1. Introduction
1. Les maladies chroniques et
de longue durée sont des maladies non transmissibles qui exigent
un traitement souvent long et coûteux. Elles sont les principales
causes de mortalité générale et prématurée. Elles altèrent la vie
d’au moins un tiers de la population européenne. Ce pourcentage
augmente avec l’âge alors que ces maladies frappent davantage les
plus vulnérables. Elles sont plus fréquentes chez les femmes que
chez les hommes. Elles sont particulièrement effrayantes quand elles
touchent des enfants. La prévalence de la multi-morbidité augmente
à cause du vieillissement de la population, mais aussi sous les
effets conjugués de la pauvreté, de la pollution et du réchauffement
climatique.
2. Depuis 1946, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) désigne
la santé comme «un état de complet bien-être physique, mental et
social, qui ne consiste pas seulement en l'absence de maladies ou
d'infirmité.» La Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163)
précise, dans ses principes, que «Toute personne a le droit de bénéficier
de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de
santé qu'elle puisse atteindre.» La santé, c’est, selon l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), être et se
sentir bien, jouir d’une vie longue et exempte de maladies physiques
ou mentales, et pouvoir participer aux activités que l’on souhaite.
Les maladies chroniques et de longue durée sont des freins au bien-être
car elles nuisent à la «pleine et égale jouissance de tous les droits
humains et de toutes les libertés fondamentales.» Par conséquent,
elles entrent dans le champ de la Convention des Nations Unies relative
aux droits des personnes handicapées (CDPH, 2006).
3. La CDPH reconnaît que «la notion de handicap évolue et que
le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant
des incapacités et les barrières comportementales et environnementales
qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la
société sur la base de l’égalité avec les autres». Selon l’article
1, «Par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent
des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles
durables …». L’ampleur selon laquelle ces déficiences handicapent une
personne dépend du niveau des obstacles rencontrés dans la société.
4. La dernière édition du rapport de l’OCDE «Comment va la vie?»
publié en juin 2020, indique que
le bien-être ne s’est pas amélioré dans toutes ses dimensions depuis
2010, notamment concernant la santé qui est une des 11 dimensions
mesurées par l’organisation. Si plus d’un tiers de la population
européenne souffre de maladies chroniques
, le rapport révèle aussi que 6 %
des adultes ont connu récemment des symptômes dépressifs. Une personne
sur huit ressent d’avantage d’émotions négatives que positives au
cours d’une journée normale. Les maladies chroniques et de longue
durée forment un terreau sur lequel les inégalités et les vulnérabilités
prospèrent puisque ces maladies frappent davantage les plus vulnérables.
5. En janvier 2020, la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable (la commission) a été saisie
pour rapport sur la base de la proposition de résolution «La discrimination
à l’égard des personnes atteintes d’une maladie de longue durée»
(Do
c. 15011) déposée par un groupe de parlementaires mené par Mme Béatrice
Fresko-Rolfo (Monaco, ADLE). L’ambition des parlementaires est de mesurer
les discriminations subies par les personnes ayant eu un cancer
ou qui suivent encore un traitement, mais aussi les personnes atteintes
de maladies chroniques et de longue durée (maladie de Lyme, maladies inflammatoires
chroniques intestinales, maladies auto-immunes, etc.). Malgré les
progrès de la médecine et les connaissances accumulées sur ces maladies
toujours plus nombreuses dans la société, certaines personnes demeurent
stigmatisées. Elles font l’objet d’une cécité des sociétés qui peinent
à reconnaitre leur situation. La réalité expose un hiatus entre
une politique de lutte contre les discriminations qui oublie des personnes
touchées et la réalité de droits que les malades ne peuvent exercer
pleinement pour concilier vie personnelle et professionnelle malgré
la maladie. L’effectivité des droits sociaux des malades chroniques
et de longue durée est clairement questionnée à la fois sur le plan
normatif et matériel. Il revient à nos sociétés de garantir la dignité
humaine, la qualité de vie et l’égal accès aux droits pour tous.
J’ai été désignée comme rapporteure par la commission le 28 janvier
2020.
