1. Introduction
1. Il y a vingt-cinq ans, le 1er février
1995, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE
no 157, «la Convention-cadre»), traité
du Conseil de l’Europe, était ouverte à la signature. Cet instrument, issu
d’années de dialogue entre le Comité des Ministres et l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe
, se fonde sur l’idée
que la protection des minorités nationales est «essentielle à la
stabilité, à la sécurité démocratique et à la paix» en Europe, «qu’une
société pluraliste et véritablement démocratique doit non seulement
respecter l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse
de toute personne appartenant à une minorité nationale, mais également
créer des conditions propres à permettre d’exprimer, de préserver
et de développer cette identité» et que «la création d’un climat
de tolérance et de dialogue est nécessaire pour permettre à la diversité
culturelle d’être une source, ainsi qu’un facteur, non de division,
mais d’enrichissement pour chaque société». La Convention-cadre
reconnaît par ailleurs explicitement, et cela est fondamental, que la
protection des droits et libertés des personnes appartenant aux
minorités nationales fait partie intégrante de la protection internationale
des droits humains
.
2. A bien des égards, la cause des droits humains ne mobilise
plus aujourd’hui autant qu’auparavant. Si l’attention portée aux
minorités à l’époque de l’adoption de la Convention-cadre était
forte, nous l’avons vu diminuer depuis. Le message reste peut-être
inchangé, mais la difficulté est de mieux le faire passer dans un environnement
marqué par le soutien déclinant des États et aussi de certaines
ONG qui militaient traditionnellement en faveur des minorités et
dont le centre d’intérêt semble s’être déplacé. Face à cette situation,
nous devons donc tous revoir notre façon de penser.
3. En parallèle, nous assistons dans toute l’Europe à la montée
des discours extrémistes, souvent dirigés contre toute personne
perçue comme «différente»
.
Ces discours mettent en danger la cohésion sociale et la stabilité
démocratique en utilisant les membres des communautés minoritaires
comme des boucs émissaires. Les messages de haine trouvent un terrain
particulièrement fertile dans les sociétés confrontées à des problèmes
ou des divisions d’ordre social, économique ou politique plus larges.
4. Face à une rhétorique qui stigmatise la diversité de manière
de plus en plus délibérée et à l’instrumentalisation fréquente des
droits des minorités à des fins politiques, il est important de
réaffirmer que le respect de la diversité linguistique, ethnique
et culturelle constitue l’une des pierres angulaires du système de
protection des droits humains en Europe. Il est temps de revenir
aux bases, à la dignité humaine, à l’inclusion, au respect et à
la reconnaissance des droits des minorités dans un environnement
en mutation et de regarder comment les notions d’égalité et de non-discrimination
peuvent s’inscrire dans un discours global sur les minorités.
5. Les langues, les cultures et les nations sont en interaction
et s’influencent mutuellement, alimentant ainsi une évolution constante,
générant de nouvelles idées et contribuant à l’évolution intellectuelle
de l’Europe.
6. La préservation de la diversité linguistique, ethnique, culturelle
et nationale joue aussi un rôle important dans le maintien de la
paix et de la stabilité en Europe. Les tensions ethniques représentent
un risque important pour la stabilité et aucun pays européen n’est
totalement homogène sur le plan ethnique. Il importe donc d’autant
plus que les organisations internationales ne négligent pas ces
questions pour ne s’en préoccuper que lorsque les tensions accumulées
ici ou là menacent d’exploser ou lorsqu’elles ont déjà éclaté.
2. Méthodes de travail, portée et objectifs
du rapport
7. Je crois que la protection
des cultures et langues minoritaires doit être analysée dans un
contexte plus large, dans lequel une Europe sans frontières défend
des politiques en faveur des minorités dont le but est de permettre
aux individus de vivre leur identité et de préserver leur culture,
leurs traditions et leur langue sans obstruction. «L’unité dans
la diversité» devrait être une réalité dans toute l’Europe, ainsi
que dans chacun des pays du continent.
8. Un élément essentiel du contexte général est la mise en œuvre
de la Convention-cadre, qui a eu des répercussions positives pour
les minorités nationales dans les États parties et a contribué à
préserver leurs identités linguistiques, ethniques et culturelles.
Dans le même temps, les travaux de suivi tout comme les rapports
d’activité réguliers du Comité consultatif de la Convention-cadre
montrent qu’à travers les 39 États parties, de nombreux enjeux doivent
encore être résolus pour traduire concrètement les principes consacrés par
cet instrument dans les réalités vécues par les personnes appartenant
aux minorités. Par ailleurs, de nouveaux défis émergent constamment.
Ainsi, je considère qu’il est important d’examiner les grandes tendances
de la mise en œuvre de la Convention-cadre, aussi bien en ce qui
concerne les bonnes pratiques existantes, susceptibles d’être appliquées
dans d’autres pays, que les principales difficultés rencontrées
dans sa mise en œuvre et de voir de quelle manière l’Assemblée pourrait
contribuer à surmonter ces difficultés.
9. Comme l’Assemblée l’a déjà souligné, le fait que huit États
membres du Conseil de l’Europe ne sont pas encore parties à la Convention-cadre
affaiblit la protection que celle-ci peut offrir. Cela crée une
certaine fragmentation car les personnes appartenant à des minorités
nationales ne bénéficient pas d’une reconnaissance et d’une protection
égales et les dispositions de la convention qui visent à promouvoir
l’égalité, la tolérance le dialogue interculturel, dans l’intérêt
de tous les membres de la société, ne sont pas applicables à travers
l’ensemble du continent
.
