cadre de référence commun pour les systèmes
nationaux de certification; elle a aussi pour but de contribuer
à moderniser les systèmes d’éducation et de formation et à améliorer
l’employabilité, la mobilité et l’intégration sociale des travailleurs
et des apprenants;
- les conclusions du Conseil sur le développement des écoles
et un enseignement d’excellence (novembre 2017), qui mettent en
avant un certain nombre de priorités, notamment la nécessité d’assurer
une éducation de qualité élevée et accessible à tous, de renforcer
l’autonomie des enseignants et des chefs d’établissement et de se
réorienter vers une gouvernance plus efficace, plus équitable et
plus efficiente;
- les conclusions du Conseil sur une nouvelle stratégie
en faveur de l’enseignement supérieur (novembre 2017), dont l’objectif
général est de moderniser l’enseignement supérieur afin qu’il s’adapte à
un environnement qui évolue rapidement;
- les conclusions du Conseil intitulées «Concrétiser l’idée
d’un espace européen de l’éducation» (mai 2018) relatives à la promotion
de valeurs communes, à l’éducation inclusive et à la dimension européenne
de l’enseignement;
- la recommandation du Conseil relative aux compétences
clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (mai 2018),
dont l’objectif est d’actualiser la recommandation précédente, qui
datait de 2006, et de tenir compte de mutations telles que la numérisation
et l’évolution constante des marchés du travail;
- les conclusions du Conseil sur l’égalité entre les hommes
et les femmes, la jeunesse et la numérisation (novembre 2018), axées
sur la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes,
la lutte contre les stéréotypes sexistes et la promotion de la diversité
des voix, qui appellent les États membres à intégrer la perspective
de genre dans toutes les initiatives relatives au numérique et à
la jeunesse.
4.1. Développer
les aptitudes et les compétences numériques
32. En janvier 2018, la Commission
européenne a actualisé la compétence numérique afin de tenir compte de
la nature changeante de la technologie numérique dans la vie professionnelle
et dans la société en général. Elle est désormais définie comme
suit:
La
compétence numérique suppose l’usage sûr, critique et responsable
des technologies numériques pour apprendre, travailler et participer
à la société. Elle comprend l’éducation à l’information et au numérique,
la communication et la collaboration, la création de contenus numériques
(y compris la programmation), la sécurité (y compris le bien-être
numérique et les compétences liées à la cybersécurité), ainsi que
la résolution de problèmes.
33. À cette occasion, la Commission a adopté un Plan d’action
en matière d’éducation numérique
, qui décrit la manière «dont les
systèmes d’éducation et de formation peuvent mieux tirer parti de
l’innovation et de la technologie numérique et soutenir le développement
des compétences numériques pertinentes nécessaires pour vivre et
travailler à une époque de rapide évolution numérique». L’éducation
numérique étant principalement considérée d’un point de vue économique,
le plan d’action se concentre logiquement «sur la mise en œuvre
et sur la nécessité de stimuler, soutenir et renforcer une utilisation
adaptée des pratiques éducatives numériques et innovantes». Le but
n’est cependant pas de répondre aux besoins spécifiques du marché
du travail, mais d’éduquer pour la vie.
34. Le Plan d’action en matière d’éducation numérique comporte
trois priorités, qui définissent des mesures visant à aider les
États membres de l’Union européenne à relever les défis que pose
la transformation numérique et à saisir les chances qu’elle leur
offre:
- améliorer l’utilisation
de la technologie numérique pour l’enseignement et l’apprentissage;
- développer les compétences et aptitudes numériques pertinentes
pour la transformation numérique;
- améliorer l’éducation grâce à de meilleures techniques
d’analyse des données et de prospective.
35. Pour chaque priorité, le Plan d’action propose un ensemble
de mesures et d’initiatives concrètes que la Commission européenne,
en partenariat avec les États membres, les parties prenantes et
la société, mettra en œuvre d’ici la fin de 2020; on peut citer:
encourager l’éducation aux médias dans le cadre de la future recommandation
relative aux compétences clés pour l’éducation et la formation tout
au long de la vie
; stimuler l’apprentissage hybride,
qui conjugue mobilité et coopération en ligne (
eTwinning); consolider l’initiative
«Coalition en faveur des compétences et des emplois numériques»
en multipliant les formations; intéresser davantage d’écoles et
de jeunes, en visant une participation d’au moins 50 % des écoles
d’ici à 2020; et lancer en 2018 le programme «
Digital
Opportunity scheme» (Accès au numérique), un système
de type «chèque éducation» représentant un budget de 10 millions
d’euros et offrant à des étudiants et des jeunes diplômés des stages
à l’étranger afin d’activer leurs compétences numériques.
36. La Commission, en consultation avec les États membres, a élaboré
plusieurs cadres pour aider les décideurs, les apprenants et les
organisations à évaluer les aptitudes et compétences numériques.
Des cadres ont été élaborés à l’intention des citoyens, des organisations
et, plus récemment, des éducateurs.
4.1.1. Cadre
d’aptitudes et de compétences numériques pour les citoyens
37. Le Cadre européen des compétences
numériques pour les citoyens
définit l’éventail des aptitudes
et compétences numériques dont tous les apprenants ont besoin (5
domaines, 21 compétences). Publié en 2013, il est devenu une référence,
au niveau européen et au niveau des États membres, pour de nombreuses initiatives
en matière de compétences numériques. Le Cadre a été mis à jour
en 2016.
4.1.2. Cadre
d’aptitudes et de compétences numériques pour les éducateurs
38. Le Cadre européen de compétences
numériques pour les éducateurs
a été publié en décembre 2017. Il
recense les compétences numériques dont les éducateurs ont besoin
à
tous les niveaux de l’éducation, de
la petite enfance à l’enseignement supérieur et à la formation des
adultes, y compris la formation générale et professionnelle, les
besoins éducatifs spéciaux et les contextes d’apprentissage non
formel.
