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Rapport | Doc. 15438 | 10 janvier 2022

Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile du point de vue des droits humains

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Oleksii GONCHARENKO, Ukraine, CE/AD

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15181, Renvoi 4549 du 20 novembre 2020. 2022 - Première partie de session

Résumé

Le rapport salue l'engagement de l'Union européenne à mettre pleinement en œuvre les droits de l'homme en Europe dans toutes ses politiques en matière de migration et d'asile. Il soutient l'approche globale de la gestion des migrations irrégulières proposée dans le Pacte de l’Union européenne et l'introduction d'un mécanisme de réaction aux crises renforçant les dispositions en matière de solidarité, ce qui est extrêmement important dans la situation actuelle.

Ce rapport examine les cinq questions les plus urgentes en matière de droits de l'homme qui se posent du point de vue du cadre des droits de l'homme du Conseil de l'Europe: le filtrage, la détention et l'expulsion des immigrants, les procédures d'asile, la solidarité et les groupes vulnérables. Il considère que le Pacte proposé soulève des questions importantes pour la protection des droits de l'homme des migrants et des réfugiés.

Le rapport recommande aux États membres de l'Union européenne de s’accorder sur un système de relocalisation obligatoire, comme mesure de solidarité avec les pays frontaliers de l'Union européenne en donnant la priorité aux cas de regroupement familial et aux enfants migrants non accompagnés. Il invite également l'Union européenne à amender la proposition de règlement de filtrage du Pacte afin de s'assurer qu'elle inclut un recours suspensif efficace contre une catégorisation de filtrage incorrecte, et de répondre aux besoins des personnes en situation vulnérable en intégrant des considérations liées au handicap, à l'âge et au sexe, ainsi que des vulnérabilités liées à la santé et celles qui affectent les victimes de la traite des êtres humains et les femmes victimes de violence sexiste.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 24 novembre 2021.

(open)
1. Le 23 septembre 2020, la Commission européenne a publié une communication sur un nouveau Pacte sur la migration et l’asile, introduisant un certain nombre de propositions visant à améliorer les procédures de gestion de l’asile et des migrations en Europe, en particulier une procédure de gestion intégrée aux frontières extérieures (filtrage préalable à l’entrée menant à une procédure d’asile et/ou à une décision de retour rapide), un système de retour commun à l’Union européenne afin d’améliorer les procédures d’expulsion et un nouveau mécanisme de solidarité obligatoire. Si les propositions du Pacte s’adressent avant tout à l’Union européenne et à ses 27 États membres, sa conceptualisation de la gestion des migrations régionales est également pertinente pour l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe.
2. La récente crise politique en Afghanistan et une pression migratoire accrue aux frontières de l’Union européenne avec le Bélarus, encouragée par cet État, ont démontré qu’il convient de mettre en place de toute urgence un mécanisme efficace en vue de relever les défis découlant de la migration et de l’asile en Europe, qui soit pleinement compatible avec les obligations en matière de droits humains.
3. L’Assemblée parlementaire salue l’engagement de l’Union européenne d’intégrer pleinement les normes européennes relatives aux droits humains dans toutes ses politiques relatives à la migration et à l’asile et soutient ses efforts visant à mettre en avant un système d’asile et de migration plus humain et plus effectif. Elle soutient l’approche globale de la gestion des migrations illégales proposée dans le Pacte de l’Union européenne ainsi que l’introduction d’un mécanisme de réaction aux crises renforçant les dispositions de solidarité, ce qui est de la plus grande importance dans la situation actuelle.
4. L’Assemblée réitère l’obligation des États membres de l’Union européenne de mettre en œuvre la législation en vigueur de l’Union européenne relative à la migration et à l’asile, qui demeure applicable quelles que soient les propositions de réforme, et elle encourage les institutions de l’Union européenne à trouver un accord sur les principales propositions législatives du Pacte de l’Union européenne, tout en garantissant sa conformité avec les normes du Conseil de l’Europe comme faisant partie du Pacte.
5. Elle estime également que le nouveau système de gestion de l’asile et de la migration contribuera à minimiser les conséquences de la pandémie de covid-19 en Europe en réduisant la longueur des procédures et en fournissant aux États le financement d’urgence leur permettant de faire face à la covid-19 dans les structures d’accueil et les hôpitaux publics. Le Plan de préparation et de gestion de crise en matière de migration de l’Union européenne pourrait être un outil efficace pour les échanges d’informations entre États membres sur les réponses apportées à la pandémie en Europe.
6. L’Assemblée soutient pleinement les propositions visant à faciliter davantage les migrations économiques à différents niveaux de compétences et à protéger les travailleurs migrants de toute exploitation. Elle encourage l’Union européenne à accroître les voies d’accès légales, en particulier pour les pays du voisinage de l’Union européenne.
7. Parallèlement, l’Assemblée constate que les propositions incluses dans le Pacte sont très complexes et ne contribuent pas à une compréhension claire de la gestion proposée des frontières extérieures de l’Union européenne. La perspective que les procédures d’asile accélérées proposées réduiront la qualité et l’équité des procédures et donc entraîneront des taux de refus plus élevés ainsi que l’impossibilité pour les demandeurs d’asile et les réfugiés d’accéder aux garanties, notamment à une assistance juridique adéquate et à une procédure d’asile équitable et rapide, soulève des inquiétudes.
8. L'Assemblée estime qu'avant d'adopter les propositions du Pacte, la Commission européenne devrait procéder à une évaluation complète de la conformité, du point de vue des droits humains, de chaque mesure avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
9. L'Assemblée est d'avis que les procédures spéciales visant à protéger les personnes en situation de vulnérabilité devraient répondre aux besoins de ces personnes et intégrer le devoir de soutien accru au titre de leur obligation de protection des droits humains. Il s’agit notamment d’intégrer des considérations liées au handicap, à l’âge et au sexe, ainsi que des vulnérabilités liées à la santé ou qui touchent les victimes de la traite des êtres humains ainsi que les femmes victimes de violences sexistes. Cela doit se faire tout au long des procédures d’asile et de migration, principalement grâce au respect des dispositions relatives à la vulnérabilité énoncées dans la législation de l’Union européenne et la jurisprudence qui y est associée.
10. L’Assemblée estime qu’il est important de proposer des recommandations concrètes aux gouvernements des États membres de l’Union européenne sur la manière de s’assurer que les politiques européennes de migration contribuent au développement de la solidarité européenne, de la prospérité économique, du respect des droits humains et de la protection du bien-être pour tous. Elle recommande donc:
10.1. de modifier le Règlement sur le filtrage proposé dans le Pacte pour veiller à ce qu’il inclue une voie de recours suspensive effective contre toute catégorisation de filtrage incorrecte, de façon à respecter pleinement les obligations découlant du droit à un recours effectif (article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)). Le Règlement devrait aussi garantir l’accès à l’information, les droits des personnes soumises au filtrage, notamment l’accès à un avocat et le droit de contester toute décision, ainsi que la confidentialité et la protection des données collectées;
10.2. de veiller à ce que tout demandeur d’asile aux frontières de l’Union européenne ou relevant de sa juridiction ait accès à une procédure de détermination équitable et effective du bien-fondé de sa demande de protection internationale et bénéficie de cette procédure, dans le respect des obligations de non-refoulement. La fiction juridique que constitue la «non-entrée» devrait être supprimée afin de garantir l’accès à une procédure équitable pour tous;
10.3. de clarifier les dispositions relatives aux restrictions et à la privation de liberté, en particulier pendant la procédure de filtrage, afin de protéger les migrants et les demandeurs d’asile contre toute rétention illégale et de garantir leur conformité avec les obligations découlant du droit à la liberté (article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme), conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Des références explicites devraient être incluses dans les propositions du Pacte concernant l’utilisation de la rétention seulement comme mesure de dernier recours, avec des références claires à l’obligation d’œuvrer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’alternatives à la rétention des migrants. Les demandeurs d’asile et les réfugiés ne devraient pas être placés en rétention au seul motif de l'immigration;
10.4. de veiller à ce que tous les enfants de moins de 18 ans soient exemptés de toutes les procédures aux frontières proposées dans le cadre du Pacte, quel que soit leur âge, conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et aux obligations vis-à-vis des enfants, telles qu’elles sont inscrites dans la Convention relative aux droits de l’enfant; de même, aucun enfant (de moins de 18 ans) ne devrait être placé en rétention;
10.5. de convenir d’un système de relocalisation obligatoire comme mesure de solidarité, en donnant la priorité aux cas de regroupement familial et aux enfants migrants non accompagnés;
10.6. d’envisager la proposition autorisant les États à opter pour un mécanisme de «prise en charge des retours» plutôt que de relocaliser les personnes sur leurs propres territoires car cela pose de graves problèmes juridiques et de droits de l’homme;
10.7. de clarifier dans les propositions du Pacte quel soutien concret doit être mis à la disposition des personnes identifiées comme se trouvant en situation de vulnérabilité, notamment un soutien complet pour répondre aux besoins élémentaires en matière de santé et de protection sociale en tenant compte des vulnérabilités spécifiques. Il convient de faire référence aux obligations existantes concernant l’offre de garanties procédurales spéciales et de garanties spéciales en matière d’accueil des personnes vulnérables;
10.8. de s’assurer qu’une évaluation transversale des répercussions de ces propositions sur les femmes et les filles, ainsi que sur les garçons, en situation de vulnérabilité soit entreprise par l’Union européenne, en identifiant les différents impacts de ces propositions. Des propositions visant à remédier aux inégalités constatées devront être formulées;
10.9. d’effectuer un bilan transversal des propositions pour en déterminer la conformité avec les obligations envers les personnes handicapées, conformément aux obligations découlant de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées; en particulier, le devoir des États de fournir des aménagements raisonnables aux personnes handicapées devrait être explicitement inclus en tant qu’obligation;
10.10. d’introduire dans la législation nationale des dispositions juridiques spéciales interdisant l’incrimination des organisations non gouvernementales ou des personnes effectuant des opérations de recherche et de sauvetage en mer ou fournissant une aide humanitaire ou d’autres formes d’assistance aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés;
10.11. d’accroître la capacité des opérations de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée et de mettre en place des dispositifs prévisibles de débarquement dans des ports sûrs pour les personnes secourues;
10.12. de veiller à ce que les organisations non gouvernementales compétentes travaillant dans le domaine des migrations puissent fournir des informations et une assistance juridique et participer au contrôle des droits fondamentaux aux frontières. Cela comporte la possibilité pour ces organisations de se voir octroyer l’accès aux zones frontières et aux lieux de privation de liberté afin de fournir une assistance humanitaire ainsi que des conseils et une assistance juridique;
10.13. de veiller à ce que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) tout comme la nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’asile remplissent leurs fonctions respectives en respectant pleinement les droits fondamentaux.
11. L’Assemblée estime également que la Commission européenne devrait continuer à demander aux États membres de rendre des comptes sur le traitement qu’ils réservent aux migrants, demandeurs d’asile et réfugiés en exerçant pleinement les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du droit de l’Union européenne pour engager des procédures d’infraction ou prendre d’autres mesures moins strictes telles que le suivi, les recommandations, l’octroi et le retrait de financements, lorsque les États membres ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne l’interdiction du refoulement et les violences commises à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés aux frontières extérieures de l’Union européenne.
12. L’Assemblée se réjouit de la proposition de mettre en place des mécanismes de suivi indépendants au niveau national pour enquêter sur les allégations de violations des droits fondamentaux aux frontières. Compte tenu de la compétence du Conseil de l’Europe dans ce domaine, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à s’assurer que ces organes de suivi nationaux sont indépendants des autorités nationales, travaillent sur la base de mandats clairement définis, sont accessibles aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, prennent en compte les informations pertinentes fournies par les organisations internationales, les organisations non gouvernementales et les agences et institutions de l’Union européenne et agissent en conséquence. Par ailleurs, ces mécanismes de suivi devraient être dotés de ressources suffisantes pour exercer leurs fonctions et disposer d’un personnel bien formé, élaborer des rapports périodiques publics contenant des constats et des conclusions, incluant les mesures à prendre pour que les responsables de violations des droits fondamentaux soient tenus de rendre des comptes. Il est extrêmement important d’élargir le champ d’application du suivi de ces organes pour veiller à ce qu’ils puissent assurer le suivi des événements transfrontaliers et des activités de contrôle aux frontières.
13. L’Assemblée encourage la Commission européenne à envisager de soutenir davantage le développement de programmes de coopération avec le Conseil de l'Europe pour assurer un partage de connaissances cohérent entre les organes nationaux de suivi, afin de renforcer leur contribution à la mise en œuvre effective de la Convention européenne des droits de l'homme et d’autres instruments pertinents.