10. Grâce à une série d’auditions et d’échanges de vues tenus
tout au long du processus de préparation de ce rapport, la commission
a pu bénéficier des contributions directes de la Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, du Haut-commissaire de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
pour les minorités nationales et du Rapporteur spécial des Nations
Unies sur les questions relatives aux minorités, ainsi que d’une
ancienne présidente du Comité consultatif de la Convention-cadre
et de sa présidente par intérim actuelle
.
Je les remercie pour leurs contributions très pertinentes. Je tiens
à remercier également la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) pour sa réaction rapide à sa
saisine le 4 décembre 2019 par notre commission pour avis sur les
récentes modifications apportées à la législation lettone sur l’enseignement
en langue minoritaire
.
11. La commission m’a également autorisée à effectuer une visite
d’information en Ukraine et au Royaume-Uni (Pays de Galles) pour
étudier de manière plus approfondie les questions qui présentent
un intérêt pour mon rapport. Compte tenu du contexte sanitaire actuel
en Europe, il n’a pas été possible de mener ces visites sur le terrain.
J’ai toutefois eu le plaisir de pouvoir organiser des réunions bilatérales
en ligne avec des interlocutrices et interlocuteurs officiel·le·s
ainsi que des représentant·e·s de la société civile au cours de
la semaine du 2 au 6 novembre 2020. Bien qu’elles aient eu lieu
à un stade très avancé de l’élaboration de ce rapport, elles m’ont
permis de recueillir des informations pertinentes de première main
et de nouer un dialogue direct avec les acteurs nationaux. Nos discussions
ont été particulièrement riches et propices à la réflexion, et les
conclusions que j’en ai tirées figurent en annexe du présent rapport.
12. Les recommandations formulées dans les projets de résolution
et de recommandation visent à assurer une mise en œuvre plus cohérente
du cadre juridique et institutionnel afin que les droits humains
des personnes appartenant à des minorités soient respectés et protégés,
ce qui est essentiel pour la paix et la stabilité en Europe et pour
la préservation de la diversité linguistique, ethnique et culturelle
du continent.
3. Cadre
juridique de la protection des droits des minorités en Europe
3.1. Normes
universelles
13. Plusieurs instruments des Nations
Unies reconnaissent explicitement les droits des personnes appartenant
à des minorités ou contribuent à protéger ces droits; c’est notamment
le cas de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, de la Convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale et de la déclaration
de 1992 relative aux droits des personnes appartenant à des minorités
nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.
14. Lors de l’audition organisée par notre commission, le 4 décembre
2019, M. Fernand de Varennes, Rapporteur spécial des Nations Unies
sur les questions relatives aux minorités, a mis en avant le lien
important qui existe entre les normes internationales sur la protection
des minorités et le droit à l’égalité et à la non-discrimination.
Il a souligné que tous les droits humains susceptibles de protéger
les minorités devraient être considérés comme des droits des minorités.
Dès lors, priver des individus de leur nationalité en raison de
leur appartenance à certaines minorités religieuses ou ethniques
peut être considéré comme une violation du principe général de non-discrimination.
La liberté de religion, le droit à l’égalité de traitement sans discrimination
fondée sur la religion et la liberté d’association sont des droits
universels, mais ils revêtent une importance toute particulière
pour les personnes appartenant à des minorités religieuses. Dans
certains cas, il peut aussi arriver que le droit à l’égalité de
traitement sans discrimination fasse obligation aux États d’assurer un
enseignement public dans des langues minoritaires ou autochtones.
M. de Varennes a insisté sur le fait qu’il est évident, pour les
Nations Unies, que les droits des minorités ne sont pas uniquement
une question de protection de la diversité linguistique, mais qu’ils
constituent des droits humains, détenus par des individus.
3.2. Normes
européennes
15. Nombre des droits énoncés par
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)
et ses protocoles sont d’une importance particulière pour les personnes
appartenant à des minorités; c’est notamment le cas des articles 9
(liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression),
11 (liberté de réunion et d’association) et 14 (interdiction de
la discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus
par la Convention, qui interdit entre autres les discriminations
fondées sur «l’appartenance à une minorité nationale»
), de l’article 2 du Protocole no 1
(droit à l’éducation) et du Protocole no 12 (interdiction
générale de la discrimination, couvrant les mêmes motifs que l’article 14
de la Convention
.
16. Le document de Copenhague de la Conférence sur la sécurité
et la coopération en Europe (CSCE, devenue depuis l’OSCE), adopté
en 1990, a réaffirmé que «le respect des droits des personnes appartenant à
des minorités nationales, considérés comme des droits de l’homme
reconnus universellement, est un facteur essentiel de la paix, de
la justice, de la stabilité et de la démocratie» et a énoncé toute
une série de droits dont bénéficient les personnes appartenant à
des minorités nationales, afin notamment «d’exprimer, de préserver et
de développer en toute liberté leur identité ethnique, culturelle,
linguistique ou religieuse et de maintenir et de développer leur
culture sous toutes ses formes, à l’abri de toutes tentatives d’assimilation
contre leur volonté»
. Les principes énoncés
par le document de Copenhague demeurent cruciaux, et leurs implications dans
la vie réelle ont été examinées de façon plus approfondie dans une
série de recommandations et de lignes directrices thématiques
. Toutefois, la mise en œuvre concrète
de ces principes ne fait pas l’objet d’un suivi formel. En 1992,
les États participant à l’OSCE ont créé la fonction de Haut-Commissaire
pour les minorités nationales. Comme cela a souvent été souligné,
le Haut-Commissaire n’œuvre pas au nom des minorités nationales
mais travaille sur les minorités nationales; son rôle n’est pas
d’être le porte-parole de celles-ci mais un instrument de prévention
de conflits, notamment à travers des mécanismes d’alerte et d’action
rapides
.
17. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
de 1992 (STE no 148), qui définit toute une
série d’engagements que les États peuvent prendre pour protéger
ces langues, reconnaît aussi que le droit d’utiliser une langue
régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique est un droit
imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies
.
18. La Convention-cadre de 1995 marque le franchissement d’un
pas crucial en avant, d’une part parce qu’elle couvre l’ensemble
des droits des personnes appartenant à des minorités nationales
et d’autre part parce qu’elle crée un mécanisme multilatéral chargé
du suivi de la mise en œuvre par les États parties de ces normes.
Depuis l’adoption de cette convention, l’importance d’un engagement
européen en faveur de la protection des minorités nationales et
de la diversité culturelle a été réaffirmée régulièrement par les
États membres du Conseil de l’Europe, par exemple dans la Déclaration
de Varsovie (Troisième Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement
du Conseil de l’Europe, 16-17 mai 2005).
19. Les pays d’Europe orientale devenus membres du Conseil de
l’Europe dans les années 1990 ont accepté les obligations incombant
à tous les États membres en vertu du Statut, à savoir le respect
des principes d’une démocratie pluraliste et de la prééminence du
droit. Ils ont souscrit plusieurs engagements spécifiques, qu’ils
se sont engagés à honorer dans des délais convenus, comme la conduite
d’une politique à l’égard des minorités reposant sur les principes
définis dans la
Recommandation
1201 (1993) de l’Assemblée. Après l’entrée en vigueur de la Convention-cadre,
en 1998, la signature et la ratification de cette dernière dans l’année
suivant l’entrée d’un pays au Conseil de l’Europe sont aussi devenues
une obligation de base.
20. En vertu de la Convention-cadre, les droits des minorités
sont reconnus à titre individuel à toute personne qui appartient
à une minorité nationale, qui a le droit de choisir librement d’être
traitée ou de ne pas être traitée comme telle sans aucun désavantage.
Il est précisé à l’article 3.2 de la Convention-cadre que les droits
des minorités peuvent être exercés «individuellement ainsi qu’en
commun avec d’autres». En fait, de nombreux droits n’ont de sens
que s’ils sont exercés en commun avec d’autres et l’exercice de
certains droits présuppose la présence d’autres personnes, voire
une association formelle avec d’autres personnes. Les droits des
minorités ont, par conséquent, une dimension individuelle, une dimension
sociale et une dimension collective
.
21. La nécessité de protéger l’identité des personnes appartenant
à des minorités nationales est reconnue à la fois par le préambule
de la Convention-cadre et par son article 5.1. Plusieurs dispositions
(les articles 7 à 15) servent à créer un cadre régissant l’application
aux personnes appartenant à une minorité nationale des droits applicables
à tous, notamment ceux consacrés par la Convention (voir ci-dessus).
D’autres dispositions prévoient des droits plus spécifiquement pertinents
pour les personnes appartenant aux minorités nationales (articles 16
à 18).
22. Dans le même temps, la Convention-cadre situe clairement les
droits des minorités dans un contexte d’égalité et de non-discrimination
plus général. Elle reconnaît que des mesures spécifiques peuvent
être requises afin de promouvoir l’égalité pleine et effective au
sein de la société des personnes appartenant aux minorités nationales
(article 4.2). Elle met par ailleurs en avant la nécessité de promouvoir
un esprit de tolérance et de dialogue interculturel et de prendre
des mesures efficaces pour favoriser le respect et la compréhension
mutuels ainsi que la coopération entre toutes les personnes vivant
sur le territoire d’un État (article 6).
23. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le Parlement
européen ont adopté ces dernières années plusieurs résolutions et
rapports relatifs à la protection des minorités qui fournissent
des orientations importantes quant aux normes qui peuvent contribuer
à garantir la préservation de l’identité
.
24. Il convient toutefois de noter que ni les conventions du Conseil
de l’Europe dans le domaine des droits des minorités, ni les instruments
de «soft law» de l’Assemblée parlementaire, bien que théoriquement d’application
obligatoire, n’ont de force directement contraignante dans la pratique.
C’est pourquoi j’estime qu’il est urgent et nécessaire de trouver
des moyens nouveaux afin de veiller à ce que les normes citées ci-dessus soient
réellement intégrées dans le droit interne des pays et mises en
œuvre concrètement, notamment en aidant les institutions européennes
à élaborer leur réglementation de manière à garantir la diversité linguistique,
ethnique, culturelle et nationale en Europe.
4. Enjeux
actuels de la protection matérielle des droits des minorités en
Europe
25. Ces vingt dernières années,
la mise en œuvre de la Convention-cadre a eu des répercussions positives pour
les minorités nationales dans les États parties et les a aidées
à préserver leur identité linguistique, ethnique et culturelle.
