1. Introduction
1. Au cours des dernières décennies,
d’importants progrès ont été accomplis pour faire de l’égalité des droits
une réalité pour les personnes LGBTI dans toute l’Europe. Le tableau
est contrasté et varie considérablement d’un pays à l’autre, mais
dans l’ensemble, des lois relatives aux crimes de haine et à la discrimination
ont été renforcées, des procédures concernant la reconnaissance
juridique du genre ont été simplifiées, l’intégrité physique des
personnes intersexes commence à être mieux protégée et les droits
des familles arc-en-ciel bénéficient d’une reconnaissance croissante.
Ces progrès substantiels doivent être salués, même s’ils sont encore
insuffisants.
2. On a en effet également observé ces dernières années une augmentation
marquée des propos haineux, des actes de violence et des crimes
de haine contre les personnes, les communautés et les organisations LGBTI
dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. Il est alarmant
de constater qu’une proportion importante du discours de haine,
de la diffamation et de la stigmatisation visant les personnes LGBTI,
ainsi que des attaques de grande envergure visant l’exercice de
leurs droits civils, proviennent de personnalités et de responsables
politiques, y compris des représentants gouvernementaux, ainsi que
de dirigeants religieux. Ces dynamiques peuvent être observées quel
que soit le niveau de protection attribué aux droits humains des
personnes LGBTI dans un pays donné – elles touchent les sociétés
très ouvertes comme les très conservatrices.
3. Cette situation préoccupante a conduit la commission sur l’égalité
et la non-discrimination à adopter, le 24 juin 2020, la proposition
de résolution qui est à l’origine du présent rapport; j’ai été nommé
rapporteur par la commission le 15 octobre 2020. Un grand nombre
des questions en jeu étaient déjà bien connues de notre commission,
notamment grâce à la série de résolutions et de recommandations
élaborées depuis 2010
par notre commission au nom de
l’Assemblée sur différents aspects des droits des personnes LGBTI,
ainsi qu’à l’engagement, tout au long des dix dernières années,
de ses rapporteurs généraux successifs sur les droits des personnes
LGBTI, fonction que j’ai l’honneur d’occuper actuellement. Afin
de dresser le tableau le plus à jour et le plus complet possible
de la situation actuelle dans toute l’Europe, j’ai effectué des
recherches documentaires supplémentaires et tenu de nombreuses réunions
bilatérales avec des parties prenantes concernées, en particulier
la société civile, lors de la préparation de ce rapport.
4. Je tiens à remercier très chaleureusement la commission des
questions d’actualité du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
de m’avoir invité à participer aux réunions en ligne qu’elle a organisées
les 2 et 3 novembre 2020 avec des interlocuteurs polonais (autorités
nationales, régionales et locales et acteurs de la société civile)
dans le cadre de son propre rapport intitulé «Le rôle des collectivités
locales et régionales concernant la situation des personnes LGBTI
en Pologne». Le Congrès a adopté ce rapport le 16 juin 2021, ainsi
qu’un rapport connexe intitulé «La protection des personnes LGBTI
dans le contexte de la montée des discours de haine et de la discrimination
à leur égard: le rôle et les responsabilités des pouvoirs locaux
et régionaux»
.
5. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, notre commission
a tenu le 27 novembre 2020 une audition à laquelle ont participé
Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant des Nations Unies sur
l’orientation sexuelle et l’identité de genre, Teodora Ion-Rotaru,
directrice exécutive de l’association ACCEPT, Roumanie, Tina Kolos
Orbán, responsable de projet de l’association Transvanilla, Hongrie,
et Miltos Pavrou, responsable de projet en recherche sociale, Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne.
6. La commission a tenu une seconde audition le 18 mai 2021,
à laquelle ont participé Dunja Mijatović, Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, Emina Bosnjak, directrice exécutive,
Sarajevo Open Centre, Bosnie-Herzégovine, Marsel Tuğkan, consultant,
ILGA-Europe, Turquie, et Lui Asquith, responsable des questions
juridiques et des politiques, association Mermaids, Royaume-Uni.
7. Mon travail sur le rapport ne m’a laissé aucun doute sur le
fait que la recrudescence de la haine à laquelle nous assistons
aujourd’hui n’est pas simplement le produit de préjugés individuels,
ni d’une supposée plus grande liberté d’exprimer ces préjugés, mais
le résultat d’attaques soutenues et souvent bien organisées contre
les droits humains des personnes LGBTI dans tout le continent européen.
En niant la dignité humaine et le droit à l’égalité des personnes
LGBTI, ces attaques font peser une menace sur le fondement de nos démocraties:
lorsqu’une minorité est attaquée, ce sont toutes les minorités qui
sont menacées. Les avancées importantes réalisées ces dernières
années sont aujourd’hui en péril, et il est essentiel de réagir
rapidement pour éviter de nouveaux reculs et inverser la tendance.
2. Hétéronormativité, hétérosexisme, cisgenrisme
et mouvements anti-genre et critiques à l’égard du genre
8. Dans ce rapport, j’emploie
fréquemment les termes d’homophobie, de biphobie, de transphobie
et d’interphobie. Ils correspondent à de nombreux phénomènes que
l’on peut observer dans nos sociétés, et désignent clairement les
groupes visés par l’hostilité qui se manifeste dans des sentiments,
des propos ou des actes haineux. Toutefois, ils tendent également
à suggérer que la haine ne serait qu’une question de psychologie
individuelle (la phobie est une peur). À ce titre, ils ne permettent
pas de saisir les mécanismes structurels qui sont à l’œuvre dans
nos sociétés et génèrent de la haine, et ils minimisent d’importantes
formes de discrimination subies par les personnes LGBTI, que j’expose
brièvement ci-dessous
.
9. Comme l’a souligné l’expert indépendant des Nations Unies,
Victor Madrigal-Borloz, lors de notre audition du 27 novembre 2020,
l’idée que les vies de personnes LGBT seraient d’une manière ou
d’une autre antisociales, dérangées et marquées par le péché a laissé
de profondes traces dans la conscience des sociétés du monde entier.
Même si ces idées sont aujourd’hui réfutées, leur influence durable
se manifeste encore dans les façons de penser d’une proportion importante
de la population.
10. Les sociétés patriarcales occidentales se sont traditionnellement
bâties autour de la notion de masculinité hégémonique: les gens
se partagent entre deux groupes inégaux et complémentaires – ceux
qui pénètrent et ceux qui sont pénétrés, ces derniers étant considérés
comme inférieurs. Dans cet ordre social, les hommes virils sont
classés comme hiérarchiquement supérieurs aux femmes, et les hommes
jugés insuffisamment masculins sont relégués dans la catégorie féminine
(inférieure). En outre, toute personne est supposée être automatiquement
hétérosexuelle et cisgenre
.
11. Ces constructions sociales artificielles sont bien connues
des féministes: elles oppriment les femmes et sont au cœur des inégalités
de genre et de la violence fondée sur le genre qui persistent aujourd’hui
. Mais de façon tout aussi
importante, elles mettent en opposition les personnes hétérosexuelles
et les personnes homosexuelles ou bisexuelles, ainsi que les personnes
cisgenres et les personnes transgenres ou non binaires; de fait,
toute personne dont l’orientation sexuelle, l’identité de genre,
l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles ne sont
pas conformes aux normes binaires peut encore, bien souvent, être considérée
comme anormale, antisociale et par définition inférieure.
12. Les sociétés hétéronormatives et hétérosexistes, telles que
décrites ci-dessus, étouffent collectivement les identités et les
réalités de tous ceux qui remettent en question la hiérarchie établie
des sexes et des genres – bien que cet ordre ne fonctionne qu’en
faveur des hommes virils et cisgenres et des individus qu’ils choisissent
de protéger. C’est pourquoi les luttes pour les droits des femmes
et les droits des personnes LGBTI sont si étroitement liées. L’ordre
social dominant jette le déshonneur sur les corps des personnes
intersexes qui ne sont pas conformes au paradigme binaire masculin/féminin
, et sur l’orientation sexuelle,
l’identité de genre et l’expression de genre de toute personne qui
ne correspond pas à la norme hétérosexiste. Même dans les sociétés
qui ont abrogé de nombreuses lois discriminatoires, manifestations
légales de l’hétéronormativité, et qui ont promulgué des lois visant
à mieux protéger les droits des personnes LGBTI, les individus qui
ne cachent pas le fait qu’ils sont LGBTI continuent d’être la cible
d’insultes et d’attaques. Au Royaume-Uni, par exemple, 99 % des
élèves entendent le terme «gay» employé en tant qu’insulte dans
les écoles, tandis que «pédé» est l’insulte la plus courante dans
les écoles françaises
.