4.1.3. Cadre
d’aptitudes et de compétences numériques pour les organisations
éducatives
39. L’objectif du Cadre européen
pour les structures éducatives compétentes en numérique
(publié en décembre 2015) est de
permettre aux organisations d’auto-évaluer leurs progrès dans l’intégration
de l’apprentissage et des pédagogies numériques et d’aider les décideurs
à concevoir, mettre en œuvre et évaluer les actions politiques pour
promouvoir l’intégration et l’utilisation efficace des technologies
d’apprentissage numérique. Le concept de l’outil SELFIE (
Self-reflection on Effective Learning by Fostering
Innovation through Educational Technologies – autoréflexion
sur l’apprentissage efficace grâce à la promotion de l’innovation
à travers les technologies éducatives)
développé pour les écoles et dont
l’utilisation se généralise en Europe, est fondé sur ce cadre.
40. Pour la Commission européenne, il est essentiel d’aider les
générations futures à devenir des créateurs et des innovateurs numériques
actifs. C’est pourquoi elle a lancé l’initiative «Digital Opportunity
traineeship», un projet de stages dans le secteur du numérique qui
permettra à 6 000 étudiants et jeunes diplômés d’effectuer un stage
dans un autre pays que le leur entre 2018 et 2020. Un autre exemple
de bonne initiative est la EU Code Week (Semaine européenne du code),
qui encourage la pensée computationnelle, la programmation et les
activités connexes; l’an dernier, elle a enregistré une participation
record de de 1,2 million de personnes dans plus de 50 pays. D’ici
2020, 50 % des écoles de toute l’Europe devraient y adhérer
.
41. Le Plan d’action en matière d’éducation numérique fournira
également un cadre pour la délivrance de qualifications certifiées
numériquement qui faciliteront et accéléreront la reconnaissance
des compétences et des qualifications de tous les apprenants, enseignants
et travailleurs au-delà des frontières. C’est essentiel pour relever
les niveaux de compétences et pour accroître l’employabilité.
42. Le bien-être numérique est menacé, entre autres, par la désinformation,
le cyberharcèlement et les problèmes liés à la confidentialité des
données. L’Union européenne lance donc une initiative pour l’enseignement
de la cybersécurité qui aidera les éducateurs à comprendre les risques
encourus et à apprendre aux élèves à utiliser les nouvelles technologies
en toute sécurité et en toute confiance. Plusieurs communautés de
la connaissance et de l’innovation soutenues par l’Institut européen
d’innovation et de technologie mettront en œuvre le programme «Teach the teachers» (Former les
enseignants), qui formera 6 000 enseignants d’ici 2020 dans le cadre
de cours à distance et traditionnels en face à face. La Commission européenne
a en outre créé une Plateforme électronique pour l’éducation et
la formation des adultes en Europe (EPALE), un outil multilingue
et ouvert destiné aux enseignants, formateurs, chercheurs, universitaires, décideurs
ainsi qu’à tous les professionnels du secteur de l’éducation et
de la formation des adultes en Europe.
4.2. Soutien
financier aux programmes d’éducation numérique
43. L’Union européenne est un bailleur
de fonds essentiel pour les pays et leurs gouvernements, un certain nombre
d’organisations non gouvernementales, de groupes de réflexion et
d’autres groupes qui mènent des activités dans le domaine des TIC
et de la technologie dans l’éducation. Plus de 48 000 établissements scolaires
en Europe ne disposeraient pas d’une connexion à large bande. Grâce
au programme Connected Schools (Ecoles
connectées), plus de 16 500 écoles primaires et secondaires espagnoles
seront dotées d’un accès à large bande ultrarapide. Ce projet, le
plus actif en Europe du sud-ouest, est cofinancé par le Fonds européen
de développement régional. D’autre part, l’Union européenne soutient
le développement de la coopération entre les pays, notamment par
le biais du Réseau scolaire européen (European
Schoolnet – EUN), un laboratoire international d’idées
qui met en réseau 34 ministères européen de l’Éducation. Il a pour
mission de soutenir l’innovation éducative au niveau européen, de
mettre en contact tous les acteurs de l’éducation en Europe et de
renforcer l’intégration de pratiques d’enseignement et d’apprentissage
alignées sur les normes du XXIe siècle pour l’éducation de tous
les élèves.
44. Si j’apprécie pleinement les progrès accomplis par les différentes
institutions européennes et le soutien financier dont peuvent bénéficier
les États membres de l’Union européenne, il me paraît très préoccupant
que les pays extérieurs à l’Union ne disposent pas d’une telle aide.
Cela pourrait entraîner de nouvelles disparités substantielles et
des lignes de fracture sociale au sein de la grande Europe. Il me
semble donc nécessaire que les programmes de l’Union européenne
pour le financement de projets en dehors de l’Europe des 28 se donnent
comme priorité d’intégrer à leurs plans d’aide financière le développement
des compétences et des aptitudes numériques et l’assistance technique
aux établissements scolaires.
45. Cela étant, je rappelle que tous les États membres du Conseil
de l’Europe sont signataires de la Déclaration de l’UNESCO «Saisir
les opportunités numériques. Mener la transformation de l’éducation», approuvée
à Qingdao en 2015, qui mentionne les principales préoccupations
soulevées dans le présent rapport et encourage les gouvernements,
les partenaires de l’industrie et toutes les autres parties prenantes de
l’éducation «à unir leurs forces et à partager leurs ressources
pour créer des écosystèmes d’apprentissage numériques centrés sur
l’apprenant, qui soient équitables, dynamiques, responsables et
durables» conformément aux Objectifs de développement durable et
au programme pour l’Éducation 2030
.