Cependant, plusieurs difficultés menacent actuellement d’entraver
la capacité à protéger les droits des minorités au moyen des outils
élaborés par les Nations Unies et l’Europe dans les années 1980 et
1990. En particulier, la stabilité des États comme celle des institutions
européennes a été fragilisée par des tensions intra- et interétatiques,
voire par des conflits. Les flux migratoires ont aussi directement
et indirectement affecté les personnes appartenant aux minorités
nationales ainsi que la mise en œuvre des droits des minorités tels
qu’énoncés par la Convention-cadre
.
26. Par ailleurs, la pandémie de covid-19 a mis en exergue la
vulnérabilité des personnes appartenant à des minorités nationales,
qui ont souvent dû faire face à la discrimination, aux propos haineux,
à la stigmatisation, à un manque d’information en langues minoritaires
et à des inégalités d’accès à l’éducation à la suite de la fermeture
temporaire des classes dans les écoles, y compris au niveau maternel,
pendant des périodes de confinement
. Pour
protéger les minorités, les gouvernements doivent veiller à ce que
les mesures qu’ils prennent pour faire face à des crises ne fragilisent
pas la cohésion sociale, mais la renforcent
.
27. Dans le présent chapitre, j’analyse les principaux défis qui
ont émergé au cours des dernières années en matière de droits des
minorités.
4.1. La
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales n’est
pas directement applicable
28. En raison de situations nationales
très diverses en ce qui concerne les minorités nationales – qu’il s’agisse
de leur importance numérique, de leur dispersion à travers le territoire
ou du nombre de minorités – ainsi que de situations différentes
entre minorités vivant au sein d’un État donné, il est impossible
de définir une solution universelle qui serait apte à protéger de
manière efficace les droits des personnes appartenant à des minorités
nationales. Par conséquent, la Convention-cadre a été conçue dès
le départ comme (justement) un cadre, ce qui crée une certaine souplesse
et permet aux États de traduire certaines de ses dispositions dans leur
législation interne d’une manière adaptée à la situation spécifique
qui existe dans leur territoire
.
29. En conséquence, il est nécessaire de légiférer afin de donner
effet aux dispositions de la Convention-cadre. Le Comité consultatif
s’est à maintes reprises félicité des progrès accomplis par les
États parties pour traduire les principes énoncés par la convention
dans leur système juridique interne
.
Toutefois, l’expérience montre qu’il ne suffit pas d’harmoniser
la législation avec les instruments internationaux pour garantir l’application
effective des droits des minorités, en particulier lorsque les mentalités
ne changent pas et que les minorités continuent d’être perçues comme
une menace (voir ci-dessous). Le problème est souvent que les accords
et cadres juridiques existants ne sont pas concrétisés dans la pratique
et qu’il n’y a pas d’organe de contrôle chargé d’en assurer l’application
au niveau national. Le fait que des lois soient adoptées et que
des infrastructures juridiques soient établies ne signifie pas qu’elles
sont correctement appliquées (si tant est qu’elles le soient). Pour
les communautés minoritaires, l’égalité formelle ne suffit pas:
elles ont besoin d’être respectées et reconnues et de bénéficier
d’un soutien permanent, durable et prévisible, et adapté à leurs besoins
. Parfois le problème tient à la mise en
œuvre ou à l’application insuffisante des règles; dans d’autres cas,
des règles supplémentaires sont nécessaires pour traiter des questions
particulières dans des domaines définis.
30. Par ailleurs, du fait que la Convention-cadre énonce des principes
fondamentaux plutôt que des obligations spécifiques, on n’obtient
guère de résultats s’il n’y a pas de véritable dialogue ni de bonne
volonté – question qui est examinée de façon plus approfondie ci-après.
4.2. Perception
des minorités comme une menace pour la sécurité et re-sécuritisation
des droits des minorités
31. Au cours des dernières années,
une tendance préoccupante s’est développée, selon laquelle les minorités
sont présentées comme étant potentiellement ou par définition déloyales
envers l’État où elles habitent – voire comme étant des agents étrangers
– et partant, comme représentant une menace pour la sécurité. Cela
amène certains États à refuser de reconnaître aux personnes appartenant
aux minorités nationales certains droits liés à leur identité (la
liberté d’association ou le droit d’apprendre leur langue, par exemple)
et tend à créer un environnement hostile pour ces personnes. Ce
phénomène peut par la suite susciter des appels à une plus grande
autonomie, et parfois à la sécession. En parallèle, cette dynamique coïncide,
dans certains États, avec des inquiétudes croissantes relatives
au terrorisme, renforçant les craintes quant aux auteurs potentiels
d’actes terroristes au sein de la société
.
32. De ce fait, on a pu observer un retour vers une vision des
questions liées aux minorités comme relevant essentiellement de
la sécurité – précisément la dynamique que la Convention-cadre était
censé renverser, puisque les États parties à la Convention reconnaissent
la nécessité de garantir l’égalité pleine et effective des personnes
appartenant à des minorités nationales, en droit et dans la pratique.
Comme le Comité consultatif l’a maintes fois répété, c’est la mise
en œuvre des droits des minorités, et non leur négation, qui constitue
la meilleure garantie pour la paix, la stabilité et la sécurité
démocratique.
