1. Introduction
1. Le présent rapport a été initié
par le Président de la délégation polonaise auprès de l’Assemblée parlementaire,
M. Mularczyk, qui a demandé la tenue d'un débat d'urgence pendant
la partie de session de l'Assemblée de septembre 2021 sur: «La situation
aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne en
rapport avec l’aggravation de la pression migratoire aux frontières
avec le Bélarus».
2. En mai et en août 2021, la Lituanie et la Lettonie ont été
confrontées à un afflux soudain de migrants, notamment de réfugiés
et de demandeurs d'asile, traversant la frontière de manière irrégulière
depuis le Bélarus. Le nombre d'arrivées irrégulières en Lituanie
a été multiplié par 110 par rapport à 2019. La plupart des personnes
qui ont franchi la frontière étaient des ressortissants irakiens,
mais on dénombrait également des personnes originaires d'Afghanistan,
de Cuba, de la Fédération de Russie, du Sri Lanka et d'Inde. Des responsables
des pays concernés ont signalé que les forces de sécurité bélarussienne
étaient directement impliquées dans l'envoi de ressortissants de
pays tiers à travers ces frontières extérieures de l'Union européenne,
ce qui est démenti par les autorités bélarussiennes.
3. Au cours des mois d'août et septembre 2021, plusieurs dizaines
de personnes en provenance d'Irak et d'Afghanistan ont été bloquées
à la frontière entre la Pologne et le Bélarus, à la frontière entre
la Lituanie et le Bélarus et à la frontière entre la Lettonie et
le Bélarus, parce que ces pays avaient introduit des mesures de contrôle
aux frontières visant à priver les personnes interceptées au moment
de franchir illégalement la frontière du droit de demander l'asile
et d'accéder au territoire.
4. Certaines personnes appartenant à ces groupes se sont vu refuser
l'accès aux territoires polonais/letton/lituanien et aux procédures
d'asile. En outre, les groupes ont rarement eu accès à des organisations
d’aide humanitaire ou d’aide juridique. L’Agence des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR) s'est vu refuser l'accès à un groupe à la
frontière entre la Pologne et le Bélarus.
5. D'après les autorités des pays concernés et plusieurs déclarations
de responsables de l'Union européenne, cette pression migratoire
a été organisée par les autorités bélarussiennes, qui auraient été impliquées
dans le transfert de ressortissants de pays tiers et les auraient
amenés aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne,
créant ainsi une situation d'urgence en matière de droits humains.
6. Dans sa lettre, M. Mularczyk déclare que «l’aggravation de
la pression migratoire aux frontières avec le Bélarus a commencé
plusieurs semaines avant le changement radical de la situation interne
en Afghanistan. Cela confirme que les événements en question ont
été inspirés politiquement par les autorités bélarussiennes qui
cherchent à déstabiliser la situation en Pologne et dans d'autres
pays qui sont très impliqués dans le soutien et l’assistance à la
société bélarussienne. Il semble également qu'il s'agisse d'un acte
de représailles contre les sanctions prises par l'Union européenne
à l'encontre du régime de Minsk».
7. Le 27 juillet 2021, le HCR a publié une déclaration exprimant
ses inquiétudes quant à «l'instrumentalisation des réfugiés et des
migrants par des États, apparemment à des fins politiques»
.
8. Le présent rapport vise à clarifier la situation d'urgence
actuelle à la frontière extérieure orientale de l'Union européenne
et à proposer des recommandations concrètes concernant les garanties
en matière de droits humains dans le contexte d'un afflux inattendu
de migrants et de demandeurs d'asile.
2. Situation à la frontière lituanienne
9. La Lituanie possède la plus
longue frontière de l'Union européenne avec le Bélarus, soit 678
kilomètres. L'augmentation soudaine du nombre de migrants en situation
irrégulière traversant la frontière lituanienne depuis le Bélarus
a commencé en mai 2021. Depuis, plus de 4 100 franchissements irréguliers
de la frontière ont été enregistrés en 2021, ce qui représente une
forte augmentation par rapport aux 80 arrivées irrégulières de 2020.
10. Les migrants proviendraient de 40 pays différents, mais la
grande majorité est originaire d'Irak, mais aussi du Congo-Brazzaville,
du Cameroun et de Syrie. Quelques Russes, Afghans et ressortissants bélarussiens
ont également été dénombrés.
11. Selon la Lituanie, les autorités bélarussiennes ont récemment
affrété de nouveaux vols entre l'Irak et Minsk
.
Compte tenu de ces événements, ainsi que des nouveaux itinéraires
en provenance d'Afghanistan via la Russie, puis des trajets en cars
vers le Bélarus, les autorités lituaniennes prévoient l'arrivée
de 15 000 migrants irréguliers supplémentaires d'ici la fin 2021.