4.3. Les
perspectives de l’Union européenne
46. Dans une perspective plus large
de création d’un Espace européen de l’éducation à l’horizon 2025, l’Union
européenne projette:
- d’intégrer
l’innovation et le numérique dans tous les contextes d’apprentissage;
- d’introduire un apprentissage personnalisé du numérique
pour tous dans tous les États membres: acquisition de compétences
dans le cadre d’une expérience d’apprentissage sur mesure pour tous;
- de mettre en place des bourses de l’UE pour des masters
en informatique en vue d’augmenter le nombre de spécialistes en
cybersécurité, big data, intelligence artificielle et apprentissage
automatique; réserver quelques-unes de ces bourses à des femmes;
- d’assurer une forte connectivité à tous les établissements
scolaires de l’Union européenne en les équipant d’un accès à haut
débit ultra-rapide.
47. Dans son récent rapport
, la commission de la culture et de
l’éducation du Parlement européen déplore que l’Union européenne
n’ait élaboré aucune stratégie d’ensemble pour les compétences numériques, estimant
que les disparités entre États membres montrent bien la nécessité
d’une telle stratégie.
48. Elle regrette aussi qu’il n’y ait actuellement pas de système
coordonné d’évaluation du niveau de compétence numérique des élèves.
Il y a des outils, notamment le Cadre de compétences numériques
et SELFIE, mais ils fonctionnent sur le principe de l’auto-évaluation.
La commission souligne donc la nécessité de développer un module
général d’évaluation du niveau minimum de compétences numériques
que les élèves devraient acquérir au cours de leur scolarité et
appelle l’OCDE à élaborer un module PISA pour tester le niveau effectif
de compétences numériques, ce qui constituerait une première étape.
Je suis aussi pleinement convaincu que ce serait un moyen de se
faire une idée des méthodes éducatives utilisées et de créer de
nouvelles opportunités d’échange de bonnes pratiques. Je note avec
satisfaction que l’OCDE a déjà lancé un projet visant à tester en
2024 la capacité des étudiants à apprendre dans un monde numérique.
5. Orientation
et pratiques de l’éducation numérique dans les États membres
49. Dans le cadre de mes travaux
préliminaires aux fins du présent rapport, je me suis rendu à Tallinn (Estonie)
et à Helsinki (Finlande), afin d’observer les défis posés par l’éducation
numérique et les solutions proposées dans ces deux pays technologiquement
innovants. Les deux pays arrivent en tête des tests PISA de l’OCDE
et peuvent s’enorgueillir de leurs systèmes éducatifs avancés dans
le domaine numérique. Pourtant, ils sont partis de modèles éducatifs
différents et ont adopté des approches différentes pour intégrer les
technologies numériques à l’école.
50. Il y a beaucoup à apprendre des expériences estonienne et
finlandaise, ainsi que d’autres expériences nationales. Cependant,
même les meilleures pratiques ne sauraient être aisément transposables
partout. Tous les pays européens ont des systèmes éducatifs très
différents en termes d’autonomie des établissements scolaires, de
conception des programmes, de statut des enseignants, d’attitudes
à l’égard de l’apprentissage, etc. Ces différences ont une valeur
car elles contribuent à la diversité et au multiculturalisme de
nos sociétés. Cependant, l’adaptabilité et l’ouverture sont essentielles
pour motiver les élèves et les enseignants, et l’apprentissage à
partir de différentes expériences apporte d’énormes avantages.
51. À première vue, l’Estonie a plutôt donné la priorité à l’introduction
des nouvelles technologies dans la classe et l’informatique, la
robotique ou des disciplines similaires sont enseignées dans 76 %
des écoles; les écoles sont bien équipées (0,77 ordinateur par élève);
le wifi gratuit est monnaie courante; l’administration scolaire
est fortement numérisée et l’État octroie des fonds pour la modernisation
des infrastructures technologiques. Toutefois, la Stratégie 2020
pour l’apprentissage tout au long de la vie est plutôt axée sur
une nouvelle approche de l’apprentissage et l’introduction de modèles
de compétences numériques pour les élèves et les enseignants. L’utilisation
de systèmes numériques et intelligents est largement répandue mais n’est
pas considérée comme un objectif en soi. L’Estonie est très attachée
à promouvoir des projets cocréatifs associant écoles, universités,
industries et partenaires de recherche. Les élèves peuvent travailler
en situation réelle avec de vrais partenaires de l’industrie et
du milieu universitaire dans le cadre de Living Labs, où ils sont encouragés
à concevoir ensemble de nouvelles méthodes d’apprentissage et de
nouveaux processus de recherche, ou encore à collecter des données
pour démontrer leur impact. De nombreux partenariats université-industrie
permettent également de mettre en lien des scénarios d’apprentissage
informels et formels.
52. La Finlande est souvent à l’avant-garde de l’innovation dans
l’enseignement: autonomie des établissements plutôt que classements;
dossiers plutôt que notes d’examen; apprentissage basé sur la recherche
plutôt que sur la mémorisation et sujets tirés de la vie réelle
parallèlement aux matières traditionnelles. Le programme scolaire
national met en avant l’importance d’une approche pluridisciplinaire
de l’éducation et introduit le concept d’enseignement et d’apprentissage
par les phénomènes (phenomenon-based
teaching/learning). Cette approche est beaucoup plus
proche de la résolution de problèmes réels et donne aux élèves une
compréhension plus claire de la complexité du monde. Les TIC ne
sont pas une matière à part entière dans les programmes nationaux
finlandais, mais l'une des sept compétences transversales qui doivent
être intégrées dans toutes les matières. L'utilisation des TIC est
systématiquement intégrée dans différentes matières pendant les
9 années de l’éducation générale de base. Les examens de fin d’études secondaires
sont totalement informatisés, ce qui requiert de solides compétences
techniques de la part des élèves comme des enseignants. La numérisation
des épreuves d’examen permet d’intégrer des épreuves à partir de
documents réels, comme des vidéos YouTube ou des pages internet.
