1. Remarques
liminaires
1. Parmi les nombreuses raisons
incitant l’Assemblée parlementaire à revenir régulièrement sur les différents
aspects de l’immunité parlementaire on peut citer la nécessité d’interpréter
des textes vieux de 70 ans au regard des réalités du travail actuel
de l’Assemblée et de préciser les modalités d’application pratique
de cette immunité. En outre, l’Assemblée suit de près l’évolution
des régimes d’immunité au niveau européen et conduit une réflexion
générale sur la manière dont la protection accordée pourrait s’avérer
une protection réellement efficace contre les risques politiques
existants, sans être détournée à des fins personnelles.
2. Les dernières résolutions de l’Assemblée
abordent
sur le plan théorique la question de l’application pratique des
immunités sur la base des études les plus récentes et de quelques
cas où les immunités des membres de l’Assemblée ont été remises
en cause
. Elles clarifient et consolident
le régime d’immunité et appelle les États membres à honorer leurs
obligations découlant des dispositions statutaires pertinentes.
3. Il est en effet de l’intérêt de l’Assemblée, en sa qualité
d’organe parlementaire, de garantir à ses membres une protection
fonctionnelle renforcée et cohérente face aux missions que les intéressés
sont appelés à remplir. La question des déplacements sans restriction
pour les besoins officiels de l’Assemblée (liberté de trajet) et
le niveau de protection accordé dans l’exercice des fonctions de
l’Assemblée (immunités) occupent une place importante dans cette
démarche.
4. En particulier, dans sa
Résolution 1325 (2003), l’Assemblée a souligné la nature évolutive des fonctions de
ses membres, laquelle impose une protection des déclarations faites
par les intéressés non seulement dans le cadre des débats tenus
dans l’hémicycle, mais aussi au cours des missions officielles effectuées
en dehors de cette enceinte. La
Recommandation 1602 (2003) abordait également de manière pertinente la question
de la liberté de déplacement, puisqu’elle a provoqué la reconnaissance
par les États membres du laissez-passer désormais délivré aux membres
de l’Assemblée.
5. Dans sa
Résolution 1490 (2006), l’Assemblée examinait la situation de membres se trouvant
dans l’incapacité d’exercer leur mandat européen en raison d’une
arrestation ou d’une détention. Elle a considéré que la lecture
combinée de l’article 15 de l’Accord général sur les privilèges
et immunités du Conseil de l’Europe (STE n° 2) et de l’article 3
de son Protocole additionnel (STE n° 10) confère une immunité de
base découlant d’un traité international et protégeant ses membres
contre l’arrestation et la détention, quel que soit leur pays d’origine.
L’Assemblée soulignait en outre que cette immunité ne saurait être
levée qu’avec son accord préalable. Aujourd’hui, on peut dire que
cette position a été pleinement confirmée
.
6. Dans sa
Résolution 2087 (2016) et sa
Recommandation 2083 (2016), l’Assemblée appelle à la mise en place d’un cadre de
protection uniforme pour les parlementaires se rendant à l’étranger
et à davantage de transparence et de sécurité juridique dans les
cas où un État membre, agissant dans le cadre de sa compétence et
ne contrevenant pas aux engagements internationaux qu’il a souscrits,
décide ou envisage d’imposer des mesures restrictives interdisant
l’entrée de parlementaires étrangers. Bien que le Comité des Ministres
ait exclu l’approche normative, il insiste sur le respect de l’obligation
en vigueur incombant aux États membres. Il approuve également l’appel
lancé par l’Assemblée aux États membres pour qu’ils envisagent d’accorder
des immunités et privilèges aux membres des délégations ayant le
statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès
de l’Assemblée parlementaire et qui participent à ce titre aux sessions de
l’Assemblée et aux réunions des commissions de celle-ci.
7. À la suite de l’adoption par l’Assemblée de sa
Recommandation 2095 (2016), le Comité des Ministres a repris à son compte l’appel
lancé aux États membres pour qu’ils honorent leurs engagements et
garantissent pleinement l’immunité des membres de l’Assemblée parlementaire
et le libre déplacement des intéressés sur le territoire des États
membres
.
8. Le présent rapport vise à faire le point sur la situation
générale concernant la manière dont les immunités ont été invoquées
et appliquées au cours des dernières années. Le rapporteur ambitionne
ainsi de résumer les principes généraux et les pratiques observés
par l’Assemblée pour promouvoir un régime d’immunité réellement
efficace et facile à appliquer tant par les membres de cette institution
que par les autorités nationales compétentes.
9. Le rapporteur avait notamment à l’esprit des cas survenus
dans le passé visant des États membres n’ayant pas respecté leur
engagement de garantir la liberté de déplacement découlant de l’Accord
général. Les autorités nationales avaient invoqué en la circonstance
le droit interne pour justifier le non-respect d’engagements internationaux,
alors que cet argument a été jugé à maintes reprises comme infondé
en droit international
.
10. Dans une autre poignée de cas ayant trait à l’immunité, les
autorités nationales semblent avoir interprété unilatéralement l’Accord
général comme excluant l’application des immunités des membres de
l’Assemblée ou la prérogative dont dispose cette dernière pour les
lever
. Par conséquent, un ensemble de lignes
directrices claires constituerait un rappel utile aux États membres.
11. Le Groupe d’enquête indépendant concernant les allégations
de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire (GIAC)
, qui a mené en 2017-2018 des investigations
sur des allégations visant des membres et d’anciens membres de l’Assemblée,
a également formulé une demande en faveur de la définition d’un ensemble
de critères visant le régime d’immunité. L’enquête a abouti à l’imposition
de sanctions internes aux membres dont la mauvaise conduite avait
été établie au cours de l’enquête. Des enquêtes ont également été lancées
par les autorités nationales dans quelques cas
. Aucune
demande de levée ou de défense d’immunité n’a été reçue par l’Assemblée
à ce jour
.
12. Le GIAC a aussi formulé plusieurs recommandations visant notamment
l’élaboration d’un ensemble de critères en matière d’application
des immunités afin d’éviter que les privilèges et les immunités
puissent être invoqués en cas de soupçons réels d’activités de corruption.
13. Même si nul ne saurait contester que les immunités ne sont
pas censées protéger les activités de corruption, le rapporteur
ne peut pas ignorer le contexte politique dans lequel les accusations
de corruption peuvent également être utilisées pour faire pression
sur l’opposition.
14. C’est dans ce contexte que le rapporteur élaborera sa proposition
de lignes directrices afin non seulement de fournir un cadre à l’examen
des questions liées à l’immunité, mais aussi de sensibiliser les membres
de l’Assemblée et leurs parlements respectifs au privilège institutionnel
qui leur revient.
15. Le rapporteur souhaite remercier les collègues et les anciens
collègues qui ont répondu au questionnaire qu’il a élaboré dans
le cadre de ce rapport et qui visait à recueillir des informations
sur la connaissance et l’usage éventuel par les membres de l’immunité
dont ils bénéficient en tant que membres de l’Assemblée. 96 personnes,
représentant 32 délégations nationales, ont participé à l’exercice.
Les données recueillies ont montré que 80 % des participants n’avaient
pas connaissance de l’immunité accordée aux membres de l’Assemblée.
Dans leur très grande majorité, les participants n’ont jamais évoqué
leur immunité ni auprès de leurs autorités nationales, ni auprès
des autorités nationales d’autres États membres. Par ailleurs, 60 %
des participants se sont exprimés en faveur d’un renforcement du
mécanisme contenu à l’article 73.6 du Règlement permettant au Président
de l’Assemblée de prendre l’initiative de défendre l’immunité d’un
membre (voir ci-dessous); certains ont indiqué que, ce mécanisme
étant déjà en place, il était plus important que le Président puisse
en faire un usage effectif et que les autorités nationales le respectent,
une personne soulignant que cela pourrait être particulièrement
pertinent dans le cadre de l’observation des élections par l’Assemblée.
D’autres commentaires souhaitaient que l’information relative à
l’immunité des membres de l’Assemblée soit davantage disséminée
à la fois auprès des membres et des autorités nationales.
16. Le rapporteur tient également à remercier M. Sascha Hardt,
professeur adjoint de droit constitutionnel comparé, de l’Université
de Maastricht ; Mme Victoria Cherniychuk,
juriste, jurisconsulte au sein du Greffe de la Cour européenne des
droits de l’homme ; M. Rogier Huizenga, secrétaire du Comité des
droits de l’homme des parlementaires et responsable du programme
des droits de l’homme de l’Union interparlementaire (UIP); et M. Remco
Nehmelman, Secrétaire général du la Première Chambre des États généraux
du Pays-Bas (Eerste Kamer), qui ont participé à une audition de
la commission le 30 novembre 2020 ou lui ont communiqué des informations
sur un certain nombre de points juridiques concernant le régime
d’immunité et la jurisprudence européenne la plus récente.
2. Portée de la protection définie par
les textes du Conseil de l’Europe
17. Les immunités des membres de
l’Assemblée et de leurs suppléants sont définies dans les textes suivants:
- L’article 40a du Statut du Conseil
de l’Europe.
« (…)
les représentants des Membres (...) jouissent, sur les territoires
des Membres, des immunités et privilèges nécessaires à l’exercice
de leurs fonctions. En vertu de ces immunités, les Représentants
à l’Assemblée Consultative (Parlementaire) ne peuvent notamment
être ni arrêtés ni poursuivis sur les territoires de tous les Membres
en raison des opinions ou des votes émis au cours des débats de l’Assemblée,
de ses comités ou commissions ».
