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Rapport | Doc. 15486 | 25 mars 2022

Sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable en Europe

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Marie-Christine DALLOZ, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14823, Renvoi 4441 du 12 avril 2019. 2022 - Deuxième partie de session

Résumé

Le recul de la démocratie à travers le monde, y compris en Europe est un phénomène profondément préoccupant qui a été aggravé par la pandémie de covid-19. Il est urgent d’inverser cette tendance.

L’Assemblée parlementaire devrait rappeler que seules des démocraties véritables, fondées sur les principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, telle que consacré par le Statut du Conseil de l’Europe, peuvent garantir la sécurité démocratique et réaliser l’objectif commun de consolidation de la paix, fondée sur la justice et la coopération internationale.

Les Ėtats membres du Conseil de l’Europe devrait renouer avec leur engagement à sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable, y compris en garantissant le pluralisme des opinions; la liberté d’expression, de réunion et d’association; des élections libres et équitables; un système judiciaire efficace, impartial et indépendant; et une bonne gouvernance démocratique; ainsi qu’en promouvant l’égalité et en offrant une protection effective contre la discrimination et la haine.

Le Conseil de l’Europe devrait renforcer davantage ses activités visant à soutenir ses États membres dans leurs efforts pour parvenir à une démocratie véritable.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 mars
2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par le net recul de la démocratie à travers le monde. L’Europe n’est pas épargnée par ce phénomène qui se traduit, entre autres, par un affaiblissement de l’équilibre des pouvoirs et du rôle de l’opposition, par des entraves et des limitations à l’exercice des droits et libertés civils et politiques tels que garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), dont notamment la liberté d’expression, de réunion et d’association, ainsi que par une érosion de l’État de droit. Ce recul est marqué par ailleurs par un déclin de la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques.
2. Face à ce constat alarmant, il est urgent que les États membres du Conseil de l’Europe renouent avec leur engagement de sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable, fondée sur les principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, telle que consacrée par le Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1), tout en s’attaquant aux causes profondes du recul démocratique.
3. Face à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, l’Assemblée rappelle que la réalisation d’une démocratie véritable n’est pas seulement un engagement de chaque État membre vis-à-vis de ses citoyens mais aussi une responsabilité vis-à-vis des autres États membres, dans la mesure où seules des démocraties véritables peuvent garantir la sécurité démocratique et réaliser cet objectif commun qu’est «la consolidation de la paix, fondée sur la justice et la coopération internationale».
4. L’Assemblée souligne que la démocratie n’est pas la dictature de la majorité et que la légitimité démocratique ne tient pas simplement au fait de remporter des élections, mais qu’elle s’étend à une pratique de gouvernance démocratique dans l’exercice du pouvoir et le fonctionnement des institutions. Par ailleurs, toute théorie visant à justifier l’existence d’autres formes de démocratie, dont notamment des démocraties non pluralistes, est vouée à l’échec comme étant incohérente: la démocratie véritable doit garantir, entre autres, les droits et libertés fondamentaux, y compris ceux de la société civile, le pluralisme politique, l’indépendance de la justice et des médias, et se fonder sur l’État de droit.
5. A cet égard, l’Assemblée réitère la pertinence des travaux menés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) en matière de fonctionnement des institutions démocratiques, de droits fondamentaux et de droit électoral, dont le Code de bonne conduite en matière électorale, la Liste des critères de l’État de droit et la Liste des critères des rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie.
6. L’Assemblée est sensible aux critiques selon lesquelles les institutions démocratiques et les forces politiques traditionnelles n’ont pas su répondre aux attentes des citoyens face aux défis majeurs de ces dernières décennies tels que la mondialisation, les mouvements migratoires, la révolution digitale et son impact dans tous les aspects de la société, le changement climatique, la stagnation économique et les inégalités croissantes, ce qui aurait contribué à une insatisfaction diffuse vis-à-vis de la démocratie.
7. La pandémie de covid-19 n’a fait qu’aggraver, d’un côté, cette crise de confiance et, de l’autre, l’érosion des sauvegardes démocratiques, comme en témoigne une série de résolutions et de recommandations de l’Assemblée consacrées aux différents aspects de la crise sanitaire et de ses effets. Se référant à sa Résolution 2337 (2020) «Les démocraties face à la pandémie de covid-19», l’Assemblée réitère «qu’on ne saurait permettre que la démocratie, les droits humains et l’État de droit deviennent les dommages collatéraux de la pandémie».
8. À la lumière des considérations ci-dessus, et rappelant que la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation comme le note le Statut du Conseil de l’Europe, l’Assemblée invite instamment les États membres du Conseil de l’Europe à renouer avec les engagements qu’ils ont pris en rejoignant l’Organisation et à les honorer dans l’esprit dans lequel ils ont été formulés à l’origine. Elle les invite notamment:
8.1. à garantir le droit à la liberté de pensée et la liberté d’expression, tout en luttant contre la désinformation qui sape la confiance de la société dans les médias et plus largement dans les institutions démocratiques;
8.2. à garantir la liberté de réunion et d’association et à créer un environnement propice aux activités de la société civile, dont notamment les organisations non gouvernementales;
8.3. à garantir la sécurité des défenseurs des droits humains dont notamment les journalistes, les avocats et les membres d’organisations non gouvernementales, et à les soutenir, y compris financièrement;
8.4. à garantir l’indépendance et le pluralisme des médias en prenant les mesures nécessaires pour empêcher notamment une forte concentration de leur propriété et pour assurer la transparence quant à leurs sources et leur propriétaire;
8.5. à garantir le droit à des élections libres et équitables, et dans ce contexte:
8.5.1. à veiller à que la procédure électorale soit organisée et supervisée par une autorité indépendante et impartiale;
8.5.2. à veiller à ce qu’il y ait une couverture équilibrée des campagnes électorales par les médias;
8.5.3. à engager une réflexion sur la baisse de la participation électorale et adapter, le cas échéant, les pratiques et les systèmes électoraux afin de restaurer la confiance dans le processus électoral;
8.6. à garantir un système judiciaire efficace, impartial et indépendant, notamment en limitant les pouvoirs de l’exécutif et du législatif dans la désignation et la mutation des juges et en assurant l’indépendance administrative et financière du pouvoir judiciaire;
8.7. à veiller à ce que le processus législatif soit aussi inclusif que possible et que l’opposition parlementaire dispose des moyens suffisants pour exercer le contrôle sur le gouvernement;
8.8. à promouvoir l’égalité et à offrir une protection effective contre la discrimination et la haine;
8.9. à garantir la bonne gouvernance démocratique, en s’assurant notamment que les collectivités locales et régionales disposent des compétences nécessaires, de ressources financières adéquates et d’un personnel qualifié pour fournir les meilleurs services à l’ensemble de la population;
8.10. à inclure l’éducation à la citoyenneté démocratique dans le curriculum dès le plus jeune âge afin que les citoyens, et en particulier les jeunes, puissent acquérir les compétences pour développer une culture de la démocratie;
8.11. à associer les citoyens, et en particulier les jeunes, à la prise de décisions politiques, y inclus par le biais de consultations et d’autres formes inclusives de participation et de délibération.
9. L’Assemblée invite les organisations internationales qui partagent les valeurs du Conseil de l’Europe, à commencer par l’Union européenne et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à accroître leur coopération avec le Conseil de l’Europe, afin de trouver des solutions communes au défi commun qu’est le recul démocratique.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 16 mars 2022.

