1. Introduction
1.1. Contexte
de la situation actuelle
1. Alexandre Loukachenko est président
du Bélarus depuis 1994. Il a assuré sa réélection à quatre reprises.
Son élection s’est faite dans un contexte de répression systématique
de l'opposition et de campagnes électorales et scrutins jugés non
libres par la communauté internationale, y compris par le Conseil
de l’Europe. En janvier 1997, après un référendum peu démocratique
instaurant des pouvoirs présidentiels exorbitants, l’Assemblée parlementaire
a
gelé le statut d’invité spécial du Parlement du Bélarus accordé
en 1992.
2. Lors des élections législatives de novembre 2019, aucun parti
ou candidat d'opposition n’a pu obtenir de siège. Les deux parlementaires
de l'opposition élus en 2016 ont été empêchés de se représenter.
Déjà lors de ces élections législatives, l'opposition avait dénoncé
des fraudes massives. En juin 2020, moins de deux mois avant la
date de l’élection présidentielle, les principaux candidats de l'opposition
Viktar Babaryka et Sergueï Tikhanovski ont été arrêtés, avec d’autres
membres de l’opposition, et exclus de l'élection. Amnesty International les
considère comme des prisonniers d'opinion. L’épouse de Sergueï Tikhanovksi, Svetlana Tikhanovskaya,
s’est présentée à sa place. Selon le
résultat
officiel, elle aurait obtenu 10% des suffrages, contre 80% pour
M. Loukachenko.
3. Le soir même du scrutin présidentiel, après l’annonce du résultat
selon des sondages de sortie des urnes, des dizaines de milliers
de personnes sont sorties dans la rue pour manifester. La police
anti-émeutes à
Minsk a utilisé à leur encontre des grenades paralysantes,
des balles en caoutchouc et même des balles réelles, comme la police
l’a reconnu elle-même
. L’opposition considère Svetlana
Tikhanovskaya comme victorieuse et réclame le départ de M. Loukachenko.
Le 11 août 2020, Mme Tikhanovskaïa s’est
réfugiée en Lituanie
.
Le
«Conseil de coordination» des forces d’opposition a appelé à un dialogue national en vue d’une transition
ordonnée du pouvoir. Cette demande est soutenue par des manifestations
fréquentes et massives, toujours pacifiques, qui se tiennent régulièrement,
notamment les week-ends, à Minsk et dans d’autres villes du Bélarus.
Le 23 septembre 2020, au cours d’une cérémonie secrète, Alexandre
Loukachenko a prêté serment pour un nouveau mandat. Cette investiture
en catimini a été suivie de nouvelles manifestations de masse et
de grèves ciblant les entreprises d’État.
4. La réaction des autorités est devenue de plus en plus brutale:
des centaines de manifestants pacifiques ont été arrêtés, souvent
par des hommes en uniformes sans insignes, et enlevés dans des camionnettes
sans plaques d’immatriculation. Des personnes ont disparu, temporairement,
sans que leurs proches ne sachent où elles se trouvaient. Pendant
leur détention, elles ont été victimes de mauvais traitements documentés
par des témoignages et photos effrayantes. Il y a même eu des morts
. La plupart des détenus ont été libérés après quelques
jours, d’autres ont été poursuivis pénalement dans des conditions
ne garantissant pas le respect des droits de la défense, pour des
crimes pouvant entraîner de longues peines de prison. En plus des
arrestations et des mauvais traitements infligés aux manifestants
et parfois même à de simples passants, les autorités harcèlent de
manière systématique les leaders du mouvement. Aucun des membres
du «Conseil de coordination» de l’opposition ne vit librement au
Bélarus, les uns sont en détention, les autres ont été contraints à
l’exil
. La répression cible aussi les simples
militants, les blogueurs et autres journalistes et syndicalistes indépendants.
Depuis le début du mois d’octobre 2020, même les journalistes étrangers
sont empêchés de travailler.
5. En somme, le régime de M. Loukachenko semble tenter de se
maintenir par la force, malgré le rejet évident d’une grande partie
de la population et la défection de nombreux membres de l’élite,
y compris des diplomates et des journalistes de médias d’État. Le
courage du peuple bélarusse, et particulièrement des femmes, qui
se trouvent en première ligne à tous les niveaux, est impressionnant.
1.2. Réactions
de la communauté internationale
6. Au sein du Conseil de l’Europe,
le Président de l’Assemblée, le Président du Comité des Ministres
et la Secrétaire Générale ont à plusieurs reprises appelé les autorités
du Bélarus à cesser les violences et à engager un dialogue inclusif
avec toutes les parties prenantes. Dans
une
déclaration adoptée le 9 septembre 2020, notre commission a en outre
invité «le Conseil de l'Europe, en coopération avec d'autres organismes internationaux,
[à] mettre en place un organe d'enquête international chargé de
recueillir des informations et des preuves sur les crimes contre
les droits de l'homme au Bélarus». Après de nouvelles répressions
brutales lors des manifestations de début octobre, le Président
de l’Assemblée, le Président du Comité des Ministres et la Secrétaire
Générale du Conseil de l’Europe ont fermement condamné les exactions
commises par les autorités et ont appelé au dialogue dans une
Déclaration conjointe du 13 octobre 2020.
7. Pour ce qui est de l’Union européenne, Charles Michel, Président
du Conseil européen, a annoncé dès le 19 août 2020 que l’Union européenne
n’entendait pas reconnaitre les résultats de l'élection. Par la
suite, le Conseil de l’Union européenne a décrété des sanctions
ciblées (notamment gels d’avoirs et refus de visas) à l’encontre
de nombreux représentants du régime, notamment celles ou ceux suspectés
d’implication dans la falsification de l’élection ainsi que dans
les violences policières. Le
12
octobre 2020, le Conseil européen s’est mis d’accord sur une
deuxième liste de personnes sanctionnées, dont Alexandre Loukachenko
lui-même. Le 16 octobre 2020, Boriss Cilevičs, président de notre
commission, a confirmé, lors d’une audition au Parlement européen
dédiée à la lutte contre l’impunité au Bélarus, que notre commission
était prête à coopérer dans cette lutte aux côtés de toutes les
parties prenantes internationales compétentes
.
8. Pour ce qui est de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE), 17 États participants, dont les États-Unis, ont
déclenché, le 17 septembre 2020, le «Mécanisme de Moscou» afin d’établir
une mission d’experts pour examiner les rapports crédibles faisant
état d’abus et de violations des droits humains, y compris de fraude
électorale, au Bélarus. Wolfgang Benedek (Autriche), le rapporteur
de l’OSCE, a déjà pris contact avec moi en vue de développer notre
coopération. Entre-temps, il a participé, avec d’autres experts,
à l’audition organisée lors de notre réunion de commission du 8
décembre 2020.
