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Rapport | Doc. 15604 | 12 septembre 2022

Renvois en mer et sur terre: mesures illégales de gestion des migrations

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Pierre-Alain FRIDEZ, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15180, renvoi 4548 du 20 novembre 2020. 2022 - Quatrième partie de session

Résumé

Les refoulements ont pris des proportions inquiétantes, se produisant couramment sur terre, mais aussi dans l'environnement plus meurtrier de la mer. Les allégations ne se limitent plus à un ou deux pays, ou à un ou deux incidents, mais sont devenues monnaie courante et, plus inquiétant encore, font partie de la politique tolérée. Les refoulements rendent le sort des migrants et des réfugiés encore plus dur, augmentant le risque de perdre la vie dans un voyage extrêmement périlleux.

Il est indispensable de modifier la législation et la pratique dans les États membres du Conseil de l'Europe pour mettre fin aux refoulements sur terre et en mer et de codifier le principe de non-refoulement dans la législation nationale. L'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 4 de son protocole n° 4 interdisent aux États parties de renvoyer des migrants et des demandeurs d'asile dans un autre pays sans avoir évalué individuellement si cela est sûr. Les États membres sont invités à prendre une série de mesures pour prévenir les refoulements, protéger les victimes de refoulements, poursuivre les responsables de refoulements et améliorer la coopération et la coordination internationales entre les autorités frontalières, la police et les autres organismes chargés de la protection des frontières.

Le bon fonctionnement des mécanismes indépendants de surveillance des frontières aux niveaux national et européen est essentiel, l'Union européenne étant souvent la principale destination des migrants et des réfugiés arrivant en Europe. Les institutions de l'Union Européenne doivent être les garants de la protection internationale des droits de l'homme en ce qui concerne le droit d'asile et l'interdiction du refoulement. L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) devrait renforcer sa capacité à traiter les allégations de refoulement et permettre une enquête approfondie afin de traduire en justice les responsables des refoulements. Étant donné que les organisations de la société civile jouent un rôle important dans les signalements des cas de refoulement, les États devraient encourager et soutenir leur participation aux mécanismes de contrôle indépendants aux niveaux national et européen.

