1. Introduction
1. Le Conseil de l’Europe est
fermement déterminé à améliorer la protection des journalistes et
à renforcer la liberté des médias. En plus des obligations fondamentales
qui découlent de la Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH) et en particulier – mais pas seulement – de son article 10,
les instruments normatifs
adoptés par le Comité des Ministres
fournissent aux États membres des recommandations claires pour les aider
à instaurer un cadre juridique solide permettant de garantir la
liberté des médias ainsi que la sécurité des professionnels de ce
domaine.
2. Les rapports périodiques du Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe ont beaucoup contribué à attirer l’attention des États
membres sur la nécessité de rendre cette protection plus efficace.
En outre, la liberté des médias est un thème central de l’action
de la Commission de Venise et de la Commissaire aux droits de l’homme
ainsi que des travaux du Comité directeur sur les médias et la société
de l’information (CDMSI). Et quant à l’Assemblée parlementaire,
elle a constamment accordé une attention particulière aux problèmes
liés à la liberté des médias et à la sécurité des journalistes,
ainsi qu’aux conditions indispensables au bon fonctionnement des
médias.
3. La création, en 2015, de la Plateforme du Conseil de l’Europe
pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes
(ci-après «la Plateforme») a constitué une évolution majeure. Cette
Plateforme est la réponse apportée aux demandes faites par des organisations
de journalistes et des groupes de défense de la liberté de la presse
ainsi qu’aux appels répétés de notre Assemblée. Elle effectue un
important travail de veille et de collecte d’informations par le
biais d’organisations partenaires. Elle produit des statistiques
et des rapports périodiques, dont le but est d’alerter la communauté
internationale et de responsabiliser les États membres, qui ont
l’obligation positive de protéger la liberté des médias et la sécurité
des journalistes.
4. Malgré tous ces efforts, le contexte dans lequel les journalistes
et les médias travaillent aujourd’hui est non seulement insatisfaisant,
mais souvent assez préoccupant: dans de nombreux États membres,
menaces, harcèlement, restrictions juridiques et administratives,
pressions politiques et économiques injustifiées sont monnaie courante.
Plus grave encore, des journalistes qui enquêtent sur des affaires
de corruption ou d’abus de pouvoir, ou qui ne font que critiquer
des régimes ou des responsables politiques, sont agressés physiquement,
emprisonnés de façon arbitraire, torturés et même assassinés. Cette
tendance sans précédent constitue une grave menace pour le fonctionnement
de nos sociétés démocratiques.
5. Les pressions qui s’exercent sur les médias de service public
sont de plus en plus fortes: coupes budgétaires, attaques lancées
par les partis au pouvoir pour obtenir la modification d’une ligne
éditoriale ou le retrait de journalistes indésirables et restriction
des compétences dévolues au service public.
6. Dans le présent rapport, je me propose d’analyser la manière
dont évoluent les menaces contre la liberté des médias et la sécurité
des journalistes depuis 2017. Je m’appuierai pour ce faire sur les
informations publiées par la Plateforme et par d’autres mécanismes
d’alerte rapide, mais aussi sur des analyses plus politiques concernant
la situation dans des pays où les atteintes à la liberté des médias
sont moins spectaculaires, mais où des pressions politiques et économiques
sur les médias, notamment de service public, conduisent à l’autocensure.
7. La première partie du rapport met en lumière les menaces qui
pèsent sur les journalistes et les médias de façon générale dans
les États membres. Dans la deuxième partie, j’examine les tendances
qui sont apparues pendant la période couverte par le rapport. Malheureusement,
il apparaît que certains pays ont élaboré des stratégies qui fragilisent
l’«écosystème médiatique» et sapent graduellement le pluralisme
et l’indépendance des médias. Dans la troisième partie, je décris
brièvement le fonctionnement de la Plateforme et je propose quelques
idées pour améliorer l’efficacité de son action et la rendre plus
visible.
8. Mon analyse prend appui sur le rapport d’expert de M. Marc
Gruber
, que
je remercie chaleureusement pour son excellent travail. J’ai aussi
pris en compte les contributions d’autres experts
et de plusieurs membres de la commission.
2. Tour d’horizon des menaces à l’encontre
des journalistes et des médias
9. Selon le rapport annuel 2019
de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection
du journalisme et la sécurité des journalistes (ci-après «la Plateforme»),
ces dernières années le nombre d’alertes concernant les menaces
graves à la vie des journalistes ont fortement augmenté, doublant
presque chaque année depuis 2015. Cette augmentation passe notamment
par une nette recrudescence des insultes et des violences verbales
et de la stigmatisation publique des médias et des journalistes,
y compris par des élus ou par des représentants des autorités. Cette
première partie fournit un tour d’horizon de ces menaces de 2017 à
2019 sans pour autant être exhaustive.
2.1. Atteintes
directes, graves et ciblées: les assassinats de journalistes et
la question de l’impunité
10. Ces attaques sont les plus
préoccupantes pour la profession et pour les organisations de la
société civile. Selon les alertes de la Plateforme, 10 journalistes
ont été tués depuis 2017 mais la liste ci-dessous ne reprend pas
certains d’entre eux, notamment lorsque l’enquête a montré que la
mort n’est pas liée à leur profession (Viktoria Marinova en Bulgarie)
ou parce que leur mort dépasse le cadre du présent rapport (le saoudien
Jamal Khashoggi tué dans les locaux du consulat de son pays en Turquie),
ou parce que la mort a eu lieu dans un contexte non ciblé
.
11. Danemark: Le 10 août 2017, la journaliste freelance Kim Wall
a été portée disparue après un voyage à bord d'un sous-marin pour
interviewer son inventeur, Peter Langkjær Madsen. Le 23 août 2017,
la police danoise a identifié un torse sans tête comme étant celui
de Kim Wall. Peter Madsen a été arrêté puis condamné à perpétuité
pour le meurtre de la journaliste en septembre 2018.
12. Malte: Le 16 octobre 2017, la journaliste et blogueuse anti-corruption
Daphne Caruana Galizia a été tuée dans l’explosion de sa voiture
alors qu’elle avait reçu des menaces de mort lors des semaines précédentes. En
décembre 2017, trois personnes accusées d'avoir fabriqué la bombe
sont inculpées et maintenues en détention; en juillet 2019, elles
ont été officiellement accusées du meurtre. L’enquête concernant
l’identité du ou des commanditaires du meurtre en est actuellement,
selon la police maltaise, à un «stade avancé». Le 20 septembre 2019,
le gouvernement maltais a ordonné l’ouverture d’une enquête publique
sur l’assassinat, à la suite de la
Résolution n° 2293 (2019)de l’APCE exigeant la mise en place, dans les trois mois,
d’une enquête publique indépendante sur ce meurtre. Toutefois, dans
une
Déclaration du 30 septembre 2019, la Commission des questions juridiques
et des droits de l’homme de l’APCE a exprimé de vives préoccupations quant
à l’indépendance et à l’impartialité des trois membres nommés par
le Premier ministre pour diriger l’enquête. Le 31 octobre 2019,
les organisations partenaires de la Plateforme ont décidé de transférer
cette alerte dans la catégorie «impunité pour meurtre», sur la base
de leur évaluation du manque de progrès suffisants dans l'enquête
sur cette affaire. Le 15 novembre 2019, le Gouvernement a annoncé
que deux membres de l’enquête publique sur l’assassinat de Daphne
Caruana Galizia, à la suite des préoccupations concernant leurs
impartialité, exprimées par la famille de la journaliste défunte,
seraient remplacés, et que son mandat serait révisé. Le 18 novembre
2019, la police a arrêté Melvin Theuma, qui serait l'intermédiaire
entre les trois suspects existants et la personne qui a ordonné
l'assassinat. Le 20 novembre 2019, la police maltaise a arrêté Yorgen
Fenech, l'un des hommes d'affaires les plus importants du pays,
dans le cadre d'une enquête sur le meurtre de la journaliste Daphne
Caruana Galizia. Fenech a été arrêté après l'interception et la
fouille de son yacht. Après l’arrestation de Yorgen Fenech et une
série d’investigations, le gouvernement a décidé de recommander
la grâce présidentielle pour Melvin Theuma, l’intermédiaire présumé,
tandis que la demande de grâce présidentielle de Yorgen Fenech a
été rejetée. Le 30 novembre 2019, Yorgen Fenech a été traduit en justice
et accusé, entre autres, d’association de malfaiteurs et de complicité
dans l’assassinat de Daphne Caruana Galizia. Cette mise en accusation
est le résultat d’une vaste enquête menée par la police maltaise avec
l’assistance et la collaboration de plusieurs services de police
internationaux, en particulier Europol et le FBI.
13. Royaume-Uni: Le 18 avril 2019, la journaliste Lyra McKee a été
tuée d’une balle dans la tête lors d’un reportage sur des affrontements
dans le quartier de Creggan à Derry/Londonderry (Irlande du Nord).
Le 23 avril 2019, les enquêteurs ont arrêté une femme de 57 ans,
puis l’ont relâchée sans inculpation. Ultérieurement, le groupe
extrémiste «New IRA» a reconnu sa responsabilité, offrant «des excuses
complètes et sincères» à la famille de la journaliste et à ses amis,
tout en ajoutant que la journaliste «se tenait à côté des forces
ennemies» (la police britannique).
14. Fédération de Russie:
- 9
mars 2017: le journaliste et cofondateur du journal Novy Petersburg,
Nikolai Andrushchenko, a été battu par des inconnus à Moscou. Il
avait déjà été agressé deux fois auparavant. Il est décédé le 19
avril 2017 après deux semaines d’hospitalisation;
- 15 avril 2017: Maksim Borodin, correspondant d'investigation
à Ekaterinbourg pour le site d'information indépendant Novy Den,
est décédé après être tombé du balcon de son appartement au cinquième
étage trois jours plus tôt. Les collègues de M. Borodin et les organisations
de la société civile ont demandé l’ouverture d’une enquête mais
la police russe n'a pas réagi, faute d’éléments suspects selon elle;
- 24 mai 2017: le journaliste d’investigation Dmitry Popkov,
rédacteur en chef et cofondateur du Ton-M, a été abattu de cinq
balles par des individus non identifiés, dans son jardin dans la
ville de Minoussinsk, près de Krasnodar.