12. Le 30 juillet 2021, Frontex, l'agence de l'Union européenne
chargée de la gestion des frontières, a lancé une intervention rapide
aux frontières de la Lituanie. Cette intervention a mobilisé 60
officiers supplémentaires du contingent permanent qui ont été déployés
pour aider le pays à gérer les flux migratoires dus à l’aggravation de
la situation à la frontière avec le Bélarus. Au total, l'agence
déploie actuellement 100 agents, 30 voitures de patrouille et deux
hélicoptères en Lituanie.
13. En outre, face à cette situation extrême, le Gouvernement
lituanien a décidé d'instaurer un état d'urgence afin d'accélérer
la prise de décision et de renforcer la capacité de réaction. Par
ailleurs, la construction d'une barrière à la frontière entre le
Bélarus et la Lituanie a commencé en juillet. Une loi spéciale sur
l'installation d'une barrière physique sur le territoire de la République
de Lituanie à la frontière extérieure de l'Union européenne avec
la République du Bélarus a été adoptée par le Parlement le 12 août
2021. Selon le radiodiffuseur national LRT, le gouvernement lituanien
a également annoncé un plan visant à offrir 300 € à chaque migrant
qui accepte de retourner dans son pays d'origine.
14. Suite à la déclaration de l'état d'urgence le 2 juillet 2021,
des amendements à la loi sur le statut des étrangers ont été adoptés
par le Parlement lituanien le 13 juillet dans le cadre de procédures
accélérées. Le 2 août, une décision d'urgence du ministère de l'Intérieur
a restreint davantage l'accès au territoire et à l'asile, ce qui
a déclenché des amendements supplémentaires à ladite loi le 10 août
(article 67).
15. Ces amendements soulèvent de très graves préoccupations en
matière de droits humains, notamment en ce qui concerne:
- Les restrictions à l'accès au
territoire et aux procédures d'asile: Des dispositions prévoient
notamment que les demandes d'asile peuvent être présentées aux postes-frontières
officiels et que celles de personnes franchissant illégalement la
frontière ne seront pas acceptées, sauf exception pour les cas vulnérables
(a.67). Dans la pratique, selon le HCR, aucune demande d'asile n'a
été traitée en Lituanie après l'entrée en vigueur de cette disposition,
et le nombre d'arrivées a considérablement diminué.
- L’utilisation de la force comme moyen de dissuasion pour
empêcher l'entrée: Le recours à la force contre les réfugiés et
les migrants qui traversent illégalement la frontière est prévu.
Il est fait mention du «recours proportionnel à la violence», qui
est justifié s'il existe une «menace à la vie et/ou à l'intégrité des
forces de police».
- La pénalisation du franchissement irrégulier des frontières:
La disposition proposée permet la détention des demandeurs d'asile
arrivés de manière irrégulière, pour une période pouvant aller jusqu'à
six mois, avec la possibilité de la prolonger jusqu'à douze mois
supplémentaires. Dans la pratique, cette situation a créé deux catégories
de demandeurs d'asile: les personnes arrivées avant les amendements
à la loi, qui ont droit à des conditions matérielles d'accueil appropriées
et à la liberté de circulation, et celles qui sont arrivées après
les amendements, qui sont soumises à la détention jusqu'à ce qu'une
décision finale sur leur demande d'asile soit rendue.
- Les procédures frontalières sans garanties adéquates:
Les procédures à la frontière sont appliquées sans exception à toutes
les catégories de demandeurs d'asile (y compris les personnes ayant
des besoins spécifiques), ce qui supprime la disposition antérieure
qui prévoyait que les mineurs non accompagnés, les victimes de torture,
de viol ou d'autres formes graves de violence physique ou sexuelle
seraient orientés vers la procédure ordinaire
- L'accès limité à l'information, aux interprètes, aux services
sociaux et psychologiques, au HCR et aux autres organisations d'aide
aux réfugiés, ainsi que l'accès à l'emploi, peuvent être temporairement
et «proportionnellement» restreints en période d'urgence.
- L’accès inadéquat aux recours effectifs, à l'aide juridique
et à l'interprétation: Les amendements adoptés introduisent une
étape de recours administratifs contre les décisions du Département
des migrations, sans effet suspensif automatique, qui doivent être
déposés dans les sept jours suivant leur notification. Cette situation,
conjuguée à la disponibilité limitée de services d'aide juridique
et d'interprétation, suscite des préoccupations quant à l'accès
à des recours effectifs.