La solidarité interétatique est essentielle pour rendre l'Europe plus forte et plus résiliente face aux défis d'aujourd'hui. La migration est un phénomène sociétal naturel et doit être abordée collectivement à l'échelle du continent pour que l'Europe puisse bénéficier pleinement de ses conséquences positives.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 juin
2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2299 (2019) et sa Recommandation 2161 (2019), «Politiques et pratiques en matière de renvoi dans les États membres du Conseil de l’Europe», et la réponse à la recommandation (Doc. 15088) dans laquelle le Comité des Ministres a salué l’attention continue que l’Assemblée porte aux migrants et aux demandeurs d’asile. La notion de «renvoi» «traduit la nature violente et physique des pratiques en cause» et «peut être appliquée de façon générale aux cas de non‑respect des obligations liées aux droits de l’homme, en ce qui concerne le refus d’entrée dans un pays opposé à des personnes demandant une protection, le refoulement de celles déjà présentes sur un territoire, les expulsions collectives, les obligations de subir des dépistages, et d’autres actions hostiles visant à refuser l’entrée dans les pays européens aux frontières maritimes et terrestres». Ces pratiques de renvoi sont également liées à l’organisation de pullbacks, qui consistent en des accords entre États visant à retenir les migrants d’un côté de la frontière moyennant un avantage financier ou économique.
2. L’Assemblée observe que, dans sa réponse, le Comité des Ministres a souligné que le droit de chercher asile devait être respecté et en particulier que les demandeurs d’asile avaient droit à «un examen individuel et équitable de leurs demandes par les autorités compétentes». Le Comité des Ministres a rappelé l’obligation d’un l’État recevant une demande d’asile «de s’assurer que le retour du requérant dans son pays d’origine ou dans un autre pays ne l’exposera[it] pas à un risque réel de peine de mort, de torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, à des persécutions ou violations graves d’autres droits fondamentaux qui justifieraient l’octroi de protection en vertu du droit international ou national». L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et l’article 4 de son Protocole 4 (STE no 46) interdisent aux États membres du Conseil de l’Europe de renvoyer les migrants et les demandeurs d’asile vers un autre pays sans avoir déterminé pour chaque individu concerné si ce retour serait sûr.
3. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2379 (2021) «Le rôle des parlements dans la mise en œuvre des Pactes mondiaux des Nations Unies pour les migrants et réfugiés», et sa Résolution 2408 (2021) «70e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés: le Conseil de l’Europe et la protection internationale des réfugiés», dans laquelle elle est convenue d’appuyer les efforts mondiaux visant à protéger le droit d’asile consacré par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations Unies («la Convention sur les réfugiés») et d’autres instruments internationaux pertinents.
4. L’Assemblée déplore le profond mépris des normes internationales en la matière dans certains pays, auquel s’ajoute l’instrumentalisation du flux migratoire à des fins politiques dans d’autres, et conclut à la persistance des atteintes au droit d’asile. Les renvois aux frontières ont pris des proportions inquiétantes, tant sur terre que dans l’environnement plus dangereux de la mer, devenant un problème paneuropéen qui concerne au moins la moitié des États membres. Loin de se limiter à un ou deux pays ou à un ou deux incidents, les allégations se multiplient et, plus inquiétant, elles font désormais partie d’une politique tolérée. Les refoulements de la Croatie vers la Bosnie-Herzégovine, de la Grèce vers la Türkiye, de Malte et de l’Italie vers la Libye, de la Hongrie vers la Serbie et de la Pologne vers le Bélarus ne font qu’aggraver une situation déjà critique pour les migrants et les réfugiés et les exposer davantage au risque de mourir au cours d’un périple extrêmement périlleux.
5. L’Assemblée appelle également les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée, à respecter leurs obligations internationales et à renforcer la solidarité interétatique. Tous, y compris les États membres d’Europe centrale et du Nord, devraient travailler ensemble pour garantir le droit d’asile. Cette solidarité interétatique est essentielle pour que l’Europe soit plus forte, sur les plans politique, économique, social et culturel. La migration est un phénomène de société naturel et elle devrait être traitée collectivement, en tant que continent, pour être plus efficace et pour bénéficier pleinement de ses incidences positives.
6. L’Assemblée se félicite de la recommandation «Repoussés au-delà des limites. Il est urgent de mettre un terme aux refoulements aux frontières de l’Europe» dans laquelle la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, se penche sur le rôle des parlementaires dans la prévention des violations des droits de l’homme aux frontières, observant que, dans le cadre de leur mission plus large de garants des droits de l’homme, les parlementaires peuvent jouer un rôle essentiel dans la prévention des refoulements, en tant que législateurs et en tant que responsables du contrôle démocratique de l’action gouvernementale.
7. Pour l’Assemblée, il est important de disposer, aux niveaux national et européen, de mécanismes indépendants de contrôle des frontières efficaces. Elle met toutefois en garde contre le risque d’une adhésion de pure forme au principe d’indépendance de la part d’autorités nationales qui voudront miner l’indépendance de ces organes en les rendant tributaires des financements publics, en imposant que des entités favorables au gouvernement en place fassent partie des comités de surveillance, en limitant leur accès à la frontière ou aux lieux de rétention des migrants, ou en limitant leurs activités par d’autres moyens. Elle rappelle l’importance des freins et contrepoids démocratiques et d’un contrôle pleinement indépendant.
8. L’Assemblée observe que l’Union européenne étant souvent la principale destination des migrants qui arrivent en Europe, les institutions de l’Union devraient agir en tant que garantes de la protection internationale des droits humains en ce qui concerne le droit d’asile et l’interdiction du refoulement. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) devrait être invitée à renforcer sa capacité à traiter les allégations de refoulement et à diligenter des enquêtes approfondies pour que les responsables des refoulements répondent de leurs actes. L’Assemblée souligne qu’un contrôle efficace des frontières est pleinement compatible avec la protection des droits fondamentaux. Il convient donc de soutenir l’activité du Responsable des droits fondamentaux de Frontex et de renforcer sa capacité de contrôle.
9. L’Assemblée déplore que la législation relative à la lutte contre la contrebande soit utilisée à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des personnes qui participent à des opérations de recherche et de sauvetage sur terre ou en mer, ce qui rend l’accès à l’asile des personnes en déplacement plus difficile. Le droit d’asile comprend le droit d’être informé des procédures d’asile, notamment par des organisations de la société civile, des groupes de défense, des défenseurs des droits de l’homme et des institutions d’aide judiciaire spécialisées. Les États doivent s’assurer que le fonctionnement de ces organismes ne soit pas entravé de facto par l’application de dispositions qui criminalisent leurs activités.
10. L’Assemblée se félicite des décisions en faveur de réfugiés, migrants et demandeurs d’asile qui avaient été repoussés hors des frontières extérieures de l’Union européenne rendues par les juridictions régionales de certains pays, soulignant que la pratique du refoulement des demandeurs d’asile constituait une violation du principe de la dignité humaine.