B. Exposé des motifs par M. Oleksii Goncharenko, rapporteur 
			(2) 
			J'aimerais remercier
la professeure Elspeth Guild, Professeure ad Personam à l’Université
Queen Mary de Londres et Professeure émérite à l’Université Radboud
(Pays-Bas), ainsi que Nicolette Busuttil, chercheuse doctorale (Faculté
de droit, Université Queen Mary de Londres) et conférencière invitée
en droit des réfugiés (Westminster Law School, Université de Westminster)
pour leur aide dans la préparation du présent rapport.

(open)

1. Introduction

1. Ces dernières années, d’intenses débats ont eu lieu sur les politiques de migration et d’asile de l’Union européenne. Les évènements de 2015, qui ont vu augmenter le nombre de personnes demandeuses de protection internationale au sein de l’Union européenne, et la réponse divisée de ses États membres de fournir cette protection, ont augmenté les appels pour une révision de la politique de l’Union européenne qui répondrait mieux aux défis actuels. Comme l’ont montré les récents événements en Afghanistan, un nombre important de réfugiés continuent de nécessiter une protection internationale en 2021, dont certains seront potentiellement accueillis par des États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. L’urgence d’une approche globale de la migration et de l’asile qui soit pleinement compatible avec les obligations en matière de droits humains se manifeste à travers la situation actuelle à la frontière entre la Lituanie et le Bélarus 
			(3) 
			Lettre de la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la Première ministre
de Lituanie: <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/lithuania-safeguards-in-asylum-procedures-and-preventing-pushbacks-should-be-central-to-response-to-migration-challenges'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/lithuania-safeguards-in-asylum-procedures-and-preventing-pushbacks-should-be-central-to-response-to-migration-challenges.</a>. Ces tensions géopolitiques permanentes à la frontière orientale de l’Union européenne font aussi partie du contexte qui entoure l’élaboration du Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile et la nécessité pour les États membres du Conseil de l’Europe de s’engager dans son développement.
2. Au niveau international, en 2018, à l’issue d’un processus de négociations intergouvernementales de deux ans visant à atteindre un consensus sur une approche contemporaine des migrations 
			(4) 
			UNGA, «Déclaration
de New York pour les réfugiés et les migrants», UN Doc. A/RES/71/1,
19.09.2016., nombre d’États – dont la plupart des États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe – ont confirmé leur engagement à défendre les droits humains des migrants et des réfugiés par le biais du Pacte mondial pour les réfugiés (PMR) et du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (PMM) 
			(5) 
			Pacte
mondial sur les réfugiés, <a href='https://www.unhcr.org/gcr/GCR_French.pdf'>UN doc A/73/12
(partie II)</a> (2 août 2018) ; Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées
et régulières, <a href='https://undocs.org/fr/A/RES/73/195'>UN doc A/RES/73/195</a> (19 décembre 2018)., les deux instruments pertinents des Nations Unies. Ils se sont engagés à protéger, promouvoir et remplir ces obligations telles qu’elles découlent des traités internationaux et régionaux antérieurs relatifs aux droits humains et ont réaffirmé leur volonté de gérer leurs frontières dans le plein respect de leurs responsabilités en matière de protection desdits droits. Les Pactes exposent de manière très détaillée la portée et le contenu matériel des obligations antérieures en matière de droits humains et leur confèrent une dimension, spécifique aux migrants, reflétant les défis particuliers liés à la migration. Ces deux Pactes sont ancrés dans des obligations antérieures en matière de protection des droits humains des réfugiés, telles qu’elles découlent de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés et, concernant les migrants, des principaux traités onusiens relatifs aux droits humains et autres instruments régionaux. Leurs principes directeurs incluent la non-discrimination et la non-régression.
3. Le Service européen pour l’action extérieure et la Commission européenne se sont pleinement engagés en novembre 2020 dans l’examen de la mise en œuvre des Pactes mondiaux au sein de l’Union européenne, lequel a débouché sur un rapport détaillé. Ceci témoigne de l’engagement des institutions de l’Union européenne en faveur de la réalisation des objectifs desdits Pactes. L’Assemblée parlementaire a également adopté ces Pactes et souligné le rôle de la coopération internationale dans leur mise en œuvre en tant qu’instruments visant à renforcer la protection des droits humains de tous les migrants et réfugiés. Elle a appelé les parlements nationaux de tous les États membres du Conseil de l’Europe à prendre des mesures en vue de l’adoption et de la mise en œuvre des Pactes, ainsi qu’à proposer des actions spécifiques visant à protéger et promouvoir les droits humains de toutes les personnes en déplacement, conformément aux normes internationales en matière de protection des droits humains, de démocratie et de prééminence du droit 
			(6) 
			Voir
la Résolution 2379 (2021) de l’Assemblée, «Le rôle des parlements dans la mise
en œuvre des Pactes mondiaux des Nations Unies pour les migrants
et réfugiés», adoptée le 28 mai 2021<a href=''>.</a>.
4. En septembre 2020, la Commission européenne, consciente que «le système actuel [d’asile et de migration de l’Union européenne] ne fonctionne plus» et qu’il est nécessaire de «proposer des solutions européennes communes pour relever un défi européen» 
			(7) 
			Commission européenne,
«Une nouvelle approche en matière de migration: instaurer un climat
de confiance et un nouvel équilibre entre responsabilité et solidarité», <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1706'>communiqué
de presse du 23 septembre 2020</a>., a publié sa proposition d’un nouveau Pacte sur la migration et l’asile (le Pacte), lequel contient:
a. une communication sur un Nouveau pacte sur la migration et l’asile 
			(8) 
			<a href='https://ec.europa.eu/info/publications/migration-and-asylum-package-new-pact-migration-and-asylum-documents-adopted-23-september-2020_fr'>https://ec.europa.eu/info/publications/migration-and-asylum-package-new-pact-migration-and-asylum-documents-adopted-23-september-2020_fr</a>. ;
b. une proposition de règlement introduisant le filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures (Règlement sur le filtrage) ;
c. une proposition révisée de règlement établissant une procédure commune en matière de protection internationale ;
d. une proposition de règlement sur la gestion de l’asile et de la migration ;
e. une recommandation relative à la coopération concernant les opérations menées par des navires appartenant à des entités privées, ou exploités par celles-ci, aux fins d’activités de recherche et de sauvetage ;
f. une proposition révisée de règlement sur la création d’Eurodac (un système automatisé de comparaison de données biométriques) ;
g. Une proposition de règlement relatif à la résolution des situations de crise et de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile ;
h. une recommandation de la Commission relative à un mécanisme de préparation et de gestion de crise en matière de migration (avant-projet) ;
i. des Orientations de la Commission sur la mise en œuvre des règles de l’Union européenne relatives à la définition et à la prévention de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers ;
j. une Recommandation de la Commission sur les voies légales d’accès à une protection dans l’Union européenne.
5. Même si les propositions du Pacte s’adressent avant tout à l’Union européenne et à ses 27 États membres, sa conceptualisation de la gestion de la migration régionale pourrait inspirer l’ensemble des membres du Conseil de l’Europe. En effet, non seulement les membres de ce dernier partagent des frontières avec des États de l’Union européenne, mais en outre le Conseil de l’Europe compte parmi ses valeurs essentielles le respect des droits humains de toute personne, y compris les migrants et réfugiés, se trouvant sur le continent européen. Face à des défis mondiaux, y compris l’impact récent de la pandémie de covid-19, l’Assemblée a invité l’Union européenne à promouvoir la solidarité parmi ses membres, à préserver l’accès à la procédure d’asile et à élargir et améliorer les voies de migration régulière 
			(9) 
			Résolution 2340 (2020) de l’Assemblée, «Les conséquences humanitaires de la
pandémie de covid-19 pour les migrants et les réfugiés».. Comme il est souligné dans le mandat du Représentant spécial du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés, la réalité des réfugiés et des migrants dans la région européenne nécessite un dialogue et une assistance continus entre États 
			(10) 
			<a href='https://rm.coe.int/mandate-of-the-secretary-general-s-special-representative-on-migration/16809ee0e1'>https://rm.coe.int/mandate-of-the-secretary-general-s-special-representative-on-migration/16809ee0e1.</a>. L’ensemble des 47 États membres du Conseil de l’Europe, y compris des juridictions non-membres de l’Union européenne, restent parfaitement à même de coopérer et de dialoguer avec l’Union européenne sur les questions liées aux migrations 
			(11) 
			Voir notamment <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a03444'>l’Appel
à l’unité et la solidarité en vue de répondre efficacement à une
crise sanitaire dans le plein respect des droits de l’homme lancé
par le Comité des Ministres lors de sa 130e session</a> tenue à Athènes en novembre 2020 et la décision adoptée
en mai 2019 sur la nécessité de continuer à relever les défis posés
par la migration mondiale (session du Comité des Ministres tenue
en 2019 à Helsinki).. Cette coopération pourrait porter ses fruits dans le cadre de discussions sur la solidarité, portant notamment sur celles relatives à la relocalisation et la réinstallation, et sur des mécanismes de gestion des migrations pleinement conformes à toutes les normes internationales et régionales pertinentes en matière de droits humains. À cet égard, la communication de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la Commission européenne a mis en évidence les principaux sujets de préoccupation relatifs à la protection des droits des migrants, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile, lesquels comprennent les refoulements et le refus d’accès à l’asile dans l’Union européenne et les autres États membres du Conseil de l’Europe 
			(12) 
			Lettre adressée à M. Schinas
et Mme Johansson (mars 2020), <a href='https://rm.coe.int/letter-to-mr-margaritis-schinas-vice-president-for-promoting-our-europ/16809cdcb4'>https://rm.coe.int/letter-to-mr-margaritis-schinas-vice-president-for-promoting-our-europ/16809cdcb4</a>. Voir aussi <a href='https://rm.coe.int/lives-saved-rights-protected-bridging-the-protection-gap-for-refugees-/168094eb87'>https://rm.coe.int/lives-saved-rights-protected-bridging-the-protection-gap-for-refugees-/168094eb87</a>.. Ce texte souligne également la volonté de la Commissaire de travailler en partenariat avec la Commission pour soutenir les efforts de solidarité auxquels participent les États membres du Conseil de l’Europe.
6. Le Pacte introduit une procédure intégrée aux frontières extérieures (filtrage préalable à l’entrée menant à une procédure d’asile et/ou à une décision rapide de retour rapide). Une attention particulière est accordée au traitement des groupes vulnérables, notamment celui des enfants migrants. Le Pacte établit également un système européen commun de retour afin d’améliorer les procédures d’expulsion, ainsi qu’un nouveau mécanisme de solidarité obligatoire. La Commission a demandé aux 27 États membres de l'Union européenne d'approuver rapidement l'ensemble des mesures. Toutefois, en septembre 2021, un accord provisoire n'avait été trouvé que sur deux mesures: une révision de la directive «carte bleue» sur l'admission des travailleurs hautement qualifiés (qui élargit légèrement les voies légales de l'immigration régulière) et la transformation du Bureau européen d'appui en matière d'asile en une Agence de l'Union européenne pour l'asile dotée d'un mandat renforcé, notamment en matière de renforcement des capacités dans les pays tiers (dont beaucoup seront des États du Conseil de l'Europe). Les principaux éléments du Pacte, notamment le règlement sur le filtrage, les modifications apportées aux procédures communes et le règlement sur la gestion (qui contient le nouveau mécanisme de «solidarité» pour la responsabilité des États membres à l'égard des demandeurs d'asile) sont loin de faire l'objet d'un consensus 
			(13) 
			Voir l’échange de lettres
du 1er juin 2021 entre les ministres en charge des questions migratoires
de l’Allemagne, de la France, de la Belgique, du Luxembourg, des
Pays-Bas et de la Suisse et le vice-président de la Commission européenne,
M. Schinas, critiquant le Gouvernement grec pour ne pas avoir respecté
les règles existantes du RAEC (Régime d’asile européen commun) et
la réponse du ministre grec du 4 juin 2021 au même vice-président
de la Commission réfutant ladite critique (document en possession
de l’auteur). Voir les divergences entre États membres sur la proposition
de règlement sur le filtrage préalable dans la compilation des commentaires
écrits. En réponse, la présidence portugaise a présenté une proposition
de compromis aux fins de discussion sous la présidence slovène (25
juin 2021): 
			(13) 
			<a href='https://drive.google.com/file/d/14sYsv__HarYvwES3qz6tDrnOYgTKvBk-/view'>https://drive.google.com/file/d/14sYsv__HarYvwES3qz6tDrnOYgTKvBk-/view</a>, 
			(13) 
			<a href='https://drive.google.com/file/d/1h_jzL8hoDvpcuuyTkL0H3HqGKDmOcyt4/view'>https://drive.google.com/file/d/1h_jzL8hoDvpcuuyTkL0H3HqGKDmOcyt4/view</a>.. Les États membres ne sont pas convaincus que le nouveau mécanisme de solidarité soit réalisable ou souhaitable; les États qui se considèrent en première ligne des arrivées ne sont pas satisfaits des propositions très complexes 
			(14) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/on-migration-pact-eu-may-finally-try-break-it-to-make-it-strategy/'>www.politico.eu/article/on-migration-pact-eu-may-finally-try-break-it-to-make-it-strategy/</a>, 8 juin 2021..
7. La publication du Pacte a suscité de nombreux commentaires. Certaines organisations internationales ont salué le Pacte comme une «nouvelle occasion de faire respecter les droits de l'homme dans la gouvernance des migrations» 
			(15) 
			Voir la déclaration
commune du Représentant spécial du Secrétaire général sur les migrations
et les réfugiés du Conseil de l’Europe et du Représentant régional
de l’Europe au Haut-Commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies, <a href='https://europe.ohchr.org/EN/Stories/Pages/JOINTSTATEMENT.aspx'>https://europe.ohchr.org/EN/Stories/Pages/JOINTSTATEMENT.aspx</a>. L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a salué certains éléments spécifiques, notamment ceux relatifs à l'identification rapide des personnes ayant besoin de protection, à la solidarité au sein de l'Union européenne, au renforcement du soutien aux groupes vulnérables et aux enfants, et à l'engagement en faveur d'un partage global des responsabilités. Dans ses recommandations visant à éclairer les négociations, le HCR a réaffirmé le rôle des obligations juridiques existantes, y compris le droit d'asile, en tant que normes clés qui restent applicables, indépendamment de certains éléments des propositions 
			(16) 
			Recommandations du
HCR aux présidences du Portugal et de la Slovénie au Conseil de
l’Union Européenne, Janvier 2021, <a href='https://www.refworld.org/docid/5ff4799d4.html'>www.refworld.org/docid/5ff4799d4.html</a>; HCR, Considérations pratiques pour des procédures frontalières justes
et rapides, et une Union Européenne solidaire, 15 Octobre 2020, <a href='https://www.refworld.org/docid/5f8838974.html'>www.refworld.org/docid/5f8838974.html</a>.. Tout en approuvant avec prudence certains éléments du Pacte, notamment la proposition de mécanisme de contrôle indépendant contenue dans la proposition de règlement de filtrage, une déclaration conjointe d'ONG internationales et nationales de premier plan a mis en évidence des préoccupations importantes en matière de droits de l'homme. La société civile a salué les références du Pacte aux migrations comme étant positives pour l'Europe, et comme un recadrage nécessaire, étant donné un paysage dominé, comme l'Assemblée l'avait précédemment noté, par une rhétorique particulièrement négative autour des migrations 
			(17) 
			Résolution 2175 (2017) de l’Assemblée, «Les migrations, une chance à saisir
pour le développement européen».. Pourtant, la société civile a conclu que cette vision positive des migrations n'était pas confirmée par les propositions. Au contraire, ces organisations notent que «le Pacte risque d'exacerber l'accent mis sur l'externalisation, la dissuasion, le confinement et le retour» 
			(18) 
			<a href='https://www.amnesty.eu/wp-content/uploads/2020/10/NGO-Statement-Pact-Oct-2020-FINAL.pdf'>www.amnesty.eu/wp-content/uploads/2020/10/NGO-Statement-Pact-Oct-2020-FINAL.pdf</a>. Concernant les enfants, voir aussi la déclaration conjointe
sur l’impact du Pacte sur les droits des enfants (Décembre 2020): <a href='https://reliefweb.int/report/world/joint-statement-impact-pact-migration-and-asylum-children-migration'>https://reliefweb.int/report/world/joint-statement-impact-pact-migration-and-asylum-children-migration</a>.. L'analyse article par article des instruments par le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (CERE) illustre les limites du Pacte et leur impact délétère probable sur les niveaux de protection des droits de l'homme 
			(19) 
			<a href='https://www.ecre.org/ecre-publications/comments-papers/'>www.ecre.org/ecre-publications/comments-papers/.</a>.