4.3. Édification
des nations selon une approche exclusive et montée du nationalisme
et du populisme, des propos haineux et des crimes de haine
33. Le mouvement vers une re-sécuritisation
s’accompagne d’une montée des populismes nationalistes qui diabolisent
les minorités et les prennent comme boucs émissaires, d’une manière
qui n’est pas sans rappeler dangereusement le passé. Les groupes
les plus vulnérables et les plus marginalisés – qui sont ceux qui
ont le plus besoin de la protection des droits humains – sont les
groupes les plus ciblés par les propos haineux et les crimes de
haine, les attaques fondées sur leur origine ethnique, le déni de
citoyenneté et les restrictions imposées à l’enseignement dans les
langues minoritaires; tous ces phénomènes vont s’accélérant
. Par ailleurs,
les personnes appartenant aux minorités qui se trouvent dans une
situation socio-économique défavorable sont souvent représentées
comme un fardeau pour la société ou comme un obstacle à l’atteinte de
l’objectif d’une plus grande prospérité pour tous, ce qui les rend
plus vulnérables aux attaques
. Cette dynamique
touche particulièrement les Roms, car l’antitsiganisme reste très
présent dans le discours public (notamment politique) et sous la
forme d’agressions physiques contre les communautés de Roms et de
Gens du voyage, ainsi que les personnes qui les constituent, et
la ségrégation que subissent ces communautés continue d’être tolérée.
Une fois encore, la pandémie de covid-19 a mis ces problèmes en
évidence, et dans certains cas les a aggravés
.
Les représentant·e·s politiques s’abstiennent souvent de condamner
ces propos motivés par la haine, voire y contribuent activement
.
34. Comme le Comité consultatif l’a souligné, bien qu’il s’agisse
de phénomènes distincts, le nationalisme et le populisme sont tous
les deux fondés sur une idéologie d’homogénéisation qui vise à unir
et à protéger un «nous» imaginaire contre un «eux» tout aussi imaginaire.
On constate dans ce contexte une polarisation croissante des sociétés,
selon des lignes ethniques et linguistiques. Le nationalisme extrême
et le populisme peuvent également conduire à des politiques d’édification
de nations exclusives, selon lesquelles la nation serait mono-ethnique,
mono-linguistique, mono-culturelle et mono-religieuse, et aurait
une histoire unique. Cette approche est susceptible de violer le
principe de la libre identification, y compris du droit à exprimer
des affiliations multiples. Plus dangereux encore, elle renforce
la perception des minorités comme une menace, puisqu’elles cherchent
à exprimer des identités différentes. Elle a également un impact
négatif sur les politiques linguistiques, comme décrit ci-après
.
4.4. Tensions
croissantes autour de l’utilisation des langues minoritaires et
de l’enseignement de et dans ces langues
35. Comme l’a souligné la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la langue constitue souvent
une pierre angulaire de la propre identité. Elle sert non seulement
de moyen de communication mais a aussi une forte valeur symbolique.
Empêcher les individus d’apprendre et de s’exprimer dans leur langue
est susceptible à la fois de violer leurs droits individuels et
d’avoir un impact négatif sur des communautés dans leur ensemble.
En raison précisément de cette valeur symbolique, les questions
linguistiques peuvent faire l’objet de tensions importantes, voire
malheureusement être instrumentalisées, ce qui exacerbe les tensions et
la polarisation au sein des sociétés. Or, les politiques linguistiques
peuvent et doivent être conçues de manière à tenir compte de la
diversité, protéger les droits des minorités et apaiser les tensions
.
36. Les initiatives visant à promouvoir la langue de l’État –
qui ont la plupart du temps pour but légitime de favoriser l’intégration
et la cohésion de la société – peuvent parfois sortir du cadre de
la proportionnalité. L’exigence d’un niveau de compétences linguistiques
élevé dans la langue de l’État pour pouvoir accéder à certaines
professions ou à un emploi dans la fonction publique, des réductions
pratiquées dans l’offre d’enseignement de et dans les langues minoritaires,
la restriction de la possibilité de passer des examens scolaires
dans ces langues, l’interdiction de l’affichage public dans les
langues minoritaires et la restriction quant aux langues dans lesquelles
peuvent être distribués des tracts électoraux sont autant de sujets
ayant donné lieu à des préoccupations au cours des dernières années.
De telles questions ont souvent été examinées par le Comité consultatif
dans ses travaux de suivi mais aussi par la Commission de Venise
. Récemment, la
pandémie de covid-19 a mis en lumière l’importance que peut revêtir
l’utilisation des langues minoritaires dans le contexte médical
ainsi que dans des institutions de protection sociale
. Les questions relatives
aux langues minoritaires sont analysées plus en détail ci-dessous,
dans l’annexe à ce rapport, qui présente les principaux enseignements
à tirer de la situation en Ukraine, en Lettonie et au pays de Galles.
4.5. L’évolution
du paysage médiatique
37. L’insuffisance de la production
médiatique dans les langues minoritaires dans les États où vivent
les minorités constitue une thématique récurrente dans le suivi
de la mise en œuvre de la Convention-cadre
. Les minorités
peuvent également être touchées par l’imposition de restrictions
à la liberté d’expression
. Face à ces facteurs,
des personnes appartenant aux minorités nationales peuvent chercher
des sources alternatives d’informations. Cela finit par créer un
paysage médiatique divisé et des réalités médiatiques parallèles, entravant
les efforts visant à créer des sociétés intégrées
. Dans le même temps,
comme me l’ont indiqué mes interlocutrices et interlocuteurs du
pays de Galles lors de nos réunions (voir annexe), la transformation vers
des médias numériques peut rendre plus abordables les coûts de production
de contenus plus diversifiés, et rendre ceux-ci plus accessibles.