- L’Accord général sur
les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe du 2 septembre 1949
(ci-après «l’Accord général ») et son Protocole additionnel du 6 novembre 1952,
lesquels complètent l’article 40(a) du Statut et établissent deux
types d’immunités:
Privilèges
des parlementaires – article 14:
« Les représentants à l’Assemblée
Consultative (Parlementaire) et leurs suppléants ne peuvent être recherchés,
détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux
dans l’exercice de leurs fonctions ».
Inviolabilité des parlementaires
– article 15:
« Pendant la durée des sessions
de l’Assemblée Consultative (Parlementaire), les représentants à l’Assemblée
et leurs suppléants, qu’ils soient parlementaires ou non, bénéficient
a. sur leur territoire national,
des immunités reconnues aux membres du parlement de leurs pays ;
b. sur le territoire de tout
autre État membre, de l’exemption de toutes mesures de détention
et de toute poursuite judiciaire ».
18. L’immunité les couvre également
lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion de l’Assemblée Consultative (Parlementaire)
ou en reviennent. Cependant, elle ne peut pas être invoquée lorsqu’un
représentant ou son suppléant commet, tente de commettre ou vient
de commettre une infraction (flagrant délit) et ne peut pas non plus
faire obstacle au droit de l’Assemblée de lever l’immunité de l’intéressé.
19. L’article 5 du Protocole additionnel dispose que « [c]es privilèges,
immunités et facilités sont accordés aux représentants des Membres,
non à leur avantage personnel, mais dans le but d’assurer en toute indépendance
l’exercice de leurs fonctions en rapport avec le Conseil de l’Europe.
(…) ».
20. Les membres de l’Assemblée bénéficient de deux formes de protection:
le privilège parlementaire garanti par l’article 14 de l’Accord
général, lequel leur confère l’immunité contre toute poursuite judiciaire (pénale,
civile et administrative) au titre d’une opinion qu’ils auraient
exprimée ou d’un vote qu’ils auraient émis dans l’exercice de leurs
fonctions parlementaires, et l’immunité contre toute arrestation,
détention ou poursuite judiciaire.
21. L’objet de l’immunité accordée par l’article 14 est de protéger
l’indépendance des parlementaires et de garantir leur liberté de
jugement, d’expression et de décision.
22. L’article 15 intègre le concept d’inviolabilité. L’objectif
de ce type d’immunité est de protéger tout membre de l’Assemblée
contre des pressions indues qui pourraient être exercées sur lui
ou elle au titre d’actes ne faisant pas partie des activités parlementaires
habituelles. Il est notamment possible de faire pression sur une personne
exerçant un mandat politique en engageant à son encontre des poursuites
judiciaires pour des actes n’étant pas liés à l’occupation de fonctions
parlementaires, ce qui peut aboutir à l’exercice d’une coercition morale
ou à l’imposition d’autres restrictions aux activités ou à la liberté
de déplacement d’un parlementaire. Cette immunité vise à assurer
des conditions de travail optimales à une institution parlementaire
pendant toute la durée du mandat de ses membres et à garantir son
indépendance vis-à-vis des autres branches du pouvoir. Ce concept
existe dans plusieurs pays et, en fonction du pays, peut couvrir
une gamme de garanties procédurales
ou
de types d’infractions
.
23. Les compétences de l’Assemblée en matière d’immunité, notamment
la procédure de levée de cette immunité, sont définies à l’article 73
du Règlement de l’Assemblée.
3. Clarifier le régime d’immunité des
membres de l’Assemblée: un exercice conjoint des deux organes statutaires
24. Le rapporteur reconnaît d’emblée
que l’interprétation des dispositions du Statut du Conseil de l’Europe et
de l’Accord général relève d’un exercice conjoint nécessitant une
prise de position du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire
sur la manière dont lesdites dispositions s’appliquent ou sur le
sens conféré à certains de leurs termes.
25. Le Statut du Conseil de l’Europe et l’Accord général sont
des traités internationaux qui définissent les pouvoirs et les fonctions
des organes, ainsi que les droits et les devoirs des membres. En
vertu de ces textes, les organes du Conseil de l’Europe – à savoir
le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire – bien qu’ayant
des fonctions différentes, sont égaux au regard de leur position
dans l’Organisation et jouissent d’une autonomie relative dans leur
fonctionnement. Tous deux peuvent établir leurs propres règles internes
de fonctionnement, à condition que celles-ci soient compatibles
avec le « droit primaire » du Conseil, à savoir le Statut et l’Accord
général. Dans l’exercice du mandat qui lui est conféré par le Statut,
l’Assemblée peut donner effet aux dispositions du droit primaire
sans toutefois outrepasser ses compétences.
26. Dans le passé, la question de l’interprétation du Statut a
déjà suscité des débats interinstitutionnels animés à l’issue desquels
une conclusion s’est imposée: seule une interprétation conjointe
du Statut permettra de maintenir un dialogue efficace et de garantir
l’accomplissement des mandats des organes concernés.
27. Cette approche acquiert une signification toute particulière
lorsqu’il s’agit d’interpréter des dispositions définissant les
limites des privilèges et de la protection accordée aux membres
de l’Assemblée, surtout en l’absence de toute disposition spécifique
désignant une autorité compétente en matière d’interprétation
.
28. Le sens originel, outre qu’il confère un caractère institutionnel
aux immunités, consacre un principe fondamental en matière d’interprétation
de l’Accord général. Lesdites immunités constituent un privilège institutionnel,
accordé à l’origine aux parlementaires pour éviter l’ingérence des
autres branches du pouvoir, et permettent de protéger les membres
de l’Assemblée contre les procédures engagées dans le but de priver l’Assemblée
de la coopération ou de la liberté d’action de ses membres. Le rôle
et la pratique de l’Assemblée dans la définition du régime d’immunité
de ses propres membres ne sauraient donc être négligés. En effet,
il serait tout à fait illogique de laisser à un organe exécutif
le pouvoir de trancher des questions relevant de la protection de
représentants élus.
29. En ce qui concerne les origines des immunités accordées aux
membres de l’Assemblée, il convient de rappeler que le libellé de
l’article 14 reflète les traditions constitutionnelles d’un certain
nombre d’États fondateurs dont la Constitution contient des dispositions
analogues
.
30. L’article 15 a été élaboré par la « commission préparatoire »
du Conseil de l’Europe créée par la Conférence des ministres des
Affaires étrangères qui avait adopté le Statut du Conseil de l’Europe
le 5 mai 1949
. Cette commission avait jugé nécessaire
de protéger également les représentants à l’Assemblée lorsqu’ils
se rendent au lieu de réunion de cette dernière ou reviennent dans
leur pays et aussi contre toute restriction imposée au libre exercice
de leurs fonctions, que ce soit par le gouvernement de leur pays
ou par ceux d’autres pays.
31. Le premier projet de l’article 15 se lisait comme suit: « Nul
représentant à l’Assemblée (consultative) ou suppléant ne peut,
durant la semaine précédant l’ouverture des sessions et pendant
la durée des sessions, faire l’objet de poursuites, être soumis
à une fouille ou à une perquisition à domicile, ni être arrêté dans
une affaire pénale sauf avec l’autorisation de l’Assemblée ou en
cas de flagrant délit. La détention d’un représentant à l’Assemblée
(consultative) ou d’un suppléant ou les poursuites engagées à son
égard sont suspendues à la demande de l’Assemblée ».
32. À un stade ultérieur, la délégation française a présenté une
nouvelle proposition de texte établissant une distinction entre
les immunités dont jouissent les membres de l’Assemblée dans leur
pays et sur le territoire de tous les autres États membres. Après
quelques modifications mineures, cette proposition a été adoptée
par les experts et la commission préparatoire de sorte qu’elle constitue
le texte actuel de l’article 15 de l’Accord général.
4. L’Assemblée parlementaire et le Parlement
européen: un même régime d’immunité pour deux institutions distinctes ?
33. Nul ne saurait totalement ignorer
les précédents pertinents, surtout lorsqu’ils concernent des organisations
analogues, au moment d’établir le sens ordinaire à conférer aux
dispositions du traité
. C’est pourquoi, compte tenu
des circonstances historiques communes entourant l’établissement
du régime d’immunité de l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe et du Parlement européen, l’application pratique du droit
primaire retenu par le Parlement européen ou l’interprétation donnée
par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) méritent toute
notre attention.
34. Les immunités des membres de l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe ont été établies par des textes adoptés en 1949
et complétés en 1952. Le volet économique de l’intégration européenne
avait également prévu une dimension parlementaire sous la forme
d’une Assemblée commune composée de parlementaires désignés, laquelle
est devenue par la suite le Parlement européen. Des immunités formulées dans
des termes presque similaires à ceux de l’Accord général avaient
été accordées aux membres de l’Assemblée commune de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier (CECA), dont l’activité avait été
étendue en 1957 à la Communauté économique européenne (CEE) et à
la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA). Les traités
constitutifs de ces deux organisations étaient en effet accompagnés
de protocoles comportant une disposition similaire sur les immunités
parlementaires. À ce jour, les dispositions négociées à l’époque
n’ont encore fait l’objet d’aucune modification, malgré de nombreuses
tentatives en ce sens de la part du Parlement européen.
35. La similitude dans la formulation n’est guère surprenante
si l’on veut se souvenir que sur les six membres fondateurs de la
CECA, cinq étaient également membres fondateurs du Conseil de l’Europe.
36. Par conséquent, à l’origine, le Conseil de l’Europe et le
Parlement européen prévoyaient deux types d’immunités différents
– l’irresponsabilité et l’inviolabilité – négociés en tenant compte
du fait que les membres de ces assemblées n’étaient pas élus au
suffrage direct et que les États membres fondateurs accordaient
des immunités de portée différente à leurs parlementaires nationaux.