2. Normes internationales pertinentes

8. Le cadre du droit international des droits humains décrit les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels reconnus à tout être humain, quel que soit son statut migratoire 
			(20) 
			Déclaration
universelle des droits de l’homme, Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels.. Les réfugiés sont protégés par un traité spécifique – la Convention des Nations unies sur les réfugiés – qui les protège contre le retour dans des États où ils risquent d’être persécutés en raison de leur identité ou de leurs convictions et qui établit leurs droits dans un certain nombre de domaines, notamment le séjour, l’éducation et l’accès au marché du travail. D'autres traités des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme traitent des droits de groupes spécifiques, tels que les enfants, les femmes et les jeunes filles ou les personnes handicapées 
			(21) 
			Convention
des Nations unies relative aux droits de l’enfant, Convention des
Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard
des femmes, Convention des Nations unies relative aux droits des
personnes handicapées.. Ces instruments reflètent la manière dont les États peuvent être amenés à assumer des obligations accrues à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité, y compris des obligations de soutien, afin de garantir la mise en place de droits de manière concrète et effective – plutôt que théorique et illusoire. Ces engagements ont été pleinement réaffirmés en décembre 2018 dans le cadre de l’adoption des Pactes mondiaux qui ajoutent trois obligations importantes en matière de réalisation des droits des migrants et des réfugiés: la pleine adhésion aux normes relatives aux droits humains, la pleine application du principe de non-discrimination et le respect de la règle de non-régression. Compte tenu de cet engagement, le Pacte de l'Union européenne doit également être examiné en se posant la question de savoir s’il entraînera une diminution des droits des migrants et des réfugiés par rapport à la situation actuelle. Si tel était le cas, ses propositions ne seraient pas conformes à l’obligation de non-régression énoncée dans les Pactes mondiaux.
9. Dans le contexte européen, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé à plusieurs reprises que la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) protège également les droits humains des migrants et des réfugiés. Lorsqu’elle examine le traitement réservé par les États membres à cette population, la Cour réaffirme systématiquement l’importance pour les États en cause d’exercer leurs politiques de migration et d’asile conformément à leurs obligations en matière de protection desdits droits et condamne l’invocation par les juridictions en cause de crises – financières ou administratives – pour justifier le non-respect de leurs obligations 
			(22) 
			Voir, par exemple, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>M.S.S. c.
Belgique & Grèce</a>, requête no 30696/09
(Cour européenne des droits de l’homme 2011).. L’interprétation judiciaire de l’interdiction du refoulement conforte le caractère absolu de l’obligation pour les États de ne pas expulser des individus lorsqu’une telle mesure exposerait les intéressés à un risque réel de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants 
			(23) 
			Dans
le droit international des réfugiés et le droit international des
droits humains, le non-refoulement désigne l’interdiction de renvoyer
une personne vers un État où elle craint avec raison d’être persécutée
pour les motifs énoncés dans la Convention sur les réfugiés ou bien
où il existe un risque réel qu’elle soit soumise à la torture (en
violation de la Convention des Nations unies contre la torture),
à une disparition forcée (en violation de la Convention des Nations
Unies contre les disparitions forcées) ou à des traitements cruels,
inhumains ou dégradants (en violation de la Convention européenne
des droits de l’homme).. La Cour a également souligné le rôle des États dans la fabrication et l’exacerbation de la vulnérabilité des migrants et des réfugiés, en démontrant comment des lois, politiques ou pratiques restrictives peuvent empêcher ces personnes de jouir effectivement de leurs droits 
			(24) 
			Voir
l’arrêt <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>M.S.S.
c. Belgique & Grèce</a>, op. cit..
10. Le droit européen prévoit également que le contrôle de l’immigration ne peut être exercé que dans le respect des obligations en matière de droits fondamentaux. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la Charte de l’Union européenne) énumère les droits qui engagent les États membres de l’Union lorsqu’ils agissent dans le cadre du droit communautaire, y compris leur traitement des migrants et des réfugiés, et intègre les droits énoncés dans la Convention. En ce qui concerne l’asile, le Régime d’asile européen commun (RAEC) est censé respecter intégralement la Convention sur les réfugiés, l’obligation de non-refoulement et les «autres traités pertinents» au sein desquels la Convention occupe une place essentielle. Le RAEC est axé sur le respect des droits fondamentaux parmi lesquels les obligations imposées par le droit international des droits humains et plus particulièrement celles découlant de la Convention 
			(25) 
			Voir l’article 6 du <a href='https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF'>Traité
sur l’Union européenne</a>.. Le RAEC établit des normes communes en ce qui concerne l’éligibilité à la protection internationale et le contenu de cette protection, les conditions d’accueil des personnes demandant une protection internationale, la répartition des responsabilités entre les États membres de l’Union européenne en matière d’examen desdites demandes et les procédures à suivre pour rendre une décision au cas par cas 
			(26) 
			Le Régime d’asile européen
commun est un ensemble d’instruments législatifs qui comprend la
Directive «Qualification», le Règlement Dublin III, la Directive
sur les conditions d’accueil, la Directive sur les procédures d’asile
et le Règlement Eurodac. Pour plus de détails, voir: 
			(26) 
			<a href='https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/default/files/e-library/docs/ceas-fact-sheets/ceas_factsheet_fr.pdf'>https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/default/files/e-library/docs/ceas-fact-sheets/ceas_factsheet_fr.pdf</a>..
11. Dans ce cadre, la Commission européenne joue un rôle spécifique dans la promotion de la conformité des États membres au RAEC et aux obligations en matière de droits humains. En tant que «gardienne» du droit communautaire, la Commission a le pouvoir de prendre des mesures légales contre des États membres dans des circonstances spécifiques; elle doit le faire si elle estime qu’un État membre n’a pas rempli une obligation en vertu des traités de l’Union européenne 
			(27) 
			Voir articles 258 et
260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE);
Commission européenne, <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_12_12'>Infractions:
foire aux questions (europa.eu)</a>; <a href='https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/applying-eu-law/infringement-procedure_fr'>Infringement
procedure | Commission européenne (europa.eu).</a>. Compte tenu des lacunes largement reconnues qui existent entre la mise en œuvre des obligations découlant du RAEC et la situation dans les États membres 
			(28) 
			Voir, par exemple,
CERE, ‘Asylum Information Database: AIDA’ <a href='https://asylumineurope.org/reports/'>https://asylumineurope.org/reports/</a>; Human Rights Watch «Union européenne: événements de
2019», <a href='https://www.hrw.org/fr/world-report/2020/country-chapters/336435'>www.hrw.org/fr/world-report/2020/country-chapters/336435.</a>, la Commission peut mettre en place des procédures d’infraction contre les États membres concernés 
			(29) 
			CERE, «Making the CEAS
Work, Starting Today», (2019) <a href='https://www.ecre.org/wp-content/uploads/2019/10/PN_22.pdf'>www.ecre.org/wp-content/uploads/2019/10/PN_22.pdf</a>, 4.. Ce pouvoir a été exercé à plusieurs reprises dans le domaine de la migration et de l’asile 
			(30) 
			Commission européenne,
«La Commission saisit la Cour d’un recours contre la Hongrie pour
incrimination des activités de soutien aux demandeurs d’asile et
ouvre une nouvelle procédure d’infraction pour refus de nourriture
dans les zones de transit»: <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_19_4260'>https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_19_4260</a>; CERE, «Hungary: Facing Fifth Infringement Procedure
Related to Asylum Since 2015», <a href='https://ecre.org/hungary-facing-fifth-infringement-procedure-related-to-asylum-since-2015/'>https://ecre.org/hungary-facing-fifth-infringement-procedure-related-to-asylum-since-2015/</a>;<a href='https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/applying-eu-law/infringement-procedure/2020-annual-report-monitoring-application-eu-law/migration-home-affairs_en'>https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/applying-eu-law/infringement-procedure/2020-annual-report-monitoring-application-eu-law/migration-home-affairs_en.</a>. Cela a conduit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à estimer que certaines législations, politiques et pratiques nationales étaient incompatibles avec les obligations des États membres vis-à-vis des réfugiés 
			(31) 
			C-808/18, Commission
v. Hongrie ECLI:EU:C:2020:1029.. Ainsi, avant même la négociation et l’adoption des propositions du Pacte, la Commission continue de jouer un rôle important pour tenir les États membres pour responsables et garantir que les droits humains des réfugiés et des migrants seront respectés grâce à la mise en œuvre des obligations existantes en matière de droits fondamentaux.