13. Il existe un lien direct entre, d’une part, l’hétéronormativité
et l’hétérosexisme, et d’autre part, les mouvements anti-genre et
critiques à l’égard du genre qui prennent de l’ampleur, sur lesquels
nous reviendrons plus bas. Les mouvements anti-genre et critiques
à l’égard du genre, qui bénéficient d’un financement solide et partagent
des caractéristiques, des stratégies et un langage communs
, nient les principes
fondamentaux des droits humains qui sont en jeu – la lutte pour
la reconnaissance et l’égalité des droits – et qualifient à tort
d’«idéologie du genre» les efforts visant à déconstruire les stéréotypes
sexistes profondément préjudiciables qui existent dans nos sociétés.
14. Quelles que soient leurs motivations, ces mouvements œuvrent
au maintien des inégalités dans les rapports entre les genres, au
nom de la «tradition», des «valeurs familiales», des «valeurs chrétiennes»
ou d’un prétendu «ordre naturel». Les attaques contre l’avortement,
l’accès à la contraception, l’éducation sexuelle complète, le mariage
entre personnes de même sexe, le genre, la reconnaissance juridique
du genre, l’accès aux soins médicaux liés à la transition, la participation
des personnes trans et intersexes dans le sport, et la ratification
et la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, sont autant d’éléments
de ce programme
– un
programme qui, en maintenant ou exacerbant les inégalités, porte
directement atteinte aux droits humains des femmes, des enfants
et des personnes LGBTI. Les manifestations de plus en plus nombreuses
de haine envers les personnes LGBTI auxquelles nous assistons aujourd’hui
en Europe doivent être comprises non pas comme de simples actes
individuels, mais comme s’inscrivant dans cette dynamique plus vaste,
qui nuit également aux femmes et aux enfants.
3. Rhétorique
anti-genre et discours de haine
15. Les discours de haine expressément
anti-LGBTI ont augmenté en 2020 en Europe. Il a été signalé qu’au cours
de cette période, la tendance des responsables politiques à attaquer
verbalement les personnes LGBTI a sensiblement augmenté, entre autres,
dans les pays suivants: Albanie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie,
République tchèque, Estonie, Finlande, Hongrie, Italie, Lettonie,
République de Moldova, Macédoine du Nord, Pologne, Fédération de
Russie, République slovaque et Turquie, ainsi qu’au Kosovo*
. Des dirigeants
religieux ont également répandu des propos haineux au Bélarus, en
Grèce, en République slovaque, en Turquie et en Ukraine, nombre
d’entre eux accusant directement les personnes LGBTI d’être responsables
de la pandémie de covid-19
.
16. Des messages haineux envers les personnes LGBTI sont également
diffusés par le biais des médias, d’internet, de jeux vidéo et de
la musique. Une augmentation des propos haineux sur les réseaux
sociaux a été signalée en Belgique, en Bulgarie, en Croatie, en
République tchèque, à Malte, au Monténégro, en Fédération de Russie
et en Turquie l’année passée, ainsi que dans les grands médias en
Slovénie et en Ukraine. Le phénomène est observé depuis un certain
temps en Géorgie, en Irlande, aux Pays-Bas, en Macédoine du Nord,
au Portugal, en Roumanie, en République slovaque, en Espagne et
au Royaume-Uni
.
17. Le discours de haine anti-LGBTI est souvent étroitement lié
à un discours anti-genre plus large, qui s’est répandu dans toute
l’Europe et dans le monde ces dernières années
.
Sur notre continent, il est particulièrement manifeste dans l’opposition
aux efforts visant à obtenir une meilleure reconnaissance des couples
de même sexe. On peut citer comme exemples la campagne menée pendant
trois ans en Roumanie pour tenir un référendum visant à inscrire
l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe dans la Constitution,
et les campagnes contre la reconnaissance de ces mariages en Slovénie
et en Croatie
.
Ces discours étaient également au cœur des manifestations contre
le mariage pour tous, en 2013 en France, et contre la reconnaissance
des unions civiles, en 2016 en Italie
. De même, ils
ont joué un rôle central dans les attaques visant les droits des
personnes trans, notamment au Royaume-Uni, que nous aborderons plus
bas.
18. Ces discours tendent à mettre en question l’existence même
du genre comme catégorie de protection au regard du droit international
des droits humains, et à contester la notion selon laquelle le genre
est une construction sociale distincte du sexe (biologique) et n’a
pas de fondement binaire. Ces éléments sont pourtant cruciaux pour
comprendre la réalité vécue par les personnes non binaires, transgenres
ou de genre divers ainsi que pour comprendre les droits sexuels
et génésiques. De même, ils sont étroitement liés aux notions de pouvoir
et de contrôle sur les corps des personnes qui ont un utérus
.
19. Les débats autour de la ratification de la Convention d’Istanbul
qui ont eu lieu dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe
ces dernières années ont souvent reflété ces dynamiques. La Bulgarie
en offre un exemple intéressant. Au cours de ces débats, des récits
trompeurs ont été propagés de façon massive et ont eu des conséquences
négatives pour les femmes, les enfants et les personnes LGBTI. Depuis
que la Cour constitutionnelle a jugé, dans un arrêt majoritaire,
que la Convention d’Istanbul n’était pas conforme à la Constitution
du pays, les personnes qui défendent les droits des femmes, les
ONG qui travaillent avec les victimes de violence à l’égard des
femmes, les personnes LGBTI et les organisations qui défendent leurs
droits font face à des campagnes de diffamation, des propos haineux
dans les médias, des coupes budgétaires et des agressions physiques
.
Une dynamique similaire – là aussi, aux conséquences négatives pour
les droits des femmes et des personnes LGBTI – a conduit le Parlement
slovaque à refuser à plusieurs reprises de ratifier la Convention.
La décision unilatérale du Président turc, en mars 2021, de retirer
la Turquie de la Convention d’Istanbul (décision contestée actuellement
devant les tribunaux turcs) peut également être considérée comme
s’inscrivant dans cette tendance.
4. L’instrumentalisation
du discours de haine et de la rhétorique anti-genre à des fins politiques
20. Comme l’a souligné l’expert
indépendant des Nations Unies lors de notre audition du 27 novembre
2020, dans de nombreuses régions d’Europe, on observe une banalisation
inquiétante du discours de haine contre les personnes LGBT dans
les débats publics, les manifestations et toute autre forme d’espace
public. Ces discours ont acquis une légitimité et sont acceptés
dans la vie politique, et le populisme qui les adopte obtient de
bons résultats aux élections. Cela donne un poids considérable aux
messages agressifs qui appellent à la suppression des orientations
sexuelles non hétéronormatives et des identités de genre non cisnormatives, ainsi
qu’à la limitation des droits humains des personnes LGBT.
21. En Pologne, des personnalités politiques ont signé des «chartes
de la famille» homophobes, et une centaine de conseils locaux et
régionaux ont adopté des déclarations «contre l’idéologie LGBTI»
(ces zones sont fréquemment appelées «zones sans LGBT») ou des «chartes
de la famille». Les débats qui ont précédé l’adoption de ces documents
ont souvent été marqués par un langage agressif et discriminatoire,
et tendaient à qualifier la défense des droits des personnes LGBTI
de propagande préjudiciable aux enfants et visant à saper les valeurs
traditionnelles polonaises
. La Commission européenne
a exprimé sa crainte que ces déclarations n’enfreignent le droit
de l’Union européenne en matière de non-discrimination. Constatant
que les autorités polonaises n’avaient pas fourni de réponse adéquate
à ses demandes d’informations répétées à cet égard, la Commission
a lancé, le 15 juillet 2021, une procédure d’infraction à l’encontre
de la Pologne
.
22. Des personnalités politiques au plus haut niveau ont manié
le discours de haine contre les personnes LGBTI, exploitant les
préjugés à des fins politiques. Au cours de la campagne présidentielle
de 2020, le candidat sortant (et finalement réélu) a expressément
nié la dignité, l’égalité et l’humanité des personnes LGBTI, déclarant
«ils essaient de nous convaincre que les [LGBTI] sont des personnes,
alors qu’il s’agit d’une idéologie» et qualifiant l’«idéologie LGBTI»
d’«idéologie du mal»
.
