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Rapport | Doc. 15425 | 17 décembre 2021

Lutte contre la recrudescence de la haine à l’encontre des personnes LGBTI en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Fourat BEN CHIKHA, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15121, Renvoi 4524 du 19 septembre 2020. 2022 - Première partie de session

Résumé

Au cours des dernières décennies, d’importants progrès ont été accomplis pour faire de l’égalité des droits une réalité pour les personnes LGBTI en Europe. Toutefois, ces dernières années les propos haineux et les crimes de haine ciblant les personnes et les organisations au motif de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et des caractéristiques sexuelles ont également nettement augmenté à travers tout le continent. De nombreuses attaques contre les personnes LGBTI ou visant l’exercice de leurs droits civils proviennent par ailleurs de dirigeants politiques et religieux.

La recrudescence de la haine contre les personnes LGBTI que l’on constate en Europe aujourd’hui résulte d’attaques soutenues et souvent bien organisées contre leurs droits humains. Ces attaques qualifient délibérément et à tort la lutte pour l’égalité des personnes LGBTI d’«idéologie du genre» et visent à réprimer les identités et les réalités de toutes les personnes qui remettent en question les schémas sociaux qui entretiennent les inégalités de genre et la violence fondée sur le genre dans nos sociétés. Ces attaques portent préjudice aussi bien aux femmes qu’aux personnes LGBTI.

Les États doivent adopter rapidement des mesures législatives, politiques, de sensibilisation et autres afin de prévenir de nouveaux reculs, de promouvoir la pleine égalité des personnes LGBTI, et de favoriser le plein respect de leurs droits aux niveaux national et international.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 15 septembre 2021.

(open)
1. Au cours des dernières décennies, d’importants progrès ont été accomplis pour faire de l’égalité des droits une réalité pour les personnes LGBTI dans toute l’Europe. Le tableau est contrasté et varie considérablement d’un pays à l’autre, mais dans l’ensemble, des lois relatives aux crimes de haine et à la discrimination ont été renforcées, des procédures concernant la reconnaissance juridique du genre ont été simplifiées, l’intégrité physique des personnes intersexes commence à être mieux protégée et les droits des familles arc-en-ciel bénéficient d’une reconnaissance croissante. Ces progrès substantiels doivent être salués, même s’ils sont encore insuffisants.
2. On a en effet également observé ces dernières années une augmentation marquée des propos haineux, des actes de violence et des crimes de haine contre les personnes, les communautés et les organisations LGBTI dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire constate avec vive inquiétude qu’une proportion signific ative du discours de haine, de la diffamation et de la stigmatisation visant les personnes LGBTI, ainsi que des attaques de grande envergure visant l’exercice de leurs droits civils, provient de personnalités et de responsables politiques, y compris des représentants gouvernementaux, ainsi que de dirigeants religieux.
3. L’Assemblée déplore ces phénomènes, qui peuvent être observés dans toute l’Europe quel que soit le niveau de protection dont bénéficient déjà les droits humains des personnes LGBTI dans un pays donné. En outre, elle condamne avec vigueur les attaques massives et souvent virulentes contre les droits des personnes LGBTI qui se produisent depuis plusieurs années en Hongrie, en Pologne, au Royaume-Uni, en Fédération de Russie et en Turquie, entre autres pays.
4. La recrudescence de la haine à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est pas simplement l’expression de préjugés individuels, mais le résultat d’attaques soutenues et souvent bien organisées contre les droits humains des personnes LGBTI dans tout le continent européen. Les manifestations individuelles d’homophobie, de biphobie, de transphobie et d’interphobie s’inscrivent dans un contexte plus vaste, dans lequel des mouvements très conservateurs cherchent à réprimer les identités et les réalités de toutes ces personnes qui remettent en question les schémas sociaux cisnormatifs et hétéronormatifs, lesquels entretiennent les inégalités de genre et la violence fondée sur le genre dans nos sociétés et concernent aussi bien les femmes que les personnes LGBTI.
5. L’Assemblée condamne les discours hautement délétères anti-genre, critiques à l’égard du genre et anti-trans, qui réduisent la lutte pour l’égalité des personnes LGBTI à ce que ces mouvements conservateurs qualifient à tort, délibérément, d’«idéologie du genre» ou d’«idéologie LGBTI». Ces discours nient l’existence même des personnes LGBTI, les déshumanisent, et décrivent souvent leurs droits, à tort, comme étant contraires aux droits des femmes et des enfants, ou plus généralement aux valeurs sociétales et familiales. Tous ces arguments sont profondément préjudiciables aux personnes LGBTI, portent également atteinte aux droits des femmes et des enfants, et nuisent à la cohésion sociale.
6. L’Assemblée regrette que ce discours entraîne une stagnation, voire un recul des progrès en matière d’égalité des personnes LGBTI, de droits sexuels et génésiques et de droits des femmes et des enfants, faisant ainsi peser une menace directe sur la démocratie et l’État de droit. Dans de nombreux pays, les processus législatifs visant à améliorer la protection des droits des personnes LGBTI sont au point mort, et dans certains cas, des progrès accomplis par le passé ont été anéantis.
7. Les avancées significatives de ces dernières années sont aujourd’hui menacées. Il est essentiel de réagir rapidement afin de prévenir de nouveaux reculs, et de s’employer activement à promouvoir le plein respect des droits des personnes LGBTI.
8. Compte tenu de ce qui précède, et faisant notamment référence aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à sa Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle», sa Résolution 2191 (2017) et sa Recommandation 2116 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes», sa Résolution 2048 (2015) «La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe», sa Résolution 1948 (2013) et sa Recommandation 2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre», ainsi que sa Résolution 1728 (2010) et sa Recommandation 1915 (2010) «Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre», l’Assemblée exhorte les gouvernements et les parlements des États membres du Conseil de l’Europe à combattre la haine et la discrimination à l’encontre des personnes LGBTI avec une énergie et une urgence renouvelées.
9. Dans ce contexte, l’Assemblée salue les travaux menés actuellement par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), dans le cadre de sa Feuille de route 2019 vers l’égalité effective, en vue d’élaborer une recommandation de politique générale sur la lutte contre la discrimination et l’intolérance envers les personnes LGBTI, ainsi que l’adoption par la Commission européenne, en 2020, de sa stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ pour la période 2020-2025. Elle salue également le fait que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a été saisie pour avis le 15 septembre 2021 concernant les modifications récentes à la législation hongroise susceptibles d’avoir un impact particulier sur les personnes LGBTI.
10. L’Assemblée appelle les États membres à s’abstenir de promulguer des lois ou d’adopter des amendements constitutionnels contraires aux droits des personnes LGBTI, et à abroger toute disposition de ce type déjà en vigueur. En particulier, elle invite instamment:
10.1. les autorités hongroises à abroger avec effet immédiat toutes les mesures adoptées en mai 2020, en décembre 2020 et en juin 2021 qui empêchent les personnes qui en ont besoin d’obtenir la reconnaissance juridique de leur identité de genre, qui empêchent les enfants d’obtenir la reconnaissance de leur identité de genre lorsque celle-ci est différente du sexe qui leur a été assigné à la naissance, qui empêchent l’adoption d’un enfant par toute personne autre que les couples hétérosexuels mariés, qui empêchent l’accès à une éducation sexuelle complète et qui interdisent la représentation des identités trans et de l’homosexualité;
10.2. les autorités polonaises à soutenir le renforcement des lois contre la haine et contre la discrimination en Pologne, à veiller à ce que celles-ci soient effectivement appliquées, et à œuvrer pour obtenir l’annulation de toutes les déclarations et chartes contraires aux droits des personnes LGBTI adoptées au niveau des communes, des districts et des régions;
10.3. tous les États membres dans lesquels existent des lois «anti-propagande LGBTI», c’est-à-dire des lois qui empêchent toute personne, et en particulier les personnes mineures, d’accéder à des informations complètes et objectives sur les différentes formes d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’expression de genre ou de caractéristiques sexuelles qui existent dans la société, à abroger ces lois avec effet immédiat;
10.4. tous les États membres tenus d’exécuter un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans lequel une ou plusieurs violations des droits des personnes ou des organisations LGBTI ont été constatées, à assurer rapidement et intégralement l’exécution de l’arrêt;
11. L’Assemblée appelle les États membres à s’élever fermement contre les manifestations d’homophobie, de transphobie, de biphobie et d’interphobie dans les discours, les pratiques et les politiques, où qu’elles se produisent, et à tirer parti du grand nombre de normes et d’instruments élaborés par l’Assemblée, le Conseil de l’Europe et d’autres instances internationales pour amener les autres acteurs à répondre de leurs actes.
12. L’Assemblée souligne que c’est précisément lorsque l’hostilité est vive ou grandissante qu’il est le plus important de disposer de mesures pénales et de lois anti-discrimination efficaces. Elle appelle les États membres à renforcer leur cadre législatif chaque fois que cela est nécessaire pour garantir qu’il protège le droit des personnes LGBTI de vivre sans haine ni discrimination, et à l’appliquer de manière efficace dans la pratique. Conformément aux normes mentionnées ci-dessus, et sans préjudice des obligations plus spécifiques ou plus étendues qui peuvent en découler, elle appelle les États membres, en particulier:
12.1. à modifier, si nécessaire, leur législation pénale afin que les dispositions relatives aux crimes de haine couvrent clairement toutes les infractions commises contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur expression de genre ou de leurs caractéristiques sexuelles, prévoient des sanctions proportionnées et dissuasives, protègent les droits des victimes et permettent à ces dernières de recevoir une indemnisation;
12.2. à ériger en circonstances aggravantes de toutes les infractions de droit commun les motivations fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles;
12.3. à veiller à ce que les victimes d’infractions soient soutenues et protégées contre tout nouveau traumatisme causé par les forces de l’ordre ou les structures d’aide, y compris les refuges, en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur expression de genre ou de leurs caractéristiques sexuelles;
12.4. à modifier, si nécessaire, la législation anti-discrimination afin qu’elle couvre toutes les formes de discrimination, dans tous les domaines de la vie, fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles;
12.5. à dispenser une formation complète sur ces dispositions aux policiers et aux policières, aux juges et aux procureur·e·s, afin de garantir leur application effective dans la pratique et d’éviter l’impunité;
12.6. à engager, si ce n’est pas déjà fait, et à mener à bien dans tous les cas, les processus législatifs et d’élaboration de politiques qui sont nécessaires pour compléter le cadre juridique avec les autres éléments essentiels à l’égalité des personnes LGBTI, notamment en matière de reconnaissance juridique du genre, d’intégrité physique des personnes intersexes, de protection des familles arc-en-ciel, d’accès à des soins de santé spécifiques pour les personnes trans et d’exercice des droits civils tels que la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion.
13. Compte tenu des violations flagrantes des droits humains commises contre les personnes LGBTI en République tchétchène (Fédération de Russie), que l’Assemblée a condamnées dans sa Résolution 2230 (2018) et sa Recommandation 2138 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène (Fédération de Russie)», mais qui n’ont pas cessé et ont des effets dévastateurs, l’Assemblée invite instamment:
13.1. les autorités de la Fédération de Russie à mettre en œuvre intégralement et immédiatement la Résolution 2230 (2018) de l’Assemblée et à redoubler d’efforts pour poursuivre et punir les auteurs, ainsi qu’à accorder une réparation, y compris une indemnisation, aux victimes, afin de mettre fin à la persécution des personnes LGBTI en République tchétchène et faire en sorte que les auteurs de ces violations des droits humains ne restent pas impunis;
13.2. tous les autres États membres du Conseil de l’Europe à renouveler leur pression sur la Fédération de Russie afin que justice soit faite, à intensifier leurs propres efforts pour offrir un refuge aux personnes qui cherchent encore à se mettre en sécurité, et à veiller à ce que leur législation en matière d’asile offre une protection efficace à toutes les personnes LGBTI forcées de fuir leur pays en raison de persécutions fondées sur leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur expression de genre ou leurs caractéristiques sexuelles.
14. En outre, l’Assemblée appelle tous les États membres:
14.1. à instaurer une politique claire en matière de droits humains visant à protéger et promouvoir l’égalité des personnes LGBTI, notamment une stratégie et un plan d’action prévoyant des objectifs et des délais clairement définis et mesurables pour mettre en œuvre toute modification des lois, des politiques ou des pratiques nécessaire pour parvenir à l’égalité, ainsi que des mécanismes de contrôle efficaces;
14.2. à intégrer les droits des personnes LGBTI dans toutes les mesures clés, législatives, politiques ou autres;
14.3. à œuvrer de façon proactive pour mettre la législation et les pratiques nationales en conformité avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
14.4. à refuser d’accorder des financements aux autorités locales, régionales ou nationales ou autres acteurs étatiques ou non étatiques qui contestent les droits humains des personnes LGBTI, et retirer ces financements s’ils ont déjà été accordés;
14.5. à participer de manière constructive au processus d’examen périodique mené par le Comité des Ministres concernant la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2010)5 aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre;
14.6. à contribuer aux autres travaux du Conseil de l’Europe concernant les droits des personnes LGBTI et promouvoir ces travaux, notamment en apportant un soutien actif:
14.6.1. aux travaux pertinents de suivi et d’élaboration de normes de l’ECRI;
14.6.2. aux travaux intergouvernementaux menés dans ce domaine par le Comité directeur sur l’anti-discrimination, la diversité et l’inclusion (CDADI);
14.6.3. à la fourniture, aux États qui le demandent, d’une assistance technique visant à faire progresser l’égalité et les droits des personnes LGBTI;
14.7. à assurer la participation et la consultation effectives des organisations de la société civile et des défenseurs et défenseuses des droits humains qui œuvrent à la protection et la promotion des droits des personnes LGBTI lors de l’élaboration, la mise en œuvre et l’examen de toutes les politiques et mesures qui les concernent, et plus généralement, faciliter et soutenir le travail de la société civile dans ce domaine.
15. L’Assemblée encourage vivement les parlementaires à mieux comprendre les défis que rencontrent les personnes LGBTI dans leur pays et à l’étranger en matière de droits humains, en engageant un dialogue bilatéral avec les organisations de la société civile locales, nationales et faîtières, ainsi qu’avec les défenseurs et les défenseuses des droits humains des personnes LGBTI ayant une connaissance directe des réalités et des enjeux, et en les invitant à leur parlement.
16. Enfin, l’Assemblée souligne que la haine contre les personnes LGBTI ne peut être combattue efficacement si elle est traitée simplement comme un phénomène individuel. Des changements de paradigme au niveau de la conception sociale et culturelle de l’égalité de genre, des masculinités toxiques et des droits et libertés des personnes LGBTI sont encore nécessaires dans de nombreuses sociétés pour parvenir à une véritable égalité des personnes LGBTI. En conséquence, l’Assemblée invite instamment les États membres à mener de vastes campagnes de sensibilisation du public afin de contrer les discours trompeurs ou faux, de faire mieux connaître la situation et les droits des personnes LGBTI et de promouvoir activement leur égalité.
17. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée estime qu’un réseau de ses membres intéressés devrait être formellement établi, afin de faciliter la coopération avec et entre les parlements nationaux visant à promouvoir l’égalité pleine et effective des personnes LGBTI à travers l’ensemble du continent.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 15 septembre 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2021) «La lutte contre la recrudescence de la haine à l’encontre des personnes LGBTI en Europe», dans laquelle elle appelle les États membres à lutter avec une énergie et une urgence renouvelées contre la haine et la discrimination à l’égard des personnes LGBTI.
2. L’Assemblée estime qu’il est essentiel que les États membres redoublent d’efforts dans ce domaine et que le Conseil de l’Europe renforce ses propres activités pour protéger et promouvoir les droits des personnes LGBTI en Europe.
3. En conséquence, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
3.1. à porter la Résolution... (2021) à l’attention des gouvernements de tous les États membres;
3.2. à veiller à ce que des ressources suffisantes soient affectées aux travaux relatifs à l’égalité des droits pour les personnes LGBTI, à la lutte contre le discours de haine et les crimes de haine, ainsi qu’à l’élaboration de normes au niveau intergouvernemental dans ces domaines;
3.3. à soutenir le processus d’examen périodique concernant la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