3. Principales préoccupations en matière de droits de l'homme soulevées par le Pacte

12. Ce rapport examine cinq domaines thématiques à la lumière du cadre global des droits de l'homme et considère que le Pacte proposé soulève des questions importantes pour la protection des droits de l'homme des migrants et des réfugiés: Il s'agit du filtrage, de la détention et de l'expulsion des immigrants, des procédures d'asile, de la solidarité et des groupes vulnérables.

3.1. Le filtrage

13. La proposition de règlement introduit une phase de filtrage pour les ressortissants de pays tiers à la frontière extérieure de l'Union européenne (et sur le territoire de l'Union européenne lorsque la personne n'est pas en mesure d'établir une entrée régulière). Elle présente le filtrage comme «une simple étape de collecte d'informations qui prolonge ou complète les vérifications au point de passage de la frontière extérieure et qui n'entraîne aucune décision affectant les droits de la personne» 
			(32) 
			Proposition
de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un
filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures
et modifiant les règlements (CE) n°767/2008, (UE) 2017/2226, (UE)
2018/1240 et (UE) 2019/817, COM(2020) 612 final (23 Septembre 2020), <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=COM%3A2020%3A612%3AFIN'>https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=COM%3A2020%3A612%3AFIN</a>, pages 12-13.. En conséquence, en lieu et place d’un droit de recours contre un filtrage incorrect, la proposition introduit une innovation par rapport au RAEC – le devoir pour les États membres de mettre en place un organisme national de suivi indépendant pour veiller au respect des droits fondamentaux. Ce mécanisme de suivi a été accueilli avec prudence par un certain nombre d’acteurs, dont des organisations internationales 
			(33) 
			HCDC, <a href='https://europe.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=2596&LangID=E'>https://europe.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=2596&LangID=E.</a> et d’autres, qui ont émis des réserves quant à sa portée 
			(34) 
			Étude
pour la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires
intérieures du Parlement européen, «The European Commission’s Legislative
Proposals in the New Pact on Migration and Asylum», juillet 2021,
PE 697.130.. La Cour européenne des droits de l’homme prend fréquemment en compte les rapports des mécanismes de suivi indépendants lorsqu’elle examine la situation dans un pays où une allégation de violations des droits de l’homme a eu lieu. 
			(35) 
			De Beco, Gauthier,
ed. Human rights monitoring mechanisms
of the Council of Europe. Routledge, 2012. Mais elle a aussi toujours estimé que le droit à un recours effectif inscrit à l’article 13 de la Convention doit être respecté et qu’il s’agit d’un droit individuel. À moins qu’un mécanisme de suivi ne soit doté des pouvoirs et attributs d’un tribunal ou d’une cour, il ne sera pas en mesure de proposer une voie de recours au sens de l’article 13 de la Convention.
14. Les erreurs de filtrage peuvent aboutir à de graves préjudices pour les individus. Ainsi, un enfant considéré comme un adulte à l’issue d’une erreur de filtrage peut être placé en rétention avec des adultes et ne bénéficiera pas des garanties supplémentaires ni de l’assistance applicables aux enfants. Si l’enfant n’est pas en mesure de formuler clairement une demande de protection internationale, il risque d’être orienté vers une procédure de retour accélérée et d’être refoulé. Un autre exemple est celui d’une femme afghane considérée à tort comme pakistanaise après le filtrage, car elle était née dans un camp de réfugiés afghans au Pakistan (ce qui ne lui confère pas la nationalité pakistanaise). Elle risque d’être soumise à une procédure tronquée concernant le pays d’origine sûr en raison d’une décision de filtrage incorrecte. Des problèmes similaires à ces exemples ont fréquemment été rencontrés en 2015-2016 lorsque la Commission a demandé à la Grèce et à l’Italie de mettre en place des hotspots où un filtrage avait lieu avant l’accès à une procédure de protection. Des universitaires ont rassemblé les preuves de nombreux problèmes et erreurs de filtrage qui se sont produits et des préjudices causés aux individus en raison de l’absence de procédures de recours 
			(36) 
			D’Angelo, Alessio.
«Italy: the ‘illegality factory’? Theory and practice of refugees’
reception in Sicily», Journal of Ethnic
and Migration Studies 45.12 (2019): 2213-2226..

3.2. Rétention et expulsion

15. Le recours probablement accru à la rétention des migrants envisagé dans le Pacte est discutable au regard du droit à la liberté tel qu’il est protégé par le droit international et européen des droits humains 
			(37) 
			Pour un aperçu de l’article
5 de la jurisprudence de la Cour, voir: <a href='https://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_5_FRA.pdf'>www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_5_FRA.pdf</a>; dans le contexte de l’Union européenne, voir C-924/19
PPU <a href='https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=226495&text=&dir=&doclang=FR&part=1&occ=first&mode=DOC&pageIndex=0&cid=409119'>https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=226495&text=&dir=&doclang=FR&part=1&occ=first&mode=DOC&pageIndex=0&cid=409119.</a> ECLI:EU:C:2020:367.. Les effets délétères de la rétention des migrants ne sont plus à démontrer. La rétention affecte de manière significative la jouissance d’autres droits par les migrants et les réfugiés et elle a un impact documenté sur la santé mentale 
			(38) 
			Voir,
par exemple, von Werthern M, Robjant K, Chui Z, Schon R, Ottisova
L, Mason C, Katona C, «The impact of immigration detention on mental
health: a systematic review», BMC Psychiatry, 6 Décembre 2018;18(1):382: <a href='https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30522460/'>https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30522460/.
Mary Bosworth</a>, «The impact of immigration detention on mental health:
A literature review», Appendix 5, «Review into the Welfare in Detention
of Vulnerable Persons: A report to the Home Office by Stephen Shaw»,
janvier 2016.. Elle porte préjudice à la capacité des individus à accéder à une assistance juridique, à s'engager dans les procédures d'immigration et d'asile, et exacerbe les vulnérabilités existantes 
			(39) 
			S Grant,
«Immigration Detention: Some Issues on Inequality», (2011) 7 The
Equal Rights Review, 69: <a href='https://www.corteidh.or.cr/tablas/r27135.pdf'>www.corteidh.or.cr/tablas/r27135.pdf;</a> JRS Europe, «Becoming Vulnerable in Detention» (2011): <a href='https://jrseurope.org/wp-content/uploads/sites/19/2020/07/JRS-Europe_Becoming-Vulnerable-In-Detention_June-2010_PUBLIC.pdf'>https://jrseurope.org/wp-content/uploads/sites/19/2020/07/JRS-Europe_Becoming-Vulnerable-In-Detention_June-2010_PUBLIC.pdf.</a>.
16. Néanmoins, la rétention des migrants est mentionnée implicitement ou explicitement dans bon nombre de dispositions du Pacte. Cette expansion probable du recours à la détention semble incompatible avec les obligations en matière de droits de l'homme et avec l'évolution du droit international des droits de l’homme vers un recours à la détention en dernier ressort. Le flou entourant la rétention dans les propositions risque de banaliser la rétention des migrants au point que cette pratique pourrait devenir la règle plutôt que l’exception 
			(40) 
			L’utilisation de la
détention comme outil de gestion de la migration où la détention
des migrants est la norme plutôt que l’exception est déjà un problème
majeur. CICR, Document d’orientation sur la détention des migrants,
Novembre 2017: <a href='https://www.icrc.org/fr/download/file/60503/detention-migrants-cicr.pdf'>www.icrc.org/fr/download/file/60503/detention-migrants-cicr.pdf</a>: 
			(40) 
			Deuxième commentaire du CICR sur le pacte
Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, juillet 2017: <a href='https://www.icrc.org/fr/download/file/64028/deuxieme-commentaire-pacte-mondial-migrations-cicr.pdf'>www.icrc.org/fr/download/file/64028/deuxieme-commentaire-pacte-mondial-migrations-cicr.pdf.</a>. Pourtant, comme l'affirment les Pactes mondiaux, la communauté internationale s'est engagée à réduire le recours à la rétention des immigrants; la détention ne devrait être utilisée qu'en dernier recours, les alternatives à la rétention poursuivies avec diligence.
17. Les préoccupations relatives à l'utilisation de la rétention sont évidentes dans les procédures de pré-entrée envisagées dans le Pacte. Bien que le règlement de filtrage proposé ne sanctionne pas explicitement la rétention, son utilisation est implicite tout au long de la procédure, d'un point de vue logistique, il est probable qu'une certaine forme de rétention – en droit ou en fait – sera utilisée. L'analyse d'impact horizontale de substitution sur les propositions, commandée par le Parlement européen, conclut que «les procédures de pré-entrée peuvent impliquer un recours excessif à la rétention» 
			(41) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2021/694210/EPRS_STU(2021)694210_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2021/694210/EPRS_STU(2021)694210_EN.pdf</a>, page 55.. Par exemple, la proposition fait référence à l'obligation faite aux personnes soumises à la procédure de filtrage de «rester dans les locaux désignés pendant toute la durée de la procédure» (article 9.1.b). Pour les personnes orientées vers une procédure d’asile à la frontière, la proposition modifiée de Règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale prévoit que ces personnes doivent également rester à la frontière extérieure ou dans des zones de transit ou à proximité de ces endroits en attendant qu’il soit statué sur leur demande d’asile ou leur retour (article 41.13) 
			(42) 
			Proposition modifiée
de Règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une
procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union
et abrogeant la directive 2013/32/UE, COM(2020) 611 final, <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020PC0611&from=EN'>https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020PC0611&from=EN.</a>. Bien que ces dispositifs ne soient pas définis, les observateurs soulignent le «risque élevé» de «détention de facto, les détenus étant privés des garanties qui s'appliquent dans les régimes de détention formels» 
			(43) 
			Voir la Note de politique
n°30 du CERE, «<a href='https://www.ecre.org/wp-content/uploads/2020/12/Policy-Note-30.pdf'>Screening
Out Rights? Delays, Detention, Data Concerns and the EU’s Proposal
for a Pre-Entry Screening Process »</a>, page 3.. Le risque de régimes de détention informels qui restreignent le droit à la liberté et ont des effets néfastes en cascade sur la jouissance d'autres droits est important.
18. Le recours à la rétention est étroitement lié à l’expulsion. La Communication 2020 de la Commission européenne souligne l’importance «d’[u]n système européen de retour efficace et commun» 
			(44) 
			COM (2020) 609 final. . L’exposé des motifs du Règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union souligne la nécessité «d’établir une continuité entre les procédures d’asile et de retour afin d’accroître l’efficacité globale et la cohérence du système d’asile et de migration» 
			(45) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020PC0611&from=EN'>Proposition
de Règlement instituant une procédure commune en matière de protection
internationale dans l’Union</a>, COM(2020) 611 final, exposé des motifs, page 3.. Cependant, la conception d’une procédure intégrée d’asile et de retour – qui semble subordonner le respect des obligations des États en matière de protection à la focalisation sur le retour – soulève des problèmes considérables en matière de droits fondamentaux, notamment ceux liés au droit d’asile (article 18 de la Charte de l’Union européenne) et aux obligations de non-refoulement (articles 4 et 19 de la Charte de l’Union européenne, article 3 de la Convention).
19. Pour exemple, une procédure de retour à la frontière est envisagée sous proposition du Règlement et s’applique aux personnes retenues à la frontière pendant la procédure d’asile qui n’ont plus le droit de rester et ne sont pas autorisées à rester. La poursuite de la rétention de ces personnes est possible afin d’empêcher leur entrée sur le territoire de l’État membre, de préparer leur retour ou d’exécuter la procédure d’éloignement (article 41a, paragraphe 5). Cependant, cette disposition ne fournit pas de motifs clairs et spécifiques de rétention. Il n'y a pas non plus de référence à l'utilisation de la détention comme dernier recours après une évaluation préalable de la nécessité et de la proportionnalité, conformément aux obligations du droit international et européen. Des questions similaires se posent en ce qui concerne le recours à la rétention dans le cadre du «parrainage du retour», qui est l'une des modalités de solidarité entre les États membres proposées dans le Pacte. La proposition de régulation sur l'asile et la gestion des migrations prévoit que ces demandeurs peuvent être détenus jusqu'à huit mois. Si le retour n'a pas lieu pendant cette période, la personne est transférée vers l'État membre responsable, mais il n'est pas précisé si, et pour combien de temps, la détention se poursuivra après le transfert.

