1. Introduction
2. Il était observé, dans la proposition de résolution, que la
situation de la protection des droits de l’homme et du respect de
l’État de droit demeurait particulièrement préoccupante dans le
Caucase du Nord en Fédération de Russie. De graves violations des
droits de l’homme attribuées à des membres des forces de l’ordre,
des violences et actes extrémistes continuels attribués à des insurgés
radicaux et d’autres actes arbitraires attribués aux autorités locales
continuaient d’être signalés. La proposition de résolution évoque
tout spécialement les constantes persécutions de journalistes, de
militants de la défense des droits civils, de défenseurs des droits
de l’homme, de femmes, de filles et de personnes LGBTI. Elle relève
le manquement constant de la Fédération de Russie à exécuter les
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concluant à des
violations répétées commises dans la région, et appelle l’Assemblée
à continuer de surveiller la situation et à offrir à la Fédération
de Russie toute l’aide possible pour rétablir les droits de l’homme
et l’État de droit dans le Caucase du Nord.
3. Le présent rapport a donc pour but d’examiner l’évolution
spécifique des situations qui inquiètent particulièrement l’Assemblée,
évoquées dans la
Résolution 2157
(2017); de vérifier si la Fédération de Russie a donné suite
aux recommandations de l’Assemblée ; et de formuler à ce propos
toute autre recommandation nécessaire pour l’avenir. Pour ce faire,
d’amples recherches ont été entreprises, notamment plusieurs auditions
de la commission, une visite d’enquête dans la région et des entretiens
avec des experts et des victimes.
4. La commission a auditionné deux experts le 24 avril 2018,
conjointement avec la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
dans le cadre du présent rapport et du rapport à la base de la
Résolution 2230 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène
(Fédération de Russie) . Elle a entendu deux experts le 10 septembre
2018 et quatre autres le 25 juin 2019. Elle m’a autorisé le 15 novembre
2019 à mener des entretiens distincts complémentaires avec des victimes,
dont certaines ont souhaité garder l’anonymat. Elle a spécifiquement
auditionné le 28 janvier 2020 trois témoins et un expert sur le
thème de la persécution des personnes LGBTI. Je me suis entretenu
le 18 janvier 2022 en vidéoconférence avec des victimes de violations
des droits de l’homme, des représentants de la société civile, des
journalistes de
Novaya Gazeta et
Caucasian Knot et des membres des
organisations non gouvernementales suivantes: Memorial, Joint Mobile
Group, Russian Justice Initiative, Civic Assistance Committee, LGBT
Network, Human Rights Watch, Conflict Analysis and Prevention Centre.
Parmi les journalistes, avocats et défenseurs des droits de l’homme,
dont des spécialistes de la bioarchéologie humaine et de l’anthropologie
biologique, qui ont assisté aux auditions en qualité d’experts ou
de victimes, certains ont préféré garder l’anonymat par crainte
des persécutions.
5. Je me suis rendu du 18 au 20 septembre 2019 en visite d’information
à Moscou et à Grozny (République tchétchène); je m’y suis entretenu
avec les autorités fédérales et locales et j’y ai recueilli des
informations sur la situation des droits de l’homme sur place. Ma
seconde visite à Moscou, à Magas (Ingouchie) et à Makhatchkala (Daghestan)
a malheureusement été reportée à deux reprises en raison de la pandémie
de covid-19, puis annulée après l’expulsion de la Fédération de
Russie du Conseil de l’Europe.
2. Principaux sujets de préoccupation
évoqués dans la Résolution 2157
(2017) «Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles
suites donner à la Résolution 1738
(2010) ?» et d’autres résolutions en la matière
6. Dans sa
Résolution 2157 (2017), l’Assemblée déplorait les violations systématiques
des droits de l’homme et le climat d’impunité qui règne dans la
région. Elle condamnait tous les actes de terrorisme et faisait part
de sa compassion et de sa solidarité aux familles de toutes les
victimes de la violence dans le Caucase du Nord. Elle observait
avec regret que les recommandations particulières adressées aux
autorités russes dans la
Résolution 1738
(2010) «Recours juridiques en cas de violations des droits
de l’homme dans la région du Caucase du Nord» n’avaient toujours
pas été mises en œuvre. Ses inquiétudes portaient notamment sur les
points ci-dessous.
7. L’Assemblée constatait que la coopération des autorités russes
avec la société civile, au niveau fédéral comme régional, est indispensable
à la consolidation de la paix dans la région. Elle rappelait en
outre le besoin constant d’enquêtes efficaces sur les violations
graves des droits de l’homme commises dans la région, et l’obligation
des autorités russes de mettre un terme au sentiment d’impunité.
8. L’Assemblée appelait la Fédération de Russie à mettre fin
à la brutalité endémique des forces de sécurité et au recours systématique
à des méthodes illicites par les forces de l’ordre. Elle notait
que « le terrorisme ne peut être combattu que dans le respect des
droits fondamentaux et des principes de l’État de droit », et que
la violence ne peut qu’engendrer d’autres violences.
9. L’Assemblée jugeait qu’il était de la plus haute importance
de prévenir les disparitions forcées et de retrouver et d’identifier
les restes des personnes disparues. Elle proposait de façon très
claire que soit créée une commission d’État de haut niveau sur les
personnes disparues, en liaison avec le Comité international de la
Croix-Rouge. Elle estimait avec le Comité des Ministres qu’il était
urgent d’apporter une solution humanitaire au problème des personnes
disparues au lieu du modèle d’enquête retenu par les autorités russes.
Le Comité des Ministres insistait lui aussi sur la nécessité d’un
organe unique de haut niveau chargé d’élucider les affaires de disparition
dans la région.
10. L’Assemblée accordait une attention particulière à la nécessité
de protéger les groupes vulnérables contre la discrimination et
de promouvoir la tolérance dans la région. Elle s’inquiétait de
la détérioration de la situation des femmes et des filles due à
l’interprétation rigide des normes religieuses et au retour à des traditions
locales répressives. Elle condamnait en outre les attaques, les
persécutions et autres violations graves commises contre des personnes
LGBTI. Elle déplorait, dans ses Résolutions
2230 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène
(Fédération de Russie)» et
2417
(2022) «Lutte contre recrudescence de la haine à l’encontre
des personnes LGBTI en Europe», les «violations flagrantes des droits de
l’homme commises à l’encontre des personnes LGBTI en République
tchétchène».
11. Enfin, l’Assemblée a examiné comment les autorités russes
ont coopéré avec les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe
et rempli leur obligation inconditionnelle d’exécution des arrêts
de la Cour. Elle a appelé les autorités à demander la publication
des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), et à
intensifier leur coopération avec le/la Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe. Elle les a de nouveau appelées à
intensifier leur coopération avec le Comité des Ministres dans la
mise en œuvre des mesures individuelles et générales nécessaires
à l’exécution des arrêts de la Cour concernant les violations commises
dans la région.
3. Récapitulation
de l’évolution de la situation depuis l’adoption de la Résolution 2157 (2017)
12. Près de douze ans se sont écoulés
depuis que l’Assemblée a commencé à analyser la situation dans le Caucase
du Nord, et cinq depuis la
Résolution 2157
(2017). La situation des droits de l’homme, loin de s’améliorer,
s’est détériorée dans la région, ce que je vais illustrer à l’aide
d’exemples postérieurs à 2017.
3.1. Sécurité
des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des avocats
de la défense, des organisations non gouvernementales et des militants
de la société civile
13. Les journalistes, les défenseurs
des droits de l’homme, les avocats, les organisations non gouvernementales
et les militants de la société civile sont loin d’être en sécurité
dans le Caucase du Nord, malgré les assurances données par les autorités.
Menaces, représailles et discours de haine semblent y passer pour
des réactions normales à l’expression d’idées et au journalisme
d’investigation.
14. Novaya Gazeta a régulièrement
abordé la corruption et les violations des droits de l’homme dans
le Caucase du Nord et en République tchétchène. Son éminente journaliste,
Elena Milashina, avait enquêté sur le siège de l’école de Beslan
en 2004, l’assassinat d’Anna Politkovskaya en 2006, le conflit d’Ossétie
du Sud en 2008 et l’enlèvement et le meurtre de Natalya Estemirova
en 2009. Elle a également couvert les «purges anti-gay» de 2017
en Tchétchénie, et publié une liste de 27 personnes qui auraient
été tuées par les autorités, et de dizaines d’autres, détenues,
intimidées et torturées dans des prisons secrètes. À la suite de
ces reportages, Novaïa Gazeta a publié
une déclaration exprimant des craintes pour la sécurité de ses reporters lorsque
Adam Shahidov, conseiller du dirigeant de la République tchétchène
Ramzan Kadyrov, et plusieurs prédicateurs musulmans ont accusé le
journal de diffamation et l’ont menacé de représailles.
15. Les autorités russes ont officiellement menacé le journal
de fermeture, et ses journalistes ont été menacés à de nombreuses
reprises de violences physiques. Il a finalement suspendu toute
activité de publication le 28 mars 2022, après un nouvel avertissement
de l’autorité fédérale russe de régulation des médias, Roskomnadzor,
cette fois en rapport avec ses articles sur l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine.
16. Elena Milashina et Marina Dubrovina, une avocate spécialisée
dans les droits de l’homme, ont été agressées et battues en février
2020 par des inconnues à Grozny, en République tchétchène

. En avril 2020, Ramzan Kadyrov lui-même
a menacé Elena Milashina de mort. En février 2022,
Novaya Gazeta a indiqué que des
menaces avaient contraint Elena Milashina à quitter la Fédération
de Russie. Ses dernières enquêtes portaient sur les représailles
de Ramzan Kadyrov contre la famille de Saidi Yangulbayev, un ancien
juge tchétchène.
17. Les autorités tchétchènes s’en sont prises à la famille de
Saidi Yangulbayev lorsque son fils Ibragim s’est mis à signaler
des violations des droits de l’homme commises en Tchétchénie en
2015. Il s’est plaint d’avoir été détenu arbitrairement pour des
motifs politiques en 2017, et torturé par la police tchétchène.
Son frère Abubakar, défenseur des droits de l’homme, a été arrêté
puis remis en liberté après avoir été interrogé comme témoin en
décembre 2021 alors qu’il signalait des enlèvements de proches de
la famille, dont deux sont toujours en détention. En janvier 2022,
sa mère âgée, Zarema Musayeva, a été secrètement arrêtée et détenue
dans des conditions inhumaines sans suivi médical suffisant

.
18. En juin 2017, Pyotr Pliev, correspondant de la Rossiskaya Gazeta en Ossétie du
Nord, a été agressé par un inconnu à Vladikavkaz peu après avoir
publié une enquête concernant un entrepreneur local ossète, dans
laquelle il critiquait le chef de la municipalité. Il avait indiqué
deux jours auparavant avoir reçu des menaces à propos de cette enquête.
En juillet 2020, un homme a appelé et menacé de mort Svetlana Anokhina,
rédactrice en chef du portail web daghestanais Daptar.ru qui défend les droits
des femmes dans le Caucase. Mme Anokhina
a pensé que ces menaces lui avaient sans doute été values par un
article publié la veille, dans lequel elle critiquait les autorités
tchétchènes et fédérales pour l’absence d’enquête sur la mort d’une
Tchétchène attribuée à son mari.
19. Deux hommes ont attaqué en janvier 2021 le journaliste politique
d’Osnova.news, Ruslan Totrov,
dans son bureau de Vladikavkaz, en Ossétie du Nord. Ils l’ont menacé
de mort et lui ont intimé l’ordre d’arrêter d’écrire « des méchancetés
et des mensonges sur leur «frère», Anatoly Bibilov, le président
d’Ossétie du Sud ». Ruslan Totrov est un éminent journaliste ossète
qui publie des analyses politiques sur les soupçons de corruption
et de violations des droits de l’homme en Ossétie du Sud. Un autre
journaliste ossète, Timur Mazayev, et sa famille ont reçu des menaces
de mort publiques d’un homme qui disait être Zelimkhan Bitarov, fils
de l’ancien dirigeant de l’Ossétie du Nord, Vyacheslav Bitarov.
La menace a été publiée sur les réseaux sociaux en réponse à un
article d’Ossetia News présentant
une image satirique d’un combat entre le fils de Vyacheslav Bitarov
et le fils d’un dirigeant du prétendu «Parti libéral-démocrate de
Russie».
20. En février 2020, Tumso Abdurakhmanov, un blogueur sur YouTube
en exil qui critique les autorités tchétchènes, a été frappé dans
son appartement en Suède par un individu non identifié d’origine
tchétchène. Il a lié cette agression aux menaces de Magomed Daudov,
président du Parlement tchétchène, qui avait déclaré une vendetta contre lui à la suite d’une
critique d’Akhmat Kadyrov, ex-président de la République tchétchène
et père de son dirigeant actuel.
21. Ce ne sont là que quelques exemples d’agressions commises
par des particuliers contre des journalistes – avec, semble-t-il,
l’accord tacite des autorités. Mais ces dernières ont elles-mêmes
enlevé et torturé des blogueurs. Le cas de Salman Tepsurkaev, modérateur
de chat sur
1ADAT, une chaîne d’information
d’opposition sur Telegram, est tout à fait représentatif. La Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est dite très préoccupée
par les informations selon lesquelles Salman Tepsurkaev aurait été
enlevé par des policiers tchétchènes au début du mois de septembre
2021, puis détenu dans les locaux de la police de Grozny, où il
aurait été victime de violences sexuelles et de tortures

. La Cour européenne des droits
de l'homme a conclu à de nombreuses violations, notamment à l’égard
d’autres modérateurs de cette chaîne

.
22. Les familles des blogueurs n’ont pas été épargnées par ces
vagues de représailles. Plus d’une soixantaine de proches d’éminents
blogueurs d’opposition et défenseurs des droits de l’homme auraient
été enlevés en l’espace de quelques jours en Fédération de Russie
et en République tchétchène en décembre 2021. Parmi eux Tumso Abdurakhmanov,
Hasan Khalitov, Mansur Sadulaev, Minkail Malizayev, Aslan Artsuev et
d’autres blogueurs qui auraient animé des chaînes d’opposition sur
Telegram et YouTube. Des proches auraient également été enlevés,
et n’auraient été libérés qu’après avoir promis de persuader les
blogueurs de ne plus critiquer les autorités.
23. Les victimes et les militants de la société civile m’ont aussi
signalé, au cours de nos entretiens, des persécutions d’habitants
du Caucase du Nord au-delà des frontières nationales. Plusieurs
organisations non gouvernementales se sont plaintes d’expulsions
d’exilés tchétchènes d’autres pays européens vers la Fédération
de Russie, ensuite remis aux autorités de la République tchétchène,
puis injustement accusés de délits, quand ils n’ont pas simplement
disparu. Ils m’ont donné l’exemple de l’expulsion de Magomed Gadayev, un
opposant de Ramzan Kadyrov, que les tribunaux tchétchènes ont emprisonné
pendant 11 ans sous de fausses accusations de détention d’armes

, et qu’Amnesty International
considère comme une victime potentielle de torture, voire d’assassinat
![(8)
Amnesty France, « M. Macron,
rapatriez [Magomed Gadaev] expulsé illégalement de la France vers
la Russie! », 2021.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Selon les défenseurs des
droits de l’homme, les Tchétchènes ne sont plus en sécurité nulle
part en Fédération de Russie ni à l’étranger, car ils risquent d’être
expulsés sur la base d’accusations pénales mensongères.
24. Les accusations pénales forgées de toutes pièces à des fins
de persécution sont couramment employées pour réduire au silence
les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et toute
personne qui s’oppose aux autorités. En République tchétchène, Zhalaudi
Geriev, un journaliste du Caucasian Knot,
a été condamné en 2016 à trois ans de prison, faussement accusé
de possession de drogue sur la base d’« aveux » qu’il a par la suite
dit avoir été forcé de signer. Nombre de ses confrères ont estimé
que ces accusations visaient en fait ses activités de journaliste
indépendant dénonçant les abus et la corruption dans le Caucase et
le sud de la Fédération de Russie. Il a dû purger intégralement
sa peine, malgré le concert de protestations des médias et de la
communauté internationale demandant sa libération.
25. En juin 2019, les services de sécurité de la République du
Daghestan ont arrêté le journaliste Abdulmumin Gadzhiev, rédacteur
de la section religieuse du journal Tchernovik basé
à Makhachkala, l’accusant
de participation à une organisation terroriste pour avoir prétendument
envoyé de l’argent à un individu soupçonné de financer des organisations
terroristes. Le personnel de Tchernovik
a catégoriquement nié les faits et affirmé qu’ils avaient
été forgés de toutes pièces pour punir Abdulmumin Gazhiyev en raison
de son travail.
26. Les autorités régionales du Caucase du Nord s’en sont également
prises aux avocats qui défendent les victimes de violations des
droits de l’homme, ce que les autorités fédérales ont toléré. En
2017, notre collègue Sabien Lahaye-Battheu (Belgique, ADLE) a signalé
des attaques commises avec violences contre des membres de l’ONG
Joint Mobile Group en Tchétchénie, des tentatives de radiation des
avocats Marina Dubrovina et Dokka Itslaev, et des menaces contre
Shamil Magomedov

.
J’ai en outre examiné certaines affaires plus anciennes de persécutions
signalées par le Conseil des barreaux européens concernant des poursuites,
des intimidations, des menaces et même des passages à tabac par
la police visant des avocats de la défense (affaires Rustam Matsev,
Sapiyat Magomedova, Musa Suslanov, Magamed Abubakarov et Vyacheslav
Merzakulov). L’ONG Lawyers for Lawyers a rapporté que la Fédération
de Russie avait insuffisamment mis en œuvre les recommandations
de l’Examen périodique universel des Nations Unies de 2018 sur la
protection effective des avocats, notamment l’obligation d’enquêter
sur toutes les agressions et menaces signalées visant des avocats

.
27. Attaquer un avocat qui défend son client semble toujours acceptable
aux yeux des services de répression du Caucase du Nord. Des membres
des forces de l’ordre tchétchènes ont agressé en janvier 2022 les
avocats Sergey Babinets, Oleg Khabibrakhmanov et Natalia Dobronravova
au moment où ils assistaient leurs clients à Nijni Novgorod

.
28. De manière générale, les défenseurs des droits de l’homme
et les militants de mouvements sociaux sont loin d’être en sécurité
dans le Caucase du Nord. En décembre 2017, par exemple, Andrei Rudomakha,
Viktor Chirikov et Vera Kholodnaya, des militants écologistes de
l’ONG Environmental Watch, ont été brutalement agressés et battus
après avoir pris des photos d’une construction qu’ils jugeaient
illicite et susceptible d’être liée à de hauts responsables gouvernementaux
de la région de Krasnodar

. Malgré les vidéos du passage à tabac,
la police a abandonné l’enquête en déclarant qu’il était impossible
d’identifier les auteurs.
29. L’affaire dite «d’Ingouchie», perçue comme la plus importante
persécution à motivation politique en Russie, a ébranlé la société
civile

. Elle est partie de l’accord controversé
sur la frontière régionale conclu avec la Tchétchénie, contre lequel
des milliers de participants avaient protesté pacifiquement en Ingouchie
à l’automne 2018. Lorsque les manifestations ont repris au printemps 2019,
les autorités ont opté pour la force: la RosGvardiya (Garde nationale
russe) a dispersé le 27 mars 2018 le rassemblement pacifique. Le
Comité d’enquête a ensuite porté plainte contre les dirigeants et
les participants du mouvement de protestation pour extrémisme et
violence menaçant la vie ou la santé d’agents gouvernementaux.
30. Cinquante-deux personnes ont été condamnées pour recours à
la force non létale contre la police et/ou pour incitation au recours
à la force ; les meneurs ont été accusés d’extrémisme et condamnés
à de longues peines de prison

. La communauté internationale et
les avocats des droits de l’homme ont considéré ces condamnations
comme largement infondées et motivées par des considérations politiques,
et estimé que les tribunaux fédéraux et de district avaient incriminé
une activité citoyenne pacifique. Au lendemain de ces poursuites
à grande échelle, de nombreuses ONG locales ont cessé ou ont dû
suspendre leurs activités.
31. Non seulement les autorités fédérales et du Caucase du Nord
recourent à la coercition et tolèrent la violence, mais elles usent
aussi de leurs pouvoirs administratifs pour entraver le travail
des défenseurs des droits de l’homme ou simplement faire cesser
les activités des ONG qu’elles estiment gênantes. Par exemple, la
révocation du permis de séjour de Vanessa Kogan, directrice de l’ONG
Stichting Justice Initiative, au motif qu’elle menace la sécurité
de la Fédération de Russie, a contraint cet important groupe de
défense des droits de l’homme à cesser ses activités dans le Caucase
du Nord

.
32. Une autre fermeture d’organisation pour des motifs fictifs
mérite que l’on s’y attarde. Je m’inquiète en effet depuis longtemps
de la virulente campagne menée contre le Centre des droits de l’homme
Memorial (HRC Memorial), partenaire de longue date de l’Assemblée
et dernière organisation de défense des droits de l’homme à avoir
exercé ses activités dans le Caucase du Nord. C’était en effet l’acteur
clé, le point de ralliement des autres organisations et avocats
de la région. Sa liquidation, prononcée en décembre 2021 en vertu
de la loi très critiquée sur les agents étrangers

,
laisse la société civile et les habitants de la région sans protection.
33. Les persécutions auxquelles est en butte Memorial dans le
Caucase du Nord ne datent pas d’hier. En 2007, des assaillants masqués
ont enlevé, menacé et frappé Oleg Orlov, alors président de HRC
Memorial, et une équipe de télévision qui l’accompagnait, dans une
enquête journalistique sur la mort d’un enfant survenue lors d’une
opération antiterroriste en Ingouchie. La Cour européenne des droits
de l'homme a conclu en 2017 à des violations des droits d’Oleg Orlov
et d’autres requérants

, mais cela
n’a pas empêché les autorités de continuer à le persécuter.
34. En janvier 2018, les autorités ont orchestré une série d’agressions
contre des représentants et des bureaux de l’organisation en Tchétchénie,
en Ingouchie et au Daghestan. Le 9 janvier 2018, la police a perquisitionné
les locaux de Memorial à Grozny, porté des accusations douteuses
de détention de drogues illicites, puis détenu au secret Oyub Titiev,
alors chef du bureau de HRC Memorial en République tchétchène

et lauréat du prix des droits de
l’homme Vaclav Havel 2018

. Ses avocats, Me Aslan
Telkhigov et Me Petr Zaikin, ont indiqué
avoir été placés sous surveillance secrète, intimidés, menacés et
contraints d’abandonner la défense d’Oyub Titiev ; ils ont même
dû quitter le pays. Les 17 et 22 janvier 2018, le bureau de Memorial
en Ingouchie et une voiture de l’organisation au Daghestan ont été
incendiés. Le 28 mars 2018, le chef de l’antenne de l’organisation
au Daghestan, Sirazhutdin Datsiev, a été agressé par des inconnus.
35. Notre collègue Egidijus Vareikis (Lituanie, PPE/DC) a constaté
dans son rapport de 2018 «Assurer la protection des défenseurs des
droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe»
que les représailles contre les défenseurs des droits de l’homme
s’étaient récemment multipliées, y compris dans le Caucase du Nord

. Outre
la persécution des personnes LGBTI en Tchétchénie, sur laquelle
je reviens plus loin, il a prédit la réduction au silence de Memorial.
Les autorités russes n’en sont pas moins allées jusqu’au bout de
leur projet, malgré le chœur de protestations de la communauté internationale
et la mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l'homme
visant à empêcher la fermeture de Memorial

.
3.2. Enquêtes
pénales et impunité
36. La justice pénale est efficace
dans le Caucase du Nord uniquement lorsqu’elle sert d’instrument
de persécution, mais pas comme voie de recours visant à établir
la responsabilité pour les violations des droits de l’homme. Dès
lors que la victime est journaliste ou défenseur des droits de l’homme,
la procédure devient soudain inefficace et prend des années. Les
récentes décisions prises par le Comité des Ministres dans son rôle
de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour montrent que
les enquêtes pénales ont été suspendues en raison de l’impossibilité
d’identifier les suspects dans la plupart de ces affaires. Dans
les quelques cas où des suspects ont été identifiés, aucune information
n’a été communiquée au Comité des Ministres depuis 2016. De nombreuses
affaires ont été abandonnées ou pourraient être prochainement classées
en raison du délai de prescription

.
37. Dans sa
Résolution 1738
(2010) «Recours juridiques en cas de violations des droits
de l’homme dans la région du Caucase du Nord», l’Assemblée exprimait
«son incompréhension et son émoi» devant le fait qu’aucune des affaires
notoires de «mort violente ou de disparition de personnalités» n’avait
été élucidée par les autorités judiciaires. J’ai examiné ces affaires
et constaté qu’aucune enquête effective n’avait été menée et que
l’impunité semblait toujours régner dans chacune d’entre elles.
38. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que l’enquête
sur le meurtre d’Anna Politkovskaïa n’avait pas suffisamment recherché
les commanditaires de l’assassinat

. Elle a également conclu qu’il
n’y avait pas eu d’enquête satisfaisante sur l’assassinat de Natalia
Estemirova

.
39. Des questions restent en suspens quant aux méthodes employées
dans les affaires des meurtres de Stanislav Markelov et d’Anastasia
Baburova – attribuables, selon
Novaya
Gazeta, aux services de sécurité russes ou à des éléments
incontrôlés de ces services plutôt qu’aux tueurs condamnés

.
Le procès de ces derniers n’a pas été équitable

, ce qui ne
peut que faire douter de la version officielle de la manière dont
le crime a été commis.
40. Le policier qui a tué Magomed Yevloyev a été reconnu coupable
d’avoir causé la mort par négligence et condamné à deux ans de prison
seulement, puis a bénéficié de la libération conditionnelle. Ce
meurtre était en rapport avec l’assassinat de Maksharip Aushev,
un homme d’affaires ingouche bien connu, ainsi que d’autres homicides,
tentatives de meurtre et disparitions de membres des familles et
de l’entourage des personnes concernées ; les autorités n’avaient
pas mené d’enquête effective

.
41. Les autorités n’ont pas non plus enquêté de manière effective
sur les circonstances dans lesquelles Zarema Gaysanova a disparu
et a été présumée tuée par des agents de l’État

. Elena Milashina a parlé dans
Novaya Gazeta de la disparition
et de la mort des militants Alik Djabrailov et Zarema Sadulayeva,
affirmant qu’aucune de ces affaires n’avait fait l’objet d’une enquête.
Une autre affaire, l’enlèvement et la disparition de Rashid Ozdoyev
et de Tamerlan Tsechoyev, a également été portée devant la Cour
européenne des droits de l'homme

et a suscité des interrogations
similaires.
42. La Cour a déjà conclu à des violations systémiques de l’article 2
de la Convention à propos de la disparition de personnes à la suite
de leur détention par des membres non identifiés des services de
sécurité et l’absence d’enquête effective

. Le Comité des Ministres continue
de surveiller l’exécution de nombreux arrêts, mais sans résultat
tangible. Je n’ai trouvé aucun exemple de progrès obtenus dans la
conduite d’enquêtes effectives ou les poursuites engagées à l’encontre
des auteurs de ces actes.
3.3. Montée
de l’extrémisme et risque terroriste
43. Il a été difficile d’évaluer
la situation de la lutte contre le terrorisme dans le Caucase du
Nord en raison de la censure imposée aux médias et des avis contradictoires.
D’aucuns doutent de la crédibilité des statistiques pénales officielles:
des études universitaires russes, par exemple, ont conclu à une
tendance à l’intensification des actes terroristes d’origine intérieure
et extérieure dans le Caucase du Nord, sur la base des statistiques 2010-2015 ;
selon les statistiques officielles russes, en revanche, les actes
terroristes auraient diminué de 26 % en 2016

. Je n’ai pas
pu vérifier les statistiques officielles, et n’ai pas reçu de réponse officielle
des autorités russes pour les raisons évoquées plus haut.
44. Des actes qualifiés de terroristes continuent d’être signalés
dans le Caucase du Nord, mais il est difficile d’en tirer des conclusions
fiables sur la sécurité en général, d’autant plus que les autorités
peuvent choisir de les présenter soit comme des infractions ordinaires,
soit comme des opérations de sécurité. Les médias et les défenseurs
des droits de l’homme considèrent nombre de ces affaires comme des
violences commises par les autorités et de graves violations des
droits de l’homme, sans rapport avec la prévention du terrorisme.
45. Novaya Gazeta a publié
une liste de 27 hommes enlevés et sommairement exécutés en détention
par les autorités de Grozny une nuit de janvier 2017, en représailles
à des accrochages avec la police survenus en décembre 2016, et a
ajouté que ce chiffre pourrait même atteindre celui de 56 victimes.
Le journal a interviewé en mars 2021 un ancien policier qui avait
participé à ces représailles et a confirmé la mort de nombreuses
personnes figurant sur cette liste. Malgré ces informations, aucune
véritable enquête pénale n’a ensuite été déclenchée

; au contraire,
les autorités locales ont tout nié en bloc et se sont retournées
contre le journal, le témoin et sa famille, déclarant qu’ils déstabilisaient
la situation et entravaient la lutte contre l’extrémisme.
46. Les informations ont continué à se contredire en 2018 à propos
de nombreux autres heurts avec les forces de sécurité, sans cohérence
entre celles qui émanaient des autorités et des défenseurs des droits
de l’homme. Il est par exemple difficile d’attribuer la responsabilité
des actes signalés suivants: un chef de la police municipale abattu
en Tchétchénie le 3 janvier, l’assassinat d’un homme soupçonné d’une
attaque contre un poste de police le 4 janvier, l’imam d’une mosquée
salafiste fermée au Daghestan abattu le 6 janvier par des inconnus
radicalisés, un terroriste présumé tué par la police au Daghestan
le 15 janvier, et deux autres en Ingouchie le 10 février, etc. Une
série d’agressions, certaines menées par des mineurs, ont visé des
policiers de Grozny et du district de Shali le 20 août 2018. Les
exemples abondent.
47. Les autorités n’ont toutefois jamais analysé les causes profondes,
les tendances ou le développement de l’extrémisme dans la région.
Ce sont surtout des organisations non gouvernementales et des projets bénéficiant
d’une aide internationale qui ont procédé à cette analyse ; ils
évoquent des risques d’intensification et de transformation de l’extrémisme
caucasien. Memorial, par exemple, a mis en garde contre la nouvelle tentation
de l’extrémisme chez un nombre croissant de jeunes et de personnes
jamais soupçonnés auparavant d’avoir pris part à une insurrection ;
le phénomène «ne serait plus lié aux conflits précédents de Tchétchénie» mais
à l’oppression

. Leur analyse des statistiques confirme
que près de 90 % des 72 militants tués entre 2015 et 2018 étaient
des jeunes.
48. Les statistiques non officielles

ont continué à signaler des accrochages
et des opérations spéciales au cours desquels des militants présumés,
des civils et des membres des forces de l’ordre auraient perdu la vie.
Les «conflits armés» auraient fait 175 victimes en 2017 (134 morts
et 41 blessés). Par rapport aux statistiques de 2016, les chiffres
ont baissé au Daghestan mais augmenté en Tchétchénie. De nombreuses personnes
tuées auraient été des « militants ». Des civils, des membres des
forces de l’ordre et du personnel de sécurité ont également payé
de leur vie la lutte contre le terrorisme. 108 victimes ont été
signalées en 2018, le Daghestan arrivant en tête ; 46 en 2019 et
56 en 2020. Les statistiques donnent des chiffres en baisse pour 2021.
49. Les autorités fédérales et locales ont annoncé que le terrorisme
et l’extrémisme avaient finalement été circonscrits dans le Caucase
du Nord. Les forces de l’ordre tchétchènes sont intervenues brutalement
en janvier 2021 et ont tué le chef du groupe «Aslan Byutukayev»
et six de ses membres. Ramzan Kadyrov a fièrement présenté cette
opération comme un succès des services de répression, qui aurait
vidé la dernière poche de résistance du Caucase du Nord, menant
ainsi à bien la mission fixée par Vladimir Poutine d’élimination
de l’insurrection dans la région

.
50. Les experts ont toutefois prévenu que cette dure répression
sécuritaire a nourri la radicalisation dans le Caucase du Nord

et intensifié
l’activité militante dans l’ensemble de la Fédération de Russie

. Les statistiques générales
des actes terroristes en Fédération de Russie ont en effet explosé
en 2020 et 2021, après un bref recul en 2018 et 2019

. Cette tendance s’explique
par les politiques de criminalisation excessive et de coercition
adoptées par les autorités dans la lutte contre l’extrémisme. Memorial
a ainsi signalé l’ouverture d’une procédure pénale pour appartenance
à une organisation islamiste inactive depuis les années 1970

. J’ai été informé de l’existence d’une base
de données secrète contenant les données personnelles d’individus
étiquetés comme «extrémistes potentiels», utilisée pour monter artificiellement
des poursuites pénales ; les autorités daghestanaises nient son
existence. La Cour européenne des droits de l'homme a récemment
confirmé cette tendance à la criminalisation excessive dans le cas
de deux frères, bergers au Daghestan, tués dans des circonstances
suspectes lors d’une opération de sécurité spontanée

.
3.4. Disparitions
forcées et personnes disparues
51. L’Assemblée et le Comité des
Ministres insistent depuis quinze ans sur la pressante nécessité
de résoudre le problème des disparitions forcées et de rechercher
les personnes disparues dans le Caucase du Nord. Les chiffres des
statistiques non officielles de disparitions continuent d’augmenter

et les autorités russes
continuent de rejeter ces données et ne soumettent aucune information
pertinente. Il est difficile d’évaluer la situation actuelle faute
de renseignements fiables, et l’absence de données officielles a
de quoi inspirer de graves inquiétudes.
52. La seule façon d’évaluer l’action des autorités russes semble
être de se reporter aux travaux du Comité des Ministres sur la surveillance
de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme

. Il m’a été dit
dans mes rencontres avec la société civile et les défenseurs des
droits de l’homme que la recherche de leurs proches, victimes de
disparitions forcées, n’avait absolument pas avancé. Cela suffit
à faire douter de la volonté des autorités russes de régler le problème.
53. Ni les autorités locales ni les autorités fédérales russes
n’ont mis en œuvre la recommandation de l’Assemblée et du Comité
des Ministres relative à la création d’un mécanisme central de coordination
du traitement de ce problème. Elles ont continué, pour rechercher
les personnes disparues, à recourir aux enquêtes pénales individuelles
qui avaient déjà montré leur inefficacité. Les autorités russes
n’ont par ailleurs mentionné aucune mesure de prévention de nouvelles
disparitions forcées.
54. Le Comité des Ministres a observé en 2020 que les informations
fournies par les autorités russes «ne dissipent pas [ses] préoccupations
précédemment exprimées vu les informations crédibles faisant état
de la persistance de disparitions et détentions secrètes dans la
région du Caucase du Nord, en particulier en République tchétchène».
Il a déploré «l’absence de progrès suffisants pour améliorer la
situation» et a invité les autorités à continuer de fournir des
informations

.
Selon les dernières informations communiquées par les autorités
russes, seuls les restes de deux personnes ont été identifiés, la
dernière identification d’une personne disparue remontant à 2015.
55. Le Comité des Ministres a de nouveau constaté en 2021 l’absence
de progrès notables dans la recherche des personnes disparues. Il
a demandé instamment aux autorités de redoubler d’efforts pour élucider
le sort des personnes disparues et de remédier autant que possible
aux insuffisances des enquêtes pénales. Il a exhorté la Fédération
de Russie à créer un organisme humanitaire chargé de rechercher
les personnes disparues en s’appuyant sur les connaissances scientifiques
modernes dans le cadre d’une procédure complétant les enquêtes,
et en s’inspirant des travaux et mandats des organismes chargés
de la recherche des personnes disparues dans d’autres États membres.
Les autorités russes étaient invitées à présenter une stratégie
concrète assortie d’un calendrier, et à tenir le Comité des Ministres
informé des enquêtes menées sur les plaintes récemment déposées
au sujet des enlèvements

.
56. Dans sa
Résolution
2425 (2022) «En finir avec les disparitions forcées sur le territoire
du Conseil de l’Europe», l’Assemblée a évoqué «l’exécution lente
et incomplète des nombreux arrêts de la Cour concluant à des violations
procédurales de l’article 2 par absence d’enquêtes sérieuses sur
des disparitions forcées dans plusieurs États, notamment dans la
région du Caucase du Nord, en Fédération de Russie».
3.5. Violence
et discrimination à l’égard des femmes et des filles
57. La situation des femmes et
des filles s’est encore détériorée dans le Caucase du Nord. Les
mariages forcés y restent fréquents, et une femme ou une fille du
Caucase du Nord vivant à l’étranger court le risque d’être enlevée,
ramenée au Daghestan ou en Tchétchénie, et forcée de s’y marier.
L’affaire
Bopkhoyeva 
illustre
bien ces pratiques: la propre famille de la femme, loin de la protéger,
l’a renvoyée chez son ravisseur et forcée à vivre sous l’autorité
de ce dernier.
58. Les cas de ce type sont malheureusement nombreux dans le Caucase
du Nord, et les autorités y jouent même parfois un rôle actif. Human
Rights Watch a indiqué en septembre 2021 que les femmes fuyant des violences
domestiques dans le Caucase du Nord étaient souvent capturées avec
l’aide des forces de l’ordre et remises à leur famille

. L’histoire de Khalimat
Taramova, une jeune femme LGBTI de Tchétchénie qui a décrit comment
elle avait tenté d’échapper à la violence et avait été ramenée de
force, illustre bien cette situation

.
59. De plus, les autorités ont non seulement toléré la violence
contre les femmes et y ont participé, mais elles ont également contraint
les victimes à cacher leur peine. En 2020, l’autorité chargée d’une
enquête a exhumé le corps d’une femme tchétchène morte dans des
circonstances suspectes liées à des violences domestiques. Quelques
jours plus tard, Ramzan Kadyrov ayant déclaré que l’exhumation était
contraire aux traditions religieuses et que les coups étaient une
pratique normale dans le mariage, les autorités ont refusé de mener
à bien l’enquête, et la mère de la victime a été contrainte de demander
pardon «d’avoir cru à des rumeurs»

.
60. Des informations encore plus inquiétantes ont été portées
à ma connaissance à propos d’une fillette de neuf ans soumise en
2019 à une mutilation génitale féminine dans une clinique de Magas,
en Ingouchie. Son père l’a emmenée chez un médecin et a payé l’intervention
chirurgicale, déclarant qu’il fallait la mettre à l’abri de l’excitation
sexuelle. Les autorités se sont contentées d’inculper le médecin
pour avoir causé des lésions corporelles légères, passibles d’une
amende. Les avocats de l’ONG Stichting Justice Initiative qui assuraient la
défense de la victime ont demandé des chefs d’accusation plus lourds,
tout en rappelant que la loi russe n’interdit pas les mutilations
génitales féminines et ne les considère pas comme une infraction
bien grave. Stichting Justice Initiative a vivement critiqué dans
un rapport de 2016 la tolérance des autorités à l’égard de la pratique
répandue des mutilations génitales féminines, principalement dans
les régions majoritairement musulmanes du Caucase du Nord, où certains
chefs religieux la préconisent «pour lutter contre la dépravation de
l’ensemble des femmes», selon leurs propres termes

.
61. Dans mes entretiens avec des victimes et des militants des
droits civils, j’ai entendu de nombreuses plaintes concernant la
situation socio-économique extrêmement précaire des femmes dans
le Caucase du Nord, les pressions auxquelles elles sont soumises
en permanence et l’impossibilité dans laquelle elles se trouvent
de fuir les abus. Se réfugier dans une autre région n’est pas une
option, car cela peut entraîner le retour forcé et, dans certains
cas, donner lieu à un «crime d’honneur». Fuir à l’étranger est pratiquement impossible:
une Tchétchène de moins de 30 ans, m’a-t-on dit, ne peut même pas
demander de documents de voyage sans que son plus proche parent
masculin ne garantisse son retour.
62. Le bilan le plus complet des droits des femmes et des filles
dans le Caucase du Nord se trouve peut-être dans les derniers documents
du Comité des Nations Unies contre la discrimination à l’égard des
femmes, qui s’est dit «profondément préoccupé par la prévalence
de pratiques néfastes à l’encontre des femmes et des filles dans
la région du Caucase du Nord, notamment le féminicide, les meurtres
commis au nom de l’honneur, le mariage d’enfants, le mariage forcé,
l’enlèvement de femmes et de filles en vue d’un mariage forcé et
les mutilations génitales féminines». Il a noté « avec inquiétude
l’absence de mise en œuvre effective de la législation fédérale
relative aux enquêtes, aux poursuites et aux sanctions concernant
ces crimes contre les femmes dans la région ». Il a également constaté
avec préoccupation « les informations sur la pratique de la polygamie
et l’absence de protection juridique et économique des femmes dans
les unions polygames, et l’application de lois religieuses et coutumières
discriminatoires sur le divorce et l’héritage, ainsi que le refus d’accorder
la garde des enfants aux femmes, en particulier dans la région du
Caucase du Nord », de même que «les informations faisant état d’enlèvements
de fiancées, conduisant à des mariages d’enfants ou à des mariages
forcés»

.
3.6. Discrimination
à l’égard des personnes LGTBI
63. La situation des personnes
LGBTI dans la région reste critique. Malgré les nombreuses condamnations de
la communauté internationale et les appels lancés à la Fédération
de Russie pour qu’elle enquête ou autorise une enquête internationale
sur les crimes commis contre les personnes LGBTI en Tchétchénie,
les autorités continuent de nier le problème. L’Assemblée a déploré
les «purges anti-gay» de février et mars 2017 en Tchétchénie, qui
se sont traduites par de nombreuses disparitions forcées, des enlèvements
secrets, des détentions au secret, des emprisonnements, des tortures
et des exécutions sommaires de personnes en raison de leur orientation
sexuelle supposée

. Ces «purges», je le
crains, n’ont pas pris fin.
64. Lors de la nouvelle vague d’agressions menées contre la communauté
LGBTI en Tchétchénie (janvier 2019), deux personnes auraient été
torturées à mort et une quarantaine détenues par les autorités.
Notre collègue Piet De Bruyn (NR, Belgique), rapporteur général
sur les droits des personnes LGBTI, et moi-même avons condamné ces
actes

. Lors de ma visite en Fédération
de Russie de septembre 2019, les autorités fédérales m’ont déconseillé
d’aborder la persécution des personnes LGBTI en Tchétchénie, et
les autorités locales de Tchétchénie ont encore une fois affirmé
que cette catégorie de personnes n’existait pas sur ce territoire.
Lors de cette même visite, j’ai entendu une déclaration inquiétante
de la médiatrice fédérale, Tatyana Moskalkova, qui a affirmé que
la situation n’était pas pire en Tchétchénie que n’importe où ailleurs
en Fédération de Russie.
65. Lors des auditions de la commission du 28 janvier 2020, une
personne LGBTI a indiqué qu’elle avait été détenue illégalement
et torturée en mars 2017, et que sa famille avait été persécutée
par les autorités pour qu’elle «se débarrasse du gay de la famille».
Elle a dû fuir le pays: en effet, les personnes LGBTI ne sont nulle part
en sécurité en Russie, elles peuvent être renvoyées de force dans
leur famille, voire faire l’objet de poursuites pénales engagées
sur le fondement de fausses accusations. Human Rights Watch a indiqué
que deux homosexuels avaient été renvoyés de force en Tchétchénie
en février 2021, accusés d’avoir aidé et encouragé un groupe armé
illégal

. En plus du soutien
accordé par l’État à ces persécutions à grande échelle, les autorités
tchétchènes refusent d’enquêter sur les plaintes pour enlèvement
et mauvais traitements motivés par l’orientation sexuelle

.
3.7. Exécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
66. Les violations des droits de
l’homme signalées dans la région finissent par remonter jusqu’à
la Cour européenne des droits de l'homme, puis au Comité des Ministres,
dans son rôle de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour.
L’une comme l’autre ont déjà décelé le caractère systémique de la
plupart d’entre elles. La liste des affaires et violations a continué
de s’allonger au fil des quinze ans de surveillance continue, apparemment
sans perspective d’exécution.
67. Le Comité des Ministres contrôle actuellement l’exécution
de 315 affaires

du
groupe
Khashiyev et Akhayeva en
«procédure soutenue», applicable aux affaires ou groupes d’affaires
particulièrement importants. Il s’agit de violations concernant
des personnes disparues entre 1999 et 2006, qui soulèvent des questions restées
sans réponse sur l’absence d’enquête, l’indemnisation et l’impunité

, l’opération
militaire contre le village de Katyr-Yurt de février 2000

, ainsi que
l’enlèvement par des agents des forces de l’ordre suivi de la disparition
de proches des requérants après 2006, avec absence constante d’enquêtes
effectives

.
68. L’exécution de ces arrêts a toujours posé de gros problèmes,
surtout par défaut de coopération des autorités russes. Dans sa
Résolution 2157 (2017), l’Assemblée s’est encore une fois déclarée préoccupée
par l’absence de progrès dans l’exécution des arrêts de ce groupe
et s’est concentrée sur des recommandations spécifiques du Comité
des Ministres, notamment celles qui figurent dans sa
Résolution 1738 (2010). Les autorités russes n’ont tenu aucun compte des recommandations
de l’Assemblée et, comme le montrent les événements décrits ci-dessus,
les violations se sont multipliées et se sont aggravées.
69. En 2020, le rapporteur de la commission sur la mise en œuvre
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, M. Constantinos
Efstathiou (Chypre, SOC), a conclu que la Fédération de Russie n’exécute pas
de manière effective les arrêts de la Cour, ne prévoit pas de recours
effectifs et ne remédie pas à l’absence d’enquêtes dans les affaires
de mauvais traitements et de torture, ainsi que sur d’autres violations
graves des droits de l’homme. Il a également noté que «la période
importante pendant laquelle la Fédération de Russie s’est distanciée
de l’Assemblée (entre janvier 2016 et juin 2019) est un temps perdu
du point de vue de la mise en œuvre des arrêts de la Cour»; or il
s’agit également de la période couverte par le présent rapport.
Le rapporteur concluait «qu’il sera d’autant plus difficile de retrouver
ce temps perdu, en tenant compte des problèmes structurels [auxquels
fait face la Fédération de Russie]», dont les «diverses violations
de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention)
relatives à des actions des forces de sécurité en République tchétchène»,
toutes liées au groupe d’affaires
Khashiyev
et Akhayeva 
.
70. La dernière décision du Comité des Ministres concernant ce
groupe d’affaires, qui date de 2021

, rappelle que les autorités russes
n’ont pas coopéré ou n’ont pas soumis d’informations. La formulation
de cette décision est claire: elle reprend les recommandations de
la
Résolution 2157 (2017) de l’Assemblée.
71. Il vaut la peine de préciser que le groupe d’affaires
Khashiyev et Akhayeva n’est pas
le seul à porter sur des arrêts concluant à des violations commises
dans la région. L’exécution des affaires du groupe
Dobriyeva et autres 
, par exemple, qui concerne
l’absence d’enquêtes effectives sur les meurtres et les disparitions
en Ingouchie n’a pas avancé depuis 2014. L’affaire
Nagmetov relative à un décès dû
à une grenade lacrymogène lancée par la police daghestanaise contre
une manifestation pacifique attend depuis 2017 un plan d’action
ou des informations des autorités

.
D’autres groupes d’affaires portant sur des violations de la liberté d’expression
et de réunion avec persécution de défenseurs des droits de l’homme
et de journalistes, comme l’affaire
Novaya
Gazeta 
, n’ont
également toujours pas été suivis d’effets, souvent après de nombreuses années.
3.8. Coopération
des autorités russes avec les organes et mécanismes de suivi du
Conseil de l’Europe visant à améliorer la situation dans le Caucase
du Nord
72. Les autorités russes n’ont
fait preuve de volonté de coopération sur aucune des questions touchant
au Caucase du Nord. Le refus de coopérer avec le CPT en donne un
bon exemple.
73. Un rapide coup d’œil aux statistiques du CPT révèle le manque
de coopération des autorités russes, voire leur refus implicite
de coopérer avec ce dernier. Le CPT s’est rendu à 12 reprises dans
le Caucase du Nord, en particulier en République tchétchène, et
a émis quatre «déclarations publiques», la dernière en mars 2019

. La Fédération de
Russie est l’un des pays qui s’opposent fréquemment à la publication
des rapports de visite du CPT ; elle a uniquement autorisé la publication
de quatre rapports (aucun ne concerne le Caucase du Nord) sur 28.
Or, 40 % du temps passé par le CPT dans ses visites en Fédération
de Russie a été consacré au Caucase du Nord.
74. On lit dans la dernière déclaration publique du CPT, la quatrième
déclaration consécutive, que «malgré les efforts déployés par le
Comité durant les vingt dernières années, il est gravement préoccupant
que la torture infligée à des personnes détenues en République tchétchène
reste un problème profondément enraciné». Le CPT a encore une fois
rappelé que la pratique répandue, au sein de la police, de maltraiter
les personnes privées de liberté, voire de les torturer, ne se limite
pas à cette seule république de la Fédération de Russie, et qu’elle
a été mise en évidence dans d’autres républiques du Caucase du Nord.
«Cela montre non seulement un renoncement des autorités de la République
tchétchène aux obligations qui leur incombent, mais aussi une défaillance
dans la conduite d’une supervision et d’un contrôle effectifs au
niveau fédéral», a conclu le CPT.
75. Dans le sillage de cette déclaration, j’ai rappelé que le
CPT ne fait de déclarations publiques que dans certaines situations
exceptionnelles: il y en a eu neuf en 30 ans, et quatre concernaient
le Caucase du Nord. Le Comité a constaté que la Fédération de Russie
ne coopère pas et refuse d’améliorer la situation, en violation
de ses obligations conventionnelles

. Telle a aussi été
la conclusion d’une réunion conjointe de notre commission, de la
commission de suivi et du président du CPT

.
Les autorités tchétchènes n’en ont pas moins qualifié les déclarations
du CPT de déclarations sans fondement ni preuves

.
4. Suites
données par la Fédération de Russie aux recommandations de l’Assemblée
76. Je considère que les violations
des droits de l’homme décrites ci-dessus ne sont que la partie visible
de l’iceberg. Les violations ont été approuvées, tolérées, voire
incitées par des responsables politiques et des agents de l’État
dans le Caucase du Nord et à Moscou. Leur discours public, les messages
qu’ils ont publiés sur les réseaux sociaux et leurs déclarations
officielles en réaction à l’indignation des défenseurs des droits
de l’homme n’ont jamais changé. Les droits de l’homme semblent être
une simple entrave pour ces responsables politiques et hauts fonctionnaires,
des bagatelles à leurs yeux.
77. Ni les autorités fédérales ni celles des républiques n’ont
pris au sérieux les recommandations de l’Assemblée. Bien au contraire,
Magomed Daudov, le président du Parlement tchétchène, a appelé fin décembre
2017 à persécuter les défenseurs des droits de l’homme, qu’il rend
responsables des sanctions internationales contre les personnalités
politiques tchétchènes ; Ramzan Kadyrov, quant à lui, a qualifié
les défenseurs des droits de l’homme d’ennemis du peuple à chasser
de la République tchétchène et appelé à des représailles contre
eux. Cette attitude n’a cessé de se répandre et gagne tout le Caucase
du Nord.
78. On est frappé de constater que les autorités fédérales ont
préféré ignorer le phénomène ou s’abstenir de s’immiscer dans ce
qu’elles appellent les affaires intérieures des républiques caucasiennes.
79. En janvier 2022, par exemple, Ramzan Kadyrov a déclaré, à
propos des appels à la libération de la mère enlevée d’Abukabar
Yangulbayev, un éminent défenseur des droits de l’homme, que toute
la famille devrait être emprisonnée ou enfouie sous terre

. Adam Delimkhanov, un parlementaire
tchétchène de la Douma d’État russe, a publié une vidéo dans laquelle
il menace de faire arracher la tête à tous les membres de cette même
famille. Ces discours de haine et de violence ont été totalement
ignorés par les autorités fédérales et locales. Sergei Peskov, l’attaché
de presse de Vladimir Poutine, a laissé entendre que le Kremlin
avait refusé d’intervenir, sous prétexte qu’il s’agissait d’opinions
personnelles et qu’il préférait ne pas croire à ces informations
non confirmées [sur l’enlèvement]

.
80. L’Assemblée avait mis en garde contre le risque de propagation
de l’extrême violence de la République tchétchène dans d’autres
parties du Caucase du Nord et au-delà

. Il apparaît
à présent que non seulement l’extrémisme a continué à croître et
à se propager dans les républiques voisines du Caucase du Nord,
mais aussi que la violence et la tolérance à l’égard des abus commis
par les autorités se sont étendues à l’ensemble de la Russie et
au-delà. Le rôle joué par Ramzan Kadyrov et ses combattants tchétchènes
dans le siège brutal de Marioupol appelle clairement une enquête
approfondie, mais je crains qu’il ne soit symptomatique de la tendance
générale à la brutalité née dans le Caucase du Nord.
5. Prochaines étapes et recommandations
possibles
81. La Fédération de Russie a été
exclue du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022

. Cela met fin à toute coopération
effective avec les autorités russes. Le Comité des Ministres a annoncé
qu’il maintenait son soutien et sa coopération en faveur de la société
civile, et qu’il continuerait à surveiller l’exécution par la Fédération
de Russie des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.
Cette dernière a déclaré que la Fédération de Russie restait liée
par la Convention jusqu’au 16 septembre 2022 et que la Cour continuerait
à examiner toutes les requêtes fondées sur des allégations de violations
de la Convention qui auraient eu lieu jusqu’à cette date.
82. Qu’elle soit ou non membre du Conseil de l’Europe, la Fédération
de Russie conserve ses obligations internationales, y compris celles
qui découlent des instruments des Nations Unies relatifs aux droits
de l’homme auxquels la Fédération de Russie reste partie.
83. J’espère que la Fédération de Russie respectera un jour ces
obligations et exécutera de bonne foi les arrêts existants et futurs
de la Cour européenne des droits de l’homme. Comme l’a maintes fois
recommandé l’Assemblée, les autorités russes devraient adopter une
attitude constructive à l’égard de la société civile, des défenseurs
des droits de l’homme, des victimes de violations des droits de
l’homme, des personnes LGBTI et d’autres groupes.
84. La Fédération de Russie est censée coopérer dans un esprit
constructif avec le CPT tant qu’elle est partie à la Convention
européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (STE no 126)

.
85. Comme le montrent de nombreux exemples cités dans le présent
rapport, les militants des droits de l’homme, les avocats, les journalistes,
les personnes LGBTI, ainsi que les femmes et les filles qui fuient
les violences domestiques sont fréquemment victimes de meurtres,
d’enlèvements, de passages à tabac, de menaces à l’encontre de membres
de leur famille ou d’accusations forgées de toutes pièces. On l’a
vu, les personnes persécutées dans le Caucase du Nord ne sont en
sécurité ni dans d’autres régions de Russie, ni même parfois à l’étranger.
C’est pourquoi je suggère que nous recommandions à tous les États
membres et observateurs du Conseil de l’Europe d’examiner avec un
soin particulier les demandes d’asile émanant de personnes du Caucase
du Nord, notamment celles de membres des groupes vulnérables mentionnés
ci-dessus. Les États membres devraient également tenir compte du
fait que les réfugiés de cette région n’ont pas de réelles possibilités
de fuite à l’intérieur du pays. Une fois qu’elles ont obtenu l’asile
dans l’un de nos États membres ou observateurs, elles devraient
également recevoir une protection suffisante

.
86. Enfin, étant donné les fréquents détournements du système
des notices rouges d’Interpol déjà signalés dans deux rapports antérieurs
de l’Assemblée

, je pense que l’Assemblée
devrait en outre demander à Interpol de vérifier avec un soin particulier
les demandes de notices rouges concernant des personnes originaires
du Caucase du Nord.
6. Conclusions
87. La situation du respect des
droits de l’homme et de l’État de droit ne s’est pas améliorée dans
le Caucase du Nord depuis la dernière résolution de l’Assemblée
(
Résolution 2157 (2017)) et les autorités de la Fédération de Russie n’ont mis
en œuvre aucune des recommandations de l’Assemblée. La société civile
est à ce point persécutée qu’elle ne fonctionne pratiquement plus
dans la région ; les personnes LGBTI, les femmes et les filles sont
exposées à une violence et à une peur extrêmes ; le sentiment d’impunité
persiste et l’extrémisme progresse. Les personnes qui fuient le
Caucase du Nord en raison de persécutions ne sont en sécurité nulle
part ailleurs en Fédération de Russie, ni même à l’étranger, les
services de sécurité tchétchènes parvenant à présent à les atteindre
au-delà des frontières de la Fédération de Russie.
88. Bien que la Fédération de Russie ne soit plus membre du Conseil
de l’Europe, l’Assemblée devrait continuer à observer la situation
dans le Caucase du Nord. Il conviendrait de saisir toutes les occasions
pour rappeler aux autorités russes leurs responsabilités internationales
permanentes en matière de droits de l’homme, notamment celles qu’elles
ont contractées avec les instruments des Nations Unies en la matière auxquels
la Fédération de Russie est toujours partie, comme le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et les autres conventions
internationales.