1. Introduction
1.1. Procédure
1. Dans sa
Résolution 2226
(2018) «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les
États membres du Conseil de l'Europe», adoptée le 27 juin 2018,
l’Assemblée parlementaire, «consciente du rétrécissement de l’espace
dévolu à la société civile dans de nombreux États membres du Conseil
de l'Europe», a décidé de «rester saisie de cette question». Le
29 juin 2018, cette question a été renvoyée pour rapport à la commission des
questions juridiques et des droits de l’homme (la commission). Lors
de sa réunion du 10 septembre 2018, la commission a nommé rapporteure
Mme Olena Sotnyk (Ukraine, ADLE). Suite
à son départ de l’Assemblée, elle a été remplacée par Lord Donald
Anderson (Royaume-Uni, SOC) lors de la réunion du 15 novembre 2019. Ce
dernier ayant quitté l’Assemblée en février 2020, la commission
m’a nommée rapporteure lors de sa réunion du 29 juin 2020.
2. Lors de sa réunion du 13 décembre 2018, la commission a examiné
la note introductive de Mme Sotnyk et
l’a autorisée à tenir deux auditions avec des experts. Une première
audition a eu lieu lors de la réunion de la commission du 4 mars
2019, avec la participation de:
- Mme Krista
Oinonen, Présidente du Groupe de rédaction Société civile et Institutions
nationales des droits de l’homme (CDDH-INST, Conseil de l'Europe),
Directrice de l'unité pour les tribunaux et les conventions relatifs
aux droits de l'homme et agente du gouvernement finlandais devant
la Cour européenne des droits de l'homme, Service juridique, ministère
des Affaires étrangères de Finlande;
- Mme Anna Rurka, Présidente
de la Conférence des Organisations internationales non gouvernementales
(OING) du Conseil de l'Europe;
- Mme Eszter Hartay, Conseillère
juridique, Centre européen du droit des organisations à but non
lucratif (ECNL).
3. La commission a également accepté la demande de la rapporteure
d’effectuer une visite d’information en Hongrie, mais cette visite
n’a pas eu lieu en raison du départ de l’Assemblée de Mme Sotnyk
et de son successeur et ensuite en raison des restrictions imposées
à cause de la pandémie de covid-19. Lors de sa réunion du 9 novembre
2020, la commission a tenu une deuxième audition sur ce sujet avec
la participation de:
- M. Jeremy
McBride, avocat, Président du Conseil d'experts sur le droit en
matière d'ONG, Conférence des OING;
- Mme Waltraud Heller, responsable
de programme – Société civile, coopération institutionnelle et réseaux,
Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, Autriche;
- M. Martin Kuijer, membre de la Commission de Venise pour
les Pays-Bas.
1.2. Questions
en jeu
4. Les ONG sont une composante
essentielle d’une société civile ouverte et démocratique, et contribuent de
manière fondamentale au développement et la réalisation de la démocratie,
de l’État de droit et des droits de l’homme. Les États membres du
Conseil de l’Europe sont tenus de garantir le respect des libertés
de réunion, d’association et d’expression, énoncées aux articles
10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5, la Convention), qui sont inextricablement
liées et ne peuvent être limitées que pour des motifs prévus par
la Convention. Le Conseil de l'Europe dispose d’une grande expérience
dans l’élaboration de lignes directrices sur la législation relative
aux ONG, puisqu’il a rédigé notamment la Recommandation
CM/Rec(2007)14 sur le statut juridique des organisations non gouvernementales
en Europe et les «
Lignes directrices
conjointes sur la liberté d'association» de la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise) et du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE/BIDDH) du 17 décembre 2014.
5. En avril 2017, le précédent Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l'Europe, M. Nils Muižnieks, a observé «une nette
tendance à la régression en matière de liberté d’association dans
plusieurs pays européens, qui affecte notamment les organisations
et les défenseurs des droits de l’homme»
.
Des conclusions similaires figurent dans le rapport du précédent
Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, M. Thorbjørn Jagland,
intitulé «Situation de la démocratie, des droits de l’homme et de
l’État de droit. Rôle des institutions. Menaces aux institutions»
publié en mai 2018. Selon le Secrétaire Général, «dans un nombre croissant
d’États, l’espace dévolu à la société civile se rétrécit et des
manifestations publiques pacifiques sont considérées et traitées
comme dangereuses»
. Le Comité
des Ministres, dans sa
déclaration
adoptée à Helsinki le 17 mai 2019 pendant sa 129e session,
ainsi que l’actuelle Secrétaire Générale de l’Organisation, Marija
Pejčinović Burić, dans son rapport annuel «
Multilatéralisme en 2020 », publié en juin 2020
,
ont réitéré ces inquiétudes. La question du rétrécissement de l’espace
de la société civile et de son impact sur les jeunes et leurs organisations
a également été examinée lors d’une réunion consultative organisée
par le Conseil consultatif pour la jeunesse (CCJ) du Conseil de
l'Europe en novembre 2018
.
6. La question des restrictions inappropriées des activités des
ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe a déjà fait l’objet
de deux rapports de notre collègue M. Yves Cruchten (Luxembourg,
SOC), en décembre 2015 et mai 2018
. Sur la base de ces
deux rapports, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2096 (2016) et la
Recommandation 2086
(2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités
des ONG en Europe?» le 28 janvier 2016, puis la
Résolution 2226
(2018) et la
Recommandation 2134
(2018) «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les
États membres du Conseil de l'Europe» le 27 juin 2018.