6. En tant que rapporteure, je tiens à rappeler que l’Assemblée
parlementaire s’engage chaque année pour la sensibilisation au cancer
du sein. Dans ce cadre, les commissions des questions sociales,
de la santé et du développement durable et sur l’égalité et la non-discrimination
ont tenu, le 30 septembre 2019, une audition publique conjointe
intitulée «Vie et qualité de vie après» (un cancer du sein) concernant
les patientes atteintes d’un cancer du sein lorsqu’elles essayent
de retourner à une «vie normale» alors que des traitements médicaux
leur sont encore dispensés. En effet, le fait d’être confrontées
à un cancer les oblige à surmonter des situations qui ne devraient
plus exister dans une société inclusive, les privant de façon injuste d’opportunités
de réaliser leurs projets de vie. Il existe une grande variété de
maladies chroniques et de longue durée (borréliose de Lyme, maladie
de Crohn, maladie de Charcot, colites inflammatoires, sclérose en
plaque, diabète de type 1, lupus, etc.) à l’origine de troubles
physiques souvent handicapants, qui impactent la perception de ces
malades par la société, les empêchent de jouir pleinement de leurs
droits et les excluent. L’Assemblée a adopté une approche basée
sur le genre dans ses rapports. J’ai décidé, du fait de ma formation de
psychiatre, d’étendre le cadre de ce rapport à l’ensemble des stigmatisations
à l’égard des personnes qui souffrent de troubles liés à une maladie
psychiatrique, menant parfois jusqu’à l’exclusion, car elles aussi
sont privées de dignité et d’épanouissement.
7. Le Secrétariat de la commission a lancé une enquête sur le
cadre législatif et institutionnel organisant, au niveau national,
la lutte contre les discriminations à l’égard des personnes atteintes
d’une maladie chronique et de longue durée, par le biais du Centre
européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP)
en août 2020. Le questionnaire a reçu 28 réponses au 11 novembre
2020
, de la part des parlements
de 23 États membres. En préparant le questionnaire, j’ai souhaité
analyser les discriminations à l’égard des personnes atteintes d’une
maladie chronique ou de longue durée ainsi que les inégalités subies par
ces dernières; recenser des exemples de bonnes pratiques pour remédier
à ces discriminations, en particulier en ce qui concerne le diagnostic
des maladies psychiques; observer l’accès à l’emploi des malades chroniques
et de longue durée; et mesurer la dignité au regard de l’existence
de législations en matière de «droit à l’oubli». L’analyse complète
et le questionnaire figurent dans le document AS/Soc (2020) 51.
Une synthèse se trouve en annexe.
8. Le 22 septembre 2020, la commission a tenu une audition publique
avec les experts suivants
: Mme Matilde
Leonardi, Directrice de l’Unité de neurologie et santé publique,
Fondation de l’Institut neurologique Carlo Besta IRCCS (Italie); M. Kawaldip
Sehmi, Directeur général, Alliance internationale des organisations
de patients (IAPO), et M. Ignacio Doreste, Conseiller, Institut
syndical européen, Confédération européenne des syndicats (ETUI).
2. La réalité des discriminations à l’égard
des personnes vivant et travaillant avec une maladie chronique ou
de longue durée
9. Toutes les 15 secondes, une
femme se voit diagnostiquer un cancer du sein quelque part dans
le monde.
Cette maladie a des conséquences
sur leur vie et tue encore trop. Aux États-Unis, le taux de mortalité par
cancer du sein a diminué de 40% depuis la fin des années 1980, et
aujourd’hui, il y a plus de 3,8 millions de survivantes du cancer
du sein
.
Selon les statistiques de l’OMS, une femme sur huit en Europe risque
de développer un cancer avant l’âge de 85 ans; environ 20% des patientes
atteintes d’un cancer du sein ont moins de 50 ans, et environ 36%
ont entre 50 et 64 ans. Pour mieux combattre la maladie, les malades
ont besoin d’un soutien psychologique pendant la maladie mais également
après la guérison. Ce soutien peut aussi être utile à l’entourage
de la malade. Pour bon nombre de malades, retourner au travail signifie
reprendre une vie normale, mais les conséquences du cancer sont
lourdes et comportent fatigue et manque de concentration et de mémoire.