Cela permet de répondre plus facilement aux besoins différents des personnes
appartenant à des minorités nationales, y compris les jeunes et
les personnes habitant en milieu urbain ou rural. Cependant, de
nouveaux obstacles peuvent se poser pour les personnes âgées ainsi
que pour celles habitant dans des régions particulièrement isolées,
s’agissant de l’accès aux médias numériques; il faut donc surmonter
ces obstacles.
38. Le développement des médias sociaux – qui facilitent la communication
et les contacts, souvent au bénéfice des personnes appartenant à
des minorités nationales – ouvre en parallèle de nouveaux espaces
au propos haineux, et crée de nouveaux défis pour la protection
des droits des minorités
.
4.6. Le
rétrécissement du champ d’action de la société civile
39. Certains signes donnent à penser
que le rétrécissement du champ d’action de la société civile dans certaines
parties de l’Europe entrave la capacité des personnes appartenant
à des minorités nationales à maintenir leurs organisations non-gouvernementales
et à en enregistrer de nouvelles
. Ces difficultés
sont exacerbées par la re-sécuritisation des questions relatives
aux minorités nationales et la tendance à représenter celles-ci
comme une menace pour la société. Cet effet est particulièrement
visible dès lors que les ONG bénéficiant d’un soutien financier
de l’étranger sont caractérisées, selon une législation restrictive, comme
«agents étrangers»
. Cela crée
des obstacles supplémentaires pour ces associations, alors qu’elles se
trouvent souvent déjà en difficulté car elles dépendent de financements
précaires et à court terme, pour mener à bien leurs activités
.
4.7. La
diversité au sein des minorités
40. Il existe bien trop souvent
une présomption selon laquelle les minorités nationales (comme de nombreuses
autres minorités) seraient monolithiques. Devoir tenir compte que
la diversité qui existe au sein des minorités, notamment en ce qui
concerne le genre, l’âge, la situation socio-économique ou le fossé
urbain-rural, peut en effet rendre plus complexe pour les autorités
le fait de communiquer avec elles, de prendre en compte leurs besoins
et de lever les obstacles qui les empêchent d’exercer leurs droits
. Il est parfois nécessaire,
pour garantir l’accès aux droits des minorités, de répondre également
aux besoins en termes d’infrastructure, comme l’accès à l’internet
à haut débit. Pour les Roms, en particulier lorsqu’ils vivent dans
des quartiers ségrégués, la jouissance des droits des minorités
peut dépendre de l’amélioration de l’accès à des besoins plus fondamentaux
tels que les routes, le logement ou les écoles. En même temps, il
serait aussi erroné de supposer que tous les Roms vivent dans la
pauvreté; de telles présomptions sont par ailleurs susceptibles
de nourrir les stéréotypes antitsiganistes
.
4.8. La
nécessité d’un dialogue continu et d’une adaptation constante à
des sociétés en changement permanent
41. Comme le Comité consultatif
l’a souligné, «la transparence et le dialogue sont des principes
centraux de la Convention-cadre, étant donné que la communication
crée des vecteurs permettant d’établir la compréhension, le respect
mutuel et la confiance, sans lesquels la diversité devient une source
de friction au lieu d’une raison de se réjouir»
. Il est crucial
de mettre en place des mécanismes de consultation permanents, efficaces
et suffisamment représentatifs, dans lesquels les minorités peuvent
participer de manière satisfaisante et en lesquels elles ont confiance,
afin de garantir que les questions touchant les personnes appartenant
à des minorités nationales seront abordées selon une approche qui
permet de tenir compte de toute la variété et la complexité des
situations concernées. L’absence de tels mécanismes est toutefois
une thématique récurrente dans les travaux de suivi du Comité consultatif
.
42. Il est également essentiel de reconnaître que les besoins
des minorités peuvent évoluer au fil du temps, en raison de changements
démographiques, de migrations depuis des zones rurales vers les
villes, d’une diversité accrue au sein des familles (les mariages
dits «mixtes») ainsi que d’une plus grande diversité au sein de
la société, du fait de flux migratoires internationaux. La mise
en place de collectes de données efficaces, permettant la libre
identification, y compris l’expression d’appartenances ethniques,
linguistiques et/ou religieuses multiples, est indispensable afin
de permettre d’analyser et de répondre de manière satisfaisante à
l’évolution des besoins
.
43. Enfin, les sociétés elles-mêmes évoluent rapidement, d’une
part en fonction de flux migratoires intra- et internationaux et
d’autre part en raison de différents facteurs tels que l’augmentation
de la numérisation. Celle-ci peut offrir de nouvelles possibilités
de communication et d’éducation dans les langues minoritaires, mais peut
aussi exclure certaines personnes appartenant à des minorités nationales,
comme les personnes âgées ou celles qui vivent dans des zones reculées
et qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires. Ces dynamiques
ont forcément un impact sur les droits humains, y compris les droits
des personnes appartenant à des minorités nationales. Par conséquent,
la mise en œuvre de la Convention-cadre ne constitue pas une tâche
ponctuelle, mais un processus continu nécessitant une adaptation
constante – pour être en mesure de garantir une protection réelle
et adéquate aux personnes appartenant aux minorités nationales,
la Convention-cadre doit être considérée, tout comme la Convention
européenne des droits de l’homme, comme un instrument vivant. Comme
l’a souligné le Comité consultatif, il s’agit de veiller autant
que possible à ce que les principes de la convention soient respectés
et ses objectifs atteints, non seulement à court terme mais aussi à
long terme, et ce indépendamment des changements de gouvernements
et de leurs priorités politiques
.