C. Exposé des motifs par M. Fourat Ben Chikha, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Au cours des dernières décennies, d’importants progrès ont été accomplis pour faire de l’égalité des droits une réalité pour les personnes LGBTI dans toute l’Europe. Le tableau est contrasté et varie considérablement d’un pays à l’autre, mais dans l’ensemble, des lois relatives aux crimes de haine et à la discrimination ont été renforcées, des procédures concernant la reconnaissance juridique du genre ont été simplifiées, l’intégrité physique des personnes intersexes commence à être mieux protégée et les droits des familles arc-en-ciel bénéficient d’une reconnaissance croissante. Ces progrès substantiels doivent être salués, même s’ils sont encore insuffisants.
2. On a en effet également observé ces dernières années une augmentation marquée des propos haineux, des actes de violence et des crimes de haine contre les personnes, les communautés et les organisations LGBTI dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. Il est alarmant de constater qu’une proportion importante du discours de haine, de la diffamation et de la stigmatisation visant les personnes LGBTI, ainsi que des attaques de grande envergure visant l’exercice de leurs droits civils, proviennent de personnalités et de responsables politiques, y compris des représentants gouvernementaux, ainsi que de dirigeants religieux. Ces dynamiques peuvent être observées quel que soit le niveau de protection attribué aux droits humains des personnes LGBTI dans un pays donné – elles touchent les sociétés très ouvertes comme les très conservatrices.
3. Cette situation préoccupante a conduit la commission sur l’égalité et la non-discrimination à adopter, le 24 juin 2020, la proposition de résolution qui est à l’origine du présent rapport; j’ai été nommé rapporteur par la commission le 15 octobre 2020. Un grand nombre des questions en jeu étaient déjà bien connues de notre commission, notamment grâce à la série de résolutions et de recommandations élaborées depuis 2010 
			(3) 
			Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle
que soit l’orientation sexuelle», rapport de Jonas Gunnarsson (Doc. 14620); Résolution
2230 (2018) et Recommandation
2138 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène
(Fédération de Russie)», rapport de Piet De Bruyn (Doc. 14572); Résolution
2191 (2017) et Recommandation
2116 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations
à l’égard des personnes intersexes», rapport de Piet De Bruyn (Doc. 14404); Résolution
2048 (2015) «La discrimination à l’encontre des personnes transgenres
en Europe», rapport de Deborah Schembri (Doc. 13742); Résolution
1948 (2013) et Recommandation
2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et sur l’identité de genre», rapport de Håkon Haugli (Doc. 13223); Résolution
1728 (2010) et Recommandation
1915 (2010) «Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre», rapport d’Andreas Gross (Doc. 12087). par notre commission au nom de l’Assemblée sur différents aspects des droits des personnes LGBTI, ainsi qu’à l’engagement, tout au long des dix dernières années, de ses rapporteurs généraux successifs sur les droits des personnes LGBTI, fonction que j’ai l’honneur d’occuper actuellement. Afin de dresser le tableau le plus à jour et le plus complet possible de la situation actuelle dans toute l’Europe, j’ai effectué des recherches documentaires supplémentaires et tenu de nombreuses réunions bilatérales avec des parties prenantes concernées, en particulier la société civile, lors de la préparation de ce rapport.
4. Je tiens à remercier très chaleureusement la commission des questions d’actualité du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de m’avoir invité à participer aux réunions en ligne qu’elle a organisées les 2 et 3 novembre 2020 avec des interlocuteurs polonais (autorités nationales, régionales et locales et acteurs de la société civile) dans le cadre de son propre rapport intitulé «Le rôle des collectivités locales et régionales concernant la situation des personnes LGBTI en Pologne». Le Congrès a adopté ce rapport le 16 juin 2021, ainsi qu’un rapport connexe intitulé «La protection des personnes LGBTI dans le contexte de la montée des discours de haine et de la discrimination à leur égard: le rôle et les responsabilités des pouvoirs locaux et régionaux» 
			(4) 
			<a href='https://rm.coe.int/resolution-471-2021-fr-lgbti-personnes-lgbti-en-pologne-commission-des/1680a2ddad'>Résolution
471 (2021)</a> sur le rôle des collectivités locales et régionales
concernant la situation des personnes LGBTI en Pologne; <a href='https://rm.coe.int/resolution-470-2021-fr-la-protection-des-personnes-lgbti-commission-de/1680a2df8f'>Résolution
470 (2021)</a> et <a href='https://rm.coe.int/recommandation-458-2021-fr-la-protection-des-personnes-lgbti-commissio/1680a2dfe7'>Recommandation
458 (2021)</a> sur la protection des personnes LGBT dans le contexte
de la montée des discours de haine et de discrimination à leur égard:
le rôle et les responsabilités des pouvoirs locaux et régionaux..
5. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, notre commission a tenu le 27 novembre 2020 une audition à laquelle ont participé Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant des Nations Unies sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, Teodora Ion-Rotaru, directrice exécutive de l’association ACCEPT, Roumanie, Tina Kolos Orbán, responsable de projet de l’association Transvanilla, Hongrie, et Miltos Pavrou, responsable de projet en recherche sociale, Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne.
6. La commission a tenu une seconde audition le 18 mai 2021, à laquelle ont participé Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Emina Bosnjak, directrice exécutive, Sarajevo Open Centre, Bosnie-Herzégovine, Marsel Tuğkan, consultant, ILGA-Europe, Turquie, et Lui Asquith, responsable des questions juridiques et des politiques, association Mermaids, Royaume-Uni.
7. Mon travail sur le rapport ne m’a laissé aucun doute sur le fait que la recrudescence de la haine à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est pas simplement le produit de préjugés individuels, ni d’une supposée plus grande liberté d’exprimer ces préjugés, mais le résultat d’attaques soutenues et souvent bien organisées contre les droits humains des personnes LGBTI dans tout le continent européen. En niant la dignité humaine et le droit à l’égalité des personnes LGBTI, ces attaques font peser une menace sur le fondement de nos démocraties: lorsqu’une minorité est attaquée, ce sont toutes les minorités qui sont menacées. Les avancées importantes réalisées ces dernières années sont aujourd’hui en péril, et il est essentiel de réagir rapidement pour éviter de nouveaux reculs et inverser la tendance.