(open)
1. Se référant à sa Résolution... (2022) «Sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable en Europe», l’Assemblée parlementaire se dit profondément préoccupée par le recul de la démocratie dans les États membres du Conseil de l’Europe, tel que constaté, entre autres, par la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe dans ses rapports sur la situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit.
2. Face à ce constat, il est urgent que le Conseil de l’Europe renforce davantage ses activités visant à accompagner ses États membres dans leurs efforts pour réaliser une démocratie véritable fondée sur les principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, telle que consacrée par le Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1), tout en s’attaquant aux causes profondes du recul démocratique.
3. Pour chaque État membre du Conseil de l’Europe, il s’agit d’une responsabilité non seulement vis-à-vis de ses citoyens mais aussi vis-à-vis des autres États, dans la mesure où seules des démocraties véritables peuvent garantir la sécurité démocratique et réaliser cet objectif commun qui est «la consolidation de la paix, fondée sur la justice et la coopération internationale».
4. Compte tenu de ce qui précède, l'Assemblée invite le Comité des Ministres:
4.1. à demander à la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe de mener une réflexion sur les moyens d’optimiser et d’intensifier les activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie et de la gouvernance démocratique afin d’en augmenter l’impact et la cohérence, et d’en tenir compte dans l’examen à mi-parcours de son programme d’activités;
4.2. à mettre en place une plateforme permanente sur la démocratie qui s’appuierait sur l’expertise de différents organes, structures et activités du Conseil de l’Europe et qui agirait comme une plateforme permanente d’échange d’informations, de bonnes pratiques et d’innovations au profit des autorités publiques des États membres mais aussi d’autres acteurs de la démocratie, tels que les partis politiques, les organisations non gouvernementales et les représentant·e·s de la société civile, conformément à la décision adoptée par le Comité des Ministres lors de sa 129e Session (Helsinki, 17 mai 2019) intitulée «Une responsabilité partagée pour la sécurité démocratique en Europe – La nécessité de renforcer la protection et la promotion de l’espace dévolu à la société civile en Europe» où il est convenu «d’examiner des options supplémentaires pour renforcer le rôle et la participation effective des organisations de la société civile, et des institutions nationales des droits de l’homme au sein de l’Organisation, en vue d’accroître son ouverture et sa transparence envers la société civile»;
4.3. à la lumière de sa réflexion sur le suivi, à envisager la mise en place d’un mécanisme d’alerte précoce du Conseil de l’Europe pour prévenir ou répondre à des développements inquiétants par rapport au respect des normes et des pratiques démocratiques dans les États membres;
4.4. à envisager de nouer une coopération renforcée avec d’autres organisations internationales qui partagent les valeurs du Conseil de l’Europe et jouent un rôle actif dans le renforcement de la résilience démocratique.

C. Exposé des motifs, par Mme Christine Dalloz, rapporteure

(open)

1. Introduction

«Les démocraties ne deviennent pas en un jour des pays nazis. Le mal progresse sournoisement; une minorité agissante, comme l’on dit, s’empare des leviers de commande. Une à une, les libertés sont supprimées, secteur par secteur (…). Il faut intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Il faut qu’il existe une conscience quelque part, qui sonne l’alerte pour les opinions nationales menacées de cette gangrène progressive, leur montre le péril (…)»
Pierre-Henri Teitgen

1.1. Procédure

1. La proposition de résolution intitulée «Enrayer le développement de démocraties malades en Europe», qui est à l’origine de ce rapport et qui a été également renvoyée pour avis à la commission des questions juridiques et des droits de l'homme le 12 avril 2019, fait état d’une hausse des démocraties malades dans les États membres du Conseil de l'Europe et cite un nombre de pratiques et tendances négatives qui constituent les particularités de la «démocratie malade». Le texte appelle à un ensemble de normes et de critères clairs pour définir le phénomène et, par conséquent, pour contrer les pratiques susmentionnées.
2. La commission a discuté de cette proposition de résolution lors de sa réunion du 20 mai 2019, et j'ai été nommée rapporteure le 25 juin 2019. Le 30 janvier 2020, sur la base d’une note introductive que j’ai présentée, la commission a tenu une audition avec la participation de M. Larry Diamond, chercheur principal à la Hoover Institution et à l’Institut Freeman Spogli pour les études internationales de l’Université de Stanford, et de M. Michael Frendo, membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Lors de la même réunion, la commission a accepté ma proposition de changer le titre du rapport en «Favoriser les démocraties saines en Europe» 
			(3) 
			Le
25 mars 2020, une note introductive révisée a été envoyée aux membres
de la commission pour des commentaires par écrit. Deux membres de
la délégation de la Fédération de Russie, M. Petr Tolstoi et M. Sergey
Kislyak, ont exprimé leur désaccord tant avec l’approche que le
contenu de la note..
3. Le 8 septembre 2020, la commission est convenue de demander une contribution à la Commission de Venise, en vue d’avoir une meilleure compréhension de l’acquis constitutionnel du Conseil de l’Europe dans le domaine couvert par mon rapport. Les éléments fournis par le Président de la Commission de Venise, M. Gianni Buquicchio, lors de l’audition «Démocratie: tendances, défis et opportunités», tenue le 3 novembre 2021 à Budapest, ont été d’une grande pertinence et m’ont permis d’avancer dans mon travail.
4. Le 6 décembre 2021, j’ai présenté un avant-projet de rapport à la commission qui a été globalement soutenu par les membres. Des améliorations ont cependant été proposées dont l’inclusion des éléments d’explications quant aux raisons qui sous-tendent le recul de la démocratie souligné dans le rapport. Cette version finale de mon rapport tient compte de ces contributions ainsi que des critiques constructives que j’ai reçues. Je propose également de reprendre la terminologie utilisée par le Statut du Conseil de l’Europe (STE n° 1) et de changer le titre en «Sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable en Europe».