11. L’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe à modifier leur législation et leur pratique pour mettre fin aux refoulements sur terre et en mer et codifier le principe de non-refoulement dans la législation nationale. Plus précisément, elle leur demande de prendre des mesures pour prévenir les refoulements, protéger les victimes et poursuivre les responsables de ces refoulements, et améliorer la coopération et la coordination internationales entre les autorités de surveillance des frontières, la police et d’autres organes chargés de la protection des frontières, comme suit:
11.1. en ce qui concerne la prévention:
11.1.1. prévenir toutes opérations de «renvoi» et de «pullback» des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Il convient de veiller en priorité à ce que la gestion des frontières soit alignée sur le droit international et les obligations en matière de droits de l’homme. L’Assemblée souligne la nécessité de garantir une évaluation individuelle des besoins de protection et du caractère sûr d’un retour en vue de prévenir toute violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et l’interdiction des expulsions collectives consacrée par l’article 4 du Protocole no 4 à la Convention;
11.1.2. établir un accès sécurisé aux postes de contrôle aux frontières; les représentants des mécanismes nationaux de prévention devraient notamment avoir accès sans entrave aux postes de contrôle et, lorsqu’ils existent, aux lieux de rétention, afin de garantir le plein respect des normes internationales en matière d’asile;
11.1.3. rendre la législation et les politiques nationales conformes aux droits de l'homme et modifier la législation sur les migrations en vue de prévenir et d'interdire les refoulements et le déni du droit d'asile;
11.1.4. faire en sorte que le cadre juridique pertinent soit précis et clair pour tous les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, et disponible, autant que possible, dans des langues qui leur permettent de comprendre la procédure. Des moyens de recours pertinents et efficaces doivent être mis en place en cas de rejet de la demande d’asile en première instance;
11.1.5. encourager et soutenir la participation de la société civile aux mécanismes indépendants de surveillance aux niveaux national et européen, compte tenu du fait que son rôle dans la défense et la promotion des valeurs démocratiques et des droits fondamentaux, y compris le droit d’asile, est essentiel, notamment en ce qu’elle joue un rôle important dans le signalement des cas de refoulement. Des mécanismes indépendants de surveillance des opérations aux frontières doivent pouvoir vérifier les abus commis par les services de police aux frontières et en rendre compte aux autorités judiciaires compétentes. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent respecter le rôle des ONG et des défenseurs des droits de l’homme conformément à leurs engagements, comme énoncé dans la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe;
11.2. en ce qui concerne la protection:
11.2.1. développer des programmes spécifiques visant à protéger les victimes des refoulements, éventuellement dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025), et veiller à ce que des mécanismes de plainte efficaces soient en place pour les victimes. Des mesures doivent être prises en urgence pour protéger les migrants et réfugiés les plus vulnérables, à savoir les enfants, les femmes, les personnes handicapées et les personnes âgées. Tous les États membres du Conseil de l’Europe doivent établir l’interdiction absolue des renvois d’enfants migrants;
11.2.2. les États membres de l’Union européenne doivent prendre des mesures pour mettre le droit et la pratique de l’Union européenne en conformité avec les normes relatives aux droits humains, comme le mentionne la Résolution 2416 (2022) de l’Assemblée, «Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile du point de vue des droits humains», y compris en prévoyant les garanties juridiques clairement établies dans la Convention de 1951 sur les réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme. Les violations du droit de demander l’asile doivent cesser;
11.3. en ce qui concerne les poursuites:
11.3.1. s’assurer que les allégations de renvois font l’objet d’enquêtes approfondies et que les responsables répondent de leurs actes afin de faire cesser ces pratiques. L’Assemblée rappelle par conséquent une nouvelle fois l’importance de l’interdiction de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants et de l’interdiction des expulsions collectives, y compris pendant les situations d’urgence;
11.3.2. exécuter les jugements des tribunaux nationaux et de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris les mesures provisoires, concernant les renvois et les refus d’accès à l’asile, voire à une procédure d’asile, et donner suite aux recommandations des organes indépendants nationaux tels que les défenseurs des droits, comme indiqué dans la Résolution 2299 (2019), sans perdre de vue que la codification du principe de non-refoulement dans le droit interne est essentielle;
11.4. en ce qui concerne la coopération et la coordination internationales
11.4.1. renforcer la coopération et la coordination internationales dans les domaines de la protection des frontières, d’une part, et de la gestion des migrations, d’autre part. Ce point est particulièrement important s’agissant des opérations de recherche et de sauvetage en mer, qui doivent être efficaces, l’objectif premier étant de sauver des vies. Il convient donc de continuer à renforcer la coopération et la coordination internationales en mer en vue de prévenir les tragédies humaines aux frontières maritimes de l’Europe;
11.4.2. la coopération entre les services de police aux frontières devrait prévoir une formation spécialisée sur l’application des normes internationales en matière d’accès à une procédure d’asile, de manière à garantir que toute personne indiquant qu’elle a besoin d’une protection internationale bénéficie de mesures adéquates. Il est possible d’utiliser les nouveaux moyens technologiques pour améliorer l’accès aux procédures et fournir des informations pertinentes aux demandeurs d’asile dans différentes langues;
11.4.3. renforcer la coopération internationale aux niveaux régional et mondial pour dresser le bilan des progrès réellement accomplis en matière de droit d’asile. Les travaux du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants des Nations Unies, les mesures de suivi de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés pour que la Convention sur les réfugiés de 1951 et son Protocole de 1967 soient pleinement respectés, les actions de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et de la Représentante spéciale de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés doivent orienter les politiques publiques, en plus des organes conventionnels compétents;
11.4.4. continuer à développer la coopération internationale entre les polices aux frontières des pays de l’Union européenne et des pays tiers, avec la participation de Frontex, dans le but d’accroître les compétences des polices aux frontières des États membres du Conseil de l’Europe en matière de droit d’asile, dans le plein respect de la Convention sur les réfugiés de 1951 et de son Protocole de 1967, de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres traités pertinents. Les mesures de réparation en cas de non-respect de la loi doivent être clairement énoncées et appliquées.
12. L’Assemblée se félicite des nouvelles initiatives visant à assurer la protection des frontières de l’Europe dans le plein respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes qui tentent de franchir les frontières. Elle appelle à une discussion ouverte et constructive, fondée sur les conclusions de l’étude de faisabilité lancée le 4 mai 2022, en prévision de la mise en place d’un mécanisme solide et indépendant de surveillance des droits humains aux frontières extérieures de l’Union européenne.
13. Enfin, l’Assemblée appelle à un engagement plus fort pour faire respecter les normes en matière de droits humains aux frontières de l’Europe. Le temps est venu pour les parlementaires de s’élever contre les renvois et de suivre de près les développements tant au niveau national qu’européen.