1.3. Objectif
du présent rapport
9. Les signataires de la proposition
de résolution à la base de mon mandat estiment que «les auteurs
des graves violations des droits de l'homme dans le contexte de
la récente élection présidentielle doivent rendre des comptes. Un
signal clair doit être envoyé à tous les membres des forces de sécurité
bélarusses pour leur faire comprendre qu'il n'y aura pas d'impunité
pour les graves violations des droits de l'homme. C'est pourquoi le
Conseil de l'Europe, en coopération avec d'autres organisations
internationales, devrait, d’urgence, mettre en place un organe d'enquête
international chargé de recueillir des informations et des preuves
sur les crimes contre les droits de l'homme au Bélarus. Les autorités
du Bélarus et les représentants de la société civile seront invités
à coopérer à cette enquête. Ses résultats seront publiés et mis
à la disposition de tout organe national ou international chargé
de l'application de la loi qui souhaite engager des poursuites contre
les auteurs des violations massives des droits de l'homme commises
au Bélarus et qui est compétent pour le faire.»
10. L’objectif de ce rapport est donc clair: faire la lumière
sur les violations des droits humains évoquées ci-dessus et envoyer
un message fort aux auteurs et commanditaires de violations graves
de ces droits en leur rappelant que leurs agissements violent les
droits et libertés les plus fondamentales et qu’ils devront répondre de
leurs exactions. C’est également un message adressé au peuple du
Bélarus afin de le soutenir dans son combat pour la démocratie et
la protection des droits humains. La communauté internationale n’acceptera
pas l’impunité des auteurs des exactions, comme en atteste l’absence
totale de poursuites pénales à leur encontre. Ce message nécessaire
doit aboutir à la création d’un mécanisme international approprié
capable d’aider la justice nationale, là où c’est possible, ou de
faire usage d’autres instruments de lutte contre l’impunité, tels
que les «lois Magnitski» adoptées dans de nombreux pays ainsi que
par l’Union européenne ces dernières années.
2. Résumé des informations disponibles
sur les allégations de violations des droits humains depuis l’élection
présidentielle du 9 août 2020
2.1. Vue
d’ensemble
11. Depuis l’annonce du résultat
contesté de l’élection présidentielle du 9 août 2020, les forces
spéciales du ministère de l'Intérieur (OMON) ont été déployées pour
disperser les manifestations massives et pacifiques qui se sont
déclarées par la suite. Les OMON ont eu recours de manière disproportionnée
et injustifiée à la force physique, aux équipements spéciaux et
aux armes non létales, mais néanmoins dangereuses selon leur usage (canons
à eau, matraques, grenades assourdissantes et grenades éclair, balles
en caoutchouc). En conséquence, de nombreuses personnes ont été
blessées. Au moins deux manifestants ont été tués par une action
directe de la police et deux autres sont morts à la suite de leur
détention
. M. Loukachenko aurait même autorisé
l’utilisation par ses forces de l’ordre d’armes à balles réelles
. Le 12 août 2020, le ministère de
la Santé a indiqué qu’en deux jours de manifestations, un peu plus
de 200 personnes blessées avaient été emmenées dans des hôpitaux
et que plusieurs d'entre elles ont dû être opérées
.
12. Au cours du mois d’août 2020, plus de 7 500 personnes ont
été arrêtées pour avoir participé à des manifestations pacifiques.
Des détentions ont eu lieu dans presque toutes les villes du pays.
Plusieurs personnes ont été détenues au secret pendant plusieurs
jours. Les organisations bélarusses de défense des droits humains
ont enregistré et documenté plus de 500 cas de torture et d’autres
traitements cruels ou inhumains, indiquant leur utilisation massive
et systématique
. En septembre 2020, plus de 3 500
personnes ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations,
dont plus de 2 700 ont été placées en détention
.
13. Les défenseurs des droits humains affirment que, du 9 au 14
août 2020, des actes qu’ils qualifient de «crimes contre la sécurité
de l'humanité» se sont répandus dans tout le pays, dont la détention
et l'enlèvement de personnes en raison de leurs convictions politiques
, suivis de torture et d'autres mauvais
traitements interdits. Selon le Bureau du Haut Commissaire aux Droits
de l’Homme des Nations Unies, pendant plusieurs jours, à partir
du 9 août 2020, dans tout le pays, des agents des forces de l'ordre
ont commis des actes infligeant intentionnellement de graves blessures
aux personnes (manifestants, opposants politiques, spectateurs innocents,
passants, journalistes, blogueurs)
. Il est à noter enfin qu'à la fin
du mois d’août 2020, aucune des 2 000 plaintes
déposées au parquet
de Minsk et au Comité d'investigation
n'avait
fait l'objet de poursuites pour des actes de torture commis dans
les centres de détention provisoire
.
14. Voici quelques détails des actes de répression allégués, présentés
par «groupe cible»: les organisateurs principaux du mouvement d’opposition,
les avocats, journalistes, défenseurs des droits humains et enfin
tous les Bélarusses qui participent aux manifestations.
2.2. Allégations
de violations des droit humains, par groupes cibles
2.2.1. Prisonniers
et prisonnières politiques – persécution à motivation politique
des organisateurs principaux du mouvement d’opposition
15. Dès le 18 juin 2020, le candidat
potentiel à l’élection présidentielle
Viktor
Babaryko et son fils Eduard ont été arrêtés à Minsk.
Des perquisitions ont été effectuées dans leurs maisons pour des
motifs douteux. Viktor Babaryko et son fils font l’objet de poursuites
pénales en vertu de six articles du Code pénal (évasion fiscale,
blanchiment des produits du crime, détournement de fonds, fraude,
et corruption active et passive)
.
16. Le 24 août 2020, deux membres du «Conseil de coordination»,
destiné à promouvoir une transition pacifique du pouvoir,
Sergueï Dilevski et
Olga Kovalkova, ont été interpellés
pour avoir illégalement organisé une grève
.
17. Le même jour, le président du comité de grève d’une importante
usine d’État,
Alexandre Lavrinovitch, a
également été appréhendé par la police pendant qu’il collectait
des signatures en faveur d’un nouvel arrêt de travail. Le coprésident
du comité de grève d’une autre usine,
Anatoli
Bokoun, a aussi été interpellé
.
18. Le cofondateur du Parti de la démocratie chrétienne bélarusse,
Pavel Sevyarynets, avait déjà été arrêté
le 7 juin 2020. Après cela, au moins trois ordres de détention administrative
de 15 jours ont été émis à son encontre pour avoir participé à des
piquets pré-électoraux et des appels à participer à des événements
de masse. Le 1 septembre 2020, il été mis en accusation pour participation
à des émeutes de masse (article 293 du Code pénal), sous forme de
«participation directe dans des actions accompagnées de violences
contre la personne, de pogroms, d'incendie criminel, de destruction
de biens ou de résistance armée contre des représentants des autorités»
. M. Sevyarynets risque une peine
d'emprisonnement de trois à huit ans.