1.2. Portée et objectif du rapport

5. Mon rapport vise à identifier les éléments structurels d’une «démocratie véritable» telle qu’elle est consacrée par le Statut du Conseil de l’Europe et à proposer des recommandations pour les renforcer dans les États membres. Ce faisant, j’espère pouvoir éviter que la commission dépense son énergie dans un débat sur l’opportunité d’utiliser des termes comme «démocratie malade» ou «démocratie illibérale», pour qu’elle puisse se concentrer sur des questions de fond consistant à analyser ce qu’est une vraie démocratie et comment on peut la renforcer. Toutefois, comme ces concepts sont utilisés dans la proposition de résolution à l’origine de ce rapport comme s’opposant à la démocratie libérale, cette dernière doit être brièvement présentée.
6. Par démocratie libérale, on entend un système de gouvernement démocratique dans lequel les droits et libertés individuels sont officiellement reconnus et protégés et dans lequel l'exercice du pouvoir politique est limité par la prééminence du droit 
			(4) 
			Définition de la <a href='https://www.lexico.com/definition/liberal_democracy'>démocratie
libérale</a> (anglais seulement) sur lexico.com (une collaboration
entre Dictionary.com et Oxford University Press). Voir aussi La démocratie libérale sous la direction
de Serge Berstein, 1999, Presses Universitaires de France.. S’il n’utilise pas le terme de démocratie libérale, le préambule du Statut du Conseil de l’Europe énonce que «toute démocratie véritable» se fonde sur des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit.
7. Bien que la démocratie et le libéralisme aient des origines et des contenus différents dans l'histoire de la pensée politique, la science politique a suggéré qu’ils forment un tout cohérent, car chaque composante semble nécessaire pour protéger et soutenir l'autre. Ainsi, d’une part, la démocratie implique le principe de l'égalité de tous les citoyens et leur participation au processus décisionnel, qui est fondé sur la règle de la majorité. Elle inclut également le principe de la souveraineté populaire, ce qui signifie que le peuple est la seule source de légitimité et qu'il est le seul à pouvoir autoriser des formes de gouvernement 
			(5) 
			«<a href='https://www.journalofdemocracy.org/articles/the-populist-challenge-to-liberal-democracy/'>The
Populist Challenge to Liberal Democracy </a>», William A. Galston, Journal
of Democracy, Avril 2018 (anglais seulement).. D’autre part, le libéralisme est une doctrine politique 
			(6) 
			À ne pas confondre
avec le sens économique du libéralisme dont les racines se trouvent
dans l'économie politique et, plus précisément, dans l'œuvre d'Adam
Smith. qui reconnaît et protège une sphère hors de la portée légitime du gouvernement dans laquelle les individus peuvent jouir d’indépendance et de vie privée 
			(7) 
			«<a href='https://institutdelors.eu/publications/democratie-illiberale-ou-autoritarisme-majoritaire-contribution-a-lanalyse-des-populismes-en-europe/'>ʺDémocratie
illibéraleʺ ou ʺautoritarisme majoritaireʺ? Contribution à l’analyse
des populismes en Europe </a>», Thierry Chopin, Policy paper 235, Institut Jacques
Delors, 19 février 2019..
8. Par conséquent, la démocratie libérale est comprise comme le système politique qui, à la fois, protège les droits individuels et traduit les opinions populaires en politiques publiques. Le dysfonctionnement d’un aspect peut rapidement engendrer le dysfonctionnement d’un autre: la démocratie sans droits sape la démocratie elle-même. Par exemple, les violations de la liberté d'expression ou de réunion sont clairement préjudiciables au pluralisme, qui est nécessaire pour toute forme démocratique de gouvernement. Il y a donc de bonnes raisons de craindre que la démocratie libérale ne survive pas si l’un de ses éléments est abandonné et si nous ne pouvons éviter la lente divergence entre ses deux piliers 
			(8) 
			Le
peuple contre la démocratie, Yascha Mounk, Editions de
l’Observatoire, 2018..

2. La démocratie en recul en Europe et à travers le monde

2.1. Constat et éléments d’analyse

9. Depuis plusieurs années, de nombreuses organisations travaillant pour la défense des droits humains et de la démocratie alertent sur un recul de la démocratie dans le monde. Le phénomène va de pair avec un recul tout aussi inquiétant des droits humains et de la prééminence du droit, qui sont étroitement liés à la démocratie. Les constats sont alarmants au point que l’on parle désormais de «démocratie assiégée» 
			(9) 
			«<a href='https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2021/democracy-under-siege'>Freedom
in the World 2021, Democracy under Siege</a>», Freedom House (anglais
seulement).. Dans son dernier rapport sur l’état de la démocratie, l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (International IDEA) prévient que «la victoire humaine monumentale obtenue lorsque la démocratie est devenue la forme de gouvernance prédominante est aujourd'hui plus que jamais menacée» 
			(10) 
			«<a href='https://www.idea.int/gsod/'>The Global State
of Democracy Report 2021, Building Resilience in a Pandemic Era</a>», International
IDEA, novembre 2021 (anglais seulement)..
10. L’Europe n’est hélas pas épargnée par ce phénomène marqué notamment par la montée des partis populistes et par une érosion graduelle des valeurs démocratiques, par des gouvernements et des dirigeants démocratiquement élus. En effet, l’édition 2021 du rapport de la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe sur la situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit constate également «un recul clair et inquiétant de la démocratie» 
			(11) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>Rapport
de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe</a>, 2021..
11. Dans les dernières décennies, nos démocraties ont été confrontées à de nombreux défis qui ont eu un impact considérable tant sur le fonctionnement des institutions démocratiques que sur la perception de nos sociétés vis-à-vis de la classe politique traditionnelle. La concentration importante de la richesse et du pouvoir a pris en otage les institutions démocratiques à travers, entre autres, la politique, les médias et la justice. La globalisation, les inégalités économiques croissantes, la stagnation économique, le chômage et l’érosion de la classe moyenne ont mené à une crise de confiance généralisée dans la capacité de la classe politique et des forces politiques traditionnelles à garantir la prospérité et la bonne gouvernance. L’image de la démocratie représentative a également été ternie par des pratiques comme la corruption ou la fraude fiscale. Par ailleurs, le multiculturalisme ou encore l’impact de la crise migratoire ont généré un sentiment d’insécurité créant ainsi un terrain propice au nationalisme et à la xénophobie. Une insatisfaction globale vis-à-vis de la démocratie s’est ainsi installée et a joué un rôle crucial dans la montée du populisme.
12. Pour restaurer la confiance dans les institutions démocratiques, il faut passer par une évaluation sérieuse, globale et créative de ces défis politiques. Les décideurs politiques doivent prêter attention aux préoccupations légitimes des citoyens qui ont le sentiment de perdre leurs repères face à la mondialisation qui menace leurs emplois ou leurs perspectives économiques, à l’échec économique ou à l’immigration incontrôlée, et qui se sentent abandonnés par l’Europe, les rendant réceptifs aux appels populistes 
			(12) 
			Les récits populistes
peuvent différer selon les contextes nationaux, mais ils ont en
commun d'être profondément clivants et de prétendre représenter
“le peuple” – une “communauté imaginaire” censée être lésée par
ceux qui sont contre “le peuple”. <a href='https://humanrightshouse.org/noop-media/documents/22908.pdf'>Resisting
ill democracies in Europe, 2017.</a>.
13. Il est également important de garantir une bonne gouvernance démocratique. Dans ce contexte, la démocratie locale et régionale a un rôle important à jouer dans la mesure où, globalement, les citoyens font plus confiance aux collectivités locales qu’aux autorités du pouvoir central. Les 12 Principes de bonne gouvernance démocratique au niveau local du Conseil de l’Europe – qui couvrent des questions telles que le comportement éthique, l’état de droit, l’efficacité et l’efficience, la transparence, la bonne gestion financière, la responsabilité – constituent un outil précieux pour les collectivités, qui doivent également disposer des compétences nécessaires, de ressources financières adéquates et d’un personnel qualifié pour pouvoir assurer une bonne gouvernance et fournir les meilleurs services à l’ensemble de la population. On ne peut que se féliciter que des travaux soient en cours pour l’élaboration, sous la responsabilité du Comité européen sur la démocratie et la gouvernance (CDDG), d’un projet de recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur les principes de bonne gouvernance démocratique d'application générale à tous les niveaux de gouvernement, en s'appuyant sur les 12 Principes de bonne gouvernance démocratique au niveau local.
14. Par ailleurs, face à l’érosion de la base populaire des partis traditionnels, il est impératif que les gouvernements revigorent l’éducation civique et l’éducation démocratique, en diffusant les valeurs d’un mode de vie démocratique à tous les stades de l’éducation et de la formation des jeunes, y compris en sensibilisant aux risques du cyberespace et de la désinformation. Dans ce contexte, il est encourageant de noter que l’éducation à la citoyenneté démocratique, l’autonomisation des jeunes et le renforcement de leur rôle dans les processus décisionnels font partie des priorités stratégiques du Conseil de l’Europe pour les quatre années à venir. En effet, comme le souligne la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, «toute action dans ce domaine est un investissement dans le développement démocratique futur des sociétés européennes et une garantie forte de la volonté des jeunes de protéger et de promouvoir les droits de l’homme, les valeurs démocratiques et l’État de droit. 
			(13) 
			SG/Inf(2020)34. Voir
également les travaux menés dans le cadre de la Recommandation CM/Rec
(2010) 7 du Comité des Ministres sur la Charte du Conseil de l’Europe
sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits
humains. <a href='https://www.coe.int/fr/web/human-rights-education-youth/edc-hre-charter-review'>https://www.coe.int/fr/web/human-rights-education-youth/edc-hre-charter-review</a>.»