B. Exposé des motifs par M. Pierre Alain Fridez, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Alors que les États renforcent leur contrôle aux frontières, les refus d’entrée sur leur territoire et les expulsions sans examen individuel du besoin de protection sont devenus un phénomène attesté aux frontières de l’Europe et qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Cette absence d’examen individuel est très préjudiciable aux droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile, car cela porte atteinte à leur droit de demander l’asile et au principe de non‑refoulement.
2. Ces pratiques, systématiques dans plusieurs pays, sont désignées sous le nom de «renvois». Dans un précédent rapport de l’Assemblée parlementaire publié en juin 2019, Mme Tineke Strik (Pays-Bas, SOC) a clarifié cette notion en indiquant qu’elle «traduit la nature violente et physique des pratiques en cause» et qu’elle «peut être appliquée de façon générale aux cas de non-respect des obligations liées aux droits de l’homme, en ce qui concerne le refus d’entrée dans un pays à des personnes demandant une protection, le refoulement de celles déjà présentes sur un territoire, les expulsions collectives, les obligations de subir des dépistages, et d’autres actions hostiles visant à refuser l’entrée dans les pays européens aux frontières maritimes et terrestres» 
			(2) 
			APCE, «Politiques et
pratiques en matière de renvoi dans les États membres du Conseil
de l’Europe», 8 juin 2019, Doc. 14909.. Les pratiques de renvoi sont également liées au phénomène dit de «pullbacks» (ou «maintien sur place»), accords entre États visant à retenir les migrants d’un côté de la frontière en échange d’un avantage financier ou économique.
3. Dans la continuité de ce précédent rapport de 2019, la commission souhaite souligner la nécessité pour les États membres de se conformer au cadre juridique interdisant les pratiques et les politiques de renvoi, et mettre en avant un certain nombre de lignes directrices en vue d’aider les États à éviter les pratiques non conformes à leurs engagements en matière de droits de l’homme et de droits des réfugiés.
4. Les conséquences tragiques de l'agression russe contre l'Ukraine qui a forcé des millions de personnes à chercher refuge ailleurs en Ukraine ou à l'étranger ont été couvertes dans la Résolution 2448 (2022) «Conséquences humanitaires et migrations internes et externes liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine», adoptée sur la base de mon rapport (Doc. 15547).