19. Le 31 août 2020,
Lilia Vlasova et
Vasily Polyakov, deux autres membres
du «Conseil de coordination» de l’opposition bélarusse, ont été
arrêtés. L’appartement de Lilia Vlasova a été perquisitionné
. Le 9 septembre, les avocats
Maxim Znak et
Ilya Salei, membres du bureau du
«Conseil de coordination», ont été arrêtés. Des perquisitions ont
également été effectuées dans leurs appartements.
20. Les autorités se servent aussi de l’expatriation sous la contrainte
des personnalités de l'opposition du pays. Cette tactique a été
utilisée pour la première fois en août 2020, contre la candidate
principale de l’opposition à la présidence,
Svetlana
Tikhanovskaya . Dans la nuit du 5 au 6 septembre
2020,
Olga Kovalkova, membre
du bureau du «Conseil de coordination», qui purgeait une peine de
détention administrative au Centre d'isolement des délinquants pour
l’organisation d’une action non autorisée, a été expulsée de force
du Bélarus
. Elle vit actuellement à Varsovie.
Le 7 septembre 2020, dans le centre de Minsk, une autre membre du
bureau du «Conseil de coordination»,
Maria
Kolesnikova, a été enlevée
. Elle a été amenée de force à la
frontière bélarusse-ukrainienne pour être expulsée du pays. Mme Kolesnikova
a déchiré son passeport au passage de la frontière et a ainsi empêché
les services spéciaux bélarusses de la faire sortir du pays
. Le même jour, l'attaché de presse
du «Conseil de coordination»,
Anton
Rodnenkov, et un autre représentant du «Conseil de coordination»,
I
van Kravtsov, ont été arrêtés.
Ils ont été amenés de force à la frontière bélarusse-ukrainienne
pour être expulsés du pays. Ils se trouvent actuellement en Ukraine.
21. Maria Kolesnikova, Maxim Znak et Ilya Salei sont actuellement
en détention provisoire en tant qu’accusés dans une affaire pénale
ouverte sur la base de la partie 3 de l'article 361 du Code pénal
(appel à des actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale
de la République du Bélarus).
22. Toutes les figures de l'opposition bélarusse se trouvent actuellement
détenues ou en exil à l'étranger. Le 10 octobre 2020, M. Loukachenko
s’est rendu dans une prison de Minsk pour une réunion avec des dirigeants
emprisonnés de l'opposition
. Lors de la réunion, il aurait évoqué
des propositions pour modifier la Constitution. Ses interlocuteurs
et interlocutrices lui auraient signalé que la prison n’était pas
un endroit approprié pour des négociations.
2.2.2. Persécution
des journalistes
23. Pendant les périodes électorale
et post-électorale, les médias, les journalistes et les blogueurs
ont fait l’objet d’une pression croissante. La grande majorité des
violations des droits des journalistes a eu lieu pendant la période
post-électorale. En 2020, l'Association bélarusse des journalistes
(ABJ) a enregistré plus de 400 cas de harcèlement de journalistes
en raison de leurs activités professionnelles
, dont plus de 186 détentions de journalistes
pendant la période du 9 août à mi-septembre
. Environ un journaliste sur trois
a été victime de violence pendant sa détention. L’ABJ a enregistré
des cas de torture et de mauvais traitement des journalistes, y
compris étrangers, après leur arrestation, des cas d’endommagement
ou de saisie de matériel, de suppression de métrages, de coups,
de tirs de balles en caoutchouc; 24 journalistes ont été détenus
et condamnés à une détention administrative pour une durée de 3
à 15 jours et à des amendes.
24. Le 10 août 2020, un employé de TUT.BY
,
Nikita
Bystrik, a été arrêté et battu. À la suite des violences policières,
il a souffert de fractures du crâne et d’une côte et de nombreuses
ecchymoses. Aucune assistance médicale ne lui a été fournie, y compris
le lendemain. Il n’a reçu aucune nourriture pendant 2 jours, et
avait rarement accès aux toilettes
.
25. Les autres violations de la liberté d'expression liées aux
élections comprennent:
- le blocage
d'internet dans tout le pays les premiers jours après l'élection
et des coupures régulières lors des manifestations de masse;
- les restrictions d'accès aux sites d’événements;
- une interdiction tacite de l'impression et de la distribution
de plusieurs revues et journaux nationaux;
- le refus des demandes d'accréditation de journalistes
étrangers;
- l’annulation de l'accréditation permanente des journalistes
étrangers;
- les menaces du ministre des Affaires étrangères concernant
le fonctionnement des médias étrangers accrédités en réponse à d'éventuelles
sanctions européennes contre des représentants du Bélarus.
2.2.3. Harcèlement
et poursuites contre les défenseurs des droits humains
26. Dès le jour de l’élection,
sept membres des sections régionales du Centre des droits de l’homme
Viasna («Printemps») ont été arbitrairement détenus en raison de
leurs activités en faveur des droits humains
.
27. Le 31 août 2020, un volontaire de Viasna,
Pavel Garbuz, soupçonné d'avoir
participé aux manifestations du 9 au 11 août à Minsk, a été arrêté
et placé dans un centre de détention provisoire
. Il y a passé 10 jours, pendant lesquels
il a subi des pressions exercées par les agents de la Direction
principale de la lutte contre la criminalité organisée et la corruption
(GUBOPiK) du ministère de l'Intérieur. Il a le statut de suspect
dans le cadre d’une affaire pénale selon la partie 2 de l'article
293 du Code pénal.
28. Le 17 septembre 2020, des agents du GUBOPiK ont arrêté la
coordinatrice du service des volontaires de Viasna,
Marfa Rabkova, ainsi que son mari,
qui a par la suite été libéré
. Elle est actuellement détenue dans
une maison d’arrêt à Minsk. Mme Rabkova
est accusée d’un crime selon la partie 3 de l'article 293 du Code
pénal (formation ou autre préparation de personnes en vue de participer
à des émeutes, ou financement de telles activités). Dans le cadre
de son travail pour Viasna, Mme Rabkova,
avec des volontaires, a observé des rassemblements pacifiques, a
pris une part active dans la campagne d'observation indépendante
de l’élection intitulée «Les défenseurs des droits humains pour
des élections libres», et a participé à la documentation des preuves
de torture et d'autres traitements sévères infligés aux personnes
détenues. Le 18 septembre, Amnesty International a reconnu Marfa
Rabkova comme prisonnière d'opinion en raison de son travail de
défense des droits humains
. Le Conseil de Viasna considère les
poursuites pénales contre Marfa Rabkova comme une persécution et
une pression sur le Centre des droits de l’homme Viasna dans son ensemble.