2. Hétéronormativité, hétérosexisme, cisgenrisme et mouvements anti-genre et critiques à l’égard du genre

8. Dans ce rapport, j’emploie fréquemment les termes d’homophobie, de biphobie, de transphobie et d’interphobie. Ils correspondent à de nombreux phénomènes que l’on peut observer dans nos sociétés, et désignent clairement les groupes visés par l’hostilité qui se manifeste dans des sentiments, des propos ou des actes haineux. Toutefois, ils tendent également à suggérer que la haine ne serait qu’une question de psychologie individuelle (la phobie est une peur). À ce titre, ils ne permettent pas de saisir les mécanismes structurels qui sont à l’œuvre dans nos sociétés et génèrent de la haine, et ils minimisent d’importantes formes de discrimination subies par les personnes LGBTI, que j’expose brièvement ci-dessous 
			(5) 
			Voir
Fraïssé C. (dir.) (2011), L’homophobie
et les expressions de l’ordre hétérosexiste, Coll. Psychologies,
Presses Universitaires de Rennes, Rennes. La première utilisation
connue du terme «hétéronormativité» figure dans Warner M. (1991),
«Fear of a Queer Planet», Social Text No. 21, pp. 3-17..
9. Comme l’a souligné l’expert indépendant des Nations Unies, Victor Madrigal-Borloz, lors de notre audition du 27 novembre 2020, l’idée que les vies de personnes LGBT seraient d’une manière ou d’une autre antisociales, dérangées et marquées par le péché a laissé de profondes traces dans la conscience des sociétés du monde entier. Même si ces idées sont aujourd’hui réfutées, leur influence durable se manifeste encore dans les façons de penser d’une proportion importante de la population.
10. Les sociétés patriarcales occidentales se sont traditionnellement bâties autour de la notion de masculinité hégémonique: les gens se partagent entre deux groupes inégaux et complémentaires – ceux qui pénètrent et ceux qui sont pénétrés, ces derniers étant considérés comme inférieurs. Dans cet ordre social, les hommes virils sont classés comme hiérarchiquement supérieurs aux femmes, et les hommes jugés insuffisamment masculins sont relégués dans la catégorie féminine (inférieure). En outre, toute personne est supposée être automatiquement hétérosexuelle et cisgenre 
			(6) 
			Cette
hypothèse a également fortement influencé les approches médicalisées
du corps des personnes intersexes. Voir Doc. 14404, chapitre 4.1..
11. Ces constructions sociales artificielles sont bien connues des féministes: elles oppriment les femmes et sont au cœur des inégalités de genre et de la violence fondée sur le genre qui persistent aujourd’hui 
			(7) 
			La Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (<a href='https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168008482e?module=treaty-detail&treatynum=210'>STCE
n° 210, Convention d’Istanbul</a>) reconnaît que la violence à l’égard des femmes est
une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre
les femmes et les hommes et que la nature structurelle de la violence
à l’égard des femmes est fondée sur le genre (voir le préambule
de la convention).. Mais de façon tout aussi importante, elles mettent en opposition les personnes hétérosexuelles et les personnes homosexuelles ou bisexuelles, ainsi que les personnes cisgenres et les personnes transgenres ou non binaires; de fait, toute personne dont l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles ne sont pas conformes aux normes binaires peut encore, bien souvent, être considérée comme anormale, antisociale et par définition inférieure.
12. Les sociétés hétéronormatives et hétérosexistes, telles que décrites ci-dessus, étouffent collectivement les identités et les réalités de tous ceux qui remettent en question la hiérarchie établie des sexes et des genres – bien que cet ordre ne fonctionne qu’en faveur des hommes virils et cisgenres et des individus qu’ils choisissent de protéger. C’est pourquoi les luttes pour les droits des femmes et les droits des personnes LGBTI sont si étroitement liées. L’ordre social dominant jette le déshonneur sur les corps des personnes intersexes qui ne sont pas conformes au paradigme binaire masculin/féminin 
			(8) 
			Voir Doc. 14404 op. cit., et sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre de toute personne qui ne correspond pas à la norme hétérosexiste. Même dans les sociétés qui ont abrogé de nombreuses lois discriminatoires, manifestations légales de l’hétéronormativité, et qui ont promulgué des lois visant à mieux protéger les droits des personnes LGBTI, les individus qui ne cachent pas le fait qu’ils sont LGBTI continuent d’être la cible d’insultes et d’attaques. Au Royaume-Uni, par exemple, 99 % des élèves entendent le terme «gay» employé en tant qu’insulte dans les écoles, tandis que «pédé» est l’insulte la plus courante dans les écoles françaises 
			(9) 
			Bartram
F. (2019), <a href='https://www.stonewall.org.uk/resources/ten-steps-tackling-homophobic-biphobic-and-transphobic-language-your-school'>«Ten
steps to tackling homophobic, biphobic and transphobic language
in your school</a>», Stonewall Education Guides, Stonewall, Londres; Beaulieu
B. (2021), «Comment devient-on homophobe?», émission présentée par Ali
Rebeihi, France Inter, 27
mai 2021..
13. Il existe un lien direct entre, d’une part, l’hétéronormativité et l’hétérosexisme, et d’autre part, les mouvements anti-genre et critiques à l’égard du genre qui prennent de l’ampleur, sur lesquels nous reviendrons plus bas. Les mouvements anti-genre et critiques à l’égard du genre, qui bénéficient d’un financement solide et partagent des caractéristiques, des stratégies et un langage communs 
			(10) 
			Dunja Mijatović, audition
de la commission, 18 mai 2021; EPF (2021), <a href='https://www.epfweb.org/sites/default/files/2021-06/Tip of the Iceberg June 2021 Final.pdf'>«Tip
of the iceberg: Religious extremist funders against human rights
for sexuality and reproductive health in Europe»</a>, 2009-2018, Bruxelles., nient les principes fondamentaux des droits humains qui sont en jeu – la lutte pour la reconnaissance et l’égalité des droits – et qualifient à tort d’«idéologie du genre» les efforts visant à déconstruire les stéréotypes sexistes profondément préjudiciables qui existent dans nos sociétés.
14. Quelles que soient leurs motivations, ces mouvements œuvrent au maintien des inégalités dans les rapports entre les genres, au nom de la «tradition», des «valeurs familiales», des «valeurs chrétiennes» ou d’un prétendu «ordre naturel». Les attaques contre l’avortement, l’accès à la contraception, l’éducation sexuelle complète, le mariage entre personnes de même sexe, le genre, la reconnaissance juridique du genre, l’accès aux soins médicaux liés à la transition, la participation des personnes trans et intersexes dans le sport, et la ratification et la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, sont autant d’éléments de ce programme 
			(11) 
			Datta
N. (2018), «Restoring the Natural Order: The religious extremists’
vision to mobilize European societies against human rights on sexuality
and reproduction», EPF, Bruxelles, p. 35. – un programme qui, en maintenant ou exacerbant les inégalités, porte directement atteinte aux droits humains des femmes, des enfants et des personnes LGBTI. Les manifestations de plus en plus nombreuses de haine envers les personnes LGBTI auxquelles nous assistons aujourd’hui en Europe doivent être comprises non pas comme de simples actes individuels, mais comme s’inscrivant dans cette dynamique plus vaste, qui nuit également aux femmes et aux enfants.

3. Rhétorique anti-genre et discours de haine

15. Les discours de haine expressément anti-LGBTI ont augmenté en 2020 en Europe. Il a été signalé qu’au cours de cette période, la tendance des responsables politiques à attaquer verbalement les personnes LGBTI a sensiblement augmenté, entre autres, dans les pays suivants: Albanie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, République tchèque, Estonie, Finlande, Hongrie, Italie, Lettonie, République de Moldova, Macédoine du Nord, Pologne, Fédération de Russie, République slovaque et Turquie, ainsi qu’au Kosovo* 
			(12) 
			*Toute référence au
Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse de son territoire,
de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans
le plein respect de la <a href='https://undocs.org/fr/S/RES/1244(1999)'>Résolution 1244</a> du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations
Unies, sans préjuger du statut du Kosovo.. Des dirigeants religieux ont également répandu des propos haineux au Bélarus, en Grèce, en République slovaque, en Turquie et en Ukraine, nombre d’entre eux accusant directement les personnes LGBTI d’être responsables de la pandémie de covid-19 
			(13) 
			ILGA-Europe
(2021), «Annual Review on the Human Rights Situation of Lesbian,
Gay, Bisexual, Trans and Intersex People in Europe and Central Asia»,
Bruxelles, 2021, p. 7..
16. Des messages haineux envers les personnes LGBTI sont également diffusés par le biais des médias, d’internet, de jeux vidéo et de la musique. Une augmentation des propos haineux sur les réseaux sociaux a été signalée en Belgique, en Bulgarie, en Croatie, en République tchèque, à Malte, au Monténégro, en Fédération de Russie et en Turquie l’année passée, ainsi que dans les grands médias en Slovénie et en Ukraine. Le phénomène est observé depuis un certain temps en Géorgie, en Irlande, aux Pays-Bas, en Macédoine du Nord, au Portugal, en Roumanie, en République slovaque, en Espagne et au Royaume-Uni 
			(14) 
			Ibid..
17. Le discours de haine anti-LGBTI est souvent étroitement lié à un discours anti-genre plus large, qui s’est répandu dans toute l’Europe et dans le monde ces dernières années 
			(15) 
			Ibid.. Sur notre continent, il est particulièrement manifeste dans l’opposition aux efforts visant à obtenir une meilleure reconnaissance des couples de même sexe. On peut citer comme exemples la campagne menée pendant trois ans en Roumanie pour tenir un référendum visant à inscrire l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe dans la Constitution, et les campagnes contre la reconnaissance de ces mariages en Slovénie et en Croatie 
			(16) 
			Teodora
Ion-Rotaru, audition de la commission, 27 novembre 2020.. Ces discours étaient également au cœur des manifestations contre le mariage pour tous, en 2013 en France, et contre la reconnaissance des unions civiles, en 2016 en Italie 
			(17) 
			Voir Doc. 14620 op. cit., para. 16.. De même, ils ont joué un rôle central dans les attaques visant les droits des personnes trans, notamment au Royaume-Uni, que nous aborderons plus bas.
18. Ces discours tendent à mettre en question l’existence même du genre comme catégorie de protection au regard du droit international des droits humains, et à contester la notion selon laquelle le genre est une construction sociale distincte du sexe (biologique) et n’a pas de fondement binaire. Ces éléments sont pourtant cruciaux pour comprendre la réalité vécue par les personnes non binaires, transgenres ou de genre divers ainsi que pour comprendre les droits sexuels et génésiques. De même, ils sont étroitement liés aux notions de pouvoir et de contrôle sur les corps des personnes qui ont un utérus 
			(18) 
			Victor Madrigal-Borloz,
audition de la commission, 27 novembre 2020..
19. Les débats autour de la ratification de la Convention d’Istanbul qui ont eu lieu dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ces dernières années ont souvent reflété ces dynamiques. La Bulgarie en offre un exemple intéressant. Au cours de ces débats, des récits trompeurs ont été propagés de façon massive et ont eu des conséquences négatives pour les femmes, les enfants et les personnes LGBTI. Depuis que la Cour constitutionnelle a jugé, dans un arrêt majoritaire, que la Convention d’Istanbul n’était pas conforme à la Constitution du pays, les personnes qui défendent les droits des femmes, les ONG qui travaillent avec les victimes de violence à l’égard des femmes, les personnes LGBTI et les organisations qui défendent leurs droits font face à des campagnes de diffamation, des propos haineux dans les médias, des coupes budgétaires et des agressions physiques 
			(19) 
			Dunja Mijatović, Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, <a href='https://rm.coe.int/report-on-the-visit-to-bulgaria-from-25-to-29-november-2019-by-dunja-m/16809cde16'>Rapport</a> faisant suite à sa visite en Bulgarie du 25 au 29 novembre
2019, CommDH(2020)8, paragraphes 53-57; ILGA-Europe (2021), p. 35.. Une dynamique similaire – là aussi, aux conséquences négatives pour les droits des femmes et des personnes LGBTI – a conduit le Parlement slovaque à refuser à plusieurs reprises de ratifier la Convention. La décision unilatérale du Président turc, en mars 2021, de retirer la Turquie de la Convention d’Istanbul (décision contestée actuellement devant les tribunaux turcs) peut également être considérée comme s’inscrivant dans cette tendance.

