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Résolution 2316 (2020)
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
que la démocratie, l’État de droit et le respect des droits de l’homme sont
liés et ne peuvent exister séparément. Le respect, mais aussi la
promotion et le renforcement de ces trois principes fondamentaux,
est une obligation incombant à tous les États membres du Conseil
de l’Europe. De même, tout développement dans un État membre qui
mine ou affaiblit l’un de ces principes fondamentaux suscite des
préoccupations immédiates.
2. Les États membres ont donc non seulement le droit, mais aussi
l’obligation de remédier aux faiblesses de leur système judiciaire
et de prendre toute mesure nécessaire qui renforce l’indépendance
des juges et accroît l’efficacité de l’administration de la justice.
L’Assemblée reconnaît les difficultés auxquelles sont confrontés
la justice et le système judiciaire polonais, en ce qui concerne
notamment l’efficacité de l’administration de la justice – comme
l’a établi la Cour européenne des droits de l’homme dans ses arrêts contre
la Pologne. Elle se félicite donc de la priorité accordée par les
autorités polonaises aux lacunes du système judiciaire polonais.
Dans le même temps, l’Assemblée souligne qu’il est essentiel que
les réformes mises en œuvre respectent pleinement les normes et
standards européens, renforcent effectivement l’indépendance des
juges et l’État de droit, et qu’elles ne les fragilisent ni ne les
minent.
3. En outre, reconnaissant le risque intrinsèque de corporatisme
et de défense des intérêts personnels de tout mécanisme professionnel
autonome, l’Assemblée accueille favorablement toute réforme des
structures judiciaires autonomes qui a pour objectif de renforcer
leur transparence, leur responsabilité et leur fonctionnement démocratique,
tout en préservant leur indépendance et leur autonomie. Elle considère néanmoins
qu’il est inacceptable que ces réformes reviennent à placer le système
judiciaire sous le contrôle du pouvoir exécutif ou législatif, ou,
pire, sous le contrôle politique de la majorité au pouvoir. Cela
violerait le principe de la séparation des pouvoirs, mettrait effectivement
un terme à l’indépendance de la justice et minerait l'État de droit.
4. L’Assemblée regrette profondément que les réformes de la justice
et du système judiciaire en Pologne ne répondent pas aux deux critères
décisifs susmentionnés. Elle se déclare sérieusement préoccupée
par le fait que ces réformes violent, à plusieurs égards, les normes
et les règles européennes. Leur effet cumulé porte atteinte et nuit
gravement à l’indépendance du pouvoir judiciaire et à l'État de
droit en Pologne. Par ailleurs, ces réformes ont exposé le système
judiciaire aux ingérences politiques et aux tentatives de prise
de contrôle politique par l’exécutif, ce qui remet en question les
principes mêmes d’un État démocratique régi par l’État du droit.
5. La centralisation de pouvoirs excessifs et discrétionnaires
exercés sur le système judiciaire et le ministère public entre les
mains du ministre de la Justice et, dans une moindre mesure, du
Président de la République rend le système judiciaire vulnérable
aux ingérences et aux abus politiques, et est préoccupante. Il incombe
aux autorités de régler rapidement cette question.
6. La crise constitutionnelle qui a suivi la composition de la
Cour constitutionnelle demeure préoccupante et devrait être résolue.
Aucun gouvernement démocratique respectueux de l’État de droit ne
peut ignorer les décisions des tribunaux qu’il désapprouve, en particulier
celles de la Cour constitutionnelle. L’exécution intégrale et inconditionnelle
de toutes les décisions de la Cour constitutionnelle par les autorités,
y compris lorsqu’elles ont trait à la composition de la Cour constitutionnelle
elle-même, doit être prioritaire pour résoudre la crise. Le rétablissement
d’une composition de la Cour constitutionnelle respectueuse de la
loi, conformément aux normes européennes, est essentiel et devrait
être une priorité. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par
l’impact potentiel de la composition manifestement illégale de la
Cour constitutionnelle sur les obligations de la Pologne au regard
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
7. L’Assemblée se félicite du soutien apporté par le Conseil
de l’Europe pour veiller à ce que la réforme du système judiciaire
en Pologne soit élaborée et mise en œuvre conformément aux normes
européennes et aux principes de l’État de droit afin d’atteindre
les objectifs énoncés. Elle note cependant que les autorités n’ont pas
mis en œuvre ni respecté plusieurs recommandations de la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
et d’autres organes du Conseil de l’Europe. L’Assemblée est convaincue que
la mise en œuvre de ces recommandations aurait permis de pallier
ou d’éviter de nombreuses faiblesses du système judiciaire actuel,
en particulier en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’Assemblée
invite donc les autorités à revoir le train de réformes du système
judiciaire dans son ensemble et à modifier les lois et pratiques
concernées en tenant compte des recommandations du Conseil de l’Europe,
en ce qui concerne, en particulier:
7.1. la réforme du ministère public, l’Assemblée considère
que la fusion des fonctions de ministre de la Justice et de procureur
général entre les mains d’une même personne ainsi que les pouvoirs discrétionnaires
très étendus conférés au ministre de la Justice sur le ministère
public et les poursuites effectives de diverses affaires compromettent
l’impartialité et l’indépendance du ministère public et l’exposent
à la politisation et aux abus. L’Assemblée considère qu’il est urgent
de séparer ces deux fonctions et qu’il est nécessaire d’introduire
dans la loi des garanties suffisantes contre les abus et la politisation
du ministère public. Elle appelle les autorités polonaises à s’y
employer de manière prioritaire;
7.2. la réforme du Conseil national de la magistrature, l’Assemblée
se déclare préoccupée par le fait qu’au mépris des normes européennes
de l’État de droit les 15 juges membres du Conseil national de la
magistrature ne sont plus élus par leurs pairs mais par le Parlement
polonais. Cette décision est contraire au principe de séparation
des pouvoirs et d’indépendance du système judiciaire. En conséquence,
le Conseil national de la magistrature ne peut plus être considéré
comme un organe judiciaire autonome et indépendant. L’Assemblée
demande donc instamment aux autorités de rétablir l’élection directe,
par leurs pairs, des juges membres du Conseil national de la magistrature;
7.3. la réforme des tribunaux de droit commun, l’Assemblée
est gravement préoccupée par les pouvoirs excessifs et discrétionnaires
sur le système judiciaire conférés au ministre de la Justice, notamment
en ce qui concerne la nomination et la révocation des présidents
de tribunaux, les procédures disciplinaires à l’encontre des juges
et l’organisation interne des tribunaux. À cela s’ajoutent les pouvoirs
également excessifs conférés au ministre de la Justice en qualité
de procureur général et l’absence de contrepoids exercé par un Conseil
national de la magistrature véritablement indépendant. Ces pouvoirs
doivent être réduits et des contrôles et contrepoids juridiques
appropriés doivent être introduits dans la législation concernée;
7.4. la réforme de la Cour suprême, l’Assemblée déplore les
tentatives visant à contraindre un nombre considérable de juges
de la Cour suprême à prendre une retraite anticipée, en violation
des normes européennes. L’Assemblée se déclare donc satisfaite que
ces juges aient été rétablis dans leurs fonctions à la suite de
l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. L’introduction
de la possibilité d’un recours dit extraordinaire, pour des motifs
très divers et subjectifs, contre des décisions qui sont déjà définitives
et dont la procédure de recours a été conclue conformément à la
loi, suscite de graves préoccupations car elle viole les principes
de la sécurité juridique et de la chose jugée. L’Assemblée est préoccupée
par le fait que l’introduction d’un recours extraordinaire risque
d’accroître considérablement le nombre de requêtes déposées contre
la Pologne auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. La
composition et le mode de nomination des membres de la chambre des
affaires disciplinaires et de la chambre des recours extraordinaires
de la Cour suprême, qui comprennent des membres non professionnels,
conjugués aux pouvoirs étendus de ces deux chambres et au fait que leurs
membres ont été élus par le nouveau Conseil national de la magistrature,
suscitent des interrogations sur leur indépendance et leur vulnérabilité
à la politisation et aux abus. Ces questions doivent être résolues
d’urgence.