3.3. Procédures d'asile

20. Les modalités d’accès à la procédure d’asile constituent l’une des questions les plus contestées du Pacte 
			(46) 
			Voir,
par exemple, les commentaires du HCR sur les conséquences des procédures
frontalières, <a href='https://www.refworld.org/pdfid/5f8838974.pdf'>www.refworld.org/pdfid/5f8838974.pdf</a>.. Elles incluent des recommandations pour une plus grande coopération avec les États tiers afin d’empêcher l’arrivée irrégulière de personnes dans l’Union européenne (par exemple, sur de petites embarcations peu sûres). Cette inclusion découle de la proposition du Pacte de réglementer les activités de recherche et de sauvetage du secteur privé (ONG) suscitées par l’inefficacité de l’action des États en la matière. L’accent mis sur la prévention de l’arrivée semble prendre le pas sur le droit au non-refoulement. Cette orientation se traduit par un recours accru à des procédures d’asile raccourcies, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à la compatibilité de ces dernières avec les obligations de non-refoulement des États. Les procédures accélérées limitent la capacité des demandeurs à étayer leur demande de protection et ont un effet négatif sur les survivants d’actes de torture et les personnes présentant des besoins de soutien supplémentaires, lesquelles devraient bénéficier d’un examen attentif de leur demande. Le recours accru aux dérogations à la procédure d’asile, qui permet de faire l’impasse sur les principales garanties procédurales en temps de crise, est particulièrement problématique.
21. Parmi les questions les plus difficiles pour les pays du Conseil de l'Europe figure l'externalisation des procédures d'asile. Ces derniers devront donc travailler de concert avec les pays voisins pour éviter que des demandeurs d’asile désireux d’arriver dans l’Union européenne restent bloqués dans un pays limitrophe (souvent membre du Conseil de l’Europe). Les problèmes découlant de cette situation ont été examinés dans un rapport de l’Assemblée datant de 2007 
			(47) 
			Résolution 1569 (2007) de l’Assemblée, «Une évaluation des centres de transit et de traitement
en tant que réponse aux flux mixtes de migrants et de demandeurs
d’asile».. À l’époque, l’Assemblée avait noté les conséquences négatives d’une telle externalisation sur les droits humains, révélées par les expériences menées par les États-Unis à Guantanamo, Cuba et par l’Australie en Papouasie-Nouvelle-Guinée (et à Nauru). En 2018, l’Assemblée avait relevé que la réduction du nombre de migrants entrant en Europe à la suite des politiques d’externalisation de l’Union européenne impliquant des pays tiers dans la gestion des migrations avait été obtenue au détriment des droits des demandeurs d’asile 
			(48) 
			Résolution 2228 (2018) de l’Assemblée, «Conséquences pour les droits de l’homme de la “dimension
extérieure” de la politique d’asile et de migration de l’Union européenne:
loin des yeux, loin des droits?».. Le 3 juin 2021, le Parlement danois a voté le transfert de ses demandeurs d’asile et l’externalisation des demandes d’asile pour qu’elles soient traitées en dehors du Danemark, mais vers une destination restant à déterminer 
			(49) 
			<a href='https://www.euronews.com/2021/06/03/denmark-passes-a-law-to-send-its-asylum-seekers-outside-of-europe'>www.euronews.com/2021/06/03/denmark-passes-a-law-to-send-its-asylum-seekers-outside-of-europe.</a>. Pourtant, dans le même temps, l’Australie – qui a été l’un des principaux architectes et partisans de cette délocalisation des demandeurs d’asile (et qui, à ce titre, s’était attirée les foudres des défenseurs des droits humains) 
			(50) 
			<a href='https://undocs.org/fr/A/HRC/28/68'>Rapport du Rapporteur
spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants</a>, Juan E.Méndez A/HRC/28/68, 5 mars 2015; HCR, «<a href='https://www.refworld.org/docid/60b115604.html'>Note
on the Externalization' of International Protection</a>», 28 mai 2021. – serait sur le point d’abandonner son dispositif 
			(51) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/doubts-australia-offshore-handling-refugees/'>www.politico.eu/article/doubts-australia-offshore-handling-refugees/</a>, 21 juin 2021..
22. La Commission européenne a proposé en 2016 des changements aux procédures d’asile, lesquels n’ont pas encore été approuvés par ses États membres. Le Pacte comprend des modifications de cette proposition visant à renforcer les liens entre les procédures d’asile et la procédure de retour européenne (qui comprend les retours à la frontière et les retours au titre de la Directive pertinente). Toutes ces propositions vont dans le sens d’une accélération des procédures d’asile, d’un lien avec le retour et d’une limitation des droits de recours. Elles ont des implications sur le non-refoulement et l’application correcte des articles 3 et 13 de la Convention (interdiction du retour vers un État où l’individu en cause risque la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants et droit à un recours effectif). La justification de ces changements défavorables aux demandeurs d’asile est qu’en moyenne 370 000 demandes d’asile sont rejetées chaque année et que les personnes en cause doivent être transférées dans le cadre de procédures de retour (COM(2020)611, page 2). Pourtant, selon l’Office statistique de l’Union européenne, Eurostat, 521 000 décisions sur des demandes d’asile ont été rendues en première instance dans les États membres de l’Union européenne et 232 800 autres décisions définitives ont été rendues à la suite d’un appel ou d’un réexamen. Les décisions rendues en première instance ont abouti à l’octroi du statut de protection à 211  800 personnes, tandis que 69  200 autres n’ont obtenu ce même statut qu’à l’issue d’un appel ou d’une demande de révision de leur cas 
			(52) 
			<a href='https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Asylum_statistics&action=statexp-seat&lang=fr'>Statistics
Explained (europa.eu)</a>. En d’autres termes, parmi les demandeurs reconnus comme ayant besoin d’une protection internationale dans l’Union européenne, environ un tiers a vu sa demande rejetée en première instance. S’ils n’avaient pas eu accès à une procédure assortie d’un droit d’appel suspensif, ces demandeurs auraient été renvoyés vers une juridiction où ils risquent la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, en violation des obligations de non-refoulement de l’Union européenne. En 2020, des procédures d’asile équitables assorties d’un droit de recours suspensif ont par conséquent constitué une question de vie ou de mort pour près de 70  000 personnes dans l’Union européenne (soit près d’un tiers du total des personnes ayant obtenu une protection internationale).
23. Pourtant, ce sont exactement ces droits de recours suspensifs qui sont compromis dans le Pacte. Entre l’absence totale de droit de recours dans la procédure de filtrage et des procédures d’asile à la frontière raccourcies et accélérées – l’accès à une procédure équitable est menacé, malgré la déclaration du Pacte selon laquelle «toutes les garanties nécessaires sont toutefois en place pour veiller à ce que personne ne passe entre les mailles du filet et à ce que le droit d’asile soit toujours garanti.» (page 7) et que «[l]e droit à un recours effectif est garanti de manière adéquate, puisque ce n’est que dans des cas dûment justifiés énoncés dans le présent règlement, dans lesquels sa demande est susceptible d’être infondée, que le demandeur n’est pas automatiquement autorisé à séjourner dans l’Union européenne pour les besoins de son recours» (page 12). Les droits d'appel existent mais n'ont pas d'effet suspensif, la personne peut être renvoyée dans le pays d'où elle a déclaré craindre avec raison d'être persécutée ou torturée.
24. En outre, le Pacte propose un nouveau motif d’application d’une procédure accélérée, lequel se fonde sur le taux de réussite des précédents demandeurs du même pays (qui doit dépasser le seuil de 20 %). Ledit critère a été fortement critiqué par le HCR qui le juge à la fois arbitraire et injuste. Arbitraire parce que les taux de reconnaissance des demandeurs d’asile d’un même pays varient considérablement d’un État membre de l’Union européenne à l’autre (par exemple, un taux de reconnaissance de 1 % pour les réfugiés syriens dans un État et un taux de 95 % dans un autre) et injuste parce qu’il fait reposer les chances d’une procédure d’asile équitable et complète sur un chiffre statistique relatif aux demandes antérieures et non sur les circonstances individuelles de la personne en quête de protection.
25. Le nombre de personnes qui se noient en Méditerranée en tentant d’atteindre l’Union européenne est également un sujet de préoccupation pour le Pacte, d’autant plus qu’une grande partie des intéressés, s’ils en avaient eu la possibilité, aurait demandé une protection internationale. Le défi de la recherche, du sauvetage et du débarquement en Méditerranée orientale, en particulier, préoccupe gravement la communauté internationale. L’Assemblée a dénoncé à plusieurs reprises les pertes de vie en mer des migrants et réfugiés qui tentent de gagner les côtes européennes. Elle a appelé les États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe à agir conformément aux obligations légales et a qualifié le sauvetage des personnes en danger de condition préalable à la mise en œuvre du respect de la vie humaine et de l’assistance aux personnes en danger de mort 
			(53) 
			Résolution 2305 (2019) de l’Assemblée, «Sauver des vies en Méditerranée: le
besoin d’une réponse urgente»;  Résolution 2229 (2018) de l’Assemblée, «Obligations internationales des États
membres du Conseil de l’Europe de protéger les vies en mer».. Si le Pacte comporte une nouvelle Recommandation (2020/1365) relative à la coopération entre les États membres en ce qui concerne les opérations effectuées par des bateaux détenus ou exploités par des entités privées aux fins d’activités de recherche et de sauvetage, aucune action concrète n’est prévue pour éviter de nouvelles pertes en vies humaines. Au contraire, ladite Recommandation établit un lien entre les efforts courageux des acteurs humanitaires pour mener des opérations de recherche et de sauvetage en mer (comblant ainsi les carences des autorités étatiques ayant manqué à leurs obligations en la matière) et la lutte contre le trafic illicite de migrants et les organisations criminelles de passeurs. Si la lutte contre le trafic illicite et la traite des êtres humains constitue un objectif important du Conseil de l’Europe, ternir la réputation des acteurs humanitaires européens qui risquent leur vie pour effectuer des opérations de recherche et de sauvetage en mer en les assimilant à des complices de ces gangs est indigne d’une institution européenne. Il incomberait plutôt aux États de l’Union européenne, au lieu de recommander une coopération entre États pour réglementer le secteur humanitaire de lancer – dans l’esprit de la protection des droits humains et conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(54) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Hirsi Jamaa
et autres c. Italie</a>, requête n°27765/09
(Cour européenne de droits de l’homme, 2012). – des actions de recherche et de sauvetage comparables à l’opération «Mare Nostrum» menée par l’Italie (laquelle a débuté en 2013 et s’est poursuivie pendant un an) 
			(55) 
			<a href='https://www.marina.difesa.it/EN/operations/Pagine/MareNostrum.aspx'>www.marina.difesa.it/EN/operations/Pagine/MareNostrum.aspx</a>.. La suggestion selon laquelle la solution consistant à confier la recherche et le sauvetage aux garde-côtes libyens à charge pour eux de débarquer les personnes secourues en Libye serait conforme aux normes européennes ou internationales en matière de droits humains a été catégoriquement réfutée par le HCR sur la base de la situation concrète des migrants et des réfugiés en Libye 
			(56) 
			<a href='https://www.unhcr.org/libya.html'>www.unhcr.org/libya.html.</a>.
26. L’accent mis sur la nécessité de prévenir les arrivées, d’accorder la priorité au retour et de répartir les demandeurs d’asile entre les États membres de l’Union européenne néglige les autres moyens par lesquels le Pacte aurait pu aborder la réalité d’un espace européen envisageant des dispositifs complémentaires d’accès à la migration. Les migrations économiques dans l’Union européenne sont une réalité qui s’accommode mal des acquis juridiques de l’Union européenne dans son espace de liberté, de sécurité et de justice. En 2019, selon Eurostat, les États membres de l’Union européenne ont délivré près de 3 millions de permis de premier séjour à des migrants 
			(57) 
			<a href='https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Residence_permits_-_statistics_on_first_permits_issued_during_the_year&action=statexp-seat&lang=fr'>https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Residence_permits_-_statistics_on_first_permits_issued_during_the_year&action=statexp-seat&lang=fr.</a>. Bien plus d’un million de ces permis concernaient des migrations à des fins économiques, la majorité d’entre eux ayant été délivrés par les autorités polonaises à des ressortissants ukrainiens (plus de 750 000). Parmi ces permis de séjour liés à l’emploi, rares sont ceux qui ont été délivrés sur la base du droit communautaire, la plupart se fondant sur la législation nationale 
			(58) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52016SC0193&qid=1620651019259&from=EN'>https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52016SC0193&qid=1620651019259&from=EN.</a>. Il existe donc de toute évidence un fossé juridique et politique entre les réalités des migrations économiques dans l’Union européenne et la législation de l’Union européenne en la matière. Cette dernière n’est pas adaptée à l’objectif recherché. Au lieu de continuer à adopter des législations qui ne créent pas de voies d’accès à la migration régulière dans la pratique, l’Union européenne devrait étudier la réponse polonaise aux pressions migratoires économiques en provenance d’Ukraine et la manière concrète et efficace dont elles ont été traitées.