7. Dans sa
Résolution 2226
(2018), l’Assemblée observait avec préoccupation que l’espace
dévolu à la société civile s’était rétréci ces dernières années
dans plusieurs États membres, principalement sous l’effet de lois
restrictives en matière d’enregistrement ou de financement, d’un
harcèlement administratif, de campagnes de dénigrement visant certains
groupes, et de menaces et d’intimidations contre des dirigeants
d’ONG et des militants. Elle appelait l’Azerbaïdjan, la Fédération
de Russie, la Hongrie et la Turquie à abroger les lois restrictives
et à se conformer aux recommandations formulées dans les avis pertinents
de la Commission de Venise. Elle invitait par ailleurs la Roumanie
et l’Ukraine à rejeter les projets de loi proposés visant à imposer aux
ONG de nouvelles obligations de déclaration financière. La
Recommandation
2134 (2018) contient un certain nombre de propositions de mesures
concrètes que le Conseil de l'Europe pourrait prendre pour renforcer
son dialogue avec les ONG et promouvoir la coopération avec elles.
Elle exhorte le Comité des Ministres à créer un mécanisme permettant
de recevoir des alertes et d’y réagir en cas de nouvelles restrictions des
activités des ONG, et à adopter des lignes directrices sur le financement
étranger d’ONG, sur la base d’une étude en cours de finalisation
par la Commission de Venise. Le Comité des Ministres a répondu à
cette Recommandation en janvier 2019 et a annoncé que le Comité
européen de coopération juridique (CDCJ) examinerait l’opportunité
et la faisabilité d’un «mécanisme d’alerte»
.
8. Dans le même temps, depuis 2006, l’Assemblée et cette commission
travaillent sur un sujet connexe, à savoir la situation des défenseurs
des droits de l’homme. Le dernier rapport sur ce sujet – celui de
M. Egidijus Vareikis (Lituanie, PPE/DC) – a fait l’objet d’un débat
à l’Assemblée le 26 juin 2018
et a rapporté
des cas individuels de persécution, principalement en Azerbaïdjan,
en Fédération de Russie, en Grèce, en République de Moldova, en
Serbie et en Turquie. Par la suite, la commission a décidé de créer
une fonction de rapporteur général sur la situation des défenseurs
des droits de l’homme, que j’ai l’honneur d’assumer depuis le 30 janvier 2020,
suite au départ de l’Assemblée du premier rapporteur général, M. Raphaël
Comte (Suisse, ADLE).
2. Récents travaux du Conseil de l’Europe
concernant la société civile
9. Le Comité directeur pour les
droits de l'homme (CDDH) du Conseil de l'Europe a été chargé de
préparer un projet d’instrument non contraignant du Comité des Ministres
et un guide de bonnes pratiques nationales visant à promouvoir et
à protéger l’espace de la société civile. En 2017, le Groupe de
rédaction sur la société civile et les institutions nationales des
droits de l’homme (CDDH-INST) a établi un rapport intitulé «Analyse
de l’impact des législations, politiques et pratiques nationales
actuelles sur les activités des organisations de la société civile,
des défenseurs des droits de l’homme et des institutions nationales
des droits de l’homme»
. Il a constaté
l’existence de plusieurs problèmes, dont l’adoption de nouvelles
lois limitant les libertés fondamentales, une approche restrictive
des États envers les libertés d’association, de réunion et d’expression,
des coupes budgétaires affectant les ONG, des attaques verbales
ou des agressions physiques envers les défenseurs des droits de
l’homme. Selon le CDDH-INST, l’existence d’un espace dévolu à la
société civile n’est pas seulement une question de mise en œuvre
des lois: souvent les États omettent de reconnaître le rôle des
ONG dans une société démocratique. À la suite de l’approbation dudit
document par le Comité des Ministres, un questionnaire a été envoyé
aux États membres afin de préparer une compilation bonnes pratiques.
Sur la base des réponses reçues, le CDDH-INST a préparé deux documents
sur la protection et la promotion de l’espace dévolu à la société
civile: un document de synthèse et une compilation des mesures et pratiques
en place dans les États membres
.
10. Le CDDH-INST a également élaboré un projet de recommandation
sur la nécessité de renforcer la protection et la promotion de l’espace
dévolu à la société civile en Europe
.
Par la suite, le 28 novembre 2018, le Comité des Ministres a adopté
la
Recommandation CM/Rec(2018)11 sur ce sujet. Il s’est montré préoccupé par les cas
de représailles contre les défenseurs des droits de l’homme et la
«réduction de l'espace dévolu à la société civile résultant, notamment,
des lois et politiques restrictives et des mesures d'austérité prises récemment
par les États membres». Il a également exprimé «la nécessité de
renforcer la protection et la promotion de l'espace dévolu à la
société civile en Europe» et a recommandé aux gouvernements des
États membres de «garantir que les lois et les pratiques nationales
pertinentes soient conformes aux principes énoncés dans l'annexe
à cette recommandation, et d’évaluer l'efficacité des mesures prises».
Le Comité des Ministres examinera la mise en œuvre de la recommandation
cinq ans après son adoption.
11. Le renforcement du rôle et de la participation de la société
civile dans les travaux du Conseil de l’Europe a été souligné dans
la décision du Comité des Ministres adoptée à sa 129e session
à Helsinki le 17 mai 2019. La Secrétaire Générale du Conseil de
l’Europe travaille actuellement sur les mesures concrètes visant
à mettre en œuvre cette décision
. La Conférence des OING
encourage le Comité des Ministres à réaliser une évaluation de la
mise en œuvre de la Recommandation
CM/Rec(2007)14.