4.9. Construire
des sociétés inclusives et démocratiques
44. Le défi qui se pose aux autorités,
vis-à-vis d’une population hétérogène, est double: il s’agit de
bâtir des sociétés dans lesquelles les minorités ne sont pas simplement
tolérées, mais respectées, perçues comme des composantes égales
et à part entière de la société. Cette question a été examinée en
détail par le Comité consultatif dans le Commentaire thématique
no 4 sur la Convention-cadre
. Il s’agit de parvenir à l’égalité pleine
et réelle (et non seulement formelle) des personnes appartenant
à des minorités nationales
. Pour
ce faire, il faut une approche intégrée des droits des minorités
à travers l’ensemble des domaines d’action des autorités, et l’impact
des politiques gouvernementales dans ces domaines sur les dimensions
individuelles et collectives des droits des minorités doit être
évalué – une question que j’ai évoquée en particulier lors de mes réunions
avec des interlocutrices et interlocuteurs du pays de Galles (voir
ci-après).
45. Il est également capital d’assurer le respect mutuel et l’autonomisation
grâce à la participation active de tous les membres de la société
dans la vie politique, sociale et culturelle. Ces points ont fait
l’objet d’un examen approfondi par le Comité consultatif dans son
Commentaire thématique no 2, qui étudie
et développe la thèse centrale selon laquelle «la participation
effective des personnes appartenant à des minorités nationales à
[…] la vie publique est primordiale pour garantir la cohésion sociale
et le développement d’une société véritablement démocratique» et
considère le degré de participation des personnes appartenant à
des minorités nationales à la vie publique comme un indicateur déterminant
du niveau de pluralisme et de démocratie d’une société
.
46. Les autorités doivent aussi communiquer clairement et sans
cesse sur le fait que tous les membres de la société gagneront à
ce que celle-ci soit intégrée et non divisée. Il doit être bien
établi que l’objectif n’est pas d’assimiler chacun·e à un ensemble
homogène mais de garantir l’inclusion et la non-discrimination de
tous les individus, dans tous les domaines de la vie.
47. Autrement dit, ce qui définit une société intégrée n’est pas
l’homogénéité de ses citoyen·ne·s mais leur sentiment d’appartenance
commune. Cela constitue la meilleure garantie de la paix, de la
stabilité et de la sécurité démocratique nécessaires à l’épanouissement
de chacun·e, que l’on soit membre d’une minorité ou de la majorité.
5. Enjeux
actuels relatifs au suivi de la mise en œuvre des droits des minorités
au titre de la Convention-cadre
48. Dans les précédents chapitres,
j’ai souligné les principaux défis auxquels font face tant les États
que les personnes appartenant aux minorités nationales s’agissant
de garantir le plein respect des droits des minorités en Europe
aujourd’hui, tels qu’énoncés notamment par la Convention-cadre.
Au-delà de ces questions matérielles, toutefois, le système de suivi
de cette convention a également été mis à rude épreuve.
49. Premièrement, il semble que l’adhésion des États à l’architecture
multilatérale des droits humains conçue après la Seconde Guerre
mondiale faiblisse. Par ailleurs, il n’est que trop facile pour
les États d’ignorer leurs obligations en vertu des instruments des
Nations Unies et du Conseil de l’Europe relatifs aux droits des minorités
lorsqu’ils ne sont soumis à un contrôle qu’une fois tous les cinq
ans
.
50. En second lieu, plusieurs facteurs, comme les préoccupations
croissantes relatives à la sécurité dans de nombreux États, ont
conduit à une détérioration générale de la coopération bilatérale
et multilatérale. Ces facteurs ont sapé non seulement la mise en
œuvre de la Convention-cadre au sein des États membres comme relevé
plus haut, mais ont aussi mené, selon le Comité consultatif, au
«renforcement de la bilatéralisation ad hoc des questions relatives
aux minorités»
. Si des
contacts transfrontaliers libres et pacifiques peuvent dans de nombreux
cas jouer un rôle positif dans la préservation des droits des personnes
appartenant aux minorités nationales
, le système de suivi
créé par la Convention-cadre trouve sa force dans sa nature multilatérale,
et non bilatérale. En vertu de ce mécanisme, les États doivent rendre
des comptes au niveau collectif, et sont supposés s’appuyer sur
le contrôle collectif et non bilatéral de la mise en œuvre de la
Convention-cadre. L’allongement des délais entre l’adoption par
le Comité consultatif de ses avis et l’obtention d’un consensus au
niveau du Comité des Ministres sur les résolutions qui viennent
clore le cycle de suivi reflète malheureusement cette tendance à
re-bilatéraliser les questions relatives aux minorités.