3.4. La solidarité

27. La proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration établit de nouveaux mécanismes censés renforcer la solidarité entre États membres dans le domaine de l’asile et des migrations. Elle vise à remplacer l'actuel règlement Dublin III, qui répartit entre les États membres de l'Union européenne la responsabilité de l'examen des demandes de protection 
			(59) 
			COM (2020) 610.. Le mécanisme de solidarité ne concerne que les demandeurs d’asile et les personnes traitées comme étant en situation irrégulière dans l’Union européenne et se compose de deux volets. Le premier passe par la relocalisation de personnes depuis les États d’accueil (les États de la ligne de front) vers d’autres États lorsqu’il existe une pression ou un risque de pression excédant les capacités nationales d’asile et de retour. Le second est le mécanisme de parrainage du retour dans le cadre duquel un État membre peut «parrainer» l’expulsion d’une personne présente dans un autre (surchargé) avec l’aide de Frontex, l’Agence européenne des frontières, ou, à défaut, la relocalisation de la personne dans l’État de parrainage le temps que les procédures soient achevées. L’aspect le plus frappant de cette proposition tient à sa complexité. Les efforts déployés jusqu’à présent par l’Union européenne pour parvenir à la relocalisation des demandeurs d’asile des États de la ligne de front vers d’autres moins surchargés se sont pour la plupart révélés infructueux 
			(60) 
			Guild et al, «Améliorer
le régime commun européen d’asile et les alternatives à Dublin»
(2015) (en anglais uniquement), <a href='https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2640526'>https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2640526.</a>. Le problème de relocalisation a été examiné plus en détail dans le rapport de l’Assemblée sur la «Relocalisation volontaire des migrants ayant besoin d'une protection humanitaire et réinstallation volontaire des réfugiés» 
			(61) 
			Doc. 15401, Rapporteur: Lord Alexander Dundee (Royaume-Uni, CE/AD).. Ce manque de succès des projets de relocalisation des demandeurs d’asile initiés par les États s’explique sans aucun doute par la complexité des mesures mises en place. En réalité, des demandeurs d’asile se sont eux-mêmes «auto-relocalisés» depuis les États de la ligne de front (où les conditions d’accueil sont souvent inadéquates) vers d’autres États. Selon le règlement Dublin III, en théorie, une telle relocalisation ne devrait pas être autorisée et le demandeur d’asile devrait être renvoyé dans le premier État membre d’arrivée. En pratique, seuls 3 % environ des demandeurs d’asile font l’objet d’un «retour Dublin» 
			(62) 
			Selon
les statistiques du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO)..
28. Le Pacte envisage le parrainage de retour comme une forme de solidarité, par laquelle un État membre s'engage à renvoyer des migrants irréguliers n'ayant aucun droit de séjour dans l'Union européenne au nom d'un autre État membre et à le faire directement depuis le territoire du premier État membre. Là encore, les détails de cette proposition sont très complexes et la date butoir est longue; si l'expulsion n'a pas lieu dans les huit mois, la personne sera physiquement transférée dans l'État qui la parraine. Les questions relatives aux droits de l'homme qui se posent dans le cadre de cette proposition sont principalement de deux ordres: la garantie de non-refoulement et le droit à un droit d'appel suspensif pour toute personne invoquant un besoin de protection. En pratique, la question de l'expulsion de l'Union européenne est anormale. Selon Frontex, en 2019, les États membres ont pris un total de 289 190 décisions de retour 
			(63) 
			<a href='https://frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2020.pdf'>https://frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2020.pdf</a>.. La même année, ils ont entrepris 71 163 retours forcés (il y a également eu 67 656 retours volontaires). L'écart entre les deux chiffres  – prise d'une décision de retour et sa mise en œuvre – est constant au cours des cinq dernières années au moins. L'une des questions qui se pose dans le cadre de la recherche juridique universitaire sur les retours est celle de la qualité des décisions de retour – dans quelle mesure les décisions de retour sont-elles prises comme un moyen pour les fonctionnaires de clore des dossiers compliqués ou de remplir les quotas fixés par leurs supérieurs? Un meilleur investissement institutionnel dans la qualité des décisions de retour pourrait permettre de réduire l'écart bien plus efficacement que la création d'un système complexe dans lequel les fonctionnaires prenant les décisions de retour sont de plus en plus isolés des conséquences d'une mauvaise prise de décision, qui peut aboutir au refoulement.
29. Ces propositions illustrent à quel point la question de la solidarité est considérée comme réservée à la solidarité entre les États membres de l'Union européenne, avec une prise en compte minime, voire inexistante, de la solidarité envers les personnes ayant besoin d'une protection internationale ou les autres États du Conseil de l'Europe. À titre d’exemple, le mécanisme de solidarité par la relocalisation n’intègre aucune prise en considération des préférences personnelles du demandeur dans le processus. Cette approche ne reflète absolument pas les résultats de recherches documentées selon lesquelles les perspectives d’intégration sont considérablement améliorées lorsqu’un individu possède un lien avec l’État de transfert, qu’il s’agisse d’une langue commune, d’un contexte culturel familier ou de liens familiaux dépassant les critères reconnus comme pertinents aux fins du transfert. Ceci souligne la conceptualisation sous-jacente de la proposition qui considère le migrant comme une marchandise censée être négociée et transférée sur ordre des États, sans aucune prise en considération des préférences personnelles des intéressés ni aucune participation de ces derniers aux décisions qui les concernent. Pareil déni de capacité, illustré par la procédure de relocalisation, a notamment pour effet, comme indiqué ci-dessous, de créer ou exacerber la vulnérabilité des personnes en cause. Il est susceptible de figer des handicaps préexistants et va à l’encontre de la dimension participative des Pactes mondiaux qui soulignent le rôle des réfugiés dans les décisions les concernant. Même si cette participation ne garantit en rien aux demandeurs le dernier mot sur le lieu de leur réinstallation, il n’en reste pas moins que des systèmes n’accordant aucun poids aux préférences des intéressés sont inacceptables. Dans le cas des enfants, l’une des obligations sous-jacentes de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant est qu’il doit être tenu compte de l’opinion de celui-ci dans toutes les décisions le concernant, les États étant tenus d’adapter des systèmes afin de garantir cette prise en considération.