L’esprit de communauté et le réseautage communautaire sont des ingrédients
essentiels du développement et de la modernisation de la formation
des enseignants. La Finlande a mis en place un système de soutien
par les pairs et de mentorat des enseignants en TIC qui semble très
efficace. Les solutions locales, la créativité et l’expérimentation
sont largement encouragées. L’objectif des politiques nationales
d’éducation numérique est de faire de l’enseignement primaire et
secondaire un système éducatif centré sur l’apprenant, avec les
enseignants les plus compétents du monde ainsi que sur une culture
scolaire ouverte et collaborative.
53. En Belgique, la numérisation de l’éducation était l’un des
piliers du Pacte pour un Enseignement d’excellence, le document
final du travail collaboratif de différents acteurs de l’éducation.
Il s’agissait, entre autres, de mettre en place une plateforme pédagogique
numérique pour les acteurs de l’éducation (partage des ressources),
de créer des espaces de travail numériques dans chaque école, d’améliorer
les compétences numériques des enseignants et des élèves et de renforcer
la gouvernance numérique dans les écoles et dans l’administration.
Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie numérique de la Wallonie,
«
Digital Wallonie» 2016-2019,
le Gouvernement wallon veut étendre et pérenniser le système «
Digital School» en lançant chaque année
un appel à projets pour soutenir des projets numériques à tous les
niveaux de l’enseignement. D’après le rapport «Baromètre Digital
Wallonia 2018 – Éducation & Numérique
», la stratégie d’intégration du numérique
est généralement portée par la direction de l’établissement.
54. En Géorgie, l’un des objectifs de la réforme de l’éducation
est de créer les ressources pédagogiques qui permettront aux élèves
de se familiariser avec les technologies modernes et leurs utilisations;
de créer un environnement d’apprentissage technologique favorable;
d’aligner le développement professionnel des enseignants sur les
exigences actuelles, etc. Les TIC font partie du programme scolaire
national. Les enseignants suivront une nouvelle formation, conformément
au nouveau plan d’action, et recevront une incitation financière
(comme en Pologne, où des conférences et subventions sont prévues
pour permettre aux enseignants d’élaborer des programmes d’enseignement).
55. La numérisation est un développement essentiel en Allemagne.
Le gouvernement fédéral et les Länder coopèrent
dans tous les domaines de l’éducation, en particulier en ce qui
concerne la modernisation et la numérisation. L’infrastructure développée
dans le cadre du Pacte numérique pour les écoles sera en place à l’échelle
nationale au début de 2019.
56. À l’automne 2016, la Conférence permanente des ministres de
l’Éducation et des affaires culturelles des Länder (Ständige Konferenz der Kultusminister der Länder –
KMK), qui est composée des 16 ministres de l’Éducation des Länder, a décidé que tout élève
scolarisé en primaire ou au niveau secondaire inférieur en 2018-2019
devra avoir acquis, à la fin de sa scolarité obligatoire, des compétences
numériques dans six domaines de compétences. L’instruction sera
également renforcée en utilisant des médias éducatifs numériques
dans toutes les matières, de sorte que les programmes d’enseignement
devront être modernisés. Vu le peu de financements disponibles pour
ce genre de formation au niveau des Länder,
le ministère fédéral de l’Éducation et de la recherche (Bundesministerium für Bildung und Forschung –
BMBF) a pris des mesures pour améliorer la culture numérique des
enseignants. Le BMBF soutient les Länder dans
le cadre du programme national «Offensive pour la qualité de la
formation des enseignants» (Qualitätsoffensive Lehrerbildung)
qui vise à améliorer durablement les contenus d’apprentissage et
la structure de l’ensemble du cursus de formation au métier de l’enseignement.
57. Aux Pays-Bas, conformément à la liberté d’enseignement et
au mode de fonctionnement du système de financement, les écoles
sont libres de choisir la méthode pédagogique qu’elles veulent appliquer
et d’y consacrer un budget plus ou moins important. Chaque école
décide quels outils TIC seront utilisés ou non et où (à l’école
ou à la maison). De ce fait, on constate de grandes disparités dans
l’utilisation des TIC entre les secteurs éducatifs, mais aussi entre
les écoles et même entre les enseignants (ces derniers sont souvent relativement
libres d’utiliser les outils qu’ils veulent en classe). Outre un
programme national de formation visant à renforcer les compétences
numériques des enseignants du primaire, les Pays-Bas s’enorgueillissent d’avoir
mis en place un programme performant qui consiste à envoyer des
spécialistes des TIC dans les écoles secondaires pour y donner des
conférences. Ils viennent parler de leur travail dans le secteur
des TIC ou d’un thème spécifique, comme les big data, la cybersécurité
ou la programmation. Par ailleurs, le gouvernement, en collaboration
avec des partenaires du réseau et un centre d’expertise, organise
des campagnes publiques, mène des recherches et offre des services
éducatifs, afin de sensibiliser les jeunes, les enseignants et les éducateurs
à la technologie numérique et d’encourager leur sens critique.
58. En 2006, la Norvège a instauré un nouveau programme d’enseignement
national qui renforce le statut de la compétence numérique, désormais
classée cinquième compétence de base à l’école élémentaire (niveau
1-13). Conformément au nouveau Plan général pour la formation des
enseignants, la compétence numérique arrive en cinquième position
dans le référentiel des compétences de base, quelle que soit la matière.
La Stratégie nationale pour la qualité et la coopération en matière
de formation des enseignants 2017 prévoit aussi de financer des
programmes de formation aux compétences numériques pour les enseignants. Par
ailleurs, le ministère de l’Éducation a publié une stratégie en
faveur de la numérisation dans l’enseignement primaire, secondaire
et professionnel pour 2017-2021, qui poursuit un double objectif: développer
les compétences numériques des élèves et améliorer l’offre et les
ressources technologiques mises à disposition par les écoles.