51. Face à cette dynamique, le Comité consultatif a lui-même accordé
une attention croissante ces dernières années au maintien d’un dialogue
permanent avec les États parties, en instaurant une nouvelle procédure
de dialogue confidentiel avec les autorités avant l’adoption définitive
de ses avis
et
en menant ses activités de suivi, qui font intervenir dans la mesure
du possible des représentant·e·s des autorités et des minorités
. Les
nouvelles technologies peuvent aussi nous fournir de nouveaux moyens
permettant de rester informés de la situation des minorités nationales
au sein des États membres et de répondre aux problèmes dès qu’ils
se posent. On ne devrait pas hésiter à mobiliser ces technologies
pour renforcer la protection des droits des personnes appartenant
aux minorités nationales.
6. Conclusions
52. Aujourd’hui en Europe, nos
sociétés sont dynamiques et en constante évolution – comme cela
a été le cas tout au long de l’histoire. L’heure est venue de redéfinir
la notion traditionnelle de minorité nationale et de revoir notre
conception de la non-discrimination. Au XXIe siècle,
l’égalité et la dignité humaine, le respect et la reconnaissance
doivent occuper une place centrale dans la protection des droits
des personnes appartenant à des minorités nationales.
53. Compte tenu des multiples défis qui se posent aujourd’hui
dans la mise en œuvre des droits des minorités, il est capital d’adopter
une approche intégrée de ces droits pour permettre à cette protection
de perdurer. C’est précisément le type de question qui ne peut être
abordée que sur le plan des droits humains transversaux, en particulier
du droit à l’égalité et du droit à ne pas subir de discriminations.
54. Il est également crucial de reconnaître que les communautés
de minorités en Europe sont en évolution constante. L’adaptation
à la diversité dans la société nécessite des efforts de chaque instant
de la part des autorités, de la majorité et des minorités. Il n’est
possible de construire des sociétés inclusives et démocratiques,
et de leur permettre de prospérer, que si l’ensemble de leurs membres
sont en mesure d’y participer de façon significative, en ayant la
possibilité de s’impliquer activement dans la vie culturelle, sociale et
économique, ainsi que dans les affaires publiques, et d’influer
sur les décisions qui les concernent.
55. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
est un instrument vivant et conçu pour accompagner et soutenir les
processus simultanés de transformation qui touchent à la fois les
sociétés et les minorités. La Convention-cadre ne pourra toutefois
donner sa pleine mesure en tant qu’instrument vivant sans l’engagement
institutionnel du Conseil de l’Europe et la volonté politique de
ses États membres.
56. Dans le même temps, la Convention-cadre sert de référence
indirecte à la Commission européenne lorsqu’elle évalue le respect
des droits des minorités par les États candidats et les candidats
potentiels. C’est pourquoi je considère qu’il importe de renforcer
la coordination à travers l’ensemble des institutions européennes
afin de créer des synergies entre programmes et initiatives. L’intensification
de la coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe
dans le domaine des droits des minorités permettrait par ailleurs
de mettre en exergue la manière dont le respect des droits humains
est lié à la bonne application de l’État de droit et au fonctionnement
des institutions démocratiques.
57. En outre, pour protéger les droits des minorités de manière
efficace en Europe aujourd’hui, il nous incombe de trouver des moyens
innovants qui permettent de veiller à ce que les normes consacrées
par la Convention-cadre soient intégrées dans le droit interne des
pays et mises en œuvre dans la pratique.
58. Plusieurs mesures devraient également être prises afin de
renforcer l’impact concret de la Convention-cadre et de veiller
à la mise en œuvre rapide des recommandations adressées aux États
parties dans le cadre de son mécanisme de suivi. Ainsi, sur la base
des réformes déjà adoptées pour rationaliser les procédures d’établissement
de rapports et de suivi, les États parties doivent redoubler d’efforts
dans la mise en œuvre des recommandations des organes de suivi.
Ces mesures pourraient être associées à la mise au point d’indicateurs
permettant de mesurer et d’évaluer les résultats obtenus, notamment
en ce qui concerne l’intégration des minorités dans la société.
59. Outre les visites d’information, les rencontres bilatérales
et les recherches documentaires qui font déjà partie intégrante
du processus de suivi, une coopération plus multidimensionnelle
avec la société civile pourrait être développée grâce à la création
d’une plateforme publique (en ligne), à l’image de la Plateforme
pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes
déjà mise en place par le Conseil de l’Europe. Cela permettrait
de recueillir davantage de données et d’identifier plus rapidement
les questions gravement préoccupantes relatives aux droits des personnes
appartenant à des minorités nationales. Les technologies modernes
pourraient ainsi être utilisées pour entretenir un dialogue permanent
sur les questions relatives aux minorités.
60. De nouvelles stratégies d’information et de communication
autour de la Convention-cadre et des conclusions du Comité consultatif
pourraient également être développées, en exploitant pleinement
la disponibilité croissante des nouvelles technologies afin de diffuser
au grand public les conclusions principales. Celles-ci devraient
en outre être traduites et diffusées par les États parties dans
la langue de l’État et dans les langues des minorités nationales.
Lorsque ce n’est pas déjà le cas, ces stratégies pourraient aussi
couvrir les droits humains et les traités internationaux plus largement.
61. Enfin, les huit États qui n’ont pas encore ratifié la Convention-cadre
devraient la ratifier, conformément aux recommandations formulées
à plusieurs reprises par l’Assemblée, et tous les États membres
qui n’ont pas encore ratifié le Protocole no 12
à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit l’interdiction générale
de la discrimination, devraient le ratifier sans délai.