Par exemple, les Pays-Bas n’étaient pas disposés à accorder sur
leur territoire un niveau d’inviolabilité dont les membres du Parlement
néerlandais eux-mêmes ne jouissaient pas. D’autres États membres
s’opposaient à toute limitation de la portée de l’irresponsabilité.
37. Par conséquent, outre l’irresponsabilité (l’immunité absolue),
l’Accord général et le Protocole sur les privilèges et immunités
de l’Union européenne établissent, sous le volet «inviolabilité»,
deux régimes différents: l’un se référant aux lois nationales et
l’autre défini par le traité international pertinent lui-même. Ainsi, sur
le territoire de leurs États respectifs, les membres de l’Assemblée
parlementaire et du Parlement européen bénéficient du même niveau
de protection que les parlementaires nationaux, tandis que sur le
territoire des autres États membres, ils jouissent d’une immunité
contre toute mesure de détention ou poursuite judiciaire (s’agissant
des membres de l’Assemblée parlementaire) ou contre toute mesure
de détention ou action en justice (s’agissant des membres du Parlement
européen). En outre, le deuxième paragraphe des articles correspondants
confère également des immunités aux membres « lorsqu’ils se rendent
sur le lieu de la réunion [de leurs institutions parlementaires
respectives] et en reviennent »
.
38. Enfin, de manière analogue, les dispositions correspondantes
interdisent toute restriction administrative ou autre et accordent
l’immunité aux membres qui se rendent aux réunions de leurs organes
parlementaires respectifs et en reviennent.
39. Au vu de ce qui précède, le rapporteur a opté pour l’introduction
dans son analyse de certains éléments pertinents empruntés à la
pratique du Parlement européen et à la jurisprudence de la CJUE,
s’agissant notamment d’examiner des points que l’Assemblée n’a pas
eu l’occasion d’aborder jusqu’à présent. Toutefois, le rapporteur
souligne que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et
le Parlement européen, tout en tirant des enseignements de leurs
expériences respectives, sont pleinement souverains dans leurs règles et
décisions, comme le sont toutes les autres assemblées parlementaires
opérant dans (certaines parties de) l'Europe, telles que l'Assemblée
parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE), l'Assemblée parlementaire de la Communauté des
États indépendants (CEI), ou le Conseil nordique. Leurs expériences
pourraient également contribuer à une interprétation commune des
aspects de l'immunité parlementaire.
5. Portée matérielle des privilèges et
immunités accordés aux membres de l’Assemblée parlementaire – l’irresponsabilité
parlementaire (article 14 de l’Accord général sur les privilèges
et immunités du Conseil de l’Europe)
5.1. L’immunité au titre des opinions et
des votes
40. Cette immunité – également
appelée immunité absolue ou irresponsabilité – pourrait être décrite
comme l’immunité parlementaire de base et existe dans presque tous
les parlements démocratiques du monde. Bien qu’elle puisse avoir
des origines historiques différentes, son objectif principal reste
le même et consiste à protéger les représentants élus dès lors que
ceux-ci agissent en leur qualité officielle. Cette immunité est souvent
absolue et, habituellement, elle ne peut pas être levée, bien que
de rares parlements en aient le pouvoir
.En
dépit de son acceptation commune, la définition de son champ d’application
demeure une question complexe. Dans la plupart des pays, la définition
formelle et son champ d’application sont énoncés dans des textes
fondamentaux dont les modalités de mise en œuvre sont précisées
par la pratique parlementaire et la jurisprudence. En ce qui concerne
l’Assemblée, son champ d’application, comme celui de l’inviolabilité,
est initialement défini par l’Accord général et son application
précisée par les résolutions de l’Assemblée et les avis de la Commission
du Règlement.
41. Lors de la définition de la portée de l’immunité absolue,
une attention particulière doit être accordée à la protection nécessaire
de l’indépendance de l’Assemblée et à ses besoins fonctionnels.
Les précédents tiennent aussi un rôle important, de même que la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les rapports
de la Commission de Venise et d’autres documents pertinents. En
2003, la Commission du Règlement déclarait: « Le critère décisif
pour la portée de l’immunité selon l’article 14 de l’Accord général
est donc la référence aux activités de l’Assemblée parlementaire,
compte tenu de ses compétences explicites (Statut du Conseil de
l’Europe, Règlement et autres textes juridiques) ou implicites (pratique
de l’Assemblée, compétences implicites) ».
42. La première observation que l’on peut formuler sur la base
de ces constatations est que l’immunité absolue accordée aux membres
de l’Assemblée revêt une portée autonome pouvant différer de celle
de l’immunité absolue qui protège éventuellement les parlementaires
nationaux. Les deux juridictions européennes ont adopté une interprétation
plutôt conservatrice des fonctions parlementaires, puisqu’elles exigent
l’existence d’un lien substantiel entre les actes et le mandat.
Dans son arrêt
Patriciello ,
la CJUE a ainsi introduit le critère du « lien direct et évident »
avec l’exercice des fonctions parlementaires. Comme c’est le cas
avec les parlements nationaux, l’immunité absolue n’a pas de limite
dans le temps et protège les membres du Parlement européen pendant
leur mandat, mais aussi au-delà.
43. Deuxièmement, il convient de noter que les deux versions linguistiques
officielles de l’article 14 de l’Accord général (lesquelles font
foi aussi bien l’une que l’autre) divergent: la version anglaise
mentionne des «
words spoken »
[paroles prononcées] tandis que la version française utilise le
terme « opinions ». Dans l’exposé des motifs de la
Résolution 1325 (2003), la Commission du Règlement a souligné que le terme «
words spoken » désigne à la fois
les déclarations orales et écrites. Cette interprétation se fonde
sur des arguments historiques et téléologiques. L’article 14 de
l’Accord général vise à protéger les fonctions essentielles de l’Assemblée
et donc les activités classiques auxquelles se consacrent les membres
pour s’en acquitter. On admet généralement que la manière d’exercer
les fonctions essentielles, ainsi que les formes de communication
politique, ont subi quelques transformations depuis la rédaction
du texte de base en 1949 et pourraient continuer à évoluer. Par
conséquent, lors de l’évaluation du champ d’application de l’article 14,
il convient de prêter attention au contenu des activités typiques
ou essentielles des membres de l’Assemblée et au lien évident et
direct entre celles-ci et les fonctions parlementaires
.
Ainsi, aujourd’hui, l’article 14 devrait également couvrir les prises
de parole publiques et les interviews à la radio ou à la télévision,
que ce soit sur les médias traditionnels ou électroniques, pour
autant qu’elles soient réalisées par les membres de l’Assemblée
dans l’exercice de leurs fonctions
.
44. Troisièmement, le caractère exceptionnel de l’immunité absolue
ne signifie pas que les parlementaires sont autorisés à dire ou
faire tout ce qui leur plaît. L'expression «irresponsabilité» peut
être trompeuse. L’immunité signifie simplement que les parlementaires
bénéficient d'une protection absolue contre les poursuites judiciaires
pour ce qu'ils disent au sein du parlement et ne peuvent pas voir
leur responsabilité engagée devant un tribunal national (par exemple,
ils ne pourront pas être poursuivis pénalement ou être astreints
au paiement de dommages et intérêts pour des actes ou propos tenus
dans le cadre d’un débat à l’Assemblée). A titre d’exemple on citera
la décision du Parlement européen de ne pas lever l’immunité d’Ioannis
Lagos
.
5.2. À quel point l’immunité absolue est-elle
réellement absolue?
45. L’immunité absolue peut être
qualifiée de régime spécial qui fournit une protection supplémentaire
en complément du régime établi par les traités internationaux pour
protéger le discours politique. Cela inclut l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n°5) et la jurisprudence interprétative
de la Cour.
46. Le fait de savoir qu’on ne serait pas poursuivi pour une action
pourrait ouvrir la porte à des abus, par exemple des provocations
à l’encontre d’adversaires politiques
. Cela dit, en affirmant
l’immunité absolue de ses membres devant les autorités nationales,
l’Assemblée, comme toute assemblée parlementaire, reste en mesure
d’apporter des restrictions à la liberté d’expression en gardant
à l’esprit les critères posés par la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme
.
En effet, l’immunité ne soustrait pas les membres aux sanctions
qu’un parlement est habilité à leur infliger à condition de respecter
leurs droits au titre de la Convention européenne des droits de
l'homme
.
47. Dans cette optique, deux éléments reviennent souvent: la corruption,
d’une part, le contenu et la forme du discours politique, notamment
le discours de haine, d’autre part.
5.2.1. Immunité absolue et corruption
48. Dans quelle mesure les «paroles
prononcées» ou les «votes émis» peuvent être utilisés comme preuves dans
le cadre d'une enquête sur des infractions de corruption prétendument
commises par un membre de l'Assemblée dans l'exercice de ses fonctions?
Ce point nécessite des éclaircissements à la lumière des allégations
de corruption sur lesquelles le GIAC a enquêté et qui ont abouti
ou pourraient encore aboutir à l'ouverture d'enquêtes pénales par
les autorités nationales.
49. Au Royaume-Uni, en 1998, dans le cadre de la discussion sur
les améliorations à apporter à la loi anti-corruption, un débat
a eu lieu sur la manière dont le privilège parlementaire accordé
par l'article 9
de
la Déclaration des droits de 1689 s'appliquerait dans le contexte
de poursuites pénales dans des affaires de corruption impliquant
des parlementaires
. Parmi les options proposées par
le ministère de l'Intérieur visant à concilier, d'une part, les
privilèges parlementaires historiques et, d'autre part, les exigences
modernes de la lutte contre la corruption, le comité mixte a recommandé
celle qui, dans l'hypothèse où un député relèverait du droit pénal
de la corruption, permettrait d'admettre des preuves devant les
tribunaux nonobstant l'article 9
.
50. L'interdiction générale de toucher à tout ce que les membres
disent ou font dans l'enceinte parlementaire correspond à l'idée
sous-jacente de fonctionnalité des privilèges parlementaires et
au fait que l'immunité ne peut être invoquée que pour protéger l'activité
principale du parlement.
51. Le même raisonnement a été adopté par la Cour suprême des
États-Unis dans l'affaire
États-Unis
c. Brewster de 1972, où la Cour a jugé que la clause
relative à la parole ou au débat
ne protège
pas un sénateur des États-Unis contre des poursuites pour avoir
accepté un pot-de-vin en échange d'un vote sur une législation en
cours. La clause interdit uniquement les enquêtes sur un acte législatif
ou sur la motivation d'un acte législatif («Une enquête sur l'objectif
d'un pot-de-vin ne remet pas en question les actes législatifs du
membre du Congrès accusé ou ses motivations pour les accomplir»).
52. Par conséquent, le fait de demander, d’accepter ou de payer
un pot-de-vin ne fait pas partie des activités parlementaires essentielles
que l'immunité est censée protéger. Au contraire, un tel comportement
entraverait le fonctionnement du parlement. Ce qui doit faire l'objet
d'une enquête dans de tels cas, c'est le comportement illégal consistant
à accepter ou à demander des avantages indus, plutôt que les «mots
prononcés» ou le «vote exprimé».
53. Compte tenu de ce qui précède, le rapporteur estime qu'il
conviendrait de mentionner tout particulièrement dans les lignes
directrices le fait que tout abus des privilèges parlementaires
assimilable à de la corruption active ou passive est exclu du champ
d'application des privilèges accordés par l'article 14, étant donné
qu'ils ne concernent pas les opinions exprimées ou les votes émis.
Cette position serait conforme à la recommandation du GIAC de veiller
à ce que les privilèges et immunités ne puissent être invoqués en
cas de soupçons réels d'activités de corruption.
5.2.2. La protection du discours politique
concerne-t-il à la fois le contenu et la forme ?
54. L’expression visuelle est de
plus en plus utilisée dans l’enceinte parlementaire. La méthode traditionnelle
de transmission orale d’un message politique est, dans une large
mesure, complétée, voire remplacée, par le message visuel. Il est
notoire que la plupart des gens perçoivent et mémorisent mieux les images
que les mots, ce qui fait de la communication visuelle un outil
puissant. Un geste spontané ou le port d’un signe donné permet d’attirer
instantanément l’attention de l’auditoire et de délivrer un message
succinct.
55. La Cour européenne des droits de l’homme a interprété le terme «expression»
comme couvrant différentes formes d'expression, y compris l'expression
en mots, en images, par vidéo et par un comportement destiné à transmettre
une idée ou une information
.Par
conséquent, une expression combinée avec un comportement physique
ou l’affichage de symboles bénéficie de la protection accordée par
l’article 10 de la Convention.
56. En 2003, l’Assemblée s’était déjà penchée sur la question
de savoir comment traiter le recours à des logos, des symboles,
un code vestimentaire spécial ou des interactions sonores afin de
préserver le bon déroulement de ses réunions. Dans sa
Résolution 1965 (2013) « La discipline des membres de l’Assemblée parlementaire »,
elle réaffirmait son attachement à la liberté d’expression – laquelle
peut également englober le recours à des symboles exprimant une
identification à des idées ou une représentation de ces dernières
– considérée comme « le plus important des privilèges parlementaires
et un préalable essentiel à l’indépendance des représentants élus
par le peuple ». Ceci dit, l’Assemblée a également fait sienne la
position exprimée à de nombreuses reprises par la Cour européenne
des droits de l’homme, à savoir que l’exercice de la liberté d’expression
comporte également des devoirs et responsabilités, « dont l’étendue
dépend de la situation et des moyens utilisés ».
57. Les explications qui précèdent permettent de justifier pleinement
certaines limitations concernant la manière dont un message peut
être délivré au cours des débats
. En application de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme
, tant la manière dont le message
est communiqué que le pouvoir disciplinaire régissant la préservation
du bon déroulement des débats relèvent des règles de conduite internes du
parlement, lequel peut imposer certaines limitations
.
Si de telles restrictions sont instaurées, elles doivent concerner
uniquement la manière dont le message est exprimé et ne peuvent
normalement pas affecter le contenu de celui-ci
.
58. En effet, ces restrictions doivent être envisagées avec prudence
en tenant compte du régime protecteur dont bénéficie le discours
politique même lorsqu’il est provocateur, et de la nature du débat
parlementaire. Ces limitations doivent prévoir des garanties adéquates
contre les abus. L'autonomie du parlement ne saurait justifier l'imposition
de sanctions non prescrites par le Règlement ou manifestement disproportionnées
par rapport au manquement disciplinaire allégué. Des garanties procédurales,
telles que le droit d'être entendu, doivent être mises en place.
59. Il n'y a aucune raison de croire que la nature du débat parlementaire
a subi une transformation spectaculaire. Il continue à se limiter
à des joutes oratoires, des discussions et des votes revêtant tous
un caractère équitable et raisonnable. Il n'y a donc aucune raison
pour que des privilèges spéciaux soient étendus au-delà de ce qui
est nécessaire pour mener un débat respectueux ou pour exprimer
des positions critiques de manière conventionnelle.
5.2.3. Le discours de haine
60. Dans sa
Résolution 2127 (2016), l’Assemblée a tenu à souligner que la protection absolue
des actes et des paroles des parlementaires pose problème dans le
contexte de la montée de l’extrémisme et du nationalisme sur fond
de recrudescence du terrorisme et de crise migratoire, entre autres,
s’agissant notamment de la propagation du discours de haine. L’Assemblée
se félicitait que, «dans certains États, les propos insultants ou
diffamatoires
, l’incitation à la haine ou à la violence,
ou les propos racistes, notamment, échappent au cadre de l’irresponsabilité».
61. Le Parlement européen considère que le privilège parlementaire
ne s’étend pas aux déclarations contraires à l’article 21 de la
Charte des droits fondamentaux (interdiction de la discrimination)
.Aussi,
l’article 10 du Règlement du Parlement européen rappelle que «la
conduite des députés est inspirée par le respect mutuel et repose
sur les valeurs et principes définis dans les traités, en particulier
dans la Charte des droits fondamentaux».
Le
Règlement de l’Assemblée parlementaire, pour sa part, stipule plus
simplement que «les paroles qui constituent un affront à la dignité
humaine, portent atteinte au droit au respect de la vie privée ou sont
susceptibles de nuire au bon déroulement des débats sont interdites»
(article 22.6).
62. Cela dit, l’Union interparlementaire a remis en question la
position exprimée par l’Assemblée dans sa
Résolution 2127 (2016) concernant la validité de certaines limitations imposées
à l’immunité en soulignant que «la censure, en particulier au parlement,
quelle que soit la forme qu’elle puisse prendre, a peu de chance
d’être un moyen productif de régler un problème, y compris un problème
social particulièrement complexe. En revanche, un débat empreint
de respect sur une question délicate a toutes les chances de mettre
en lumière les causes profondes du problème et d’ouvrir ainsi la
porte à une solution”.
63. Il est vrai que la nécessité d’assurer la discipline dans
le déroulement des activités parlementaires pourrait constituer
une restriction à la manière dont la liberté d’expression s’exerce.
En revanche, un parlement a «une très faible latitude pour encadrer
la teneur des propos tenus par les parlementaires»
.
Le rapporteur considère que, même si l’Assemblée peut prendre des
mesures pour rappeler ses membres à l’ordre en cas de déclarations
offensantes, l’article 14 ne devrait pas être interprété comme excluant
automatiquement ce type de déclarations dès lors qu’aucun abus des
privilèges ne peut être établi.
5.3. Qui décide si l’immunité absolue s’applique ?
64. Dans la plupart des pays européens,
l’immunité absolue ne peut pas être levée ni par le parlement ni par
une autre institution, et le parlementaire en cause ne peut lui-même
renoncer à l’invoquer. Toutefois, il existe aussi quelques pays
dans lesquels le parlement peut lever l’irresponsabilité dans certaines circonstances
.
65. Dans certains pays, le parlement peut déterminer si les conditions
d’application de l’immunité absolue sont réunies et sa décision
s’impose aux tribunaux nationaux
.
66. En 2008
, la CJUE a clarifié
dans une décision préjudicielle certaines règles d’interprétation
de l’immunité absolue accordée par l’article 8 du Protocole sur
les privilèges et immunités de l’Union européenne à l’égard des
opinions exprimées par les membres du Parlement européen.
67. Elle a d’abord précisé que ce type d’immunité ne pouvait pas
être levée
et
que le Parlement européen n’était pas compétent pour vérifier si
les conditions de mise en œuvre de l’immunité étaient remplies
:
« une telle appréciation relève de la compétence exclusive des juridictions
nationales appelées à appliquer une telle disposition, lesquelles
ne peuvent que tirer les conséquences de cette immunité, si elles
constatent que les opinions et les votes en cause ont été exprimés
dans l’exercice des fonctions parlementaires »
. Par conséquent, « [u]ne fois
que la juridiction nationale a constaté l’existence des conditions
pour reconnaître l’immunité absolue (…), le respect de celle-ci
s’impose à cette juridiction ainsi qu’au Parlement [européen] »
.
68. Cela dit, le « devoir de coopération s’applique dans le cadre
d’un litige tel que ceux au principal. Le Parlement européen et
les autorités juridictionnelles nationales devraient ainsi coopérer
aux fins d’éviter tout conflit dans l’interprétation et l’application
des dispositions du Protocole ». Partant, « dès lors, lorsqu’une
action a été engagée contre un député européen devant une juridiction
nationale » pour la défense de cette immunité, « ladite juridiction
doit suspendre la procédure juridictionnelle et demander au Parlement
qu’il émette son avis dans les meilleurs délais »
.
69. La conséquence pratique de cette situation est que les autorités
nationales doivent reporter les procédures le temps que le Parlement
européen rende son avis sur la demande de défense de l’immunité.
En outre, lorsqu’une demande de levée d’immunité lui est soumise
par une autorité nationale, ledit Parlement vérifie d’abord si les
faits à l’origine de ladite demande relèvent de l’article 8 du Protocole,
auquel cas l’immunité ne peut pas être levée
.
70. Le rapporteur hésite à accorder aux tribunaux nationaux une
compétence exclusive s’agissant d’établir si les conditions d’application
de l’immunité absolue sont remplies. Outre d’éventuels conflits
d’interprétation entre tribunaux nationaux des États membres, le
risque pour l’intégrité du système judiciaire ou de recours abusif
au système judiciaire
pourrait également poser problème.
71. Au niveau des 47 États membres du Conseil de l’Europe, la
Cour européenne des droits de l’homme et le Commissaire aux droits
de l’homme ont souligné les problèmes systémiques auxquels sont
confrontées certaines juridictions en matière d’indépendance et
d’impartialité du pouvoir judiciaire, en plus des preuves établies
dans des cas individuels selon lesquelles les tribunaux nationaux
manquent d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif
,
ou bien la puissance publique est utilisée de manière abusive pour
cibler des groupes spécifiques
ou mettre fin au pluralisme
politique. D’aucuns reconnaissent que le climat politique peut créer
un environnement susceptible d’influencer certaines décisions des
tribunaux nationaux
.
72. Sur la base de cette observation, il serait peu judicieux
et même contraire à l’objectif institutionnel de l’immunité – à
savoir concéder au parlement une indépendance à l’égard des autres
pouvoirs – d’accorder aux juridictions nationales le pouvoir intégral
d’établir la réunion des conditions d’application de l’immunité
absolue.
73. Aux yeux du rapporteur, il convient de prévoir des garanties
supplémentaires pour s’assurer que les autorités nationales ne sont
pas guidées par des motivations d’ordre politique.
74. À supposer, par exemple, que le Président de l’Assemblée ait
décidé de défendre l’immunité d’un membre pour empêcher les restrictions
imposées ou risquant d’être imposées à l’intéressé, cette décision devrait
être prise en considération par les autorités nationales tenues
alors de fournir des raisons impérieuses de s’opposer aux conclusions
du Président.
75. En outre, lorsqu’une demande de levée d’immunité lui est soumise
par une autorité nationale, l’Assemblée, avant d’examiner l’immunité
en vertu de l’article 15 de l’Accord général, doit d’abord vérifier
si les faits à l’origine de cette demande sont susceptibles d’être
couverts par l’article 14 du Protocole, auquel cas l’immunité ne
peut pas être levée
.
6. Inviolabilité parlementaire (article 15
de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de
l’Europe)
76. L’inviolabilité parlementaire
protège les membres de l’Assemblée lorsque leurs actes ne relèvent
pas des activités habituellement accomplies par un élu. Elle a pour
but de protéger les parlementaires faisant l’objet d’accusations
trafiquées en vue de les démettre de leurs fonctions.
77. L’article 15 de l’Accord général prévoit ce type d’immunité.
Il s’agit d’une disposition complexe dont la lecture est en outre
rendue difficile en raison de l’accumulation de règles et concepts
différents qui compliquent son interprétation.
78. D’emblée, il accorde dans sa première phrase deux niveaux
de protection puisqu’il mentionne à la fois le « territoire national »
et le « territoire de tout autre État membre ».
79. Dans sa deuxième phrase, il prévoit également « une immunité
de trajet » couvrant les représentants et leurs suppléants lorsqu’ils
se rendent au lieu de réunion de l’Assemblée Consultative ou en
reviennent
.
80. Enfin, dans sa troisième phrase, il exclut l’application de
l’immunité si un membre est trouvé en train de commettre, de tenter
de commettre ou d’avoir commis une infraction ou si l’Assemblée
a levé l’immunité.
81. L’application de l’inviolabilité devient donc problématique
étant donné que ses modalités sont définies – en fonction du lieu
où se trouve le membre ou bien du lieu où se déroule la procédure
judiciaire – soit par la législation nationale soit par l’Accord
général lui-même
.
En conséquence, ces immunités n’accordent pas en tout temps une
protection égale à tous les membres de l’Assemblée.
82. Un membre de l’Assemblée ayant accordé une interview à la
télévision ou publié une déclaration sans lien avec son mandat
pourrait
donc bénéficier d’une protection très limitée ou extrêmement large
en fonction de sa nationalité ou bien de l’endroit où des accusations
ont été portées contre lui. Ainsi, l’Assemblée ne serait pas en
mesure de défendre l’immunité d’un membre de la délégation britannique
en relation avec une procédure pénale engagée contre lui ou elle
au Royaume-Uni [article 15 (a)], pour la bonne raison que les parlementaires
de Westminster ne jouissent d’aucune immunité de poursuites pénales
.
83. De plus, en cas d’engagement d’une procédure judiciaire contre
un membre de l’Assemblée dans son propre État, l’article 15 (a)
exige de prendre en considération et d’interpréter les règles nationales
pertinentes relatives à l’immunité pour décider si cette dernière
s’applique et, également, si elle doit être levée. Cette situation
pourrait entraîner un retard dans l’examen d’une demande en fonction
de la disponibilité des textes pertinents (par exemple la jurisprudence
nationale) dans les langues officielles du Conseil de l’Europe
.
84. Cette double nature de l’inviolabilité parlementaire pourrait
également conduire à une situation où, en présence d’un « élément
transfrontalier » — à savoir un procès dans un pays autre que celui
du membre en cause — ce dernier bénéficierait d’une large protection
compte tenu de la compétence des organes compétents du Conseil de
l’Europe non seulement en matière d’application des législations
nationales en vertu de l’alinéa (a) de l’article 15, mais aussi
en matière d’interprétation de celles-ci en vertu de son alinéa (b).
85. Considérons à titre d’exemple le cas examiné par le Parlement
européen dans lequel un représentant élu en Allemagne était poursuivi
en Grèce
. Le Parlement a été en mesure
d’interpréter les termes « procédures judiciaires » mentionnés à
l’alinéa (b) de l’article 9 de manière à les étendre aux procédures civiles,
imposant ainsi des obstacles procéduraux à l’action en justice contre
M. Sakellariou. À supposer que M. Sakellariou eût fait sa déclaration
en Allemagne et eût été également poursuivi dans ce pays, le droit allemand
se serait appliqué et aurait empêché le Parlement européen de développer
ce raisonnement.
86. Les divergences concernent également les aspects procéduraux.
Ainsi, dans le cas de procès intentés en Pologne contre un membre
polonais du Parlement européen dans le cadre d’une poursuite privée
,il
s’est avéré possible à un simple particulier de soumettre directement
au Parlement polonais une demande de levée de l’immunité de l’intéressé
sans que les autorités de poursuite ou le tribunal compétent soient
impliqués. La question se poserait donc de savoir quelle instance
est « l’autorité compétente » aux fins de la présentation de la
demande à l’Assemblée. Le Parlement européen a accepté d’examiner
des demandes de levée d’immunité présentées par un particulier dans
le cas d’une poursuite privée, pour autant que celles-ci soient
formellement transmises par un tribunal
.
L’Assemblée pourrait elle aussi adopter cette solution au cas où
elle serait confrontée à une telle situation à l’avenir.
6.1. « Immunité européenne »: la protection
basique accordée à tous les membres de l’Assemblée
87. Malgré sa dualité, l’article 15
accorde une certaine protection que l’on pourrait qualifier de « basique »
en ce qu’elle protège uniformément tous les membres de l’Assemblée
de la détention et des poursuites, quel que soit l’endroit où ils
se trouvent: sur leur territoire national ou dans un autre État
membre (à condition qu’ils puissent agir en leur qualité de membres
de l’Assemblée).
88. L’article 15 (b) confère déjà une protection contre les arrestations
ou les poursuites dans un État membre autre que celui du parlementaire
en cause.
89. En ce qui concerne la protection accordée à un membre dans
son propre État, l’Assemblée, et plus récemment la CJUE
, considèrent que l’immunité
conférée par les articles pertinents
doit protéger un membre
contre des mesures restrictives (telles que la détention) même sur
le territoire de son propre État, lequel peut ne pas avoir de disposition
pertinente sur l’inviolabilité dans son droit interne.
90. Les deux institutions se fondent sur l’objectif de l’immunité
pour asseoir cette interprétation
. En effet, il aurait
été contraire à cet objectif – qui est d’assurer à l’Assemblée une
protection totale contre les ingérences dans ses travaux – de prévoir
une immunité non susceptible de mettre un membre à l’abri d’une
mesure restrictive imposée par son propre État au cas où la législation
de ce dernier ne prévoirait pas l’immunité d’arrestation. En raison
de cette immunité commune à tous les membres de l’Assemblée, quel
que soit leur pays d’origine, la liberté des intéressés ne peut
être restreinte que si leur immunité européenne a été préalablement
levée par l’Assemblée.
91. Cette protection basique couvre les membres de l’Assemblée
lorsqu’ils exercent leurs fonctions parlementaires. Lorsqu’ils ne
l’exercent pas et qu’ils ne se déplacent pas pour les besoins de
l’Assemblée sur le territoire de leur État membre, seule leur immunité
nationale s’applique
.