2.2. Un recul progressif

15. Lors de l’audition de janvier 2020, M. Diamond a affirmé que l’accélération significative de la «faillite démocratique» ces quarante dernières années ne s’est pas faite du jour au lendemain, mais par une «asphyxie graduelle, progressive, larvée et insidieuse de la démocratie» 
			(14) 
			Voir
également Larry Diamond, Ill Winds: Saving
Democracy from Russian Rage, Chinese Ambition, and American Complacency,
Penguin Press, 2019; In Search of Democracy, Routledge, 2016; The Spirit of Democracy, Times Books, 2008.. Dans le même registre, M. Frendo a souligné qu’il est rare que le passage à une «démocratie illibérale» soit brutal, et qu’il est plutôt le résultat d’une «érosion graduelle, morceau par morceau, des valeurs démocratiques du pays ne laissant finalement en place que l’armature d’un processus électoral conduisant à la domination de la majorité».
16. M. Diamond a présenté ce qu’il qualifie de «programme de l’autocrate en douze points», décrivant le cheminement des dirigeants ou gouvernements démocratiquement élus, généralement sur la base d’une plateforme populiste:
i. commencer par diaboliser l’opposition en la faisant passer pour un establishment illégitime, antipatriote, discrédité et déconnecté des «vraies gens»;
ii. saper l’indépendance des tribunaux en forçant les juges en place à partir et en les remplaçant par d’autres sous la coupe du pouvoir en place;
iii. saper l’indépendance des médias, en les taxant de parti pris, en mobilisant la dynamique populiste à leur encontre et en en prenant le contrôle grâce à des sociétés politiquement affiliées et au copinage politique lié aux partis;
iv. s’il existe un service public audiovisuel, en prendre le contrôle et le politiser;
v. imposer un contrôle plus strict d’internet au nom de la moralité, de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, mais qui paralyse la liberté d’expression;
vi. faire plier d’autres pans de la société civile, en particulier les ONG et les universités, en les accusant d’être élitistes, politiquement partisans et antigouvernementaux;
vii. intimider le monde des affaires pour qu’il cesse de soutenir les partis d’opposition;
viii. se servir du contrôle étatique sur les contrats, les flux de crédit et d’autres ressources pour enrichir une nouvelle classe d’affairistes issue du copinage politique et proche du parti au pouvoir et sur qui celui-ci peut compter;
ix. étendre le contrôle politique sur la bureaucratie et les services de sécurité de l’État pour éradiquer de ces structures quiconque n’a pas une loyauté sans faille; utiliser les services de renseignements de l’État comme une arme contre l’opposition;
x. redécouper les circonscriptions électorales et tordre les règles électorales de telle manière qu’il sera beaucoup plus difficile pour les partis de l’opposition de sortir vainqueurs du scrutin suivant;
xi. prendre le contrôle de l’administration électorale pour faire basculer encore plus le terrain de jeu électoral et institutionnaliser l’autoritarisme offensif;
xii. redéployer les étapes 1 à 11, avec encore plus de vigueur, pour instiller chez ceux qui critiquent la nouvelle hégémonie politique ou s’y opposent la peur propre à décourager toute forme significative de résistance 
			(15) 
			«<a href='https://diamond-democracy.stanford.edu/speaking/speeches/defending-liberal-democracy-slide-toward-authoritarianism'>Defending
Liberal Democracy from the Slide Toward Authoritarianism </a>», Larry Diamond, Université de Stanford, novembre 2017.
17. En conséquence, les institutions et les acteurs dont le rôle est de servir de contrepouvoir au pouvoir exécutif et de le surveiller sont progressivement vidés de leur substance, corrompus ou détournés de leur objet. Face à ces dérives, il est crucial de défendre activement l’indépendance de la justice, du pouvoir législatif, du ministère public, des organes de lutte contre la corruption, des structures d’audit, des médias, de la société civile, des universités et des groupes de réflexion (think tanks).
18. La Liste des critères de l’État de droit 
			(16) 
			«<a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>Liste
des critères de l’État de droit – entérinée par l’Assemblée parlementaire</a>», Commission de Venise, Conseil de l’Europe, octobre
2017., définie par l’organe du Conseil de l'Europe spécialisé dans le droit constitutionnel, la Commission de Venise, et entérinée à la fois par l’Assemblée et le Comité des Ministres, peut être considérée comme un dispositif utile pour ajuster le cours d’un gouvernement, associée à une volonté politique affichée de consolider les piliers de la démocratie.