15. République slovaque: Le 21 février 2018, le journaliste d’investigation
Ján Kuciak et sa compagne Martina Kusnirova ont été tués à leur
domicile, provoquant un vif émoi au sein de la classe politique
et de la société dans son ensemble. Il enquêtait notamment sur les
liens présumés entre des hommes politiques slovaques et la mafia
italienne, ainsi que sur des fraudes autour des fonds agricoles
européens. Le 8 mars 2019, l'homme d'affaires et milliardaire slovaque
Marian Kocner, dont le nom apparaissait dans les enquêtes de M. Kuciak,
a été inculpé pour avoir ordonné le meurtre.
16. Turquie: Le 29 avril 2017, Saeed Karimian, fondateur et président
de la société télévisée de langue perse GEM TV, a été abattu à Istanbul
par des individus masqués. Quelques jours plus tard deux personnes accusées
de l'assassinat ont été arrêtées en Serbie avec de faux passeports
en route pour l'Iran. Le parquet général d’Istanbul a ouvert une
enquête sur cette affaire.
17. Même si le contexte de chacun de ces meurtres est bien spécifique,
on peut cependant noter que certains d’entre eux ont fait l’objet
d’enquêtes poussées qui ont été résolues tandis que d’autres n’ont
donné lieu qu’à peu de réactions: ni réponse officielle des autorités
aux alertes, ni résultat tangible sur les exécutants ou sur les
commanditaires des assassinats. Ce silence laisse planer un doute
sur la volonté des autorités et sur le sérieux de la police à résoudre
ces affaires. Le rapport annuel 2019 de la Plateforme du Conseil
de l’Europe nous indique qu’en 2018, 26 alertes ont été lancées
sur cette Plateforme sur des cas d’impunité, dont 17 d’assassinat
de journalistes (deux en Azerbaïdjan, un au Monténégro, six dans
la Fédération de Russie, un en Serbie, deux en Turquie et cinq en
Ukraine). Une alerte distincte sur un cas d’impunité en Serbie (publiée le
10 août 2018) relève 14 affaires non résolues de meurtres, kidnapping
et disparitions de journalistes serbes et albanais entre 1988 et
2005. D’autres alertes sont liées à des affaires non résolues d’agressions
graves de journalistes.
2.2. Attaques,
agressions physiques et verbales d’origine non-étatique
18. La période 2017-2019 se caractérise
par une nette recrudescence de menaces envers les journalistes, qu’elles
soient ciblées ou générales, d’origine identifiée ou non. Il s’agit
en particulier de harcèlement en ligne dans l’environnement numérique,
notamment via les médias sociaux qui propagent des messages de haine, de
violence ou d’hostilité, mais également d’agressions réelles, notamment
lors de manifestations. De nombreux journalistes d’investigation
sont menacés de manière constante et vivent sous protection policière. Il
est à noter que deux pays qui étaient peu touchés par ce phénomène
sont à présent également affectés: la France et l’Allemagne. Cette
partie fournit un tour d’horizon des principaux cas d’origine non-étatique
par ordre alphabétique
:
19. Albanie: Le 8 mars 2017, Elvi Fundo, directeur du portail
en ligne Citynews.al et Radio Best, a été battu par des assaillants
non identifiés près de la gare de Tirana. Le 29 août 2018, une personne
a tiré à l’arme automatique sur le domicile des parents de la journaliste
Klodiana Lala.
20. Allemagne: Alors que le nombre d’attaques contre les journalistes
avait diminué en 2016 et 2017, la tendance s’est radicalement inversée
en 2018 du fait de manifestants d’extrême-droite. Sur les 26 agressions perpétrées
contre des journalistes en Allemagne en 2018, 22 ont été perpétrées
par des extrémistes de droite
, notamment le 28 avril 2018 quand
deux photographes indépendants ont été blessés après avoir été pourchassés
à travers la campagne de Thuringe par des néo-nazis armés de battes
de baseball, de couteaux, d'une clé anglaise et de gaz lacrymogènes.
L'un des photographes a été blessé à la tête et l'autre a été poignardé
à la cuisse.
21. Arménie: Le 2 avril 2017, Sisak Gabrielian, journaliste à
la section arménienne de Radio Free Europe (RFE), a été agressé
par des militants du Parti républicain d’Arménie (HHK), alors qu’il
assurait la couverture des élections parlementaires à Erevan. Le
28 septembre 2017, Nariné Avetisyan, rédactrice en chef de la chaîne
de télévision Lori à Vanadzor, a été agressée lors d’un reportage
sur le goudronnage d’une route par le responsable de la société
de construction.
22. Bosnie-Herzégovine: Plusieurs agressions et de nombreuses
intimidations ont eu lieu dans le pays. Le 20 février 2018, Nedzad
Latic, journaliste et rédacteur en chef du portail The Bosnian Times,
a été attaqué à Sarajevo, blessé à la tête et hospitalisé
. Le 26 juillet 2018,
un groupe de journalistes est agressé avec une barre de métal lors
d'une manifestation de vétérans militaires à Sarajevo. Le 20 août
2018, un groupe de quinze personnes masquées a attaqué le véhicule
de quatre journalistes et employés de la radiotélévision publique
BHRT. Le 26 août 2018, deux personnes masquées ont frappé avec des
barres de métal le correspondant de BN TV, Vladimir Kovačević à
Banja Luka
. Outre ces attaques, d’autres
journalistes ont été victimes de menaces sérieuses
.
23. Bulgarie: Le 4 octobre 2017, une voiture appartenant à Zornitsa
Akmanova, journaliste de l'émission de télévision «Lords of the
Air», a été incendiée à Karlovo. En novembre 2017, un mafieux a
déclaré aux journalistes lors d’une interview filmée que ses anciens
patrons voulaient tuer Georgi Ezekiev, l'éditeur du site web Zov
News. Entre-temps, l'une des journalistes participant à cette enquête,
Maria Dimitrova, a reçu des messages menaçants par SMS et sur Facebook
.
Le 10 mai 2018, le journaliste d'investigation Hristo Geshov a été
agressé à l'extérieur de son domicile.
24. Chypre: Le 20 juillet 2018, Costas Constantinou, journaliste
chypriote grec, a reçu une menace de mort publiée par un extrémiste
chypriote grec sur un post Facebook indiquant que: «Quelqu'un devrait
lui mettre une balle dans la tête pour mettre fin à cela. Un Turc
dans tous les sens du terme.» Le post a ensuite été supprimé de
Facebook et l’affaire a été signalée au chef de la police par l’intermédiaire
de l’avocat de M. Constantinou.
25. Croatie: Diverses attaques ont eu lieu, notamment en octobre
2018 contre le journaliste Ivan Žada, qu’un membre de la famille
d’un député menaçait «d'engager un tueur à gages». Le 24 juin 2018,
le journaliste Hrvoje Bajlo a été grièvement blessé et a dû être
hospitalisé à la suite d'une violente agression à Zadar par un homme d’affaires
et ex-footballeur, Jakov Surać. Le 29 octobre 2017, la journaliste
de la télévision publique croate (HRT) Maja Sever a reçu une menace
de mort via Facebook suite à la diffusion de son reportage sur les réfugiés
du Nigeria. Fin 2017, les journalistes de Novosti ont également
été plusieurs fois la cible de propos haineux sur les médias sociaux
et de menaces de mort selon le rédacteur en chef de Novosti, Nikola
Bajto. Des membres du Parti d’extrême-droite «autochtone de droite»
(A-HSP) se sont réunis devant le bureau de l’hebdomadaire de Novosti
dans le centre de Zagreb et ont brûlé un exemplaire du magazine.
26. Espagne: C’est en Catalogne que se sont déroulés les deux
incidents les plus graves, à savoir: fin octobre 2017 plusieurs
journalistes ont été la cible d'agressions, dans le cadre de la
couverture médiatique des suites du référendum catalan d'autodétermination,
et le 29 août 2018 un caméraman de la chaîne publique madrilène
Telemadrid a été agressé par plusieurs participants à une manifestation
organisée par le parti Ciudadanos.
27. France: Les insultes et les menaces à l’encontre des journalistes
se sont multipliées depuis le 17 novembre 2018 lors des manifestations
des «Gilets jaunes». De nombreux journalistes ont été victimes d’agressions
physiques à tel point que les médias d’information ont dû prendre
des mesures pour protéger leurs reporters. Les agressions se caractérisent
par des insultes, des crachats, des coups entraînant parfois des
fractures et même des tentatives de lynchage. Des groupes de «Gilets
jaunes» ont également attaqué des rédactions de journaux, dégradé
des locaux et bloqué l’impression ou la distribution de journaux.
Par ailleurs, le 6 avril 2017, les journaux Le Canard Enchainé et
Mediapart ont reçu des lettres de menaces de mort accompagnées d'une
balle de fusil de la part d'un groupe appelé «Epuration 2J», puis
le 27 janvier 2019 à Grenoble, les locaux de la station de radio
publique ont été partiellement détruits par un groupe «anarcho-libertaire
anticapitaliste». Le harcèlement en ligne est également en forte
hausse.
28. Grèce: Il s’agit notamment les attaques de groupes ou de manifestants
d’extrême-droite: le 20 février 2017, deux journalistes ont été
harcelés par des manifestants d'extrême droite lors d'un reportage
à Thessalonique; en 2017 et en 2018, la journaliste Anthi Pazianou
puis le journaliste Stratis Balaska ont été harcelés et agressés
verbalement par des groupes d'extrême droite tels que «Aube dorée»
en raison de leurs reportages sur les réfugiés. A cela s’ajoute
l’explosion d’une bombe, le 17 décembre 2018, à la chaîne de radio et
de télévision privée Skai et au quotidien grec Kathimerini et l’attaque
des locaux du syndicat des journalistes de Macédoine et de Thrace
(ESIEMTH) le 20 décembre 2017. Enfin, le 22 janvier 2019 à Athènes,
au moins trois journalistes ont été grièvement blessés après avoir
été agressés par des manifestants contestant la décision du gouvernement
grec d'accepter l’appellation «Macédoine du Nord».
29. Hongrie: L’extrême-droite, via le site 888.hu s’est attaquée
aux journalistes. Le 5 septembre 2017, le portail a publié une liste
de journalistes accusés de servir les intérêts du milliardaire américain
d'origine hongroise George Soros. L'article nomme explicitement
huit journalistes et les qualifie de «propagandistes étrangers»
et de «porte-paroles» de George Soros. Les médias internationaux
y sont présentés comme «biaisés» et «stigmatisants». Leur seul but
serait de «discréditer» la Hongrie sur la scène internationale.