12. A plusieurs reprises la Commission de Venise s’est prononcée
sur des projets de lois ou des législations affectant les droits
fondamentaux et les libertés des ONG
. De plus,
la question du financement, notamment étranger, des ONG a été examinée
en détail dans son «Rapport sur le financement des associations»
de mars 2019
. La Commission
de Venise y élabore des recommandations détaillées concernant la
formulation par les États de limitations du droit des associations
à rechercher des ressources financières et matérielles. Elle y rappelle
que la capacité de solliciter, d’obtenir et d’utiliser des ressources
est essentielle à l’existence et au fonctionnement de toute association
et constitue un élément à part entière du droit à la liberté d’association
. Ce droit peut être restreint dans les trois
conditions prévues au paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention
, notamment lorsqu’il s’agit d‘exigences
en matière d’information et de transparence pour cause de lutte
contre le terrorisme et le blanchiment d’argent ou lorsqu’il faut
protéger l’État et ses citoyens contre des ingérences des États
étrangers. La Commission de Venise fait une distinction entre les
«obligations de rapports» (consistant à informer les autorités sur
le financement des ONG) et les «obligations de publication» (consistant
à soumettre ces informations au grand public). Ainsi, la lutte contre
le terrorisme ou le blanchiment d’argent peut justifier des obligations
de rapports, mais les obligations de publication ne sont pas appropriées à
cette fin. Ces dernières peuvent être, par contre, utiles pour assurer
la transparence dans les activités de lobbying politique. Toute
ingérence dans le droit des associations de rechercher des ressources
doit remplir les critères de nécessité et de proportionnalité. Ainsi,
des exigences en matière d’information et de transparence ne doivent
pas représenter une «charge excessive» et doivent être proportionnées
à la taille de l’association et à l’étendue de ses activités
. Les restrictions à la liberté d’association
ne peuvent être considérées comme poursuivant des objectifs légitimes
que si elles visent un danger réel, et non hypothétique, et doivent
utiliser le moyen le moins intrusif. Quant aux sanctions imposées
aux associations en cas de manquement aux obligations découlant
de la législation sur le financement étranger, elles devraient aussi
être proportionnées. La dissolution ne saurait être prononcée pour
un simple manquement à ces obligations, mais uniquement en cas de
«faute grave», comme le financement du terrorisme ou le blanchiment
d’argent
.
13. La Commission de Venise souligne également qu’il peut y avoir
un problème de discrimination, lorsque des ONG qui se trouvent dans
une situation similaire sont soumises, sans justification objective
et raisonnable, à des règles différentes en matière de financement
(par exemple en cas de campagnes virulentes contre les associations
recevant un financement étranger). Elle met l’accent sur l’importance
de recours juridiques effectifs pour permettre aux associations
de contester les décisions affectant l’exercice de leurs droits,
dont le droit de rechercher, de recevoir et d’utiliser des ressources
de toutes les sources disponibles ou de demander la révision de
ces décisions devant un tribunal indépendant et impartial
.
14. Quant à la thématique des ONG œuvrant pour les droits des
réfugiés et des autres migrants, en mai 2020, le Conseil d’experts
sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des OING du Conseil
de l’Europe a établi les «
Grandes
lignes sur la protection du travail des ONG en faveur des réfugiés
et autres migrants» (
CONF/EXP(2020)3); elles complètent une étude du Conseil d'experts de
décembre 2019 sur l’utilisation du droit pénal pour restreindre
les activités de ces ONG (
CONF/EXP(2019)1). Selon ces lignes directrices, les lois, les politiques
et les pratiques nationales ne devraient pas prévoir certaines interdictions
envers ces ONG (par exemple, une interdiction d’aider les réfugiés
et les autres migrants, de surveiller leur traitement, de collecter
des fonds, de déposer des recours ou d’engager des actions en justice)
et devraient notamment protéger les ONG, leurs membres et leur personnel
contre toute forme de harcèlement, d’intimidation ou d’agression
physique. De plus, le 7 septembre 2020, la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée a adopté
un rapport intitulé «Droits et obligations des ONG venant en aide
aux réfugiés et aux migrants en Europe»
qui examine la situation des ONG
qui viennent en aide aux réfugiés et aux migrants et met en évidence
les différentes attaques contre ces ONG et leurs donateurs.
3. Restrictions
aux activités des ONG
3.1. Remarques
générales
15. D’après des études réalisées
par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA)
(dont le mandat géographique couvre actuellement les 27 États membres
de l’Union européenne ainsi que la Macédoine du Nord et la Serbie),
plusieurs problèmes entravent aujourd’hui les activités de la société
civile: des changements juridiques qui ont un effet négatif, ou
une mauvaise mise en œuvre de la législation; des obstacles pour
accéder aux ressources financières et assurer leur pérennité; des
difficultés pour avoir accès aux décideurs et contribuer à l’élaboration
des lois et des politiques; des agressions et des actes de harcèlement
contre les défenseurs des droits de l’homme, y compris des propos
négatifs visant à délégitimer et stigmatiser les ONG
. En ce
qui concerne les restrictions aux activités des ONG résultant du
cadre juridique, elles peuvent être intentionnelles (souvent adoptées
de manière délibérée en violation des normes du droit international)
ou non-intentionnelles (résultant d’une mauvaise législation). Elles
ont, dans tous les cas, un effet dissuasif sur le fonctionnement
de la société civile et il semble qu’elles suivent des modèles qui se
répètent dans plusieurs pays; par exemple, plusieurs États les imposent
par le biais de lois affectant directement les droits à la liberté
de réunion et d’association ou de lois régissant d’autres questions
comme les impôts, le statut des organisations d’utilité publique,
la protection des données, la transparence ou le lobbying. Elles
s’inscrivent très souvent dans un contexte général d’actes intimidation
contre les défenseurs des droits humains, des journalistes, des
syndicats et des institutions nationales de protection des droits
de l’homme.
16. Vu l’ampleur de cette problématique et les travaux de mon
prédécesseur, je me focaliserai uniquement sur les problèmes liés
au cadre juridique et son application. Le dernier rapport de M. Cruchten
faisait le point sur l’évolution de la situation de la société civile
dans les États membres du Conseil de l'Europe entre fin 2015 et
mai 2018. Il portait essentiellement sur la situation de la société
civile en Fédération de Russie, en Azerbaïdjan, en Turquie et en
Hongrie, et dans une moindre mesure en Roumanie et en Ukraine. Cependant, dans
certains autres États membres les activités des ONG ont été soumises
à de nouvelles restrictions ou des réformes à cette fin sont en
cours.