Souvent, les patientes ne connaissent pas suffisamment les procédures
et les normes qui peuvent les aider à adapter leur travail à leurs
besoins spécifiques. Certaines survivantes ont besoin d'apprendre
un type de travail complètement nouveau, car le cancer les a rendues
incapables d'accomplir leurs tâches antérieures. Certains cadres
et collègues sont mal à l'aise avec les malades atteintes de cancer,
ce qui peut finir par les isoler. Plus d’un demi-million de femmes
en Europe sont concernées. A travers la campagne du Ruban rose,
presque 100 millions de dollars US ont été levés depuis 1992 contre
cette maladie et ses effets qui frappent avant tout les femmes.
Chaque année, plus de 1 000 monuments sont illuminés à travers le monde
pour sensibiliser à la cause du cancer du sein et mettre à l’honneur
les personnes touchées par la maladie. Le Conseil de l’Europe contribue
très activement à cette campagne tous les ans.
10. M. Doreste a souligné, pendant l’audition, qu’il n’existait
pas de consensus sur une définition unique des maladies chroniques
et de longue durée en Europe. Les informations transmises par le
CERDP confirment aussi que la collecte des données n’est ni uniforme
ni systématique, elle ne permet pas non plus d’appréhender les situations
de comorbidité. Les maladies chroniques et de longue durée sont
néanmoins perçues largement comme des obstacles au bien-être. Pour
reprendre les termes de la CDPH, elles nuisent à la «pleine et égale
jouissance de tous les droits humains et de toutes les libertés
fondamentales.» Comme le remarquait Mme Leonardi
au cours de l’audition, elles doivent être distinguées à l’échelle
du «fonctionnement»
afin de
s’assurer que personne ne soit laissé de côté. L’approche du fonctionnement
est promue par l’OMS en matière de handicap. La maladie ne pouvant
être changée, il convient d’aménager l’environnement aux besoins
des malades pour permettre leur participation mais aussi leur intégration
pleine et effective à la société.
11. Les progrès incroyables de la médecine dans le diagnostic
et le traitement contre le cancer et les maladies chroniques et
de longue durée ne doivent pas cacher les difficultés rencontrées
par les malades afin de retourner à une vie normale. Une personne
sur deux par exemple, en Grande Bretagne, née après 1960 aura à
affronter un cancer à un moment de sa vie et restera non seulement
marquée dans sa chair mais devra affronter les rugosités de la société
pour pouvoir continuer sa vie professionnelle et privée, malgré
la maladie. Les suites de la maladie peuvent entrainer des difficultés
pour le retour à la vie professionnelle car les employeurs ne sont
pas suffisamment informés ou sont souvent réfractaires ou mal-équipés
pour adapter les postes de travail et aménager le rythme à la situation
du personnel malade. La protection de l’emploi pour des raisons
de maladie est souvent contournée. Les personnes ayant eu un cancer
souffrent aussi de discriminations dans leur vie privée à cause
de la maladie ou du traitement, y compris après la rémission. Cela rajoute
une dimension psychique à la douleur et la difficulté.
12. La première des discriminations à l’encontre des malades chroniques
et de longue durée concerne l’emploi. La décision librement consentie
de postuler ou de se maintenir à une activité professionnelle peut
se heurter à la réglementation en vigueur ou à l’intérêt de l’employeur.
Les malades du diabète se voient toujours interdire administrativement
l’accès à certaines professions
. Or les associations dénoncent que
«les traitements médicamenteux (insuline de plus en plus performante)
et les dispositifs médicaux (pompes à insuline, et en particulier
la mesure du glucose en continu) ont connu des avancées thérapeutiques
et technologiques majeures, adaptées aux besoins et aux habitudes
de vie des personnes diabétiques. Or, certains textes réglementaires
sont totalement déconnectés de cette réalité et nient que ces dispositifs permettent
aux patients d'effectuer leurs activités.» D’après l’OMS, le continent
européen doit faire face à une véritable pandémie de diabète. Quelque
60 millions de personnes souffrent de diabète dans la région européenne
de l’OMS, soit environ 9,6% des femmes et 10,3% des hommes âgés
de 25 ans et plus.
13. La borréliose de Lyme est la zoonose la plus courante en Europe,
avec entre 650 000 et 850 000 cas par an dans l’Union européenne,
avec une incidence plus forte en Europe centrale. Dans sa résolution
2018/2774
, le Parlement européen remarquait
déjà qu’il n’existe pas de consensus européen quant au traitement, au
diagnostic et à la détection de la maladie de Lyme et que les pratiques
nationales sont variées. La maladie est parfois initialement asymptomatique
et peut le rester plusieurs années, ce qui peut parfois conduire
à des complications lourdes et à des dommages irréversibles semblables
à ceux d’une maladie chronique. De nombreux malades ne sont pas
diagnostiqués rapidement et n’ont pas accès à des soins adéquats.
