1. Introduction
1. Les progrès accomplis au cours
des dernières décennies en Europe en matière de droits des personnes LGBTI
sont remarquables, mais ils ne sont pas homogènes. Ce constat m’a
amené à préparer un rapport focalisé sur une région spécifique au
sein des États membres du Conseil de l’Europe, celle du Caucase
du Sud. Les trois pays qui composent cette région, à savoir l’Arménie,
l’Azerbaïdjan et la Géorgie, ont une partie de leur histoire récente
en commun, ayant reconquis leur indépendance à la même époque après
avoir fait partie de l’Union Soviétique durant une bonne partie
du XXème siècle, et sont géographiquement
proches. En matière de lutte contre les discriminations, toutefois,
les trois pays sont différents. Ce rapport vise à établir un état
des lieux mais également, ce qui est encore plus important, à accompagner
et soutenir les opportunités d’évolution positive.
2. L’examen annuel de la situation des droits humains des personnes
LGBTI en 2020 réalisé par ILGA Europe
nous donne une clé de lecture de la
situation des trois pays concernés par ce rapport. D’après cet examen,
l’Azerbaïdjan se place à la dernière position du classement des
pays les plus respectueux des droits des personnes LGBTI, avec un
score d’à peine 2% (un pourcentage de 100% représentant dans ce classement
une situation hypothétique d’égalité pleine). L’Arménie est classée
47ème sur 49 et totalise 8%. En Géorgie
le score est de 30%, notamment grâce à la législation anti-discrimination
et contre le discours de haine, au respect de la liberté des organisations
de la société civile et de la liberté d’expression, ainsi qu’à la réglementation
de la reconnaissance juridique du genre. Ce résultat place le pays
au 25ème rang du classement.
3. Ce rapport a pris comme point de départ les constats des organisations
internationales et de leur organismes spécialisés, tels que la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), le Bureau
du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’Expert
indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence
et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre, et des organisations non gouvernementales telles que l’ILGA
que j’ai déjà citée. Par la suite, j’ai eu l’opportunité d’échanger
avec des organisations qui militent pour les droits des personnes
LGBTI dans les trois pays examinés. Les discussions au sein de la
commission sur l’égalité et la non-discrimination ont également contribué
à définir le contenu de ce rapport. Enfin, j’ai effectué des visites
d’information en Arménie et en Géorgie. La visite en Azerbaïdjan,
qui avait été autorisée par la commission, n’a pas eu lieu car la
délégation du pays auprès de l’Assemblée parlementaire n’a pas donné
suite à ma demande.
4. Le 12 mars 2021, j’ai tenu des réunions en ligne avec des
interlocutrices et des interlocuteurs institutionnels et de la société
civile de l’Arménie. Compte tenu de la pandémie de covid-19 et des
restrictions de déplacement, la visite d’information précédemment
autorisée par la commission s’est tenue virtuellement. Je souhaite
remercier les autorités arméniennes et les autres participant·e·s,
ainsi que la délégation arménienne auprès de l’Assemblée pour son
assistance. J’ai eu l’opportunité de rencontrer la Vice-ministre
de la Justice Mme Kristinne Grigoryan,
des collègues parlementaires dont M. Ruben Rubinyan, président de
la délégation arménienne auprès de l’Assemblée, M. Mikael Khachatryan,
chef du Département de la coopération internationale du bureau du
Défenseur des Droits humains, deux expert·e·s indépendant·e·s ainsi que
les représentant·e·s de plusieurs organisations de la société civile.
5. La visite s’est tenue dans une phase délicate de la politique
interne du pays, et au lendemain de la guerre qui a opposé l’Arménie
à l’Azerbaïdjan (conflit du Haut-Karabakh). J’ai apprécié la disponibilité
des représentant·e·s des autorités à me rencontrer dans ce contexte
difficile. J’ai tenu à préciser à mes interlocutrices et à mes interlocuteurs
que l’objectif des rencontres était d’en apprendre davantage sur
la situation des personnes LGBTI dans le pays et de discuter des
mesures possibles pour lutter contre la discrimination, sans pour
autant avoir une attitude de donneur de leçons en tant que représentant
du Conseil de l’Europe ou de mon pays.
6. Les 1er et 2 juillet 2021, j’ai
effectué une visite d’information en Géorgie, où j’ai eu l’opportunité d’échanger
avec des membres du gouvernement et du parlement ainsi que des représentant·e·s
de la société civile. La visite a coïncidé avec l’ouverture de la
Tbilisi Pride, une semaine d’évènements culturels et politiques visant
à attirer l’attention des autorités et de la société géorgienne
sur la situation des personnes LGBTI dans le pays et à revendiquer
leurs droits. Les protestations violentes orchestrées à l’encontre
de cet évènement ont montré qu’une action déterminée des autorités
géorgiennes en faveur de l’égalité et contre toute forme de discrimination
est indispensable et urgente.
2. Situation des droits des personnes
LGBTI en Arménie
7. Depuis le mois d’avril 2018,
une transition politique profonde a commencé en Arménie, avec une réforme
du système de gouvernance du pays qui est largement soutenue par
la population et qui a été saluée entre autres par la Présidente
de l’Assemblée alors en fonction, Mme Liliane
Maury Pasquier, lors de sa visite à Erevan en 2019.
8. Un Plan d'action 2019-2022
a
été lancé conjointement par le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes
en juin 2019. Ce plan est fondé sur les priorités des autorités
arméniennes en matière de réforme juridique et institutionnelle
en cours dans le pays. Il «vise à mieux harmoniser la législation,
les institutions et la pratique de l’Arménie avec les normes européennes
dans les domaines des droits de l’homme, de l’État de droit et de
la démocratie». Son objectif est donc de renforcer les droits humains,
garantir la justice et promouvoir la gouvernance démocratique.
9. En 2017, un Accord de Partenariat complet et renforcé entre
l'Arménie et l'Union européenne a été signé. Il s’agit d’une base
juridique pour le renforcement du dialogue politique, l'élargissement
de la coopération économique et sectorielle et la croissance de
la mobilité des citoyen·ne·s. L’accord est entré en vigueur le 1er mars
2021.