3.2. Exemples
de restrictions
17. En ce qui concerne la Fédération
de Russie, des préoccupations ont été exprimées au sujet de la mise en
œuvre de la loi controversée du 4 juin 2014 (amendant la loi sur
les organisations non-commerciales no 121-FZ
du 20 juillet 2012), qui contraint les ONG recevant des dons étrangers
à s’enregistrer comme «agents étrangers», et de la loi du 23 mai
2015 sur les «organisations indésirables» (loi no 129-FZ
amendant la loi no 272, qui a été amendée
ensuite le 27 décembre 2018), qui a entraîné la fermeture de certaines
organisations donatrices internationales. Au moment de l’adoption
du rapport de M. Cruchten, 79 ONG étaient inscrites dans le registre
des «agents étrangers» et 14 dans celui des «organisations indésirables»
. A ce jour, le site du ministère
de la Justice ne contient plus d’informations sur les ONG inscrites
comme «agents étrangers» et le nombre d’«organisations indésirables»
est de 29 (dont les organisations European Endowment for Democracy,
fondée par l’Union européenne et ses États membres pour promouvoir
la démocratie auprès de ses voisins de l’Europe de l’Est, et Ukrainian
World Congress, agissant pour les droits de la diaspora ukrainienne,
qui y ont été incluses au cours des derniers mois)
.
18. La législation sur les «agents étrangers» et les «organisations
indésirables» continue à être invoquée contre les ONG, notamment
les ONG de défense des droits humains, et leurs membres font également
l’objet de poursuites pénales. En 2019, le ministère de la Justice
a ouvert des procédures administratives contre plusieurs ONG accusées
de violations de la loi relative aux «agents étrangers». Par conséquent,
plusieurs organisations très réputées, dont le Centre russe Mémorial
de défense des droits humains et la Société internationale d’histoire
et de défense des droits humains Mémorial international, ont été
condamnées à de lourdes amendes
. Selon les autorités, ces sanctions
ont été appliquées car Memorial est financé par les États-Unis,
mène des activités politiques et refuse de s’enregistrer en tant
qu’«agent étranger». En octobre 2019, le ministre de la Justice
a demandé à la Cour suprême de dissoudre le Mouvement des droits
humains, une organisation qui chapeaute des organisations régionales
de défense des droits humains et qui est dirigée par le militant
vétéran Lev Ponomarev; selon les autorités, elle n’aurait pas respecté
certains engagements résultant de ses propres statuts
. Cette organisation
a été liquidée le 30 janvier 2020, mais ses employés ont par la
suite crée une nouvelle organisation «le Mouvement pour les droits
humains», sans personnalité juridique. En juillet 2020, la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est inquiétée de l’inculpation
du défenseur des droits de l’homme Semyen Simonov dont l’ONG, le
Centre méridional des droits humains, n’a pas payé une amende infligée
sur la base de la loi sur les «agents étrangers» et a dû cesser
ses activités
.
Des procédures pénales ont également été engagées contre la militante
Aleksandra Koroleva, dont l’organisation Ecodefence, basée à Kaliningrad,
n’a pas payé des amendes qui lui avaient été infligées pour non-respect
des obligations concernant les «agents étrangers»
. La requête portée devant la Cour européenne
des droits de l’homme (la Cour) concernant l’application de la loi
sur les «agents étrangers» a été communiquée aux autorités russes
le 22 mars 2017 et est toujours pendante
.
19. En application de la législation sur les «organisations indésirables»,
tout contact avec ces organisations est considéré comme une infraction.
Ainsi, plusieurs ONG russes ont dû acquitter de lourdes amendes
sous prétexte qu’elles auraient eu des liens avec des «organisations
indésirables». Par exemple, en avril 2019, l’ONG Veille écologique
pour le Caucase du Nord, basée dans la région de Krasnodar, a été
condamnée pour avoir partagé des liens vers des blogs publiés auparavant
sur le site de l’organisation «indésirable» Russie ouverte. Dans
l’ouest de la Sibérie, l’association Jeunes Journalistes de l’Altaï
a été condamnée à une amende parce qu'elle avait laissé sur son
site un lien hypertexte inactif vers une autre organisation «indésirable», l’Open
Society Institute
.
20. Les autorités russes soulignent que la législation sur les
«agents étrangers» a été adoptée afin d’obliger des militants engagés
dans des activités politiques à révéler leurs sources de financement
étranger et qu’elle prévoit une procédure permettant de rayer du
registre des «agents étrangers» des ONG qui cessent de mener des
activités politiques ou recevoir des fonds étrangers. Les organisations
incluses dans le registre des agents étrangers ne se voient pas
interdire leurs activités. Une organisation étrangère ou internationale
peut être considérée comme «indésirable» si elle interfère dans
des élections, des référendums ou des campagnes électorales en Russie.
Les modifications législatives controversées ont été adoptées afin
de répondre aux tentatives d’autres États d’influencer la politique
interne russe et afin d’assurer une meilleure transparence des activités
des ONG russes, étrangères et internationales.
21. Le 2 décembre 2019, une nouvelle loi – la loi fédérale N 426-FZ
«portant modification de la loi de la Fédération de Russie sur les
médias de masse et la loi fédérale sur l'information, les technologies
de l'information et la protection de l'information» – a été adoptée;
elle permet de qualifier d’agent étranger toute personne qui diffuse
des informations et autres contenus et reçoit des fonds de l’étranger
. De plus, le 10 novembre dernier,
le gouvernement a déposé à la Douma une nouvelle proposition d’amendement
de la législation sur les organisations non-commerciales concernant
le registre des «agents étrangers». Elle prévoit de nouvelles obligations
concernant les documents qui doivent être soumis au ministre de
la Justice et élargit le catalogue des ONG qui peuvent être considérées
comme «agents étrangers».