3. Incidence de la pandémie de covid-19

19. La pandémie de covid-19 a représenté un test sérieux de la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et a eu un impact sur de nombreux éléments des sociétés européennes au-delà des services de santé, y compris sur le respect des valeurs défendues par le Conseil de l'Europe. En ce qui concerne l’impact sur la démocratie, le constat du rapport de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe est sans appel: si le phénomène du recul de la démocratie est antérieur à la crise sanitaire, les mesures légitimes prises par les autorités nationales pour faire face à la covid-19 ont aggravé cette tendance 
			(17) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>Rapport
de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe</a>, 2021, op. cit..
20. En effet, la crise sanitaire a affecté le processus démocratique dans tous les pays du monde. D’après International IDEA, pour faire face à la pandémie, plus de la moitié des pays du monde ont déclaré un état d'urgence national leur permettant de prendre des mesures drastiques (et souvent nécessaires) pour endiguer la propagation de la covid-19. Dans plus de la moitié des pays du monde, les mesures mises en place ont été considérées préoccupantes du point de vue de la démocratie et des droits humains, car elles n’étaient notamment pas proportionnelles au regard de la menace sanitaire. Les aspects de la démocratie qui ont connu les évolutions les plus préoccupantes pendant la pandémie sont la liberté d'expression, la liberté des médias, l'intégrité et la sécurité des personnes. Un autre processus démocratique fondamental qui a été lourdement affecté par la pandémie est le processus électoral, la moitié des élections prévues entre février et décembre 2020 ayant été reportées en raison de la pandémie 
			(18) 
			<a href='https://www.idea.int/sites/default/files/publications/global-democratic-trends-before-and-during-covid-19-pandemic.pdf'>Taking
Stock of Global Democratic Trends Before and During the COVID-19
Pandemic</a>, International IDEA, décembre 2020 (anglais seulement)..
21. Notre Assemblée a adopté une série de textes consacrés aux différents aspects de la crise sanitaire et de ses effets. Dans la Résolution 2337 (2020) «Les démocraties face à la pandémie de covid-19» adoptée sur la base d'un rapport approuvé par notre commission, l’Assemblée a rappelé l’importance des parlements en tant que garants de la démocratie en temps de crise, en réaffirmant leur rôle fondamental dans le contrôle de l’action gouvernementale: les parlements, qui garantissent le bon fonctionnement du système de freins et contrepoids, atténuent considérablement le risque d’abus des pouvoirs d’exception par les gouvernements et évaluent l’efficacité des mesures prises pour lutter contre la pandémie. L’Assemblée a également souligné que la continuité des travaux parlementaires et l’information du public sur ces travaux permettent aussi de garantir la légitimité du gouvernement, de rendre les procédures d’élaboration des politiques plus transparentes et de renforcer la confiance de la population, ce qui peut augmenter son adhésion aux mesures d’urgence. Concernant les élections en situation d’état d’urgence, l’Assemblée a suggéré un ensemble de principes, fondés sur les recommandations de la Commission de Venise.
22. L’Assemblée a également recensé des valeurs démocratiques et des principes fondamentaux auxquels les États ne doivent pas déroger, et a attiré l’attention sur certains problèmes qui ont été constatés, dont notamment: le fondement juridique invoqué pour instaurer l’état d’urgence n’était pas toujours suffisant pour justifier les mesures prises et n’était pas toujours clair; la durée et le champ d’application des mesures restrictives n’étaient pas toujours dûment limités; les possibilités de déroger à la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5)pourraient avoir été utilisées trop facilement et peut-être inutilement; le mode de fonctionnement des systèmes judiciaires n’a pas toujours permis de garantir le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable; le parlement, notamment l’opposition, n’a pas toujours pu jouer pleinement son rôle.

4. Les éléments structurels des démocraties véritables

4.1. Pluralisme des opinions et liberté d’expression

23. Pour renforcer la participation de la population au débat politique, il est fondamental que chaque citoyen ait accès à l’ensemble des opinions, pensées et idées. Chacun doit bénéficier du droit à la liberté de pensée et de conscience et nul ne doit faire l’objet de mauvais traitements ni de poursuites judiciaires pour ses idées. Le pluralisme d’idées permet des échanges bénéfiques d’opinions et rend possible le débat politique.
24. Le droit à la liberté de pensée est protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et il existe une abondante jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans ce domaine 
			(19) 
			<a href='http://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_9_FRA.pdf'>Guide
sur l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme</a>, Cour européenne des droits de l'homme.. Dans l’intérêt du débat politique, la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention et objet d’une riche jurisprudence également, ne peut être restreinte que selon des conditions très précises, car elle est «le pilier de la défense des droits fondamentaux» et, sans elle, «il est impossible de connaître la violation des autres droits» 
			(20) 
			Opinion
dissidente individuelle de M. le juge Pettiti dans l'arrêt rendu
par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Markt Intern Verlag GMBH et Klaus Beermann
c. Allemagne (1989).. Toute restriction potentielle doit donc être considérée comme une exception, être proportionnée à l’objectif poursuivi et faire l’objet d’une interprétation étroite.
25. Il convient de souligner que les réseaux sociaux tendent progressivement à jouer un rôle crucial dans la participation politique de la population, car ils facilitent la communication dans la sphère publique, et offrent de nouvelles possibilités de libre expression. Toutefois, ils facilitent aussi la diffusion de contenus litigieux, préjudiciables et illégaux. Outre les discours de haine, un volume croissant de désinformation contribue au «désordre de l’information» et a un impact négatif sur la confiance de la société dans les médias et, plus largement, dans les institutions démocratiques 
			(21) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>Rapport
de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe</a>, 2021, op. cit.. Un cadre réglementaire clair concernant l’information à l’ère du numérique est donc nécessaire, avec une coopération étroite entre les États et les multinationales de l’internet 
			(22) 
			Le peuple contre la démocratie,
Yascha Mounk, Editions de l’Observatoire, 2018, op. cit..
26. D’après un rapport préparé par M. Frithjof Schmidt (Allemagne, SOC), intitulé «Démocratie piratée? Comment réagir?» «les tactiques de manipulation et de désinformation ont joué un rôle important dans les élections d’au moins 18 pays en 2017, compromettant la capacité des citoyens à choisir leurs dirigeants sur la base d’informations factuelles et de véritables débats, et donnant lieu à l’émergence de ce qui a été qualifié «d’autoritarisme numérique». Dans le même temps, certains gouvernements partout dans le monde renforcent le contrôle des données des citoyens et invoquent le phénomène des «fake news» (infox) pour faire taire les voix dissidentes, minant ainsi la confiance envers internet et affaiblissant les fondements de la démocratie» 
			(23) 
			Doc. 15028.. L'ingérence numérique dans les élections continue d’être répandue dans tous les pays de l'éventail démocratique et les réseaux sociaux, un vecteur croissant de manipulation électorale et de surveillance de masse 
			(24) 
			<a href='https://freedomhouse.org/article/report-digital-election-interference-widespread-countries-across-democratic-spectrum'>https://freedomhouse.org/article/report-digital-election-interference-widespread-countries-across-democratic-spectrum</a>, 
			(24) 
			<a href='https://freedomhouse.org/article/social-media-are-growing-conduit-electoral-manipulation-and-mass-surveillance'>https://freedomhouse.org/article/social-media-are-growing-conduit-electoral-manipulation-and-mass-surveillance</a>..
27. Concernant la couverture des campagnes électorales par les médias, les rapports d’observation des élections de l’Assemblée notent que, dans un grand nombre de pays, la plupart des médias sont affiliés aux principaux partis politiques et que les médias publicitaires sont contrôlés par ces derniers, donc le pluralisme des médias peut être considéré comme limité. Lors de son intervention le 3 novembre 2021, le Président de la Commission de Venise, M. Buquicchio, a confirmé ce constat lorsqu’il a souligné que l’un des principaux défis en matière électorale est la distorsion de la concurrence politique, notamment par la couverture médiatique non équilibrée. De plus, il y a de vives inquiétudes quant à la très forte concentration de la propriété des médias, l’accaparement de nombreux organes médiatiques et le manque de transparence quant à leurs sources de financement et leurs propriétaires.
28. La sécurité des défenseurs des droits humains, dont notamment les avocats, les journalistes, et les membres d’ONG, est certainement un critère d'une démocratie véritable. Dans sa Résolution 2225 (2018) «Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe», l’Assemblée a noté que les mesures de représailles visant les défenseurs des droits humains se sont multipliées ces dernières années. De même, dans sa Résolution 2317 (2020) «Menaces à la liberté des médias et à la sécurité des journalistes en Europe», l’Assemblée a souligné l’urgence de protéger la sécurité des journalistes et déclaré qu’au cours des cinq dernières années les «menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes sont devenues si nombreuses, récurrentes et graves qu’elles mettent en danger […] la stabilité et le bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques».