59. Le Programme opérationnel «Pologne numérique 2014-2020» vise
à renforcer les bases numériques pour favoriser le développement
à l’échelle nationale: accès généralisé aux connexions à haut débit,
services publics en ligne aussi efficaces que simples à utiliser
et amélioration continue du niveau des compétences numériques au
sein de la population. Le ministère de l’Éducation et le Centre
pour le développement de l’éducation travaillent à la création d’un
nouveau contenu pour l’éducation, complété par du matériel électronique
pour les disciplines artistiques et des ressources multimédias pour
les livres en langues étrangères. Il convient de mentionner également
les activités de fondations et d’institutions non gouvernementales
dans le domaine de l’éducation (éducation aux médias et éducation
numérique).
60. Au Portugal, le programme scolaire est défini au niveau national
et axé sur des objectifs; les TIC sont intégrés dans l’ensemble
du programme scolaire en tant qu’outils. En 2015, des objectifs
d’apprentissage des TIC ont commencé à être fixés pour chaque domaine
du système éducatif. Une initiative volontaire de programmation
est en cours et les projets qui en découlent favorisent l’intégration
des TIC dans les programmes d’études à tous les niveaux de l’éducation.
À l’origine, le projet d’enseignement à distance Escola Móvel, conçu et développé
par le ministère de l’Éducation, ciblait les enfants issus de familles
du milieu du spectacle et du cirque contraints de changer d’école
plusieurs fois par an, au gré de l’activité professionnelle de leurs
parents, avec à la clé des taux élevés d’abandon et d’échec scolaire. Escola Móvel veut préparer les apprenants
aux enjeux du numérique en combinant l’utilisation de la technologie
avec le développement de différentes compétences – de base (langue
et numérique), scientifique, visuelle, artistique, artistique, multiculturelle
– dans toutes les matières. Cet exemple montre comment les salles
de classe virtuelles et l’apprentissage à distance peuvent répondre
aux besoins éducatifs des apprenants qui n’ont pas accès à l’instruction
ordinaire en classe.
61. En Roumanie, la loi n° 1/2011 porte explicitement sur les
(principales) compétences numériques. Le programme scolaire de l’enseignement
primaire prévoit un enseignement intégré et met la technologie en corrélation
avec d’autres disciplines. La fiche d’évaluation des normes professionnelles
et des enseignants prévoit l’utilisation des nouvelles technologies
pour enseigner. Des manuels numériques sont élaborés pour l’enseignement
primaire. Le programme gouvernemental et les stratégies de développement
de l’éducation visent à informatiser rapidement et complètement
l’enseignement à l’échelle nationale. L’approche consiste à doter
tous les établissements scolaires d’équipements informatiques performants,
afin d’organiser un enseignement de qualité.
62. En Macédoine du Nord, les programmes scolaires rendent obligatoire
l’utilisation des TIC à l’école dans le cadre du processus éducatif
(30 % des cours doivent être dispensés en utilisant les TIC), de
sorte que l’utilisation d’ordinateurs et d’autres équipements TIC
sont essentiels et font partie des plans de cours quotidiens des
enseignants. L’Inspection nationale de l’éducation veille à l’application
des TIC dans l’éducation.
63. Le ministère de l’Éducation de la Turquie a pris plusieurs
initiatives importantes. En 2010, il a lancé le projet FATIH, qui
prévoit une connexion internet à haut débit dans toutes les salles
de classe, des tableaux blancs interactifs dans toutes les classes
de l’enseignement élémentaire (de la 1re à
la 8e classe) et du lycée, des tablettes
numériques pour tous les élèves – à partie de la 5e classe
– ainsi qu'un support complet et de cours de formation en ligne
pour les enseignants et les formateurs, destinés à leur permettre
de devenir des créateurs de contenus numériques. Depuis 2013, ce
sont 190 543 enseignants qui ont ainsi été formés.
64. Le réseau d’information pédagogique (EBA) est une autre initiative
gouvernementale visant à favoriser l’utilisation efficace, grâce
à l’informatique, de matériels pédagogiques numériques et à garantir
l’intégration de la technologie dans l’éducation. Des matériels
pédagogiques numériques (vidéos, logiciels et jeux éducatifs, par
exemple) et des outils permettant de créer des ressources multimédias
(ideaLStudio, EBA Sunum, Eutdyo et Xerte) sont mis gratuitement
à la disposition des élèves et des enseignants. EBA est aussi un
portail donnant accès à d’autres plates-formes en ligne, telles
que Khan Academy, Da Vinci Learning et Lingus. Avec EBA, les élèves
peuvent utiliser les matériels pédagogiques numériques à l’école
et à la maison, à tout moment et en tout lieu.
65. Le ministère de l’Éducation nationale a lancé solennellement
un processus de réforme des programmes qui tient compte du fait
que les aptitudes et compétences numériques sont des compétences
essentielles pour tous les élèves, y compris les élèves des filières
professionnelles, et vise à les promouvoir. Enfin, la Turquie collabore
activement aux projets de citoyenneté numérique du réseau scolaire
européen (European Schoolnet).
66. Le Royaume-Uni a été le premier pays de l’Union européenne,
en 2014, à inscrire le codage informatique dans les programmes du
primaire et du secondaire – les élèves ont des cours d’informatique
à partir de l’âge de 4-5 ans. Par ailleurs, il ressort de la Stratégie
numérique du Royaume-Uni présentée en mars 2017 que les obstacles
que rencontrent les écoles dans les régions non connectées à une
infrastructure numérique appropriée seront en partie levés et que
le Network of Teaching Excellence in
Computer Science (Réseau d’excellence de l’enseignement
de l’informatique) sera doté d’un budget pour aider enseignants
et chefs d’établissement à développer leur connaissance et leur
compréhension de la technologie. Ce réseau de plus de 350 professeurs
propose un développement professionnel continu afin d’aider les
enseignants à mettre en œuvre le programme en informatique. La stratégie
vise parallèlement à inciter les diplômés en informatique à choisir
l’enseignement, grâce à de généreuses bourses. Les spécialistes
de l’éducation encouragent également l’inclusion numérique en renforçant
le rôle des bibliothèques pour en faire des fournisseurs d’accès numérique,
de formation et de soutien sollicités par la population locale.