2.2.4. Persécution
des avocats
29. Les avocats défendant des militants
civiques et des opposants au gouvernement actuel seraient également
cibles de poursuites pénales à motivation politique et d’autres
formes de harcèlement, notamment par le retrait de la licence d’avocat.
30. Maksim Znak, l’avocat
de Viktor Babaryka, candidat à l’élection présidentielle, ainsi
que l’avocat de Maria Kolesnikova,
Ilya
Salei (voir ci-dessus), seraient actuellement en détention.
Ludmila
Kazak, également avocate de Maria Kolesnikova, a été
détenue et par la suite déclarée coupable en vertu de l'article 23.4
du Code des infractions administratives. Elle a été condamnée à
une amende
. Les avocats rencontreraient
des difficultés pour avoir accès à leurs clients dans des conditions
garantissant le secret professionnel et aux procédures les concernant.
2.2.5. Violations
des droits humains à l’encontre de simples manifestants pacifiques
31. Plusieurs actions de contestation
ont été menées contre la falsification de l’élection et la dispersion violente
des manifestations pendant la période post-électorale. Tous les
dimanches des mois de septembre et octobre 2020, des manifestations
réunissant des dizaines de milliers de participants ont eu lieu,
et à chaque fois, des centaines de personnes ont été arrêtées. Les
manifestants ont été condamnées à de lourdes amendes et à des peines
de détention administrative. Selon le rapport public rédigé conjointement
par les principales organisations de défense des droits humains,
de nombreuses personnes auraient aussi subi des actes de torture,
des traitements cruels, inhumains ou dégradants (voir ci-dessous),
y compris des enfants mineurs
.
32. Voilà quelques informations concernant les différentes «marches»
organisées par la société civile, dont:
- la «Marche de l’unité» du 6 septembre 2020, à Minsk et
dans d’autres régions;
- la «Marche des héros» du 13 septembre 2020 (774 arrestations);
- la «Marche de la justice» du 20 septembre 2020;
- «L’Inauguration du peuple» du 27 septembre 2020 qui s’est
tenue en parallèle avec l’investiture furtive de M. Loukachenko;
- des actions de contestation lancées par des étudiants
ont conduit à plus de 150 interpellations; 55 des interpellés se
sont retrouvés dans des maisons d’arrêt .
- des «Marches des femmes» ont eu lieu les 5, 12, 19 et
26 septembre 2020, avec des centaines d’arrestations;
- la «Marche pour la libération des prisonniers et prisonnières
politiques» a eu lieu le 4 octobre 2020 dans plusieurs villes du
pays. 252 personnes ont été arrêtées .
- La «Marche des fiertés» du 11 octobre 2020 s'est déroulée
sous une forte pression des forces de sécurité: canons à eau, gaz
lacrymogènes, grenades assourdissantes et balles en caoutchouc ont
été utilisés contre les manifestants. Plus de 600 personnes ont
été arrêtées .
- La «Marche des retraités» du 12 octobre 2020 à Minsk a
rassemblé plus d'un millier de personnes. La marche s'est terminée
par un affrontement avec les forces de sécurité qui ont utilisé
des cartouches à bruits éclairs et du gaz poivre .
- La «Marche des personnes handicapées» le 15 octobre 2020
à Minsk a réuni une centaine de manifestants. Au moins deux personnes
ont été arrêtées, parmi lesquelles Oleg
Grablevsky, employé du Bureau des droits des personnes
handicapées .
- Des dizaines de milliers de personnes ont de nouveau défilé
dans les rues au Bélarus le 18 octobre 2020, malgré la menace de
tirs à balles réelles de la police, qui a interpellé plus de 200 manifestants .
33. Selon le ministère de l'Intérieur, au moins 3 500 manifestants
ont été arrêtés au cours du seul mois de septembre, dont environ
2 700 ont été soumis à une longue détention administrative dans
des maisons d’arrêt. La force physique et du matériel spécial, notamment
gaz lacrymogène et canons à eau, ont été utilisés contre des manifestants,
mêmes fragiles.
34. Les victimes de mauvais traitements témoignent qu’elles ont
été sévèrement battues à coups de matraque au cours de leur arrestation,
dans le véhicule pénitentiaire et à leur arrivée au service de police
ou au centre de détention provisoire. Les gens étaient maintenus
au sol agenouillés, debout contre un mur ou allongés en rangées.
Les nouveaux arrivants ont été forcés de marcher sur ceux qui gisaient
au sol. Les personnes détenues ont passé 6 à 12 heures sans pouvoir
aller aux toilettes et sans eau ni nourriture. Certaines personnes
sont restées dans des véhicules de transport de prisonniers dans
une position exiguë pendant plus de 6 heures. Selon les témoignages
de personnes blessées, dans les centres de détention provisoire,
des personnes qui portaient des t-shirts avec l’inscription Pagonya («Poursuite») ont été aspergées d'eau
et frappées avec des pistolets paralysants, certaines personnes
ont été forcées d’avaler leurs bracelets blancs. L’association Zvyano,
qui a eu des entretiens avec les victimes de mauvais traitements,
allègue l’utilisation d'injections intramusculaires de sulfozinum
chez des ressortissants étrangers, afin de ne pas laisser de traces
de coups, ainsi que de médicaments psychotropes. De nombreuses personnes
ont fait état de menaces de meurtre et de viol, et d’avoir été forcées
à se déshabiller et se mettre par terre. Selon plusieurs témoignages,
les forces de sécurité se sont entraînées à battre des gens «selon
les instructions»: l'un tenait le détenu ou la détenue, l'autre
lui disait comment positionner la personne pour mieux la battre.
Des prisonniers et prisonnières étaient de temps en temps battus
sans raison. Pendant les deux premiers jours, les détenus ne recevaient
pas de nourriture, puis on leur donnait du pain et de la bouillie
une fois par jour et en quantité insuffisante. 40 à 50 détenus étaient
placés dans des cellules conçues pour 8 à 10 personnes.
35. Enfin, parmi les violations des droits humains alléguées au
Bélarus depuis la dernière élection présidentielle et qui frappent
quasiment toute la population adulte du pays, figurent évidemment
les manipulations du vote lui-même et du décompte des voix. Mais
la question de savoir si le résultat de cette élection doit être
rejeté et s’il faut une nouvelle élection, et dans quelles conditions,
n’est pas de la compétence de notre commission.
2.3. Les
violations des droits humains confirmées par l’audition du 8 décembre
2020
36. Lors de sa réunion du 8 décembre
2020, la commission a tenu une audition avec la participation de:
- M. le professeur Wolfgang Benedek
(Autriche), rapporteur spécial, mécanisme de Moscou de l’OSCE,
- M. Valentin Stefanovich, Membre du Bureau, Centre des
droits de l’homme Viasna,
- Mme Svetlana Tikhanovskaya,
Leader de Bélarus Democratique,
- Mr Aleh Hulak, Président du Comité Helsinki du Bélarus,
Minsk.