4.2. Liberté de réunion et d’association

29. Le droit à la liberté de réunion pacifique, consacré par l'article 11 de la Convention, est un droit fondamental dans une société démocratique et, comme le droit à la liberté d'expression, l'un de ses fondements. La liberté d'association – également consacrée par l’article 11 – revêt une importance similaire et la Cour européenne des droits de l’homme a souligné sa relation directe avec la démocratie et le pluralisme, notant que l'état de la démocratie dans un pays peut être mesuré par la manière dont cette liberté est garantie par la législation nationale et dont les autorités l'appliquent en pratique.
30. Si, dans le contexte de l’article 11, la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis politiques pour le maintien du pluralisme et de la démocratie, les associations créées à d’autres fins, notamment la protection du patrimoine culturel ou spirituel, la poursuite de divers buts sociaux ou économiques, la proclamation et l’enseignement d’une religion, la recherche d’une identité ethnique ou l’affirmation d’une conscience minoritaire, sont également importantes pour le bon fonctionnement de la démocratie. En outre, les ONG jouent un rôle majeur dans le contrôle de l’action étatique et la dénonciation de violations des droits humains. Comme souligné par l’ancien Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, cette fonction de sentinelle est pleinement conforme aux objectifs d’une démocratie libérale et se situe à l’opposé de tout autoritarisme 
			(25) 
			<a href='https://edoc.coe.int/fr/un-aperu/7344-pdf-situation-de-la-democratie-des-droits-de-lhomme-et-de-letat-de-droit.html'>Rapport
du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe</a>, 2017, p. 59..
31. Dans sa Résolution 2226 (2018) «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe», l’Assemblée a, elle aussi, souligné l’importance des ONG dans le développement et la réalisation de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains, en promouvant la sensibilisation du public et la participation à la vie publique, en veillant à la transparence et à la nécessité pour les autorités publiques de rendre compte de leur action et en contribuant à la vie culturelle et au bien-être social des sociétés démocratiques. Observant avec préoccupation que l’espace dévolu à la société civile s’est rétréci ces dernières années dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe, surtout pour les ONG qui œuvrent dans le domaine des droits humains, l’Assemblée a décidé de rester active sur cette question 
			(26) 
			Le rapport de la Secrétaire
Générale du Conseil de l’Europe fait le même constat: l’espace dévolu
à la société civile diminue dans un nombre croissant de pays et
les manifestations publiques et pacifiques sont souvent traitées
comme des actions dangereuses.. En 2021, l'Assemblée a adopté une nouvelle résolution portant sur la même question, observant que l’espace dévolu à la société civile continuait à se rétrécir 
			(27) 
			Résolution 2362 (2021) «Restrictions des activités des ONG dans les États membres
du Conseil de l'Europe»..

4.3. Élections libres et équitables

32. Après avoir promu et protégé le pluralisme souhaité, tout gouvernement démocratique devrait également garantir le droit à des élections libres et équitables qui est déterminant pour le maintien des fondements d’une démocratie effective et véritable régie par l’État de droit. La légitimité de tout gouvernement repose sur la tenue d’élections permettant aux citoyens de participer au débat démocratique et d’exprimer leurs choix par les urnes.
33. Le Forum pour l’avenir de la démocratie, qui s'est tenu à Kiev du 21 au 23 octobre 2009, a déclaré dans ses conclusions, qui restent valables aujourd'hui, que:
i. Des élections démocratiques sont décisives pour garantir que la volonté du peuple soit respectée lorsqu’il s’agit de former la législature et le gouvernement à tous les niveaux. Le processus de transformation du résultat d’un scrutin en mandats politiques doit se dérouler de manière équitable, impartiale et fiable. Les citoyens doivent être sûrs que leur volonté collective a été respectée et, de leur côté, ils accepteront le verdict sorti des urnes.
ii. Le Conseil de l’Europe a pour objectif que chacun s’entende sur l’ensemble des principes qui font que des élections seront considérées comme «libres et équitables», conformément aux normes démocratiques. Ces normes doivent être pleinement mises en œuvre dans toutes les élections qui se déroulent sur le territoire des États membres du Conseil de l’Europe, de ceux qui aspirent à le devenir ou de ceux qui s’engagent dans une relation privilégiée avec l’Organisation.
34. Force est de constater toutefois que la confiance du public dans le processus électoral diminue très fortement, comme le montre la baisse continue de la participation aux élections. Selon le dernier rapport de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, le taux moyen de participation aux élections législatives en Europe stagne pour la dixième année consécutive et en 2020, il a même diminué. Fin 2020, 13 États membres (soit 27,66 %) avaient élu leur parlement avec une participation inférieure à 50 %. Malgré cette tendance à la baisse de la participation électorale, le rapport constate un regain d’intérêt pour les affaires publiques, ce qui semble montrer que «les systèmes électoraux tels qu’ils existent aujourd’hui ne permettent plus aux citoyens d’influencer les décisions publiques, ce qui met à mal le lien de confiance qui unissait l’électorat et les représentants élus». Il serait donc crucial d’engager une véritable réflexion sur l’évolution des pratiques et des systèmes électoraux afin de les adapter aux réalités d’aujourd’hui.
35. De plus, la prévention de toute manipulation de la procédure électorale par le gouvernement est au cœur de l’alternance démocratique des partis politiques au pouvoir. C’est pourquoi la procédure électorale doit être organisée et supervisée par une autorité indépendante et impartiale chargée de garantir des élections libres et équitables.
36. En dehors du gouvernement, il est capital d’éviter que des intérêts économiques particuliers exercent une influence illégitime. La question de la transparence du financement des partis politiques et des candidats doit attirer l’attention des autorités électorales. En même temps, l’interdiction disproportionnée du financement des partis peut mener à une manipulation de la campagne préélectorale 
			(28) 
			Commission de Venise, <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2002)023rev2-cor-f'>Code
de bonne conduite en matière électorale. Lignes directrices et rapport
explicatif</a>.. Dans sa Résolution 2390 (2021) «Transparence et réglementation des dons de sources étrangères en faveur de partis politiques et de campagnes électorales», l’Assemblée s’est déclarée vivement préoccupée par le fait que les lacunes juridiques de la réglementation en vigueur relative aux contributions financières provenant de sources étrangères en faveur de partis politiques et de campagnes électorales soient ou puissent être exploitées ou délibérément contournées afin d’exercer une influence inappropriée sur les processus politiques. Elle a fait des propositions concrètes pour remédier à ces lacunes, appelant les États notamment à réexaminer leur réglementation pertinente ainsi que l’exécution qui en est faite.
37. En outre, la Résolution 2332 (2020) de l’Assemblée «Fixation de normes minimales pour les systèmes électoraux afin de créer une base pour des élections libres et équitables» fait valoir qu’un écart entre les choix politiques des électeurs tels qu'ils s’expriment lors des élections et la composition des institutions élues est un signe de déficit démocratique et met en doute l’équité du système électoral. En conséquence, l’Assemblée a invité la Commission de Venise à réfléchir à la mise en place de normes minimales auxquelles les systèmes électoraux doivent se conformer pour être considérés comme garantissant non seulement des élections libres mais aussi des résultats équitables. Elle l’a également invitée à envisager la mise à jour du Code de bonne conduite en matière électorale de 2002 afin de suivre l’évolution des réalités politiques observées dans les sociétés européennes et de faire face aux nouveaux défis.