22. S’agissant de l’Azerbaïdjan, en octobre 2017 l’Assemblée avait
évalué d’un œil critique la situation de ce pays dans ses
Résolutions
2184 (2017) et
2185 (2017), du fait de représailles ayant visé de nombreux militants
et d’une législation restrictive sur les ONG. Même si certaines
règles ont été simplifiées, les ONG et leurs donateurs restent obligés
d’obtenir l’autorisation des autorités et les procédures sont lourdes.
Il semble que la situation des ONG indépendantes ne se soit pas
améliorée depuis le rapport de M. Cruchten de juin 2018
; une initiative parlementaire
visant à modifier le cadre législatif existant aurait été stoppée
en raison des événements liés à la pandémie de covid-19.
23. Dans un groupe d’affaires qui concernent des militants de
la société civile et des défenseurs des droits de l’homme ayant
fait l’objet de poursuites pénales, la Cour a jugé que ces poursuites
étaient constitutives d’un détournement du droit pénal destiné à
les sanctionner et à les réduire au silence (violations de l’article 18 combiné
à l’article 5 de la Convention, ainsi qu’à l’article 8 dans une
affaire)
. La Cour
a observé qu’il existait «une troublante tendance marquée à l’arrestation
et à la détention arbitraires de personnes critiques à l’égard du
gouvernement, de militants de la société civile et de défenseurs
des droits de l’homme au moyen de poursuites engagées en guise de
représailles et d’un détournement du droit pénal au mépris de la prééminence
du droit»
. Ces arrêts ont également été
examinés en détail dans le rapport de la commission sur les «cas
signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan» et la
Résolution
2322 (2020) de l’Assemblée du 30 janvier 2020
. Le Comité des
Ministres examine actuellement la mise en œuvre de ces arrêts
; cependant les questions relatives
au cadre législatif régissant l’enregistrement et le fonctionnement
des ONG sont examinées dans le cadre d’un autre groupe d’affaires
concernant des violations du droit à la liberté d’association (groupe
d’affaires
Ramazanova et autres c. Azerbaïdjan ).
24. En Turquie, depuis la tentative de coup d’État de juillet
2016, plus de 1 400 associations et plus d’une centaine de fondations
ont été définitivement dissoutes sur la base de décrets d’urgence,
et leurs avoirs ont été confisqués
.
Parmi les associations dissoutes figuraient des associations œuvrant
pour la protection des droits de l’homme, des droits des femmes
et des enfants, ainsi que des associations culturelles et luttant
contre la pauvreté. D’après les autorités, ces mesures étaient nécessaires
pour lutter contre des organisations terroristes telles que le FETŐ/FDY
ou le PKK (Parti des travailleurs
du Kurdistan). Il convient de noter que les ONG dissoutes n’ont
pas pu contester ces mesures devant un juge. Seule la création,
en 2017, de la Commission d’enquête sur les mesures prises sous
le régime d’urgence leur a offert une voie de recours; cependant,
son indépendance et la transparence de ses travaux sont contestées
par plusieurs acteurs de la société civile turque et ont été mises
en cause par l’Assemblée.
L’état d’urgence a été
levé le 18 juillet 2018, mais un grand nombre des mesures prises
pendant l’état d’urgence sont toujours en vigueur
et ont un effet dissuasif sur
le travail de la société civile. Plusieurs dizaines de défenseurs
des droits de l’homme font l’objet d’une enquête ou de poursuites
pénales, et sont détenus par la police ou emprisonnés en raison
de leur travail de défense des droits humains. En tant que rapporteure
générale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme,
j’ai condamné les condamnations des dirigeants d’Amnesty International
turque et d’autres militants dans le «procès de Büyükada» ainsi
que les procédures pénales lancées contre Osman Kavala
,
figure de premier plan de la société civile, dont la détention provisoire
a été jugée contraire à l’article 18 en conjonction avec l’article
5.1 de la Convention par la Cour
.
25. Lors de sa visite en Turquie en juillet 2019, la Commissaire
aux droits de l’homme a exprimé ses inquiétudes à cet égard et a
noté que les pressions contre la société civile prennent des formes
variées comme le durcissement d’un cadre législatif et réglementaire
déjà répressif, la fermeture d’organisations de la société civile
sans décision de justice ni recours effectif, un discours politique
toxique et des campagnes de dénigrement dans les médias pro-gouvernementaux,
ainsi que de nombreuses procédures pénales lancées contre des défenseurs
des droits de l'homme
. La Commissaire s’est
également préoccupée d’un amendement de l’article 27 de la loi sur
les associations, qui permet au Président de la République de déterminer
de manière discrétionnaire quelles ONG sont d’utilité publique.
De plus, en avril 2020, le Conseil sur le droit en matière d’ONG
de la Conférence des OING a critiqué les amendements aux articles
23 et 32 de la loi sur les associations (introduits par la loi no 7226
publiée dans le Journal officiel du 26 mars 2020), qui obligent
toute association à notifier aux autorités locales compétentes des
données personnelles concernant leurs membres ainsi que tout changement
concernant leur appartenance à l’association sous peine d’amende et
les a jugé contraires aux articles 8 et 11 de la Convention
.
Le 16 octobre 2020, la commission pour le respect des obligations
et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi) de l’Assemblée a fermement condamné les nouvelles mesures
de répression de l'opposition politique et de la dissidence civile
ces derniers mois en Turquie et a demandé instamment aux autorités
turques de «prendre des mesures significatives» pour améliorer les
normes dans le domaine de la démocratie, de l'État de droit et des
droits de l'homme. Elle a notamment critiqué les pressions indues
continuelles exercées sur des défenseurs des droits de l’homme et
d’autres militants de la société civile
.
Depuis 2018, le nombre d’ONG turques a baissé de 11 millions à 8
millions.