16. Le gouvernement a indiqué qu'au 16 août, 1 300 personnes au
total s'étaient vu refuser l'entrée sur le territoire, ce qui a
donné lieu à des allégations de refoulements. Dans plusieurs entretiens,
des membres du gouvernement ont affirmé que cette politique n'est
pas en violation du droit international et européen et maintiennent
que l'accès est possible aux points frontaliers officiels ou que
les demandes peuvent être soumises dans les ambassades. Une autre
conséquence de cette situation est que le nombre d'arrivées, qui était
en moyenne de 100 à 200 personnes par jour, a considérablement diminué.
17. La Lituanie n'ayant jamais connu un nombre aussi élevé d'arrivées
irrégulières, sa capacité d'accueil n'était pas prête à absorber
un nombre aussi important de personnes et n'était pas en mesure
de leur fournir une assistance de base et, dans certains cas, une
assistance médicale critique.
18. À cet égard, les acteurs de la société civile ont signalé
que toutes les personnes arrivées de manière irrégulière ont été
placées en détention, y compris les enfants et autres demandeurs
d'asile vulnérables.
19. Le 28 juillet, le HCR a fait part de ses graves préoccupations
concernant l'accès à l'asile, la détention, les restrictions à la
liberté de mouvement et l'absence de garanties juridiques
.
20. Le 24 août 2021, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil
de l’Europe a publié une lettre adressée à la Première Ministre
de la Lituanie exprimant ses préoccupations concernant la suppression
des garanties entourant la procédure d'asile, la détention et les
éventuels refoulements en réponse aux arrivées en provenance du
Bélarus. Dans sa réponse, la Première ministre de la Lituanie a
fait part de la profonde inquiétude des autorités lituaniennes face
à l'instrumentalisation des migrants par les autorités bélarussiennes et
a abordé les récents changements législatifs intervenus en Lituanie,
qui exigent que les demandes d'asile soient présentées dans des
points désignés et introduisent une procédure obligatoire préalable
pour les recours contre les décisions négatives en matière d'asile.
Le gouvernement a également indiqué qu'il avait renforcé la capacité
des autorités compétentes à traiter les demandes d'asile.
21. La Croix-Rouge lituanienne, Caritas, Maisto Bankas et d'autres
organisations humanitaires aident le gouvernement à fournir les
premiers secours aux migrants, mais leurs capacités sont limitées
et une aide internationale plus importante est nécessaire. La population
locale répond activement à l'appel aux dons des ONGs pour couvrir
les besoins de base des migrants, mais une plus grande coopération
est nécessaire de la part des gardes-frontières pour que ces interventions
soient davantage axés sur les besoins.
22. Les autorités lituaniennes ont demandé à la communauté internationale,
en particulier à l'Union européenne, de leur apporter un soutien
technique et politique.
23. Certaines sources médiatiques ont fait état d'une montée des
tensions au niveau des communautés locales, en particulier à Dieveniskes
et
Rudninkai, où des personnes s'inquiètent pour leur sécurité car
elles ont été témoins d'une présence sans précédent de la police
dans leurs rues
.
3. Situation à la frontière lettone
24. Les autorités lettones ont
indiqué qu’au début du mois d'août, 295 migrants en situation irrégulière étaient
détenus à la frontière avec le Bélarus et qu’à ce jour 355 personnes
au total ont été appréhendées et envoyées dans des centres d'accueil.
25. Comme en Lituanie, la majorité de ces personnes étaient originaires
d'Irak mais certaines provenaient également d'autres pays. Parmi
ces arrivants figuraient des femmes et des mineurs non accompagnés.
Les autorités lettones ont déclaré que toutes ces personnes avaient
demandé l'asile et que leurs demandes seraient examinées au cas
par cas.
26. Le 10 août 2021, le Gouvernement et le Parlement lettons ont
déclaré l'état d'urgence dans quatre régions à la frontière entre
la Lettonie et le Bélarus, du 11 août au 10 novembre 2021. Pendant
l'état d'urgence, les gardes-frontières sont autorisés à repousser
par la force tout nouvel arrivant et peuvent refuser les demandes
d'asile.
27. L’agence Reuters
rapporte qu’après l'instauration
de l'état d'urgence, les personnes arrivant de manière irrégulière
ont été repoussées et priées de franchir la frontière aux points
de passage officiels afin de demander l'asile. En août 2021, 41
personnes originaires d'Irak (30 adultes et 11 enfants, dont 2 enfants
de moins d'un an) ont été bloquées à la frontière entre le Bélarus
et la Lettonie dans des conditions déplorables et n'ont pas pu demander
l'asile
.