3.5. Les personnes vulnérables

30. Le risque de violation des droits fondamentaux découlant du Pacte est susceptible d'affecter de manière disproportionnée les personnes en situation de vulnérabilité. Les États ont des obligations accrues de soutien envers les personnes ayant des besoins spécifiques, par exemple envers les personnes handicapées auxquelles ils doivent des aménagements raisonnables. Pourtant, l'accent mis sur l'identification des «personnes vulnérables» dans les propositions n'est pas explicitement lié à des obligations claires de soutien global. Par exemple, si l'on peut se féliciter qu'un soutien adéquat et en temps utile en matière de santé physique et mentale doive découler de la constatation d'indicateurs de vulnérabilité (article 9.2, du règlement relatif au filtrage), le contenu du soutien à apporter n'est pas défini. Le Pacte n'aborde pas non plus la question de savoir dans quelle mesure c'est la procédure ou le cadre juridique qui place les migrants et les réfugiés dans une situation de vulnérabilité. L'absence de soutien aux groupes spécifiques et l'absence d'obligation explicite de fournir des aménagements raisonnables risquent d'entraîner une mise en œuvre contraire aux obligations internationales et européennes.
31. La proposition de règlement sur le filtrage fait référence à des «contrôles de vulnérabilité» dans le cadre du processus de filtrage; ceux-ci sont censés garantir l'identification précoce des personnes ayant des «besoins particuliers» afin que «tout besoin particulier en matière d'accueil et de procédure soit pleinement pris en compte dans la détermination et la mise en œuvre des besoins» (considérant 9). Or, comme l'a souligné le CERE dans ses commentaires, la proposition prévoit que ces contrôles ne sont effectués que «le cas échéant» pour les personnes soumises à un contrôle aux frontières extérieures et qui font l'objet d'un contrôle médical, afin de déterminer si elles «se trouvent dans une situation vulnérable, sont victimes de torture ou ont des besoins particuliers en matière d'accueil ou de procédure» (article 9) 
			(64) 
			ECRE
«Comments on the Commission Proposal for a Screening Regulation»,
COM(2020) 612 (novembre 2020) <a href='https://ecre.org/wp-content/uploads/2020/12/ECRE-Comments-COM2020-612-1-screening-December-2020.pdf'>https://ecre.org/wp-content/uploads/2020/12/ECRE-Comments-COM2020-612-1-screening-December-2020.pdf</a>, pages 8, 11, 29.. Cette formulation exclut les personnes qui sont soumises à la procédure de filtrage mais qui se trouvaient déjà dans l'État membre de l'Union européenne et exclut la possibilité d'un filtrage systémique de la vulnérabilité.
32. La même proposition établit un lien entre les personnes à identifier au moyen de contrôles de vulnérabilité et celles qui sont considérées comme des personnes vulnérables aux fins de la directive sur les conditions d'accueil (DCR). Cette liste comprend les personnes handicapées, les personnes atteintes de maladies graves et les personnes souffrant de troubles mentaux (article 21 de la DCR). Pourtant, le passage du préambule du Pacte mentionnant le niveau de vie garanti à ces personnes définit celles-ci comme «des personnes présentant une déficience physique ou psychique immédiatement identifiable [et des] personnes ayant manifestement subi un traumatisme psychologique ou physique» (considérant 27), ce qui pose problème. Si l’on peut admettre que la période prévue pour le dépistage ne saurait suffire à identifier des formes complexes de traumatismes ou de handicaps invisibles, la catégorisation des personnes handicapées est incompatible avec les obligations à l’égard des personnes handicapées qui n’admettent pas de telles distinctions, comme le prévoit la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Il est préoccupant de constater que lorsque les propositions font référence aux personnes handicapées, elles adoptent une approche qui va à l'encontre de l'approche inclusive de la CDPH à l'égard de toutes les personnes handicapées, qui a été ratifiée par l'Union européenne et tous ses États membres.
33. Certains éléments du Pacte, tels que le recours probablement accru à la détention, risquent de placer des personnes ne faisant pas partie des catégories spécifiées dans des situations qui génèrent une vulnérabilité supplémentaire. La proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration est un exemple de moyens supplémentaires par lesquels le Pacte pourrait contribuer à la vulnérabilité ou la générer. L’article 10 de cette proposition de règlement limiterait le droit aux conditions matérielles dans l’État membre de l’Union européenne où le demandeur a l’obligation de se trouver dès sa notification d’une décision de le transférer vers l’État membre responsable. Comme l’explique clairement l’exposé des motifs de la Commission, ceci vise à empêcher les «mouvements non autorisés» 
			(65) 
			Proposition de régulation
sur l’asile et la gestion des migrations, page 16.. Cette disposition est censée s’appliquer sans préjudice de la nécessité pour les États membres «d’assurer un niveau de vie conforme au droit de l’Union» conformément aux obligations découlant du droit européen et international. Pourtant, les éléments constitutifs de ce niveau de vie conforme aux droits fondamentaux ne sont pas précisés ; la proposition ne définit pas la forme ou le degré du niveau de vie censé être assuré. Cette situation est aggravée par l’absence de recours juridictionnel permettant aux personnes de contester le niveau de vie qui pourrait leur être proposé dans la pratique ; ce faisant, elle infirme la jurisprudence antérieure de la CJUE 
			(66) 
			C-179/11, Cimade & Gisti, ECLI:EU:C:2012:594. Compte tenu de la jurisprudence et de la documentation volumineuses consacrées à la manière dont les États membres omettent régulièrement d’offrir des conditions d’accueil conformes aux obligations existantes en matière de droits fondamentaux 
			(67) 
			Requête n°30696/09, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Affaire
M.S.S. c. Belgique et Grèce.</a> 
			(67) 
			C-411-10 et C-493-10, <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62010CJ0411&from=EN'>Affaires
Jointes N.S. c. RU & M.E. c. Irlande</a>: EU:C:2011:865; C-163/17, <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62017CJ0163&from=EN'>Abubacarr
Jawo c. Bundesrepublik Deutschland</a> ECLI:EU:C:2019:218., l’absence de détails sur les conditions d’accueil appropriées semble susceptible de créer et d’exacerber des violations. Il s’agit notamment du droit à la dignité (article 1 de la Convention) et du droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants (article 4 de la Charte de l’Union européenne et article 3 de la Convention). Des propositions telles que celle-ci risquent de placer les individus dans des situations de précarité où ils ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins essentiels et de mener une vie digne.
34. Des obstacles supplémentaires à la reconnaissance des besoins de protection peuvent également aggraver la vulnérabilité. La création du processus de filtrage implique une procédure supplémentaire qui retarde l’accès de la personne aux procédures d’asile et risque, par voie de conséquence, de différer l’accès aux droits qui suivent l’enregistrement d’une demande. En vertu de la Directive sur les conditions d’accueil, les États membres de l’Union européenne doivent veiller à ce que des conditions d’accueil matérielles soient mises à la disposition des demandeurs dès qu’ils présentent leur demande de protection internationale (article 17). Le Règlement proposé ne précise pas si l’accès à ces conditions d’accueil matérielles suit l’expression par la personne de son désir d’être reconnue comme bénéficiaire d’une protection internationale, ce qui augmente la probabilité que l’intéressé accède avec retard à la jouissance de droits fondamentaux.
35. Le flou entourant la question de savoir si les demandeurs d’asile en situation vulnérable doivent être exemptés des procédures à la frontière pose problème 
			(68) 
			Article
19 de la proposition de règlement sur les procédures d'asile de
2016 et article 49, paragraphe 9, de la proposition de Règlement
instituant une procédure commune en matière de protection internationale
de 2020.. L’accent mis sur les délais risque de porter atteinte aux garanties des droits fondamentaux. Bien que les délais de traitement des demandes d’asile soient importants pour assurer la reconnaissance rapide des réfugiés et l’accès concomitant aux droits, leur raccourcissement excessif contribue à une identification déficiente des besoins de protection. Cette situation, déjà problématique pour tous les demandeurs de protection internationale, affecte de manière disproportionnée les personnes en situation vulnérable ayant besoin d’un soutien supplémentaire en vue d’exercer leur droit d’asile. Il est ainsi de notoriété publique que les personnes ayant survécu à des actes de tortures et des traumatismes pourraient avoir besoin de plus de temps pour participer efficacement au processus d’évaluation de leur demande d’asile. De même, les réfugiés dont la demande est fondée sur l’orientation sexuelle peuvent avoir besoin de plus de temps avant de se sentir suffisamment à l’aise pour révéler les raisons les incitant à demander à être reconnus comme réfugiés. En l’absence de garanties procédurales concrètes qui tiennent compte des spécificités des demandeurs se trouvant déjà dans une situation «vulnérable» en raison de leur statut de demandeur d’asile, les délais raccourcis proposés – appliqués sans exemptions explicites au profit des personnes désignées comme ayant besoin d’un soutien supplémentaire – peuvent exclure les personnes qu’ils sont censés protéger.

3.6. Enfants

36. À première vue, le Pacte semble accorder une grande attention aux groupes vulnérables, les enfants étant les premiers bénéficiaires. Cette attention traduit l’importance constamment reconnue par l’Assemblée à l’adoption de mesures concrètes visant à protéger les enfants migrants 
			(69) 
			Voir, par exemple,
la Résolution 2324 (2020) et la Recommandation
2172 (2020) de l’Assemblée, «Disparition d’enfants réfugiés migrants
en Europe», ainsi que la Résolution 2354
(2020) de l’Assemblée «Une tutelle efficace pour les enfants
migrants non accompagnés et séparés» et la <a href='https://rm.coe.int/cm-rec-2019-11-guardianship-en/16809ccfe3'>Recommandation
CM/Rec(2019)11 du Comité des Ministres «</a>Un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés
et les enfants séparés dans le contexte de la migration».. Dans les Pactes mondiaux, les États se sont engagés à traiter et réduire les vulnérabilités en matière de migration et à considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme méritant la plus grande attention chaque fois qu’un mineur est en cause. Le PMM explique comment cette obligation englobe «l’établissement de procédures spéciales permettant de les identifier, de les aiguiller, de les accompagner et d’assurer leur regroupement familial, et donner accès aux services de santé, y compris de santé mentale, à l’éducation, à l’assistance juridique et au droit à ce que leur cause soit entendue dans les procédures administratives et judiciaires, notamment en désignant rapidement un tuteur légal compétent et impartial» 
			(70) 
			GCM, paragraphe 23.. En cas de rétention migratoire, ladite obligation doit se traduire par des mesures «privilégiant les mesures non privatives de liberté et la prise en charge communautaire … [et mettant] fin à la pratique de la rétention d’enfants dans le contexte des migrations internationales» 
			(71) 
			GCM, paragraphe 29..
37. Pourtant, il semble y avoir une contradiction dans les termes entre la reconnaissance par le Pacte de l’obligation des États membres de l’Union européenne de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les affaires les concernant d’une part, et le cadre que cet instrument propose d’autre part. Il convient de saluer le fait que le Pacte voie le principe de l’intérêt supérieur comme une considération primordiale dans toutes les procédures. Cette approche reflète la jurisprudence établie selon laquelle la vulnérabilité d’un enfant s’accroît lorsque celui-ci demande l’asile 
			(72) 
			Voir
par exemple les arrêts suivants rendus par la Cour européenne des
droits de l’homme: <a href='https://hudoc.echr.coe.int/FRE'>Mubilanzila Mayeka et Kaniki
Mitunga c. Belgique</a>, requête no 13178/03,
2006, paragraphe 55; <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>Popov c. France</a>, requêtes nos 39 472/07 et 39 474/07, 2012, paragraphe
91.. Cette attention portée à l’intérêt supérieur de l’enfant ne se reflète pas toujours dans les dispositions de fond proposées comme l'ont souligné de nombreuses organisations de la société civile axées sur les droits de l'enfant 
			(73) 
			Déclaration jointe
sur l’impact du Pacte sur les droits des enfants (Décembre 2020): <a href='https://reliefweb.int/report/world/joint-statement-impact-pact-migration-and-asylum-children-migration'>https://reliefweb.int/report/world/joint-statement-impact-pact-migration-and-asylum-children-migration</a>; Commission Internationale de Juristes, <a href='https://www.icj.org/wp-content/uploads/2021/06/Detention-in-the-EU-Pact-proposals-briefing-2021-ENG.pdf'>www.icj.org/wp-content/uploads/2021/06/Detention-in-the-EU-Pact-proposals-briefing-2021-ENG.pdf</a>, page 11.. Si les enfants non accompagnés et ceux âgés de moins de douze ans accompagnés par des membres de leur famille sont généralement exemptés des procédures à la frontière (article 41, paragraphes 3 et 5, de la proposition modifiée de Règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale), cette exemption ne s’applique pas aux mineurs de plus de douze ans 
			(74) 
			«ECRE Comments on the
Amended Proposal for an Asylum Procedures Regulation COM(2020)611:
Border Asylum Procedures and Border Return Procedures», <a href='https://ecre.org/wp-content/uploads/2020/12/ECRE-Comments-COM-2020-611-2-December-2020.pdf'>https://ecre.org/wp-content/uploads/2020/12/ECRE-Comments-COM-2020-611-2-December-2020.pdf</a>, page 13.. L’abaissement des normes de protection pour les enfants de plus de douze ans est incompatible avec la protection envisagée par les normes du Conseil de l’Europe, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et la législation européenne sur les droits fondamentaux. La Convention relative aux droits de l’enfant ne catégorise pas la jouissance de leurs droits par les enfants en fonction de leur âge, mais considère que tous les mineurs de dix-huit ans sont des enfants 
			(75) 
			Article 1 de la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.. Pourtant, les propositions permettraient qu’un enfant de plus de douze ans soit soumis à la procédure à la frontière, avec tous les risques que cela comporte.
38. Cet abaissement des normes de protection existantes à l’égard des enfants se traduit également par la proposition selon laquelle la responsabilité d’une demande de protection internationale introduite par un enfant non accompagné sans aucun membre de sa famille dans un autre État membre incombe au premier État membre dans lequel l’intéressé a introduit sa demande (article 15 de la proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration). La disposition générale prévoit le transfert des enfants non accompagnés vers le premier État membre dans lequel ils ont introduit leur demande. Pareille proposition renverse la situation actuelle dans laquelle la responsabilité de l’examen de la demande incombe à l’État membre où l’enfant est présent et a demandé une protection en dernier lieu. L’exposé des motifs de la Commission note que cette règle permet à la cohorte en cause d’avoir «un accès rapide à la procédure» et permet de déterminer sans délai l’État membre responsable. Pourtant, on ne voit pas bien en quoi un transfert supplémentaire de l’enfant en cause accélérerait les procédures plutôt que de les prolonger 
			(76) 
			Proposition de règlement
relatif à la gestion de l’asile et de la migration, page 26.. En outre, malgré la déclaration selon laquelle le transfert ne semble généralement pas aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant, il convient de souligner que la disposition pertinente actuelle du Règlement Dublin III a été codifiée à la suite d’un arrêt de la CJUE réaffirmant que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions adoptées par un État membre et que pareille approche impose que l’État membre où l’enfant est présent et a demandé l’asile en dernier lieu examine cette demande 
			(77) 
			C-648/11, <a href='https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=138088&doclang=FR'>MA,
BT, DA</a>, CJUE, 6 juin 2013.. La proposition actuelle risque de placer les mineurs dans une situation où ils doivent se soumettre à une énième procédure qui retarde leur accès à la protection, créant ainsi un niveau de complexité supplémentaire générateur de retards inutiles et d’une aggravation des vulnérabilités.