Enfin, les bibliothèques soutiennent des initiatives à visée transformatrice
comme les Code Clubs (plus de 5 000 font appel à des volontaires
et utilisent des contenus en ligne de pointe pour donner aux jeunes
la possibilité d’apprendre à programmer).
6. L’éducation
à la citoyenneté numérique et le Conseil de l’Europe
67. En matière d’éducation numérique,
l’une des principales questions qui se posent est celle de son but ultime:
suffit-il de moderniser les systèmes éducatifs pour promouvoir les
aptitudes et compétences répondant aux besoins du marché du travail,
ou s’agit-il d’éduquer les «natifs du numérique» pour qu’ils deviennent
des «citoyens numériques» responsables, qui savent se comporter
dans le monde numérique de manière appropriée, responsable et intelligente,
et qui sont conscients des conséquences de leurs activités en ligne, bonnes
et mauvaises? Les deux aspects requièrent une action conjointe,
aux niveaux gouvernemental et intergouvernemental, par la coordination
et la complémentarité.
68. Cela fait des années que le Conseil de l'Europe œuvre pour
l’éducation à la citoyenneté démocratique, ce dont témoigne son
Cadre de référence des compétences pour une culture démocratique.
S’agissant de la vie numérique des personnes, et notamment des enfants,
le Conseil de l'Europe, qui ciblait son action sur leur sécurité
et leur protection, a maintenant pour priorité de favoriser, par
l’éducation, leur participation sans danger, efficace, critique
et responsable, dans un monde où les technologies numériques et
les médias sociaux sont omniprésents. En 2016, le Comité directeur
du Conseil de l’Europe pour les politiques et pratiques éducatives
(CDPPE) a lancé un nouveau projet intergouvernemental intitulé «Éducation
à la citoyenneté numérique» (ECN), dont l’objectif est de contribuer
à redéfinir le rôle que joue l’éducation pour permettre à tous les
enfants d’acquérir les compétences dont ils ont besoin en tant que
citoyens numériques pour participer activement et de manière responsable
à la société démocratique, que ce soit hors ligne ou en ligne.
69. Le projet ECN identifie plusieurs problèmes qui ont à voir
avec le besoin de compétences transversales pour avoir accès aux
technologies, communiquer, participer et créer en ligne, ainsi qu’avec
la fracture numérique, qui concerne l’accès à la «vie numérique»
et le fait d’en être exclu par manque de compétences. L’absence
de sensibilisation à l’importance de la citoyenneté numérique prévaut
parmi les enseignants, les familles, les directeurs d’écoles, les
institutions de formation et les pouvoirs publics.
70. Le projet ECN repose sur les résultats du programme d’Éducation
à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme (ECD/EDH),
mis en œuvre de longue date par le Conseil de l’Europe, et sur les
premiers résultats du projet Compétences pour une culture démocratique.
Le point de départ du projet était de savoir si c’était une bonne
chose que les enfants aient deux vies – une vie relativement déconnectée
à l’école et une vie saturée par les technologies numériques en
dehors de l’école – ou s’ils ne pourraient pas réunir l’une et l’autre
en une seule et même vie d’apprenant et de citoyen numérique.
71. Pour permettre à tous les enfants de s’épanouir pleinement,
comme élèves et comme citoyens, dans un monde d’une grande diversité
numérique, le projet ECN s’est attaché à promouvoir des politiques
visant à encourager des mesures positives et à encourager l’autonomie
des jeunes, au détriment des politiques axées uniquement sur la
sécurité et la protection ou le contrôle des comportements. La responsabilité
du secteur éducatif et de ses principaux acteurs doit en outre être
revue.
72. L’un des principaux problèmes que l’ECN a permis d’identifier
est l’absence de définitions communes de concepts et protocoles
essentiels pour approfondir la citoyenneté numérique et éduquer
à la citoyenneté numérique. À la suite de discussions avec un groupe
d’experts, le projet a défini l’ECN comme l’acquisition des compétences
nécessaires (valeurs, capacités, attitudes, connaissances et compréhension
critique) pour s’engager de façon positive et critique dans l’environnement
numérique et pratiquer des formes de participation sociale respectueuses
des droits de l’homme et de la dignité par une utilisation responsable
de la technologie.
73. Jusqu’à présent, le projet ECN a constitué un groupe d’experts,
passé en revue les publications sur le sujet, mené des consultations
multipartites et organisé une conférence de travail, en septembre
2017 à Strasbourg. Au terme de ce travail, un modèle conceptuel
a été élaboré sur la base de dix domaines de la citoyenneté numérique
pertinents pour le secteur éducatif. Ces dix domaines ont été regroupés
dans trois catégories:
- présence
en ligne (accès et inclusion; apprentissage et créativité; éducation
aux médias et à l’information);
- bien-être en ligne (éthique et empathie; santé et bien-être;
présence et communication sur internet);
- droits en ligne (participation active; rôles et responsabilités;
respect de la vie privée et sécurité; sensibilisation des consommateurs).
74. Ces activités ont conduit à un large éventail de recommandations,
dont l’une est de diffuser une définition commune de l’ECN pour
permettre aux gouvernements, à la société civile, à l’industrie
et au monde universitaire de travailler sur une même base et d’élaborer
une approche intégrée et multipartite. Des MOOCs (
Massive Open Online Courses), des
ressources en ligne et hors ligne sont aussi nécessaires pour enseigner une
utilisation responsable des nouvelles technologies. Parmi les autres
recommandations, on peut citer:
- redoubler
d’efforts pour faire participer les familles aux initiatives de
citoyenneté numérique;
- nommer un responsable de la politique numérique dans les
écoles;
- publier des plans de cours et illustrer les possibilités
d’apprentissage pour les ressources les plus intéressantes;
- mettre en œuvre des mécanismes de suivi solides pour identifier
les nouvelles tendances et les effets secondaires positifs et négatifs;
- mener des recherches pour mieux comprendre les fenêtres
de développement pour enseigner et inculquer des valeurs, des attitudes,
des compétences, des connaissances et une pensée critique.