37. Les autorités bélarusses ont
été invitées à désigner un représentant pour présenter le point
de vue officiel, sans pour autant saisir cette occasion.
38. Le Professeur Benedek a
expliqué le fonctionnement du «mécanisme de Moscou». Un rapport
de l’OSCE d’octobre 2020 a confirmé les allégations de fraude électorale
ainsi que les nombreuses violations des droits humains (cas de détention
arbitraire, cas de torture, persécutions des journalistes, coupures
d’Internet, etc.). Ce rapport contient des recommandations aux autorités
bélarusses: organiser de manière équitable une nouvelle élection
présidentielle, cesser les violations des droits humains des manifestants
et les représailles contre les grévistes, les avocats et les journalistes,
libérer les personnes détenues de manière arbitraire et assurer
le droit à un procès équitable et l’accès à internet. L’expert a
estimé que la Commission de Venise pourrait conseiller les autorités
bélarusses quant à la mise en œuvre des réformes démocratiques et
qu’une enquête internationale devait être menée pour élucider les
circonstances des violations des droits humains et en finir avec
l’impunité des auteurs. Il a souligné la nécessité d’une collaboration
internationale sur la question de la responsabilité des auteurs
des violations des droits humains.
39. M. Stefanovich a indiqué
que la situation des droits humains se dégradait, avec plus de 4 000 personnes
arrêtées après les dernières manifestations. Environ 500 personnes
ont été placées dans des centres de détention, pour des motifs politiques.
Il a souligné que les manifestations sont pacifiques. Son organisation
fait un travail de documentation sur les victimes de violations
des droits humains et n’a recours qu’à un nombre limité de mécanismes
internationaux, dont le rapporteur spécial de l’ONU, que les autorités
ne reconnaissent pas, et l’Examen périodique universel, dont l’efficacité
dépend de la bonne volonté des autorités. Les autorités rejettent
également le mécanisme de Moscou.
40. Mme Tsikhanouskaya estime que le Conseil
de l’Europe a réagi rapidement aux événements dans son pays. Depuis
septembre 2020, la situation ne s’est pas améliorée, avec plus de
1 500 cas de torture, environ 160 prisonniers politiques et une
utilisation massive de gaz lacrymogènes par la police. Mme Tsikhanouskaya a
salué les propositions du Professeur Benedek, le rapport de l’OSCE
et le travail de documentation de Viasna. Elle a souligné la nécessité
d’instaurer un mécanisme basé sur le principe de la juridiction
universelle pour juger les auteurs des violations des droits humains
et indiqué qu’elle travaille déjà sur ce sujet en coopération avec
les autorités lituaniennes.
41. M. Hulak a également
indiqué que la situation s’aggrave au Bélarus. Il n’y a pas eu d’enquêtes
pénales sur les violations des droits humains. Les manifestants
se sont vus infliger des amendes ou ont été placés en détention
provisoire. Suite aux violations du droit électoral, les institutions
publiques ont perdu leur légitimité. La Commission de Venise est
le seul organe du Conseil de l’Europe avec lequel les autorités
bélarusses coopèrent. M. Hulak a exprimé l’espoir que le Conseil
de l’Europe élaborera des normes permettant d’établir un mécanisme
judiciaire pour enquêter sur les violations des droits humains,
avec certains pays voisins du Bélarus (notamment la Pologne, la
Lituanie et la Lettonie). Il a rappelé que tous les droits sont
indivisibles. Alors que l’économie se détériore au Bélarus, les
grévistes sont punis et les travailleurs partent dans d’autres pays.
Ainsi, les droits économiques sont également remis en cause. Son
organisation a présenté son point de vue auprès des parlementaires
après l’élection présidentielle. Les autorités ont proposé des réformes constitutionnelles,
mais leurs propositions ne sont pas basées sur un dialogue avec
la société
.
2.4. La
campagne de répression continue en 2021
42. Le 17 février 2021, deux journalistes
de Belsat TV,
Kaciaryna Andrejeva (Bachvalava) et
Darja Čuĺcova, ont été condamnées
à 2 ans de prison pour atteinte grave à l’ordre public – pour avoir
transmis en direct des images d’une manifestation d’opposition et
sa répression brutale par les forces de l’ordre
.
43. Le 16 février 2021, de nombreux activistes, dont des défenseurs
des droits humains
, des
avocats, des journalistes
et
des observateurs d’élection indépendants
ont
été détenus, leurs bureaux et logements perquisitionnés et leur
matériel technique confisqué. Cette campagne d’intimidation n’a
pas épargné l’association de défense des droits humains bien connue
Viasna, dont le Président, Aleh Bialiatski, est lauréat du prix
Václav Havel de l’Assemblée et le Vice-Président, Valentin Stefanovich,
a participé à l’audition organisée par notre commission le 8 décembre
2020.
44. Le 15 février 2021, j’ai reçu des informations particulièrement
importantes sur la répression des organisations de la jeunesse au
Bélarus. La présidente du Conseil consultatif sur la jeunesse du
Conseil de l’Europe m’a informée des activités visant à soutenir
le Conseil national de la jeunesse du Bélarus (RADA – une coalition
de 28 organisations de jeunesse) et des répressions auxquelles sont
exposées les initiatives des jeunes au Bélarus. Le président de
notre commission, Boris Cilevičs, s’est également impliqué dans
ces efforts en participant à un débat en ligne avec de jeunes militants
du Bélarus.
45. Fin janvier 2021, RADA a fourni de plus amples informations
sur les violations des droits humains des jeunes militants bélarusses:
une partie de leur équipe a dû quitter le pays et ne peut pas revenir
au Bélarus; un membre proche de la famille du secrétaire général
a été arrêté une deuxième fois; neuf étudiants, représentants d'une
organisation membre de RADA, l'Association des étudiants bélarusses,
ont été incarcérés dans une prison du KGB; cette même organisation
et le Groupe d'initiative des étudiants ont recueilli des preuves
de la détention de 399 étudiants et de expulsion de 131 autres en
2020.
46. RADA fait tout son possible pour informer la communauté internationale
de la situation dans le pays, y compris en adressant des communications
au rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de
l'homme au Bélarus et à d'autres représentants des Nations Unies,
des informations qu’ils ont également partagées avec moi.
47. En somme, c’est bien de la jeunesse que doit venir le changement
au Bélarus, c’est leur avenir qui est en jeu, c’est leur énergie
et leur créativité qui fait peur au régime. Les jeunes Bélarusses
méritent tout notre soutien, y compris par des bourses d’études
à l’étranger pour les étudiants expulsés des facultés dans leur pays.
48. Le 11 février 2021,
Maria Rabkova,
activiste de Viasna qui a documenté de nombreuses violations des droits
humains, dont des actes de torture, et qui est en détention depuis
le 17 septembre 2020 (voir ci-dessus, paragraphe 28), a été accusée
de nouveaux crimes, y compris de liens avec des activités terroristes.