10. La consolidation des institutions démocratiques représente
une opportunité de réaliser une société ouverte et inclusive où
l’égalité entre toutes les citoyennes et tous les citoyens ne trouve
pas d’obstacle dans l’orientation sexuelle, l’identité de genre
ou l’expression de genre de chacun·e. En avril 2019, lors de la
10ème édition des Dialogues des droits
humains dans le cadre de la coopération entre l’Union européenne
et l’Arménie, les deux parties ont affirmé conjointement qu’il était
crucial que l’Arménie adopte une loi anti-discrimination en accord
avec les normes internationales en la matière et qu’elle crée un
organisme national pour l’égalité, auprès du Défenseur des droits
. La Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et l’Organisation pour
la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ont demandé l’inclusion
d’une mention de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre
dans la future loi anti-discrimination.
11. La 11ème édition des Dialogues
des droits humains entre l’Union européenne et l’Arménie a eu lieu
par vidéoconférence le 25 mars 2021. Les politiques anti-discrimination,
l’égalité de genre, la violence domestique et la liberté d’assemblée
et d’expression ont été parmi les sujets discutés dans le cadre
des Dialogues. Les organisations de la société civile ont été invitées
à soumettre leurs rapports sur la situation des droits humains. Les
organisations non gouvernementales Pink Armenia et ILGA Europe ont
répondu à cet appel et fourni des informations et recommandations
en ce qui concerne la situation des personnes LGBTI dans le pays.
12. Comme mes interlocutrices et interlocuteurs arméniens l’ont
indiqué lors des entretiens du 12 mars 2021, depuis le début de
la transition politique en 2018 le débat dans le pays est devenu
fortement politisé. Des thèmes qui devraient être consensuels, tels
que la lutte contre la violence à l’égard des femmes, peuvent devenir
clivants, et la législation et les politiques anti-discrimination
sont présentées par certain·e·s responsables politiques comme imposées
par l’ «Occident». Comme l’a expliqué M. Khachatryan, les réseaux sociaux
sont le thermomètre de la société arménienne, particulièrement Facebook,
avec les fléaux qui l’accompagnent typiquement, tels que les faux
profils, la désinformation et un discours de haine omniprésent.
13. Mme Grigoryan, Vice-ministre de
la Justice, a également fait référence à la désinformation, qui
passe par des chaines de messages sur la plateforme Telegram et
présente, par exemple, les responsables politiques de la majorité
actuelle comme des émissaires de George Soros. Elle m’a expliqué
qu’il y a dans le débat public arménien un manque de compréhension
du thème des droits des personnes LGBTI, qui est relativement nouveau,
et des questions de genre. L’opposition à la Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, Convention d’Istanbul),
par exemple, est axée sur une critique de la notion de genre contenue
dans ce texte, qui est mal interprétée.
14. Mme Grigoryan a illustré plusieurs
activités de son ministère visant à améliorer la protection des
groupes vulnérables, telles que des formations des juges, ou conjointement
de la police et du parquet. En 2019, le Parlement arménien a adopté
le projet de loi du gouvernement sur la criminalisation des «appels
publics à la violence» et la «promotion publique de la violence»
(une dizaine de cas ont déjà fait l’objet de poursuites). Par ailleurs,
une réforme de la procédure pénale est en discussion au parlement;
sa préparation a bénéficié de la participation d’expert·e·s du Conseil
de l’Europe, notamment en ce qui concerne les crimes liés à la discrimination.
Concernant la loi anti-discrimination, la Vice-ministre a cité l’avis
du Défenseur des Droits humains, qui estime que la loi devrait refléter
les motifs de discrimination figurant à l’article 29 de la Constitution arménienne.
L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne seraient donc pas
citées explicitement mais rentreraient plutôt parmi les «circonstances
sociales». Elle considère que le risque, s’il y avait une énumération explicite,
serait de ne pas voir le texte adopté. Mme Grigoryan
prône un dialogue ouvert avec la société, soulignant l’importance
de la sensibilisation et de la lutte contre la désinformation. Je
souhaite souligner, toutefois, que l’objectif d’une loi anti-discrimination
efficace devrait représenter une priorité essentielle pour les forces
gouvernementales. L’indication spécifique de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre en tant que motifs proscrits de discrimination
rendrait la loi plus claire et son application plus facile. J’ajouterais
qu’une telle énumération aurait un effet de sensibilisation, presque
pédagogique, permettant d’imprimer dans les consciences que la discrimination
des personnes pour ces motifs est inacceptable et condamnable, au
même titre que celle liée aux motifs qui sont déjà mentionnés dans
la législation arménienne, tels que le genre, la religion, l’origine
ethnique ou autres.
15. La discussion avec les membres de la délégation parlementaire
a confirmé que les forces de la majorité privilégient une attitude
prudente en ce qui concerne les réformes: il y a une volonté d’améliorer
la protection des groupes vulnérables, y compris les personnes LGBTI,
mais de façon pragmatique, «sans provoquer plus de difficultés»
pour ce groupe même, selon M. Rubinyan, président de la délégation.
Il a ajouté qu’il fallait avancer dans le domaine des droits humains,
mais «d’une façon telle que la réforme réussisse». La majorité gouvernementale
est large, mais comprend des couches différentes. Il estime donc
que la priorité devrait être accordée aux thèmes plus largement
partagé, tels que la lutte contre le discours de haine.
16. Les violations des droits des personnes LGBTI sont nombreuses
en Arménie d’après les rapports de la société civile locale et internationale
et des organisations intergouvernementales
.
17. Les discours de haine de la part des dirigeant·e·s politiques
et le traitement négatif des médias envers les personnes LGBTI sont
des faits régulièrement rapportés
.
En 2019, Mme Lilit Martirosyan, présidente
de l’ONG RighT Side, s’est adressée au Parlement arménien et a appelé
à défendre les droits des personnes transgenres. A la suite de cet
appel, plusieurs personnages politiques ont tenu des propos haineux
à son encontre. Certains d’entre eux ont appelé à ce que les personnes
LGBTI soient brûlées
.