4. L’instrumentalisation du discours de haine et de la rhétorique anti-genre à des fins politiques

20. Comme l’a souligné l’expert indépendant des Nations Unies lors de notre audition du 27 novembre 2020, dans de nombreuses régions d’Europe, on observe une banalisation inquiétante du discours de haine contre les personnes LGBT dans les débats publics, les manifestations et toute autre forme d’espace public. Ces discours ont acquis une légitimité et sont acceptés dans la vie politique, et le populisme qui les adopte obtient de bons résultats aux élections. Cela donne un poids considérable aux messages agressifs qui appellent à la suppression des orientations sexuelles non hétéronormatives et des identités de genre non cisnormatives, ainsi qu’à la limitation des droits humains des personnes LGBT.
21. En Pologne, des personnalités politiques ont signé des «chartes de la famille» homophobes, et une centaine de conseils locaux et régionaux ont adopté des déclarations «contre l’idéologie LGBTI» (ces zones sont fréquemment appelées «zones sans LGBT») ou des «chartes de la famille». Les débats qui ont précédé l’adoption de ces documents ont souvent été marqués par un langage agressif et discriminatoire, et tendaient à qualifier la défense des droits des personnes LGBTI de propagande préjudiciable aux enfants et visant à saper les valeurs traditionnelles polonaises 
			(20) 
			Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux, Rapport, «Le rôle des collectivités
locales et régionales concernant la situation des personnes LGBTI
en Pologne», <a href='https://search.coe.int/congress/pages/result_details.aspx?objectid=0900001680a287d8'>CG(2021)40-19</a>, Annexe, visite d’information, paragraphe 16 et sources citées;
pour une carte des autorités concernées, voir l’<a href='https://atlasnienawisci.pl/'>atlas de la haine</a> en ligne.. La Commission européenne a exprimé sa crainte que ces déclarations n’enfreignent le droit de l’Union européenne en matière de non-discrimination. Constatant que les autorités polonaises n’avaient pas fourni de réponse adéquate à ses demandes d’informations répétées à cet égard, la Commission a lancé, le 15 juillet 2021, une procédure d’infraction à l’encontre de la Pologne 
			(21) 
			Commission
européenne, «Valeurs fondatrices de l'UE: la Commission ouvre des
procédures contre la Hongrie et la Pologne pour violation des droits
fondamentaux des personnes LGBTIQ», Bruxelles, 15 juillet 2021..
22. Des personnalités politiques au plus haut niveau ont manié le discours de haine contre les personnes LGBTI, exploitant les préjugés à des fins politiques. Au cours de la campagne présidentielle de 2020, le candidat sortant (et finalement réélu) a expressément nié la dignité, l’égalité et l’humanité des personnes LGBTI, déclarant «ils essaient de nous convaincre que les [LGBTI] sont des personnes, alors qu’il s’agit d’une idéologie» et qualifiant l’«idéologie LGBTI» d’«idéologie du mal» 
			(22) 
			Ibid..
23. Tandis que le débat public sur l’égalité LGBTI devient de plus en plus politisé, certains acteurs observent que l’adoption de déclarations «contre l’idéologie LGBTI» et de «chartes de la famille» vise principalement à manifester son soutien au parti au pouvoir 
			(23) 
			Ibid.. Or de telles déclarations, de par leur nature même, privent les personnes LGBTI du droit d’exister et d’un espace de vie sûr. Elles sont une violation flagrante de la dignité humaine et de l’égalité, et mettent directement en péril l’État de droit et la démocratie, celle-ci reposant sur des sociétés dans lesquelles chacun peut se sentir accueilli, protégé et en mesure de jouer un rôle actif. En outre, elles rendent plus difficile encore la situation de personnes qui ont besoin de soutien.
24. Comme je l’ai souligné dans ma déclaration publique à ce sujet en juin 2020, les responsables politiques ne peuvent pas rester les bras croisés lorsque des membres de nos sociétés sont pris pour cible, stigmatisés et déshumanisés: nous devons être sans concession dans le rejet de l’homophobie, de la transphobie, de la biphobie et de l’interphobie, et nous devons dénoncer la haine à chaque fois que nous en sommes témoin. J’ai appelé les responsables politiques polonais à soutenir le renforcement des lois contre la haine et la discrimination et à veiller à ce qu’elles soient effectivement appliquées, plutôt que de propager la haine 
			(24) 
			«Pologne: ‘la rhétorique
de haine à l’égard des personnes LGBTI doit cesser’», déclare un
rapporteur général de l’APCE, <a href='https://pace.coe.int/fr/news/7934/pologne-la-rhetorique-de-haine-a-l-egard-des-personnes-lgbti-doit-cesser-declare-un-rapporteur-general-de-l-apce'>déclaration</a>, 25 juin 2020..
25. Je trouve profondément inquiétant que les droits des personnes LGBTI soient politisés et instrumentalisés de cette manière. Je salue le fait que certaines autorités municipales, locales et régionales aient révoqué les chartes ou les déclarations anti-LGBTI qu’elles avaient adoptées précédemment, parfois à la suite de la décision d’homologues internationaux de cesser de les soutenir financièrement, et que des dizaines d’autres, qui avaient fait l’objet de pressions pour signer de tels textes, ont finalement renoncé à les adopter, préférant signer des déclarations contre l’homophobie dans certains cas.
26. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a souligné, lors de notre audition du 18 mai 2021, que son travail de suivi dans plusieurs autres pays avait mis en évidence une manipulation flagrante des préjugés anti-LGBTI à des fins politiques à court terme, notamment en contexte électoral.
27. En Arménie, en 2018, deux propositions de loi anti-LGBTI ont été présentées au parlement, l’une proposant d’ériger en infraction pénale le fait de s’embrasser en public lorsqu’il s’agit de personnes de même sexe, et l’autre proposant d’ériger en infraction administrative «la propagande en faveur de relations sexuelles non traditionnelles [définies comme incluant les relations homosexuelles] auprès des mineurs». La Commissaire a fait part de sa préoccupation quant au fait que ces projets de loi pourraient être «conçus pour attiser les sentiments anti-LGBTI en tant qu’élément de rivalité entre des groupes politiques opposés», qu’ils risquaient d’être «instrumentalisés au détriment des droits de la communauté LGBTI» et qu’ils détournaient l’attention d’autres problèmes fondamentaux de droits humains auxquels le pays devrait s’attaquer 
			(25) 
			Dunja
Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, <a href='https://rm.coe.int/report-on-the-visit-to-armenia-from-16-to-20-september-2018-by-dunja-m/168091f9d5'>Rapport</a> faisant suite à sa visite en Arménie du 16 au 20 septembre
2018, CommDH(2019)1, paragraphes 102-103 et 106.. La situation des personnes LGBTI en Arménie, ainsi qu’en Azerbaïdjan et en Géorgie, fait actuellement l’objet d’un examen plus approfondi par notre collègue Christophe Lacroix (Belgique, SOC).
28. En ce qui concerne la République de Moldova, des propos haineux tenus par des personnalités politiques de haut niveau, des responsables religieux et des dirigeants locaux ont été signalés à la Commissaire en 2019. Leur nombre aurait augmenté au cours des périodes électorales, avec une aggravation liée au discours de haine émanant des médias ou diffusé par ceux-ci. Les personnes LGBTI en République de Moldova ont fréquemment été la cible de propos haineux particulièrement virulents. Ni les autorités ni les médias n’ont fait de grands efforts pour lutter contre cette tendance, et le cadre juridique contre le discours de haine n’est guère protecteur. La Commissaire a exhorté les autorités moldaves à adopter des dispositions législatives plus strictes contre le discours de haine anti-LGBTI, à élargir les compétences de l’organisme national chargé de l’égalité dans ce domaine, et à assumer leurs responsabilités pour s’attaquer à cette question qui relève des droits humains 
			(26) 
			Dunja
Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, <a href='https://rm.coe.int/report-on-the-visit-to-moldova-from-9-to-13-march-2020-by-dunja-mijato/16809ed0e4'>Rapport</a> faisant suite à sa visite en République de Moldova du
9 au 13 mars 2020, CommDH(2020)10, paragraphes 75-84 et sources
citées..
29. Une grande partie des propos haineux sont proférés en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. Ne pas traiter la question du discours de haine sur les réseaux sociaux revient à tolérer les propos haineux et l’incitation à la haine, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) 
			(27) 
			Voir notamment Beizaras et Levickas c. Lituanie,
requête n° <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>41288/15</a>, arrêt du 14 janvier 2020., alors même que les organisations LGBTI font constamment l’objet de telles attaques, sans qu’il existe de recours. Les entreprises des réseaux sociaux commencent à reconnaître qu’il est dans leur intérêt d’éviter que leurs plateformes soient utilisées pour attiser la haine, la discrimination ou la violence, et elles tiennent compte de l’approche gouvernementale. Ainsi que l’a souligné la Commissaire aux droits de l’homme lors de notre audition du 18 mai 2021, il appartient aux responsables politiques de créer et de définir les obligations auxquelles sont soumises les entreprises des réseaux sociaux, et il appartient au système judiciaire de veiller à leur application 
			(28) 
			Dunja Mijatović et
Lui Asquith, audition de la commission, 18 mai 2021..
30. Dans des pays tels que les Pays-Bas, où d’importants progrès en matière d’égalité des personnes LGBTI ont été accomplis et où l’attitude du public à l’égard des personnes LGBTI est favorable, les partis d’extrême droite ont recours à l’homonationalisme pour promouvoir un programme raciste. Ils stigmatisent les groupes minoritaires et caractérisent les musulmans, en particulier, comme homophobes et réactionnaires – comme si tous les musulmans nourrissaient une haine anti-LGBTI et tous les chrétiens blancs et occidentaux y étaient favorables. Si les leviers actionnés ici sont très différents de ceux décrits plus haut, l’homonationalisme n’est pas seulement raciste: il instrumentalise lui aussi les personnes LGBTI et leurs droits pour promouvoir un programme politique fondé sur la haine. L’utilisation de ce discours nuit aux minorités nationales, ethniques et religieuses visées, tout en restant totalement indifférent à son impact sur les personnes LGBTI elles-mêmes.
31. La conclusion qui s’impose, pour reprendre les termes de la Commissaire lors de l’audition du 18 mai 2021, est que les responsables politiques, dans une grande partie de l’Europe, manquent à leurs responsabilités consistant à éduquer le public, combattre les stéréotypes et œuvrer en faveur de la tolérance. Au lieu de cela, ils utilisent les préjugés contre les personnes LGBTI pour promouvoir des programmes et des intérêts politiques préjudiciables, aux dépens et au mépris total des droits des personnes LGBTI. Ces mouvements traitent les personnes LGBTI simplement comme si elles ne méritaient pas le respect et l’égale dignité dus aux êtres humains.
32. Cela ne peut être toléré. Les responsables politiques et les autorités publiques doivent s’opposer vigoureusement à la déshumanisation des personnes LGBTI, et ne pas laisser cette charge à la seule société civile. Ils doivent s’abstenir de tenir eux-mêmes des propos haineux, prendre position rapidement, fermement et publiquement contre tout discours de haine visant les personnes et les militants LGBTI, et veiller à ce que tous les cas de discours de haine fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites effectives. En outre, ils doivent faire en sorte qu’une législation efficace soit en place afin que de telles mesures puissent être prises (voir ci-dessous).