Elle risque jusqu’à 12 ans de prison. Il est à noter que ces accusations
ont été lancées quelques heures seulement après la publication par
la télévision d’État d’un reportage faisant un lien entre Viasna,
Mme Rabkova et des activités terroristes
présumées. D’autres membres de Viasna sont également poursuivis
en justice sur la base d’articles peu clairs du Code pénal bélarusse,
y compris
Leanid
Sudalenka, Maria Tarasenka,
Tatsiana Lasitsa, Maryna
Kastylianchanka et
Aliaksandr
Paplauski .
49. Le 3 février 2021,
Siarhei Drazdouski et
Aleh Hrableuski, respectivement
directeur-fondateur et conseiller juridique du Bureau pour les
droits des personnes handicapées, ont été arrêtés et placés en détention
(M. Hrableuski) et assignés à résidence (M. Drazdouski) après la
perquisition du siège de cette ONG. Leur détention serait liée à
leur implication dans l’organisation des «marches des personnes handicapées»
des 15 et 22 octobre 2020. Le 6 février 2021, des organisations
locales des droits humains les ont reconnus comme prisonniers politiques
.
50. En décembre 2020, j’ai été informé du calvaire d’un autre
journaliste,
Mikola Dziadok, qui
aurait été arrêté le 12 novembre 2020 et torturé en prison à plusieurs
reprises. Lauréat de plusieurs prix internationaux, il aurait déjà
passé du temps en prison au Bélarus, et obtenu le soutien de plusieurs
membres du Parlement européen en tant que prisonnier politique
.
2.5. L’avis
de la Commission de Venise: des lois contraires aux obligations
internationales du Bélarus
51. Ce sont les poursuites décrites
ci-dessus et celles d’autres opposants au régime basées sur des
articles du Code pénal bélarusse peu clairs et prévoyant, semble-t-il,
des peines disproportionnées qui ont motivé la demande d’avis que
notre commission a adressée à la Commission de Venise le 8 décembre
2020, sur ma proposition. La demande d’avis porte sur la compatibilité
de certains articles du Code pénal bélarusse avec les principes
européens en matière de législation pénale
.
52. La Commission de Venise réitère d’abord ses recommandations
déjà exprimées dans un avis conjoint avec le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE de 2012
par rapport à la «Loi sur les événements de masse»
qui prévoit
une réglementation des manifestations administrativement lourde
et restrictive, avec des sanctions disproportionnées en cas de non-respect
. La Commission
de Venise reste préoccupée par la sur-règlementation des aspects
procéduraux de la tenue d’assemblées. «Le droit interne crée une
procédure compliquée de respect d'une procédure d'autorisation rigide
et difficile, tout en laissant aux autorités administratives une
très large marge d'appréciation pour l'application de la législation
en vigueur. Concrètement, cela peut signifier que les manifestations
ou contre-manifestations pacifiques spontanées sont de fait interdites.
En ce qui concerne les dispositions (d'application) du droit pénal,
certaines des principales préoccupations de la Commission de Venise
sont la criminalisation des manifestants non violents; l'application
de certaines dispositions en raison de l'utilisation de notions vagues;
la responsabilité (pénale) des organisateurs d'une manifestation
en raison d'actes imputables aux participants; et la sévérité (et
le manque de clarté) des peines prévues par le Code pénal.»
53. En ce qui concerne la notion d’appel public au renversement
violent de l’ordre constitutionnel (article 361.1 du Code pénal),
celle-ci se prête à une interprétation contraire aux normes internationales
en matière de liberté d’expression et de réunion. La Commission
de Venise
s’inquiète
notamment de l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle
du Bélarus selon laquelle le vote lui-même est une institution démocratique
que seuls les juges électoraux peuvent mettre en cause. Dans cette
logique, les appels du «Conseil de coordination», sous l’égide de
Mme Tsikhanouskaya, à manifester de manière
pacifique contre la fraude électorale lors de l’élection présidentielle
de 2020 seraient alors lourdement pénalisés; effectivement, de telles
poursuites contre des membres du «Conseil de coordination» ont déjà
été lancées
.
54. Il convient enfin de souligner que les conclusions de la Commission
de Venise ne sont pas basées uniquement sur la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) et la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg, sachant que le Bélarus est
candidat à l’adhésion au Conseil de l’Europe, mais aussi sur l’article 21
du Pacte international relatif aux droit civils et politiques qui
est entré en vigueur au Bélarus en 1973 ainsi que sur l’avis conjoint
avec l’OSCE/BIDDH sus-mentionné ainsi que les «Lignes directrices
communes sur la liberté de réunion pacifique» formulées conjointement
par la Commission de Venise et le BIDDH
, et qui, sans être juridiquement
contraignants, sont applicables au Bélarus sur la base de ses engagements
politiques en tant qu’État participant de l’OSCE.
2.6. De
nouveaux rapports détaillent des cas de torture et confirment l’impunité
de leurs auteurs
55. Le 26 janvier 2021, les ONG
Comité contre la Torture (Nizhny Novgorod, Russie) et Organisation Mondiale
contre la Torture ont publié un rapport détaillant des cas de torture
et de traitements inhumains et dégradants commis par les membres
des forces de sécurité et les stratagèmes utilisés par les autorités
pour assurer l’impunité totale des auteurs de ces exactions
. D’autres rapports importants ont
été publiés par Viasna
et Human Rights Watch
. A mon avis, ces rapports, basés
sur des recherches sur place et des interviews avec de nombreux
témoins et victimes, viennent étayer davantage le besoin urgent
d’un mécanisme international pour combattre l’impunité des auteurs
de telles violations. Les preuves collectées par les ONG, même si
elles ne peuvent pas être rendues publiques dans les rapports précités
pour des raisons de sécurité, existent bel et bien et pourraient
être mises à disposition d’un tel mécanisme international avec les
précautions nécessaires.
3. La
première urgence: libérer les prisonniers politiques
56. Dans sa
Résolution 1900 (2012), l’Assemblée réaffirmait la définition de «prisonnier
politique» déjà appliquée par le Comité des Ministres lors de l’adhésion
de l’Arménie et de l’Azerbaijan au Conseil de l’Europe. Cette définition
est résumée ainsi dans le paragraphe 3 de ladite résolution:
«Une
personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée
comme un «prisonnier politique»:
a. si la détention a été imposée
en violation de l’une des garanties fondamentales énoncées dans
la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et ses protocoles,
en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion,
la liberté d’expression et d’information et la liberté de réunion
et d’association;
b. si la détention a été imposée pour des raisons purement
politiques sans rapport avec une infraction quelle qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques, la durée de la détention
ou ses conditions sont manifestement disproportionnées par rapport
à l’infraction dont la personne a été reconnue coupable ou qu’elle
est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques, la personne est détenue
dans des conditions créant une discrimination par rapport à d’autres
personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement d’une procédure qui
était manifestement entachée d’irrégularités et que cela semble
être lié aux motivations politiques des autorités.» (SG/Inf(2001)34,
paragraphe 10).