Ils se sentent souvent démunis et ignorés par les autorités publiques
alors que certains continuent de présenter des symptômes persistants
et invalidants. A ce jour, la maladie n’est pas reconnue partout
en Europe dans sa forme chronique malgré un coût médical, social
et économique conséquent. Elle laisse des malades isolés et vulnérables,
particulièrement avant le diagnostic.
14. Les personnes souffrant de maladies inflammatoires chroniques
intestinales comme la maladie de Crohn et la recto-colite hémorragique
sont non seulement marqués par les symptômes de leur maladie mais aussi
par le traitement lourd visant à apaiser leurs souffrances. Ces
maladies ont longtemps été perçues comme des maladies honteuses,
laissant les malades se retrancher chez eux. La maladie porte atteinte
à la dignité au travail des personnes touchées en raison des troubles
chroniques mais aussi des interventions chirurgicales itératives
pour pallier la progression de la maladie. Les malades sont sujets
à des discriminations sur le lieu de travail malgré les législations
domestiques contre la violence et le harcèlement au travail, en
dépit de leur décision de conserver une activité professionnelle
active.
15. De même, les personnes touchées par des maladies psychiatriques
ou des troubles psycho-sociaux (tels que ceux du spectre autistique
) rencontrent des difficultés pour
jouir pleinement de leur existence en raison d’une phase d’errance
diagnostique (pour qualifier la période au cours de laquelle un
diagnostic se fait attendre, ou simplement l'absence d'un diagnostic
pertinent). Cette période peut être longue car certaines maladies
sont encore insuffisamment repérées – en particulier chez les femmes
– et en tout cas pas assez reconnues par les employeurs. Les malades
atteints de troubles psychiatriques (troubles bipolaires, schizophrénie)
non diagnostiqués par les médecins généralistes ou autres professionnels
de première ligne en raison d’un manque de formation peinent à accéder
à une vie professionnelle et une vie privée épanouie, parfois jusqu’à
l’exclusion, alors même qu’ils peuvent profiter de soins de réhabilitation
et d’accompagnement leur permettant un retour à une vie normale.
Une meilleure connaissance de ces maladies plaide en faveur d’une
plus large acceptation par la société.
16. Certaines maladies chroniques sont méconnues de façon persistante,
voire volontairement mises de côté. Je pense ainsi à l’endométriose
dont souffre, en moyenne, une femme
sur dix et dont les effets peuvent être particulièrement impactants,
tout en n’étant pas bien connue des professionnels de santé. 80%
des femmes atteintes de cette maladie ressentent des limitations
dans leurs tâches quotidiennes et 40% ont des troubles de la fertilité.
C’est une maladie incurable qui altère socialement, professionnellement
et économiquement la vie des femmes qui en sont atteintes (fatigue
chronique, anxiété, perte de confiance en soi, remise en question
des projets d’enfants, difficultés à assumer sa vie professionnelle,
etc.). En juillet 2020, des parlementaires français ont déposé une
proposition de loi visant à faire reconnaître la lutte contre l’endométriose
«Grande cause nationale 2021.»
Cette proposition répond à une demande
de la société civile
et cherche à pousser les autorités
qui envisagent, depuis plusieurs années, d’intégrer l’endométriose dans
la liste des affections de longue durée (ALD). La fibromyalgie fait
aussi partie de ces maladies répandues, en particulier chez les
femmes, que tout le monde connait mais qui n'est pas encore reconnue
officiellement par les autorités sanitaires comme une maladie
17. Les personnes atteintes d’une maladie chronique, de longue
durée ou en rémission d’un cancer rencontrent souvent des difficultés
pour emprunter et s’assurer. Elles sont bloquées dans leurs projets
alors même que leurs ressources sont suffisantes. Des dispositifs
existent dans certains pays imposant une période de 10 ans au-delà
de laquelle les personnes ayant surmonté la maladie ne sont plus
obligées de la déclarer aux compagnies d’assurance. Cependant les
compagnies peuvent avoir accès à l’information par des voies détournées
et rejeter une demande de crédit sans justifier leur opposition.