4.4. Rôle fondamental de l’opposition parlementaire

38. Le système de représentation et le riche héritage du parlementarisme ont déjà créé une tradition importante en ce qui concerne l’opposition dans les États membres du Conseil de l’Europe. Cependant, la situation juridique de l’opposition devrait correspondre à sa mission politique qui est de faire valoir les points de vue et les droits de la minorité, d’exposer les opinions de cette dernière et de diffuser sa vision. L’opposition devrait disposer de moyens suffisants pour exercer le contrôle indispensable sur le gouvernement. Toute mesure adoptée en vue d’affaiblir la minorité parlementaire aboutit à la tyrannie de la majorité et revient donc à saper la démocratie elle-même 
			(29) 
			Parliamentary
Opposition in Old and New Democracies, Ludger Helms,
Routledge, 2009 (anglais seulement)..
39. En 2008, notre Assemblée a adopté la Résolution 1601 (2008) «Lignes directrices procédurales sur les droits et devoirs de l’opposition dans un parlement démocratique». Depuis lors, au vu de la montée de tendances inquiétantes en Europe, l’ancien Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, M. Jagland, a demandé à la Commission de Venise de formuler des lignes directrices sur les relations entre majorité et opposition. En conséquence, les 21-22 juin 2019, la Commission de Venise a adopté un avis sur les «Paramètres des rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie: une liste des critères» 
			(30) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2019)015-f'>CDL-AD(2019)015</a>..
40. Cette liste de critères – qui a été ensuite entérinée par le Comité des Ministres – va au-delà des droits spécifiques de l’opposition, elle traite aussi des droits des députés et du parlement en général. L’accent est cependant mis sur les droits de l’opposition. Celle-ci doit pouvoir participer au processus législatif de façon effective: dans ce contexte la liste traite de sa participation à la fixation de l’ordre du jour, de la répartition du temps de parole, du dépôt d’amendements, des décisions à prendre à la majorité qualifiée, de l’initiative référendaire, de la possibilité de demander un contrôle de constitutionnalité des lois.
41. L’importance de la participation de l’opposition au contrôle parlementaire de l’action du gouvernement y est également soulignée. De manière plus générale, la liste est le reflet des principes fondamentaux selon lesquels la démocratie n’est pas la dictature de la majorité. En effet, lors de son intervention le 3 novembre 2021, M. Buquicchio a souligné qu’un problème souvent dénoncé par la Commission de Venise est celui de l’adoption expéditive de textes législatifs sans consultation préalable et sans débat approfondi au parlement. Il a insisté sur le fait qu’un processus aussi inclusif que possible implique le compromis ou, mieux encore, la recherche d’une solution gagnant-gagnant.

4.5. Légalité et sécurité juridique

42. Le principe de légalité est reconnu à la fois par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Commission de Venise comme une composante de l’État de droit. Il revêt une grande importance dans l’ordre juridique des démocraties, car il implique que toute action de l’État doit être conforme à la loi et autorisée par la loi. Dans ces conditions, la loi étant l’aboutissement de la procédure parlementaire, sa suprématie renforce le régime démocratique.
43. C’est la raison pour laquelle aucun gouvernement n’est autorisé à interpréter la loi contra legem. Il convient d’y ajouter le principe de sécurité juridique, car l’accessibilité et la prévisibilité de la loi exigent que sa formulation soit suffisamment précise et claire pour permettre aux sujets de droit de régler leur conduite conformément à ses règles. De plus, dans une démocratie, toute institution doit respecter la non-rétroactivité du droit pénal ainsi que la force de la chose jugée (res judicata) 
			(31) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)007-f'>Liste
des critères de l'État de droit</a>, Commission de
Venise..

4.6. Anti-discrimination, diversité et inclusion

44. La démocratie repose sur le respect des droits humains ainsi que la participation et l'inclusion de tous les citoyens. Le 17 mai 2019, à Helsinki, à l’occasion du 70e anniversaire du Conseil de l'Europe, le Comité des Ministres a adopté une déclaration dans laquelle il a réaffirmé «l’importance des politiques d’égalité et de lutte contre la discrimination dans une société démocratique caractérisée par le pluralisme, la tolérance et l’ouverture d’esprit». Pour donner suite à cette déclaration, un Comité directeur sur l’anti-discrimination, la diversité et l'inclusion (CDADI) a été créé par le Comité des Ministres afin de promouvoir l’égalité pour tous et développer des sociétés plus inclusives, offrant une protection effective contre la discrimination et la haine, et dans lesquelles la diversité est respectée.
45. On observe hélas dans toute l’Europe une augmentation des discours et des crimes de haine visant notamment les Roms et les Gens du voyage, les juifs, les musulmans, les personnes de couleur et les minorités ethniques. De même, la victimisation sur la base de l’appartenance et de l’orientation sexuelle est fréquente. Comme l’a noté la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dans son rapport annuel pour l’année 2019, on voit de plus en plus souvent des membres de la classe politique, y compris des parlementaires, tenir des propos haineux contre les groupes minoritaires et les migrants, en particulier sous la forme d’un populisme xénophobe lors des campagnes électorales. Des responsables politiques de haut niveau véhiculent même parfois des stéréotypes négatifs 
			(32) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>Rapport
de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe</a>, 2021.. Par ailleurs, la montée de la xénophobie et du racisme empiète aussi sur l’espace démocratique ouvert aux minorités nationales, qui peuvent de ce fait se retrouver exclues du discours et des décisions politiques.
46. Dans sa Résolution 2275 (2019), l’Assemblée a souligné que, utilisé dans le débat politique, le discours de haine devient un obstacle au dialogue constructif entre les forces politiques et mine les valeurs démocratiques. Elle a rappelé que «les femmes et les hommes politiques ont à la fois l’obligation politique et la responsabilité morale de n’utiliser ni propos haineux ni vocabulaire stigmatisant, et de condamner immédiatement et clairement leur utilisation par autrui, car leur silence peut être interprété comme une approbation ou un soutien. La protection renforcée de la liberté d’expression dont ils jouissent augmente d’autant leur responsabilité dans ce domaine».
47. La participation des femmes constitue une composante essentielle de la démocratie. Il ne peut pas y avoir de véritable démocratie sans la représentation et participation équilibrées des femmes et des hommes aux processus démocratiques. En effet, une démocratie qui néglige les aspirations et le potentiel de 50 % de la société est intrinsèquement biaisée. L'égalité contribue aussi à renforcer la démocratie, tel que démontré par la recherche et l'expérience sur le terrain. Il est donc nécessaire de s'attaquer aux schémas d'exclusion, aux barrières structurelles, aux stéréotypes et aux relations de pouvoir inégales qui perpétuent ces schémas.