18. Les défenseurs et défenseuses des droits des personnes LGBTI
ont été plusieurs fois menacés de mort et attaqués physiquement
comme s’en inquiétait l’Expert des Nations Unies sur la protection
contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, en avril 2019
.
19. La liberté d’expression des personnes LGBTI est souvent remise
en question par ces attaques. Le 20 juin 2019, 11 activistes LGTBI
ont été insultés dans un parc à Erevan puis enjoints de quitter
le parc par la police
. Le 2 novembre 2019, d'anciens
partisan·e·s du gouvernement et défenseurs et défenseuses de prétendues
«valeurs traditionnelles» ont utilisé des insultes anti-LGBTI lors
d’une représentation d'art de rue dans le centre-ville d'Erevan
qu'ils ont qualifiée de féministe, satanique et perverse
.
20. Les victimes de violence LGBTI sont réticentes à dénoncer
les faits à la police, cette dernière ayant fait l’objet de diverses
allégations d’abus. La police aurait par exemple engagé des poursuites
pour fausses accusations contre des victimes de discours de haine
venant porter plainte
. Le faible nombre
de poursuites et condamnations des violences LGBTphobes contribue
également au non-signalement de ces violations par les victimes
. Entre autres, l’incendie criminel contre
un club LGBTI de la capitale en 2012 n’a pas été considéré comme
un crime de haine homophobe par les autorités. Cette affaire est
actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme
.
21. Le Défenseur des Droits humains intervient discrètement dans
un grand nombre de ces cas pour garantir la protection des victimes
et s’assurer qu’il y a des poursuites judiciaires. Les cas de violence
et plus généralement de violations des droits sont dénoncés par
les particuliers et les organisations non gouvernementales, par
écrit et éventuellement même par téléphone. M. Mikael Khachatryan,
fonctionnaire de cette institution, m’a expliqué que le Défenseur
peut intervenir auprès des procureurs pour solliciter une action, et
que le nombre de plaintes augmente. L’assistance fournie aux victimes
est gratuite et confidentielle. Le Défenseur joue également un rôle
publique, peut donner des avis sur les projets de loi en discussion
et lance des actions d’information et de sensibilisation. C’est
lors d’une «journée portes ouvertes» au Parlement arménien, promue
par le Défenseur des Droits, permettant aux représentant·e·s de
la société civile de s’adresser aux parlementaires, que Lilit Martirosyan
de RighT Side NGO a pu parler publiquement et attirer l’attention
sur les défis spécifiques auxquels font face les personnes transgenres
en Arménie.
22. Des cas de violences physiques sont régulièrement rapportés.
En 2018, l’ONG PINK Armenia notait que 25 violations des droits
humains des personnes LGBTI avaient eu lieu dans le pays
.
23. L’interdiction de la discrimination (comme je l’ai indiqué
dans l’introduction) et la pénalisation de l’incitation à la haine
envers les personnes LGBTI ne sont pas prévues dans la législation
arménienne, tout comme la prise en compte de circonstances aggravantes
dans les cas de crimes et délits motivés par la haine envers ce
groupe
.
A l’inverse, une proposition de loi interdisant la propagande de
l’homosexualité chez les enfants de moins de 16 ans avait été proposée
au parlement en mai 2019 puis finalement rejetée
.
24. En Arménie, l’homosexualité est encore considérée à certaines
fins par la loi comme une maladie mentale. Afin d’obtenir une exemption
du service militaire, les personnes homosexuelles doivent ainsi
passer un examen dans un centre médical psychiatrique qui établit
si la personne est homosexuelle. Les codes utilisés pour établir
l’homosexualité de la personne sont ceux utilisés pour établir des
maladies psychiatriques telles que la schizophrénie
.
25. Enfin, les jeunes LGBTI sont également victimes de harcèlements
et autres violences au cours de leurs études. L’ECRI rappelait ainsi
les chiffres d’une ONG locale qui révélaient que 55% des personnes
interrogées refusaient de révéler leur orientation sexuelle à l’école
ou à l’université. 36% déclaraient être victimes de harcèlement
verbal. Les questions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité
de genre sont très peu traitées dans les programmes scolaires
.
26. L’échange que j’ai eu, lors des réunions du 12 mars 2021,
avec Mme Lusine Karamyan et M. Nikolay Hovhannisyan,
juristes spécialisés en droits humains et engagés respectivement
dans la société civile et dans la coopération internationale, a
mis en lumière que les réformes n’avancent pas au rythme souhaité.
Au contraire, mes interlocuteurs ont parlé de «blocage». La discrimination
des personnes LGBTI est une réalité et la protection n’est pas effective,
a expliqué Mme Karamyan, qui estime que
lorsqu’un cas de violence est dénoncé à la police, très souvent
il n’y a pas de suites. Le sujet des personnes LGBTI, très sensible
avant 2018, reste délicat et se prête à des manipulations même depuis
la «révolution». Le gouvernement actuel l’aborde avec précaution
et le résultat est qu’il y a stagnation, malgré l’urgence de faire
face à une situation difficile. D’après un sondage mené par l’ONG
Pink Armenia, 55% des personnes consultées ne souhaiterait pas avoir
un voisin LGBTI. La guerre de 2020 et les tensions politiques actuelles
sont des nouveaux obstacles aux avancées dans le domaine de l’anti-discrimination.
27. Plusieurs organisations de la société civile représentent
la communauté LGBTI, participent au débat public et politique, et
mènent des activités de plaidoyer. Elles ne reçoivent pas de fonds
publics mais plutôt des contributions individuelles et dans certains
cas sont soutenues par les organismes de coopération internationale.
En échangeant avec leurs représentant·e·s, j’ai eu l’impression
que ces organisations connaissent les mécanismes de la politique
et qu’elles s’efforcent d’entretenir un dialogue constructif avec
les institutions. Les résultats, cependant, ne sont pas encore à
la hauteur de leurs attentes.