23. Tandis que le débat public sur l’égalité LGBTI devient de
plus en plus politisé, certains acteurs observent que l’adoption
de déclarations «contre l’idéologie LGBTI» et de «chartes de la
famille» vise principalement à manifester son soutien au parti au
pouvoir
.
Or de telles déclarations, de par leur nature même, privent les personnes
LGBTI du droit d’exister et d’un espace de vie sûr. Elles sont une
violation flagrante de la dignité humaine et de l’égalité, et mettent
directement en péril l’État de droit et la démocratie, celle-ci
reposant sur des sociétés dans lesquelles chacun peut se sentir
accueilli, protégé et en mesure de jouer un rôle actif. En outre, elles
rendent plus difficile encore la situation de personnes qui ont
besoin de soutien.
24. Comme je l’ai souligné dans ma déclaration publique à ce sujet
en juin 2020, les responsables politiques ne peuvent pas rester
les bras croisés lorsque des membres de nos sociétés sont pris pour
cible, stigmatisés et déshumanisés: nous devons être sans concession
dans le rejet de l’homophobie, de la transphobie, de la biphobie
et de l’interphobie, et nous devons dénoncer la haine à chaque fois
que nous en sommes témoin. J’ai appelé les responsables politiques
polonais à soutenir le renforcement des lois contre la haine et
la discrimination et à veiller à ce qu’elles soient effectivement
appliquées, plutôt que de propager la haine
.
25. Je trouve profondément inquiétant que les droits des personnes
LGBTI soient politisés et instrumentalisés de cette manière. Je
salue le fait que certaines autorités municipales, locales et régionales aient
révoqué les chartes ou les déclarations anti-LGBTI qu’elles avaient
adoptées précédemment, parfois à la suite de la décision d’homologues
internationaux de cesser de les soutenir financièrement, et que
des dizaines d’autres, qui avaient fait l’objet de pressions pour
signer de tels textes, ont finalement renoncé à les adopter, préférant
signer des déclarations contre l’homophobie dans certains cas.
26. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a souligné, lors de notre audition du 18 mai 2021, que son travail
de suivi dans plusieurs autres pays avait mis en évidence une manipulation flagrante
des préjugés anti-LGBTI à des fins politiques à court terme, notamment
en contexte électoral.
27. En Arménie, en 2018, deux propositions de loi anti-LGBTI ont
été présentées au parlement, l’une proposant d’ériger en infraction
pénale le fait de s’embrasser en public lorsqu’il s’agit de personnes
de même sexe, et l’autre proposant d’ériger en infraction administrative
«la propagande en faveur de relations sexuelles non traditionnelles
[définies comme incluant les relations homosexuelles] auprès des
mineurs». La Commissaire a fait part de sa préoccupation quant au
fait que ces projets de loi pourraient être «conçus pour attiser
les sentiments anti-LGBTI en tant qu’élément de rivalité entre des
groupes politiques opposés», qu’ils risquaient d’être «instrumentalisés
au détriment des droits de la communauté LGBTI» et qu’ils détournaient l’attention
d’autres problèmes fondamentaux de droits humains auxquels le pays
devrait s’attaquer
.
La situation des personnes LGBTI en Arménie, ainsi qu’en Azerbaïdjan
et en Géorgie, fait actuellement l’objet d’un examen plus approfondi
par notre collègue Christophe Lacroix (Belgique, SOC).
28. En ce qui concerne la République de Moldova, des propos haineux
tenus par des personnalités politiques de haut niveau, des responsables
religieux et des dirigeants locaux ont été signalés à la Commissaire
en 2019. Leur nombre aurait augmenté au cours des périodes électorales,
avec une aggravation liée au discours de haine émanant des médias
ou diffusé par ceux-ci. Les personnes LGBTI en République de Moldova
ont fréquemment été la cible de propos haineux particulièrement
virulents. Ni les autorités ni les médias n’ont fait de grands efforts
pour lutter contre cette tendance, et le cadre juridique contre
le discours de haine n’est guère protecteur. La Commissaire a exhorté
les autorités moldaves à adopter des dispositions législatives plus
strictes contre le discours de haine anti-LGBTI, à élargir les compétences
de l’organisme national chargé de l’égalité dans ce domaine, et
à assumer leurs responsabilités pour s’attaquer à cette question
qui relève des droits humains
.
29. Une grande partie des propos haineux sont proférés en ligne,
notamment sur les réseaux sociaux. Ne pas traiter la question du
discours de haine sur les réseaux sociaux revient à tolérer les
propos haineux et l’incitation à la haine, en violation de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5)
, alors même
que les organisations LGBTI font constamment l’objet de telles attaques,
sans qu’il existe de recours. Les entreprises des réseaux sociaux
commencent à reconnaître qu’il est dans leur intérêt d’éviter que
leurs plateformes soient utilisées pour attiser la haine, la discrimination
ou la violence, et elles tiennent compte de l’approche gouvernementale.
Ainsi que l’a souligné la Commissaire aux droits de l’homme lors
de notre audition du 18 mai 2021, il appartient aux responsables
politiques de créer et de définir les obligations auxquelles sont
soumises les entreprises des réseaux sociaux, et il appartient au
système judiciaire de veiller à leur application
.
30. Dans des pays tels que les Pays-Bas, où d’importants progrès
en matière d’égalité des personnes LGBTI ont été accomplis et où
l’attitude du public à l’égard des personnes LGBTI est favorable,
les partis d’extrême droite ont recours à l’homonationalisme pour
promouvoir un programme raciste. Ils stigmatisent les groupes minoritaires
et caractérisent les musulmans, en particulier, comme homophobes
et réactionnaires – comme si tous les musulmans nourrissaient une
haine anti-LGBTI et tous les chrétiens blancs et occidentaux y étaient
favorables. Si les leviers actionnés ici sont très différents de
ceux décrits plus haut, l’homonationalisme n’est pas seulement raciste:
il instrumentalise lui aussi les personnes LGBTI et leurs droits pour
promouvoir un programme politique fondé sur la haine. L’utilisation
de ce discours nuit aux minorités nationales, ethniques et religieuses
visées, tout en restant totalement indifférent à son impact sur
les personnes LGBTI elles-mêmes.
31. La conclusion qui s’impose, pour reprendre les termes de la
Commissaire lors de l’audition du 18 mai 2021, est que les responsables
politiques, dans une grande partie de l’Europe, manquent à leurs responsabilités
consistant à éduquer le public, combattre les stéréotypes et œuvrer
en faveur de la tolérance. Au lieu de cela, ils utilisent les préjugés
contre les personnes LGBTI pour promouvoir des programmes et des intérêts
politiques préjudiciables, aux dépens et au mépris total des droits
des personnes LGBTI. Ces mouvements traitent les personnes LGBTI
simplement comme si elles ne méritaient pas le respect et l’égale dignité
dus aux êtres humains.
32. Cela ne peut être toléré. Les responsables politiques et les
autorités publiques doivent s’opposer vigoureusement à la déshumanisation
des personnes LGBTI, et ne pas laisser cette charge à la seule société civile.
Ils doivent s’abstenir de tenir eux-mêmes des propos haineux, prendre
position rapidement, fermement et publiquement contre tout discours
de haine visant les personnes et les militants LGBTI, et veiller
à ce que tous les cas de discours de haine fassent l’objet d’enquêtes
et de poursuites effectives. En outre, ils doivent faire en sorte
qu’une législation efficace soit en place afin que de telles mesures
puissent être prises (voir ci-dessous).
5. Lois
en faveur de l’égalité: une adoption de plus en plus difficile,
des reculs de plus en plus nombreux
33. Ainsi que l’a souligné la Commissaire
aux droits de l’homme, un cadre législatif solide est d’autant plus important
que le climat politique et sociétal est hostile. Or, il existe encore
d’importantes lacunes dans la protection juridique des personnes
LGBTI en Europe, s’agissant notamment des lois sur le discours de
haine, des circonstances aggravantes des infractions pénales, de
la reconnaissance des partenariats et des mariages entre personnes
de même sexe, ou de la reconnaissance juridique du genre
.
34. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) a publié une fiche thématique présentant un aperçu des normes
qui devraient être respectées dans ces domaines; le document se
fonde sur le suivi mené à ce jour par l’ECRI et sur d’autres normes
essentielles du Conseil de l’Europe, y compris la Convention européenne
des droits de l’homme et la jurisprudence pertinente de la Cour
européenne des droits de l’homme, ainsi que sur les textes adoptés
par l’Assemblée. Si des avancées essentielles ont été accomplies ces
dernières décennies, des progrès doivent encore être faits dans
toute l’Europe, à des degrés divers, en ce qui concerne les dispositions
législatives visant à combattre la haine et à prévenir la discrimination
à l’égard des personnes LGBTI
.
35. Il semble toutefois de plus en plus difficile de faire aboutir
les efforts visant à promulguer de telles lois, et dans certains
cas, les avancées ont été suivies d’un recul. Je voudrais ici attirer
l’attention sur trois exemples; de nombreux autres pourraient toutefois
être cités. Je reviendrai dans une section distincte, plus bas,
sur les revers spécifiques auxquels sont actuellement confrontées
les personnes trans, non binaires et genderqueer, y compris certaines
personnes intersexes.
36. En Italie, un projet de texte législatif visant entre autres
à renforcer la loi contre les infractions motivées par la haine
par l’élargissement de la liste des motifs expressément couverts
pour y inclure le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité
de genre et le handicap, approuvé par la Chambre des députés en
novembre 2020, est resté depuis lors bloqué au Sénat. Le texte a
fait l’objet de débats publics et politiques intenses, y compris
de propos homophobes ou transphobes
.
37. En Lituanie, plusieurs initiatives ont tenté en vain, depuis
2015, d’obtenir la reconnaissance juridique des couples de personnes
de même sexe. Un nouveau projet de loi sur le partenariat sans distinction
de genre, présenté le 21 mai 2021, a été renvoyé à ses auteurs pour
révision et ne sera pas réexaminé avant plusieurs mois; un rassemblement
en faveur des «valeurs familiales traditionnelles» s’était tenu
une semaine avant à Vilnius, auquel auraient participé plusieurs
milliers de personnes. Parallèlement, de nombreuses initiatives législatives
visant à restreindre les droits des personnes LGBTI ont été enregistrées
ces dernières années, notamment des propositions d’amendement prévoyant
d’exclure les familles arc-en-ciel de la notion constitutionnelle
de famille. En outre, la loi lituanienne «anti-propagande LGBTI»
est toujours en vigueur (voir chapitre suivant)
.
38. En Hongrie, une série de lois profondément préjudiciables
aux droits des personnes LGBTI ont été adoptées au cours de l’année
passée. Outre les modifications législatives anti-trans adoptées
au printemps 2020 (voir ci-dessous), le parlement a adopté, en décembre
2020, une loi privant les personnes non mariées du droit d’adopter
un enfant (dans ce pays, les personnes de même sexe ne peuvent se
marier). Il a également adopté des amendements constitutionnels
visant à limiter l’identité de genre des enfants au sexe assigné
à la naissance, à imposer une éducation fondée sur la «culture chrétienne»
de la Hongrie, et à institutionnaliser une définition hétéronormative
de la famille. A la demande de la Commission de suivi de l’Assemblée,
la Commission de Venise a examiné ces amendements dans un avis récent.
Elle a exprimé son inquiétude au vu notamment de l’absence de consultation
publique sur ces amendements, de leur adoption pendant l’état d’urgence,
de l’instrumentalisation politique de la constitution, ainsi que
de l’effet clairement ou potentiellement discriminatoire des amendements
au motif de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre
.
Le 15 juin 2021, des modifications ont été apportées à une série
de lois, qui interdisent «la représentation et la promotion d’une identité
de genre différente du sexe à la naissance, du changement de sexe
et de l’homosexualité» auprès des personnes âgées de moins de 18
ans. Tous ces changements ont été instaurés pendant que les restrictions aux
rassemblements publics liées à la pandémie de covid-19 empêchaient
la tenue de manifestations
. Ils sont contraires aux normes
internationales relatives aux droits humains, y compris à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme et aux résolutions de
l’Assemblée, et constituent des atteintes systématiques aux droits
des personnes LGBTI. Le 15 juillet 2021, la Commission européenne
a annoncé sa décision de lancer une procédure d’infraction à l’encontre
de la Hongrie concernant d’éventuels manquements à plusieurs articles
du Traité sur l’Union européenne ainsi qu’à l’article 2 de la Charte
des droits fondamentaux relatif aux valeurs de l’égalité et de la
protection des droits humains
.
Peu après, le 21 juillet 2021, le Premier ministre hongrois a toutefois
annoncé son intention de convoquer un référendum invitant la population hongroise
à exprimer son approbation des modifications les plus récentes.
Les questions qui seraient soumises au vote seraient apparemment
très tendancieuses: les électeurs seraient par exemple invités à indiquer
s’ ils acceptent que l’école «parle de sexualité à leurs enfants
sans leur consentement» ou s’ils soutiennent «la promotion des traitements
de changement de sexe pour les mineurs»
.
6. Les
libertés d’expression, d’association et de réunion
39. Parmi les politiques et mesures
qui portent directement atteinte à l’égalité et aux droits des personnes LGBTI,
je souhaite également mentionner une série de restrictions et d’attaques
contre les libertés d’expression, d’association et de réunion.
40. Les lois «anti-propagande LGBTI», que l’Assemblée a déjà condamnées
dans sa
Résolution 1948 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et sur l’identité de genre», restent en vigueur dans les
pays concernés, et comme indiqué ci-dessus, de nouvelles dispositions
similaires viennent d’être adoptées par le Parlement hongrois. Ces
lois sont promues au motif qu’elles protégeraient les mineurs. Or,
en empêchant l’accès à des informations objectives sur l’orientation
sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques
sexuelles, elles exposent les jeunes à un risque de préjudice bien plus
élevé et ne contribuent d’aucune façon à briser la stigmatisation
ni à créer une société plus ouverte et tolérante. En outre, la Cour
européenne des droits de l’homme a constaté que ces lois entraînaient
une violation de l’article 10 ainsi que de l’article 14 combiné
avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme
.
41. Les mesures qui visent à limiter ou empêcher l’accès des enfants
à des livres représentant des familles non hétéronormatives, ou
à éliminer toute discussion sur le genre à tous les niveaux de l’enseignement,
sont tout aussi préjudiciables
.
42. Dans le contexte hétéronormatif décrit ci-dessus, de nombreuses
personnes LGBTI intériorisent la honte dès leur plus jeune âge et
cherchent à se rendre invisibles aussi longtemps qu’elles le peuvent.
Les marches des fiertés et autres manifestations de ce type ne peuvent
être pleinement comprises que dans ce contexte, comme une conséquence
directe de la honte imposée aux personnes LGBTI et de la stigmatisation entretenue
de longue date par les sociétés hétéronormatives et hétérosexistes;
ces manifestations ne cherchent pas à imposer une vision du monde
mais sont un moyen essentiel, pour les personnes LGBTI, de se réapproprier
l’espace et la dignité que l’ordre social dominant leur refuse encore.
43. Cependant, la liberté de réunion des personnes LGBTI continue
d’être menacée dans de nombreux pays européens. La police n’assure
pas toujours une protection suffisante des marches des fiertés et
autres manifestations des organisations LGBTI, laissant les personnes
LGBTI exposées à des agressions; dans certains pays, les autorités
ont poursuivi des personnes LGBTI pour avoir exercé leur droit de
réunion pacifique. Au cours de la seule année 2020, ILGA-Europe
a attiré l’attention sur des manifestations LGBTI attaquées ou perturbées
par des extrémistes en Bulgarie, sur le refus d’autoriser la tenue
d’une conférence en Grèce, sur des rassemblements anti-LGBTI en
Pologne lors desquels des militants LGBTI qui protestaient pacifiquement
contre les rassemblements ont été arrêtés, sur plusieurs procès
intentés en Turquie contre des participants pacifiques à des marches
des fiertés, et sur une violente attaque contre la marche des fiertés d’Odessa,
en Ukraine. À plusieurs occasions, la Cour européenne des droits
de l’homme a constaté que les interdictions visant les marches des
fiertés et l’absence de protection de ces marches contre les attaques violentes
constituaient une violation de la Convention
.