5. Lois en faveur de l’égalité: une adoption de plus en plus difficile, des reculs de plus en plus nombreux

33. Ainsi que l’a souligné la Commissaire aux droits de l’homme, un cadre législatif solide est d’autant plus important que le climat politique et sociétal est hostile. Or, il existe encore d’importantes lacunes dans la protection juridique des personnes LGBTI en Europe, s’agissant notamment des lois sur le discours de haine, des circonstances aggravantes des infractions pénales, de la reconnaissance des partenariats et des mariages entre personnes de même sexe, ou de la reconnaissance juridique du genre 
			(29) 
			Dunja Mijatović, audition
de la commission, 18 mai 2021..
34. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié une fiche thématique présentant un aperçu des normes qui devraient être respectées dans ces domaines; le document se fonde sur le suivi mené à ce jour par l’ECRI et sur d’autres normes essentielles du Conseil de l’Europe, y compris la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que sur les textes adoptés par l’Assemblée. Si des avancées essentielles ont été accomplies ces dernières décennies, des progrès doivent encore être faits dans toute l’Europe, à des degrés divers, en ce qui concerne les dispositions législatives visant à combattre la haine et à prévenir la discrimination à l’égard des personnes LGBTI 
			(30) 
			ECRI, <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-commission-against-racism-and-intolerance/factsheet-lgbti'>Fiche
thématique</a> sur les questions LGBTI, Strasbourg, 1er mars
2021; <a href='https://rm.coe.int/5th-cycle-ecri-recommendations-on-lgbt-issues/16809e7b66'>Compilation</a> des recommandations du 5e cycle
de l’ECRI sur les questions LGBTI..
35. Il semble toutefois de plus en plus difficile de faire aboutir les efforts visant à promulguer de telles lois, et dans certains cas, les avancées ont été suivies d’un recul. Je voudrais ici attirer l’attention sur trois exemples; de nombreux autres pourraient toutefois être cités. Je reviendrai dans une section distincte, plus bas, sur les revers spécifiques auxquels sont actuellement confrontées les personnes trans, non binaires et genderqueer, y compris certaines personnes intersexes.
36. En Italie, un projet de texte législatif visant entre autres à renforcer la loi contre les infractions motivées par la haine par l’élargissement de la liste des motifs expressément couverts pour y inclure le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et le handicap, approuvé par la Chambre des députés en novembre 2020, est resté depuis lors bloqué au Sénat. Le texte a fait l’objet de débats publics et politiques intenses, y compris de propos homophobes ou transphobes 
			(31) 
			Disegno
di legge S. 2005, Contrasto
della discriminazione o violenza per sesso, genere o disabilità (“Ddl Zan”)..
37. En Lituanie, plusieurs initiatives ont tenté en vain, depuis 2015, d’obtenir la reconnaissance juridique des couples de personnes de même sexe. Un nouveau projet de loi sur le partenariat sans distinction de genre, présenté le 21 mai 2021, a été renvoyé à ses auteurs pour révision et ne sera pas réexaminé avant plusieurs mois; un rassemblement en faveur des «valeurs familiales traditionnelles» s’était tenu une semaine avant à Vilnius, auquel auraient participé plusieurs milliers de personnes. Parallèlement, de nombreuses initiatives législatives visant à restreindre les droits des personnes LGBTI ont été enregistrées ces dernières années, notamment des propositions d’amendement prévoyant d’exclure les familles arc-en-ciel de la notion constitutionnelle de famille. En outre, la loi lituanienne «anti-propagande LGBTI» est toujours en vigueur (voir chapitre suivant) 
			(32) 
			LGL, <a href='https://www.lgl.lt/en/?p=24059'>«Gender-Neutral Partnership
Proposal Meets Failure During its First Reading in Seimas »</a>, 2 juin 2021; <a href='https://www.lgl.lt/en/?p=8936'>«Lithuanian MPs Register
Bill to Allow Same-sex Partnership»</a>, 25 mars 2015; «<a href='https://www.lgl.lt/en/?p=18335'>Four Homophobic Legislative
Initiatives on Lithuanian Parliament’s Autumn Agenda</a>», 19 septembre 2017; <a href='https://www.lgl.lt/en/?p=14084'>«Lithuanian Parliament
Proceeds with Banning Same-Sex Couples from Constitutional Concept
of Family Life</a>», 28 juin 2016; <a href='https://www.lgl.lt/en/?p=20809'>«Protection of minors,
or censorship of LGBT content?</a>», 29 octobre 2018..
38. En Hongrie, une série de lois profondément préjudiciables aux droits des personnes LGBTI ont été adoptées au cours de l’année passée. Outre les modifications législatives anti-trans adoptées au printemps 2020 (voir ci-dessous), le parlement a adopté, en décembre 2020, une loi privant les personnes non mariées du droit d’adopter un enfant (dans ce pays, les personnes de même sexe ne peuvent se marier). Il a également adopté des amendements constitutionnels visant à limiter l’identité de genre des enfants au sexe assigné à la naissance, à imposer une éducation fondée sur la «culture chrétienne» de la Hongrie, et à institutionnaliser une définition hétéronormative de la famille. A la demande de la Commission de suivi de l’Assemblée, la Commission de Venise a examiné ces amendements dans un avis récent. Elle a exprimé son inquiétude au vu notamment de l’absence de consultation publique sur ces amendements, de leur adoption pendant l’état d’urgence, de l’instrumentalisation politique de la constitution, ainsi que de l’effet clairement ou potentiellement discriminatoire des amendements au motif de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre 
			(33) 
			Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Avis sur
les amendements constitutionnels adoptés par le Parlement de la
Hongrie en décembre 2020, adopté par la Commission de Venise lors
de sa 127ème Session plénière (2-3 juillet 2021), CDL-AD(2021)029.. Le 15 juin 2021, des modifications ont été apportées à une série de lois, qui interdisent «la représentation et la promotion d’une identité de genre différente du sexe à la naissance, du changement de sexe et de l’homosexualité» auprès des personnes âgées de moins de 18 ans. Tous ces changements ont été instaurés pendant que les restrictions aux rassemblements publics liées à la pandémie de covid-19 empêchaient la tenue de manifestations 
			(34) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/eur27/3353/2020/fr/'>«Hongrie.
Le parlement hongrois doit rejeter les modifications législatives
qui fragilisent davantage encore les droits des personnes LGBTI</a>», EUR 27/3353/2020; ILGA Europe, «<a href='https://ilga-europe.org/resources/news/latest-news/hungarian-parliaments-proposed-amendments-censoring-public-communication'>Hungarian
parliament’s proposed amendments censoring public communication
about LGBTI people violates EU law</a>», 11 juin 2021; voir également ma déclaration du 16
juin 2021, <a href='https://pace.coe.int/fr/news/8351/hungary-pace-general-rapporteur-denounces-new-legislation-as-part-of-a-concerted-attack-on-lgbti-people-by-the-authorities-'>«Hongrie:
un Rapporteur général de l’APCE dénonce de nouvelles dispositions
législatives comme ‘faisant partie d’une attaque concertée des autorités
contre les personnes LGBTI’»</a>.. Ils sont contraires aux normes internationales relatives aux droits humains, y compris à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et aux résolutions de l’Assemblée, et constituent des atteintes systématiques aux droits des personnes LGBTI. Le 15 juillet 2021, la Commission européenne a annoncé sa décision de lancer une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie concernant d’éventuels manquements à plusieurs articles du Traité sur l’Union européenne ainsi qu’à l’article 2 de la Charte des droits fondamentaux relatif aux valeurs de l’égalité et de la protection des droits humains 
			(35) 
			Commission
européenne, “Valeurs fondatrices de l'UE: la Commission ouvre des
procédures contre la Hongrie et la Pologne pour violation des droits
fondamentaux des personnes LGBTIQ», Bruxelles, 15 juillet 2021.. Peu après, le 21 juillet 2021, le Premier ministre hongrois a toutefois annoncé son intention de convoquer un référendum invitant la population hongroise à exprimer son approbation des modifications les plus récentes. Les questions qui seraient soumises au vote seraient apparemment très tendancieuses: les électeurs seraient par exemple invités à indiquer s’ ils acceptent que l’école «parle de sexualité à leurs enfants sans leur consentement» ou s’ils soutiennent «la promotion des traitements de changement de sexe pour les mineurs» 
			(36) 
			Komitid,
“<a href='https://www.komitid.fr/2021/07/21/viktor-orban-convoque-un-referendum-sur-la-loi-anti-lgbt-critiquee-par-bruxelles/'>Viktor
Orbán convoque un référendum sur la loi anti LGBTI+ critiquée par
Bruxelles</a>”, 21 juillet 2021..

6. Les libertés d’expression, d’association et de réunion

39. Parmi les politiques et mesures qui portent directement atteinte à l’égalité et aux droits des personnes LGBTI, je souhaite également mentionner une série de restrictions et d’attaques contre les libertés d’expression, d’association et de réunion.
40. Les lois «anti-propagande LGBTI», que l’Assemblée a déjà condamnées dans sa Résolution 1948 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre», restent en vigueur dans les pays concernés, et comme indiqué ci-dessus, de nouvelles dispositions similaires viennent d’être adoptées par le Parlement hongrois. Ces lois sont promues au motif qu’elles protégeraient les mineurs. Or, en empêchant l’accès à des informations objectives sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles, elles exposent les jeunes à un risque de préjudice bien plus élevé et ne contribuent d’aucune façon à briser la stigmatisation ni à créer une société plus ouverte et tolérante. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que ces lois entraînaient une violation de l’article 10 ainsi que de l’article 14 combiné avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(37) 
			Bayev
et autres c. Russie, requête n° <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>67667/09</a>, arrêt du 20 juin 2017..
41. Les mesures qui visent à limiter ou empêcher l’accès des enfants à des livres représentant des familles non hétéronormatives, ou à éliminer toute discussion sur le genre à tous les niveaux de l’enseignement, sont tout aussi préjudiciables 
			(38) 
			Povoledo E., «Book
ban in Italy spotlights country’s struggle on gay rights», International New York Times, 14
août 2015; Teodora Ion-Rotaru, audition de la commission, 27 novembre
2020..
42. Dans le contexte hétéronormatif décrit ci-dessus, de nombreuses personnes LGBTI intériorisent la honte dès leur plus jeune âge et cherchent à se rendre invisibles aussi longtemps qu’elles le peuvent. Les marches des fiertés et autres manifestations de ce type ne peuvent être pleinement comprises que dans ce contexte, comme une conséquence directe de la honte imposée aux personnes LGBTI et de la stigmatisation entretenue de longue date par les sociétés hétéronormatives et hétérosexistes; ces manifestations ne cherchent pas à imposer une vision du monde mais sont un moyen essentiel, pour les personnes LGBTI, de se réapproprier l’espace et la dignité que l’ordre social dominant leur refuse encore.
43. Cependant, la liberté de réunion des personnes LGBTI continue d’être menacée dans de nombreux pays européens. La police n’assure pas toujours une protection suffisante des marches des fiertés et autres manifestations des organisations LGBTI, laissant les personnes LGBTI exposées à des agressions; dans certains pays, les autorités ont poursuivi des personnes LGBTI pour avoir exercé leur droit de réunion pacifique. Au cours de la seule année 2020, ILGA-Europe a attiré l’attention sur des manifestations LGBTI attaquées ou perturbées par des extrémistes en Bulgarie, sur le refus d’autoriser la tenue d’une conférence en Grèce, sur des rassemblements anti-LGBTI en Pologne lors desquels des militants LGBTI qui protestaient pacifiquement contre les rassemblements ont été arrêtés, sur plusieurs procès intentés en Turquie contre des participants pacifiques à des marches des fiertés, et sur une violente attaque contre la marche des fiertés d’Odessa, en Ukraine. À plusieurs occasions, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que les interdictions visant les marches des fiertés et l’absence de protection de ces marches contre les attaques violentes constituaient une violation de la Convention 
			(39) 
			Voir notamment Genderdoc-M c. Moldova, requête
n° <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>9106/06</a>, arrêt du 12 juin 2012; Identoba
et autres c. Géorgie, requête n° <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>73235/12</a>, arrêt du 12 mai 2015..
44. En Turquie, des marches des fiertés se sont déroulées pacifiquement pendant plusieurs années. Toutefois, depuis le coup d’État manqué de 2016, les personnes et les organisations LGBTI sont la cible d’un nombre croissant de déclarations hostiles du Président et dans les médias, qui encouragent les autorités nationales et locales à restreindre les manifestations LGBTI 
			(40) 
			Marsel Tuğkan et Melike
Balkan, audition de la commission, 18 mai 2021.. En raison de l’interdiction générale de tous les événements LGBTI promulguée en 2016 à Ankara, les personnes LGBTI ont été dans l’impossibilité d’organiser des événements jusqu’à ce qu’un tribunal lève l’interdiction en février 2019. En mai 2019, une marche des fiertés organisée sur le campus de l’Université technique du Moyen-Orient d’Ankara a été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Bien que l’événement ait été pacifique, 22 personnes ont été arrêtées et sont actuellement poursuivies en justice. Le procès a été reporté à plusieurs reprises, faisant ainsi obstruction à la justice et rendant la situation plus difficile pour les personnes mises en cause. En mars 2021, des manifestations pacifiques d’étudiants à l’université Boğaziçi d’Istanbul ont également été violemment dispersées, et le club étudiant LGBTI+ a été obligé de fermer 
			(41) 
			AFP, <a href='https://www.france24.com/en/live-news/20210326-turkish-police-detain-dozens-of-student-protesters'>«Turkish
police detain dozens of student protesters</a>», 26 mars 2021.. En raison de ces mesures et de l’attitude hostile des autorités, les personnes LGBTI ne sont pas en mesure de circuler librement dans la rue, de se réunir, d’organiser des marches, ni même de se rassembler pour la projection d’un film.
45. La saison des fiertés en 2021 – couronnée par la WorldPride, tenue avec succès au mois d’août à Copenhague et à Malmö – a de nouveau vu la liberté de réunion mise à l’épreuve, à plusieurs occasions. Si certains développements comme la tenue de la troisième marche des fiertés à Sarajevo sont à saluer, plusieurs événements organisés autour du thème des fiertés ont rencontré des difficultés. La marche des fiertés d’Istanbul a par exemple été interdite pour la septième fois de suite en 2021; certaines des personnes qui s’étaient néanmoins réunies afin de manifester ont subi l’usage excessif de la force par des agents de police et des douzaines de personnes, y compris des journalistes, ont été arrêtées 
			(42) 
			 ILGA Europe, “<a href='https://ilga-europe.org/resources/rainbow-digest/june-2021'>Police
violence and ill treatment against peaceful protestors at Istanbul
Pride</a>”, Rainbow Digest, juin 2021.. La municipalité de Bucarest a initialement cherché à délocaliser la marche des fiertés de son itinéraire prévu au centre-ville, avant de revenir finalement sur cette décision 
			(43) 
			 Mutler A., “<a href='https://universul.net/romanian-authorities-do-about-face-allow-bucharest-pride-march-to-take-place-in-heart-of-city/'>Romanian
authorities do about-face, allow Bucharest Pride march to take place
in heart of city</a>”, Universul.Net, 9 août 2021.. Des groupes d’extrême droite ont tenté de perturber la marche des fiertés d’Odessa en août, provoquant des affrontements violents avec les agents de police déployés pour protéger la manifestation et utilisant du gaz lacrymogène à l’encontre de ceux-ci 
			(44) 
			 RFE/RL Ukrainian Service,
“<a href='https://www.rferl.org/a/ukraine-pride-lgbt-odesa-/31432989.html'>Ukrainian
police clash with far right group at Odesa Pride march</a>”, RFE/RL, 28 août 2021.. Les attaques contre les festivités des fiertés à Tbilissi en juillet seront couvertes dans le rapport de notre collègue Christophe Lacroix sur les «Violations alléguées des droits des personnes LGBTI dans le Caucase du Sud».
46. On observe également, dans toute l’Europe, une dégradation de la situation des défenseurs des droits humains des personnes LGBTI et de leurs organisations. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a constaté qu’une nouvelle tendance se dessine, comprenant des financements insuffisants, des attaques verbales, des agressions physiques, des restrictions à la liberté d’expression, du harcèlement judiciaire et des fuites de données à caractère personnel. La Commissaire publiera un rapport détaillé sur cette question dans les prochains mois 
			(45) 
			Dunja
Mijatović, audition de la commission, 18 mai 2021.. Nous pouvons citer ici deux exemples: d’une part, la loi relative aux «agents étrangers», qui a eu de graves répercussions sur le travail des organisations LGBTI et des autres organisations de défense des droits humains en Fédération de Russie, et qui a été suivie par l’adoption d’une loi similaire en Hongrie, laquelle a été invalidée par la Cour de justice de l’Union européenne, et d’autre part, les récentes tentatives de soumettre les ONG, y compris les organisations LGBTI, à la TVA en Bosnie-Herzégovine 
			(46) 
			Voir la Résolution 2362 (2021) et le rapport de notre collègue Alexandra Louis (Doc. 15205); Emina Bosnjak, audition de la commission, 18 mai 2021..
47. Un nombre croissant d’entreprises qui souhaitent se donner une image inclusive et favorable à la diversité auprès du public sont disposées à parrainer les manifestations des organisations LGBTI, celles-ci ayant d’autant plus besoin d’un tel soutien que les financements publics se font rares. Pour éviter le «pinkwashing» (l’instrumentalisation des personnes LGBTI comme alibi permettant aux entreprises de présenter une fausse image de diversité et d’inclusion), les entreprises doivent être comptables de leurs actes tout au long de l’année (pas seulement lors de l’événement ou de l’initiative qu’elles soutiennent); elles doivent mettre en place des politiques, des objectifs et des mesures concrètes au sein de l’entreprise pour soutenir l’égalité des personnes LGBTI, rendre compte publiquement de la mise en œuvre de ces mesures, et respecter systématiquement les principes énoncés dans les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