28. Un activiste m’a expliqué que les droits des personnes LGBTI
font enfin partie du débat politique. Les polémiques sur le film Mel, un documentaire sur Mel Daluzyan,
célèbre haltérophile arménien et triple champion d'Europe, transgenre,
en sont la preuve. Le film a été critiqué pour avoir promu une vision
qui n’est pas en ligne avec les «valeurs arméniennes traditionnelles»,
mais le Premier ministre Nikol Pashinyan a défendu le choix du gouvernement
de financer partiellement sa production. Par ailleurs, les activistes
que j’ai rencontrés décrivent un climat hostile aux personnes LGBTI
au sein de la société arménienne, alimenté par un manque de connaissances
et d’information. D’après eux, ce thème est parfois manipulé et
utilisé à des fins politiques. Cela engendre un vrai problème de
discours de haine et en même temps d’impunité des responsables.
J’ai eu l’opportunité d’échanger avec Mme Lilit
Martirosyan, que j’ai citée au sujet des polémiques qui ont fait
suite à sa prise de parole publique au Parlement arménien, sur la
situation des personnes transgenres. Ce groupe est particulièrement
vulnérable aux violences et se heurte à des barrières dans l’accès
à l’emploi, à la justice et aux soins médicaux. La loi arménienne
ne réglemente pas encore la reconnaissance du genre dans les registres
et les documents d’identification, ce qui produit des effets néfastes sur
la vie quotidienne des personnes transgenres et les expose à des
risques accrus de discrimination.
29. Je ne peux qu’encourager le Gouvernement arménien à poursuivre
sur le chemin des réformes, en intensifiant ses efforts. Je l’encourage
en même temps à renforcer davantage sa coopération avec les différents
organes du Conseil de l’Europe. Si j’ai précisé à mes interlocutrices
et à mes interlocuteurs que je ne souhaitais pas donner de leçons,
il faut souligner que le Conseil a créé un système de recommandations, normes
et lignes directrices qui est précieux dans le domaine de la lutte
contre la discrimination, en général et en ce qui concerne l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, en particulier.
3. Situation
des droits des personnes LGBTI en Azerbaïdjan
30. Dans la préparation de ce texte,
j’ai utilisé des rapports et des documents de différents organes
au sein du Conseil de l’Europe tels que la ECRI, le Bureau du Commissaire
aux Droits de l’Homme et l’Unité OGIS, mais également de l’Expert
indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence
et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre. J’ai ensuite développé la partie concernant la situation
en Azerbaïdjan, grâce aux contributions reçues de mes collègues
de la commission, que je remercie, et aux éléments recueillis par
un consultant indépendant, engagé par l'Unité OGIS du Conseil de
l'Europe. Ce dernier a notamment recueilli les contributions des
organisations de la société civile telles que NAFAS LGBT et AZAD
LGBT.
31. D’après l’ECRI, en 2014, 60% des individus interrogés considéraient
de manière négative les personnes LGBTI. Plus d’une personne interrogée
sur deux (52%) déclarait également que l’homosexualité était une maladie
congénitale
. Selon une étude menée par l'organisation
non gouvernementale NAFAS LGBT, «plus de la moitié des personnes
interrogées pensent que l'homosexualité est le résultat d'une maladie,
28% pensent que c'est un choix personnel». Comme le rapporte AZAD
LGBT, «dans un article de blog de 2013, le Centre de ressources
pour la recherche sur le Caucase a utilisé les données du Baromètre
du Caucase 2011 pour montrer que 84% de la population azerbaïdjanaise
pense que l'homosexualité n'est jamais justifiée». En 2019, ces
deux ONG et une troisième organisation appelée Minority Azerbaijan
ont présenté une soumission conjointe pour la liste des questions
relatives au quatrième rapport périodique de l'Azerbaïdjan au titre
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels
.
32. Le harcèlement et la violence à l'encontre des personnes LGBTI
sont fréquemment signalés par la société civile. Parmi les exemples,
le cas de harcèlement homophobe subi par une adolescente de 14 ans ayant
conduit à son suicide en 2019
. D’après ILGA Europe, le 28 juin
2019, cinq femmes transgenres ont été physiquement agressées par
une quinzaine de personnes sur une plage
. Le 18 juin 2020, une femme transgenre
nommée Aysu Mammadli a été poignardée à mort dans ce qui semble
être un crime haineux. La victime était une travailleuse du sexe.
Deux autres attaques visant des femmes transgenres ont eu lieu le
mois suivant.
33. De nombreuses violences familiales ont également été recensées
ces dernières années. En 2014, par exemple, un jeune homosexuel
de 17 ans a été filmé pendant qu’il était violé. La vidéo a été
remise à sa famille qui l’a ensuite battu. La même année, un autre
jeune homosexuel a été sauvagement frappé, fouetté puis arrosé d’essence
par ses parents pour avoir assisté à une conférence LGBTI
.
Encore aujourd’hui, des cas similaires aussi graves se produisent
régulièrement dans ce pays. En septembre 2019, un homme homosexuel a
ainsi été battu, harcelé et expulsé de son village par sa famille
au motif qu’il les avait déshonorés
.
34. Selon une enquête menée par la NAFAS LGBT sur la discrimination
dans l'accès au marché du travail et sur le lieu de travail, «les
droits du travail des personnes LGBTI sont violés en Azerbaïdjan.
64 % des personnes interrogées ne veulent pas travailler avec des
personnes LGBTI, et 60 % ont généralement une attitude négative
à l'égard des personnes LGBTI. Dans le même temps, 60% des personnes
interrogées ont déclaré que si elles étaient entrepreneurs, elles
refuseraient d'embaucher des personnes LGBTI».
35. En Azerbaïdjan, les personnes transsexuelles ont légalement
accès à la chirurgie de changement de sexe. Toutefois, la loi ne
prévoit pas la reconnaissance du genre après le changement de sexe,
ce qui entraîne des difficultés, notamment l'obligation pour les
femmes transsexuelles de servir dans l'armée comme des hommes. En
outre, elles sont confrontées à une forte discrimination dans l'accès
au travail, ce qui les rend plus susceptibles de recourir au travail
sexuel pour gagner leur vie.
36. Les brutalités policières sont régulièrement dénoncées par
la société civile auprès des organisations internationales. En 2017,
plus de 80 personnes LGBTI ont été arrêtés dans la capitale Bakou.