28. La Ministre lettone de l'Intérieur, Marija
Golubeva, a indiqué que 59 migrants avaient été refoulés depuis l'instauration
de l'état d'urgence. Les gardes-frontières lettons ont été renforcés
par des forces policières et militaires et la construction d'une
clôture frontalière temporaire a débuté. La Ministre a également
confirmé qu'«en coopération avec les organisations non-gouvernementales
sur le terrain, les gardes-frontières distribuaient de la nourriture,
des vêtements et les médicaments nécessaires» aux personnes qui
se trouvent du côté bélarusse de la frontière
.
29. Le Premier Ministre letton, Arturs Krišjānis Kariņš, a accusé
les autorités bélarussiennes de lancer une guerre hybride contre
l'Union européenne en réponse aux sanctions et a appelé les autres
pays de l'Union européenne à faire preuve d'une forte résistance
à ce qu'il considère comme une manipulation du Bélarus.
4. Situation à la frontière polonaise
30. En août 2021, la Pologne, qui
a une frontière de 418,24 kilomètres avec le Bélarus, a enregistré
une augmentation importante des franchissements irréguliers de la
frontière. À ce sujet, le Ministère polonais de l'Intérieur a indiqué
qu’entre le 1 et le 18 août, quelque 2 100 migrants ont tenté d'entrer
en Pologne depuis le Bélarus, dont 1 342 ont été empêchés d'entrer
. Plus de 700 migrants ont été placés
dans des centres fermés.
31. En outre, le 23 août 2021, le ministre de la Défense a annoncé
que le Gouvernement polonais avait réagi en envoyant des troupes
pour renforcer la frontière et avait commencé la construction d'une
clôture de protection
. Des organisations de défense des
droits de l'homme, notamment la Fondation Helsinki pour les droits
de l'homme et Amnesty International, ont affirmé que les gardes-frontières
polonais procédaient à des refoulements. La fondation polonaise
Ocalenie, qui surveille la situation à la frontière, a signalé sur
ses sites de réseaux sociaux que certains migrants étaient malades
et qu'ils n'avaient cependant reçu aucune assistance médicale des
autorités polonaises.
32. La situation en Pologne est devenue très médiatisée lorsque
des journalistes ont filmé 32 demandeurs d'asile originaires d'Afghanistan
et d'Irak, dont 4 femmes, 27 hommes et 1 adolescente, bloqués à
la frontière polonaise, à Usnarz Gorny, sans nourriture, sans eau
potable et sans aucune installation sanitaire.
33. La modification du règlement du ministère de l'Intérieur et
de l'Administration du 13 mars 2020 relatif à la suspension temporaire
ou à la restriction du trafic frontalier à certains points de passage
frontaliers a été adoptée le 20 août 2021. Ces nouvelles dispositions
visent à simplifier la procédure de retour des étrangers qui ne
figurent pas dans le règlement. Ces personnes sont renvoyées à la
frontière. La loi soulève de sérieuses inquiétudes par rapport à
la Convention de 1951 sur les réfugiés.
34. Le 21 août 2021, à la demande du Premier Ministre, M. Morawiecki,
une vidéoconférence a été organisée avec les Premiers Ministres
de Lituanie, de Lettonie et d'Estonie. Les participants, qui ont
échangé des informations sur les mesures en vigueur et la situation
à la frontière de l'Union européenne, ont convenu que les mesures
de protection des frontières avaient un effet positif puisque le
nombre de tentatives de franchissement illégal de la frontière avait
diminué. Ils ont convenu également que les autorités bélarussiennes portaient
l'entière responsabilité de la situation à la frontière et qu'une
action conjointe était nécessaire pour fournir des informations
précises, importantes pour le public et les partenaires internationaux.
35. Après ces événements, le Gouvernement polonais
a instauré l'état d'urgence dans
deux provinces, Podlaskie et Lubelskie, limitrophes du Bélarus,
restreignant ainsi l'accès à la zone frontalière. Cette décision a
été vivement critiquée par Amnesty International, dont le directeur
pour l'Europe, Nils Muižnieks, a déclaré: «L’état d’urgence permet
à un État de restreindre certains droits humains dans des circonstances
extrêmes où il existe une ‘menace pour la vie de la nation’. Aucune
menace de ce type n’existe en Pologne, où les autorités tentent
d’exploiter cyniquement ce pouvoir pour cibler les demandeurs d’asile
et les personnes qui les aident.