57. Le Bélarus n’est pas un État
Partie à la Convention européenne des droits de l’homme. Celle-ci
est néanmoins le cadre de référence approprié pour l’application
de la définition de prisonnier politique au Bélarus, car elle contient
essentiellement les mêmes droits que le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques des Nations Unies, signé et ratifié
par le Bélarus.
58. Les différentes catégories décrites ci-dessus de personnes
ayant perdu leur liberté à cause de leur activisme rentrent aisément
dans cette définition.
59. Les manifestants pacifiques mis en détention pour avoir simplement
exercé leurs libertés d’expression, d’association et de réunion
remplissent toutes les conditions du paragraphe 3.a. de cette définition.
La violation de la liberté d’expression, d’association et de réunion
y est d’ailleurs expressément mentionnée.
60. De même, les journalistes, défenseurs des droits humains et
avocats poursuivis pour des crimes mal définis dans le Code pénal
et qui criminalisent des comportements faisant partie de l’exercice
normal des droits fondamentaux dans une démocratie relèvent du paragraphe
3.a.
61. Les cas où des opposants sont poursuivis pour des crimes de
droit commun (donc des crimes dont la définition n’a pas de connotation
«politique» ouverte, comme la fraude, les crimes violents et/ou
sexuels etc.), mais sur la base d’accusations inventées de toute
pièce, sans preuves crédibles, correspondent au paragraphe 3.b.
Cela semble être le cas du candidat à la présidentielle,
Viktar Babaryka ,
ainsi que ceux des manifestants pacifiques accusés de violences.
62. Enfin, dans un grand nombre de cas, on peut aussi faire référence
au paragraphe 3 de la
Résolution 1900 (2012). C’est le cas notamment dans les affaires où
les accusés n’ont pas eu accès à un avocat, ou celles où de nouveaux
chefs d’accusation sont ajoutés pour justifier une prolongation
de la détention provisoire au-delà des délais légaux. Nous avons
déjà rencontré un certain nombre d’affaires de ce type, par exemple
celle de la défenseure des droits humains de Viasna,
Maria Rabkova.
63. Il va de soi que toutes les personnes qui ont perdu leur liberté
et qui répondent à la définition de prisonniers politiques de l’Assemblée
doivent être libérées sans délai. Vu les conséquences graves de
toute privation de liberté pour les prisonniers et prisonnières
ainsi que pour leurs familles, cela doit être notre première urgence.
4. La
deuxième urgence: combattre l’impunité pour dissuader de nouvelles
violations
64. Toutes nos sources confirment
qu’à ce jour, aucun des policiers anti-émeutes violents n’a été
poursuivi, malgré les nombreuses preuves collectées et publiées
par les ONG, y compris les identités des responsables présumés.
Dans l’affaire du manifestant mort en détention, Raman Bandarenka,
ce ne sont ni les policiers ni les gardiens de prison qui sont poursuivis,
mais la journaliste,
Katsyarina Barysevich, qui a enquêté
sur cette affaire, et le médecin traitant de M. Bandarenka,
Artsyom Sarokin. Mme Barysevich
et M. Sarokin sont accusés d’avoir rendu publiques des données personnelles,
malgré le fait que la mère de M. Bandarenka les a bien autorisés
à rendre publiques les informations sur l’état de santé et les blessures
de son fils
.
65. Face au manque de volonté des autorités nationales, les instruments
internationaux font également défaut: le Bélarus, bien qu’étant
partie contractante, depuis le temps de l’Union soviétique, de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains et dégradants des Nations Unies (UNCAT), n’a pas signé
le Protocole facultatif de cette Convention, qui permet des plaintes
individuelles. De même, le Bélarus ne fait pas partie de la Convention
européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (STE no 126),
bien que, sur invitation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe,
le Bélarus pourrait accéder à cette convention avant même d’adhérer
au Conseil de l’Europe. Le Bélarus n’a pas non plus adhéré au Traité
de Rome établissant la Cour pénale internationale. Les autorités bélarusses
ne coopèrent pas non plus avec les rapporteurs spéciaux compétents
des Nations Unies, ni avec celui du mécanisme de Moscou de l’OSCE,
Wolfgang Benedek.
66. Pour certains crimes particulièrement graves, dont la torture,
les autorités pénales d’autres États que celui de la nationalité
du suspect ou de la victime présumée ou encore du lieu du crime
peuvent se saisir d’une affaire sur la base de la «compétence universelle»,
prévue expressément par l’article 5 paragraphe 2 de l’UNCAT selon
la législation nationale. Pour mieux évaluer la portée pratique
potentielle de cette possibilité, j’ai adressé un questionnaire
à tous les parlements européens via le Centre Européen de la Recherche
et de Documentation Parlementaires (CERDP). J’ai demandé si la législation
nationale permettait de poursuivre pénalement les auteurs présumés
d’actes de torture commis au Bélarus, par un citoyen bélarusse et
ayant comme victimes des citoyens bélarusses. J’ai reçu plus de
trente réponses, dont une grande partie étaient négatives. La législation
de certains pays ne prévoit simplement pas de compétence juridictionnelle
pour un crime commis à l’étranger – sauf si l’auteur ou la victime
ont leur nationalité ou si des intérêts nationaux sont en jeu. D’autres
réponses étaient affirmatives, mais la compétence internationale
de leurs autorités est soumise à la condition que l’auteur présumé
se trouve sur le territoire national, soit temporairement (Albanie, Allemagne
, Géorgie, Royaume Uni), soit
comme résidant de longue durée (France, Espagne). D’autres réponses
indiquent que la possibilité de telles poursuites existe bien en
droit, en théorie, mais que pour des raisons pratiques, elles sont
peu probables (Irlande). Le seul pays qui a indiqué que de telles
poursuites sont déjà en cours est la Lituanie, que je tiens à féliciter
ici.
67. Fidèle à l’article 5.2 de l’UNCAT, de nombreux pays ont bel
et bien créé la possibilité juridique d’agir, notamment en cas d’impossibilité
de faire extrader le suspect – comme ce serait le cas d’un citoyen
bélarusse qui bénéficie de l’impunité dans son pays, lequel ne demandera
donc pas son extradition. Dans ces pays, les raisons de l’inaction
sont plutôt de nature pratique. La loi permet bien les poursuites
contre un tortionnaire présumé qui se trouve sur le territoire national.
Mais quand les autorités compétentes ne sont pas au courant qu’une
telle personne se trouve sur le territoire national, elles sont
dans l’incapacité pratique d’agir.