4.7. Ni abus ni détournement de pouvoir par le gouvernement

48. La séparation des pouvoirs est l’un des piliers de l’État moderne. Tout ordre constitutionnel doit garantir que les pouvoirs de l’État sont répartis entre trois branches: législative, exécutive et judiciaire. Au final, l’objectif souhaité est de prévenir les abus de pouvoir, mais il est également essentiel d’éviter les détournements de pouvoir. Dans une démocratie, il existe des garanties juridiques contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir dans l’hypothèse où le gouvernement tenterait d’élargir ses compétences au-delà du cadre légal, ou même d’utiliser ses compétences à des fins illégitimes.
49. Il est ainsi fortement recommandé de prévoir des restrictions claires et une autorité compétente pour corriger et sanctionner les abus. Des autorités indépendantes, telles que le médiateur, et une série de comités de réglementation, comme préconisé par la Commission de Venise, peuvent également être un moyen utile pour corriger l’abus ou le détournement du pouvoir 
			(33) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)007-f'>Liste
des critères de l'État de droit</a>, Commission de Venise..

4.8. Efficacité, impartialité et indépendance de la justice

50. Un système judiciaire efficace, impartial et indépendant est un pilier essentiel de l’État de droit et une condition préalable à l’exercice des droits et libertés fondamentaux, y compris le droit à un procès équitable. Il est également la pierre angulaire du système d’équilibre démocratique des pouvoirs, c’est-à-dire de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire doit donc être indépendant sur les plans administratif et financier et le gouvernement doit s’abstenir de prendre des mesures qui fragilisent son statut particulier. Cela signifie qu’un financement suffisant est nécessaire et que le conseil de la magistrature chargé de la gestion administrative doit être composé de juges (au moins 50 % + 1) choisis par leurs pairs. L’appareil judiciaire doit par ailleurs jouir d’un pouvoir de décision indépendant et les juges doivent bénéficier d’une indépendance personnelle en ce qui concerne leur mandat et leur rémunération.
51. Lors de son intervention le 3 novembre 2021, M. Buquicchio a fait état des éléments préoccupants par rapport à l’indépendance de la justice, dont notamment des entraves résultant de la législation: des pouvoirs excessifs de l’exécutif et du législatif dans la désignation des juges; l’absence de garantie de stabilité des juges – y compris de la possibilité de les muter facilement sans leur accord; la création de nouveaux tribunaux ou la suppression des anciens; le rôle limité des juges dans l’élection du Conseil national de la magistrature; et l’existence de juridictions spécifiques jugeant les juges eux-mêmes.
52. De la même manière, une des principales constatations du rapport de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe est que, ces dernières années, la fréquence des initiatives législatives et interventions visant à influer politiquement sur les nominations à des fonctions judiciaires ainsi que sur la composition et le fonctionnement des organes judiciaires autonomes s’est accrue. Par ailleurs, des mesures ont été prises pour affaiblir le principe de l’inamovibilité des juges ou pour autoriser le pouvoir exécutif à remplacer de manière discrétionnaire les présidents des tribunaux.

5. Conclusions

53. Le recul de la démocratie en Europe et dans le monde, observé déjà depuis plusieurs années, s’est aggravé avec la crise sanitaire qui perdure, au point qu’on soit mis en garde contre le danger que «notre culture démocratique ne s’en remette jamais complètement 
			(34) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>Rapport
de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe</a>, 2021.». Il est urgent et impératif d’inverser cette tendance. L’agression de la Fédération de la Russie contre l’Ukraine témoigne de l’importance de la responsabilité des États membres dans ce contexte. Pour chaque État membre du Conseil de l’Europe, il s’agit non seulement d’une responsabilité vis-à-vis de ses citoyens mais aussi vis-à-vis des autres États, dans la mesure où seules des démocraties véritables peuvent garantir la sécurité démocratique et réaliser cet objectif commun qui est «la consolidation de la paix, fondée sur la justice et la coopération internationale» tel que préconisé par le Statut de l’Organisation.
54. Cette crise de la démocratie touche presque tous les aspects de l’ordre démocratique: érosion et perte de la confiance dans les institutions, mésinformation et désinformation du public, rupture de la cohésion sociale et polarisation de la société.
55. Certains avancent qu’il faut inventer de nouveaux modèles de démocratie car la «démocratie libérale» n’a pas été pas capable de répondre aux défis majeurs de ces dernières décennies. Or, la démocratie a la résilience et la souplesse nécessaires pour se renouveler de manière à répondre efficacement aux défis actuels et à venir, ainsi qu’aux besoins et aux attentes des citoyens, tout en restant attachée au respect des libertés individuelles et de la prééminence du droit.
56. Comme souligné par M. Buquicchio lors de son intervention le 3 novembre 2021 au sein de la commission, «la démocratie n’est pas un exercice pour philosophes, mais elle se doit d’être vivante, d’impliquer le peuple qui lui a donné son nom ainsi que ses élus», donc nous, parlementaires des États membres.
57. L’Assemblée devrait clairement exprimer sa volonté politique pour renforcer et renouveler la démocratie, fondée sur le respect des libertés individuelles et l’État de droit. Ce faisant il faut garder à l’esprit qu’une démocratie stable et solide n’est pas statique: au contraire, elle est capable de s’adapter aux nouveaux défis et développements de la société et de répondre aux besoins et aux attentes des citoyens, eux aussi en évolution continuelle. L’Assemblée devrait également formuler des recommandations sur la manière d’augmenter l’impact et la cohérence des travaux du Conseil de l’Europe en matière de démocratie.