»
36. Pendant la période d'état d'urgence, les catégories ci-après
de limitations des libertés et des droits de l'homme et du citoyen
ont été introduites:
- la suspension
du droit d'organiser et de tenir des réunions dans la zone couverte
par l'état d'urgence;
- l'obligation de détenir une carte d'identité ou un autre
document confirmant l'identité des personnes âgées de 18 ans ou
plus dans les lieux publics en état d'urgence, et pour les enfants
scolarisés de moins de 18 ans, une carte d'identité scolaire;
- l'interdiction de séjourner dans les installations et
lieux désignés situés dans la zone couverte par l’état d’urgence
à l'heure fixée;
- l’interdiction d'enregistrer par des moyens techniques
l'apparence ou d'autres caractéristiques d'objets et de lieux spécifiques
situés dans la zone couverte par l'état d'urgence;
- la restriction du droit de posséder des armes à feu, des
munitions, des explosifs et d'autres armes dans la zone couverte
par l'état d'urgence;
- les restrictions à l'accès aux informations publiques
concernant les activités menées dans la zone couverte par l'état
d’urgence dans le cadre de la protection de la frontière de l'État
et de la prévention et de la lutte contre l'immigration clandestine.
37. Le 25 août 2021, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil
de l'Europe, Dunja Mijatović, a adressé une lettre à la Pologne
pour demander à Varsovie de trouver une solution pour protéger les
droits humains des personnes bloquées à la frontière et de veiller
à ce que leurs besoins humanitaires soient satisfaits. Elle a également
demandé aux autorités de veiller à ce que les migrants bloqués à
la frontière aient accès aux organisations fournissant une assistance
humanitaire ou juridique, et que les personnes puissent demander
la protection internationale à laquelle elles ont droit.
38. En réaction à ces événements, le 25 août 2021, la Cour européenne
des droits de l'homme a indiqué des mesures provisoires demandant
à la Pologne et à la Lettonie de fournir «de la nourriture, de l'eau,
des vêtements, des soins médicaux adéquats et, si possible, un abri
temporaire
» à ces personnes. Le 15 septembre
2021, la Cour a décidé de prolonger jusqu'au 27 septembre 2021 la
mesure provisoire indiquée à l'article 39 du règlement de la Cour.
39. Les autorités polonaises ont déclaré avoir envoyé un convoi
d'aide humanitaire au Bélarus, lequel a été arrêté à la frontière
par les forces bélarussiennes. Il semble que le Bélarus ait rejeté
l'offre d'assistance, ce qui dénote un manque d'intérêt pour la
désescalade de la situation d'urgence en matière de droits humains.
40. Cependant, comme l'a signalé le HCR le 1 septembre 2021, en
coopération avec la Croix-Rouge bélarussienne, le groupe de migrants
et de demandeurs d'asile afghans a finalement reçu l'aide humanitaire nécessaire.
41. Il convient de souligner que la société civile polonaise s'est
fortement mobilisée pour s'opposer à la politique restrictive de
son gouvernement à l'égard des demandeurs d'asile. Elle a mobilisé
de nombreux citoyens polonais qui étaient prêts à accueillir des
migrants et des demandeurs d'asile chez eux. Même l'archevêque polonais,
Wojciech Polak, a appelé le gouvernement à faire preuve de bonne
volonté et d'hospitalité envers les nouveaux arrivants.
42. Dans une lettre adressée au Premier Ministre polonais le 23
août 2021, le Médiateur polonais des droits de l'homme, Marcin Wiącek,
a déclaré que «le refus d'accepter les demandes de protection internationale
des étrangers résidant dans la zone frontalière constituait une
violation du droit international
». Il a demandé au ministre de l'Intérieur
et de l'Administration d'obliger les gardes-frontières à accepter
les demandes d'asile des migrants bloqués à la frontière.
43. Le 17 septembre 2021, la Diète polonaise a voté en faveur
d'un projet de loi élaboré par le ministère de l'Intérieur visant
à restreindre l'accès au territoire et l'asile aux personnes entrant
en Pologne en dehors des points de passage officiels.
44. Le 19 septembre, les médias ont rapporté que quatre corps
avaient été retrouvés par les autorités polonaises près de la frontière
avec le Bélarus. Trois migrants sont morts après avoir traversé
la frontière polonaise et un migrant a été retrouvé mort du côté
bélarussien de la frontière
. Ceci est regrettable et est l’une
des conséquences des mesures restrictives prises.
5. Réaction de l'Union européenne à la
situation à ses frontières extérieures
45. L'Union européenne a adopté
une position ferme sur la situation à la frontière bélarussienne
en condamnant les autorités du Bélarus et en exprimant son soutien
à la Lituanie, la Lettonie et la Pologne.