6.2. Durée de l’immunité
6.2.1. Point de départ
92. L’article 25 (b) du Statut
se lit comme suit:
Le mandat des représentants ainsi désignés
prend effet à l’ouverture de la session ordinaire suivant leur désignation ;
il n’expire qu’à l’ouverture de la session ordinaire suivante ou
d’une session ordinaire ultérieure, sauf le droit des membres de
procéder à de nouvelles désignations à la suite d’élections parlementaires.
93. Le Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne,
comme l’Accord général, n’indique pas explicitement quand les membres
du Parlement européen commencent à bénéficier de ces immunités et, en
particulier, si les immunités peuvent déjà être exercées avant que
les pouvoirs du membre aient été ratifiés et que son mandat ait
commencé.
94. En 2003, la Commission du Règlement a estimé que les immunités
sont accordées aux membres de l’Assemblée « […] à partir du moment
où leurs pouvoirs sont ratifiés. Au cas où les pouvoirs sont contestés,
les immunités sont garanties provisoirement jusqu’à ce que l’Assemblée
ou la Commission Permanente aient statué. En outre, les immunités
s’appliquent également quand les nouveaux membres se rendent à la
partie de session de l’Assemblée où leurs pouvoirs sont ratifiés.»
.
95. Dans sa décision adoptée la même année
,
le Parlement européen a opté pour une interprétation légèrement
différente en vertu de laquelle les immunités produisent leur effet
« à partir de la publication des résultats aux élections au Parlement
européen », plutôt qu’à compter du début du mandat d’un membre,
lequel, en vertu de l’Acte électoral de 1976
, commence à l’ouverture de la première
session suivant chaque élection
.
Cela dit, cette interprétation n’est pas partagée par tout le monde,
en raison de la formulation de l’Acte électoral de 1976
qui, comme l’article 25
du Statut du Conseil de l’Europe, fait coïncider le début d’un mandat
parlementaire avec l’ouverture d’une session.
96. Dans son arrêt rendu dans l’affaire
Junqueras le
19 décembre 2019
,
la CJUE a tranché ce débat à propos de « l’immunité de trajet »
en
déclarant que l’immunité prend effet avant le début du mandat
.
Toute personne élue au Parlement européen jouit par conséquent d’une
immunité de trajet à compter de la proclamation des résultats officiels
et non du moment où elle entre en fonction et où ses pouvoirs sont ratifiés
.
97. La raison de cette interprétation tenait à la nécessité de
combler un vide entre deux événements constitutifs [
immunity gap]
– l’élection et la première
séance – incompatibles avec l’objectif des immunités parlementaires
ayant pour effet d’empêcher un député de se déplacer pour prendre
ses fonctions.
98. Le rapporteur se félicite du fait que, quatre ans avant cet
arrêt, la Commission du Règlement avait conclu que Mme Nadiia
Savchenko, désignée comme membre de la délégation du Parlement ukrainien
alors qu’elle était détenue dans une prison russe, bénéficiait des
immunités accordées par le Conseil de l’Europe au titre d’actes
survenus avant qu’elle puisse jouir desdites immunités et que les
autorités russes se soient vu priées de demander à l’Assemblée de
lever l’immunité de l’intéressée si elles entendaient poursuivre
la procédure judiciaire engagée contre elle. Malheureusement, aucune
demande n’a été soumise par les autorités russes à cette époque.
99. L’interprétation retenue dans
Junqueras ne
semble toutefois pas concerner l’immunité absolue dans la mesure
où les « opinions » ou « votes » réputés protégés par ladite immunité
ne peuvent normalement s’exprimer qu’à partir de l’ouverture de
la première session plénière constitutive
.
100. En ce qui concerne l’immunité accordée aux nouveaux membres
pour qu’ils puissent se rendre à la première partie de session (ou
à la partie de session dans le cadre de laquelle leurs pouvoirs
sont censés être ratifiés), la position adoptée par la commission
du Règlement en 2003 – et subséquemment l’avis que celle-ci a rendu
en 2015 concernant le « Statut de Mme Nadiia
Savchenko au regard de l’immunité du Conseil de l’Europe »
–
suivaient les mêmes lignes que la conclusion adoptée récemment par
la CJUE dans son arrêt
Junqueras .
101. Cela dit, dans son arrêt
Junqueras,
la CJUE a établi une distinction, que la Commission du Règlement n’a
pas examinée, entre la qualité de membre (acquise au moment où les
résultats officiels de l’élection au Parlement européen sont proclamés)
et le début du mandat, lequel vise simplement à établir un lien
entre le nouveau député et l’institution dont il fait désormais
partie
.
102. Le rapporteur se demande dans quelle mesure ce raisonnement
pourrait ou devrait être appliqué à l’Assemblée.
103. Il note que le Statut (article 25) et le Règlement (article 11.3)
du Conseil de l’Europe utilisent eux aussi des termes différents,
à savoir « le mandat » et « la désignation de la nouvelle délégation »
respectivement
.
104. La désignation de la délégation peut intervenir plusieurs
mois avant le début du mandat. Par exemple, en septembre 2019, le
Parlement ukrainien a nommé une nouvelle délégation à la suite d’élections
tenues en juillet 2019. La nouvelle délégation ayant décidé de ne
pas soumettre ses pouvoirs lors de la partie de session d’octobre 2019,
conformément à l’article 11.3
du
Règlement, le mandat de l’ancienne délégation a expiré alors que
celui de la nouvelle délégation n’avait pas encore commencé, faute
de soumission et de ratification des pouvoirs de cette dernière.
Par conséquent, le mandat de la nouvelle délégation a débuté le
premier jour de l’ouverture de la session ordinaire de 2020, soit
près de quatre mois après la désignation de ses membres. À supposer
que le raisonnement tenu dans l’arrêt
Junqueras doive
s’appliquer
mutatis mutandis,
la délégation nouvellement désignée aurait déjà bénéficié d’immunités
en vue de se rendre aux réunions publiques de l’Assemblée.
105. Toutefois, le rapporteur ne souhaite pas poursuivre l’analyse
de ce point particulier tant qu’il n’aura pas donné lieu à un cas
pratique. Si un tel cas se présente un jour, selon la hiérarchie
interne des normes, la priorité doit être donnée au Statut qui,
toutefois, doit être interprété de manière à donner pleine efficacité
aux dispositions pertinentes.
6.2.2. La fin de l’immunité
106. La position adoptée par l’Assemblée
dans sa
Résolution 1325
(2003) reflète celle de la CJUE selon laquelle la formule « pendant
la durée des sessions de l’Assemblée » – qui détermine la période
pendant laquelle l’immunité s’applique – doit être entendue comme
couvrant toute l’année
.
107. Selon l’exposé des motifs de la
Résolution 1325 (2003) , « [i]l est évident que les immunités
cessent avec la fin du mandat du membre de l’Assemblée, la démission
ou quand un cas d’incompatibilité se présente pour un membre. Force
est de rappeler que tant qu’ils sont membres de l’Assemblée parlementaire
et jusqu’à leur remplacement les Représentants et Suppléants gardent
leurs immunités selon l’Accord général et son Protocole additionnel
de 1952, comme le stipule l’article 15 de l’Accord général, car
cela est indépendant d’un mandat parlementaire national (‘
qu’ils soient parlementaires ou non’) ».
Le rapporteur ne voit aucune raison de s’écarter de cette interprétation
.
108. En outre, l’immunité cesse de s’appliquer en cas d’incompatibilités
telles que celles mentionnées aux articles 25 (a)
et
36 (d)
du
Statut ou survenant lorsque le président de l’Assemblée parlementaire
est nommé membre d’un gouvernement
. Par le passé, l’Assemblée a
également appelé les représentants ayant accepté des postes spécifiques
au sein du Conseil de l’Europe (par exemple, celui de membre élu
du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants) à démissionner.
6.2.3. 3 L'immunité s'applique-t-elle aux
actes commis avant les élections?
109. Cette question est légèrement
différente de celle du moment où l'immunité commence ou prend fin. Dans
un certain nombre d'États membres, même si la protection offerte
par l'inviolabilité commence avec le début du mandat, elle pourrait
également s'appliquer, dans certains cas, à des procédures judiciaires engagées
contre des parlementaires avant leur élection. C'est le cas en Bulgarie,
en Andorre, au Danemark, en Allemagne, en Grèce, en Hongrie
(la
liste n'est pas exhaustive). En République tchèque, l'inviolabilité couvre
également les procédures judiciaires engagées contre les parlementaires
avant leur élection. Toutefois, si l'accord de la Chambre n'a pas
été demandé (ou n'a pas été refusé), le parlementaire peut être
poursuivi après l'expiration de son mandat. Au Luxembourg, la protection
de l'inviolabilité ne couvre pas les procédures judiciaires engagées
contre un député avant son élection. Toutefois, ces procédures peuvent
être suspendues par la Chambre pour la durée de la session. Dans
d'autres pays, par exemple en France ou en Estonie, la protection
ne couvre pas les procédures judiciaires engagées contre les parlementaires
avant leur élection
.
110. Le Parlement européen ne supprimerait pas la protection accordée
à un député dans un autre État membre (article 9, paragraphe 1,
point b), du protocole n° 7) au seul motif que la procédure est
antérieure à l'acquisition du statut de député et, partant, de l'immunité.
Il examinerait le contexte global pour savoir si la procédure a
été compromise par le
fumus persecutionis,
c'est-à-dire que l'on pourrait prétendre «que la procédure judiciaire
a été lancée dans l'intention d'entraver l'activité politique future»
du membre et donc du Parlement européen.»