75. Le projet ECN travaille actuellement à l’élaboration d’un
cadre politique, qui devrait être soumis au Comité des Ministres
vers la fin de 2019. Ce cadre servira d’orientation aux États membres
pour l’élaboration de cadres nationaux d’ECN. Le projet a donné
lieu à la publication d’un manuel d’éducation
à la citoyenneté numérique, destiné aux élèves, aux enseignants,
aux parents et aux décideurs du secteur de l’éducation. Le manuel
propose des informations, des outils et de bonnes pratiques pour
favoriser le développement de ces compétences en restant fidèle
à la vocation du Conseil de l'Europe consistant à protéger les enfants
mais aussi à les rendre plus autonomes et à leur permettre de vivre
ensemble, dans l’égalité, dans les sociétés démocratiques d’aujourd’hui
marquées par la diversité culturelle, en ligne et hors ligne. Le
projet encourage la coopération avec le secteur privé en vue de
développer des ressources et de mettre en œuvre des projets communs
pour la promotion de la citoyenneté numérique. Des lignes directrices
destinées à régir les partenariats entre les établissements d’enseignement
et le secteur privé seront mises au point cette année. Un kit a
aussi été conçu pour les professionnels qui forment les enseignants
à l’éducation à la citoyenneté numérique. Des groupes de discussion
avec des parents ont été mis en place dans cinq États membres (Croatie,
Grèce, Belgique, France et Allemagne) pour évaluer la connaissance
et la compréhension de la citoyenneté démocratique par les parents
et pour réfléchir aux meilleurs moyens d’atteindre les parents et
de les informer.
76. Dans ce contexte, il importe aussi de mentionner la campagne
du Conseil de l'Europe intitulée «S’exprimer en toute liberté, apprendre
en toute sécurité – des écoles démocratiques pour tous», qui est
un moyen essentiel de mettre en œuvre le Cadre de référence des
compétences pour une culture démocratique. Une composante majeure
de ce projet est le réseau des écoles démocratiques: il rassemblera
des centaines d’établissements scolaires dans tous les États membres,
qui pourront partager leurs bonnes pratiques concernant la mise
en œuvre du Cadre, y compris des activités de promotion des compétences
numériques.
77. Enfin, les lignes directrices du Conseil de l'Europe relatives
au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant
dans l’environnement numérique ont été adoptées en juillet 2018.
Elles visent à aider les États et les autres parties prenantes à
adopter une approche stratégique globale pour défendre l’intérêt supérieur
de l’enfant dans le monde complexe de l’environnement numérique.
Parmi les nombreux thèmes traités dans les lignes directrices figure
le droit des enfants à l’éducation, envisagé sous l’angle des compétences
numériques (y compris la maîtrise des médias et de l’information,
et l’éducation à la citoyenneté numérique) et sous l’angle des programmes
et ressources en matière d’éducation, qui doivent rendre les enfants
capables d’agir dans l’environnement numérique et doivent favoriser
leur éducation sous toutes ses formes.
7. Conclusions
et recommandations
78. Le niveau d’utilisation des
technologies numériques dans l’éducation varie d’un État membre
et d’une région à l’autre, parfois même d’une commune à l’autre
dans un même pays. Il existe également de grandes disparités entre
les différents secteurs de l’éducation. Les bonnes pratiques n’étant
pas aisément transposables, il est très difficile de formuler des
recommandations générales pour les États membres. Néanmoins, il
est possible de définir des lignes directrices sur les principes
et les politiques.
79. Tout d’abord, j’insiste sur la nécessité d’investir suffisamment
et durablement dans l’éducation publique. En matière d’éducation,
les politiques publiques doivent être fondées sur le principe de
l’éducation inclusive et s’efforcer de réduire les inégalités sociales,
de genre, économiques, culturelles et géographiques. L’État doit financer
les équipements TIC, matériels, logiciels et autres moyens techniques,
ainsi que leur remplacement régulier, afin de garantir l’égalité
d’accès à l’éducation. À court terme, chaque établissement devrait
proposer à chaque apprenant et à chaque équipe d’enseignants un
apprentissage numérique. À long terme, il est essentiel que les
enseignants soient formés pour acquérir les aptitudes et les compétences
dont ils ont besoin pour servir de modèle à leurs élèves.
80. Le pouvoir transformateur d’une technologie est une question
de choix et de circonstances. Le défi de la transformation numérique
réside davantage dans l’intégration de nouveaux types d’enseignement
que dans les obstacles technologiques à surmonter. À cet égard,
comme j’ai pu l’observer, c’est dans les pays qui développent la
liberté académique et l'autonomie institutionnelle que l’éducation
numérique a véritablement décollé.
81. Si à elles seules les technologies numériques ne peuvent pas
transformer l'éducation, elles ont un potentiel énorme pour faire
évoluer les pratiques d'enseignement et d'apprentissage dans les
écoles et ouvrir de nouveaux environnements d'apprentissage. Elles
peuvent faciliter la mise en place de modèles pédagogiques innovants,
d’exercices de simulation comme les laboratoires virtuels ou à distance,
de collaborations internationales, de l’évaluation formative en
temps réel et de l’évaluation fondée sur les compétences – les enseignants
pourraient suivre l’évolution des apprenants en temps réel et adapter
leur enseignement en conséquence – ainsi que de l'apprentissage
en ligne, des ressources éducatives ouvertes et des MOOCs. Le recours
aux TIC, à la robotique, à l’intelligence artificielle ou à toute
autre technologie intelligente ne doit être qu’un moyen pour enseigner
et apprendre, et non un objectif éducatif en soi. Je suis favorable
à un modèle éducatif (de type finlandais) où les TIC ne sont pas
une matière à part entière dans les programmes nationaux, mais une
compétence transversale parmi d’autres intégrée dans toutes les
matières.