De nombreux cas de torture et de traitements inhumains et dégradants
ont été notifiés à l’Expert indépendant des Nations unies sur la
protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre. Dans le but d’obtenir des confessions,
les autorités ont notamment eu recours à des violences physiques,
menaces, tortures dont des électrochocs et examens médicaux forcés.
Presque toutes et tous les détenu·e·s qui ont comparu devant la
Cour d’Appel de Bakou avaient subi un rasage forcé des cheveux. L’Expert
des Nations Unies avait alors relevé que les cas d’arrestation et
d’intimidation envers la communauté LGBTI n’avaient jamais atteint
une telle proportion et un tel degré de planification
.
37. Dans l’affaire portée devant la Cour européenne des droits
de l’homme, A c. Azerbaïdjan (n° 17184/18), et 24 autres requêtes,
«les requérants sont des membres de la communauté LGBT qui ont été
arrêtés lors des rafles lancées par la police à la mi-septembre
2017. Les requérants se plaignent que leur arrestation et leur détention
administrative ultérieure étaient illégales et arbitraires, et fondées
uniquement sur leur orientation sexuelle réelle ou perçue. Ils affirment
en outre qu'ils ont été maltraités par des officiers de police et
du personnel de garde à vue et que les autorités compétentes n'ont
pas mené d'enquête efficace sur les mauvais traitements qu'ils auraient
subis. Les requérants se plaignent également qu'ils ont été soumis
à des examens médicaux forcés pendant leur détention»
.
38. Une nouvelle vague d’arrestations a également eu lieu le 1er avril
2019 où au moins huit personnes gays et transgenre, ont été détenues
par la police à Bakou. De nouvelles arrestations ont eu lieu les
jours suivants. Des examens médicaux forcés leur ont notamment été
imposés afin de déceler des maladies sexuellement transmissibles
. D’après le rapport de l’ECRI, ces
violences conduisent les personnes LGBTI à craindre la police et
à ne pas déclarer les attaques qu’elles subissent dans leur quotidien
.
39. Plusieurs cas de discours de haine de la part des dirigeant·e·s
politiques et des médias sont à noter. En 2012, un dirigeant du
Parti islamique d’Azerbaïdjan menaçait ainsi de faire couler le
sang des personnes LGBTI dans le pays si la Marche de la fierté
devait avoir lieu
. Plus récemment, en 2019, la Vice-présidente du
Comité d'État pour les affaires familiales, féminines et de l'enfance
accusait l’Europe occidentale de vouloir imposer le mariage homosexuel
aux autres pays
. Les personnes LGBTI sont régulièrement
décrites par les médias dans des termes humiliants. Des allégations
d’orientation sexuelles LGBTI ont également été utilisées pour jeter
le discrédit sur des opposant·e·s politiques et des journalistes
.
Parmi les cas récents de discours haineux de politicien·ne·s visant
les personnes LGBTI, on peut citer la déclaration du député Fazil
Mustafa, qui a décrit l'homosexualité comme contraire à la vertu
et à la nature, et les propos de M. Rafiq Manafli – président de
l'Assemblée suprême du Parti de la solidarité civile et membre de
l'union des partis d'opposition. Le 14 mai 2020, lors d'une réunion
en ligne, M. Manafli a déclaré qu'il était «très désolé que Hitler
n'ait pas détruit ces homosexuels en 41-45». La vidéo de la réunion
a fait l'objet d'une fuite et a été diffusée publiquement sur internet.
40. Un rapport publié en 2016 par la Fondation Heinrich Böll suggère
que «les groupes islamiques, qui sont souvent influencés par le
clergé du pays voisin, l'Iran, alimentent le climat hostile contre
les personnes LGBTI»
.
41. Sur le plan législatif, l’Azerbaïdjan ne prévoyait pas l’interdiction
de la discrimination basée sur l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre lors du dernier cycle d’examen de l’ECRI
. La situation n'a pas évolué
depuis lors.
42. La Constitution de la République d'Azerbaïdjan de 1995, introduit
à l’article 25 le principe d’égalité de tous les citoyen·ne·s, toutefois
la Constitution ne mentionne pas l'orientation sexuelle, l'identité
et l'expression de genre, ni les variations des caractéristiques
sexuelles. Aucun autre texte juridique ne mentionne explicitement
ces motifs ou ne comporte de dispositions spécifiques sur la mise
en œuvre du droit à l'égalité pour les personnes LGBTI. Il n'existe
pas de politiques ou de plans d'action concrets pour lutter contre
les brimades homophobes, biphobes, transphobes ou interphobes
. L'orientation sexuelle,
l'identité de genre ou l'expression de genre des victimes d'infractions
pénales ne sont pas considérées comme des circonstances aggravantes
par le code pénal.
43. Au contraire, les représentant·e·s de la société civile dénoncent
le fait que les autorités de l'État limitent les droits des défenseurs
et défenseuses des droits humains et des ONG LGBTI et entravent
leur activité
.
44. Les organisations non gouvernementales locales ont salué le
nouveau plan d'action national (PAN) sur l'égalité des sexes pour
la période 2019-2024. Selon le rapport alternatif des Nations Unies
soumis par NAFAS LGBT, «certaines des actions énumérées dans le
PAN seraient très pertinentes pour les femmes LBT et les personnes
intersexuées. Plus précisément, les actions suivantes: amélioration
de la législation et sensibilisation du public à l'égalité des sexes
et aux droits des femmes; renforcement des mesures de lutte contre
la violence fondée sur le genre; réalisation de l'égalité des sexes
dans le domaine économique; prévention et lutte contre les stéréotypes
sexistes et la discrimination. Cependant, les femmes LBT et les personnes
intersexuées ne sont pas explicitement mentionnées dans le PAN.
De manière générale, les dispositions, les objectifs et les tâches
se réfèrent au ‘genre’ ou aux ‘femmes’ uniquement»
.