111. Le fait d'appliquer la protection à des procédures antérieures
au début du mandat n'est pas en contradiction avec le principe de
fonctionnalité en ce sens que l'appréciation globale devrait être
faite si ces procédures avaient été engagées avec l'objectif clair
d'entraver l'activité politique de la personne, ce qui après son
élection aurait également pour conséquence d'entraver le fonctionnement
de l'institution parlementaire.
112. Par conséquent, si, selon le Statut, l'inviolabilité n'est
sans doute effective que pendant la session de l'Assemblée, elle
pourrait néanmoins s'appliquer aux actes commis avant le début du
mandat à l'Assemblée, à condition que la preuve du
fumus persecutionis puisse être
établie
.
6.3. Commission d’une infraction (flagrant
délit)
113. L’immunité accordée aux membres
de l’Assemblée ne s’applique pas lorsque ceux-ci sont surpris en train
de commettre, de tenter de commettre ou viennent de commettre une
infraction (flagrant délit). Deux interprétations coexistent.
114. Selon la première, si un élu est pris en flagrant délit, aucune
autorisation ne doit être demandée au parlement dont il est membre
à un quelconque stade de la procédure: ni pour son arrestation ni
pour son éventuel renvoi devant un tribunal. Les motifs sous-jacents
de cette interprétation tiennent à la très faible probabilité qu’une
infraction de ce type commise sur place ait un lien fonctionnel
avec l’exercice de la fonction parlementaire.
115. Selon une autre interprétation, l’interruption de l’immunité
est seulement temporaire et ne s’applique qu’au moment de l’arrestation
proprement dite afin de permettre aux États membres de mettre fin
à une situation dans laquelle la sûreté ou l’ordre publics sont
menacés: une fois le danger écarté, les dispositions générales relatives
à l’immunité redeviennent pleinement applicables
.
116. En 2003, le rapporteur sur les « immunités des membres de
l’Assemblée parlementaire » a établi, sur la base des réponses des
délégations nationales, que le terme « flagrant délit » implique
un délai de moins de 24 heures entre la commission de l’infraction
et le début des poursuites. Il a également décidé de ne pas aller plus
loin dans l’exploration des problèmes potentiels pouvant découler
de l’application de ce concept. Il a toutefois reconnu que son application
pouvait s’avérer compliquée et mentionné dans ce contexte le cas
de deux parlementaires de l’opposition reconnus coupables par un
tribunal d’avoir participé à une manifestation antigouvernementale,
laquelle avait commencé pacifiquement avant de dégénérer. Du seul
fait de leur participation à la manifestation, les deux parlementaires
avaient été considérés comme coauteurs des infractions et condamnés
en flagrant délit sans que leur immunité parlementaire eût été levée
au préalable
. Le cas d’un membre
du Parlement européen arrêté alors qu’il escaladait la clôture d’une
installation militaire illustre bien la problématique du « flagrant
délit ». Un autre exemple concerne un député n’ayant pas obtempéré à
un ordre de dispersion d’une manifestation donné par la police
.
Le rapporteur pense également aux situations dans lesquelles une
déclaration au contenu prétendument illégal publiée en ligne pourrait déclencher
une réaction immédiate des autorités publiques. Dans tous ces cas,
l’application du principe de flagrant délit peut conduire à des
condamnations sans levée préalable de l’immunité.
117. Par conséquent, le rapporteur estime que des garanties spéciales
sont nécessaires pour minimiser le risque de la multiplication des
procédures en flagrant délit pour des raisons politiques. D’une
part, le recours à cette exception à l’immunité ne devrait être
nécessaire, conformément à l’interprétation retenue par le Parlement
européen à l’époque, que pour rétablir l’ordre public et réduire
le risque de disparition de preuves. D’autre part, l’Assemblée devrait
pouvoir déterminer si les poursuites à l’encontre d’un membre revêtent
un caractère sérieux et ne sont pas inspirées par des préoccupations
étrangères à la bonne administration de la justice.
118. En ce qui concerne le dernier point, le rapporteur suggère
qu’en présence d’une forte présomption qu’un membre a été privé
sans raison de ses privilèges par l’application de la disposition
relative au flagrant délit, le Président de l’Assemblée pourrait
prendre l’initiative de faire valoir le privilège et l’immunité
de l’intéressé. Le membre peut aussi adresser au Président une demande
en vue de défendre son immunité. Ces deux possibilités sont déjà
couvertes par l’article 73.6 du Règlement.
6.4. Actions au civil: l’expérience du
Parlement européen
119. La question de la couverture
des procédures civiles par les immunités accordées aux membres de l’Assemblée
concernerait potentiellement un nombre très limité de cas. En vertu
de l’alinéa (a) de l’article 15, elle viserait les cas où les règles
nationales d’inviolabilité couvrent également les procédures civiles.
120. À supposer que la situation d’un membre relève de l’alinéa (b)
de l’article 15 (exemption d’arrestation et de poursuite judiciaire
sur le territoire de tous les autres États membres), il appartiendrait
à l’Assemblée de décider de l’opportunité de se conformer aux précédents
du Parlement européen
.
121. L’immunité accordée aux membres du Parlement européen lorsqu’ils
se trouvent sur le territoire d’un État Partie autre que le leur
[article 9, paragraphe 1, alinéa (b)] les protège contre la détention
et toute procédure judiciaire. La possibilité d’appliquer cette
disposition aux procédures civiles a longtemps été exclue pour la
simple raison que les membres fondateurs de la CECA n’avaient pas
accordé un tel privilège aux membres de leurs propres parlements
respectifs
.Toutefois,
depuis 2003, le Parlement peut maintenir l’immunité d’un membre
dans le cadre d’une procédure civile dès lors que ladite procédure
constitue « un moyen détourné d’intenter une action en justice contre
les membres d’une manière similaire à une procédure pénale »
.
Par conséquent, le libellé de l’article 9 du Protocole sur les privilèges
et immunités de l’Union européenne est interprété de manière à englober
toute procédure civile ayant pour objectif d’obtenir des dommages-intérêts
punitifs.
122. Outre les précédents établis par le Parlement européen
,
certains principes énoncés dans le cadre de la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme peuvent également suggérer
que, dans certains cas, les « poursuites » visées à l’article 15,
alinéa (b) pourraient être interprétées comme couvrant les procédures
civiles étant donné la nature punitive des sanctions.
123. Dans certaines affaires ayant donné lieu à l’imposition d’une
restriction à la liberté d’expression, la Cour européenne des droits
de l'homme a mis l’accent non pas sur la nature de ladite restriction
– pénale ou autre
–
mais sur l’« effet paralysant » que la crainte d’une sanction ou
d’une mesure punitive peut avoir sur la liberté d’expression et,
par conséquent, sur le fonctionnement sans entrave de l’institution
parlementaire. Il importe en priorité d’examiner si la manière dont
la procédure est utilisée aurait un effet dissuasif similaire à
celui d’une procédure pénale sur un député, au détriment du fonctionnement
de l’institution parlementaire.
7. Statut de témoin
124. Ni l’Accord général ni le Protocole
sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ne contiennent la
moindre disposition spécifique concernant la nécessité de lever
l’immunité avant qu’un membre puisse témoigner en qualité de témoin
ou d’expert. Le Parlement européen a adopté une position selon laquelle
ses membres n’ont pas besoin, et ne devraient pas avoir besoin,
de son autorisation pour comparaître en ces qualités. Il a énoncé
cette conclusion sur la base de l’obligation d’une coopération loyale
entre les institutions de l’Union européenne et celles des États
membres, pour autant qu’une telle pratique ne porte pas préjudice à
l’indépendance des membres. Une règle spéciale a été ajoutée au
Règlement de l’Assemblée afin de refléter le caractère institutionnel
de l’immunité: les membres peuvent comparaître en qualité de témoin
pour autant que cette comparution n’entrave pas le bon fonctionnement
de l’institution. Ainsi, ils ne doivent pas être obligés de comparaître
à une date ou à une heure qui les empêcherait de remplir leurs fonctions
parlementaires. Par ailleurs, le Parlement européen a complété cette
règle par une disposition prévalant dans certains parlements nationaux,
laquelle permet à un député de refuser de témoigner devant un tribunal
dès lors que cette déposition concerne ses activités de parlementaire.
Cette disposition ne fait pas de distinction entre les types d’immunités
et laisse à la discrétion des membres le choix de témoigner ou non
si l’affaire concerne leurs fonctions parlementaires.
125. Dans son « Avis sur la demande de levée de l’immunité parlementaire
de M. Dick Marty », la Commission du Règlement a estimé qu’aucun
parlementaire couvert par une telle immunité ne peut être entendu,
y compris en qualité de témoin, sans toutefois interdire à un membre
de déposer s’il le souhaite.
126. Dans les lignes directrices figurant à l’annexe, le rapporteur
suggère de combiner ces deux positions.
8. Volet procédural: comment l’immunité
peut-elle être invoquée ou revendiquée ?
8.1. Décision contraignante consécutive
à une demande de levée de l’immunité
127. Tout parlementaire peut invoquer
les immunités accordées aux membres de l’Assemblée s’il existe des motifs
sérieux de croire que les poursuites engagées à son encontre ou
toute restriction imposée à son droit de se rendre aux réunions
de l’Assemblée ou d’en revenir vise à porter atteinte à ses activités
politiques, à restreindre sa liberté d’action et à priver l’Assemblée
de sa contribution.
128. La compétence de l’Assemblée parlementaire en matière de levée
de l’immunité d’un de ses membres est expressément prévue par l’article 15,
troisième phrase, de l’Accord général. Par conséquent, toute décision prise
en vertu de cette disposition est contraignante pour les autorités
judiciaires des États membres du Conseil de l’Europe. L’article 73
du Règlement de l’Assemblée décrit notamment la procédure relative
à la communication et à l’examen d’une demande de levée de l’immunité
accordée en vertu de l’article 15. Ledit article ayant été introduit
dans le Règlement de l’Assemblée en 2003 et contenant des dispositions
analogues à l’article correspondant du Règlement du Parlement européen,
le rapporteur envisagera si des modifications devraient être apportées,
compte tenu de la révision du Règlement du Parlement européen intervenue
après 2003.