26. En ce qui concerne la Hongrie, les deux rapports de M. Cruchten
de 2015 et 2018 faisaient état d’un certain nombre de problèmes,
comme l’existence d’une «défiance générale et mutuelle entre les
ONG et les autorités» et les campagnes de diffamation organisées
dans les médias, notamment contre l’organisation Open Society Foundations,
fondée par le financier milliardaire George Soros
. Le 13 juin 2017, le Parlement hongrois
a adopté une loi contraignant les ONG qui reçoivent des dons étrangers
de 24 000 EUR ou plus à s’enregistrer comme organisations «financées
par des capitaux étrangers» («loi sur la transparence des organisations
recevant de l’aide de l’étranger») et prévoyant des sanctions pour
le non-respect de cette obligation, malgré les critiques émises
par plusieurs instances du Conseil de l’Europe
. Suite à une procédure d’infraction
lancée par la Commission européenne, la Cour de Justice de l’Union
européenne (CJUE) s’est prononcée sur cette loi dans un arrêt (de
Grande Chambre) du 18 juin 2020 (affaire C-78/18, Commission c. Hongrie).
Dans le dispositif de cet arrêt, la CJUE a conclu qu’en adoptant
la loi en question «la Hongrie a introduit des restrictions discriminatoires
et injustifiées à l’égard des dons étrangers accordés aux organisations
de la société civile», en violation des obligations qui lui incombent
au titre de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne (qui interdit les restrictions aux mouvements des capitaux
au sein de l’Union européenne et entre ses États membres et les
pays tiers) ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la
Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne (qui consacrent respectivement les droits au respect de
la vie privée et familiale, à la protection des données à caractère
personnel et à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association).
27. Le 20 juin 2018, le Parlement hongrois a adopté la loi «Stop
Soros», deux jours avant que la Commission de Venise, conjointement
avec l’OSCE/BIDDH adopte un avis sur le projet de loi (le 22 juin
2018). Cette loi criminalise certaines activités d’ONG visant à
aider les migrants en situation irrégulière et a été critiquée à
ce titre par la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH comme étant
contraire aux articles 10 et 11 de la Convention
. Après l’adoption
de la
Résolution
2226 (2018) de l’Assemblée, le 20 juillet 2018, le Parlement hongrois
a adopté une loi modifiant certaines lois fiscales et autres lois
connexes, et relative à la taxe sur l’immigration. Cette loi impose
une taxe de 25% sur les dons ou financements versés à tout groupe qui
«soutient les migrations». À la demande de ma prédécesseure Mme Sotnyk,
le 8 octobre 2018, la commission a saisi la Commission de Venise
pour avis sur la compatibilité de l’article 263 de cette nouvelle
loi avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
La Commission de Venise, conjointement avec l’OSCE/BIDDH, a rendu
son avis le 17 décembre 2018 et a conclu que les effets de cette
loi constituent une restriction non-nécessaire et disproportionnée
à la liberté des associations de déterminer leurs objectifs et activités
et que, par conséquent, il s’agit d’une interférence disproportionnée
à leur droit à la liberté d’association. La taxe sur l’immigration
s’apparente également à une interférence non-justifiée dans le droit
à la liberté d’expression des ONG, car elle limite leurs capacités
à entreprendre des activités dans le domaine de la recherche, de
l’éducation et du plaidoyer sur des questions liées au débat public
.
De plus, le 28 septembre 2018, l’ONG Open Society Foundations a
déposé une requête auprès de la Cour pour contester les deux lois
(c’est-à-dire celles de juin et juillet 2018)
.
28. Il semble certains autres États membres du Conseil de l’Europe
envisagent d’adopter des législations visant à imposer des obligations
de publication aux ONG recevant des fonds de l’étranger. En Ukraine,
en septembre 2018, l’un des partis de la coalition au pouvoir –
le Front populaire – et le président de l’époque Petro Porochenko
avaient demandé le dépôt d’un projet de loi visant à enregistrer
certains organes comme «des agents œuvrant sous l’influence d’un
État agresseur»
, mais
cette initiative n’a pas abouti. En Bulgarie, le 3 juillet 2020,
un projet de loi visant à amender la loi sur les personnes morales
à but non lucratif a été introduit au parlement par un groupe de
parlementaires d’un parti de la coalition gouvernementale (les Parti des
Patriotes Unis)
. Ce projet vise à imposer une nouvelle
obligation aux organisations à but non lucratif d’utilité publique
qui reçoivent plus de 1 000 levs bulgares (environ 500 euros) d’une
personne physique ou morale étrangère et à les obliger à déclarer
ces fonds au ministère de la Justice, qui tiendra un registre spécial à
cette fin. De lourdes sanctions, y compris la dissolution de l’ONG,
sont prévues en cas de non-respect de ces règles. En Pologne, le
7 août 2020, le ministre de la Justice a annoncé un projet gouvernemental
de «loi sur la transparence du financement des organisations non-gouvernementales»
.
Ce projet prévoit la création, auprès du ministère de la Justice,
d’un registre électronique public d’ONG financées pour au moins
10% par des entités étrangères. Toute ONG recevant plus de 30% de
ses fonds de l’étranger devra indiquer, au grand public, par tout
moyen visuel, qu’elle est «une organisation non-gouvernementale
qui est inscrite au registre des organisations non-gouvernementales
recevant de l’aide provenant des fonds étrangers». Le ministre de la
Justice pourra infliger des amendes allant de 3 000 à 50 000 PLN
(environ 800 à 12 000 EUR).
29. Le rapport de M. Cruchten faisait également référence à la
situation en Roumanie et en Ukraine, où certains projets de loi,
critiqués par la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH
, étaient en cours d’élaboration
afin d’imposer des obligations de déclaration supplémentaires aux
ONG. La proposition de loi roumaine (no 140/2017)
portant modification de l’ordonnance gouvernementale no 26/2000
sur les associations et les fondations visait à transposer, en droit
roumain, la
Directive
2015/849 relative à la prévention de l'utilisation du système
financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement
du terrorisme ainsi que les recommandations pertinentes du MONEYVAL.