45. Une étape positive récente est la création de la «Plate-forme
pour l'égalité en Azerbaïdjan», une coalition d'ONG et de chercheurs
et chercheuses spécialisé·e·s dans la lutte contre la discrimination,
créée en septembre 2020. La plateforme est active entre autres dans
le domaine des droits des personnes LGBTI. Les représentant·e·s
de la Plateforme pour l'égalité ont tenu une réunion avec le défenseur
des droits national (
Ombudsman).
Cet organe bénéficie du soutien des projets de coopération du Conseil
de l'Europe
.
4. Situation
des droits des personnes LGBTI en Géorgie
46. Grâce notamment à l’introduction
d’une législation anti-discrimination qui couvre l’orientation sexuelle
et l’identité de genre
,
la Géorgie se situe à la 26ème place
sur les 49 États examinés, dans le classement d’ILGA Europe de 2019,
avec un score de 30%
. La Géorgie se démarque
également de ses voisins par une législation prévoyant l’interdiction
des discours de haine fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre
. La situation
des personnes LGBTI dans ce pays apparaît donc comme nettement plus
favorable par rapport au reste de la région.
47. Cependant, des violations des droits des personnes LGBTI ont
été signalées par plusieurs sources, ce qui devrait inciter les
autorités nationales à améliorer davantage le cadre législatif et
les politiques. Les partenariats entre personnes de même sexe ne
sont pas autorisés
et aucune législation
n’est prévue concernant la reconnaissance du changement de sexe
des personnes transgenres
.
48. De nombreux cas de discours de haine de la part des autorités
politiques et religieuses ont été relevés dans le pays ces dernières
années. En 2019, le Patriarche de l’Église orthodoxe géorgienne
a appelé, dans une déclaration publique aux autorités, à annuler
la Marche de la fierté. Celui-ci a désigné cette manifestation comme
un moyen de populariser le mode de vie de «pécheurs» des personnes
LGBTI
. L’Expert
indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence
et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre dénonçait également en 2018 l’absence de contre-discours
à ces propos de haine
.
49. Une vision de la société présentée comme étant exclusivement
composée de personnes hétérosexuelles et cisgenres est largement
relayée par les médias
. Le personnel médical corrobore également
l’idée que l’homosexualité est une maladie. Selon une étude de 2015,
39% d’entre eux affirmaient ainsi que l’homosexualité pouvait être
soignée
.
50. La liberté d’expression de la communauté LGBTI est régulièrement
atteinte, comme en témoignent les nombreux appels à la haine et
les violences lors des événements LGBTI, qui perturbent voire empêchent
la tenue de ces évènements. Le 8 novembre 2019, une centaine de
manifestant·e·s d’extrême droite ont bloqué l’entrée d’un cinéma
où devait avoir lieu la projection en avant-première du film «Et
puis nous danserons» (
And then we danced)
qui relatait l’histoire d’une relation homosexuelle entre deux danseurs
géorgiens. Le drapeau arc-en-ciel a été brûlé à cette occasion
.
51. Des menaces de mort à l’encontre de défenseurs et défenseuses
des droits LGBTI ont également été relevées à plusieurs reprises
. Les
cas d’abus ainsi que de violences policières à l’encontre des personnes LGBTI,
tout particulièrement auprès des personnes transgenres, ont été
rapportés à l’Expert indépendant des Nations unies
. Ce dernier a également fait
état d’affaires de chantage. Ces diverses situations conduisent
à une défiance de la communauté LGBTI à rapporter des violences
auprès de la police
.
52. Les discours homophobes et transphobes sont présents à l’école.
Les programmes scolaires ne mentionnent pas l’homosexualité et aucun
enseignement neutre sur les questions LGBTI n’existe
. Les membres de la communauté
LGBTI ont également relevé que certains parents et enseignants tentaient
de convaincre des élèves de changer d'orientation sexuelle, notamment
par le biais de conseils psychologiques, donnant l'impression erronée
que l'enfant devait être «guéri»
.
Les jeunes sont souvent victimes d’exclusion des foyers familiaux
à la suite de la révélation de leur homosexualité
.
53. Si 27% des répondants de l’enquête nationale démocratique
de 2019 estimaient que la protection des droits des personnes LGBTI
est importante, ce groupe reste néanmoins le moins soutenu des groupes minoritaires
dans le pays
.
54. Lors de ma visite en Géorgie, à la suite d’une réunion avec
le chef adjoint du bureau de Tbilissi du Conseil de l’Europe, M. Vahagn
Murdyan, qui m’a donné un aperçu de la situation politique dans
le pays, j’ai eu la possibilité de rencontrer des chercheurs en
sciences politiques, des militant·e·s des droits humains, notamment
des personnes LGBTI, et des représentant·e·s des médias. Puis, j’ai
échangé avec la Défenseuse publique des droits, des collègues parlementaires,
des membres du gouvernement et des représentant·e·s du bureau du
Procureur général et du secrétariat aux droits humains du Gouvernement
géorgien.
55. Les organisations de la société civile m’ont dépeint la situation
en termes plutôt sombres. Les sentiments hostiles envers les personnes
LGBTI sont répandus au sein de la société géorgienne, ont-elles
confirmé. Les jeunes LGBTI n’ont souvent pas de soutien de la part
de leur famille et font face à des risques de marginalisation. J’ai
constaté une fracture au sein des ONG géorgiennes entre celles qui
prônent une approche plus visible, telles que Tbilisi Pride, et
celles plus prudentes, qui craignent que la «provocation» puissent
être contre-productive. J’estime qu’au-delà des différences de stratégie,
la société civile devrait se montrer unie dans la défense des droits
fondamentaux. Le courage des responsables de Tbilisi Pride face
à des adversaires de taille, tels que l’Eglise orthodoxe, et à une
hostilité ancrée dans les mentalités plus traditionnelles, est remarquable
et mérite d’être soutenu.