Dans un contexte où l’espérance de vie a progressé, il est légitime
de s’interroger sur le sens d’un contrat d’assurance où les risques
sont évités. La maladie a aussi une incidence sur la retraite des
malades. Dans une société où le «bien vieillir» est une préoccupation,
les malades sont en proie à des cotisations irrégulières qui obèrent
le niveau de leurs revenus au moment de l’âge légal de la retraite;
le statut de personne handicapée peut apparaître, avec regrets,
comme le seul recours possible pour une vie digne. Les informations
transmises par le CERDP ont permis de révéler que les malades étaient
encore trop souvent privés de retraite, subissant une double-peine,
avec leur maladie.
18. La question de la rémission d’une maladie chronique ou longue
demeure posée car elle souffre d’une interprétation différente selon
le patient ou la société qui l’entoure. La rémission n’est pas forcément
synonyme de guérison. La maladie occupe toujours une place dans
la vie des patients que la société se refuse souvent à reconnaître.
Ce décalage est à l’origine de discriminations et de frustrations
pour une personne qui pensait tourner la page et poursuivre sa reconstruction
personnelle. Ces discriminations portent atteinte à la santé morale
des malades et nuisent à leur démarche de reconstruction. Ces personnes
endurent un sentiment d’isolement qui est un terrain propice à une
rechute.
3. Le
retour à une vie normale
19. Face à l’absence de prise en
compte de leur situation spécifique, les malades ont su se fédérer
en groupes et associations capables de porter leur cause auprès
des autorités publiques et des compagnies privées. Certains groupes
manquent souvent de mises en réseau et de poids pour être un intermédiaire incontournable.
La prise en compte de leur situation et la consultation des malades
ne peuvent être davantage ignorées par le législateur en vue de
la révision nécessaire des textes ayant un impact sur leur situation.
Elle doit aussi être entendue par les sociétés privées au nom de
leur responsabilité sociale.
20. Le progrès scientifique permet de porter un diagnostic toujours
plus précoce et plus précis. Il est nécessaire pour guider les professionnels
de santé à travers la mesure des différents symptômes de la maladie et
l’activation d’un protocole prenant en charge les malades. La particularité
de certaines maladies psychiatriques et de certaines maladies chroniques
est d’être quasi asymptomatiques. Les malades peuvent être victimes
«d’errance diagnostique» . La réalité est que ces personnes se savent
malades mais sont privées de la protection à laquelle elles ont
droit. Il arrive que des malades de la borréliose de Lyme ou de
troubles psychiatriques aient à subir des délais supérieurs à un
an (voire plusieurs années) pour mettre un nom sur leur maladie
et envisager leur vie malgré elle. Les malades et leurs entourages
doivent faire face à l’incompréhension et surtout à la non-reconnaissance
de leur situation tant qu’un diagnostic ne vient pas activer les
protections garanties par le cadre légal. Sans une politique préventive
active permettant des campagnes de sensibilisation à l’attention
du grand public et des professionnels de santé, les autorités publiques
et les associations de la société civile ne peuvent pas mettre place
des dépistages routiniers et de grande ampleur des maladies asymptomatiques.
Le non-diagnostic de la maladie peut être une cause de désocialisation.
L’isolement est un terrain propice à l’aggravation des symptômes
de ces maladies. Il convient de provoquer la prise de conscience
nécessaire pour faire reculer l’ignorance concernant ces maladies.
21. La Charte sociale européenne (révisée) fournit un arsenal
juridique garant de la protection des personnes atteintes de handicap
ou d’incapacité et permettant aussi de prétendre à un niveau de
vie satisfaisant. La situation des malades chroniques et de longue
durée relève souvent de normes incompatibles ou contraires aux standards
supérieurs décrits dans la Charte. A la demande de la société civile,
certains pays ont adopté des lois relatives au «droit à l’oubli»
afin de permettre à des personnes ayant vaincu le cancer de ne plus
déclarer leur maladie après un certain laps de temps et avoir accès
à des facilités de prêts ou d’assurance-vie. Ce droit semble désormais
exister presque uniformément dans l’ensemble des États membres du
Conseil de l’Europe et a été intégré dans la réglementation de l’Union
européenne. Cependant afin d’en mesurer les effets réellement bénéfiques
et d’évaluer les garanties dégagées concernant l’intégration des
malades, le Conseil de l’Europe devrait être en mesure d’appuyer
les efforts de la société civile à l’issue d’une évaluation de l’exercice
de ce droit.
22. La Charte sociale précise que «Tous les travailleurs ont droit
à des conditions de travail équitables.» Cependant, beaucoup trop
de personnes sont discriminées sur leur lieu de travail après la
rémission d’un cancer ou le diagnostic d’une maladie chronique ou
longue. Elles sont trop souvent perçues comme des personnes à risque
ou qui font peur. La protection à laquelle elles ont droit se heurte,
dans sa mise en œuvre, au manque de préparation de l’employeur à
l’accueil d’une personne ayant été touchée par un cancer, une maladie
chronique ou de longue durée. Les demandes d’aménagement du poste
de travail ou la décision de maintien d’une activité professionnelle
ne devraient pas être un obstacle pour ces personnes. Les efforts
de sensibilisation à l’égard des employeurs devraient être appuyés
pour encourager la désignation de personnels chargés de gérer les
situations de santé au travail afin d’être un interlocuteur, un
médiateur et surtout le garant du bien-être au travail.
4. Les
malades chroniques et de longue durée face à la covid-19
23. La covid-19 est à l’origine
de comorbidités, tout comme les maladies chroniques et de longue
durée. Ces dernières entraînent une sur-vulnérabilité au virus.
Alors que nous commençons à réaliser que la maladie provoque non
seulement la surmortalité des personnes vulnérables, nous découvrons
qu’elle est aussi à l’origine d’affections, encore peu connues,
qui sont la conséquence directe des effets de la covid-19 à travers la
persistance de symptômes ou de dégâts irréversibles commis par le
virus. Ces conséquences néfastes pourraient être à l’origine de
nouvelles maladies chroniques ou de longue durée.
24. Lors de l’audition, M. Sehmi a insisté sur l’impact de la
pandémie de covid-19 sur les malades chroniques, de longue durée
et leurs proches. La pandémie est non seulement source de stress supplémentaire
mais apporte aussi son lot de discriminations directes et indirectes.
25. En juin dernier, l’Assemblée appelait déjà les États membres
à intensifier leurs efforts «en vue de garantir le libre accès à
des soins de santé publique de haute qualité guidés par les besoins
des patient·e·s plutôt que par le profit, indépendamment de leur
sexe, de leur nationalité, de leur religion ou de leur statut socio-économique.»
5. Conclusions
26. La lecture des informations
transmises par le CERDP permet de distinguer deux approches publiques des
maladies chroniques et de longue durée par les administrations nationales.
Il y a d’une part l’approche sanitaire visant à détecter et accompagner
les malades et, d’autre part, l’approche sociale répondant aux impératifs
d’intégration et d’aménagement afin de reprendre une vie normale.
L’enquête laisse aussi entrevoir des modèles hybrides. Ces voies
s’inscrivent dans le cadre de la CDPH.
27. Les systèmes de santé devraient, sous conditions de crédits
suffisants, être en mesure de proposer une protection adaptée. Il
ne faudrait pas non plus concevoir ces maladies comme des facteurs
de risque, sous peine de doublement stigmatiser les malades. Comme
envisagé à l’article 26 de la CDPH «afin de réaliser leur potentiel
physique, mental, social et professionnel, atteindre la pleine participation
à tous les aspects de la vie», il convient de répondre aux besoins
des malades sous l’angle du fonctionnement, comme le recommande l’OMS,
afin d’atteindre et de conserver le maximum d’autonomie. Le rôle
des politiques publiques n’est pas seulement de renforcer la résilience
mais aussi d’aménager la possibilité d’une évolution positive postérieure aux
épreuves imposées par la maladie, indépendamment de l’accès ou non
au statut d’handicapé.
28. Il est manifeste que les droits des malades ne sont pas toujours
respectés dans le cadre de maladies chroniques ou de longue durée,
même s’il est clair qu’il ne s’agit pas forcément d’une intention
délibérée des États ou des acteurs sociaux que sont les entreprises,
que ce soit en tant qu’employeurs ou comme prestataires de services
financiers (assureurs, banques, etc.). Même si les droits de deuxième
génération ne sont pas opposables partout, il revient à l’Assemblée
de relever les irrégularités et de soutenir la cause des personnes
victimes de maladie chronique ou de longue durée. La situation de
ces personnes est injuste puisqu’elles doivent endurer les conséquences
de leur maladie, y compris après leur rémission en ce qui concerne
les cancers; ou après le diagnostic concernant les maladies chroniques
et de longue durée qu’elles soient physiques ou psychologiques.
Il s’agit de placer le curseur de la rémission et du diagnostic
au même niveau pour les malades et la société qui les entoure afin
de ne pas leur infliger une double-peine, les assurer de leur place
dans la société et encourager l’émergence d’une société capable
de prendre en compte cette réalité sans contrevenir à leur intégration.
29. Les maladies chroniques et de longue durée posent de véritables
problèmes à nos sociétés qui dépassent le seul coût financier. Je
regrette qu’elles ne soient pas toujours abordées avec l’empathie nécessaire,
comme l’endométriose.
30. Malgré des compétences réduites, l’Union européenne est un
acteur majeur dans la lutte contre les maladies chroniques et de
longue durée, au même titre qu’elle joue un rôle important dans
la mise en œuvre de la CDPH. Elle aide également les États membres
à mettre en œuvre cette convention. La stratégie européenne 2010-2020
en faveur des personnes handicapées se concentre sur huit domaines
prioritaires: l’accessibilité; la participation; l’égalité; l’emploi;
l’éducation et la formation; la protection sociale; la santé; et l’action
extérieure. Son action est centrée sur l’accessibilité, la mobilité
et l’égalité de traitement au travail et en matière d’emploi, là
où elle est la plus pertinente pour apporter des changements. Elle
a permis des gains non négligeables en matière de reconnaissance
mutuelle du statut d’handicapé. A travers sa responsabilité de promoteur
de standards, l’Union européenne a contribué à généraliser le concept
d’aménagement raisonnable promu par la CDPH. Dans le contexte actuel,
l’intervention de l’Union européenne est souhaitable bien qu’elle soit
limitée par le cadre des traités. Afin de contribuer à l’alignement
des standards, il m’apparaît souhaitable que l’Union européenne
accède non seulement rapidement à la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5) mais aussi à la
Charte sociale européenne (révisée).
31. Dans le contexte d’une situation sanitaire bouleversée par
la covid-19, l’Union européenne devrait être en mesure d’étendre
ses compétences afin d’appuyer la diffusion des bonnes pratiques
en matière de lutte contre les maladies chroniques et de longue
durée. La consultation du CERDP a permis à la commission de rassembler
des informations relatives à la mise en œuvre du «droit à l’oubli,»
qui est un exemple de bonne pratique. Grâce à ce droit, des malades
en rémission du cancer ont pu renouer avec une vie normale en ayant la
possibilité d’emprunter de l’argent sans avoir à déclarer leur maladie
auprès de l’assureur. Ce droit est un apport de premier plan de
l’Union européenne en faveur du droit des malades. Si la protection
des données personnelle a fait un bond formidable, je serais d’avis
de proposer une évaluation de l’exercice de ce droit en Europe,
pour en mesurer le bénéfice et plus clairement identifier ses limites
pour le bien-être des malades.
32. La Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant
création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement
en matière d'emploi et de travail
interdit toutes les discriminations
fondées sur le handicap et établit le principe d’égalité de traitement.
Dans son article 5, la directive indique que les malades doivent
évoluer dans un cadre «adapté et raisonnable.» En prévision de la
révision de la directive et au regard de la situation actuelle,
il est de la responsabilité des États membres de mettre en œuvre
les moyens et crédits nécessaires à la préservation du bien-être
individuel des malades et de s’assurer que le droit à la protection de
la santé est garanti. Comme le remarquait notre collègue, membre
de la délégation marocaine partenaire pour la démocratie, M. Allal
Amraoui, lors de l’audition, il est nécessaire de permettre à la
médecine du travail de jouer son rôle et il appartient à l’employeur
de s’assurer que l’environnement de travail est adapté aux besoins
des malades. Ces principes devraient aussi avantageusement bénéficier
à l’ensemble des acteurs du secteur privé. Les personnes touchées
par une maladie chronique ou de longue durée ont droit à bien plus
que la dignité, elles ont droit à l’épanouissement.