82. Lutter contre la fracture socio-numérique est capital. Les
TIC peuvent soutenir l’apprentissage personnalisé et promouvoir
les possibilités d’apprentissage individuel pour tous. Développer
des aptitudes et compétences numériques devrait être considéré comme
complémentaire à l’acquisition d’autres compétences sociales, civiles
et interculturelles essentielles; elles devraient aider les apprenants
à identifier et à traiter l’information de façon critique quand
ils travaillent individuellement, en équipe ou dans le cadre d’un apprentissage
par projet, et les aider à devenir des citoyens sensibilisés au
numérique et des citoyens démocratiques actifs.
83. Il est essentiel que les nouveaux modèles d’apprentissage
soient axés sur une éducation de qualité. Une «commercialisation»
de l’éducation risque de compromettre la qualité de l’enseignement
et d’entraîner une déprofessionnalisation. Une éducation de qualité
incluant les TIC implique de mettre au premier plan la communauté
dans laquelle les élèves apprennent. C’est au sein d’équipes, de
classes et dans l’échange avec les autres membres de la communauté
d’apprenants que la capacité à résoudre les problèmes et le jugement critique
se développent le mieux. Les enseignants ont un rôle clé à jouer
dans la mise en place d’un environnement d’apprentissage propice
à une communauté où les apprenants communiquent entre eux.
84. Parallèlement, les gouvernements doivent aussi s’intéresser
sérieusement à la sécurité en ligne, à la cybersécurité, ainsi qu’à
l’éducation aux médias et aux dangers potentiels d’une société numérisée.
Ils devraient également s’attaquer à d’autres enjeux numériques,
notamment la promotion de la pensée critique, la prévention du cyberharcèlement,
la nétiquette et la prévention de l’endoctrinement via internet
et les réseaux sociaux. Dans ce contexte, je salue les efforts déployés
par le Conseil de l’Europe pour promouvoir les principes et les
outils de l’éducation à la citoyenneté numérique afin de doter les
enfants et les jeunes des outils, des connaissances et des compétences
dont ils ont besoin pour naviguer en toute sécurité.
85. Le poids de la transformation des écoles numériques repose
en grande partie sur les épaules des enseignants et des éducateurs,
qui ont besoin de toutes nouvelles compétences, mais aussi d'un environnement,
d'une infrastructure, de matériels et d'un soutien en matière de
leadership adéquats. Pour que les enseignants et les éducateurs
soient compétents, à l’aise avec les outils numériques et motivés,
les gouvernements doivent financer la formation initiale et continue
des enseignants de façon satisfaisante et durable. Je crois que
tous les enseignants doivent être formés aux TIC, particulièrement
utiles d’un point de vue intersectoriel. De plus, les enseignants
devraient être effectivement associés à l’élaboration et à l’évaluation
des nouveaux programmes, cours, programmes d’études, validations
et ressources pédagogiques. Chaque enseignant devrait pouvoir choisir
et varier les méthodes, matériels et approches pédagogiques ainsi
que les méthodes d’évaluation en toute autonomie.
86. Il est important aussi, selon moi, de promouvoir le renforcement
de la perspective de genre dans la numérisation. L’élimination des
écarts femmes-hommes est cruciale dans ce contexte. Les femmes sont nettement
moins représentées dans les domaines des STIM (sciences, technologie,
ingénierie et mathématiques), au niveau scolaire comme universitaire.
Des efforts ciblés doivent donc être faits pour attirer les filles
et les femmes dans ces secteurs dès leur plus jeune âge. Les techniques
d’enseignement innovantes utilisant la robotique, l’intelligence
artificielle, mais aussi l’acquisition de compétences en informatique,
en programmation ou en cybersécurité dans le cadre de projets pratiques
et du codage en équipe, peuvent leur offrir de bonnes perspectives
d’emploi. La réduction de la ségrégation professionnelle, associée
à des politiques permettant de concilier vie professionnelle et
vie privée par le biais de l’éducation numérique, est essentielle
pour promouvoir la participation des femmes au marché du travail.
87. En conclusion, afin d’être à la hauteur dans un monde où les
technologies se développent rapidement et où les marchés sont concurrentiels,
l’éducation en Europe doit devenir beaucoup plus participative, transversale
et connectée à la vie réelle, et surtout, le développement de l’éducation
numérique ne doit pas produire d’exclusion sociale. À cette fin,
les gouvernements européens et les institutions européennes doivent concevoir
des environnements d’apprentissage innovants et stimulants de la
petite enfance au niveau universitaire et au-delà. Il faut pour
cela repenser le rôle de l’éducation dans sa globalité, investir
dans les infrastructures, revoir l’organisation, réorganiser la
formation des enseignants, créer des ressources éducatives numériques
et des logiciels éducatifs performants.
88. La transformation numérique exige que les citoyens, les écoles,
les organisations et les sociétés apprennent en permanence de nouvelles
façons de travailler et de gérer les affaires courantes. Il est
donc de la plus haute importance de développer l’apprentissage tout
au long de la vie, les compétences en matière de recherche et les
projets de cocréation avec l’industrie, la recherche et les partenaires
éducatifs.
89. Nous n’en sommes qu’au début – plusieurs pays expérimentent
actuellement différentes approches et différents modèles. À cet
égard, le Conseil de l’Europe, en coopération avec l’Union européenne
et d’autres acteurs nationaux et internationaux, pourrait jouer
un rôle clé dans le développement des outils qui contribueront au
suivi de leur mise en œuvre et à l’évaluation de leur impact.