Elle imposait plusieurs types de déclarations financières aux ONG
(associations et fondations) et définissait de manière très large
le terme de «bénéficiaire effectif» utilisé dans la directive (en
englobant les associations, alors que la directive l’emploie seulement
envers les fondations). Elle a été adoptée par le parlement le 26
novembre 2018, mais a été déclarée partiellement inconstitutionnelle
par la Cour constitutionnelle le 23 janvier 2019 et renvoyée au parlement
. Par la suite,
une nouvelle version de cette loi (no 129/2019)
a été adoptée, qui ne mentionne ni les associations ni les fondations
parmi les entités obligées de faire des déclarations financières
et rétrécit le champ d’application de la notion de «bénéficiaire effectif».
30. Concernant les dispositions controversées de la loi ukrainienne
sur la prévention de la corruption obligeant les militants anti-corruption
à déposer des déclarations électroniques (critiquée notamment par
la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH), le 6 juin 2019, la Cour
constitutionnelle les a déclarées inconstitutionnelles et les a
jugées nulles et caduques. Par la suite, le 2 octobre 2019, le parlement
ukrainien a amendé la loi sur la prévention de la corruption: l’obligation
de présenter des déclarations électroniques incombe uniquement aux
membres des ONG qui participent à des procédures de sélection auprès
de certains organismes étatiques (service civil, collectivités territoriales
ou magistrature).
31. Concernant la Grèce, le Conseil d’experts sur le droit en
matière d’ONG s’est dit préoccupé par la nouvelle réglementation
concernant les exigences d’enregistrement et de certification pour
les ONG (grecques et étrangères) travaillant sur l'asile, la migration
et l'inclusion sociale, qu’il a jugée contraire aux articles 8 et
11 de la Convention
. Pour être enregistrées,
de telles ONG doivent soumettre de multiples documents, dont des traductions
et des copies certifiées des documents étrangers; le ministre des Migrations
et de l’Asile dispose d’un large pouvoir d’appréciation à cet égard.
Les ONG recevant des fonds publics ou travaillant dans des établissements
de l’État doivent être «certifiées» (ce qui requiert la soumission
d’une panoplie additionnelle de documents) et les membres et employés
des ONG qui travaillent dans des établissements d'État doivent également
être enregistrés.
32. De plus, le Comité des Ministres
et
la Présidente de la Conférence des OING
se sont récemment inquiétés
du fait que les demandes d'enregistrement de trois associations
(dont Tourkiki Enosi Xanthis) n'ont toujours pas été réexaminées
par les tribunaux nationaux à la lumière de la jurisprudence de
la Cour. En conséquence, deux des associations concernées ne sont
toujours pas enregistrées et Tourkiki Enosi Xanthis reste dissoute
douze ans après les arrêts de la Cour.
3.3. Exemples
de bonnes pratiques
33. Malgré ces évolutions négatives
il existe, dans la plupart des États membres, un environnement propice aux
activités de la société civile. Quant aux États membres de l’Union
européenne, de bonnes pratiques ont été rapportées dans le rapport
de la FRA de 2018 concernant le financement public des ONG et leur
implication dans les débats publics et les procédures législatives
(notamment en Croatie, Estonie et Slovénie)
. Le
Rapport
2020 de la Commission européenne sur «La situation de l’état de
droit dans l’Union européenne» souligne le rôle important de la société civile dans
des débats sur l’état de droit en qualité de contre-pouvoir
. Il
note également qu’en
Croatie, le gouvernement est sur le point d’adopter un plan
national visant à améliorer le système de soutien juridique, financier
et institutionnel aux activités des organisations de la société
civile et qu’en
Slovénie, la stratégie nationale de développement du secteur
non gouvernemental et du bénévolat vise à améliorer le soutien aux
organisations non gouvernementales d’ici à 2023.
34. Au sein du Conseil de l’Europe, des évolutions positives ont
été signalées par la Conférence des OING. En République de Moldova,
en mai 2020, le parlement a relancé son examen du projet de loi
no 109 sur les organisations non commerciales
qui avait fait l’objet d’une première lecture en mai 2018; ce projet
de loi constituerait une amélioration de la réglementation actuelle
des entités juridiques à but non lucratif, notamment en étendant
la possibilité de créer des associations à toutes les personnes
physiques et morales
. Au Royaume-Uni, en
octobre 2018, le gouvernement a publié, pour la première fois depuis
15 ans, la Stratégie pour la société civile, après une consultation
publique en mai 2018
.
3.4. La
société civile en période de pandémie de covid-19
35. La pandémie de covid-19 a eu
un impact très négatif sur les activités des ONG et l’espace dévolu
à la société civile. Les mesures restrictives adoptées par les États
en cette période ont considérablement réduit les droits fondamentaux
et libertés dont jouissent les ONG et leurs membres, notamment leurs
droits au respect de la vie privée, à la liberté d’expression (et
notamment la liberté de recevoir et de communiquer des informations
et des idées), de réunion et d’association et leur liberté de circulation
. Très souvent, les ONG n’ont été
consultées ni sur ces mesures ni sur les stratégies gouvernementales
concernant la protection de la santé publique
.
36. Certaines déclarations d’état d’urgence et certaines dérogations
à la Convention ont été critiquées par des représentants d’ONG,
qui considèrent que la portée, la durée et les effets de ces mesures
limitent davantage leurs droits et libertés
. Le 8 avril 2020, la Secrétaire
Générale du Conseil de l’Europe a publié une «boîte à outils» à
l’intention de l’ensemble des gouvernements européens sur le respect
des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit pendant
la crise de covid-19
. Elle a rappelé que les
droits et libertés consacrés par les articles 10 et 11 de la Convention
(liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique) ne
peuvent être restreints que si ces restrictions sont prévues par
la loi et proportionnées au but légitime poursuivi, y inclus la
protection de la santé. Si des restrictions plus strictes aux droits
susmentionnés sont susceptibles d’être justifiées en temps de crise,
les sanctions pénales sévères doivent, en revanche, faire l'objet
d'un contrôle strict. La Conférence des OING travaille actuellement
sur un questionnaire sur l’impact de la pandémie sur les activités
des ONG. L’Assemblée s’est déjà penchée sur les «Les conséquences
de la pandémie de covid-19 sur les droits de l’homme et l’État de
droit» dans sa
Résolution 2338
(2020) .