56. La défenseuse des droits, Mme Lino
Lomjaria, a démontré lors de notre réunion, qu’elle connaît et suit de
près la situation des personnes LGBTI et les défis auxquels elles
font face, y compris du point de vue de la liberté d’expression,
avec une opposition très agressive de la part des groupes «anti-genre»
et pas assez de protection de la part des autorités lors de manifestations
passées. Le manque de poursuites pénales à l’encontre des responsables
de faits de violence est problématique car il risque de conduire
à une situation d’impunité avec des effets néfastes. Les personnes
transgenres rencontrent des difficultés spécifiques, notamment dans
l’accès au travail et lorsqu’elles se trouvent en détention. Mme Lomjaria
a estimé cependant qu’une amélioration lente mais réelle est à constater
dans la société géorgienne, avec entre autres plus de responsables
politiques prêts à parler ouvertement des droits des personnes LGBTI,
ce qui était particulièrement difficile il y a peu. Le Bureau de
Mme Lomjaria joue un rôle important puisqu’il
reçoit les plaintes des citoyen·ne·s et intervient auprès des différentes
administrations pour redresser les torts éventuels.
57. M. Mikheil Sarjveladze, Président de la commission des droits
humains et de l’intégration du Parlement de Géorgie, m’a expliqué
qu’il avait contribué à la rédaction de la législation anti-discrimination
et que ce processus n’avait pas été facile. Il a estimé qu’il y
avait une amélioration de la situation des droits des personnes
LGBTI dans le pays et que davantage de responsables politiques,
de la majorité et de l’opposition, étaient prêts à prendre la parole
ouvertement en faveur de ces droits. D’après M. Sarjveladze, il
fallait éviter que les forces hostiles envers ce groupe puissent
diffuser librement leur message de haine, et rester vigilants car
ces groupes étaient souvent d’inspiration anti-occidentale et sous
l’influence de puissances étrangères, et leur opposition aux droits
des personnes LGBTI n’était qu’un thème utilisé pour obtenir le
soutien des citoyen·ne·s plus conservateurs. J’ai eu également la
possibilité d’échanger avec Mme Tamar
Taliashvili, membre de la délégation géorgienne auprès de l’Assemblée,
que je remercie sincèrement pour l’hospitalité et le soutien fourni
pour l’organisation de ma visite.
58. Les réunions avec des membres du Gouvernement géorgien, M. Aleksandre
Darakhvelidze, ministre adjoint de l’Intérieur, et Mme Ekaterine
Dgebuadze, Première Vice-Ministre de l’éducation, de la Science,
de la Culture et du Sport, ont été une opportunité de discuter de
l’importance que les autorités attachent à la non-discrimination.
M. Darakhvelidze a expliqué, entre autres, qu’une unité dédiée aux
crimes de haine ou commis sur la base de motifs de discrimination
a été créé en 2018 et un manuel pour les forces de police a été
publié à ce sujet. Des données sont récoltées annuellement. Les
peines pour ces crimes ont été aggravées. En outre, la coopération
avec le Bureau de la Défenseuse des droits est intense.
59. Mme Natia Merebashvili, Procureure
générale adjointe de Géorgie, m’a expliqué que la lutte contre la discrimination
est, depuis 2016, l’une des priorités principales de son administration,
avec des activités de formation, une sensibilisation continue des
procureur·e·s, une base de données unique (réalisée avec le soutien
du bureau de Tbilissi du Conseil de l’Europe). A ma question au
sujet d’un risque d’impunité des responsables d’attaques violentes
aux manifestations LGBTI, Mme Merebashvili
a répondu que les poursuites pénales avaient augmenté au cours des
dernières années. J’espère que la vigilance et l’efficacité à ce
sujet seront une vraie priorité des pouvoirs publics géorgiens.
Face à la violence qui se déchaîne lors des manifestations publiques
des organisations LGBTI et qui entrave tout progrès dans ce domaine,
la lutte contre l’impunité est à mon avis cruciale.
60. Mme Maka Peradze, Cheffe du Secrétariat
aux droits humains du Gouvernement de Géorgie, a présenté les activités
de son Secrétariat, qui coordonne l’action des différentes administrations
géorgiennes dans le domaine des droits humains. Il prépare actuellement
une deuxième stratégie des droits humains et une feuille de route
pour sa mise en œuvre. La première stratégie a couvert la période
2014-2020. Un chapitre important de la stratégie concernait les
crimes de haine. Cependant, les droits des personnes LGBTI n’y étaient
pas mentionnés spécifiquement. En revanche, Mme Peradze
m’a assuré que les organisations de la société civile sont consultées
et impliquées dans la mise en œuvre des stratégies des droits humains,
notamment dans la mise en œuvre des activités de sensibilisation.
61. Après les réunions du 1er juillet,
j’aurais dû assister à l’évènement d’ouverture de la semaine de
«Tbilisi Pride», avec la présentation d’un documentaire sur la marche
de la fierté de Tbilissi de 2019, qui a été perturbée par des violences
LGBT-phobes. Malheureusement j’ai été obligé d’annuler ma participation
en raison d'une violente manifestation avec de bouteilles, de pierres
et d’œufs sur les personnes présentes, visant en particulier les
représentant·e·s de la communauté internationale. Un diplomate américain
a été touché par un œuf. Finalement, l'événement a pu se tenir comme
prévu. Après la projection du film, les spectatrices et les spectateurs
ont pu quitter la salle en toute sécurité grâce à un cordon de police.
62. Les faits inquiétants du 1er juillet
semblent confirmer les éléments fournis par la quasi-totalité de
mes interlocutrices et interlocuteurs: d’une part, une atteinte
grave aux droits humains, dont la liberté d’expression, portée par
les extrémistes s’opposant à la Tbilisi Pride. D’autre part, une
attitude plus ouverte que dans le passé de la part des autorités,
qui ont exprimé leur volonté de garantir la tenue en toute sécurité
des manifestations LGBTI. Le déploiement important des forces de
l’ordre lors de l’évènement d’ouverture ont montré que cette volonté
était réelle.
63. Mener un plaidoyer pour que les autorités garantissent les
libertés fondamentales et la sécurité des manifestant·e·s, conformément
à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2015 dans
l'affaire IDENTOBA et autres c. Géorgie,
faisait partie des objectifs de ma visite. Cela semblait acquis
lors des réunions que j’ai tenues. Non seulement les responsables
politiques m’ont rassuré, mais les représentant·e·s des ONG ont
également reconnu que l’attitude des institutions avait changé et
qu’actuellement un plus haut niveau de protection de la liberté
d’expression était garanti. L’action de sensibilisation et de persuasion
morale menée par la société civile et par les acteurs de la communauté
internationale, dont le Conseil de l’Europe, plusieurs ambassades
à Tbilissi et récemment l'intergroupe LGBTI du Parlement européen,
ont contribué à ce résultat.