46. Le 30 juillet 2021, le Conseil de l'Union européenne a publié
une déclaration du Haut Représentant au nom de l'Union européenne
sur l'instrumentalisation des migrants et des réfugiés par les autorités bélarussiennes
. La déclaration indique clairement
que «les personnes qui n'ont pas le droit de séjourner dans l’Union
européenne doivent être renvoyées», et que l'Union européenne appliquera
des mesures ciblées à l’encontre des passeurs de migrants qui violent
les droits de l'homme. Elle mentionne également le déploiement immédiat
de l’intervention rapide de Frontex aux frontières et la fourniture
d'une assistance technique.
47. Le 18 août 2021, une réunion extraordinaire des ministres
de l'Intérieur a été organisée en ligne dans le cadre du dispositif
intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations
de crise, qui est un «outil» du Conseil européen pour coordonner
la réaction au plus haut niveau politique en cas de crise. Le Haut représentant
de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, Joseph Borel,
la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson,
ainsi que les représentants de Frontex, du Bureau européen d'appui en
matière d'asile et d'Europol ont participé à la réunion. Dans la
déclaration
de la Présidence sur la situation aux frontières extérieures de
l'UE avec le Bélarus publiée par la Présidence slovène à la suite de la réunion
, les ministres ont «condamné et rejeté
l'utilisation par le Bélarus de la pression migratoire, sa contribution
à l'organisation du franchissement illégal de la frontière avec
la Lituanie, ainsi qu'avec la Pologne et la Lettonie, et ses tentatives
d'instrumentaliser des êtres humains à des fins politiques».
48. La déclaration soulignait également que les États membres
de l'Union européenne avaient déjà «fourni leur assistance technique
et en ressources humaines aux pays dans le besoin, notamment en
octroyant un financement pour accroître les capacités d'accueil,
faciliter la gestion intégrée des frontières et élaborer des cadres
juridiques adéquats pour assurer une protection effective des frontières
extérieures de l'Union européenne et faire face efficacement aux
situations futures, lorsque la migration est utilisée à des fins politiques».
L'Union européenne accordera une aide d'urgence aux trois pays pour
étendre leur système de surveillance à la frontière avec le Bélarus.
La déclaration a également souligné l'importance du dialogue et
du partenariat avec les pays tiers d'origine et de transit en matière
de réadmission et de retour des migrants. La Présidence slovène
organisera également un débat sur la mise en œuvre de l'article
25 du Code des visas relatif à la délivrance de visas à validité
territoriale limitée au titre de mesure prioritaire dans des cas particuliers.
49. Le 26 août 2021, la Commissaire européenne aux Affaires intérieures
déclarait que la situation à la frontière du Bélarus n'était «pas
une question de migration, mais faisait partie de l'agression de
Loukachenko visant la Pologne, la Lituanie et la Lettonie, dans
le but de déstabiliser l'Union européenne».
50. Le 2 septembre 2021, le Parlement européen, et en particulier
sa commission des Affaires étrangères, a tenu un échange de vues
avec de hauts responsables sur la situation à la frontière extérieure
de l'Union européenne. Au cours de cette réunion, le haut responsable
du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) a indiqué que
de nouvelles sanctions étaient en préparation à l'encontre du Bélarus
en raison de l'afflux de migrants franchissant les frontières du
pays.
6. Réponse des autorités bélarussiennes
51. Comme indiqué précédemment
dans le rapport, les autorités bélarussiennes ont nié comme infondées les
accusations selon lesquelles elles auraient organisé des canaux
de migration illégale et tenté de politiser la question en menant
une guerre dite «hybride» au moyen de canaux de migration illégale.
Elles ont écrit au Président de l'Assemblée parlementaire, Rik Daems,
ainsi qu'à la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées pour exprimer leurs préoccupations.
52. Elles cherchent à expliquer que la réduction des projets de
coopération transfrontalière sur les questions frontalières et l'assistance
technique internationale en raison des sanctions a réduit leur possibilité
de mettre un terme aux flux irréguliers de migrants, d'asile, de
demandeurs et de réfugiés. Elles déclarent en outre, qu'elles ont
contacté la Commission européenne avec des propositions de consultations,
mais que ces avancées n'ont pas été réciproques. De plus, elles
ont informé l'Assemblée qu'elles continuaient à mettre en œuvre
des mesures pour lutter contre les formes organisées de migration
de transit illégale et qu'au premier semestre 2021, elles avaient
bloqué 11 canaux de migration illégale vers l'Union européenne (ce
qui serait 6,5 fois plus élevé que en 2020). Par ailleurs, les autorités
bélarussiennes critiquent les refoulements menés par leurs voisins
et le traitement que beaucoup de ces personnes ont subi par les
autorités en question.
7. Préoccupations en matière de droits
humains
53. La situation à la frontière
bélarussienne soulève un certain nombre de préoccupations graves
en matière de droits humains.