44. En Turquie, des marches des fiertés se sont déroulées pacifiquement
pendant plusieurs années. Toutefois, depuis le coup d’État manqué
de 2016, les personnes et les organisations LGBTI sont la cible
d’un nombre croissant de déclarations hostiles du Président et dans
les médias, qui encouragent les autorités nationales et locales
à restreindre les manifestations LGBTI
.
En raison de l’interdiction générale de tous les événements LGBTI
promulguée en 2016 à Ankara, les personnes LGBTI ont été dans l’impossibilité d’organiser
des événements jusqu’à ce qu’un tribunal lève l’interdiction en
février 2019. En mai 2019, une marche des fiertés organisée sur
le campus de l’Université technique du Moyen-Orient d’Ankara a été violemment
dispersée par les forces de l’ordre. Bien que l’événement ait été
pacifique, 22 personnes ont été arrêtées et sont actuellement poursuivies
en justice. Le procès a été reporté à plusieurs reprises, faisant
ainsi obstruction à la justice et rendant la situation plus difficile
pour les personnes mises en cause. En mars 2021, des manifestations
pacifiques d’étudiants à l’université Boğaziçi d’Istanbul ont également
été violemment dispersées, et le club étudiant LGBTI+ a été obligé
de fermer
. En raison de ces
mesures et de l’attitude hostile des autorités, les personnes LGBTI
ne sont pas en mesure de circuler librement dans la rue, de se réunir,
d’organiser des marches, ni même de se rassembler pour la projection
d’un film.
45. La saison des fiertés en 2021 – couronnée par la WorldPride,
tenue avec succès au mois d’août à Copenhague et à Malmö – a de
nouveau vu la liberté de réunion mise à l’épreuve, à plusieurs occasions.
Si certains développements comme la tenue de la troisième marche
des fiertés à Sarajevo sont à saluer, plusieurs événements organisés
autour du thème des fiertés ont rencontré des difficultés. La marche
des fiertés d’Istanbul a par exemple été interdite pour la septième
fois de suite en 2021; certaines des personnes qui s’étaient néanmoins
réunies afin de manifester ont subi l’usage excessif de la force
par des agents de police et des douzaines de personnes, y compris
des journalistes, ont été arrêtées
. La
municipalité de Bucarest a initialement cherché à délocaliser la
marche des fiertés de son itinéraire prévu au centre-ville, avant de
revenir finalement sur cette décision
. Des
groupes d’extrême droite ont tenté de perturber la marche des fiertés
d’Odessa en août, provoquant des affrontements violents avec les
agents de police déployés pour protéger la manifestation et utilisant
du gaz lacrymogène à l’encontre de ceux-ci
. Les attaques
contre les festivités des fiertés à Tbilissi en juillet seront couvertes
dans le rapport de notre collègue Christophe Lacroix sur les «Violations
alléguées des droits des personnes LGBTI dans le Caucase du Sud».
46. On observe également, dans toute l’Europe, une dégradation
de la situation des défenseurs des droits humains des personnes
LGBTI et de leurs organisations. La Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a constaté qu’une nouvelle tendance se dessine,
comprenant des financements insuffisants, des attaques verbales,
des agressions physiques, des restrictions à la liberté d’expression,
du harcèlement judiciaire et des fuites de données à caractère personnel.
La Commissaire publiera un rapport détaillé sur cette question dans
les prochains mois
.
Nous pouvons citer ici deux exemples: d’une part, la loi relative
aux «agents étrangers», qui a eu de graves répercussions sur le
travail des organisations LGBTI et des autres organisations de défense
des droits humains en Fédération de Russie, et qui a été suivie
par l’adoption d’une loi similaire en Hongrie, laquelle a été invalidée
par la Cour de justice de l’Union européenne, et d’autre part, les
récentes tentatives de soumettre les ONG, y compris les organisations
LGBTI, à la TVA en Bosnie-Herzégovine
.
47. Un nombre croissant d’entreprises qui souhaitent se donner
une image inclusive et favorable à la diversité auprès du public
sont disposées à parrainer les manifestations des organisations
LGBTI, celles-ci ayant d’autant plus besoin d’un tel soutien que
les financements publics se font rares. Pour éviter le «pinkwashing»
(l’instrumentalisation des personnes LGBTI comme alibi permettant
aux entreprises de présenter une fausse image de diversité et d’inclusion),
les entreprises doivent être comptables de leurs actes tout au long
de l’année (pas seulement lors de l’événement ou de l’initiative
qu’elles soutiennent); elles doivent mettre en place des politiques,
des objectifs et des mesures concrètes au sein de l’entreprise pour
soutenir l’égalité des personnes LGBTI, rendre compte publiquement
de la mise en œuvre de ces mesures, et respecter systématiquement
les principes énoncés dans les Principes directeurs des Nations
Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
7. Attaques
contre les droits et les libertés civiles des personnes trans
48. Au-delà d’une rhétorique superficielle,
le discours anti-genre sert aussi de fondement à des politiques clairement
contraires aux droits des personnes LGBTI, et est utilisé pour justifier
des discriminations à l’égard de ces personnes. Ces dernières années,
les attaques contre les personnes trans, non binaires, genderqueer, genderfluid,
agenres ou ayant une identité de genre non occidentale, et celles
qui ont des antécédents trans (j’inclurai ici toutes ces personnes
sous le terme «trans») n’ont cessé d’augmenter.
49. Les modifications législatives adoptées en Hongrie au printemps
2020, lorsque l’état d’urgence avait été déclaré dans ce pays dans
le cadre de la lutte contre la pandémie de covid-19, ont transformé
la catégorie modifiable du sexe/genre en une catégorie immuable.
Bien que ces mesures n’aient pas été présentées comme ciblant les
personnes transgenres, ni les personnes intersexes qui sont confrontées
aux mêmes problèmes, elles ont pour effet d’interdire totalement
à ces personnes de changer de nom ou d’obtenir des documents conformes
à leur genre. Pourtant, cela était possible, en Hongrie, depuis
2004
.
50. Dans d’autres pays, où les gouvernements avaient agi par le
passé pour mieux protéger les droits des personnes LGBTI, notamment
en renforçant le code pénal ou les lois anti-discrimination, les
avancées législatives sont bien souvent au point mort. Ainsi, des
pays comme l’Allemagne, Chypre, la Finlande, et le Royaume-Uni n’ont
pas donné suite à leur engagement de simplifier l’accès à la reconnaissance
juridique du genre, qui revêt une importance cruciale pour les personnes
trans et de nombreuses personnes intersexes, tandis qu’en Azerbaïdjan,
en Géorgie, en Serbie, en Turquie et en Irlande du Nord, entre autres,
la mise en œuvre pratique des procédures existantes semble être
à l’arrêt
. Des activistes travaillant
au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Suède font également
état d’un retour de flamme contre les droits des personnes trans,
et parfois d’attaques violentes
.
51. En Espagne, de nouvelles lois ont été initiées en 2016, qui
visaient à faciliter l’accès des personnes trans aux soins médicaux
et à l’autonomie corporelle, à garantir que la reconnaissance juridique
du genre se fonde sur l’autodétermination, et à rendre celle-ci
accessible aux personnes de tous les âges. Tous ces objectifs sont conformes
à la
Résolution 2048
(2015) de l’Assemblée, et le projet a bénéficié d’un soutien
massif de la part du public (98 % des réponses à une enquête publique
menée à l’époque y étaient favorables) et de la part de plusieurs
partis au parlement. Cependant, le processus législatif a depuis
été bloqué. Un discours anti-trans extrêmement hostile a récemment
émané des plus hauts niveaux politiques, y compris de la part de
la vice-présidente du Gouvernement espagnol, qui a décrit la reconnaissance
juridique du genre fondée sur l’autodétermination comme mettant
en péril «les critères d’identité de 47 millions d’Espagnols»
. Le projet de loi a finalement
été examiné en mai 2021 à la suite d’une grève de la faim menée
par 70 militants trans et parents d’enfants trans; toutefois, il
n’a pas obtenu la majorité nécessaire, notamment en raison de l’abstention du
parti majoritaire. L’opposition venait en grande partie de mouvements
féministes anti-trans qui décrivent les personnes trans comme une
menace pour la société et en particulier pour les femmes, nient
les identités des personnes trans et non binaires, suggèrent que
l’on ne peut faire confiance à ces personnes pour savoir ce qu’elles
sont, et dépeignent les parents qui soutiennent leurs enfants trans
comme des criminels. Les militants trans soulignent que le discours
hostile émanant des plus hauts niveaux politiques a légitimé la
violence contre les personnes trans et le refus de leur prise en
charge médicale. En outre, des organisations de défense des droits
des personnes trans et non binaires ont été exclues du débat politique
sur ces questions, alors même qu’elles représentent les premières
personnes concernées
. Le 29 juin 2021, le
gouvernement s’est mis d’accord sur un nouveau projet de loi. Les
activistes ont salué le maintien de l’autodétermination comme critère de
la reconnaissance juridique du genre ainsi que plusieurs autres
avancées importantes figurant dans ce nouveau projet de loi, mais
ont regretté que d’autres dispositions importantes pour la promotion
de l’égalité LGBTI aient été omises. En parallèle, des oppositions
ont été exprimées selon les mêmes lignes que celles soulevées face
au texte précédent
.