129. De l’avis du rapporteur, les lignes directrices devraient
préciser qu’en sa qualité de principe général, l’immunité doit pouvoir
être levée afin de prévenir l’impunité et d’assurer effectivement
le principe d’égalité devant la loi, sauf en présence d’une forte
présomption que la procédure judiciaire a été engagée dans l’intention
de nuire aux activités politiques du membre en cause.
8.2. Défense de l’immunité (article 73.6)
131. En vertu de l’article 73.6
du Règlement de l’Assemblée, tout membre de cette dernière impliqué
dans une procédure judiciaire peut adresser au Président une demande
en vue de défendre son immunité
.
La demande peut être présentée lorsqu’il est allégué qu’une atteinte
aux privilèges et immunités d’un membre par les autorités d’un État
membre s’est produite ou est sur le point de se produire. En particulier,
une telle demande de défense des privilèges et immunités peut être
présentée s’il est considéré que les circonstances peuvent s’analyser
en une restriction administrative ou autre à la liberté de déplacement
du membre se rendant au lieu de réunion de l’Assemblée ou en revenant,
en une restriction administrative ou autre à une opinion exprimée
ou à un vote émis dans l’exercice de ses fonctions, ou en l’implication
d’un membre ou d’un ancien membre dans une procédure judiciaire
en relation avec une opinion exprimée ou un vote émis dans l’exercice de
ses fonctions de parlementaire
.
132. Le rapporteur estime que la possibilité
de présenter une telle demande doit être également ouverte aux anciens
membres de l’Assemblée, compte tenu de la nature perpétuelle de
l’immunité absolue, et propose de modifier l’article 73.6
en conséquence.
133. Le rapporteur estime qu’en cas de détention d’un député, le
Président devrait, dans la décision de défense de l’immunité, attirer
l’attention des autorités nationales sur le fait que le maintien
en détention d’un élu pour une durée déraisonnable l’empêche d’occuper
son siège et compromet ainsi l’indépendance du pouvoir législatif
et l’efficacité du processus électoral destiné à déterminer la volonté
du peuple. Cet argument est d’autant plus valable qu’il existe en
droit pénal d’autres mesures de sécurité (par exemple, la mise en
liberté sous caution) permettant d’assurer le bon déroulement de
l’enquête lorsque rien n’indique que le suspect se soustraira à
la justice.
134. Contrairement à la procédure de levée de l’immunité qui trouve
son fondement dans l’Accord général, la procédure de défense de
l’immunité s’inspire des législations et pratiques nationales et
ne trouve son fondement que dans le Règlement de l’Assemblée.
135. En ce qui concerne la procédure de défense de l’immunité introduite
dans le Règlement du Parlement européen, la CJUE a estimé que même
ce texte fixant l’organisation interne de l’institution ne peut
pas accorder au Parlement des pouvoirs non expressément reconnus
par le Protocole et que, par conséquent, une décision de défense
de l’immunité constitue « un avis qui ne produit pas d’effets contraignants
à l’égard des autorités juridictionnelles nationales »
. La Cour de Luxembourg
a également souligné l’obligation de coopération loyale entre le
Parlement européen et les autorités juridictionnelles nationales
« aux fins d’éviter tout conflit
dans l’interprétation » ; ces dernières devraient suspendre la procédure
juridictionnelle le temps au Parlement de donner son avis.
8.3. Confirmation en urgence des privilèges
et immunités (article 73.6)
136. L’article 73.6 du Règlement
de l’Assemblée décrit une procédure spécifique permettant au Président d’appliquer
une procédure distincte en cas d’arrestation ou de privation de
liberté de mouvement d’un membre dans le cadre d’une violation apparente
des privilèges et immunités de l’intéressé. L’objectif de cette
procédure est de fournir une réponse d’urgence à une situation s’analysant
en une violation supposée des dispositions sur les privilèges et
immunités avant que d’autres procédures visant à établir la violation
n’aient été conclues ou bien de prévenir ou minimiser le préjudice
potentiel (irréversible) que la violation alléguée pourrait engendrer.
Avant de prendre une telle décision, le Président peut, le cas échéant,
consulter la commission compétente.
137. En vertu de la disposition susmentionnée, le Président peut
décider d’office s’il convient ou pas de prendre une initiative
urgente visant à confirmer l’immunité d’un membre arrêté ou privé
de sa liberté de déplacement (« le Président de l’Assemblée peut… »).
Le Président n’est pas tenu de prendre une telle initiative et la
décision de confirmer l’immunité d’un membre reste entièrement à
sa discrétion
.
9. Liberté de déplacement c. « immunité
de trajet »
138. Enfin, le rapporteur souhaite
attirer l’attention sur deux dispositions différentes contenues
dans l’Accord général. Même si elles poursuivent le même objectif,
à savoir préserver le fonctionnement normal de l’Assemblée et la
liberté de mouvement, chacune déclenche un mécanisme de protection
différent.
139. L’article 13 énonce l’obligation générale d’éviter toute restriction
au libre déplacement des membres de l’Assemblée, se rendant au lieu
de réunion de cette dernière ou en revenant, imposée par leur propre gouvernement
ou par les gouvernements des autres membres. Elle englobe une grande
variété de restrictions potentielles – de nature administrative,
douanière ou autre – et ne fait pas obstacle aux formalités spéciales pouvant
être accomplies pour éviter lesdites restrictions. Par conséquent,
les membres de l'Assemblée sont en principe soumis au régime général
des visas, même si un État membre accueillant une réunion ou un événement
officiel organisé par l’Assemblée est tenu de délivrer un visa aux
membres concernés. Cette disposition doit toutefois s’appliquer
de manière équitable et légale. Par exemple, un État membre n'aurait
pas le droit d'empêcher un membre de l'Assemblée d'entrer sur son
territoire en raison de ses opinions politiques ou de son origine
nationale ou ethnique.
140. L’immunité de trajet (article 15) traite d’un cas de figure
concret, à savoir l’imposition de restrictions (arrestation et détention)
à un membre de l’Assemblée, quel que soit l’État dont il est ressortissant
et indépendamment de la protection accordée par les lois nationales
pertinentes. Ce principe garantit aux membres de l’Assemblée l’immunité
d’arrestation et de détention lorsqu’ils voyagent pour le compte
de l’Assemblée, y compris à l’intérieur du territoire de leur propre
État, indépendamment de l’immunité accordée par la législation nationale.
Si un État membre décide ou maintient la détention d’un membre exerçant
sa fonction de représentant à l’Assemblée, il doit d’abord soumettre
à cette dernière une demande de levée de l’immunité de l’intéressé.
10. Conclusions
141. Le présent rapport vise à résumer
les principes régissant l’application du régime d’immunité accordé
aux membres de l’Assemblée et à établir les critères d’application
devenus indispensables pour répondre au souci de protection efficace
desdits membres, notamment à la lumière des nouveaux risques politiques,
mais aussi pour fixer des critères clairs et objectifs permettant
aux privilèges et immunités de répondre à leur finalité institutionnelle
tout en prévenant l’éventuel détournement des privilèges par les
parlementaires à des fins personnelles.
142. Après avoir examiné la portée des immunités accordées aux
membres de l’Assemblée, le rapporteur est parvenu à la conclusion
liminaire que le Conseil de l’Europe dispose d’une base solide pour
répondre aux deux besoins décrits dans le paragraphe précédent.
143. Bien sûr, le recours à un double régime d’immunité par l’article 15,
lequel prévoit une portée variable de la protection et crée des
situations distinctes, rend la protection moins efficace. D’un autre
côté, les raisons sous-jacentes à un tel régime — telles qu’elles
découlent du double mandat des membres de l’Assemblée — sont toujours
valables aujourd’hui. De plus, tous les membres de l’Assemblée jouissent,
pendant leur mandat, de l’immunité « fondamentale » d’arrestation
et de détention, indépendamment de leur pays d’origine et de sa législation.
144. L’approche pragmatique commande de ne pas s’engager dans le
long et difficile processus de révision de l’Accord général. Par
conséquent, le rapporteur se propose de clarifier le régime d’application
de cet instrument et de rappeler aux États membres les obligations
déjà existantes. Cette approche est tout à fait conforme à la position
du Comité des Ministres qui « considère qu’une mise en œuvre effective
de ces règles [
en matière de privilèges
et immunités] résoudrait la plupart des problèmes soulevés
par l’Assemblée parlementaire [
dans saRecommandation 2083 (2016) ‘Les sanctions prises à l’encontre
de parlementaires’] ».
145. Le rapporteur souligne en outre que le recours aux principes
d’interprétation fondamentaux éviterait les situations d’interprétation
unilatérale par les États membres et rassurerait l’Assemblée quant
à sa compétence en matière de levée des immunités de ses membres.
146. Les lignes directrices énoncées dans le projet de résolution
ne créent pas de nouveaux droits et privilèges. Elles résument simplement
les pratiques internes, y compris celles du Parlement européen avec lequel
l’Assemblée partage le régime d’immunité, mettent en œuvre les principes
et l’interprétation définis par les juridictions européennes et
fournissent des informations pratiques pour fluidifier le traitement
des demandes liées à l’immunité et offrir des garanties contre les
abus.
147. Enfin, les lignes directrices permettront aux membres de l’Assemblée
de mieux connaître les privilèges et immunités dont ils jouissent.