68. A mon avis, cette incapacité n’est pas irrémédiable. C’est
ici qu’un mécanisme international, même modeste, peut venir à la
rescousse. Un mécanisme tel que la «plate-forme de coordination»
proposée au sein du Parlement européen, pourrait collecter et évaluer
les informations pertinentes, avec la participation de la société
civile et des acteurs internationaux compétents, comme le Conseil
de l’Europe, l’OSCE et les rapporteurs spéciaux onusiens, et les
mettre à la disposition des autorités nationales des pays ayant
mis en place une compétence universelle pour des cas de torture
sous condition que les auteurs présumés se trouvent sur le territoire
national. Une liste fournie par la plate-forme à tous les États
intéressés de personnes suspectées d’être impliquées dans des actes
de torture permettrait de les appréhender dès qu’elles traversent la
frontière; et les informations et preuves collectées et évaluées
par la plate-forme pourraient aider les autorités nationales à conduire
des enquêtes ciblées. En attendant, l’existence même de telles listes
enverrait un signal fort aux auteurs passés, présents et futurs
de tels actes.
69. Cette manière de combattre l’impunité ne peut fonctionner
que dans les cas les plus graves de violations des droits humains
pouvant être classées d’actes de torture ou de peines ou traitements
inhumains et dégradants et qui tombent par conséquent sous le coup
de l’article 5.2 de l’UNCAT.
70. Mais pour d’autres violations des droits humains, comme la
privation arbitraire de liberté, ou les coups et blessures n’atteignant
pas le seuil de la torture, il y a également un instrument potentiel
pour faire rendre des comptes à leurs auteurs présumés: les «lois
Magnitski»
adoptées
dans de nombreux pays permettant d’infliger des sanctions «ciblées»
ou «intelligentes» (par exemple, des interdictions de visas, ou
le gel de comptes bancaires ou d’autres avoirs) aux auteurs de violations
graves des droits humains jouissant de l’impunité dans leurs pays
d’origine, pour des raisons politiques ou de corruption.
71. L’Assemblée a elle-même a recommandé l’adoption de telles
lois aux États membres du Conseil de l’Europe
. Les États-Unis et le Canada l’ont
déjà fait. En Europe, des «lois Magnitski» ont été adoptées par les
trois États baltes, le Royaume-Uni et l’Ukraine. Un pas en avant
très important a été l’adoption, en décembre 2020, d’une telle législation
au niveau de l’Union européenne
. Là encore, la future «plate-forme de
coordination» peut s’avérer utile, en fournissant des noms de personnes
qui pourraient être incluses sur les «listes Magnitski» ainsi que
des informations fiables pouvant servir à étayer les accusations
contre les personnes en question.
5. L’abolition de la peine de mort –
une priorité constante
72. Le Bélarus est le seul État
du continent européen qui procède encore à des exécutions sur son
territoire. Bien qu'il ait pris des engagements internationaux en
ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
le 12 novembre 1973, il n'est pas partie à son deuxième protocole
facultatif du 15 décembre 1989
, visant à abolir la peine de mort.
73. A plusieurs reprises, le Conseil de l'Europe, y compris l'Assemblée,
ont condamné l'application de la peine de mort au Bélarus et ont
appelé à son abolition, en commençant par l'introduction d'un moratoire.
Le rapporteur général de l'Assemblée sur l'abolition de la peine
de mort, actuellement M. Vladimir Vardanyan (Arménie, PPE/DC), suit
de près la situation dans ce pays
.
74. En 2017, un groupe de travail chargé d'étudier la question
de l'abolition de la peine de mort a été créé au sein de l'Assemblée
nationale bélarusse, pour sensibiliser l'opinion publique à la nécessité
d'instaurer un moratoire, mais à ce jour, sans résultat tangible.
Selon des informations récentes, un ensemble d'amendements législatifs
supprimant la peine de mort du Code pénal est en cours d'élaboration
à l'initiative des organes chargés de l’application de la loi
.
75. L'abolition de la peine de mort reste également une priorité
dans les travaux actuels du Conseil de l'Europe sur la situation
au Bélarus après l’élection présidentielle du 9 août 2020. Si le
paquet législatif susmentionné parvient au Parlement bélarusse,
l’Assemblée devra s'en féliciter et encourager le parlement à l'adopter
sans délai.
6. Conclusions
76. Nous avons vu qu’il y a d’ores
et déjà de nombreux rapports crédibles et concordants que des violations graves
des droits humains se sont produites et continuent à se produire
– des violations du droit à des élections libres frappant tout le
peuple bélarusse; des violations de la liberté d’expression, d’information
et d’association de tous ceux et celles qui sont empêchés de manifester
pacifiquement et de s’informer dans des médias libres; des violations
du droit à la liberté et à la sûreté de tous ceux et celles qui
ont été arrêtés arbitrairement pour des périodes plus ou moins longues;
des violations du droit à un procès équitable de tous ceux et celles
qui sont soumis à une justice, tout porte à le croire, à la botte
du régime; et enfin des violations les plus graves, les tortures
et traitements inhumains ou dégradants déjà documentés par de nombreux
témoignages et photos; les «disparitions» temporaires de personnes
enlevées et incarcérées sans pouvoir contacter leurs proches; et
même des atteintes au droit à la vie.
77. Toutes ces violations ont bien des auteurs individuels et
des commanditaires qui ont ordonné ou pour le moins toléré ces exactions.
Les militants de la liberté ont eu recours à des méthodes parfois
peu orthodoxes pour démasquer les auteurs des pires exactions. Des
cagoules ont été enlevées, des identités ont été découvertes, des
preuves vidéo ont été collectées de manière courageuse. Les autorités
compétentes du Bélarus ne semblent clairement pas prêtes à faire
la justice dans leur pays. Il appartient donc à la communauté internationale
d’assurer que les violations des droits humains au Bélarus ne restent
pas impunies. C’est nécessaire par principe, au nom de la justice
universelle, et c’est nécessaire en tant que mesure préventive, pour
envoyer un signal fort à ceux qui commettraient des violations des
droits humains à l’avenir: qu’ils courent eux-mêmes un risque –
le risque d’être poursuivis en justice pour leurs méfaits ou pour
le moins de perdre la possibilité de voyager librement en Europe
et de profiter de leurs avoirs mal acquis.
78. Des possibilités réelles existent – notamment la compétence
universelle de nombreuses juridictions nationales, et les «lois
Magnitski» nationales et européenne. Leur efficacité peut être fortement
améliorée en ajoutant un outil de mécanisme international, sous
forme de la «plate-forme de coordination» imaginée au Parlement
européen qui collectionne, analyse et évalue les informations fournies
par la société civile bélarusse, avec la participation d’experts
des acteurs internationaux participants, parmi lesquels doivent figurer
le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, l’OSCE et les rapporteurs
spéciaux compétents des Nations Unies.