54. Les autorités des pays concernés ont indiqué que la majorité
des migrants et des demandeurs d'asile semblent être arrivés au
Bélarus par des vols organisés de Bagdad à Minsk. Certains d'entre
eux ont payé d'importantes sommes d'argent pour la promesse d'être
envoyés directement dans un pays de l'Union européenne. D’autres
personnes concernées sont arrivées de la Fédération de Russie. Une
fois au Bélarus, elles ont été transférées en voiture ou par d'autres
moyens de transport jusqu'à la frontière, escortées par des militaires
masqués. Ces faits semblent montrer que l'augmentation sans précédent
des flux migratoires à la frontière bélarussienne a été organisée
artificiellement, ce que le Président Loukachenko avait promis fin
mai en réponse aux sanctions imposées par l'Union européenne en
juin. Selon les estimations de Frontex, «de 3 000 à 11 000 personnes
de nationalité irakienne se trouvent encore actuellement au Bélarus».
La manipulation des migrants à des fins politiques par les autorités
bélarussiennes peut être qualifiée de violation grave des droits
de l'homme. Comme l'a indiqué le HCR dans sa déclaration générale
du 27 juillet 2021: «Lorsque des États encouragent les flux de population
vers des pays voisins, ils créent de graves risques, et aggravent
le traumatisme et la souffrance des personnes qui sont forcées de
fuir. Cela entraîne la poursuite de déplacements risqués, expose
les personnes à une exploitation potentielle et peut mettre à rude
épreuve les capacités d’accueil d’autres pays».
55. C'est exactement ce qui se passe à la frontière du Bélarus
avec la Lituanie, la Lettonie et la Pologne. Ces pays, qui n’avaient
jamais connu un afflux aussi important de migrants et de demandeurs
d'asile, ne disposent pas d'installations d'hébergement appropriées
et de personnel formé pour les accueillir. Cependant, une telle
situation ne saurait justifier leur réaction inadéquate aux besoins
des demandeurs d'asile. En effet, les organisations de défense des
droits de l'homme ont signalé que de nombreux migrants et demandeurs d'asile
avaient été bloqués pendant plusieurs semaines à la frontière dans
des conditions très difficiles et inhumaines, sans accès à l'eau
potable et à la nourriture, sans assistance médicale, sans installations sanitaires
et sans abri.
56. Le recours à la force par les gardes-frontières a été rapporté
par certains migrants aux médias. En Lituanie, la plupart des sites
où sont placés les migrants sont surpeuplés, sans climatisation/chauffage
et sans installations sanitaires séparées. Certains migrants qui
ont été placés dans des tentes ne pourront pas survivre sans chauffage
ni hébergement adéquat à l’approche de l’hiver. Ces conditions d'accueil
constituent une grave menace pour la vie et la santé de ces personnes.
57. En ce qui concerne la situation des 32 demandeurs d'asile
bloqués à la frontière polonaise, les autorités n'ont pas répondu
à leurs demandes d'asile et n'ont pas fourni une assistance humanitaire
adéquate, ce que la Cour européenne des droits de l'homme a pris
en compte dans ses mesures provisoires indiquées le 25 août 2021
dans les affaires
Amiri et autres c.
Pologne et
Ahmed et autres
c. Lettonie . La Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe comme indiqué précédemment, a lancé un appel
à la Pologne et à la Lettonie, rappelant à ces pays leur obligation
de respecter pleinement les droits des réfugiés, des migrants et des
demandeurs d'asile et de donner à ceux qui souhaitent demander l'asile
la possibilité de le faire.
58. Donnant suite à la décision de la Cour européenne, les autorités
lettones ont indiqué qu'elles respecteraient pleinement les mesures
provisoires, tandis que les autorités polonaises ont affirmé qu'elles n'étaient
pas en mesure de fournir l'assistance nécessaire en raison du refus
de coopération des autorités bélarussiennes. En réponse à la décision
de la Cour, les autorités lettones ont admis 11 migrants (6 adultes
et 5 enfants) sur le territoire letton pour des raisons humanitaires.
Le 15 septembre, la Cour a donc décidé de lever les mesures provisoires
dans l'affaire Ahmed et autres c. Lettonie (requête
n° 42165/21).
59. Dans la même décision, la Cour européenne des droits de l'homme
a jugé que la Pologne et la Lettonie n'avaient pas l'obligation
d'autoriser les demandeurs d'asile iraquiens et afghans sur leur
territoire, étant donné que les États «ont le droit […] de contrôler
l'entrée, le séjour et l'expulsion des étrangers».