7. Attaques contre les droits et les libertés civiles des personnes trans

48. Au-delà d’une rhétorique superficielle, le discours anti-genre sert aussi de fondement à des politiques clairement contraires aux droits des personnes LGBTI, et est utilisé pour justifier des discriminations à l’égard de ces personnes. Ces dernières années, les attaques contre les personnes trans, non binaires, genderqueer, genderfluid, agenres ou ayant une identité de genre non occidentale, et celles qui ont des antécédents trans (j’inclurai ici toutes ces personnes sous le terme «trans») n’ont cessé d’augmenter.
49. Les modifications législatives adoptées en Hongrie au printemps 2020, lorsque l’état d’urgence avait été déclaré dans ce pays dans le cadre de la lutte contre la pandémie de covid-19, ont transformé la catégorie modifiable du sexe/genre en une catégorie immuable. Bien que ces mesures n’aient pas été présentées comme ciblant les personnes transgenres, ni les personnes intersexes qui sont confrontées aux mêmes problèmes, elles ont pour effet d’interdire totalement à ces personnes de changer de nom ou d’obtenir des documents conformes à leur genre. Pourtant, cela était possible, en Hongrie, depuis 2004 
			(47) 
			Tina Kolos
Orbán, audition de la commission, 27 novembre 2020. Voir également
ma déclaration du 22 mai 2020, <a href='https://pace.coe.int/fr/news/7900/-priver-les-personnes-trans-et-intersexes-en-hongrie-de-la-reconnaissance-juridique-de-leur-genre-est-intolerable-declare-un-rapporteur-general'>«Priver
les personnes trans et intersexes en Hongrie de la reconnaissance
juridique de leur genre est intolérable»</a>..
50. Dans d’autres pays, où les gouvernements avaient agi par le passé pour mieux protéger les droits des personnes LGBTI, notamment en renforçant le code pénal ou les lois anti-discrimination, les avancées législatives sont bien souvent au point mort. Ainsi, des pays comme l’Allemagne, Chypre, la Finlande, et le Royaume-Uni n’ont pas donné suite à leur engagement de simplifier l’accès à la reconnaissance juridique du genre, qui revêt une importance cruciale pour les personnes trans et de nombreuses personnes intersexes, tandis qu’en Azerbaïdjan, en Géorgie, en Serbie, en Turquie et en Irlande du Nord, entre autres, la mise en œuvre pratique des procédures existantes semble être à l’arrêt 
			(48) 
			Hugendubel
K., présentation faite le 5 mai 2021, événement en ligne organisé
sous les auspices de la Présidence allemande du Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe: «Vers la pleine reconnaissance des droits
LGBTI à travers l’Europe».. Des activistes travaillant au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Suède font également état d’un retour de flamme contre les droits des personnes trans, et parfois d’attaques violentes 
			(49) 
			Panel, «Nordic Backlash
on transgender rights», 20 août 2021, disponible à <a href='https://youtu.be/pyeAoAi-opk'>https://youtu.be/pyeAoAi-opk</a> à partir de 3:10:45..
51. En Espagne, de nouvelles lois ont été initiées en 2016, qui visaient à faciliter l’accès des personnes trans aux soins médicaux et à l’autonomie corporelle, à garantir que la reconnaissance juridique du genre se fonde sur l’autodétermination, et à rendre celle-ci accessible aux personnes de tous les âges. Tous ces objectifs sont conformes à la Résolution 2048 (2015) de l’Assemblée, et le projet a bénéficié d’un soutien massif de la part du public (98 % des réponses à une enquête publique menée à l’époque y étaient favorables) et de la part de plusieurs partis au parlement. Cependant, le processus législatif a depuis été bloqué. Un discours anti-trans extrêmement hostile a récemment émané des plus hauts niveaux politiques, y compris de la part de la vice-présidente du Gouvernement espagnol, qui a décrit la reconnaissance juridique du genre fondée sur l’autodétermination comme mettant en péril «les critères d’identité de 47 millions d’Espagnols» 
			(50) 
			Álvarez P., <a href='https://elpais.com/sociedad/2021-02-04/calvo-sobre-la-ley-trans-que-el-genero-se-elija-sin-mas-que-la-voluntad-pone-en-riesgo-los-criterios-de-identidad-del-resto.html'>«Calvo
critica que el proyecto de la ‘ley trans’ prevea que ‘el género
se elija sin más que la voluntad’</a>», El País, 4 février
2021; Riveira A. et Borraz M., «<a href='https://www.eldiario.es/politica/igualdad-acusa-carmen-calvo-bloquear-llegada-leyes-trans-lgtbi-consejo-ministros_1_7222250.html'>Igualdad
acusa a Carmen Calvo de ‘bloquear’ la llegada de las leyes trans y
LGTBI y Moncloa dice que se tramitará ‘con rigor’</a>», El Diairo, 15
février 2021.. Le projet de loi a finalement été examiné en mai 2021 à la suite d’une grève de la faim menée par 70 militants trans et parents d’enfants trans; toutefois, il n’a pas obtenu la majorité nécessaire, notamment en raison de l’abstention du parti majoritaire. L’opposition venait en grande partie de mouvements féministes anti-trans qui décrivent les personnes trans comme une menace pour la société et en particulier pour les femmes, nient les identités des personnes trans et non binaires, suggèrent que l’on ne peut faire confiance à ces personnes pour savoir ce qu’elles sont, et dépeignent les parents qui soutiennent leurs enfants trans comme des criminels. Les militants trans soulignent que le discours hostile émanant des plus hauts niveaux politiques a légitimé la violence contre les personnes trans et le refus de leur prise en charge médicale. En outre, des organisations de défense des droits des personnes trans et non binaires ont été exclues du débat politique sur ces questions, alors même qu’elles représentent les premières personnes concernées 
			(51) 
			Réunion
bilatérale en ligne avec des organisations trans et non binaires
espagnoles, 26 mai 2021.. Le 29 juin 2021, le gouvernement s’est mis d’accord sur un nouveau projet de loi. Les activistes ont salué le maintien de l’autodétermination comme critère de la reconnaissance juridique du genre ainsi que plusieurs autres avancées importantes figurant dans ce nouveau projet de loi, mais ont regretté que d’autres dispositions importantes pour la promotion de l’égalité LGBTI aient été omises. En parallèle, des oppositions ont été exprimées selon les mêmes lignes que celles soulevées face au texte précédent 
			(52) 
			Álvarez
P., “<a href='https://elpais.com/sociedad/2021-06-29/espana-sera-el-decimosexto-pais-del-mundo-en-permitir-la-autodeterminacion-de-genero.html'>España
abre la puerta a la autodeterminación de género tras un duro pulso
entre los socios del Gobierno”</a>, El País, 29 juin
2021..
52. Au Royaume-Uni aussi, le discours anti-trans, selon lequel le sexe serait immuable et les identités de genre n’existeraient pas, gagne du terrain de façon inquiétante, aux dépens des libertés civiles des personnes trans, mais aussi des droits des femmes et des enfants. Lors du Forum IDAHOT 2021, la ministre des égalités a déclaré, en contradiction avec les normes internationales des droits humains relatives aux droits des personnes trans, «Nous ne croyons pas à l’auto-identification». De tels propos, qui nient l’existence d’identités trans, sont utilisés pour faire reculer les droits des personnes trans et non binaires, et contribuent à accentuer les problèmes en matière de droits humains. Les statistiques sur les crimes de haine au Royaume-Uni font apparaître une forte augmentation des crimes transphobes depuis 2015, alors que ces infractions ne sont signalées aux autorités que par une victime sur sept. La cyberviolence augmente elle aussi, et de nombreuses personnes trans craignent pour leur sécurité 
			(53) 
			Bradley
C. (2020), <a href='http://www.galop.org.uk/transphobic-hate-crime-report-2020/'>«Transphobic
Hate Crime Report 2020</a>», Londres, Galop.. La question de savoir ce qui caractérise un discours préjudiciable, s’agissant des personnes trans et de leurs droits, fait constamment l’objet d’un intense débat social, politique et juridique; des arguments prétendant défendre la liberté d’expression ont été et sont encore avancés pour justifier des propos transphobes, pénalisant encore davantage les personnes et les communautés trans, qui sont déjà marginalisées. De même, il devient de plus en plus difficile pour des personnes et des organisations de soutenir publiquement de jeunes personnes trans sans faire elles-mêmes l’objet d’hostilités et de remises en question disproportionnées de la part du public. Le mouvement «critique à l’égard du genre», qui présente faussement les droits des personnes trans comme faisant peser une grave menace sur les femmes et les filles cisgenres, a joué un rôle important dans cette évolution, notamment depuis la consultation publique de 2018 sur l’actualisation de la loi de 2004 sur la reconnaissance du genre en Angleterre et au pays de Galles. Parallèlement, les organisations de défense des droits des personnes trans ont été la cible de campagnes particulièrement violentes dans les médias, visant notamment à dénigrer et calomnier les femmes trans. La campagne critique à l’égard du genre, qui continue de gagner en dynamisme, en puissance et en soutien financier, a contribué à créer une situation dans laquelle les procédures de reconnaissance juridique du genre nécessitent encore un diagnostic clinique de dysphorie de genre et demeurent inaccessibles aux personnes non binaires ou âgées de moins de 18 ans. On observe également une augmentation inquiétante du nombre de parents qui, après avoir fait appel à des services de santé privés pour leur enfant en raison de la difficulté d’obtenir en temps utile une prise en charge par les services de santé publics, ont fait l’objet d’une enquête menée par les autorités. Par ailleurs, les soins de santé pour les personnes trans sont présentés à tort comme une forme de thérapie de conversion LGB 
			(54) 
			Lui Asquith,
audition de la commission, 18 mai 2021..
53. Les discours anti-trans, qui présentent à tort les droits des personnes trans comme une menace pour les femmes et pour les droits des autres personnes, et qui insistent sur une catégorisation binaire du sexe et du genre ignorant les réalités vécues, se répandent dans toute l’Europe. Dans ce contexte, il est plus important que jamais de disposer d’une législation pénale et anti-discrimination efficace. En tant qu’acteurs politiques, nous devons être à l’écoute des personnes trans et de leurs organisations, nous informer sur leur situation et leurs droits, leur donner les moyens d’agir et, d’urgence, redéfinir les priorités et les discours, de façon à réorienter les débats pour qu’ils correspondent à la réalité complexe plutôt qu’à des slogans accrocheurs mais simplistes. Les personnes trans ont droit à la reconnaissance juridique, à la protection de leur vie privée et familiale, à la non-discrimination et à la vie en sécurité, comme tout un chacun; il est de notre responsabilité de faire de ces droits une réalité.