2. Cadre juridique international et européen sur l’interdiction des renvois

2.1. Nations Unies

5. Le principe de non‑refoulement, pierre angulaire de la protection des réfugiés garantie par la Convention de Genève de 1951 dans son article 33.1, interdit d’expulser et de refouler tout réfugié à la frontière vers des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. À cet égard, les États ont l’obligation de veiller à ce que les mesures prises à leurs frontières permettent un examen individuel de chaque situation.
6. Les expulsions collectives sont également interdites en tant que principe du droit international général. L’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention des Nations unies contre la torture) étend la portée de la Convention de 1951 relative aux réfugiés à l’interdiction d’expulser, de refouler ou d’extrader toute personne vers un autre État où elle craint d’être en danger ou soumise à la torture 
			(3) 
			Nations Unies, Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, 1984.. En outre, les droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels s’appliquent à toutes les personnes, quels que soient leur statut juridique et leurs documents d’identité 
			(4) 
			<a href='http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=4slQ6QSmlBEDzFEovLCuW1a0Szab0oXTdImnsJZZVQdqeXgncKnylFC%2BlzJjLZGhXBehXymct%2BGQYiXZOf%2F2tt8Eh9p1s4peGKAhNZR9RKJe1RCAcbJv0qIK3%2F3e%2BaFs'>http://docstore.ohchr.org/SelfServices/.FilesHandler.ashx?enc=4slQ6QSmlBEDzFEovLCuW1a0Szab0oXTdImnsJZZVQdqeXgncKnylFC%2BlzJjLZGhXBehXymct%2BGQYiXZOf%2F2tt8Eh9p1s4peGKAhNZR9RKJe1RCAcbJv0qIK3%2F3e%2BaFs.</a>. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer prévoit également le devoir de prêter assistance à toute personne en détresse en mer.
7. La nécessité de respecter le cadre juridique susmentionné est rappelée dans deux pactes de l’ONU, à savoir le Pacte mondial pour les réfugiés 
			(5) 
			<a href='https://www.unhcr.org/fr/vers-un-pacte-mondial-sur-les-refugies.html'>Nations
Unies, Pacte mondial sur les réfugiés, 2018.</a> et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières 
			(6) 
			A/RES/73/195..