60. En vertu du droit de l'Union européenne et des Conventions
de 1951 relatives aux réfugiés, les États membres de l'Union européenne
ont l'obligation de fournir une assistance humanitaire aux demandeurs
d'asile et de garantir une évaluation au cas par cas de leurs demandes
d'asile. Le droit d'asile est un droit fondamental qui s'applique
aux migrants réguliers et irréguliers. Le refus d'entrée sur un
territoire ou les refoulements sans possibilité de demander l'asile
peuvent être considérés comme une violation du droit international.
61. Une autre décision sur les mesures provisoires, concernant
les ressortissants afghans à la frontière entre la Lituanie et le
Bélarus, a été rendue par la Cour européenne des droits de l'homme
le 8 septembre 2021. L'affaire concerne cinq Afghans qui n'ont pas
pu entrer en Lituanie et ont été bloqués à la frontière. Depuis
le 5 septembre, ils se cachent sur le territoire lituanien et demandent
à ne pas être expulsés vers le Bélarus. La Cour a interdit à la
Lituanie de renvoyer ces personnes. Entre-temps, les gardes-frontières lituaniens
ont arrêté les Afghans à 250 mètres de la frontière lituanienne
avec le Bélarus et ont annoncé qu'ils seraient en mesure de demander
l'asile en Lituanie
.
Le 15 septembre, les médias ont rapporté que la Lituanie allait
demander à la Cour européenne des droits de l'homme de lever ses
mesures provisoires concernant les cinq ressortissants afghans,
car les requérants ont fourni de fausses informations à la Cour.
62. La Commissaire aux droits de l'homme, dans sa lettre adressée
à la Première Ministre de la Lituanie le 10 août 2021, a souligné
qu' «il est crucial que les États membres du Conseil de l'Europe,
lorsqu'ils font face aux défis liés aux flux migratoires, respectent
les normes établies dans la Convention européenne des droits de
l'homme, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et
d'autres instruments juridiques essentiels
». Elle a également rappelé que le
principe de non-refoulement devait être respecté dans toute réponse
à une situation de pression migratoire.
63. Le recours fréquent à la détention dans ces situations est
particulièrement inquiétant. Dans tous les pays concernés, les procédures
visant à accélérer l’adoption d’amendements législatifs introduisant
un certain nombre de mesures restrictives affectent de manière notable
les garanties des migrants et des demandeurs d'asile, notamment
les personnes vulnérables. L'Assemblée a fermement exprimé sa position
dans un certain nombre de ses résolutions, à savoir que les migrants
et les demandeurs d'asile ne devraient jamais être placés en détention
au seul motif qu'ils ont franchi une frontière de manière irrégulière.
64. Malheureusement, la situation à la frontière orientale de
l'Union européenne a montré que l'Europe n'est pas prête pour un
tel défi en matière de migrations et d'asile, malgré de nombreux
indicateurs de flux migratoires possibles. En outre, cette situation
a provoqué une nouvelle vague de discours contre les migrants qui
a abouti à la construction de nouvelles clôtures en Europe visant
à empêcher l'arrivée de migrants, de réfugiés et de demandeurs d'asile.
65. Il est clair que l'Union européenne doit de toute urgence
réexaminer ses procédures d'accueil et son mécanisme de solidarité.
Il est également important de définir un plan de préparation aux
situations d’urgence comprenant notamment un mécanisme d'accueil
flexible et ajustable, des interventions axées sur l'humain et un
financement adéquat. Le HCR, l'Organisation internationale pour
les migrations et Organisation de coopération et de développement
économique (OCDE) auront un rôle important à jouer dans ce processus.
8. Conclusions
66. L’Assemblée devrait appeler
les autorités bélarussiennes à stopper l’instrumentalisation des
migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile, en particulier
ceux en situation de vulnérabilité.
67. L'Assemblée considère qu'une gestion efficace des frontières
par les États membres du Conseil de l'Europe devrait s'accompagner
de réponses adéquates aux droits des demandeurs d'asile. La gestion
des frontières doit être pleinement conforme au droit européen et
international, en particulier à la Convention européenne des droits
de l'homme et à la Convention relative au statut des réfugiés.
68. L'accès au territoire et aux procédures d'asile doit être
accordé sans exception à ceux qui souhaitent demander l'asile. Des
évaluations de la situation de chaque demandeur d'asile devraient
être effectuées avant tout éloignement du territoire européen. Des
conditions d’accueil adéquates, une assistance médicale et un accès
sans entrave aux organisations fournissant une aide humanitaire
et juridique doivent également être garantis.
69. Dans le même temps, les États membres du Conseil de l'Europe
devraient aider la Lettonie, la Lituanie et la Pologne à mettre
en place des dispositifs efficaces pour assurer l'accueil et l'hébergement
et fournir un accès équitable et rapide aux procédures d’asile.