30. Italie: Le pays compte un nombre important d’attaques, de
harcèlement et d’actes intimidants. La violence croissante à l’encontre
des journalistes en Italie est particulièrement préoccupante du
fait que le pays cumule les menaces d’organisations mafieuses
et un nombre de plus en plus important
d’attaques de la part de groupes d’extrême-droite ou néo-fascistes
. Une vingtaine de
journalistes italiens menacés par la mafia vivent sous protection
policière permanente
. En termes d’attaques perpétrées,
on peut citer notamment le 7 novembre 2017 Daniele Piervincenzi,
un journaliste de la RAI, qui a été frappé par le frère d'un chef
mafieux lors d'une interview sur les élections
. Le
1er août 2018, le journaliste et écrivain Enrico Nascimbeni a été attaqué
par deux hommes armés d'un couteau qui l’ont traité de «communiste
de merde». Le 7 janvier 2019, Federico Marconi et Paolo Marchetti,
de l’Espresso, ont été agressés par deux groupes néo-fascistes, «Avanguardia
Nazionale» et «Forza Nuova». Ces derniers avaient déjà attaqué avec
des fusées éclairantes le 6 décembre 2017 les locaux du journal
La Repubblica et avaient «déclaré la guerre» à son éditeur.
31. Macédoine du Nord: Le 18 février 2017, deux journalistes de
A1 TV, Aleksandar Todevski et le caméraman Vladimir Zhelchevski,
ont été battus à Skopje alors qu'ils couvraient des manifestations
devant le parlement. Le journaliste Borjan Jovanovski de Novatv
a été insulté et on lui a craché au visage. Le 27 avril 2017, Dimitar
Tanurov, journaliste de l'agence de presse en ligne Meta, et Nikola
Ordevski, caméraman de l'agence de presse Makfax, ont été agressés
lors d’une manifestation nationaliste à Skopje. En tout, 21 journalistes
ont été menacés ou empêchés de faire des reportages sur les lieux.
Le pays connait également des phénomènes de menaces et de harcèlement:
harcèlement sur Twitter avec diffusion de l’adresse personnelle,
menaces de mort sur Facebook, etc.
32. Malte: Le 14 janvier 2019, Shift News, une plateforme maltaise
d'informations en ligne indépendante, a été victime d'une cyber-attaque
visant à bloquer le site, à la suite de la publication d'une série
d'articles d'investigation portant sur des contrats controversés
relatifs à des concessions hospitalières. Shift news demeure un
portail d’information très actif, de même que plusieurs autres portails
maltais qui informent régulièrement sur l’actualité et les affaires
en cours et publient des articles d’investigation, ainsi que des
points de vue et des blogs de divers contributeurs.
33. Monténégro: Le pays a connu des attaques particulièrement
graves et ciblées. Le 1er avril 2018 le journaliste Sead Sadiković
a échappé à l'explosion d'une voiture piégée devant son domicile.
Selon la police, l'explosion était «destinée à l’intimider». Le
8 mai 2018, la journaliste d'investigation Olivera Lakić du journal Vijesti
a été blessée à une jambe et a dû être hospitalisée puis placée
sous protection policière jusqu’à l’arrestation du coupable. Ces
deux journalistes ont pour point commun d’enquêter sur la corruption
et le crime organisé.
34. Pays-Bas: En juin 2018, les locaux amstellodamois du groupe
Pijper Media qui publie Nieuwe Revu, Marie-Claire et Panorama ont
essuyé des tirs de missile antichar. Une semaine plus tard, la façade
du siège de De Telegraaf a été attaquée par une camionnette, causant
des dommages considérables. Ces deux attaques n’ont pas fait de
victimes.
35. Pologne: Le 13 juillet 2017, Dorota Bawolek, correspondante
de Polsat TV, a été la cible de centaines de messages haineux sur
les médias sociaux parce que la télévision publique TVP l’accusait
d’avoir posé une question «dérangeante» à la Commission européenne.
36. Fédération de Russie: Le pays détient le triste record d’alertes
portant sur les actes graves d’attaques, de harcèlement et d’intimidation
de journalistes: pas moins de 14 cas ont été répertoriés depuis
2017. Menaces de mort, empoisonnement, attaque physique et à l’arme
blanche ou à l’arme à feu, attaque au gaz ou au produit chimique
sont les principaux moyens employés par les personnes ou les groupes
qui s’en sont pris aux journalistes. Plusieurs d’entre eux ont été
blessés au point de devoir être hospitalisés et/ou de devoir quitter
le pays. C’est notamment le cas pour des journalistes travaillant
pour des médias indépendants ou d’investigation tels que Ekho Moskvy,
Mediazona et Novaya Gazeta. Les agressions concernent également
des blogueurs professionnels tels que Ilya Varlamov qui a plus de
200 000 abonnés sur les médias sociaux et qui été agressé le 26
avril 2017 à l’aéroport de Stavropol à l’aide de peinture et d’iode
. Là encore, comme
pour les cas d’assassinats mentionnés plus haut, «les autorités
ont systématiquement manqué à prendre des mesures correctives pour
prévenir la violence à l’égard de journalistes (…) créant ainsi
un climat d’impunité propice à de nouvelles attaques» selon le rapport
2019 de la Plateforme du Conseil de l’Europe
.
37. Serbie: En 2018, l’Association des journalistes indépendants
de Serbie (NUNS) a enregistré 21 cas de violence verbale et 7 cas
d’attaques physiques
. Ainsi le 31 mai 2017, la journaliste
Lidija Valtner du quotidien Danas a été agressée par deux supporters
du Parti Progressiste qui ont tenté de lui prendre son téléphone pour
l'empêcher de filmer. Le 17 avril 2018, Danilo Masojevic et Vladeta
Urosevic de Prva TV ont été agressés à Leskovac. Le 9 octobre 2018
Zeljko Matorcevic, rédacteur en chef du portail Zif Info, a été
frappé à la tête et sa mâchoire a été cassée. Le 12 décembre 2018,
la maison de Milan Jovanović, journaliste de Žig Info, a été incendiée
par un cocktail Molotov. Le 16 mars 2019, une centaine de manifestants
antigouvernementaux ont pris d'assaut le bâtiment de la Radio-télévision
publique RTS à Belgrade, exigeant de pouvoir s’adresser à la population
à l’antenne. Concernant les menaces, il s’agit avant tout de menaces
de mort adressées par lettre (N1TV) ou via les médias sociaux (Tatjana
Vojtehovski, Una Hajdari, Dragan Janjic). Concernant le Kosovo
, 23 attaques verbales et
physiques ont été enregistrées pour la seule année 2018
.
38. Turquie: La situation de la liberté des médias est éminemment
difficile et sensible en Turquie du fait de l’attitude hostile des
autorités (voir plus bas), mais d’autre éléments viennent s’ajouter
à cet environnement. Ainsi le 25 juin 2018, à la suite des résultats
des élections présidentielles et législatives en Turquie, le leader du
Parti du Mouvement nationaliste (MHP) Devlet Bahçeli a publié une
vidéo en ligne et a inséré une publicité payante dans les journaux
nationaux avec une liste de 80 personnes dont des journalistes qui,
selon lui, avaient «terni la réputation de son parti» et appelait
à «ne pas oublier ce qu'ils avaient fait», les mettant ainsi en
grave danger de représailles.
39. Ukraine: Le journaliste ukrainien Stanyslav Aseev a été kidnappé
le 3 juin 2017 par la «sureté de l’État» de la «République populaire
de Donetsk»
.
Le 31 janvier 2018, le rédacteur en chef du site d'information Strana.ua,
Igor Guzhva, a dû fuir l'Ukraine et a demandé l'asile en Autriche
après avoir reçu des menaces de mort
.
Le 22 février 2018, un incendie criminel a ravagé le siège de Chetverta
Vlada à Rivne. Le 18 novembre 2018, deux journalistes ukrainiens
et un canadien ont été agressés à Kiev avec un spray au poivre par
des groupes d’extrême-droite s’opposant à une manifestation contre
la transphobie. Ils ont aussi subi une campagne de harcèlement sur
les médias sociaux. Enfin, le 18 janvier 2019, le quotidien Novyi
Den à Kherson a été attaqué par des inconnus par des balles en caoutchouc
et du gaz lacrymogène. Un journaliste présent a été victime de brûlures
chimiques. Le 13 juillet 2019, deux personnes non identifiées ont
attaqué les bureaux de la chaîne de télévision privée "112 Ukraine"
à Kiev, au lance-grenades. L'incident a endommagé la façade et les
voitures garées à proximité. Personne n'a été blessé. Le service
de presse de la police nationale a qualifié l'incident d'«acte terroriste».
La chaîne 112 avait reçu un avertissement plus tôt dans la semaine
à la suite de la programmation de la diffusion en première du documentaire
"Revealing Ukraine". Des employés de "112 Ukraine" avaient reçu
des messages de menaces. La chaîne 112 a annulé la diffusion pour
éviter d'éventuelles conséquences juridiques et a sollicité une
protection policière, mais la police n'a pas donné suite à la demande,
ni avant ni après l'attaque. "112 Ukraine", selon l’Union nationale
des journalistes d’Ukraine.
2.3. Menaces
de la part des autorités et détournement de la législation pour
entraver le travail des journalistes et des médias
40. Les menaces des autorités se
concrétisent notamment par des pressions politiques, un harcèlement juridique
ou administratif, mais aussi par l’usage exagéré de la force par
la police, voire par l’arrestation et la détention des journalistes.
La plupart des journalistes en détention en Europe se trouvent en
Turquie. Outre ces détentions, les violences verbales de la part
de responsables politiques ont également augmenté de façon exponentielle
ces dernières années. Si l’on cumule cela avec l’inaction de la
police qui n’est pas toujours en mesure de faire face aux menaces
les plus graves sur internet envers les journalistes, ces derniers
vivent parfois dans une atmosphère de peur et de pressions. La période
couverte par ce rapport fait état d’un nombre très élevé d’alertes
d’origine étatique sur la Plateforme du Conseil de l’Europe. Il
ne s’agit pas ici d’être exhaustif sur ces menaces qui constituent
près de 200 occurrences sur la période du rapport mais de dégager un
certain nombre d’observations par pays.
2.3.1. Violences
policières et refus d’accréditation
41. Albanie: En 2017, le journaliste
Isa Myzyraj a été menacé de mort par le Maire de la municipalité
de Has. En avril 2019, des journalistes et des photographes ont
été blessés par la police lors de manifestations antigouvernementales.
42. Azerbaïdjan: le 17 octobre 2019, dans la perspective des manifestations
contre la corruption présumée et les bas salaires, la police a arrêté
Seymur Hazi, reporter pour le site web d'informations indépendant
Meydan TV. Le tribunal de district de Khetai à Bakou a déclaré Hazi
coupable d’hooliganisme mineur et de non-respect des ordres de la
police et l'a condamné à 15 jours de détention. Hazi avait prévu
de couvrir les manifestations pour Meydan TV. Il a été libéré le
29 août 2019 d'une peine de prison de cinq ans sur des accusations
de représailles pour son activité journalistique, qui lui a permis
de faire des révélations sur des actes de corruption et de violation
des droits de l'homme de la part du gouvernement. Les 19 et 20 octobre
2019, plusieurs journalistes ont été soumis à des violences physiques
de la part de la police et / ou ont été placés en détention alors
qu'ils couvraient des manifestations pacifiques à Bakou. Sept journalistes
au moins ont été arrêtés alors qu'ils couvraient les manifestations
du 19 octobre. Le 20 octobre, les correspondants d'Azadliq Radiosu,
de Meydan TV et de Turan News Agency ont été soumis à des violences
physiques de la part de la police alors qu'ils portaient des gilets
d'identification et montraient leurs cartes de presse. La police
a également saisi et endommagé leur matériel. La violence et les
détentions ont empêché les journalistes de couvrir les manifestations.
Des blocages internet et des perturbations du service de téléphonie
mobile dans le centre de Bakou au cours des manifestations ont également
été signalés.
43. Allemagne: Lors du sommet du G20 à Hambourg, les 7 et 8 juillet
2017, au moins 32 journalistes se sont retrouvés privés d’accréditation.
Selon le porte-parole du gouvernement, cette décision a été prise
pour des «motifs de sécurité». En août 2018, une équipe de télévision
travaillant pour le magazine politique d'investigation Frontal21
de la chaîne ZDF a été détenue par la police suite à une plainte
d'un participant à une manifestation anti-Merkel à Dresde, où la
chancelière se rendait.
44. Arménie: Entre le 13 et le 23 avril 2018, lors des manifestations
à Erevan qui ont conduit à la démission du Premier ministre Serge
Sarkissian, plusieurs journalistes ont été délibérément pris pour
cible par la police.
45. Bulgarie: En avril 2019, des journalistes ont été blessés
par la police lors d'une manifestation à Gabrovo.
46. France: Depuis le début du mouvement des «Gilets jaunes» le
17 novembre 2018, près de 90 journalistes et photographes qui couvraient
les manifestations ont été victimes de violences policières
selon les syndicats de journalistes
et les organisations non gouvernementales
.
Certains reporters victimes d’agissements anormaux ont déposé plainte
auprès de l’Inspection générale de la police nationale
. Le 1er mai
2019, plus de 300 journalistes ont dénoncé «une volonté délibérée
de [les] empêcher de travailler»
. Le samedi 20 avril 2019, le journaliste
Gaspard Glanz a été interpellé à Paris et accusé «d’outrage sur personne
dépositaire de l’autorité publique», mais surtout il a été «interdit
de paraître» à Paris tous les samedis et le 1er mai 2019. Même si
elle a été levée ensuite par le Tribunal correctionnel, cette restriction
de la liberté de circulation était inédite.
47. Roumanie: Plusieurs journalistes roumains et un cameraman
de la chaîne de télévision publique autrichienne ORF ont été battus
par la police anti-émeute au cours des manifestations le 10 août
2018
. Dans un autre registre,
le 6 juillet 2017, les inspecteurs des impôts ont effectué une descente
dans les locaux du réseau d'investigation «Rise Project» au moment
même où un article important était annoncé pour révéler que Liviu
Dragnea, président du parti social-démocrate au pouvoir, exerçait
un contrôle sur les services secrets roumains. Le 28 janvier 2018,
un rapport confidentiel de l'administration fiscale roumaine sur
l'activité du projet Rise a été divulgué à la presse et utilisé
dans une campagne de diffamation.
48. Turquie: Deux journalistes allemands ont été obligés de quitter
la Turquie le dimanche 10 mars 2019, leurs accréditations de presse
n'ayant pas été renouvelées pour 2019 sans aucune explication. Jörg
Brase, journaliste au radiodiffuseur public allemand ZDF, et Thomas
Seibert, Reporter au journal Tagespiegel, étaient des correspondants
de longue date dans le pays. L’ambassade de Turquie en Allemagne
aurait apparemment tenté en vain de trouver un accord pour remplacer
les correspondants, a rapporté le rédacteur en chef de Tagespiegel.
Un troisième journaliste, Halil Gülbeyaz, de NDR TV, s'est également
vu refuser son accréditation et n'est pas autorisé à retourner en
Turquie. En juin 2019, l’accréditation des deux journalistes a finalement
été renouvelée. Un autre journaliste, Halil Gülbeyaz, de la chaîne
publique allemande NDR, s’est également vu refuser son accréditation
et n’est pas autorisé à retourner en Turquie.
2.3.2. Actions
hostiles des dépositaires de l’autorité publique
49. Autriche: En septembre 2018,
le ministre de l'Intérieur a suggéré que certains journalistes fassent
l’objet d’une enquête pour leurs reportages sur le travail des services
de renseignement autrichiens. Un courriel du porte-parole du ministère,
Christoph Pölzl, a ensuite demandé à la police de «restreindre la
communication avec les médias au minimum légal».
50. Azerbaïdjan: Le pays est un des plus hostile aux journalistes
en termes de poursuites judiciaires, condamnations et emprisonnement.
18 cas de procédures pénales, condamnations et emprisonnement de journalistes
ou de médias ont eu lieu depuis 2017. En mai 2019, 5 journalistes
étaient toujours en prison en raison de leur activité professionnelle.
Les peines sont parfois très lourdes, comme pour Elchin Ismayilli, fondateur
et rédacteur en chef de Kend.info, un site d'information en ligne
réputé pour sa couverture des affaires de corruption et violations
des droits de l'homme et qui a été condamné à 9 ans de prison le 18 septembre
2017
. Le blogueur Rashad Ramazanov purge aussi
une peine de 9 ans pour «possession de drogue» et selon son avocat
il avait été torturé et battu pendant sa détention. Les trois autres
journalistes détenus actuellement sont Ziya Asadlin
,
Fikret Faramazoglu et Afgan Mukhtarli. Enfin certains journalistes sont
«interdits de voyager» comme l’a découvert le journaliste Kamran
Mahmudov le 22 juin 2017 en voulant se rendre en Géorgie voisine.
Dans un même temps, plus de 400 journalistes ont bénéficié de subventions publiques
gratuites au logement ces dernières années, ce qui est une façon
évidente «d’acheter» les journalistes pour éviter les critiques.
51. Bosnie-Herzégovine: Le 28 mars 2019, le Président du conseil
municipal de Novi Grad, une municipalité de Sarajevo, a agressé
le caméraman Adi Kebo du journal d'investigation Zurnal alors qu'il
travaillait sur une enquête de corruption présumée.
52. Hongrie: Des amis ou proches du gouvernement ont acheté ou
sont parvenus à prendre le contrôle de médias auparavant indépendants
ou critiques. Le gouvernement utilise le système de licence de média
de façon abusive, ainsi des stations de radio populaires ont perdu
leurs licences dans un contexte de diminution du pluralisme des
médias
. En outre, les autorités ont tenté
de s’ingérer dans la conduite de médias étrangers tels le média
slovène Mladina en mars 2019 à la suite de d’une couverture de magazine
qui déplaisait au Premier Ministre hongrois, demandant aux autorités
slovène «une assistance pour prévenir des incidents similaires à
l'avenir».
53. Malte: Suite à l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, sa
famille et les organisations de journalistes ont dénoncé les pressions
à leur encontre pour réclamer justice, le refus d’avoir mené immédiatement
une enquête afin de déterminer si sa vie aurait pu être sauvée,
la destruction répétée du monument à sa mémoire appelant à la justice
pour son assassinat, sur ordre du Ministre de la Justice. À l’époque
de sa mort, la journaliste faisait l’objet de 47 poursuites en diffamation
au civil et au pénal, engagées notamment par le Premier ministre,
M. Muscat, et le ministre du Tourisme, M. Mizzi. Aujourd’hui, 34 procédures
civiles en diffamation engagées à titre posthume contre Daphne Caruana
Galizia sont toujours en cours et les plaignants continuent de demander
des dommages‑intérêts à la famille de la journaliste. À l’évidence,
ces affaires soumettent sa famille à des pressions psychologiques
et financières injustifiées. Cette attitude des autorités maltaises
contribue à entretenir une atmosphère d’impunité et de minimisation
de l'importance de cette affaire, avec de graves conséquences pour
la liberté de la presse dans le pays.
54. Pays-Bas: Le 24 octobre 2019, le journaliste de NOS TV, Robert
Bas, a été emprisonné pour avoir refusé de répondre à des questions
en tant que témoin dans un procès pénal devant un tribunal de Rotterdam. Robert
Bas a déclaré au tribunal que, en qualité de journaliste, en vertu
de son droit de protéger ses sources, il ne donnerait pas de réponses
complètes aux questions concernant l'assassinat du directeur de l'établissement
de santé mentale en 2014. Suite à cela, le tribunal a ordonné sa
détention à titre de mesure coercitive pour le forcer à répondre.
Au début de 2019, Bas a eu plusieurs conversations téléphoniques
avec une source au sujet de l'affaire, qui avaient été enregistrées
par des responsables du ministère de la Justice. Certaines d'entre
elles avaient été ajoutées aux dossiers de l'accusation. Ni Bas,
ni sa source ne sont suspects dans cette affaire. L’avocat représentant
NOS et Bas a insisté sur le fait que les journalistes avaient un
droit de non divulgation, qui couvre à la fois l’identité de la
source et toutes les informations que la source a fournies au journaliste.
L'Association des journalistes néerlandais (NVJ) a appelé les autorités
néerlandaises à libérer immédiatement Robert Bas. Le 25 octobre
2019, NOS a annoncé que Bas avait été libéré. Le tribunal de Rotterdam
a jugé que Robert Bas avait le droit de refuser de témoigner au
sujet de questions qui l'obligeraient à révéler des informations
sur ses sources.
55. Fédération de Russie: Le pays a fait l’objet de 25 alertes
de menaces d’origine étatique auprès du Conseil de l’Europe mais
aucune n’a donné lieu à la moindre réaction. Parmi les actes plus
significatifs se trouvent des arrestations et des condamnations
de journalistes étrangers
,
des condamnations lourdes, parfois en absences de preuves matérielles
,
des violences policières graves accompagnées de fouilles d’appartements
privés
, des amendes
au montant disproportionné
, des restrictions
de circulation de journalistes étrangers
et
des blocages de sites internet.
56. Ukraine: Les journalistes indépendants espagnols Antonio Pampliega
et Manuel Angel Sastre ont été interceptés par la police ukrainienne
à leur arrivée à l'aéroport de Kiev le 24 août 2017. Ils ont été
expulsés le même jour pour «menace pour la sécurité nationale».
Les deux journalistes avaient l'intention de couvrir le conflit
armé dans l'est du pays. Début 2019, l'Ukraine a interdit l'entrée
sur son territoire au correspondant autrichien Christian Wehrschütz
qui travaille dans le pays depuis 2014 pour la chaîne publique nationale autrichienne
ORF. Le service de sécurité ukrainien SBU a accusé Wehrschütz d'être
entré illégalement dans la péninsule contestée de Crimée et de «propagande
anti-ukrainienne». Les autorités avaient auparavant refusé à Wehrschütz
l'accréditation pour se rendre dans l'est du pays. Enfin, l’Ukraine
a interdit à plusieurs reprises les activités de médias étrangers
(russes) sur son territoire, ou l’entrée de journalistes ou dirigeants d’organisations
de médias
.
2.4. Présence
ou développement de lois liberticides, d’un environnement administratif,
juridique, économique ou politique hostile au travail des journalistes
et aux médias
2.4.1. Réglementations
anti-terroristes et anti-criminalité abusives ou arbitraires
57. Espagne: Le 24 septembre 2017,
la police a poursuivi Mònica Terribas, journaliste de Catalunya
Ràdio, l'accusant de «favoriser les actions contre l'ordre public
pour avoir appelé les citoyens de la région de Catalogne à rendre
compte des mouvements de la police lors du référendum sur l'indépendance».
58. Fédération de Russie: Après des mois de gestation, la loi
russe sur les «fausses informations» et le «manque de respect pour
l'État, les autorités et la société» a finalement été adoptée et
est entrée en vigueur le 18 mars 2019. En vertu de cette loi, le
«non-respect flagrant» de l'État, des autorités publiques, des symboles
officiels et de la société peut entraîner des amendes pouvant aller
jusqu'à 300 000 roubles (plus de 4 000 €) et une peine d'emprisonnement
de 15 jours, tandis que la publication de «fausses nouvelles» peut être
puni d'une amende allant jusqu'à 1,5 million de roubles (plus de
20 000 €). Roskomnadzor, l’organisme gouvernemental chargé de la
surveillance des contenus et des médias en ligne, a le pouvoir de
signaler les pages présentant des contenus qu’il considère comme
étant en violation de la nouvelle loi et de bloquer leur accès si
le contenu n’est pas immédiatement supprimé. Cette loi a bien entendu
un effet d’autocensure et de «sidération» sur les journalistes et
autres acteurs des médias dans le pays.
59. Monténégro: Le journaliste d’investigation Jovo Martinović
a été reconnu coupable d'avoir téléchargé une application de messagerie
cryptée et de l'avoir utilisée pour le trafic de drogue. Détenu
sans procès ni accusations pendant 14 mois, il a été condamné à
18 mois de prison alors qu’en fait il travaillait pour un reportage
sur le trafic de drogue pour la chaîne de télévision française Canal+.
Au moment de la rédaction de ce rapport, Martinović était détenu
en attente d’une décision en appel.
60. Turquie: Nous n’ignorons pas les difficultés auxquelles la
Turquie a dû faire face et doit encore faire face après le coup
d’État manqué, les menaces terroristes continuelles et la guerre
dans la Syrie voisine. Toutefois, ces difficultés ne sauraient justifier
ce que l’on pourrait décrire comme un véritable harcèlement systématisé et
organisé contre les journalistes et les médias au nom du «terrorisme»
et le pays est largement en tête des condamnations de la Cour européenne
des droits de l’homme en matière de liberté d’expression
. La Turquie est décrite par les groupes
de liberté de la presse et par les organisations de journalistes
comme «la plus grande prison de journalistes dans le monde», soit
actuellement 157 d’entre eux d’après la Fédération européenne des
journalistes
, pour la plupart en détention provisoire.
Leurs avocats n’ont qu’un accès limité aux documents en raison d’accusations
de terrorisme ou de complicité avec des affaires liées au terrorisme. À
la suite du coup d’état raté du 15 juillet 2016 et des décrets d’urgence
qui ont suivi, plus de 150 médias ont été fermés et environ 10 000
travailleurs des médias avaient été licenciés
.
Malgré la levée de l'état d'urgence en juillet 2018, les dispositions
des décrets d'urgence ont été en grande partie conservées dans la
nouvelle législation promulguée par la suite. Ces modifications
législatives ont conféré à l'exécutif turc un pouvoir discrétionnaire
presque illimité lui permettant d'appliquer des mesures radicales,
notamment à l'encontre des médias. Ainsi le parquet d’Istanbul a
émis le 10 août 2017 des mandats d’arrêt contre 35 personnes dans
le cadre d’une enquête sur les liens entre les médias et les réseaux
du prédicateur Fethullah Gülen, entraînant dix arrestations à Istanbul.
De plus, ceux qui défendent ces journalistes sont eux-mêmes visés:
ainsi, le 14 août 2017, les journaux pro-gouvernementaux Aksam, Star et Sabah ont
publié des noms de journalistes turcs affiliés à un groupe de soutien
aux journalistes emprisonnés, en les présentant comme des «fomentateurs
de rébellion», des «traîtres»
. Enfin, les autorités turques s’en prennent
de façon récurrente au journal Cumhuryet dont les journalistes et
collaborateurs sont régulièrement harcelés, accusés «d’assistance
à une organisation terroriste», arrêtés et emprisonnés. Le 25 avril
2019, six de ses anciens journalistes étaient en prison et deux
en exil
. Le 12 septembre 2019, annulant la
décision d’un tribunal de première instance, la 16e chambre pénale
de la Cour d’appel suprême (Cour de cassation) a jugé que l’exécution
des peines de plusieurs membres du personnel de Cumhuriyet devait
être suspendue et a demandé la libération des journalistes. Toutefois,
le 21 novembre 2019, la 27e haute cour
pénale d’Istanbul a confirmé la condamnation de 12 anciens employés
de Cumhuriyet malgré l’arrêt d’acquittement rendu en septembre par
la Cour de cassation. En outre, les tribunaux ou les autorités administratives
bloquent et filtrent des sites d’information en ligne, notamment
pro-kurdes, athées et LGBTI, voire des médias sociaux entiers
. Le 10 octobre 2019, le Bureau du
Procureur général d’Istanbul a publié une déclaration interdisant
les reportages et les commentaires critiques sur les opérations
militaires menées par la Turquie dans le nord de la Syrie. La déclaration
énonce qu'une ou plusieurs personnes qui «menacent la paix sociale
de la République de Turquie, la paix intérieure, l'unité et la sécurité»
par l'intermédiaire de «toute sorte d'information suggestive, publication/diffusion
écrite ou visuelle» et «comptes opérationnels sur les réseaux sociaux»
seront poursuivies conformément au code pénal turc et à la loi
antiterroriste. Dans ce contexte, la police a arrêté deux journalistes,
Hakan Demir, rédacteur en chef du site internet du quotidien BirGün,
et Fatih Gökhan Diler, rédacteur en chef responsable du site d'information
Diken. Les deux journalistes ont été remis en liberté conditionnelle
mais interdits de voyager à l'étranger.
61. Royaume-Uni: En février 2019, le pays a adopté une nouvelle
loi sur le contre-terrorisme et la sécurité des frontières
. Le projet de loi avait suscité
de nombreuses critiques en raison de son impact négatif sur la liberté
des médias et la liberté d'expression. Le texte retient ainsi la
notion très vague de «soupçon raisonnable» pour criminaliser la
publication d'images de vêtements ou de symboles. Les autorités britanniques
ont reconnu qu'au moins 14 organisations figurant actuellement sur
la liste des organisations terroristes ne remplissaient pas les
critères pour figurer sur la liste. De plus, aucune intention terroriste
n'est requise, il suffit de consulter une vidéo «terroriste» pour
risquer des poursuites.
62. La France, la Pologne et l’Ukraine ont également adopté des
lois autorisant les autorités administratives à bloquer les contenus
en ligne sans décision de justice dans le cadre de mesures «antiterroristes».
2.4.2. Harcèlement
juridique et «procédures bâillon» («Strategic Litigation Lawsuits
Against Public Participation – SLAPP»)
63. Belgique: Les journalistes
d'investigation David Leloup et Tom Cochez sont la cible de plaintes
multiples émanant d'entreprises ou d'individus du monde politico-financier
(cinq plaintes et deux menaces de plaintes en 2018). L'Association
belge des Journalistes Professionnels (AJP) s'inquiète de cette
multiplication de plaintes ciblant ces journalistes.
64. Bosnie-Herzégovine: 105 poursuites judiciaires ont été engagées
contre un journaliste du quotidien Oslobođenje
.
65. Croatie: Pas moins de 1 160 poursuites étaient en cours en
mars 2019 par des personnalités publiques et des entreprises contre
des journalistes et des organes de presse. Le radiodiffuseur public
croate HRT a lui-même intenté 36 procès contre ses propres journalistes
et d'autres personnes, à tel point que des centaines de journalistes
croates ont manifesté le samedi 2 mars 2019 à Zagreb
.
Etant donné le caractère coordonné de ces plaintes et l’implication
de personnes dépositaires de l’autorité publique, ce phénomène peut
être considéré comme une menace créée et encouragée par les autorités
croates.
66. Finlande: Le 12 avril 2019, un tribunal finlandais a condamné
la journaliste d’investigation Johanna Vehkoo pour diffamation contre
un conseiller municipal d’Oulu, Junes Lokka. Or les poursuites visent
les commentaires de la journaliste dans un groupe privé Facebook
en 2016, avant que M. Lokka ne soit élu en mars 2017, ce qui semble
disproportionné aux yeux de la journaliste et de son syndicat.
67. France: Le groupe de M. Vincent Bolloré a engagé près de 30
poursuites contres des journalistes et des médias. Parfois les journaux
sont condamnés, comme Mediapart pour «diffamation», le tribunal
estimant qu’un article était «certes bien fondé, mais plutôt inopportun».
68. Pologne: Gazeta Wyborcza a publié une série d’articles sur
la construction à Varsovie de la «K tower» mettant en cause le dirigeant
politique Jaroslaw Kaczynski. Le 20 février 2019, celui-ci a demandé
au procureur polonais d’engager des poursuites pour diffamation
contre les journalistes, qui risquent des peines d’emprisonnement
en vertu du code pénal polonais. Le président de la Banque nationale
polonaise (NBP) Adam Glapiński et le sénateur du PiS Grzegorz Bierecki
ont aussi menacé cinq journalistes de les poursuivre pour «atteinte
à la réputation». Rien qu’en 2018, le parti au pouvoir «Droit et
justice» (PiS) et d'autres organes de l'État ont poursuivi le journaliste
Wojciech Czuchnowski plus de 50 fois et ont demandé des excuses
et des amendes de 12 000 €
.
2.4.3. Appels
à la violence qui engagent la responsabilité des dirigeants politiques
69. Autriche: Le 23 avril 2018,
le journaliste Armin Wolf de la télévision publique ORF a déclenché
des menaces du parti d’extrême droite (FPÖ) («quelque chose qui
ne peut rester sans conséquences») alors qu’il notait qu’une affiche
électorale du FPÖ rappelait un dessin montrant un juif de l'ancien
journal nazi Der Stürmer. De nombreux partisans du FPÖ ont envoyé
des messages haineux au journaliste de l'ORF sur Facebook.
70. France: Les dirigeants de partis politiques de premier plan
se sont pris de manière explicite aux médias. C’est notamment le
cas de Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, qui a
appelé publiquement à «pourrir» les journalistes de France Info,
les «discréditer» et prouver que ce sont des «abrutis»
.
71. Hongrie: En 2017, un porte-parole du gouvernement a accusé
un correspondant travaillant pour un site d’information d’être «drogué»
et «de ne pas être un journaliste». Au moins huit autres journalistes
ont été accusés par des médias pro-gouvernementaux de «servir des
intérêts anti-hongrois».
72. Italie: C’est un des pays où les représentants des autorités
publiques ont fait preuve de la plus grande hostilité envers les
journalistes, notamment de juin 2018 à août 2019, sous le gouvernement
de coalition des Cinq étoiles et de la Ligue. Durant cette période,
les deux vice-premiers ministres du gouvernement, Luigi Di Maio
(Cinq étoiles) et Matteo Salvini (Ligue), ont tenu dans les médias
sociaux un discours particulièrement hostile aux médias et aux journalistes. M. Salvini
a menacé de supprimer la protection policière dont bénéficie le
journaliste d’investigation Roberto Saviano malgré les menaces graves
et répétées à son encontre. Quant à M. Di Maio, il a insulté des
journalistes (les traitant de «vulgaires chacals»)
et
a lancé une politique de suppression des subventions publiques à
la presse
. En outre, en septembre
2018, M. Di Maio a appelé les entreprises publiques à cesser de
payer des encarts publicitaires dans les journaux accusés de «polluer
le débat public».
73. Macédoine du Nord: Le chef du parti VMRO, Nikola Gruevski,
a décrit ses adversaires comme des «traîtres» et une série d'attaques
contre les médias ont eu lieu à partir de février 2017. Deux journalistes
ont été battus le 28 février 2017 à Skopje et personne n’a été poursuivi.
74. République tchèque: Le président Milos Zeman a demandé au
Président russe Vladimir Poutine lors d’une rencontre bilatérale
en mai 2017 s’il devrait «liquider» des journalistes car ils seraient
trop nombreux. En octobre 2017 il a organisé une conférence de presse
avec dans les mains une fausse Kalachnikov sur laquelle était écrit
«pour les journalistes».
75. République slovaque: Après avoir traité les journalistes de
«sales prostituées anti-slovaques» en novembre 2016, le Premier
ministre Robert Fico les a traités «d’ignorants» en 2017 et leur
a continuellement reproché leur façon trop négative de parler de
lui. Même une fois son mandat terminé, le 21 mars 2019, lors d'une
conférence de presse, M. Fico a accusé les médias de mener «une
guerre» en qualifiant les médias slovaques de «la plus grande menace
pour la démocratie».
2.4.4. Arrestation
ou kidnapping de journalistes en exil et extradition vers leur pays
d'origine
76. Azerbaïdjan: Le journaliste
Afgan Mukhtarli a été kidnappé le 29 mai 2017 à Tbilissi et emprisonné
en Azerbaïdjan
.
77. Turquie: Le pays a lancé des mandats d'arrêt lancés contre
des journalistes exilés, tels que Can Dündar en Allemagne et Hamza
Yalçın à l’Espagne.
2.4.5. Médias
de service public (MSP) sous pression
78. Au cours des dernières années,
les MSP ont été mis sous pression, y compris dans plusieurs pays considérés
auparavant comme des «lieux sûrs». Trois moyens ont principalement
été utilisés: la restriction des ressources, la limitation du mandat
de service public et l’adoption de nouvelles lois ou de nouveaux
règlements pour limiter l’indépendance de ces médias. Même si cette
tendance n’entraine pas forcément d’alertes précises, on peut utiliser
la «fable de la grenouille» pour illustrer cet affaiblissement chronique
de l’indépendance et des moyens des MSP, à savoir un étouffement
lent mais progressif et constant.
79. Danemark: Le gouvernement a imposé fin 2018 un nouvel accord
de service à la radiotélévision publique DR qui limite considérablement
sa présence en ligne et réduit les investissements dans les droits sportifs.
De plus, la redevance audiovisuelle a été abolie et remplacée par
une subvention directe à la charge du budget de l’État, remplacement
motivé par des considérations politiques, réduisant le budget de
25% avant 2022. Dès septembre 2018, DR a annoncé la fermeture de
trois chaînes de radio et de trois chaînes de télévision ainsi que
le licenciement d’environ 400 personnes.
80. Suisse: A l’initiative d’un comité de jeunes députés issus
de l’Union démocratique du centre (UDC) et du Parti libéral, les
citoyens ont été demandés de se prononcer sur une initiative populaire
«No Billag» qui proposait de supprimer la redevance dans l’audiovisuel
public. Le 4 mars 2018, les électeurs ont refusé la suppression
à une écrasante majorité de 71,6 % mais la redevance a néanmoins
diminué et il faudra économiser 80 millions de francs sur cinq ans,
en réduisant notamment la masse salariale.
81. Ukraine: Le pays a connu une restriction des ressources au
sein de son nouveau radiodiffuseur public national, UA:PBC, entré
en service en 2017. Fin 2018, à quelque mois des élections présidentielles
et législatives, le Parlement a voté un budget réduit de moitié
(57%) par rapport à ce qui était prévu par la loi. Cette coupe a
obligé UA:PBC à se désinvestir de certaines régions du pays et à
arrêter la transmission analogique.
82. Bosnie-Herzégovine: Il a fallu parvenir à un accord prévoyant
le recouvrement des redevances audiovisuelles par le biais des factures
d’électricité pour éponger les dettes de la radiotélévision publique
en 2017.
83. Lituanie: Des modifications ont été apportées au système de
nomination du Conseil d’administration de la radiotélévision publique
allant dans le sens de plus d’ingérence politique.
84. Luxembourg: Le directeur général de la radio publique a démissionné
avant la fin de son mandat suite à des dysfonctionnements de réglementation
et à des pressions excessives.
85. Roumanie: La majorité politique peut décider de révoquer le
directeur général de l’agence de presse AGERPRESS et, après chaque
élection, les conseils d’administration des médias publics peuvent
être légalement révoqués avant la fin de leur mandat.
86. Chypre: Le Parlement bloque chaque année le budget du service
public pour obtenir des modifications dans sa grille de programmes
ou l’arrêt de la publicité.
87. En Pologne et en Hongrie, le contrôle du gouvernement sur
les MSP s’accentue avec la marginalisation des journalistes non
alignés et le recours aux MSP à des finalités partisanes, surtout
en période électorale. Cette situation inédite en démocratie s’étend
de l’Europe centrale vers d’autres pays comme l’Italie où un parti de
gouvernement (la Ligue) interfère avec la ligne éditoriale de la
RAI, ou l’Autriche, où les journalistes de l’ORF sont accusés de
diffamation par le parti populiste au pouvoir.
2.4.6. Précarité
des journalistes, facteur de risques pour la liberté des médias
88. Comme déjà évoqué dans notre
rapport sur le Journalisme en Europe
et comme le rappellent les syndicats
de journalistes depuis de nombreuses années
, il existe une précarisation grandissante
de la profession, qui se traduit par l’explosion du nombre de journalistes
dits «freelances» ou avec des relations de travail atypiques. Le
point commun de ces statuts est que la majorité d’entre eux sont
imposés par les employeurs et que ces freelances forcés (forcedlances)
ou faux indépendants (fakelances) travaillent dans les mêmes conditions
que les salariés à plein temps mais n’ont pas les mêmes droits.
La précarisation et la pression au rendement sur les journalistes
affectent leur capacité à rechercher et à enquêter; cette situation
a également un impact négatif sur leur intégrité physique puisque
«les pigistes et freelances manquent souvent de préparation ou d’assurance
pour les zones à risques ou les conflits (manifestations, événements
publics, conflits armés), ce qui les met en danger physique ou qui
les pousse à prendre des risques disproportionnés»
.
3. Des
développements négatifs et des stratégies qui nuisent à «l’écosystème
des médias» et qui affaiblissent les médias indépendants
89. A la lumière des observations
de la première partie, nous constatons plusieurs tendances négatives
à travers le continent ainsi que des déficiences des États membres
qui traduisent une volonté délibérée d’empêcher les journalistes
de faire leur travail.
90. Les journalistes continuent d'être détenus ou emprisonnés
de manière arbitraire et injustifiée.
91. Les lois répressives, notamment la législation antiterroriste
utilisée à mauvais escient, érodent la liberté des médias. Comme
l’a souligné la Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de
l’Europe le 4 décembre 2018
, «l’utilisation de la législation
antiterroriste à mauvais escient est devenue en Europe l’une des menaces
les plus répandues pour la liberté d’expression, y compris la liberté
des médias».
92. Le nombre d’atteintes à la sécurité et l’intégrité physique
des journalistes est en augmentation (55 en 2015-2016 contre 66
en 2017-2018), de même que le nombre de menaces enregistrées, y
compris les menaces de mort, qui a doublé en 2018 par rapport à
2017.
93. Les États ne protègent pas assez les journalistes: en vertu
de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme,
les États ont l’obligation positive de prendre des mesures préventives
en cas de risque réel et immédiat pour la vie d’un journaliste.
Dans les cas de Ján Kuciak et de Daphne Caruana Galizia, qui avaient
tous les deux signalé des menaces, ni Malte ni la République slovaque
n'ont pris ces menaces assez au sérieux pour prendre des mesures
préventives.
94. Cette absence de protection s’accompagne d’une absence d’enquête
sur la responsabilité des États et d’impunité suivant le même article 2
qui oblige également les États à mener une enquête indépendante
et efficace sur leur responsabilité s’ils ne protègent pas leurs
journalistes
.
La Cour européenne des droits de l’homme
a mis en évidence
des schémas de comportement des autorités répressives et judiciaires
qui sont caractéristiques d’une «culture» ou d’un «climat» d’impunité.
Le manque de réponse policière et judiciaire appropriée est tout
simplement inacceptable.
95. L’impunité s’accompagne aussi de menaces et de harcèlement
des membres de la famille et des activistes qui cherchent à obtenir
justice pour le compte des personnes menacées ou tuées
.
96. L'indépendance et la pérennité des MSP sont de plus en plus
compromises. L’indépendance est notamment attaquée par des partis
gouvernementaux afin de modifier la ligne éditoriale et écarter
les dirigeants et journalistes les moins «à l’écoute». Les lois
sur l’audiovisuel, les autorités de contrôle et la gouvernance des
MSP sont modifiées trop fréquemment, nuisant ainsi à leur stabilité
et à leur indépendance.
97. Les conflits d’intérêts entre activités politiques et propriété
des médias demeurent fréquents en se traduisent de plus en plus
par des attaques directes contre les médias indépendants et les
MSP.
98. Le comportement agressif de la classe politique et des représentants
des autorités envers les journalistes, notamment en Italie, en République
tchèque, en République slovaque et en Turquie, constitue une menace
à l’encontre des médias en général.
99. Les États tentent de bloquer les sites internet et les plateformes
de médias sociaux.
100. La capacité des journalistes à protéger les sources est toujours
menacée et les lois qui menacent de criminaliser l’activité des
journalistes continuent d’exercer un effet dissuasif important.
101. Des journalistes qui se rendent en exil sont arrêtés et extradés
vers leur pays d’origine où ils risquent d’être sanctionnés et persécutés
.
Parfois, cela peut même impliquer un enlèvement
.
3.1. Schémas
au niveau transnational
102. Les procédures bâillon connues
sous l’abréviation SLAPP (strategic litigation
lawsuits against public participation) sont répandues
dans de nombreux pays et constituent un abus de la législation sur
la diffamation. Quel que soit le pays, la stratégie ne consiste
pas à gagner mais à intenter ces procès qui, en raison des frais d’avocats
et des procédures, sont à la fois onéreux et chronophages et destinés
à faire taire la presse et l'expression politique.
103. Les menaces et attaques de la part de groupes d’extrémistes sont
présentes dans au moins 11 pays
. Les journalistes et les
médias sont pris pour cible et sont les victimes directes d’une
vindicte qui est visiblement orchestrée et commune à tous les groupes
ou mouvements nationalistes, racistes ou populistes à travers l’Europe.
Les journalistes femmes ou traitant de la question des migrants
sont particulièrement affectés.
3.2. Schémas
au niveau national
104. Hongrie: un conglomérat économique
et politique biaisé de licences. L'achat ou la prise de contrôle
de médias auparavant indépendants ou critiques par des partisans
du gouvernement, ou l'utilisation abusive du système de licence
des médias, constituent une forme d'ingérence orchestrée par les
autorités. Le 28 novembre 2018, les propriétaires de la majorité
des médias pro-gouvernementaux hongrois ont annoncé qu’ils cédaient
leurs sociétés à une «Fondation pour la presse et les médias d’Europe
centrale» dirigée par un proche du Premier ministre. Les intérêts
commerciaux en harmonie avec le parti au pouvoir ont acheté des médias
et sont passés du jour au lendemain à des points de vente pro-gouvernementaux
, et les stations de radio populaires
ont perdu leurs licences dans un contexte de diminution de la pluralité
des médias.
105. Fédération de Russie: une conjugaison de facteurs multiples.
Le pays compte un nombre élevé de journalistes et de blogueurs détenus,
parfois plus d’un an de manière «provisoire», et leur nombre est
au plus haut depuis la chute de l'URSS. La Fédération de Russie
est le champion de l’impunité pour les assassins et agresseurs de
journalistes et les autorités utilisent également les lois anti-terroristes
et le blocage des communications (la messagerie cryptée Telegram
depuis 2018) pour contrôler l’internet. Le régulateur fédéral russe
des médias, Roskomnadzor, est en passe d’avoir des pouvoirs quasi-illimités
dans le contrôle et la censure des médias. L’affaire du site d’information
en ligne indépendant Fergana, bloqué le 1er octobre 2019 sur ordre
du Roskomnadzor sans avertissement, notification ou explication
ultérieure, en est un parfait exemple. Toutefois, en vertu de la
loi, l’autorité de régulation des médias ne peut bloquer l’accès
à des sites internet qu’après avoir adressé un avertissement à un
fournisseur et accordé au propriétaire du site un délai suffisant
pour corriger les informations erronées. Enfin les principales organisations
de défense des médias ont été déclarées «agents de l’étranger».
De plus, le 21 novembre 2019, la Douma a adopté le projet de loi visant
à étendre le statut d’«agents étrangers» aux personnes privées.
Le projet de loi adopté devrait permettre aux ministères de la Justice
et des Affaires étrangères de désigner également les individus diffusant
des informations à un nombre indéterminé de personnes et recevant
un financement de l'étranger comme des «agents étrangers». Toutes
les informations publiées par le blogueur ou le journaliste «agent
étranger» devraient être marquées du label «agent étranger». Selon
le Syndicat russe des journalistes et des travailleurs des médias,
«le caractère extrêmement vague de ses formulations est évidemment
destiné à son application sélective. Cela suggère que la nouvelle
loi vise principalement les journalistes qui déplaisent aux autorités.» Enfin
et surtout, certaines parties du territoire officiel ou sous contrôle
russe (Tchétchénie et Crimée) sont des «zones grises» pratiquement
sans information
.
106. Turquie: une justice partiale et arbitraire. En particulier
depuis le putsch raté de 2016, il existe un manque d'indépendance
et d'impartialité du pouvoir judiciaire qui affecte notamment le
fonctionnement des médias et le travail des journalistes, dont l’activité
est criminalisée et qui sont placés en «détention provisoire prolongée».
De plus, la justice est lente et les procureurs peinent à prouver
de manière exhaustive les critères juridiques en place pour établir
l'accusation «d'adhésion à une organisation terroriste» dans le
cas de journalistes. Il faut espérer que la stratégie de réforme
judiciaire proposée par les autorités turques en 2019, qui vise
à renforcer l’efficacité du pouvoir judiciaire et à améliorer son
indépendance, son impartialité, sa transparence et son efficacité,
sera en mesure de redresser la situation.
4. Action
qui pourrait être menée; le rôle de la Plateforme
107. Toutes les menaces susmentionnées
contre la liberté des médias et la sécurité des journalistes doivent être
combattues de toute urgence, de façon efficace et adéquate.
108. Dans les stratégies que les États membres doivent mettre en
place pour améliorer la situation, le rôle de la Plateforme devrait
être essentiel. Le Conseil de l’Europe a créé la Plateforme en avril
2015, à la suite des demandes formulées par des organisations de
journalistes et des groupes de défense de la liberté de la presse.
Son rôle principal est de lancer des alertes lorsque la liberté
des médias est bafouée et que la sécurité des journalistes est menacée.
Les organisations partenaires
de la Plateforme contribuent
de manière remarquable à son action en observant de très près la
situation dans les États membres. Dans leur dernier rapport annuel
, elles invitent les États membres
à prendre d’urgence en compte les conclusions et les recommandations
présentées dans le rapport et à prendre immédiatement toutes les
mesures nécessaires pour créer un environnement favorable à des
médias libres et indépendants et pour mettre fin aux nombreux actes
de violence, de harcèlement et d’intimidation qui sont la réalité
quotidienne des journalistes dans certains États membres.
109. Excellent outil de lancement d’alertes et d’observation fine
de la situation aux quatre coins de l’Europe, la Plate-forme est
aussi un instrument très utile pour la coopération. Elle n’a pas
été pensée comme un autre moyen de «dénoncer et blâmer les mauvais
élèves», mais comme une occasion d’améliorer la situation de la liberté
des médias et de la sécurité des journalistes dans les États membres.
La Plateforme fournit en continu des informations qui peuvent servir
de base au dialogue avec les autorités nationales sur les mesures préventives
ou correctives pouvant être prises; elle permet de mettre à profit
l’expertise des organisations de défense de la liberté des médias
et des associations de journalistes et d’exploiter leurs réseaux.
110. Le grand intérêt de la Plateforme est de rappeler les questions
de sécurité des journalistes et de liberté des médias à l’attention
des gouvernements et de les inciter à réagir lorsque des menaces
sont signalées. Surtout, elle contribue à suivre l’évolution de
la situation et à trouver des réponses systémiques à divers problèmes
tels que le blocage de sites internet, la sécurité des journalistes
pendant les rassemblements, l’accréditation des journalistes étrangers
et les «notices rouges» diffusées par Interpol.