4. Conclusion
37. Je souscris pleinement aux
conclusions de mes prédécesseurs et d’autres organes du Conseil
de l'Europe, selon lesquels la situation de la société civile dans
certains États membres exige une attention accrue de la part de
l’Assemblée et du Conseil de l’Europe tout entier et il existe une
tendance inquiétante à adopter de nouvelles lois restreignant la
liberté d’association et à lancer des campagnes de dénigrement contre
des ONG et leurs dirigeants. Dans le cadre de ce rapport, je me
suis essentiellement focalisée sur les mesures législatives qui
ont été prises dans certains États membres afin de limiter l’espace
dévolu à la société civile (notamment celles concernant les restrictions
de l’accès au financement, provenant notamment de sources étrangères
ou les obligations d’enregistrement ou de rapport excessives) et
sur leurs effets.
38. Au cours de ces deux dernières années, les ONG dans les pays
mentionnés dans le rapport de M. Cruchten ont fait l’objet de nouvelles
restrictions, parce que de nouvelles lois restrictives ont été adoptées et/ou
parce que les législations restrictives en vigueur ont continué
à être appliquées. Il est surtout inquiétant de constater que non
seulement les législations controversées n’ont pas été abrogées
mais qu’elles ont été amendées de manière à limiter davantage l’espace
dévolu à la société civile (notamment en Russie et en Turquie).
Comme souligné dans les travaux de la FRA, les restrictions imposées
aux activités des ONG dans différents pays suivent certains modèles.
Ainsi, il est particulièrement préoccupant que la législation russe
sur les «agents étrangers» semble inspirer certains États de l’Union
européenne qui ont déjà adopté (Hongrie) ou envisagent d’adopter
des lois imposant des obligations spécifiques aux ONG recevant des
fonds de l’étranger (Bulgarie et Pologne). A cet égard, je rappelle
que le droit à la liberté d’association accorde aux ONG la liberté de
solliciter, d’obtenir et d’utiliser des ressources, dont des ressources
étrangères, ce que le rapport de la Commission de Venise sur le
financement des associations de mars 2019 confirme clairement.
39. L’autre tendance inquiétante consiste à adopter des réglementations
qui durcissent les conditions de travail des ONG aidant les réfugiés
et les autres migrants et qui criminalisent les activités de leurs
membres (comme en Grèce). Ce problème a déjà été soulevé par la
commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
40. La pandémie de covid-19 a ajouté de nouveaux obstacles aux
travaux des ONG, en limitant les possibilités de rassemblements
et de déplacements de leurs membres et militants et leur accès aux informations
et au débat public. De plus, des mesures de surveillance par le
biais de nouvelles technologies exposent les militants à des risques
des violations de leur droit à la vie privée. L’Assemblée s’est
déjà penchée sur l’impact de la pandémie sur les droits de l’homme
et l’État de droit, mais il me semble qu’un examen plus détaillé
de l’impact de ces mesures sur la situation de la société civile
serait utile dans les prochains mois.
41. Certaines mesures, réduisant l’espace dévolu à la société
civile, ont été prises délibérément en violation des normes internationales
sur le droit à la liberté d’association et d’autres droits humains
et de libertés fondamentales. Ainsi, je souhaite souligner que,
malgré ces mauvaises pratiques, les normes internationales dans
ce domaine n’ont pas changé (ce que démontrent notamment les derniers
travaux de la Commission de Venise et certains arrêts de la Cour)
et doivent toujours être respectées. Les restrictions à ces libertés
doivent être proportionnées et nécessaires dans une «société démocratique»
et les ONG, si elles sont sanctionnées pour de quelconques actes
ou omissions, doivent pouvoir disposer de voies de recours devant
un juge.
42. L’examen des cas présentés ci-dessus ainsi que les travaux
des organes du Conseil de l’Europe et de la FRA démontrent que les
agressions et actes de harcèlement contre des militants de la société
civile, orchestrés soit directement ou indirectement par les autorités
de l’État soit par des personnes privées, sont monnaie courante.
Les militants qui travaillent sur les questions des droits de l’homme
ou sur d’autres sujets politiquement sensibles (comme la lutte contre
la corruption ou les droits des LGBTI ou des migrants) sont particulièrement
victimes de tels actes. De plus, certains pays choisissent un discours
négatif visant à discréditer et stigmatiser les ONG et leurs militants.
C’est très alarmant. En tant que rapporteure générale de l’Assemblée
sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, j’ai déjà
réagi, par le biais de déclarations publiques, à certains événements
préoccupants et je vais continuer à suivre ces questions de près
et en informerai la commission le moment venu.
43. Malgré ces évolutions négatives, il convient néanmoins de
saluer certaines améliorations. Dans certains pays, des lois ont
été amendées conformément aux recommandations d’instances européennes comme
la Commission de Venise (notamment en Roumanie et en Ukraine). De
plus, certains États ont pris des mesures afin de faciliter l’accès
aux fonds publics, selon des règles transparentes et claires, et
des stratégies de coopération avec la société civile ont été développées
au niveau gouvernemental.
44. Pour conclure, il convient de saluer les derniers travaux
du Conseil de l’Europe concernant la protection et la promotion
de l’espace dévolu à la société civile et le renforcement de la
participation de cette dernière dans les travaux de l’Organisation.
Depuis le rapport de mon prédécesseur, il y a eu une importante
avancée dans ce domaine. Je ne peux qu’inciter davantage les organes
et les instances compétentes du Conseil de l’Europe à finaliser
leurs travaux visant à mettre en œuvre la déclaration de Helsinki
du Comité des Ministres du 17 mai 2019.