52. Au Royaume-Uni aussi, le discours anti-trans, selon lequel
le sexe serait immuable et les identités de genre n’existeraient
pas, gagne du terrain de façon inquiétante, aux dépens des libertés
civiles des personnes trans, mais aussi des droits des femmes et
des enfants. Lors du Forum IDAHOT 2021, la ministre des égalités a
déclaré, en contradiction avec les normes internationales des droits
humains relatives aux droits des personnes trans, «Nous ne croyons
pas à l’auto-identification». De tels propos, qui nient l’existence
d’identités trans, sont utilisés pour faire reculer les droits des
personnes trans et non binaires, et contribuent à accentuer les
problèmes en matière de droits humains. Les statistiques sur les
crimes de haine au Royaume-Uni font apparaître une forte augmentation
des crimes transphobes depuis 2015, alors que ces infractions ne
sont signalées aux autorités que par une victime sur sept. La cyberviolence
augmente elle aussi, et de nombreuses personnes trans craignent
pour leur sécurité
. La question de
savoir ce qui caractérise un discours préjudiciable, s’agissant
des personnes trans et de leurs droits, fait constamment l’objet
d’un intense débat social, politique et juridique; des arguments
prétendant défendre la liberté d’expression ont été et sont encore avancés
pour justifier des propos transphobes, pénalisant encore davantage
les personnes et les communautés trans, qui sont déjà marginalisées.
De même, il devient de plus en plus difficile pour des personnes
et des organisations de soutenir publiquement de jeunes personnes
trans sans faire elles-mêmes l’objet d’hostilités et de remises
en question disproportionnées de la part du public. Le mouvement
«critique à l’égard du genre», qui présente faussement les droits
des personnes trans comme faisant peser une grave menace sur les
femmes et les filles cisgenres, a joué un rôle important dans cette
évolution, notamment depuis la consultation publique de 2018 sur
l’actualisation de la loi de 2004 sur la reconnaissance du genre
en Angleterre et au pays de Galles. Parallèlement, les organisations
de défense des droits des personnes trans ont été la cible de campagnes
particulièrement violentes dans les médias, visant notamment à dénigrer
et calomnier les femmes trans. La campagne critique à l’égard du
genre, qui continue de gagner en dynamisme, en puissance et en soutien
financier, a contribué à créer une situation dans laquelle les procédures
de reconnaissance juridique du genre nécessitent encore un diagnostic
clinique de dysphorie de genre et demeurent inaccessibles aux personnes
non binaires ou âgées de moins de 18 ans. On observe également une
augmentation inquiétante du nombre de parents qui, après avoir fait
appel à des services de santé privés pour leur enfant en raison
de la difficulté d’obtenir en temps utile une prise en charge par
les services de santé publics, ont fait l’objet d’une enquête menée
par les autorités. Par ailleurs, les soins de santé pour les personnes
trans sont présentés à tort comme une forme de thérapie de conversion
LGB
.
53. Les discours anti-trans, qui présentent à tort les droits
des personnes trans comme une menace pour les femmes et pour les
droits des autres personnes, et qui insistent sur une catégorisation
binaire du sexe et du genre ignorant les réalités vécues, se répandent
dans toute l’Europe. Dans ce contexte, il est plus important que
jamais de disposer d’une législation pénale et anti-discrimination
efficace. En tant qu’acteurs politiques, nous devons être à l’écoute
des personnes trans et de leurs organisations, nous informer sur
leur situation et leurs droits, leur donner les moyens d’agir et,
d’urgence, redéfinir les priorités et les discours, de façon à réorienter
les débats pour qu’ils correspondent à la réalité complexe plutôt
qu’à des slogans accrocheurs mais simplistes. Les personnes trans
ont droit à la reconnaissance juridique, à la protection de leur
vie privée et familiale, à la non-discrimination et à la vie en
sécurité, comme tout un chacun; il est de notre responsabilité de
faire de ces droits une réalité.
8. En
Europe, la violence, la haine et les préjugés contre les personnes
LGBTI sont de plus en plus répandus
54. Selon une récente enquête menée
par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur les crimes
de haine et les discriminations envers les personnes LGBTI, à laquelle
ont participé quelque 140 000 personnes LGBTI vivant dans l’Union
européenne, au Royaume-Uni, en Serbie et en Macédoine du Nord, de nombreuses
personnes LGBTI continuent de vivre dans l’ombre de crainte de subir
des moqueries, des discriminations, voire des agressions. D’importants
progrès en matière d’égalité ont été accomplis dans de nombreux
pays, mais ils sont encore beaucoup trop rares
.
55. Des violences visant des personnes LGBTI, des défenseurs des
droits humains et leurs organisations sont régulièrement signalées
dans tous les États membres du Conseil de l’Europe. Certaines attaques
contre des marches des fiertés ont été évoquées plus haut. La violence
se manifeste aussi dans des attaques visant les biens ou les locaux
d’organisations LGBTI. Parfois, les attaques sont menées de façon
répétée. Au Monténégro par exemple, un centre LGBT a été attaqué
20 fois en une seule année, avec des jets de pierres, des vitres
brisées et des bombes lacrymogènes; le directeur de l’ONG LGBT Forum
Progress a été agressé 19 fois
. En Ukraine, au cours du seul mois de mai
2021, trois attaques visant des espaces sûrs ou des événements destinés
aux personnes LGBTI ont été menées par des groupes d’extrême droite
à Kiev et une à Odessa
.
56. Des meurtres motivés par la haine anti-LGBTI se produisent
également. Pour ne mentionner que quelques exemples parmi les cas
signalés ces dernières années, au moins quatre femmes transgenres
ont été tuées en Turquie en 2018
.
En janvier 2018, une personne de genre non conforme a été agressée
et battue dans le centre-ville de Saint-Pétersbourg (Fédération
de Russie) parce qu’elle était d’apparence féminine et portait du
rouge à lèvres
.
L’ONG Transgender Europe (TGEU) a signalé le meurtre de 11 personnes
trans en Europe en 2020; dans la moitié des cas, il s’agissait de
migrants
. Les
femmes lesbiennes sont également victimes d’agressions et de féminicides
dans de nombreux pays européens
. En Italie, une jeune femme lesbienne
a été tuée en 2019 par un homme qui voulait se venger après qu’elle
eut refusé ses avances
. En Lettonie, un homme homosexuel est mort
le 29 avril 2021 après avoir subi des brûlures sur 85 % de son corps; ses
agresseurs avaient mis le feu à ses vêtements après l’avoir aspergé
d’essence. Il avait déménagé à Tukums après avoir reçu des menaces
de mort homophobes lorsqu’il vivait à Riga, mais avait été agressé physiquement
au moins quatre fois après son déménagement. Des militants ont dénoncé
l’inaction de la police dans cette affaire, qui semble avoir provoqué
un débat sur l’homophobie en Lettonie
. En Espagne, un homosexuel a été
battu à mort à La Corogne en juillet 2021, et des attaques violentes
ont été commises sur des personnes LGBTI dans plusieurs villes au
cours des derniers mois
.
57. Rien ne justifiera jamais de tuer, blesser ou menacer un autre
être humain en raison de son orientation sexuelle, de son identité
de genre, de son expression de genre ou de ses caractéristiques
sexuelles. Il est essentiel que la législation pénale définisse
de telles motivations comme des circonstances aggravantes, et que
les lois relatives aux crimes de haine soient efficaces et appliquées
dans la pratique. L’impunité est la pire réponse qui soit, car elle
légitime la violence, la discrimination et la haine anti-LGBTI.