8. En Europe, la violence, la haine et les préjugés contre les personnes LGBTI sont de plus en plus répandus

54. Selon une récente enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur les crimes de haine et les discriminations envers les personnes LGBTI, à laquelle ont participé quelque 140 000 personnes LGBTI vivant dans l’Union européenne, au Royaume-Uni, en Serbie et en Macédoine du Nord, de nombreuses personnes LGBTI continuent de vivre dans l’ombre de crainte de subir des moqueries, des discriminations, voire des agressions. D’importants progrès en matière d’égalité ont été accomplis dans de nombreux pays, mais ils sont encore beaucoup trop rares 
			(55) 
			<a href='https://fra.europa.eu/fr/news/2020/est-ce-lespoir-ou-la-peur-qui-lemporte-chez-les-personnes-lgbti-en-europe'>«Est-ce
l’espoir ou la peur qui l’emporte chez les personnes LGBTI en Europe?</a>», communiqué de presse, Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, 14 mai 2021..
55. Des violences visant des personnes LGBTI, des défenseurs des droits humains et leurs organisations sont régulièrement signalées dans tous les États membres du Conseil de l’Europe. Certaines attaques contre des marches des fiertés ont été évoquées plus haut. La violence se manifeste aussi dans des attaques visant les biens ou les locaux d’organisations LGBTI. Parfois, les attaques sont menées de façon répétée. Au Monténégro par exemple, un centre LGBT a été attaqué 20 fois en une seule année, avec des jets de pierres, des vitres brisées et des bombes lacrymogènes; le directeur de l’ONG LGBT Forum Progress a été agressé 19 fois 
			(56) 
			ECRI (2017), Rapport
sur le Monténégro (cinquième cycle de suivi), CRI(2017)37, paragraphe
44.. En Ukraine, au cours du seul mois de mai 2021, trois attaques visant des espaces sûrs ou des événements destinés aux personnes LGBTI ont été menées par des groupes d’extrême droite à Kiev et une à Odessa 
			(57) 
			ILGA
Europe, «<a href='https://ilga-europe.org/resources/news/latest-news/ukrainian-state-must-protect-lgbt-communities'>The
Ukrainian State must protect the LGBT+ communities</a>», 4 juin 2021..
56. Des meurtres motivés par la haine anti-LGBTI se produisent également. Pour ne mentionner que quelques exemples parmi les cas signalés ces dernières années, au moins quatre femmes transgenres ont été tuées en Turquie en 2018 
			(58) 
			ILGA Europe, Annual
review 2019, Turquie, para. «Bias-motivated violence». En janvier 2018, une personne de genre non conforme a été agressée et battue dans le centre-ville de Saint-Pétersbourg (Fédération de Russie) parce qu’elle était d’apparence féminine et portait du rouge à lèvres 
			(59) 
			ILGA
Europe, Annual review 2019, Russie, para. «Bias motivated violence». L’ONG Transgender Europe (TGEU) a signalé le meurtre de 11 personnes trans en Europe en 2020; dans la moitié des cas, il s’agissait de migrants 
			(60) 
			TGEU,
TMM Update, Trans Day of Remembrance 2020.. Les femmes lesbiennes sont également victimes d’agressions et de féminicides dans de nombreux pays européens 
			(61) 
			<a href='https://www.huffingtonpost.fr/entry/apres-lagression-dun-couple-lesbien-a-londres-cinq-ados-arretes_fr_5cfba29ee4b04e90f1c9f87a'>«Après
l’agression d’un couple lesbien à Londres, cinq ados arrêtés</a>», Huffington Post,
9 juin 2019.. En Italie, une jeune femme lesbienne a été tuée en 2019 par un homme qui voulait se venger après qu’elle eut refusé ses avances 
			(62) 
			<a href='https://www.huffingtonpost.it/entry/portavoce-gay-center-elisa-pomarelli-uccisa-due-volte-come-donna-e-come-lesbica_it_5d750e0be4b06451356fe384'>«Portavoce
Gay Center: Elisa Pomarelli uccisa due volte: come donna e come
lesbica</a>», Huffington Post, 9 septembre
2019.. En Lettonie, un homme homosexuel est mort le 29 avril 2021 après avoir subi des brûlures sur 85 % de son corps; ses agresseurs avaient mis le feu à ses vêtements après l’avoir aspergé d’essence. Il avait déménagé à Tukums après avoir reçu des menaces de mort homophobes lorsqu’il vivait à Riga, mais avait été agressé physiquement au moins quatre fois après son déménagement. Des militants ont dénoncé l’inaction de la police dans cette affaire, qui semble avoir provoqué un débat sur l’homophobie en Lettonie 
			(63) 
			<a href='https://www.euractiv.com/section/non-discrimination/news/burns-death-of-homophobia-victim-shocks-latvia/'>«Burns
death of homophobia victim shocks Latvia</a>», Euractiv, 30 avril 2021; <a href='https://www.euronews.com/2021/04/30/gay-latvian-man-dies-after-homophobic-attack-campaigners-say'>«Gay
Latvian man dies after ‘homophobic attack’, campaigners say»</a>, Euronews, 30
avril 2021.. En Espagne, un homosexuel a été battu à mort à La Corogne en juillet 2021, et des attaques violentes ont été commises sur des personnes LGBTI dans plusieurs villes au cours des derniers mois 
			(64) 
			 Jones
S., «<a href='https://www.theguardian.com/world/2021/sep/08/man-subjected-to-homophobic-assault-in-madrid-says-injuries-were-consensual'>Man
‘subjected to homophobic assault’ in Madrid says injuries were consensual;
LGBTI protests against hate crime in Spain will still go ahead</a>», The Guardian,
9 septembre 2021..
57. Rien ne justifiera jamais de tuer, blesser ou menacer un autre être humain en raison de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son expression de genre ou de ses caractéristiques sexuelles. Il est essentiel que la législation pénale définisse de telles motivations comme des circonstances aggravantes, et que les lois relatives aux crimes de haine soient efficaces et appliquées dans la pratique. L’impunité est la pire réponse qui soit, car elle légitime la violence, la discrimination et la haine anti-LGBTI. Le mouvement anti-genre contribue à légitimer de tels actes par son discours déshumanisant, selon lequel les identités les plus intimes des individus ne seraient qu’une «idéologie du genre».
58. Les manifestations violentes de haine envers les personnes LGBTI ne sont pas toujours «simplement» des attaques individuelles et aléatoires; plus inquiétant encore, certaines présentent un haut niveau d’organisation, voire bénéficient du soutien de l’État. En septembre 2017, à Bakou, la police azerbaïdjanaise a appréhendé et placé en détention des dizaines d’hommes homosexuels et de femmes transgenres sur la base d’accusations douteuses, les a maltraités et humiliés (notamment en les soumettant à des examens médicaux forcés) et les a emprisonnés ou condamnés à des amendes 
			(65) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/6795/police-harassment-of-gay-men-and-transgender-women-in-azerbaijan-must-stop'>Déclaration</a> de Piet de Bruyn, alors Rapporteur général de l’Assemblée
sur les droits des personnes LGBTI, 29 septembre 2017; <a href='http://rm.coe.int/letter-to-the-minister-of-interior-of-azerbaijan-concerning-recent-arr/168075de36'>Lettre</a> du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
aux autorités azerbaïdjanaises, 9 octobre 2017; <a href='http://rm.coe.int/reply-of-te-minister-of-internal-affairs-of-azerbaijan-concerning-arre/168075e7d0'>Réponse</a> des autorités azerbaïdjanaises, 13 octobre 2017.. L’action de la police a, de plus, encouragé des acteurs non étatiques à mener des attaques de plus en plus fréquentes contre des personnes LGBTI.
59. Toutefois, au cours des dernières décennies, il n’y a eu nulle part ailleurs en Europe de violences plus effroyables que celles commises avec le soutien de l’État contre des personnes LGBTI en Tchétchénie en 2017. L’Assemblée a dénoncé ces actes dans sa Résolution 2230 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène (Fédération de Russie)». L’Assemblée a observé qu’une campagne de persécution, comprenant des cas d’enlèvement, de détention arbitraire et de torture d’hommes présumés homosexuels, avec la participation directe d’agents des services répressifs tchétchènes et sur ordre des autorités tchétchènes au plus haut niveau, s’est déroulée dans le contexte d’actes graves de discrimination et de harcèlement perpétrés à grande échelle et de manière systématique contre les personnes LGBTI en République tchétchène. Le dirigeant de la République tchétchène, Ramzan Kadyrov, a réagi en dénigrant publiquement les personnes LGBTI, les qualifiant de «démons» et de «sous-hommes», et allant jusqu’à nier leur existence même en Tchétchénie 
			(66) 
			Entretien avec Bryant
Gumbel, HBO – extraits du documentaire <a href='https://www.sundance.org/projects/welcome-to-chechnya'>«Welcome
to Chechnya »</a> de David France, 2020.. Faisant référence sans ambiguïté aux meurtres dits «d’honneur», une violation des droits humains qui continue d’être pratiquée en Tchétchénie, un porte-parole de M. Kadyrov a déclaré: «S’il y avait de telles personnes en Tchétchénie, les forces de l’ordre n’auraient rien à faire, car les proches de ces personnes les expédieraient quelque part d’où l’on ne revient pas» 
			(67) 
			Walker
S., <a href='https://www.theguardian.com/world/2017/apr/13/they-called-us-animals-chechens-prison-beatings-electric-shocks-anti-gay-purge'>«Chechens
tell of prison beatings and electric shocks in anti-gay purge: ‘They
called us animals’</a>», The Guardian,
13 avril 2017.. Des femmes lesbiennes et des personnes trans ont également été visées par de telles attaques 
			(68) 
			Im R., <a href='https://www.opendemocracy.net/en/odr/the-unbearable-silence-of-chechnyas-lesbians/'>«The
unbearable silence of Chechnya’s lesbians</a>», Open Democracy,
19 mai 2019..
60. Il s’agit là de l’exemple le plus grave de violences commises contre des personnes LGBTI en Europe depuis des décennies. Les personnes qui ont survécu à ces violences n’ont pas seulement subi un traumatisme physique et psychologique, elles ont aussi été forcées de fuir la Tchétchénie, et parfois la Fédération de Russie, craignant pour leur vie. La participation d’agents des forces de l’ordre aux persécutions, ouvertement tolérée par le chef de cette République, a empêché les victimes de s’adresser à la police pour demander protection. La seule plainte déposée auprès des autorités russes, par un homme qui avait pu quitter la Tchétchénie et ne craignait pas de représailles de la part de sa propre famille, n’a donné aucun résultat à ce jour; par la suite, cet homme et sa famille ont été contraints de fuir la Fédération de Russie 
			(69) 
			L’affaire
(Lapunov c. Russie, requête
n° <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>28834/19</a>) est actuellement pendante devant la Cour européenne
des droits de l’homme et a été communiquée aux autorités russes
le 14 novembre 2019. Voir également le documentaire «Welcome to
Chechnya».. Les appels lancés par l’Assemblée et par de nombreux autres acteurs internationaux pour qu’une enquête effective soit menée sur ces persécutions et pour que leurs auteurs soient poursuivis et punis sont restés lettre morte.
61. Il ne faut pas permettre que de telles attaques puissent être commises en toute impunité. La Fédération de Russie doit redoubler d’efforts pour poursuivre et punir leurs auteurs et pour empêcher que de telles violations des droits humains puissent se reproduire. Les autres États doivent également renouveler leur pression sur la Fédération de Russie afin que justice soit faite, à tous les niveaux; et d’ici là, ils doivent intensifier leurs propres efforts pour offrir un refuge aux personnes qui cherchent encore à se mettre en sécurité.

9. L’impact supplémentaire de la pandémie de covid-19 sur les personnes LGBTI et celles qui défendent leurs droits

62. La pandémie de covid-19 a entraîné une forte augmentation des insultes et des propos haineux visant les personnes LGBTI. En outre, elle a exposé ces personnes à un risque accru de violence domestique, en particulier les jeunes LGBTI confinés au sein d’une famille hostile, et a exposé ceux qui ont fui de telles situations à un risque accru de se retrouver sans abri 
			(70) 
			ILGA-Europe (2021),
Annual Review on the Human Rights Situation of Lesbian, Gay, Bisexual,
Trans and Intersex People in Europe and Central Asia, Bruxelles,
2021, p. 7.. Les États n’ont guère pris de mesures pour veiller à ce que les personnes trans ne soient pas discriminées dans la mise en œuvre des mesures de lutte contre la covid-19 
			(71) 
			TGEU (2020), Impact
assessment: COVID-19 and trans people in Europe and Central Asia,
p. 9.. La crise a également eu un impact sévère sur les lesbiennes et leurs associations 
			(72) 
			European Lesbian* Conference
(EL*C) (2021), <a href='https://europeanlesbianconference.org/resistance-as-a-way-of-living-lesbian-lives-through-the-covid-19-pandemic/'>«Resistance
as a way of living: Lesbian lives through the Covid-19 pandemic»</a>, juin 2021..
63. Parallèlement, les organisations LGBTI et les autres organisations de la société civile qui œuvrent à la défense des droits des personnes LGBTI ont dû réorienter les ressources destinées au travail de plaidoyer pour les consacrer à l’aide d’urgence et humanitaire aux personnes LGBTI dans le besoin. L’impact de la pandémie sur les systèmes de santé a également eu des effets considérables sur les personnes trans et intersexes, ainsi que sur les personnes vivant avec le VIH. Pendant cette période, l’espace pour le militantisme s’est rétréci, les marches des fiertés – événements cruciaux pour les personnes LGBTI dans le monde entier – ont dû être annulées en 2020, et certains décideurs politiques ont choisi d’accorder moins d’importance aux droits des personnes LGBTI en raison de la pandémie 
			(73) 
			Hugendubel K., op.
cit.; voir aussi les rapports d’Outright International sur ces questions..

10. Les gouvernements et les parlements peuvent et doivent agir maintenant

64. Nécessairement, mon rapport attire l’attention sur de graves violations des droits humains et souligne les insuffisances des mesures prises par les gouvernements pour prévenir et combattre ces violations. Il existe toutefois de nombreuses actions que les gouvernements, les parlements et les responsables politiques peuvent entreprendre pour améliorer la situation.
65. Tout d’abord, s’agissant de la situation dans leur propre pays, ils doivent veiller à ce qu’un cadre juridique solide soit en place, et effectivement appliqué, pour prévenir et combattre les infractions motivées par la haine, le discours de haine et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles, y compris lorsque ces actes sont commis en ligne. Un tel cadre est essentiel à tout moment, mais plus encore lorsque l’hostilité se manifeste de façon croissante. Les gouvernements et les parlements doivent empêcher toute régression et intensifier leurs efforts pour compléter le cadre juridique avec les autres éléments essentiels à l’égalité des personnes LGBTI, notamment la reconnaissance juridique du genre, la protection de l’autonomie physique des personnes intersexes, la protection des familles arc-en-ciel et l’exercice des droits civils tels que la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion. Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel que les parlements et les gouvernements relancent les processus législatifs et politiques qui sont à l’arrêt, et veillent à concrétiser leurs engagements et leurs promesses en vue d’avancer sur la voie de la pleine égalité des personnes LGBTI au niveau interne et dans toute l’Europe.
66. En outre, tous les États devraient disposer d’une politique claire de protection et de promotion de l’égalité des personnes LGBTI, ainsi que d’une stratégie et d’un plan d’action pour la mise en œuvre de toute mesure nécessaire à la réalisation de l’égalité. Dans ce contexte, je me félicite vivement de l’adoption par la Commission européenne, en 2020, de sa toute première stratégie pour l’égalité LGBTIQ. C’est un engagement politique fort et de haut niveau, qui vise à réaliser des progrès mesurables en matière d’égalité des personnes LGBTIQ, de lutte contre la discrimination et d’édification de sociétés inclusives à l’égard des personnes LGBTIQ en Europe et à travers le monde 
			(74) 
			Commission
européenne, «Union de l’égalité: stratégie en faveur de l’égalité
de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ pour la période 2020-2025»,
Bruxelles, 12 novembre 2020, <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52020DC0698'>COM(2020)698
final</a>..
67. Les responsables politiques doivent également tirer parti des normes et des instruments existants pour amener les autres acteurs à répondre de leurs actes, dans leur pays et à l’étranger. Ils doivent systématiquement dénoncer les déclarations et les actes homophobes, transphobes, biphobes ou interphobes commis dans leur propre pays, en particulier lorsque les auteurs sont des responsables politiques, des personnalités publiques ou des dirigeants religieux. Il ne faut pas permettre que l’opinion publique soit entraînée vers davantage de sexisme, de misogynie ou de haine anti-LGBTI. Bien entendu, les parlements et les gouvernements doivent également s’abstenir d’adopter toute loi, politique ou mesure homophobe, transphobe, biphobe ou interphobe.
68. Les gouvernements peuvent et doivent s’appuyer sur les normes et les engagements internationaux existants pour vérifier leurs propres lois, politiques et pratiques, et pour amener les autres acteurs à répondre de leurs actes. Au sein du Conseil de l’Europe, la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre définit des lignes d’action claires que les États membres peuvent suivre afin d’améliorer la protection juridique des personnes LGBTI et la mise en œuvre de ces normes dans la pratique. L’Assemblée a développé ces normes dans plusieurs textes adoptés depuis lors: sa Résolution 1728 (2010) et sa Recommandation 1915 (2010) «Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre», sa Résolution 1948 (2013) et sa Recommandation 2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre», sa Résolution 2048 (2015) «La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe», sa Résolution 2191 (2017) et sa Recommandation 2116 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes», et sa Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle». Parallèlement, dans ses arrêts rendus dans une longue série d’affaires mettant en cause des États qui avaient violé les droits de personnes LGBTI, la Cour européenne des droits de l’homme a développé et clarifié sa vaste jurisprudence concernant la protection des droits des personnes LGBTI garantie par la Convention européenne des droits de l’homme.
69. Les États membres devraient s’employer activement à respecter ces normes, s’ils ne les respectent pas déjà, et participer de manière constructive au processus d’examen de la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2010)5, régulièrement reconduit à quelques années d’intervalle par le Comité des Ministres. De même, ils devraient s’employer activement à appliquer les normes énoncées par l’Assemblée dans les résolutions mentionnées ci-dessus, et à mettre leurs lois et leurs pratiques nationales en conformité avec la jurisprudence de la Cour, en suivant son évolution, qu’ils soient ou non concernés par un processus de contrôle de l’exécution d’un arrêt. Ils devraient également soutenir les travaux menés par le Conseil de l’Europe dans ce domaine, qu’il s’agisse de fournir une assistance technique aux États qui le demandent, d’appuyer le travail de suivi et d’élaboration de normes de l’ECRI, ou des activités intergouvernementales menées par le Comité directeur sur l’anti-discrimination, la diversité et l’inclusion (CDADI). Dans ce contexte, je salue l’organisation par les autorités allemandes, lors de la présidence allemande du Conseil de l’Europe, de la conférence intitulée «Vers la pleine reconnaissance des droits LGBTI en Europe», tenue le 5 mai 2021, ainsi que la décision de mettre en ligne l’intégralité des débats 
			(75) 
			Voir
le site de l’<a href='https://www.coe.int/fr/web/sogi/-/towards-the-full-recognition-of-lgbti-rights-across-europe-strategic-policy-measures-to-implement-the-2010-coe-recommendation-on-sogi'>Unité
OSIG</a> du Conseil de l’Europe. Les enregistrements sont disponibles
sur la chaîne YouTube du Ministère fédéral allemand de la Famille,
des Personnes âgées, de la Femme et de la Jeunesse (<a href='https://www.youtube.com/channel/UCK037_G4UDLXZ7uR_2tCl2g'>BMFSFJ</a>)..
70. Les gouvernements devraient également appuyer le travail des défenseurs des droits humains des personnes LGBTI et leurs organisations, notamment par un soutien financier, et assurer leur participation effective à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des lois, politiques et autres mesures qui les concernent. Lors de notre audition du 18 mai 2021, tous les intervenants ont également souligné que les parlementaires devraient engager un dialogue direct avec la société civile, lire les rapports qu’elle produit et inviter ses représentants au parlement pour entendre ce qu’ils ont à dire. Les parlementaires devraient nouer des contacts avec les organisations locales, qui connaissent les réalités vécues par les personnes LGBTI dans leur pays, et avec les organisations faîtières, qui ont étudié les schémas reproduits par le mouvement anti-genre ainsi que les stratégies et le vocabulaire qu’il emploie pour cibler les personnes LGBTI dans toute l’Europe.
71. Enfin, il est essentiel de mener des campagnes de sensibilisation et d’information du public, de promotion de l’égalité, et de lutte contre les récits faux ou trompeurs; en effet, dans de nombreuses sociétés, des changements de paradigme dans les conceptions sociales et culturelles de l’égalité de genre et des droits et libertés des personnes LGBTI sont encore nécessaires pour parvenir à une véritable égalité des personnes LGBTI.

11. Conclusions

72. Les personnes et les organisations LGBTI font l’objet d’attaques croissantes aujourd’hui en Europe. Les crimes de haine et les propos haineux se multiplient; le discours de haine, en particulier, est de plus en plus souvent employé par des dirigeants religieux et des responsables politiques de haut niveau, et se traduit par un nombre croissant de lois directement préjudiciables aux personnes LGBTI. Cette situation est contraire aux normes internationalement reconnues en matière de droits humains, et en particulier à une jurisprudence importante et croissante de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle est également contraire aux normes de l’Assemblée, telles qu’elles sont énoncées dans une série de résolutions et de recommandations adoptées au cours des dix dernières années. L’impunité et l’indifférence sont les pires réponses qui soient, car elles légitiment la violence, la discrimination et la haine.
73. Les organisations internationales comme la nôtre et les défenseurs des droits humains au niveau national et international doivent continuer à lutter pour les droits des personnes LGBTI. Toutefois, le respect des droits humains relève de la responsabilité des gouvernements. Si de très importants progrès ont été accomplis en faveur des droits des personnes LGBTI et des femmes, il est aujourd’hui urgent de prendre des mesures pour empêcher toute régression. L’opinion publique ne doit jamais être invoquée pour justifier la violation de droits humains ni pour reproduire ou perpétuer des stigmatisations et des discriminations héritées du passé 
			(76) 
			Cour interaméricaine
des droits de l’homme, Avis consultatif OC-24/17 du 24 novembre
2017, demandé par la République de Costa Rica, sur l’identité de
genre, l’égalité et la non-discrimination des couples de même sexe, paragraphe
219, note 413 et jurisprudence citée.. Tous les dirigeants politiques doivent prendre position, de façon plus courageuse et tournée vers l’avenir, pour promouvoir l’égalité des personnes LGBTI; ils doivent regarder au-delà des prochaines élections et s’investir dès aujourd’hui pour parvenir à un changement durable dans l’avenir.
74. Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie, la biphobie et l’interphobie, le 17 mai 2021, les gouvernements et les parlements des États membres du Conseil de l’Europe doivent s’attaquer à la haine et à la discrimination à l’égard des personnes LGBTI à l’intérieur de leurs frontières nationales avec une énergie et une urgence renouvelées, s’élever contre l’homophobie, la transphobie, la biphobie et l’interphobie dans les discours, les pratiques et les politiques partout où elles se produisent, et utiliser le vaste ensemble de normes et d’instruments de l’Assemblée et du Conseil de l’Europe à leur disposition pour amener les autres acteurs à répondre de leurs actes. Nous devons cesser de laisser les personnes LGBTI sans soutien dans leur quête de l’égalité dans toute l’Europe, et travailler activement pour atteindre cet objectif 
			(77) 
			Droits des personnes
LGBTI: «Il est temps d’agir!» déclare le rapporteur général, <a href='https://pace.coe.int/fr/news/8299/lgbti-rights-it-s-time-to-act-says-general-rapporteur-'>déclaration</a>, 17 mai 2021..
75. En outre, je tiens à souligner ici que les mesures de lutte contre la haine à l’égard des personnes LGBTI ne seront pas efficaces si elles ne visent que ses manifestations individuelles. Les gouvernements et les parlements doivent également s’employer à mettre fin aux attaques systématiques et coordonnées contre les personnes LGBTI qui se produisent dans toute l’Europe. Ils doivent redoubler d’efforts pour démanteler les structures hétéronormatives et les mouvements anti-genre dans nos sociétés, qui perpétuent les inégalités de genre et empêchent l’acceptation des personnes LGBTI sur un pied d’égalité, niant ainsi la dignité des personnes LGBTI (et de toutes les femmes) et le respect qui leur est dû.
76. L’égalité des personnes LGBTI ne connaît pas de perdants et n’est pas une bataille pour des idées révolutionnaires. C’est une question de dignité et de droits fondamentaux. La reconnaissance des droits humains des personnes LGBTI ne porte atteinte ni à la société, ni aux femmes, ni aux enfants; bien au contraire, elle est constitutive d’une société sûre et accueillante pour tous. Pour reprendre les mots d’Ursula von der Leyen, «Être soi-même n’est pas une question d’idéologie. C’est votre identité» 
			(78) 
			<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_20_1655'>Discours
sur l’état de l’Union</a> de la présidente von der Leyen en session plénière du
Parlement européen, 16 septembre 2020, Bruxelles.. Aucun d’entre nous ne pourra baisser les armes avant que chaque personne soit en sécurité, libre d’être elle-même et d’aimer celui ou celle qu’elle aime.