111. En plus de lancer des alertes et de pointer du doigt des problèmes,
la Plateforme, en présentant les bons résultats obtenus par certains
pays, constitue pour les autres une source d’inspiration (et cette
fonction devrait encore se renforcer).
112. Ainsi, sur le plan de la coopération, la France a créé un
groupe de travail interministériel chargé de coordonner les réponses.
Ce groupe est composé de représentants de la Représentation permanente
de la France auprès du Conseil de l’Europe et des ministères de
l’Intérieur, de la Justice et de la Culture. Le ministère ukrainien
de la Politique de l’information a également mis en place un système
de coordination des réponses aux alertes. Aux‑Pays‑Bas, le ministère
public, les autorités policières et les organes de presse ont conclu
un accord afin d’adopter des mesures de prévention et de coordonner
les réponses aux actes de violence.
113. En ce qui concerne l’environnement médiatique dans son ensemble,
on peut mentionner le cas de la Macédoine du Nord: même si le travail
des journalistes demeure assez difficile et précaire, cet État membre se
démarque depuis 2018 des autres pays de l’ex-Yougoslavie par une
diminution des pressions et des poursuites à l’encontre de journalistes
et un recul de la propagande politique
dans les médias; les agressions de journalistes ont ainsi diminué
de 65 % en 2018 par rapport aux années précédentes
.
114. En ce qui concerne l’amélioration du cadre juridique, le Gouvernement
britannique a accepté, après de longs débats parlementaires, de
modifier la loi intitulée Anti-Terrorism Act (loi antiterroriste),
qui dispose que le travail de journaliste et la réalisation de travaux
universitaires constituent un motif valable de consultation d’informations
en ligne pouvant être utiles au terrorisme. Une autre amélioration
apportée à la législation a été observée à Malte, où le Parlement
a adopté une loi sur les médias qui supprime les procédures pénales
à l’encontre des journalistes et la possibilité de les placer en
détention.
115. Une série de problèmes et de cas soulevés dans un certain
nombre d’alertes ont été traités de façon satisfaisante. Plusieurs
dialogues bilatéraux ont abouti et plus de 120 affaires ont été
résolues. Plusieurs gouvernements se montrent désormais plus disposés
à assurer un suivi constructif. Ces bons exemples doivent être multipliés
et la coopération avec la Plateforme développée.
116. Cela étant, la visibilité de la Plateforme doit être renforcée,
et son action et sa valeur mises en avant. Il serait utile de renforcer
les synergies avec l’Union européenne et de faire mieux connaître
la Plateforme et son système d’alerte auprès des délégations de
l’Union dans divers pays: les discussions concernant l’adhésion sont
une occasion exceptionnelle d’avoir un certain poids et d’obtenir
des États concernés qu’ils s’engagent à trouver des solutions. De
plus, les États membres doivent être vivement encouragés à jouer
un rôle plus actif et à soulever la question des atteintes à la
liberté des médias dans leurs relations et discussions bilatérales.
117. Pour lutter contre le faible taux de réponse de certains États
membres et améliorer l’efficacité de la communication entre la Plateforme
et les autorités nationales, il pourrait être utile d’organiser
des missions conjointes sur le terrain, qui mettraient en présence
différentes parties prenantes. Il conviendrait d’organiser une discussion
sur la manière de repérer les pays qui ne répondent pas dans le
cadre du rapport annuel de la Plateforme, afin de les encourager
à participer plus activement.
118. Enfin, il pourrait être utile de relier l’activité de la Plateforme
avec les travaux du Comité directeur sur les médias et la société
de l’information (CDMSI) et la stratégie de mise en œuvre de la
Recommandation CM/Rec(2016)4, ainsi qu’avec les dialogues permanents
sur les droits de l’homme qui ont lieu dans le cadre des Lignes
directrices de l’UE en matière de droits de l’homme relatives à
la liberté d’expression en ligne et hors ligne et leur mise en œuvre.
5. Conclusions
119. La période 2017-2019 se caractérise
par plusieurs événements négatifs concernant la liberté des médias
et la sécurité des journalistes. Le nombre d’agressions physiques
et d’actes de violence à l’encontre de journalistes a beaucoup augmenté.
Un nouveau phénomène choquant voit le jour en Europe: des journalistes
sont tués parce qu’ils font leur métier. L’incarcération arbitraire,
la torture et l’assassinat de journalistes se multiplient en Europe
et cette tendance est préoccupante. De plus, le harcèlement en ligne permanent
et l’augmentation des attaques perpétrées par des groupes «néo-fascistes»
et des organisations criminelles à l’encontre de journalistes et
d’organes d’information constituent de graves problèmes qui portent atteinte
à la sécurité des journalistes.
120. Un grand nombre de crimes ont été perpétrés dans un climat
de totale impunité, preuve que de nombreux États membres ne protègent
pas la liberté des médias et la sécurité des journalistes comme
ils ont l’obligation de le faire. Pire, au lieu de protéger les
journalistes, les autorités politiques et judiciaires constituent souvent
elles-mêmes une menace, voire la menace principale et quotidienne
qui pèse sur les médias. Or, en vertu de la CEDH, les États membres
ont l’obligation de mener des enquêtes indépendantes et rapides
sur tout agissement criminel à l’encontre de journalistes (meurtres,
agressions, mauvais traitements, etc.) et de traduire en justice
tous les responsables au regard de la loi.
121. Bon nombre d’États membres ont échoué à créer un environnement
médiatique favorable et, à cette fin, à réviser leur législation.
Les exemples d’autorités publiques qui, en détournant la législation,
portent potentiellement atteinte à la liberté des médias ne manquent
pas. Certains instruments juridiques comme les lois sur la diffamation,
la lutte contre le terrorisme, la sécurité nationale, l’ordre public,
le discours de haine ou le blasphème et les lois sur la mémoire,
sont souvent appliqués pour intimider et museler les journalistes
dans le cadre de «procédures-bâillons» et de multiples poursuites
stratégiques.
122. Bon nombre d’autorités publiques ne respectent pas le droit
des journalistes de protéger leurs sources et ne facilitent pas
le travail des professionnels des médias dans certains contextes,
par exemple dans les zones de conflit ou les rassemblements publics.
Trop souvent, les autorités ont abusivement recours à des mesures
administratives comme l’enregistrement ou l’accréditation, ou font
un usage impropre de la législation fiscale, dans le but de harceler
des journalistes ou d’exercer des pressions sur eux. Les cas de
violence policière contre des journalistes sont encore trop fréquents.
123. On observe également une forte augmentation des comportements
agressifs et des agressions verbales violentes à l’encontre de journalistes
de la part de personnalités politiques et de représentants des autorités. Malheureusement,
ces comportements servent parfois d'exemples et contaminent certains
pans de la société. Ainsi peut-on parler de véritables situations
de «diabolisation» populaire des médias qui se caractérisent par la
volonté de harceler et de s’attaquer aux journalistes ou aux médias
pour ce qu’ils représentent, plutôt que de débattre des faits ou
d’établir la vérité. Un certain nombre de pays connaissent une «décomplexion populaire»
et une défiance face aux médias, qui sont accusés d’être partiaux
et copieusement insultés. Cette dynamique constitue une menace renforcée
et chronique pour la liberté des médias en Europe, particulièrement
là où les contrepoids (société civile) et contre-pouvoirs (judiciaires)
ont été affaiblis.
124. Un autre problème très préoccupant concerne les médias de
service public en Europe, qui subissent des pressions croissantes
et continues dans la plupart des États membres. Ils pâtissent de
coupes budgétaires et de nouvelles lois ou réglementations qui limitent
leur indépendance ou restreignent leurs attributions. Or, pour être
en accord avec les normes du Conseil de l’Europe en la matière,
les États membres doivent garantir aux médias de service public
un financement suffisant et pérenne, une indépendance éditoriale
et une autonomie institutionnelle.
125. Nous devons demander aux États membres de redoubler d’efforts
et d’être plus efficaces. À cet égard, j’ai proposé dans le projet
de résolution une série de mesures que les États membres devraient
prendre pour inverser la tendance et veiller au respect de la liberté
des médias et de la sécurité des journalistes. J’espère que ces
propositions recevront le soutien de mes collègues.
126. La Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection
du journalisme et la sécurité des journalistes est un excellent
moyen d’examiner à la loupe la situation dans les États membres
et d’encourager ces derniers à répondre aux menaces qui sont signalées.
De plus, la Plateforme aide les acteurs concernés à dégager des
tendances et à trouver des réponses systémiques aux différents problèmes
qui se posent. Les États membres devraient soutenir cet outil sans
réserve, établir une coopération véritable avec la Plateforme et
apporter des réponses de fond aux alertes dénoncées, en recherchant
des actions correctives rapides et en adoptant des mesures ciblées
pour que les cas signalés ne se reproduisent pas.
127. À cet égard, l’action et la valeur de la Plateforme doivent
être mises en avant et sa visibilité doit être renforcée. Les parties
prenantes devraient réfléchir ensemble à la meilleure façon d’optimiser
l’impact des alertes, et en particulier chercher à développer des
synergies avec les services concernés de l’Union européenne, notamment
dans le but de peser davantage sur certains pays et d’obtenir leur
engagement au moment des négociations d’adhésion. Une bonne idée
serait d’enjoindre aux États membres de soulever la question des
atteintes à la liberté des médias dans leurs relations et discussions
bilatérales. Je suis en outre convaincu que la Plateforme a tout
à gagner d’un rapprochement avec les activités du Comité directeur
sur les médias et la société de l’information et avec les dialogues
permanents sur les droits de l’homme qui ont lieu dans le cadre
des Lignes directrices de l’UE en matière de droits de l’homme relatives
à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.
128. Enfin et surtout, certains États membres, quoique peu nombreux,
ont mis en place des mesures et des initiatives constructives pour
renforcer la protection des journalistes et des médias. Ces bons
exemples doivent être salués, les efforts valorisés, et les autres
États membres encouragés à s'en inspirer. Je pense sincèrement que
la Plateforme, en tant qu’outil de promotion des bonnes pratiques,
pourrait les aider en ce sens. Les organes du Conseil de l’Europe,
y compris l’Assemblée parlementaire, doivent continuer à renforcer
leur dialogue avec les autorités nationales, encourager dans tous
les pays la poursuite des efforts entrepris pour défendre la liberté
des médias, et se tenir prêts à répondre à de nouvelles demandes
de soutien et de coopération.