Le mouvement anti-genre contribue à légitimer de tels actes par
son discours déshumanisant, selon lequel les identités les plus
intimes des individus ne seraient qu’une «idéologie du genre».
58. Les manifestations violentes de haine envers les personnes
LGBTI ne sont pas toujours «simplement» des attaques individuelles
et aléatoires; plus inquiétant encore, certaines présentent un haut
niveau d’organisation, voire bénéficient du soutien de l’État. En
septembre 2017, à Bakou, la police azerbaïdjanaise a appréhendé
et placé en détention des dizaines d’hommes homosexuels et de femmes
transgenres sur la base d’accusations douteuses, les a maltraités
et humiliés (notamment en les soumettant à des examens médicaux
forcés) et les a emprisonnés ou condamnés à des amendes
.
L’action de la police a, de plus, encouragé des acteurs non étatiques
à mener des attaques de plus en plus fréquentes contre des personnes LGBTI.
59. Toutefois, au cours des dernières décennies, il n’y a eu nulle
part ailleurs en Europe de violences plus effroyables que celles
commises avec le soutien de l’État contre des personnes LGBTI en
Tchétchénie en 2017. L’Assemblée a dénoncé ces actes dans sa
Résolution 2230 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène
(Fédération de Russie)». L’Assemblée a observé qu’une campagne de
persécution, comprenant des cas d’enlèvement, de détention arbitraire
et de torture d’hommes présumés homosexuels, avec la participation
directe d’agents des services répressifs tchétchènes et sur ordre
des autorités tchétchènes au plus haut niveau, s’est déroulée dans
le contexte d’actes graves de discrimination et de harcèlement perpétrés
à grande échelle et de manière systématique contre les personnes
LGBTI en République tchétchène. Le dirigeant de la République tchétchène,
Ramzan Kadyrov, a réagi en dénigrant publiquement les personnes
LGBTI, les qualifiant de «démons» et de «sous-hommes», et allant
jusqu’à nier leur existence même en Tchétchénie
. Faisant référence
sans ambiguïté aux meurtres dits «d’honneur», une violation des
droits humains qui continue d’être pratiquée en Tchétchénie, un
porte-parole de M. Kadyrov a déclaré: «S’il y avait de telles personnes
en Tchétchénie, les forces de l’ordre n’auraient rien à faire, car
les proches de ces personnes les expédieraient quelque part d’où
l’on ne revient pas»
. Des femmes lesbiennes et des
personnes trans ont également été visées par de telles attaques
.
60. Il s’agit là de l’exemple le plus grave de violences commises
contre des personnes LGBTI en Europe depuis des décennies. Les personnes
qui ont survécu à ces violences n’ont pas seulement subi un traumatisme
physique et psychologique, elles ont aussi été forcées de fuir la
Tchétchénie, et parfois la Fédération de Russie, craignant pour
leur vie. La participation d’agents des forces de l’ordre aux persécutions, ouvertement
tolérée par le chef de cette République, a empêché les victimes
de s’adresser à la police pour demander protection. La seule plainte
déposée auprès des autorités russes, par un homme qui avait pu quitter la
Tchétchénie et ne craignait pas de représailles de la part de sa
propre famille, n’a donné aucun résultat à ce jour; par la suite,
cet homme et sa famille ont été contraints de fuir la Fédération
de Russie
. Les appels lancés par l’Assemblée
et par de nombreux autres acteurs internationaux pour qu’une enquête
effective soit menée sur ces persécutions et pour que leurs auteurs
soient poursuivis et punis sont restés lettre morte.
61. Il ne faut pas permettre que de telles attaques puissent être
commises en toute impunité. La Fédération de Russie doit redoubler
d’efforts pour poursuivre et punir leurs auteurs et pour empêcher
que de telles violations des droits humains puissent se reproduire.
Les autres États doivent également renouveler leur pression sur
la Fédération de Russie afin que justice soit faite, à tous les
niveaux; et d’ici là, ils doivent intensifier leurs propres efforts
pour offrir un refuge aux personnes qui cherchent encore à se mettre
en sécurité.
9. L’impact
supplémentaire de la pandémie de covid-19 sur les personnes LGBTI
et celles qui défendent leurs droits
62. La pandémie de covid-19 a entraîné
une forte augmentation des insultes et des propos haineux visant les
personnes LGBTI. En outre, elle a exposé ces personnes à un risque
accru de violence domestique, en particulier les jeunes LGBTI confinés
au sein d’une famille hostile, et a exposé ceux qui ont fui de telles situations
à un risque accru de se retrouver sans abri
. Les États n’ont guère pris de mesures
pour veiller à ce que les personnes trans ne soient pas discriminées
dans la mise en œuvre des mesures de lutte contre la covid-19
. La crise a également eu un impact sévère
sur les lesbiennes et leurs associations
.
63. Parallèlement, les organisations LGBTI et les autres organisations
de la société civile qui œuvrent à la défense des droits des personnes
LGBTI ont dû réorienter les ressources destinées au travail de plaidoyer pour
les consacrer à l’aide d’urgence et humanitaire aux personnes LGBTI
dans le besoin. L’impact de la pandémie sur les systèmes de santé
a également eu des effets considérables sur les personnes trans
et intersexes, ainsi que sur les personnes vivant avec le VIH. Pendant
cette période, l’espace pour le militantisme s’est rétréci, les
marches des fiertés – événements cruciaux pour les personnes LGBTI
dans le monde entier – ont dû être annulées en 2020, et certains
décideurs politiques ont choisi d’accorder moins d’importance aux droits
des personnes LGBTI en raison de la pandémie
.
10. Les
gouvernements et les parlements peuvent et doivent agir maintenant
64. Nécessairement, mon rapport
attire l’attention sur de graves violations des droits humains et
souligne les insuffisances des mesures prises par les gouvernements
pour prévenir et combattre ces violations. Il existe toutefois de
nombreuses actions que les gouvernements, les parlements et les
responsables politiques peuvent entreprendre pour améliorer la situation.
65. Tout d’abord, s’agissant de la situation dans leur propre
pays, ils doivent veiller à ce qu’un cadre juridique solide soit
en place, et effectivement appliqué, pour prévenir et combattre
les infractions motivées par la haine, le discours de haine et la
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de
genre, l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles,
y compris lorsque ces actes sont commis en ligne. Un tel cadre est
essentiel à tout moment, mais plus encore lorsque l’hostilité se
manifeste de façon croissante. Les gouvernements et les parlements
doivent empêcher toute régression et intensifier leurs efforts pour compléter
le cadre juridique avec les autres éléments essentiels à l’égalité
des personnes LGBTI, notamment la reconnaissance juridique du genre,
la protection de l’autonomie physique des personnes intersexes,
la protection des familles arc-en-ciel et l’exercice des droits
civils tels que la liberté d’expression, la liberté d’association
et la liberté de réunion. Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel
que les parlements et les gouvernements relancent les processus
législatifs et politiques qui sont à l’arrêt, et veillent à concrétiser
leurs engagements et leurs promesses en vue d’avancer sur la voie
de la pleine égalité des personnes LGBTI au niveau interne et dans
toute l’Europe.
66. En outre, tous les États devraient disposer d’une politique
claire de protection et de promotion de l’égalité des personnes
LGBTI, ainsi que d’une stratégie et d’un plan d’action pour la mise
en œuvre de toute mesure nécessaire à la réalisation de l’égalité.
Dans ce contexte, je me félicite vivement de l’adoption par la Commission
européenne, en 2020, de sa toute première stratégie pour l’égalité
LGBTIQ. C’est un engagement politique fort et de haut niveau, qui
vise à réaliser des progrès mesurables en matière d’égalité des
personnes LGBTIQ, de lutte contre la discrimination et d’édification
de sociétés inclusives à l’égard des personnes LGBTIQ en Europe
et à travers le monde
.
67. Les responsables politiques doivent également tirer parti
des normes et des instruments existants pour amener les autres acteurs
à répondre de leurs actes, dans leur pays et à l’étranger. Ils doivent systématiquement
dénoncer les déclarations et les actes homophobes, transphobes,
biphobes ou interphobes commis dans leur propre pays, en particulier
lorsque les auteurs sont des responsables politiques, des personnalités
publiques ou des dirigeants religieux. Il ne faut pas permettre
que l’opinion publique soit entraînée vers davantage de sexisme,
de misogynie ou de haine anti-LGBTI. Bien entendu, les parlements
et les gouvernements doivent également s’abstenir d’adopter toute
loi, politique ou mesure homophobe, transphobe, biphobe ou interphobe.
68. Les gouvernements peuvent et doivent s’appuyer sur les normes
et les engagements internationaux existants pour vérifier leurs
propres lois, politiques et pratiques, et pour amener les autres
acteurs à répondre de leurs actes. Au sein du Conseil de l’Europe,
la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux États
membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre définit des lignes
d’action claires que les États membres peuvent suivre afin d’améliorer
la protection juridique des personnes LGBTI et la mise en œuvre
de ces normes dans la pratique. L’Assemblée a développé ces normes
dans plusieurs textes adoptés depuis lors: sa
Résolution 1728 (2010) et sa
Recommandation
1915 (2010) «Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre», sa
Résolution 1948 (2013) et sa
Recommandation
2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et sur l’identité de genre», sa
Résolution 2048 (2015) «La discrimination à l’encontre des personnes transgenres
en Europe», sa
Résolution
2191 (2017) et sa
Recommandation
2116 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations
à l’égard des personnes intersexes», et sa
Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle
que soit l’orientation sexuelle». Parallèlement, dans ses arrêts
rendus dans une longue série d’affaires mettant en cause des États
qui avaient violé les droits de personnes LGBTI, la Cour européenne
des droits de l’homme a développé et clarifié sa vaste jurisprudence
concernant la protection des droits des personnes LGBTI garantie
par la Convention européenne des droits de l’homme.
69. Les États membres devraient s’employer activement à respecter
ces normes, s’ils ne les respectent pas déjà, et participer de manière
constructive au processus d’examen de la mise en œuvre de la Recommandation
CM/Rec(2010)5, régulièrement reconduit à quelques années d’intervalle
par le Comité des Ministres. De même, ils devraient s’employer activement
à appliquer les normes énoncées par l’Assemblée dans les résolutions
mentionnées ci-dessus, et à mettre leurs lois et leurs pratiques
nationales en conformité avec la jurisprudence de la Cour, en suivant
son évolution, qu’ils soient ou non concernés par un processus de
contrôle de l’exécution d’un arrêt. Ils devraient également soutenir
les travaux menés par le Conseil de l’Europe dans ce domaine, qu’il
s’agisse de fournir une assistance technique aux États qui le demandent, d’appuyer
le travail de suivi et d’élaboration de normes de l’ECRI, ou des
activités intergouvernementales menées par le Comité directeur sur
l’anti-discrimination, la diversité et l’inclusion (CDADI). Dans
ce contexte, je salue l’organisation par les autorités allemandes,
lors de la présidence allemande du Conseil de l’Europe, de la conférence
intitulée «Vers la pleine reconnaissance des droits LGBTI en Europe»,
tenue le 5 mai 2021, ainsi que la décision de mettre en ligne l’intégralité
des débats
.
70. Les gouvernements devraient également appuyer le travail des
défenseurs des droits humains des personnes LGBTI et leurs organisations,
notamment par un soutien financier, et assurer leur participation effective
à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des lois, politiques
et autres mesures qui les concernent. Lors de notre audition du
18 mai 2021, tous les intervenants ont également souligné que les parlementaires
devraient engager un dialogue direct avec la société civile, lire
les rapports qu’elle produit et inviter ses représentants au parlement
pour entendre ce qu’ils ont à dire. Les parlementaires devraient
nouer des contacts avec les organisations locales, qui connaissent
les réalités vécues par les personnes LGBTI dans leur pays, et avec
les organisations faîtières, qui ont étudié les schémas reproduits
par le mouvement anti-genre ainsi que les stratégies et le vocabulaire
qu’il emploie pour cibler les personnes LGBTI dans toute l’Europe.
71. Enfin, il est essentiel de mener des campagnes de sensibilisation
et d’information du public, de promotion de l’égalité, et de lutte
contre les récits faux ou trompeurs; en effet, dans de nombreuses
sociétés, des changements de paradigme dans les conceptions sociales
et culturelles de l’égalité de genre et des droits et libertés des
personnes LGBTI sont encore nécessaires pour parvenir à une véritable
égalité des personnes LGBTI.
11. Conclusions
72. Les personnes et les organisations
LGBTI font l’objet d’attaques croissantes aujourd’hui en Europe.
Les crimes de haine et les propos haineux se multiplient; le discours
de haine, en particulier, est de plus en plus souvent employé par
des dirigeants religieux et des responsables politiques de haut
niveau, et se traduit par un nombre croissant de lois directement
préjudiciables aux personnes LGBTI. Cette situation est contraire
aux normes internationalement reconnues en matière de droits humains,
et en particulier à une jurisprudence importante et croissante de
la Cour européenne des droits de l’homme. Elle est également contraire
aux normes de l’Assemblée, telles qu’elles sont énoncées dans une
série de résolutions et de recommandations adoptées au cours des
dix dernières années. L’impunité et l’indifférence sont les pires
réponses qui soient, car elles légitiment la violence, la discrimination
et la haine.
73. Les organisations internationales comme la nôtre et les défenseurs
des droits humains au niveau national et international doivent continuer
à lutter pour les droits des personnes LGBTI. Toutefois, le respect des
droits humains relève de la responsabilité des gouvernements. Si
de très importants progrès ont été accomplis en faveur des droits
des personnes LGBTI et des femmes, il est aujourd’hui urgent de
prendre des mesures pour empêcher toute régression. L’opinion publique
ne doit jamais être invoquée pour justifier la violation de droits
humains ni pour reproduire ou perpétuer des stigmatisations et des
discriminations héritées du passé
. Tous les
dirigeants politiques doivent prendre position, de façon plus courageuse
et tournée vers l’avenir, pour promouvoir l’égalité des personnes
LGBTI; ils doivent regarder au-delà des prochaines élections et
s’investir dès aujourd’hui pour parvenir à un changement durable
dans l’avenir.
74. Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration à l’occasion de
la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie, la
biphobie et l’interphobie, le 17 mai 2021, les gouvernements et
les parlements des États membres du Conseil de l’Europe doivent
s’attaquer à la haine et à la discrimination à l’égard des personnes
LGBTI à l’intérieur de leurs frontières nationales avec une énergie
et une urgence renouvelées, s’élever contre l’homophobie, la transphobie,
la biphobie et l’interphobie dans les discours, les pratiques et
les politiques partout où elles se produisent, et utiliser le vaste
ensemble de normes et d’instruments de l’Assemblée et du Conseil
de l’Europe à leur disposition pour amener les autres acteurs à
répondre de leurs actes. Nous devons cesser de laisser les personnes
LGBTI sans soutien dans leur quête de l’égalité dans toute l’Europe,
et travailler activement pour atteindre cet objectif
.
75. En outre, je tiens à souligner ici que les mesures de lutte
contre la haine à l’égard des personnes LGBTI ne seront pas efficaces
si elles ne visent que ses manifestations individuelles. Les gouvernements
et les parlements doivent également s’employer à mettre fin aux
attaques systématiques et coordonnées contre les personnes LGBTI
qui se produisent dans toute l’Europe. Ils doivent redoubler d’efforts
pour démanteler les structures hétéronormatives et les mouvements
anti-genre dans nos sociétés, qui perpétuent les inégalités de genre
et empêchent l’acceptation des personnes LGBTI sur un pied d’égalité,
niant ainsi la dignité des personnes LGBTI (et de toutes les femmes)
et le respect qui leur est dû.
76. L’égalité des personnes LGBTI ne connaît pas de perdants et
n’est pas une bataille pour des idées révolutionnaires. C’est une
question de dignité et de droits fondamentaux. La reconnaissance
des droits humains des personnes LGBTI ne porte atteinte ni à la
société, ni aux femmes, ni aux enfants; bien au contraire, elle
est constitutive d’une société sûre et accueillante pour tous. Pour
reprendre les mots d’Ursula von der Leyen, «Être soi-même n’est
pas une question d’idéologie. C’est votre identité»
.
Aucun d’entre nous ne pourra baisser les armes avant que chaque
personne soit en sécurité, libre d’être elle-même et d’aimer celui ou
celle qu’elle aime.