8. L'Assemblée prend note de la décision rendue par la Cour suprême
polonaise le 5 décembre 2019 sur le fondement des lignes directrices
énoncées dans l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
du 19 novembre 2019, selon laquelle le Conseil national de la magistrature
ne peut être considéré comme un organe impartial et indépendant,
et la nouvelle chambre disciplinaire de la Cour suprême ne peut
être considérée comme une juridiction au sens du droit européen
et polonais. L’Assemblée prend également note de la résolution de
la Cour suprême du 23 janvier 2020, qui précise que tout juge nommé
par le Conseil national de la magistrature n’est pas autorisé à
statuer. L’Assemblée est profondément préoccupée par la réaction
du Gouvernement polonais face à cette résolution, qu’il juge illégale.
Elle invite les autorités polonaises à se conformer pleinement à
cet arrêt et à cette résolution, et à remédier sans plus tarder
à ces lacunes fondamentales du système juridique polonais.
9. L'Assemblée exprime sa profonde préoccupation concernant les
projets d'amendement à la loi sur les tribunaux de droit commun,
à la loi sur la Cour suprême et à certaines autres lois de la République
de Pologne, tels qu'adoptés par la Diète le 23 janvier 2020, malgré
leur rejet par le Sénat polonais le 17 janvier 2020 et l'évaluation
très critique de ces amendements par la Commission de Venise. Elle
regrette que ces amendements aient été examinés dans le cadre d'une
procédure accélérée sans aucune consultation des principales parties
prenantes ou de la société civile. L'Assemblée salue et soutient
l'avis de la Commission de Venise sur ces amendements. L'Assemblée
considère que l'adoption de ces amendements affaiblit encore l'indépendance
du pouvoir judiciaire et le respect de l’État de droit en Pologne
et va à l'encontre des obligations du pays en vertu du droit international,
y compris les obligations découlant de l'adhésion au Conseil de l'Europe.
En outre, ces amendements sont en contradiction avec les articles 6
et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. L'Assemblée
demande donc instamment au Président Duda de ne pas signer ces amendements
à la loi et appelle les autorités à respecter pleinement l'arrêt
de la Cour suprême polonaise du 23 janvier 2020, ainsi que celui
des tribunaux internationaux auxquels elles sont parties, y compris
ceux de la Cour de justice de l’Union européenne. L’Assemblée invite
en outre les autorités polonaises à remédier rapidement aux carences
et aux insuffisances du système judiciaire mises en évidence, entre autres,
dans la présente résolution.
10. L’argument souvent entendu selon lequel les réformes de la
justice polonaise seraient conformes aux normes européennes, du
seul fait que certains éléments de ces réformes existeraient également
dans d’autres pays, n’est pas légitime et doit être écarté. Même
si certaines dispositions sont similaires à celles en vigueur dans
d’autres pays, il n’est pas possible de les extraire du cadre juridique
global et de la tradition juridique dans lesquels elles s’inscrivent.
L’acceptation de ces arguments se traduirait en effet par une «frankensteinisation» de
la législation, qui serait fondée sur une combinaison des «pires
pratiques» en vigueur dans d’autres pays, au lieu des meilleures
pratiques et des normes européennes communes.
11. L’Assemblée déplore l’abus de procédures disciplinaires à
l’encontre des juges et des procureurs polonais. Elle se dit à nouveau
préoccupée par le fait que le contrôle politique exercé par le ministre
de la Justice sur l’ouverture et le déroulement de ces procédures
n’offre pas la garantie requise contre leur abus. Le nombre très
élevé d’enquêtes ouvertes contre des juges et des procureurs pour
des motifs subjectifs, qui ne sont finalement ni closes formellement
ni suivies de l’ouverture d’une procédure formelle, prive les juges
et les procureurs concernés de leur droit de défense et a un effet
paralysant sur le système judiciaire. Ces mesures compromettent
donc son indépendance. Les rapports crédibles selon lesquels des
enquêtes disciplinaires ont été ouvertes contre des juges et des
procureurs au seul motif qu’ils avaient critiqué les réformes de
la justice, ainsi que le fait que des juges ont fait l’objet d’enquêtes
disciplinaires à la suite de décisions qu’ils ont prises lorsqu’ils
ont statué sur des affaires devant leurs tribunaux doivent être
condamnés. Dans ce contexte, les allégations plausibles selon lesquelles
des représentants de haut rang du ministère de la Justice et du
Conseil national de la magistrature auraient participé à une campagne
de diffamation à des fins politiques contre des membres de la magistrature
sont à la fois déplorables et préoccupantes: il s’agit d’une atteinte
à la fois à l’indépendance du système judiciaire et à la confiance
du public dans ce dernier. L’organisation de ces campagnes de diffamation
doit faire l’objet d’une enquête approfondie et les responsables
doivent être identifiés. Il est évident qu’une enquête menée par
le ministère public sous le contrôle direct du ministre de la Justice,
qui est aussi une partie éventuelle à l’enquête, serait dépourvue
de l’indépendance et de la crédibilité requises. L’Assemblée invite
donc les autorités polonaises à constituer, dans les meilleurs délais,
mais au plus tard le 31 mars 2020, une commission d’enquête publique
indépendante sur ces campagnes de diffamation et sur leurs responsables.