3.7. L'intégration de la dimension de genre

39. Les propositions ne semblent pas intégrer les considérations de genre. Cette attitude contraste avec les engagements pris dans le cadre des Pactes mondiaux qui appellent à l’intégration de cette perspective dans toutes les politiques migratoires et à la mise en place de procédures et de services qui permettent de faire face aux obstacles liés au genre 
			(78) 
			Voir le Pacte mondial
pour les réfugiés (PMR), paragraphes 74-75 ; le Pacte mondial sur
les migrations (PMM), paragraphes 15 et 23 ; et la Déclaration de
New York, paragraphes 31 et 60.. L’impact différencié du processus de migration sur les femmes est largement documenté. Les femmes qui voyagent se trouvent souvent dans des situations de grande vulnérabilité, car elles sont davantage exposées à la violence sexiste, y compris à la traite et à l’exploitation. Elles sont plus susceptibles d’être confrontées à la pauvreté, à un accès limité aux services de base et à d’autres situations de discrimination, avec les risques concomitants que cela comporte pour leur bien-être physique et mental. La discrimination fondée sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle sévit également beaucoup 
			(79) 
			Sur le genre et la
migration, voir l’ouvrage intitulé «Sectoral Brief: Gender and Migration»
publié en anglais par l’Institut européen pour l’égalité entre les
hommes et les femmes, 	<a href='https://eige.europa.eu/sites/default/files/documents/gender_and_migration_sectoral_brief.pdf'>https://eige.europa.eu/sites/default/files/documents/gender_and_migration_sectoral_brief.pdf</a>.. Le Pacte s’inscrit dans le cadre des politiques de l’Union européenne censées se conformer à l’obligation de promouvoir l’égalité entre les sexes (articles 2 et 3, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) et à l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle énoncée dans la Charte de l’Union européenne (article 21). Ses propositions doivent donc être conçues de manière à inclure des considérations relatives à l’intégration de la dimension de genre et prévenir la création de nouvelles inégalités. Dans la mesure où la promotion de l’égalité hommes-femmes implique l’intégration de cette perspective «dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques» 
			(80) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/genderequality/what-is-gender-mainstreaming'>www.coe.int/fr/web/genderequality/what-is-gender-mainstreaming</a>., lesdites inégalités doivent être abordées dès le départ. Le Plan d’action pour l’intégration et l’inclusion 2021-2027 publié par la Commission européenne en novembre 2020 a été salué pour sa prise en compte des besoins spécifiques des femmes migrantes 
			(81) 
			European Network of
Migrant Women, «EU Migration & Asylum Pact Through the Eyes
of a Woman», <a href='http://www.migrantwomennetwork.org/wp-content/uploads/MIGRATION-PACT-THROUGH-THE-EYES-OF-A-WOMAN.pdf'>www.migrantwomennetwork.org/wp-content/uploads/MIGRATION-PACT-THROUGH-THE-EYES-OF-A-WOMAN.pdf</a>, notamment sous la forme d’une reconnaissance des défis liés à l’affaiblissement des liens sociaux et à l’augmentation des responsabilités familiales s’agissant surtout de l’éducation des enfants. 
			(82) 
			Commission
européenne, COM(2020) 758, <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2178'>Plan
d’action en faveur de l’intégration et de l’inclusion pour la période 2021-2027</a>. En revanche, les propositions du Pacte omettent de s'engager de manière approfondie sur les discriminations multiples et intersectionnelles fondées sur le sexe et le genre à laquelle sont confrontés les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. En fait, la mention des femmes parmi les personnes vulnérables identifiées dans les propositions se limite aux femmes enceintes et à celles isolées avec enfants. Cette lacune occulte toutefois les situations de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent les femmes et toutes les personnes victimes de discriminations fondées sur le sexe en raison des propositions elles-mêmes. Le fait que le Pacte s’abstienne d’évaluer, de prendre en compte et de traiter explicitement l’impact de mesures telles que les procédures de filtrage obligatoires ou le recours accru à la rétention et la relocalisation forcée de personnes se trouvant déjà en situation de vulnérabilité (et qui sont exclues d’un accès égal et effectif à la protection) est un facteur aggravant la vulnérabilité des intéressés aux violations de leurs droits fondamentaux.

4. Conclusions et recommandations

40. Il convient de saluer l’engagement de l’Union européenne à mettre pleinement en œuvre les droits humains européens dans toutes ses politiques en matière de migration et d’asile. La proposition de Pacte européen sur les migrations et l’asile doit refléter pleinement cet objectif, que la majorité des États de l’Union européenne ont réaffirmé en 2018 en votant en faveur des Pactes mondiaux des Nations Unies pour les réfugiés et les migrations. Avant d’entamer la négociation des mesures constitutives du Pacte, il conviendrait de procéder à une vérification intégrale de la conformité de cet instrument aux droits humains notamment en évaluant minutieusement la compatibilité de chaque mesure avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Pacte devrait être l'occasion de promouvoir la coopération et la solidarité, où les États du Conseil de l'Europe peuvent jouer un rôle clé. Le rôle de l’Union européenne et de ses États membres en tant que champions de la protection des droits humains dans la région, en particulier en ce qui concerne les réfugiés et les migrants, ne doit en effet pas être compromis par de telles propositions.
a. Le règlement sur le filtrage proposé dans le Pacte devrait être modifié pour inclure un recours suspensif effectif contre une catégorisation incorrecte du filtrage, qui respecte pleinement les obligations découlant du droit à un recours effectif (article 13 de la Convention).
b. L'Union européenne doit veiller à ce que chaque demandeur d'asile à la frontière de l'Union ou relevant de sa juridiction reçoive une évaluation juste et efficace de sa demande de protection internationale, dans le respect des obligations de non-refoulement, et comme identifié par cette Assemblée. L’illusion juridique que constitue la «non-entrée» devrait être supprimée afin de garantir l’accès à une procédure équitable pour tous.
c. Les dispositions relatives aux restrictions et à la privation de liberté doivent être précises, suffisamment claires et non ambiguës pour protéger les migrants et les réfugiés de toute rétention illégale et garantir leur conformité avec les obligations découlant du droit à la liberté (article 5 de la Convention). Les propositions du Pacte devraient inclure des références explicites à l’utilisation de la rétention comme mesure de dernier recours, ainsi que des références claires à l’obligation d’œuvrer en faveur d’alternatives à la rétention.
d. La réglementation de l’Union européenne relative aux migrations économiques doit de toute urgence être revue pour mieux rendre compte des réalités de ce type de migrations et répondre aux mouvements de population légitimes. Le cas de la législation polonaise s’appliquant aux travailleurs migrants ukrainiens peut être utilisé comme exemple à propos du recours à des dispositifs complémentaires d’accès à la migration dans l’Union européenne.
e. Tous les enfants de moins de 18 ans devraient être exemptés de procédures aux frontières, quel que soit leur âge, conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et aux obligations vis-à-vis des enfants, comme cela est souligné dans la Convention relative aux droits de l’enfant et dans les résolutions de l’Assemblée.
f. Les procédures spéciales pour la protection des personnes en situation vulnérable doivent répondre aux besoins de ces personnes et intégrer les devoirs accrus de soutien qui découlent des obligations en matière de droits de l'homme. Il s'agit notamment d'intégrer des considérations liées au handicap, à l'âge et au sexe dans tous les processus de migration et d'asile.
g. Les propositions du Pacte devraient clarifier le soutien qui doit être apporté aux personnes identifiées comme étant en situation de vulnérabilité. Elles devraient inclure un soutien complet répondant aux besoins élémentaires en matière de santé et de protection sociale et prendre en compte les vulnérabilités spécifiques.
h. L’Union européenne devrait entreprendre une évaluation transversale des répercussions de ces propositions sur les femmes et les filles en situation de vulnérabilité. Cette évaluation devrait identifier l’impact différentiel des propositions en tenant compte des inconvénients préexistants et s’accompagner d’initiatives visant à combler ces inégalités.
i. Un bilan transversal de ces propositions doit être effectué pour en déterminer la conformité avec les obligations envers les personnes handicapées, conformément aux obligations découlant de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. En particulier, le devoir des États de fournir des aménagements raisonnables aux personnes handicapées devrait être explicitement mentionné comme étant une obligation.
j. La Commission européenne devrait continuer à tenir les États membres de l’Union européenne pour responsables de la manière dont ils traitent les migrants et les réfugiés en exerçant pleinement les pouvoirs qui lui sont conférés par le droit communautaire d’engager des procédures d’infraction dès lors que des États membres ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains.