1. Introduction
1. Alors que les États renforcent
leur contrôle aux frontières, les refus d’entrée sur leur territoire
et les expulsions sans examen individuel du besoin de protection
sont devenus un phénomène attesté aux frontières de l’Europe et
qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Cette absence d’examen individuel
est très préjudiciable aux droits des migrants, des réfugiés et
des demandeurs d’asile, car cela porte atteinte à leur droit de demander
l’asile et au principe de non‑refoulement.
2. Ces pratiques, systématiques dans plusieurs pays, sont désignées
sous le nom de «renvois». Dans un précédent rapport de l’Assemblée
parlementaire publié en juin 2019, Mme Tineke Strik
(Pays-Bas, SOC) a clarifié cette notion en indiquant qu’elle «traduit
la nature violente et physique des pratiques en cause» et qu’elle
«peut être appliquée de façon générale aux cas de non-respect des
obligations liées aux droits de l’homme, en ce qui concerne le refus
d’entrée dans un pays à des personnes demandant une protection,
le refoulement de celles déjà présentes sur un territoire, les expulsions
collectives, les obligations de subir des dépistages, et d’autres
actions hostiles visant à refuser l’entrée dans les pays européens
aux frontières maritimes et terrestres»
. Les pratiques de renvoi sont également
liées au phénomène dit de «
pullbacks»
(ou «maintien sur place»), accords entre États visant à retenir
les migrants d’un côté de la frontière en échange d’un avantage
financier ou économique.
3. Dans la continuité de ce précédent rapport de 2019, la commission
souhaite souligner la nécessité pour les États membres de se conformer
au cadre juridique interdisant les pratiques et les politiques de
renvoi, et mettre en avant un certain nombre de lignes directrices
en vue d’aider les États à éviter les pratiques non conformes à
leurs engagements en matière de droits de l’homme et de droits des
réfugiés.
4. Les conséquences tragiques de l'agression russe contre l'Ukraine
qui a forcé des millions de personnes à chercher refuge ailleurs
en Ukraine ou à l'étranger ont été couvertes dans la
Résolution 2448 (2022) «Conséquences humanitaires et migrations internes et
externes liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine»,
adoptée sur la base de mon rapport (
Doc. 15547).
2. Cadre juridique international et européen
sur l’interdiction des renvois
2.1. Nations
Unies
5. Le principe de non‑refoulement,
pierre angulaire de la protection des réfugiés garantie par la Convention de
Genève de 1951 dans son article 33.1, interdit d’expulser et de
refouler tout réfugié à la frontière vers des territoires où sa
vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social
ou de ses opinions politiques. À cet égard, les États ont l’obligation de
veiller à ce que les mesures prises à leurs frontières permettent
un examen individuel de chaque situation.
6. Les expulsions collectives sont également interdites en tant
que principe du droit international général. L’article 3 de la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants (Convention des Nations unies contre la torture) étend
la portée de la Convention de 1951 relative aux réfugiés à l’interdiction
d’expulser, de refouler ou d’extrader toute personne vers un autre
État où elle craint d’être en danger ou soumise à la torture
. En outre, les droits consacrés
par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels s’appliquent à toutes les personnes, quels que soient
leur statut juridique et leurs documents d’identité
. La Convention des Nations Unies
sur le droit de la mer prévoit également le devoir de prêter assistance
à toute personne en détresse en mer.
7. La nécessité de respecter le cadre juridique susmentionné
est rappelée dans deux pactes de l’ONU, à savoir le Pacte mondial
pour les réfugiés
et le Pacte mondial pour des migrations
sûres, ordonnées et régulières
.
2.1.1. Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
8. Le HCR est extrêmement actif
dans la lutte contre les violations des droits fondamentaux des
réfugiés et des demandeurs d’asile, notamment dans le contexte des
refoulements.
9. Devant le nombre croissant d’expulsions et de renvois de demandeurs
d’asile, de migrants et de réfugiés aux frontières de l’Europe,
le HCR a, en janvier 2021, appelé l’Union européenne et ses États
membres à mettre fin de toute urgence à ces pratiques et à mener
des enquêtes indépendantes
. Le HCR a en effet déclaré avoir
reçu de nombreuses allégations de refoulements perpétrés «dans la
violence et de manière apparemment systématique» par certains États
européens. Il a rappelé que la Convention de 1951 sur les réfugiés
ainsi que le cadre juridique européen imposent aux États de garantir
aux personnes le droit de demander l’asile en procédant à «une évaluation
individuelle sur leurs besoins en matière de protection», «même
si les personnes sont entrées illégalement dans le pays». Il a précisé
que la pandémie de covid-19 ne faisait pas exception à l’obligation
de garantir «un accès juste et rapide aux procédures d’asile».
10. Plus récemment, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés
a fait part de sa tristesse concernant le décès de migrants, de
réfugiés et de demandeurs d’asile survenu près de la frontière entre
la Pologne et le Bélarus. Elle a réitéré ses préoccupations croissantes
suite aux rapports sur les refoulements effectués aux frontières
de la Lituanie, de la Lettonie et du Bélarus en précisant que ces
pratiques mettaient à risque la vie des migrants, des réfugiés et
des demandeurs d’asile et qu’elles étaient interdites par le droit
international. Le HCR a appelé les États à collaborer entre eux
sur cette question et à veiller en priorité au respect des droits de
l’homme
.
11. Dans ses «Recommandations pour les présidences française et
tchèque du Conseil de l'Union européenne (UE)» en 2022, le HCR explique
qu'il «reste gravement préoccupé par les renvois systématiques et
de plus en plus violents aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Les nombreuses violations de droits de l’homme qu’ils induisent
sont incontestablement contraires au droit européen et international.
Les Etats membres doivent mettre fin à ces pratiques et des enquêtes
doivent être menées sur la base des informations crédibles disponibles»
.
12. En février 2022, à la suite d'un nombre croissant d'incidents
violents et de violations graves des droits de l'homme à diverses
frontières européennes, dont plusieurs ont entraîné des pertes de
vie tragiques, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés,
Filippo Grandi, a dénoncé le fait que «Des actes de violence, des
mauvais traitements et des renvois sont encore régulièrement signalés
à de multiples points d’entrée terrestres et maritimes, à l’intérieur
et à l’extérieur des frontières de l’Union européenne (UE), malgré des
appels répétés...» et a exprimé la crainte d’«une normalisation
de ces pratiques déplorables, qui risquent de se banaliser et de
s’ériger en politiques. Elles confortent l’idée négative et intenable
d’une ‘Europe forteresse’». Il a appelé les États à «tenir leurs
engagements et respecter les droits humains fondamentaux, notamment
le droit à la vie et le droit d’asile. La façon dont l’Europe choisit
de protéger les demandeurs d’asile et les réfugiés est importante
et fait jurisprudence non seulement dans la région mais aussi dans
le monde entier»
.
2.1.2. Organisation
internationale pour les migrations (OIM)
13. L’Organisation internationale
pour les migrations a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude
face aux rapports persistants d’expulsions collectives et de refoulements,
notamment à la frontière de l’Union européenne entre la Grèce et
la Türkiye
. Elle a déclaré
qu’il fallait en priorité veiller à ce que la gestion des frontières
soit alignée sur le droit international et conforme aux obligations
des États en matière de droits de l’homme.
14. Dans le droit fil des déclarations publiées par le HCR, l’OIM
a également appelé, en février 2021, les États membres de l’Union
européenne à prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux pratiques
de refoulement et au recours à la violence contre les migrants,
les réfugiés et les demandeurs d’asile aux frontières extérieures
terrestres et maritimes de l’Europe
. En effet, l’OIM s’est entretenue
avec des migrants qui ont confirmé les rapports documentés reçus
par l’organisation et démontrant le niveau de violence infligé à
ces personnes avant leur refoulement aux frontières maritimes et
terrestres.
15. L’OIM a souligné l’interdiction des refoulements et des expulsions
collectives en vertu du droit international et européen et s’est
félicitée des récentes enquêtes ouvertes par plusieurs États membres
de l’Union européenne suite à des allégations de refoulements. L’OIM
a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’améliorer les
politiques de migration et d’asile, et a offert son soutien continu
aux États membres de l’Union européenne dans la mise en œuvre d’une
gouvernance de la migration respectueuse des droits humains de chacun.
2.1.3. Rapporteur
spécial sur les droits de l’homme des migrants
16. Suite à la résolution adoptée
par le Conseil des droits de l’homme en juin 2020
,
le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants,
Felipe González Morales, a publié un rapport sur la question des
droits de l’homme dans le contexte des refoulements de migrants
sur terre et en mer
. Après examen des pratiques mondiales
actuelles, il a conclu à une augmentation alarmante des refoulements
dans de nombreux États, de même qu’à l’échelle mondiale, refoulements
qui s’accompagnent souvent de l’usage de la force. Selon lui, «les
refoulements manifestent un préjugé enraciné contre les migrants»
qui se traduit par le déni du droit fondamental à une évaluation
individuelle des demandes de protection internationale.
17. Le Rapporteur spécial a formulé de nombreuses recommandations
en vue d’abolir les pratiques de refoulement. Tout d’abord, il a
exhorté les États à mettre en œuvre et à respecter pleinement les
obligations internationales et régionales à l’égard des droits de
l’homme, à ratifier les principaux instruments internationaux en
la matière et à harmoniser les législations nationales avec l’interdiction
de refouler et d’expulser collectivement des étrangers. Il a ensuite
appelé les États à offrir aux migrants l’accès à un examen individuel
de leur situation et à un recours effectif devant une autorité judiciaire,
et à mettre en place des mécanismes administratifs et législatifs
permettant de garantir le respect effectif de leurs droits. Enfin,
il a encouragé les États à reconnaître le rôle que jouent les organisations
de la société civile dans l’examen et le suivi des cas de renvoi
et les a invités à faire en sorte que les acteurs privés qui mènent
des opérations de sauvetage pour aider les migrants en détresse
ne soient pas criminalisés ou pénalisés de ce fait.
2.2. Le
Conseil de l’Europe
2.2.1. La
Cour européenne des droits de l’homme
18. Bien que le droit de demander
l’asile ne soit pas expressément consacré par la Convention européenne des
droits de l’homme, la Cour exige des États membres qu’ils prévoient
une évaluation individuelle des besoins de protection et un accès
effectif aux procédures d’asile afin de prévenir toute violation
de l’article 3 (torture et peines ou traitements inhumains ou dégradants)
de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 4 de
la Convention, qui interdit les expulsions collectives d’étrangers.
L’article 13 de la Convention, qui garantit le droit à un recours
effectif, s’applique également dans le cadre de l’interdiction des
politiques de refoulement.
19. Selon l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme,
les expulsions collectives se définissent comme «toute mesure contraignant
des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les
cas où une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un
examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun
des étrangers qui forment le groupe
».
La nécessité d’examiner individuellement les demandes de protection
internationale est donc au cœur de la jurisprudence de la Cour.
20. Dans l’arrêt emblématique
Hirsi
Jamaa et autres c. Italie , la Cour a estimé qu’un renvoi
automatique sans évaluation individuelle et l’absence d’accès à
une voie de recours constituent une violation des dispositions susmentionnées.
Elle a constaté «que le transfert des requérants vers la Libye a
été exécuté en l’absence de toute forme d’examen de leur situation
individuelle. Il est incontesté que les requérants n’ont fait l’objet
d’aucune procédure d’identification de la part des autorités italiennes,
lesquelles se sont bornées à faire monter l’ensemble des migrants
interceptés sur les navires militaires et à les débarquer sur les
côtes libyennes. De plus, la Cour relève que le personnel à bord
des navires militaires n’était pas formé pour mener des entretiens
individuels et n’était pas assisté d’interprètes et de conseillers
juridiques. Cela suffit à la Cour pour exclure l’existence de garanties
suffisantes attestant une prise en compte réelle et différenciée
de la situation individuelle de chacune des personnes concernées.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’éloignement des requérants
a eu un caractère collectif contraire à l’article 4 du Protocole
no 4 à la Convention. Par conséquent,
il y a eu violation de cette disposition». En concluant à la violation
de l’article 4 du Protocole no 4 par
l’Italie en raison de ses pratiques de refoulement dans les eaux
internationales avec la Libye, la Cour a consacré la nécessité pour
les États de respecter les normes de la Convention dans l’exercice
de leur compétence en dehors de leur territoire national et a donc
interdit les expulsions collectives en mer.
21. En 2019, dans l’affaire
Ilias et
Ahmed c. Hongrie, la Cour a estimé que le refoulement
de deux ressortissants bangladais vers la Serbie ne présentait pas
de garanties suffisantes pour affirmer que les intéressés ne seraient
pas soumis à des traitements inhumains ou dégradants, compte tenu
du risque réel, à l’époque, d’être expulsé vers la Macédoine du
Nord et vers la Grèce. Par cet arrêt, la Cour a montré qu’elle accordait
une attention particulière aux risques de «refoulements en chaîne»
.
22. En 2020, dans l’affaire
N.D. et
N.T. c. Espagne, la Cour a estimé que les migrants qui
avaient délibérément omis de se conformer aux procédures d’asile
officielles et qui avaient pénétré irrégulièrement, en groupe, sur
le territoire espagnol, s’étaient délibérément mis en danger
. Ainsi, la Grande Chambre de la Cour a
conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 4 du Protocole
no 4 de la Convention. La communauté internationale
a critiqué ce jugement pour ne pas avoir suivi la jurisprudence
antérieure de la Cour ni les normes internationales régissant l’interdiction
des refoulements
. Dans son opinion
dissidente, la juge Koskelo a estimé que le fait de passer des exigences
bien établies en matière de non‑refoulement à un nouveau critère
fondé sur la «propre conduite» des personnes demandant une protection
internationale était susceptible de créer des incertitudes et des
difficultés pratiques à l’avenir.
23. Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme condamne
un État pour la violation d’un droit garanti par la Convention,
il se voit proposer si nécessaire des orientations structurelles
lui permettant d’adapter sa législation à la Convention. En outre,
plusieurs outils ont été créés pour doter les États membres de lignes directrices
en matière de politique migratoire à l’usage de leurs professionnels
du droit et de leurs autorités nationales. Le programme HELP (Human
Rights Education for Legal Professionals) du Conseil de l’Europe propose
des cours en ligne sur l’asile et les droits de l’homme ainsi que
sur les enfants réfugiés et les enfants migrants, qui peuvent être
utiles pour la formation des autorités chargées des migrations.
2.2.2. Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
24. La Commissaire aux droits de
l’homme Dunja Mijatović a publié de nombreuses déclarations dans lesquelles
elle prie instamment les États de prévenir le refus d’accès à l’asile
et le renvoi de migrants et de réfugiés sans garanties individuelles.
Elle a également appelé à mettre fin à ce qui est devenu la normalisation des
pratiques de refoulement
et déploré la construction fort regrettable
de murs et de clôtures, les restrictions aux demandes d’asile et
les politiques de refoulement dans le contexte de la crise que traverse
le peuple afghan
.
25. La Commissaire aux droits de l’homme correspond également
directement avec les États membres du Conseil de l’Europe en adressant
des lettres aux autorités publiques. À cet égard, en 2020, elle
a appelé Malte à s’abstenir de procéder à des renvois illégaux de
migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile vers la Libye
. Plus récemment, elle a adressé une
lettre aux autorités chypriotes pour leur demander d’enquêter sur les
nombreuses allégations documentées de refoulement et de mauvais
traitements infligés aux migrants, selon lesquelles des bateaux
transportant des migrants se sont vu interdire de débarquer à Chypre
et ont été renvoyés sommairement et systématiquement
. Enfin, elle a également adressé
une lettre au Premier ministre lituanien pour lui faire part de
son inquiétude face aux violations du droit d’accès à des procédures d’asile
équitables et aux allégations de renvois sommaires de migrants sans
garanties adéquates
.
26. La Commissaire aux droits de l’homme communique régulièrement
ses interventions en qualité de tierce partie devant la Cour européenne
des droits de l’homme. Dans une affaire récente concernant trois
requérants syriens refoulés de Croatie vers la Bosnie‑Herzégovine
, elle
a fait part de sa préoccupation quant à l’existence d’une pratique
établie de renvois collectifs de migrants depuis la Croatie, comme
indiqué dans ses observations de décembre 2020 (CommDH(2020)33)
. Ces renvois seraient effectués sans
que la situation individuelle des migrants soit évaluée, de sorte
que la Croatie enfreint systématiquement ses obligations internationales,
ainsi que la Commissaire l’a souligné lors des échanges de vues
tenus avec la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées le 2 décembre 2020 et le 27 avril 2022.
27. Dans sa recommandation intitulée
«Repoussés
au-delà des limites. Il est urgent de mettre un terme aux refoulements
aux frontières de l’Europe», la Commissaire définit quatre domaines d’action urgente:
les États membres doivent mettre en œuvre, de bonne foi, leurs obligations
en matière de droits de l’homme; la transparence et la responsabilité
des activités de contrôle des frontières doivent être renforcées;
la lutte contre les refoulements exige l’action collective de tous
les États membres; et les parlementaires ont un rôle clé à jouer
en tant que législateurs pour garantir le respect des normes relatives
aux droits de l’homme. Les parlementaires jouent également un rôle
important en tant que garants du contrôle démocratique de l’action gouvernementale.
Je salue donc les efforts de Mme Mijatović
pour renforcer le respect des normes en matière de droits de l’homme
aux frontières de l’Europe et son appel à un engagement plus fort
des parlementaires à cet égard.
2.2.3. Comité
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants du Conseil de l’Europe (CPT)
28. Dans le cadre de son rôle de
mécanisme de prévention non judiciaire visant à protéger les personnes contre
la torture et les mauvais traitements, le CPT effectue des visites
dans tous les États membres du Conseil de l’Europe afin d’examiner
le traitement des personnes privées de liberté.
29. En 2020, le CPT a publié un rapport concernant sa visite
ad hoc en Grèce en mars de la même
année. Bien qu’il ait reconnu les défis importants auxquels la Grèce
fait face en termes de nombre de migrants entrant sur son territoire,
le Comité a exhorté les autorités grecques à se conformer à leurs
obligations en matière de droits de l’homme
. Il a rappelé les allégations concordantes
de migrants refoulés vers la Türkiye et la nécessité pour les autorités
grecques de mettre fin à ces pratiques et de les empêcher. Le CPT
a également souligné les méthodes illégales appliquées par les garde‑côtes
grecs, consistant à empêcher les bateaux transportant des migrants
d’atteindre les îles grecques, et remis en cause le rôle de Frontex
dans ces actions.
2.2.4. Représentante
spécial du Secrétaire général pour les migrations et les réfugiés
30. Dans le cadre de son mandat,
la Représentante spéciale fournit des conseils aux États membres
sur les aspects juridiques des normes relatives aux droits de l’homme
des migrants et des réfugiés. En 2020, l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, en collaboration avec la Représentante spéciale,
a publié un document d’orientations pratiques intitulé «Contrôles
aux frontières et droits fondamentaux aux frontières terrestres
extérieures» afin d’aider les agents chargés de la gestion des frontières
au sein des États membres à mettre en œuvre les garanties relatives
aux droits fondamentaux prévues par les instruments juridiques de l’Union
européenne
.
31. La Représentante spéciale a également publié une deuxième
note conjointe avec l’Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne en 2021
. Axée sur les recours effectifs en
cas de violations des droits de l’homme aux frontières extérieures
de l’Union européenne, la note souligne la nécessité pour les États membres
de mener des enquêtes indépendantes pour établir les faits de manière
adéquate, approfondie et objective. Les victimes devraient avoir
accès aux enquêtes et les autorités chargées des enquêtes doivent coopérer
avec les autorités compétentes des autres États concernés, notamment
dans les affaires transfrontalières.
32. Dans un rapport sur sa mission d’enquête en Bosnie‑Herzégovine
publié récemment
, la Représentante spéciale a mis
en évidence les défaillances structurelles concernant l’accès à
l’asile et souligné la nécessité de disposer d’un cadre juridique
pertinent, précis et clair pour tous les migrants, les réfugiés
et les demandeurs d’asile. La Représentante spéciale a également
attiré l’attention des autorités sur l’importance de respecter les
droits fondamentaux des réfugiés et des migrants dans la mise en
œuvre de la législation.
2.3. L’Union
européenne
2.3.1. La
législation de l’Union européenne
33. Le droit primaire et secondaire
de l’Union européenne offre également une protection contre les politiques
et pratiques de refoulement. L’article 78 du Traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne prévoit que la politique commune en matière
d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire doit «assurer
le respect du principe de non‑refoulement». Cette garantie est également
fournie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
dans ses articles 18 et 19, qui reconnaissent le droit d’asile et l’interdiction
absolue des expulsions collectives. La directive Qualification
intègre dans le droit de l’Union
les normes de la Convention de 1951 sur les réfugiés relatives aux
conditions requises pour l’octroi d’une protection internationale
aux réfugiés et aux personnes qui en ont besoin, interdisant ainsi
aux États membres d’expulser les migrants, les réfugiés et les demandeurs
d’asile vers un État où ils courent un risque réel de persécution.
34. En outre, la directive 2008/115 relative au retour des ressortissants
de pays tiers en séjour irrégulier définit les procédures standard
applicables à leur retour, «conformément aux droits fondamentaux
en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au
droit international, y compris aux obligations en matière de protection
des réfugiés et de droits de l’homme». Les États membres de l’Union
sont également tenus de procéder à un enregistrement et à un examen
individuel de toutes les demandes d’asile en vertu de la directive sur
les procédures d’asile
.
En cas d’afflux massif d’arrivées de migrants, de demandeurs d’asile
et de réfugiés, l’article 6 de la directive sur les procédures d’asile
autorise la prolongation des délais d’enregistrement et d’examen
des demandes d’asile. Pour autant, les autorités ne peuvent priver
des personnes de leur droit de demander l’asile.
35. Le Code frontières Schengen, qui établit les règles applicables
au contrôle des personnes franchissant les frontières extérieures
des États membres de l’Union européenne, souligne également, dans
ses articles 3 et 4, la nécessité de respecter le principe de non‑refoulement
et les droits fondamentaux des réfugiés et des personnes sollicitant
une protection internationale
.
En vertu de l’article 14, paragraphe 3, du même règlement, les personnes
ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée ont le droit
de former un recours contre cette décision.
36. En septembre 2020, la Commission européenne a présenté une
proposition de nouveau pacte sur la migration et l’asile
.
Le nouveau pacte comprend de nouveaux instruments relatifs au contrôle
des flux migratoires, tels qu’une proposition de filtrage préalable
à l’entrée applicable aux ressortissants de pays tiers qui franchissent
la frontière extérieure de l’Union européenne, et qui introduit
des règles communes en matière de contrôle d’identité, de relevé
d’empreintes digitales et d’enregistrement des migrants
.
Bien que cette proposition vise à fournir de nouvelles garanties
juridiques en vue de permettre un examen approfondi de chaque situation,
la proposition de Pacte soulève des préoccupations importantes.
En effet, le rapport de l’Assemblée sur le nouveau Pacte souligne
le fait que la procédure accélérée impliquée par la proposition
de filtrage pourrait accroître le risque de violation du principe
de non‑refoulement
. Le nouveau Pacte soulève également
des inquiétudes en termes d’accès à l’asile, de rétention et d’expulsion.
37. Dans le contexte de l’instrumentalisation de l’immigration
illégale par le régime du Bélarus, 12 États membres de l’Union européenne
ont récemment adressé une demande à la Commission européenne, exprimant
leur souhait de construire des clôtures aux frontières extérieures
de l’Europe, financées par le budget de l’Union européenne
. Cette proposition regrettable,
qui entraînerait de graves violations des normes des droits de l’homme
européennes et internationales, a été rejetée par la Commission.
38. Le 24 janvier 2022, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2416 (2022) “Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile
du point de vue des droits humains”
, dans
laquelle elle demandait instamment que des améliorations soient
apportées au nouveau Pacte de l’Union européenne sur la migration
et l’asile proposé. L’Assemblée a salué l’engagement de l’Union
européenne d’intégrer pleinement les normes européennes relatives
aux droits humains dans toutes ses politiques relatives à la migration
et à l’asile, mais a considéré que les propositions incluses dans
le pacte étaient «très complexes» et que la perspective que les
procédures d’asile accélérées proposées réduisent la qualité et
l’équité des procédures soulevait des inquiétudes. Elle a recommandé
aux États membres de l’Union européenne de convenir d’un système
de relocalisation obligatoire comme mesure de solidarité avec les
pays frontaliers de l’Union européenne, en donnant la priorité aux
cas de regroupement familial et aux enfants migrants non accompagnés.
Elle a également invité l’Union européenne à modifier le Règlement
introduisant une procédure de filtrage prévu dans le pacte pour
qu’il prévoie une voie de recours suspensive effective contre toute
catégorisation de filtrage incorrecte, et à mieux répondre aux besoins
des personnes vulnérables, des victimes de la traite des êtres humains
ainsi que des femmes victimes de la violence fondée sur le genre.
La Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson,
qui participait au débat à distance, a souligné que les propositions
visaient à améliorer l’organisation et la gestion des arrivées.
Elle a tenu à rappeler que toutes les personnes qui cherchaient
à entrer dans l’Union européenne n’avaient pas le droit de rester,
mais que toutes devaient bénéficier d’une évaluation équitable,
d’une décision claire dans un délai raisonnable, et être traitées
avec respect et dignité. Elle a salué le rapport de l’Assemblée
et s’est engagée à en tenir compte.
2.3.2. La
Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
39. Dans l’arrêt
Commission européenne c. Hongrie,
la CJUE a jugé que la Hongrie avait manqué aux obligations qui lui
incombent en vertu du droit communautaire pour n’avoir pas été à
même de fournir un accès effectif aux procédures d’octroi de protection
internationale et pour avoir refoulé illégalement des ressortissants de
pays tiers vers la Serbie
. Les demandes de protection internationale
ne pouvaient être introduites qu’à partir de l’une des deux zones
de transit situées à la frontière serbo-hongroise, ce qui limitait
considérablement les possibilités de demander l’asile
. En outre, la Cour a souligné que
le caractère systématique de la rétention pratiquée dans les zones
de transit hongroises était contraire aux droits fondamentaux garantis
par la législation européenne. Suite à cet arrêt, l’Agence européenne
Frontex a suspendu toutes ses opérations en Hongrie.
40. Cependant, en février 2021, 4 903 personnes auraient été refoulées
en Serbie depuis l’arrêt de la Cour, selon le Comité Helsinki hongrois
et d’autres groupes de défense des droits de l’homme
.
2.3.3. L’Agence
européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes (Frontex)
41. Créée pour fournir aux États
membres de l’Union européenne et aux pays tiers une aide opérationnelle et
technique dans les missions de recherche et de sauvetage en mer,
Frontex a le devoir d’agir conformément au droit communautaire et
de mener des actions visant à sauver des vies
. Cependant, l’Agence européenne a
été fortement critiquée pour son inaction dans des zones où des
refoulements illégaux et violents avaient été signalés par plusieurs
groupes non gouvernementaux internationaux et européens, notamment
en Bulgarie, en Croatie, à Chypre, en Grèce et à Malte
.
42. Frontex a introduit un mécanisme de traitement des plaintes
individuelles en 2016, permettant à toute personne dont les droits
ont été violés lors d’une opération Frontex de déposer une plainte
auprès de l’officier aux droits fondamentaux de l’Agence. Compte
tenu des violations présumées des droits fondamentaux par Frontex,
la Médiatrice de l’Union européenne a évalué ce mécanisme entre
2016 et 2021. Dans son rapport publié en juin 2021, elle a souligné
qu’il manquait de transparence, même si depuis des progrès ont été réalisés
en la matière
.
43. Le groupe de travail de la Commission des libertés civiles,
de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen
sur le contrôle de Frontex (Frontex Scrutiny Working Group), constitué
au début de l’année 2021, a publié un rapport résumant une enquête
de quatre mois sur des violations présumées des droits fondamentaux
dans lesquelles l’Agence était impliquée ou desquelles elle n’a
pas fait état
. À
la suite de ce rapport, en septembre 2021, la Commission du contrôle
budgétaire a demandé le gel d’une partie du budget de Frontex en
raison de problèmes non résolus dans la conduite de ses opérations
sur la criminalité transfrontalière et l’immigration illégale
.
44. Le 28 février 2022, lors d’une réunion des commissions du
contrôle budgétaire et des libertés civiles, et de la justice et
des affaires intérieures, le Directeur général de l’Office européen
de lutte antifraude (OLAF), Ville Itälä, a présenté le rapport de
l’OLAF sur Frontex et les allégations de refoulement de migrants
conduits par l’Agence ayant entraîné des violations des droits de
l’homme aux frontières extérieures de l’Union européenne. Selon
le résumé, le rapport, auquel les députés européens n’ont pas eu
accès, a révélé que la direction de Frontex était au courant de
ces violations et avait délibérément omis de les signaler. La direction de
Frontex a nié tout comportement répréhensible et préféré mettre
en avant de supposées ambiguïtés dans la réglementation européenne.
En tant que membre du conseil d’administration de Frontex, la Commission européenne
a été invitée à se prononcer sur les mesures à prendre à l’encontre
du Directeur exécutif de l’agence. Suite à cela, M. Leggeri, le
Directeur de Frontex, a démissionné le 29 avril 2022
.
45. En juin 2021, Jonas Grimheden a pris ses fonctions en tant
que Responsable des droits fondamentaux pour Frontex, et ses travaux,
ainsi que ceux de ses collaborateurs (dont beaucoup doivent encore
être nommés) joueront un rôle important dans la surveillance étroite
et continue des actions frontalières de Frontex. À sa réunion des
28 et 29 avril 2022, le conseil d’administration de l’Agence a clairement
dit qu’un contrôle efficace des frontières et la protection des
droits fondamentaux étaient parfaitement compatibles
. Le Responsable des droits fondamentaux
de Frontex et son équipe y veilleraient désormais.
46. Le 20 avril 2022, je me suis rendu au siège de Frontex à Varsovie,
en Pologne, à la suite d’allégations faisant état de refoulements
illégaux opérés par l’Agence. Sur place, j’ai rencontré Jonas Grimheden
et des contrôleurs des droits fondamentaux de son équipe, à savoir
Delphine Buffat, Katarzyna Wencel et Luana Scarcella. J’ai également
rencontré Lars Gerdes, directeur exécutif adjoint de Frontex chargé
des retours et des opérations, Ana Cristina Jorge, directrice de
la Operational Response Division, Dirk Vande Ryse, directeur de
la Situational Awareness and Monitoring Division, Anna Polak, cheffe
de l’unité des affaires exécutives, et Eleonora Maffezzoli, chargée
de mission principale à l’unité des affaires exécutives. Il est
regrettable que les représentants de Frontex aient estimé qu’il
y avait eu des allégations, mais pas de preuves (des enquêtes étaient
en cours au moment de ma visite).
47. J’ai eu la forte impression que Frontex était certainement
au courant de ces cas de refoulement et j’ai invité l’Agence à mener
des enquêtes sérieuses et à prendre des mesures pour éviter les
refoulements illégaux à l’avenir. Les institutions de l’Union européenne
devraient, en effet, être les garantes de la protection internationale
des droits de l’homme en matière de droit d’asile. Frontex devrait
être invitée à renforcer sa capacité à traiter les allégations de
refoulement et à permettre une enquête approfondie afin de traduire
les responsables en justice. Le travail du Responsable des droits
fondamentaux au sein de Frontex devrait donc être soutenu et sa
capacité de contrôle renforcée.
2.3.4. Nouvelles
initiatives
48. Je n’ignore pas les nouvelles
initiatives visant à protéger les frontières de l’Europe dans le
plein respect des droits fondamentaux et de la dignité de ceux qui
tentent de les franchir, comme le lancement, le 4 mai 2022, de l’étude
de faisabilité en vue d’établir un mécanisme solide et indépendant
de surveillance des droits de l’homme aux frontières extérieures
de l’Union européenne, proposé par un groupe d’auteurs (Markus Jaeger,
Apostolis Fotiadis, Elspeth Guild et Lora Vidović) avec le soutien
de Tineke Strik (députée européenne, Groupe des Verts/ALE, Pays-Bas),
auteure en 2019 du rapport de l’Assemblée intitulé «Politiques et
pratiques en matière de renvoi dans les États membres du Conseil
de l’Europe». Ces nouvelles initiatives méritent d’être saluées.
3. Le
rôle de la société civile
49. La société civile est fortement
impliquée dans la défense et la promotion des valeurs démocratiques
et du pluralisme. Afin de soutenir ce rôle, le Conseil de l’Europe
dispose d’un organe représentatif des OING, la Conférence des organisations
internationales non gouvernementales.
50. De nombreuses organisations non gouvernementales, telles que
le Réseau de surveillance de la violence aux frontières (Border
Violence Monitoring Network), Amnesty International, Human Rights
Watch et le Conseil danois pour les réfugiés, assument des fonctions
de surveillance, de documentation et de signalement des violences
frontalières. Beaucoup sont également actives dans le domaine de
la défense publique et privée, et d’autres participent à des opérations
de recherche et de sauvetage et fournissent une aide humanitaire
et juridique.
51. Entre décembre 2019 et fin décembre 2021, selon les chiffres
publiés par le Conseil danois pour les réfugiés, 23 614 refoulements
ont été enregistrés
et le nombre de refoulements accompagnés
de faits de violence, de torture, de confiscation et de destruction
d’effets personnels a augmenté. Le Centre d’études pour la paix
de Croatie a également dénoncé les agissements illégaux de la police
aux frontières; il a déposé cinq plaintes au pénal auprès du bureau
compétent du Procureur de l’État contre des fonctionnaires de police
non identifiés qui avaient torturé, humilié et renvoyé des réfugiés
du territoire croate vers la Bosnie-Herzégovine. Les plaintes pénales
portaient sur les renvois de 33 réfugiés, dont certains avaient
été marqués à la tête avec un spray orange en juin 2020, le cas
de 16 réfugiés torturés et humiliés en juillet 2020, la torture,
le viol et le renvoi de victimes après qu’elles avaient été libérées
sur décision judiciaire en décembre 2020, le renvoi avec violence,
sur la voie ferrée, de réfugiés contraints de se déshabiller et
qui avaient été battus et humiliés, ainsi que le cas d’une famille
afghane de six personnes – dont une femme enceinte – qui s’était
vu refuser le droit de demander une protection internationale et
qui avait été contrainte de monter dans un fourgon et reconduite à
la frontière, où elle avait reçu l’ordre de quitter le territoire
croate en août 2021.
52. Dans le but de décourager de nouveaux afflux de migrants,
un nombre étonnant d’ONG en Grèce, en Italie, à Malte et en Croatie
sont criminalisées par les autorités nationales, qui invoquent souvent
la législation contre la contrebande et accusent les ONG de faciliter
l’immigration irrégulière. Dans de nombreux cas, l’indépendance,
la neutralité et l’impartialité de ces organisations ont été mises
en doute
. Au mépris de l’impératif
humanitaire, les personnes et les organisations de la société civile
qui soutiennent les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées
sont, dans de nombreux cas (par exemple, en Grèce, en Croatie, en
Italie et à Malte), lourdement criminalisées. Le raisonnement qui
sous‑tend cette attitude est que plus les services fournis sont
médiocres, moins les personnes chercheront à obtenir une protection
internationale et/ou à résider dans les pays de l’Union européenne.
53. Le 20 février 2022, dans le cadre de ma mission en Croatie
et en Bosnie-Herzégovine, j’ai rencontré les représentantes du Réseau
de surveillance de la violence aux frontières: Milena Zajović, responsable
du plaidoyer du Réseau et présidente de Are You Syrious, Sara Kekuš,
responsable de projet, Centre for Peace Studies, et Alexandra Bogos,
coordinatrice du plaidoyer et du droit, Réseau de surveillance de
la violence aux frontières, dont les contributions à mon rapport
ont été utiles et pertinentes.
4. Mesures
d’encouragement au niveau national et jurisprudence nationale
54. Bien que l’on puisse constater
une augmentation alarmante du phénomène des pratiques de refoulement
dans les pays européens, mais aussi à l’échelle mondiale, plusieurs
États membres de l’Union européenne ont récemment statué en faveur
des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile qui avaient été
repoussés aux frontières extérieures de l’Union européenne. Ainsi,
un tribunal régional autrichien a statué en juillet 2021 que la
pratique consistant à repousser les demandeurs d’asile vers la Slovénie
constituait une violation du principe de la dignité humaine
. Un verdict
similaire a été rendu par le tribunal administratif de Ljubljana
en juillet 2020 estimant que le refoulement d’un demandeur d’asile
camerounais vers la Croatie et le déni de son droit de demander
l’asile étaient contraires à la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne
.
55. Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants
fait état dans son dernier rapport de nombreuses mesures prometteuses
visant à prévenir et à condamner les pratiques de refoulement. Il
a noté que de nombreux États ont codifié le principe de non‑refoulement
dans leur législation nationale. De nombreux pays, comme l’Autriche
et la Finlande, ont également inscrit ce principe fondamental dans
leur Constitution
.
56. Plus concrètement, un accès sécurisé aux postes de contrôle
frontaliers a été mis en place dans certains États comme la Suisse,
où les autorités de la police des frontières sont tenues de garantir
l’accès à la procédure d’asile à toute personne demandant une protection
internationale. Cependant, la loi n’est pas le seul aspect‑clé en
la matière, la diffusion des bonnes pratiques et la formation de
la police et des autorités migratoires le sont également, car elles
jouent un rôle essentiel dans la prévention des actions de refoulement.
5. Pratiques
de renvoi au sein des États membres du Conseil de l’Europe
57. Des renvois illégaux, y compris
des refoulements en chaîne vers des pays tels que le Bélarus et
la Libye, ont été signalés dans un nombre inquiétant d’États membres
du Conseil de l’Europe. Une brève présentation des cas les plus
frappants, à savoir ceux de la Croatie, de la Grèce, du Bélarus
et de la Libye, est proposée ci‑dessous pour tenter de mettre en
lumière la situation actuelle.
58. Les migrants, les réfugiés, les personnes déplacées et les
demandeurs d’asile sont souvent victimes non seulement de crises
humanitaires, mais aussi de manœuvres politiques mettant en danger
leur vie et leur liberté. Ils ont été utilisés comme moyen de pression
politique, notamment dans le cadre des relations entre la Türkiye,
la Grèce et l’Union européenne et, plus récemment, entre le Bélarus
et ses voisins (Lituanie, Pologne et Lettonie) et l’Union européenne.
59. La majorité des pays du Conseil de l’Europe qui se livrent
à ces pratiques sont également des membres de l’Union européenne,
voisins d’États non-membres chargés d’agir en tant que gardiens
des frontières extérieures de l’Union (par exemple, la Grèce, la
Croatie, la Lituanie, la Pologne, la Lettonie, l’Italie et l’Espagne).
Dans ce cadre, l’Union européenne elle‑même ou ses États membres,
avec le soutien de l’Union, signent des accords avec les pays voisins
(tels que ceux conclus avec la Türkiye et la Libye) visant à empêcher les
flux de migrants d’atteindre le sol de l’Union européenne en échange
d’argent, d’aide ou d’autres types de faveurs politiques. Une partie
des refoulements relèvent de cette approche.
5.1. Pratiques
de renvoi de la Croatie vers la Bosnie-Herzégovine et la Serbie
60. De nombreux rapports et de
nombreuses images
témoignent de refoulements illégaux,
d’expulsions collectives et de traitements inhumains et dégradants
de migrants aux frontières entre la Croatie et la Bosnie‑Herzégovine
, la Croatie et la Serbie et la Croatie
et la Slovénie. L’ONG Danish Refugee Council, présente dans la région,
a recensé près de 7 000 cas de renvois illégaux de la Croatie vers
la Bosnie‑Herzégovine en 2019 et 16 000 nouveaux cas en 2020
. Les migrants refoulés illégalement
en Bosnie‑Herzégovine l’avaient souvent été «en chaîne», d’abord
depuis l’Italie ou l’Autriche puis vers la Slovénie et la Croatie
puis vers d’autres pays non‑membres de l’Union européenne, où on
leur a refusé le droit de déposer des demandes de protection internationale.
61. Lors de leur tentative pour entrer en Croatie, passer de la
Croatie à la Slovénie ou avant d’être renvoyées en Bosnie‑Herzégovine
ou en Serbie, des personnes ont indiqué avoir été victimes de violences,
y compris de violences physiques et sexuelles, commises par la police
croate. Le CPT a également enquêté sur plusieurs cas documentés
de mauvais traitements et d’actes de torture lors de sa visite de
réaction rapide dans le pays pendant l’été 2020, et a préparé un
rapport
. Parmi les autres formes de violence
subies par les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile
aux frontières de la Croatie, des coups de feu auraient été tirés
en novembre 2019
. En outre, à partir de 2017, l’action
humanitaire et de défense des droits de l’homme a été fortement
criminalisée dans le pays, les personnels des ONG étant accusés
de faciliter l’immigration illégale et le trafic de migrants. La
Médiatrice de Croatie a également signalé, dans son rapport national
sur la situation des droits de l’homme des migrants aux frontières
publié en juillet 2021
, que les ONG
se voyaient parfois refuser l’accès aux informations sur les migrations.
62. À la suite de la publication par plusieurs médias européens
de séquences montrant des refoulements illégaux en Croatie et en
Grèce au début du mois d’octobre 2021
, la Commissaire européenne chargée
des affaires intérieures, Ylva Johansson, a demandé une enquête
approfondie dans les deux pays, en soulignant que, même s’ils avaient
effectivement l’obligation de protéger les frontières extérieures
de l’Union européenne, ils devaient également veiller au respect
de l’État de droit et des droits fondamentaux
. Le 8 octobre 2021,
les autorités croates ont reconnu que des policiers avaient participé
à un refoulement de migrants à la frontière avec la Bosnie‑Herzégovine
. La conduite d’une enquête interne
est certes bienvenue, mais les déclarations des autorités croates
soulèvent également de sérieuses préoccupations quant à la responsabilité
réelle des refoulements et en particulier quant au rôle des États
impliqués et à celui de l’Union européenne et de Frontex. En outre,
les ONG actives dans la région émettent des doutes sur l’indépendance
et l’efficacité réelles de l’enquête interne proposée
.
63. Du 20 au 23 février 2022, je me suis rendu en Croatie et en
Bosnie-Herzégovine, en compagnie de Stephanie Krisper (Autriche,
ADLE), rapporteure chargée du rapport intitulé «Pays tiers sûrs
pour les demandeurs d’asile»
. Cette visite m’a permis de rencontrer
directement des représentants des autorités et de la société civile
de ces pays. La question du refoulement a été évoquée à l’occasion
de rencontres avec des agents de la police aux frontières des deux
pays, dont l’attention a été attirée sur l’importance de prévenir les
refoulements et de respecter les normes internationales en la matière.
5.2. Renvois
vers la Türkiye
64. Après la mort de 33 soldats
turcs au moins lors d’une frappe aérienne menée par les forces gouvernementales
syriennes dans la province syrienne d’Idlib
, la Türkiye
a annoncé le 27 février 2020 qu’elle ouvrirait unilatéralement ses
frontières maritimes et terrestres avec la Grèce aux migrants, aux
réfugiés et aux demandeurs d’asile en transit vers d’autres pays
européens – malgré un accord conclu en mars 2016 par l’Union européenne
et la Türkiye. En réaction, la Grèce a demandé à sa police, à son
armée et à ses forces spéciales d’utiliser des gaz lacrymogènes
et des balles en caoutchouc pour empêcher les migrants et les réfugiés
d’entrer sur son territoire
. À la suite de cet incident, la Grèce,
en violation de ses obligations internationales
,
a suspendu toutes les procédures d’asile pendant un mois, en mars
2020
.
65. Le 3 mars 2020, Ursula Gertrud von der Leyen, Présidente de
la Commission européenne, s’est rendue dans la région frontalière
de Kastanies au bord de l’Evros en Grèce, d’où elle a exprimé, lors
d’une conférence de presse conjointe
, la solidarité
de l’Union européenne avec le pays. Elle s’est également engagée
à fournir à la Grèce une aide financière, des ressources humaines,
ainsi qu’une expertise technique, pour faire face à l’urgence à
ses frontières. En conséquence, Frontex a lancé deux opérations
d’intervention rapide pour «coordonner un nouveau programme de retour
en vue du retour rapide dans leur pays d’origine des personnes qui
n’ont pas le droit de séjourner en Grèce»
. Au cours de la même conférence
de presse, le Président de la Commission européenne a remercié la
Grèce de servir de bouclier à l’Union européenne.
66. Cependant, il est important que tous les pays se souviennent
de leurs droits et obligations, énoncés dans divers traités, conventions
et accords internationaux et soulignés également dans le rapport
conjoint de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
et du Conseil de l’Europe publié en mars 2020, où il est indiqué
que «les États membres du Conseil de l’Europe (CdE) et de l’Union
européenne (UE) jouissent du droit indéniable de contrôler souverainement
l’entrée des étrangers sur leur territoire. Dans l’exercice du contrôle
de leurs frontières, les États ont le devoir de protéger les droits
fondamentaux de toutes les personnes qui se trouvent sous leur juridiction,
indépendamment de leur nationalité et/ou de leur situation juridique.
Cela englobe la fourniture d’un accès aux procédures d’asile, conformément
au droit de l’UE»
. Comme dans le cas de la Croatie,
la Grèce a utilisé la législation contre la contrebande à l’encontre
des défenseurs des droits de l’homme et des personnes participant
à des opérations de recherche et de sauvetage
, ce qui rend
l’accès à l’asile plus difficile pour les personnes en déplacement.
67. Les procédures d’asile ont été suspendues pour la deuxième
fois au printemps de la même année, la raison invoquée étant la
covid‑19
. L’extension de 26 km d’une clôture
de 10 km datant de 2012 dans la région de l’Evros a été achevée
à l’été 2021 dans le but de dissuader les migrants d’entrer dans
le pays et de demander une protection internationale pour cause
de risque mortel. Des garde‑frontières supplémentaires ainsi qu’un
système de sécurité frontalier de haute technologie ont également
été mis en place
.
68. Suite à sa visite
ad hoc en
Grèce en mars 2020, le CPT du Conseil de l’Europe a publié en novembre de
la même année un rapport appelant les autorités grecques à mettre
fin aux refoulements
. La Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a adressé, le 3 mai 2021, une lettre au ministre
de la Protection des citoyens, au ministre des Migrations et de
l’asile et au ministre de la Marine et de la politique insulaire
de la Grèce concernant des allégations de refoulement et les conditions
de vie des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile dans
le pays. Les autorités grecques ont répondu le 11 mai 2021 qu’elles
s’en tenaient à leurs obligations en matière de protection des frontières
nationales et européennes telles que définies dans la législation
nationale et européenne. Elles ont également affirmé enquêter, au
moyen d’un cadre juridique strict et disciplinaire, sur les allégations
de mauvais traitements aux frontières et notamment sur les allégations
de refoulements illégaux, appliquer les sanctions prévues par la
loi et prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les incidents
indésirables.
69. En octobre 2021, la Grèce a annoncé qu’elle était sur le point
de confier l’enquête sur les allégations de refoulement à l’Autorité
nationale pour la transparence, à la suite de l’appel lancé par
la Commissaire aux affaires intérieures au début du mois d’octobre
de la même année, après la publication par une cellule d’enquête
médiatique de preuves visuelles de garde‑côtes grecs refoulant des
personnes en mer Égée
. Le 29 mars 2022, l’Autorité nationale
grecque pour la transparence a annoncé qu’une enquête approfondie
sur les allégations selon lesquelles des garde-côtes grecs avaient
participé à des refoulements illégaux de demandeurs d’asile n’avait
révélé aucune preuve à l’appui de ces allégations
. Les organisations de la société civile
ont condamné la position de l’Autorité et demandé que le rapport
soit rendu public
.
5.3. Renvois
vers le Bélarus
70. Dès le printemps 2021, une
nouvelle crise migratoire et d’asile a éclaté aux frontières du
Bélarus avec la Lituanie, la Pologne et la Lettonie à la suite,
entre autres, des sanctions
de l’Union européenne imposées au Bélarus, ainsi que des critiques
portées par la Lituanie et d’autres pays de l’Union contre le Bélarus,
qu'ils accusent d’avoir détourné le vol Ryanair FR4978 d’Athènes
à Vilnius, le 23 mai 2021. Le Bélarus a riposté en ouvrant ses frontières
avec ses voisins de l’Union européenne et en instrumentalisant les
migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés de divers pays,
en particulier l’Irak, dans une sorte de «guerre hybride» contre
l’Union européenne. Les autorités du Bélarus auraient même facilité
les afflux migratoires, provoquant une crise sans précédent dans
la région, les trois pays de l’Union européenne n’étant pas prêts
à accueillir un nombre élevé de migrants, de réfugiés et de demandeurs
d’asile.
71. Cette situation a généré des réactions et des politiques xénophobes,
qui se sont traduites dans les trois pays par l’adoption de lois
et d’autres mesures visant à intercepter ces mouvements. Or ces
lois et mesures soulèvent de vives préoccupations en termes de droits
de l’homme concernant la rétention, les conditions de vie désastreuses
et les renvois présumés de personnes privées du droit de déposer
une demande de protection internationale. La Lituanie et la Lettonie
ont déclaré qu’elles ne donneraient suite qu’aux demandes d’asile
présentées aux postes‑frontières officiels. En Pologne, le 17 septembre
2021, le Sejm a voté une loi visant à restreindre l’accès au territoire
et à l’asile pour les personnes entrant dans le pays en dehors des
points de passage officiels.
72. Les trois pays ont instauré l’état d’urgence soit sur l’ensemble
de leur territoire (Lituanie), soit dans des zones spécifiques limitrophes
du Bélarus (Lettonie et Pologne) et ont commencé à construire des
clôtures le long de leurs frontières pour contenir les flux de migrants.
Le déploiement des forces rapides de Frontex ainsi qu’une assistance
technique et une aide d’urgence destinées à renforcer les systèmes
de surveillance des frontières des trois pays ont également été
fournies par l’Union européenne en réponse aux mesures prises par
les autorités du Bélarus. Même si l’instrumentalisation des migrants,
des réfugiés et des demandeurs d’asile est effectivement une carte
jouée par le Président du Bélarus, Alexandre Loukachenko, pour déstabiliser
l’Union européenne, ces personnes ne devraient pas avoir à payer
le prix de ce jeu politique. Les États ont certes le droit de protéger
leurs frontières, mais ils ont aussi l’obligation de traiter les
demandes d’asile déposées à leurs frontières ou sur leur territoire.
73. L’Assemblée a fait part de ses préoccupations à ce sujet lors
d’un débat d’urgence tenu le 30 septembre 2021 et a adopté la
Résolution 2404 (2021) «L’intensification de la pression migratoire aux frontières
de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec le Bélarus»
, sur la base d’un rapport préparé par
Anne‑Mari Virolainen (Finlande, PPE/DC) pour la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées.
5.4. Renvois
vers la Libye
74. En février 2017, l’Italie a
conclu un accord avec la Libye, renouvelé en février 2020 pour une
période de trois ans, pour arrêter le flux de migrants – bien que
la Libye ne soit pas considérée comme un pays sûr. Dans ce contexte,
l’Union européenne a fourni une aide financière d’environ 700 millions
€ à la Libye au cours des dernières années, dont une grande partie
a été allouée aux activités liées à la migration, notamment le renforcement
de la gestion des frontières
.
75. Selon les informations communiquées par Amnesty International
au Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme
des migrants, Felipe González Morales, l’Italie et les institutions
de l’Union européenne ont fourni aux autorités maritimes libyennes
au moins 16 vedettes rapides et formé 477 personnes, principalement
dans le cadre de l’opération navale EUNAVFOR MED Sophia de l’Union européenne
. L’Italie a également déployé du
personnel et des navires en Libye pour aider à la coordination des
opérations maritimes et soutenu le gouvernement d’entente nationale
dans la délimitation d’une zone libyenne de recherche et de sauvetage
.
Même les navires privés ont pour instruction de débarquer les personnes
en Libye au lieu d’un port sûr. En 2021, le tout premier procès
concernant le refoulement de migrants vers la Libye par un navire
privé vers la Libye a eu lieu en Italie. Giuseppe Sotgiu, capitaine
du navire Asso Ventotto, a ainsi été condamné à un an de prison
.
76. Selon la même source, plus de 60 000 personnes auraient été
interceptées en Méditerranée par les autorités libyennes et débarquées
en Libye depuis 2016
. Suivant l’exemple de l’Italie, les
autorités maltaises se seraient livrées à des pratiques de refoulement
dans leurs eaux territoriales, refoulant les personnes soit vers
l’Italie ou la Libye, soit en les abandonnant en haute mer
.
En outre, elles se sont abstenues d’effectuer des missions de recherche
et de sauvetage après avoir été informées de l’existence de bateaux
en détresse ou ont retardé ces missions pendant des jours
.
Le 10 avril 2020, un bateau en détresse en Méditerranée a été signalé
aux autorités italiennes, maltaises et libyennes ainsi qu’à Frontex.
Trois à quatre jours plus tard, des opérations de recherche et de
sauvetage ont été lancées, et un navire battant pavillon libyen
a réussi à secourir les 51 personnes à bord dans les eaux territoriales
maltaises le 15 avril 2020. Le navire a débarqué les migrants à
Tripoli, où l’on a constaté que cinq d’entre eux étaient décédés,
tandis que sept autres étaient portés disparus; les survivants ont
été placés en rétention dans le centre de Trik‑al‑Sikka
. L’ensemble
de l’opération aurait été coordonné par les autorités maltaises.
Ces dernières auraient également eu recours à la rétention arbitraire
en mer, tout en refusant le débarquement de bateaux transportant
des migrants dans leurs ports
.
77. L’Italie et Malte ont toutes deux été critiquées pour avoir
systématiquement entravé le travail de recherche et de sauvetage
des ONG en les criminalisant, en leur refusant la mise à disposition
d’un port sûr pour débarquer les migrants et en faisant appliquer
des procédures administratives donnant lieu à la saisie de certains
de leurs navires. L’Assemblée a mis en garde contre ces pratiques
dans sa
Résolution 2362 (2021) et sa
Recommandation 2194 (2021) «Restrictions aux activités des ONG dans les États membres
du Conseil de l’Europe».
6. Conclusions
78. Je voudrais rappeler nos précédentes
discussions en commission sur cette question et souligner la nécessité
pour les États de respecter les obligations internationales et de
renforcer la solidarité interétatique. L’Assemblée devrait dénoncer
l’approche dysfonctionnelle des renvois dans certains États membres.
Les États membres du Conseil de l’Europe devraient travailler ensemble,
y compris les États d’Europe centrale et du Nord.
79. Le 24 novembre 2021, la commission a tenu un échange de vues
avec Felipe González Morales, Rapporteur spécial des Nations Unies
sur les droits de l’homme des migrants, en vue de progresser dans
la préparation de ce rapport. J’ai également effectué une visite
d’information en Croatie avant laquelle l’ancien Président de l’Assemblée,
Rik Daems, m’avait demandé de me rendre en Pologne les 18 et 19
novembre pour évaluer la situation des migrants bloqués à la frontière
avec le Bélarus en ma qualité de Président de la commission des
migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
80. Le 27 avril 2022, Dunja Mijatović, Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, a présenté à la commission des
migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, sa recommandation intitulée
«Repoussés
au-delà des limites. Il est urgent de mettre un terme aux refoulements
aux frontières de l’Europe», dans laquelle elle s’intéresse au rôle des parlementaires
dans la prévention des violations des droits de l’homme aux frontières,
observant que, dans le cadre de leur mission plus large de garants
des droits de l’homme, les parlementaires peuvent jouer un rôle
essentiel dans la prévention des refoulements, à la fois en tant
que législateurs et responsables du contrôle démocratique de l’action
gouvernementale. Elle a défini quatre grands domaines d’action urgente:
les États membres doivent mettre en œuvre, de bonne foi, leurs obligations
en matière de droits de l’homme; la transparence et la responsabilité
des activités de contrôle des frontières doivent être renforcées;
la lutte contre les refoulements requiert l’action collective de
tous les États membres; et les parlementaires ont un rôle clé en
tant que législateurs pour garantir le respect des normes relatives
aux droits de l’homme. Lors d’un échange de vues avec la commission,
elle a invité les parlementaires à rejeter la vision d’une «forteresse
européenne» dans laquelle personne ne peut entrer. Il faut changer
cette approche pour permettre aux générations futures d’être fières
plutôt que d’avoir honte d’une telle «forteresse européenne»
81. Plusieurs autres questions pertinentes ont été soulevées lors
des échanges de vues, notamment sur la pratique des refoulements
des «migrants illégaux» (certains pays ont établi des règles législatives
en soulignant cette différence), et sur un projet de loi britannique
qui permettrait au Royaume-Uni de délocaliser l’examen des demandes
d’asile individuelles au Rwanda. Choquée par le projet de loi britannique,
la Commissaire a immédiatement demandé qu’il soit modifié, soulignant
qu’un «déplacement» de la responsabilité vers un lointain pays tiers
risquait de porter gravement atteinte au système mondial de la protection
internationale. Concernant «l’immigration illégale», il n’existe
pas, selon elle, de «migrants illégaux» puisque les personnes qui
traversent les frontières ne sauraient être poursuivies pénalement.
82. Pour conclure, je suis fermement convaincu que l’Assemblée
devrait demander que de profonds changements soient apportés à la
législation et à la pratique dans les États membres du Conseil de
l’Europe en vue de mettre fin aux refoulements sur terre et en mer.
Plus précisément, les États membres devraient être invités à prendre
des mesures pour prévenir les refoulements, protéger les victimes
et poursuivre les responsables de ces refoulements, et améliorer
la coopération et la coordination internationales entre les autorités
de surveillance des frontières, la police et d’autres organes chargés
de la protection des frontières, comme indiqué dans le projet de
résolution proposé.