12. L’Assemblée note que les préoccupations relatives à l’indépendance
de la justice et du système judiciaire polonais, ainsi que le respect
de l’État de droit par la Pologne, affectent directement l’Europe
dans son ensemble. Les questions relatives à l’indépendance du système
judiciaire ne doivent donc pas être considérées comme des questions
internes à la Pologne. L’Assemblée invite tous les États membres
du Conseil de l’Europe à veiller à ce que les tribunaux de leur
juridiction vérifient dans toutes les affaires pénales – y compris
dans les mandats d’arrêt européens – ainsi que dans les affaires
civiles concernées, si une procédure judiciaire équitable, au sens
de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme,
peut être garantie en Pologne aux défendeurs.
13. L’Assemblée note que, pour une partie de la population polonaise,
la transition démocratique négociée de la Pologne qui a contribué
à la chute du mur de Berlin, si elle a été un modèle pour beaucoup,
n’a pas permis de tourner la page sur les crimes et les excès commis
durant l’époque communiste, et est perçue comme ayant permis à ceux
qui ont profité du régime communiste d’échapper à la justice pour
les crimes commis et de préserver leurs intérêts. L’Assemblée reconnaît
que cette question est à la fois sensible et chargée d’émotion, mais
elle considère que trente ans après la fin du régime communiste,
la nécessité de la lustration ne peut pas être considérée comme
un argument légitime ou une ligne directrice appropriée pour les
réformes du système judiciaire en Pologne.
14. L’Assemblée est préoccupée par le fait que le discours politique
agressif et intolérant dans l’environnement politique polonais a
généré un climat de plus en plus permissif et un sentiment d’impunité
face aux discours de haine et aux comportements intolérants envers
les minorités et d’autres groupes vulnérables. Cette situation est
inacceptable et doit être réglée par les autorités.
15. En ce qui concerne l’environnement médiatique, l’Assemblée
regrette que les réformes des médias n’aient pas réglé le problème
du caractère politisé et biaisé de l’environnement médiatique et
du radiodiffuseur public. Au lieu de cela, les réformes des médias
visaient principalement à transférer le contrôle de l’organisme public
de radiodiffusion des autorités précédentes à l’actuelle majorité
au pouvoir. L’Assemblée invite les autorités à garantir l’impartialité
et le professionnalisme véritables du système de radiodiffusion
public polonais.
16. L’Assemblée se félicite du rôle important joué par la société
civile polonaise, à la fois ample et dynamique. Elle regrette cependant
que la polarisation du climat politique affecte le champ d’action
de la société civile, les consultations et la coopération entre
la société civile et les autorités étant de plus en plus sélectives
et fondées sur la proximité idéologique.
17. Les réformes juridiques et leurs effets préjudiciables sur
l’État de droit en Pologne exercent un impact négatif sur le fonctionnement
effectif des institutions démocratiques polonaises. Il est à déplorer
que rien n’indique que cette question sera réglée prochainement.
L’Assemblée décide donc de continuer à suivre de près les développements
concernant le fonctionnement des institutions démocratiques et de
l’État de droit en Pologne. En conséquence, l’Assemblée décide d’ouvrir
la procédure de suivi à l’égard de la Pologne jusqu’à ce que les
préoccupations susmentionnées soient traitées de manière satisfaisante.