64. Malheureusement, au cours des jours suivants, une recrudescence
de la violence a été observée et la situation est devenue plus compliquée
au sein du monde politique. Le 4 juillet, une foule d’homophobes
a attaqué le siège de Tbilisi Pride, déchirant symboliquement un
drapeau arc-en-ciel avant de vandaliser les locaux et détruisant
les ordinateurs de l’organisation. Le lendemain, la marche qui devait
être le moment final et le plus important des manifestations a été
annulée à cause des attaques d’une violence extrême menées par des
opposant·e·s «anti-Pride». Les victimes étaient principalement des
journalistes qui se préparaient à couvrir la marche. Selon des sources
officielles, 55 personnes ont été agressées, dont 53 représentant·e·s
des médias.
65. Un caméraman de la chaine de télévision Pirveli, Lekso Lashkarava,
de 36 ans, a été «battu sans pitié pendant 20 minutes» par les extrémistes
anti-Pride d’après une de ses collègues. Soigné pour plusieurs fractures
et contusions, il est décédé quelques jours après avoir quitté l’hôpital.
Si la cause directe du décès reste à déterminer, ce fait tragique
a suscité une vague d’indignation dans le pays, avec des manifestations publiques
de protestations contre le gouvernement et de solidarité avec les
médias et la Tbilisi Pride.
66. En réponse aux faits des 4 et 5 juillet, si la Présidente
géorgienne Salomé Zourabichvili a publiquement soutenu la liberté
d'expression dans le cadre de la Tbilisi Pride dans une déclaration
publiée dès le 1er juillet, le Premier
ministre Irakli Garibashvili a été moins encourageant. A la veille
de la semaine de manifestations, il a déclaré que la tenue de la
marche serait «déraisonnable» et a laissé entendre que l'ancien
Président géorgien Saakashvili était derrière les organisateurs.
D’après le chef du gouvernent, la marche était susceptible de «conduire
à une confrontation entre les citoyen·ne·s». Au lendemain des violences
contre les journalistes et de la manifestation improvisée devant
le parlement en solidarité avec la Tbilisi Pride et la presse, M. Garibashvili
a déclaré que cette manifestation véhiculait «des messages anti-étatiques,
anti-église et anti-nationaux». D’autre part, M. Garibashvili a
confirmé que des enquêtes criminelles étaient en cours et il a exprimé
fermement son soutien à cette démarche. D’après les informations
disponibles, les autorités coopèrent activement avec les victimes
et un grand nombre d’auteurs présumés des violences ont été arrêtés. Il
est rassurant de constater que le Premier Ministre et le reste des
autorités géorgiennes se sont engagés dans la lutte contre l’impunité,
une condition indispensable pour que les attaques violentes contre
la liberté d’expression ne se reproduisent pas dans le futur.
67. J’estime que face à des attaques si violentes à la liberté
d’expression, au droit à l’information et à la sécurité des représentant·e·s
des médias, la condamnation de la part des institutions devrait
être forte et unanime. Les droits des personnes LGBTI et leur visibilité
sont devenus un sujet important et clivant dans le débat politique
géorgien. Ce thème est devenu une sorte d’élément symbolique qui
reflète les valeurs des différents acteurs politiques, voire leur
avis sur le positionnement international de leur pays. Les défenseuses et
les défenseurs les plus convaincus de la liberté d’expression de
Tbilisi Pride sont en général en faveur d’une politique pro-Europe
occidentale. Mes interlocutrices et mes interlocuteurs, bien que
de façon peu explicite, m’ont fait comprendre que l’opposition contre
les droits des personnes LGBTI, menée par les forces géorgiennes
plus conservatrices et par l’Église orthodoxe, est en même temps
le résultat de pressions provenant de pays étrangers «hostiles»
(le terme a été utilisé à plusieurs reprises). Pour mener à bien
son action en matière d’égalité et de non-discrimination, la Géorgie
a besoin du soutien de la communauté internationale et des organisations
telles que le Conseil de l’Europe. Pour ce qui est de l’Assemblée parlementaire,
la visite récente du Président Daems a véhiculé un message d’attention
et de solidarité louable et nécessaire.
5. Conclusions
68. Le respect des droits des personnes
LGBTI est un thème révélateur des attitudes culturelles et politiques et
un aspect important de la non-discrimination dans la législation
et les politiques d’un pays. Faire évoluer la situation exige donc
des efforts de longue haleine. L’introduction de mesures anti-discriminatoires
est indispensable, mais pas suffisante. L’autre aspect nécessaire
est une mise en œuvre effective de ces mesures, avec le soutien
de tous les secteurs de l’administration – de l’éducation nationale
aux forces de police et au secteur judiciaire, en coopération avec
la société civile et les industries culturelles. Je tiens à souligner que
les traditions culturelles et religieuses d’un pays ne devraient
pas être invoquées pour justifier des formes d’exclusion sociale,
voire de discrimination. Tous les membres de la société doivent
être en mesure d’exercer leurs droits, dont le droit au respect
de la vie privée et familiale, la liberté d’expression et la liberté
de pensée, de conscience et de religion. Il incombe à chaque État
membre du Conseil de l’Europe de respecter ces droits. La politique
a un rôle important à jouer dans l’identification du meilleur équilibre
entre les attentes et les droits des différentes composantes de
la société.
69. L’Assemblée parlementaire et le Conseil de l’Europe dans son
ensemble sont en mesure de faciliter cette tâche délicate, au moyen
de l’arsenal juridique qu’ils ont produit au cours des décennies
(à la fois par les textes contraignants et la «soft law» ou droit
souple), des programmes d’information et de sensibilisation et tout
aussi important, de leur fonction de forum permanent de réflexion
et de discussion en matière de droits humains.