2.1.1. Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)

8. Le HCR est extrêmement actif dans la lutte contre les violations des droits fondamentaux des réfugiés et des demandeurs d’asile, notamment dans le contexte des refoulements.
9. Devant le nombre croissant d’expulsions et de renvois de demandeurs d’asile, de migrants et de réfugiés aux frontières de l’Europe, le HCR a, en janvier 2021, appelé l’Union européenne et ses États membres à mettre fin de toute urgence à ces pratiques et à mener des enquêtes indépendantes 
			(7) 
			<a href='www.unhcr.org/fr/news/press/2021/1/60112168a/hcr-previent-droit-dasile-mis-peril-europe-exhorte-faire-cesser-renvois.html'>www.unhcr.org/fr/news/press/2021/1/60112168a/hcr-previent-droit-dasile-mis-peril-europe-exhorte-faire-cesser-renvois.html</a>.. Le HCR a en effet déclaré avoir reçu de nombreuses allégations de refoulements perpétrés «dans la violence et de manière apparemment systématique» par certains États européens. Il a rappelé que la Convention de 1951 sur les réfugiés ainsi que le cadre juridique européen imposent aux États de garantir aux personnes le droit de demander l’asile en procédant à «une évaluation individuelle sur leurs besoins en matière de protection», «même si les personnes sont entrées illégalement dans le pays». Il a précisé que la pandémie de covid-19 ne faisait pas exception à l’obligation de garantir «un accès juste et rapide aux procédures d’asile».
10. Plus récemment, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés a fait part de sa tristesse concernant le décès de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile survenu près de la frontière entre la Pologne et le Bélarus. Elle a réitéré ses préoccupations croissantes suite aux rapports sur les refoulements effectués aux frontières de la Lituanie, de la Lettonie et du Bélarus en précisant que ces pratiques mettaient à risque la vie des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile et qu’elles étaient interdites par le droit international. Le HCR a appelé les États à collaborer entre eux sur cette question et à veiller en priorité au respect des droits de l’homme 
			(8) 
			<a href='www.unhcr.org/fr/news/press/2021/10/61765a96f/hcr-appelle-etats-mettre-fin-limpasse-frontiere-Bélarus-lue-deviter-nouvelles.html'>www.unhcr.org/fr/news/press/2021/10/61765a96f/hcr-appelle-etats-mettre-fin-limpasse-frontiere-Bélarus-lue-deviter-nouvelles.html. </a>.
11. Dans ses «Recommandations pour les présidences française et tchèque du Conseil de l'Union européenne (UE)» en 2022, le HCR explique qu'il «reste gravement préoccupé par les renvois systématiques et de plus en plus violents aux frontières extérieures de l’Union européenne. Les nombreuses violations de droits de l’homme qu’ils induisent sont incontestablement contraires au droit européen et international. Les Etats membres doivent mettre fin à ces pratiques et des enquêtes doivent être menées sur la base des informations crédibles disponibles» 
			(9) 
			<a href='http://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=61dc67d94'>www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=61dc67d94.</a>.
12. En février 2022, à la suite d'un nombre croissant d'incidents violents et de violations graves des droits de l'homme à diverses frontières européennes, dont plusieurs ont entraîné des pertes de vie tragiques, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a dénoncé le fait que «Des actes de violence, des mauvais traitements et des renvois sont encore régulièrement signalés à de multiples points d’entrée terrestres et maritimes, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Union européenne (UE), malgré des appels répétés...» et a exprimé la crainte d’«une normalisation de ces pratiques déplorables, qui risquent de se banaliser et de s’ériger en politiques. Elles confortent l’idée négative et intenable d’une ‘Europe forteresse’». Il a appelé les États à «tenir leurs engagements et respecter les droits humains fondamentaux, notamment le droit à la vie et le droit d’asile. La façon dont l’Europe choisit de protéger les demandeurs d’asile et les réfugiés est importante et fait jurisprudence non seulement dans la région mais aussi dans le monde entier» 
			(10) 
			<a href='http://www.unhcr.org/fr/news/press/2022/2/6213b8dfa/commentaire-dactualite-hcr-alerte-hausse-violences-violations-droits-humains.html'>www.unhcr.org/fr/news/press/2022/2/6213b8dfa/commentaire-dactualite-hcr-alerte-hausse-violences-violations-droits-humains.html.</a>.

2.1.2. Organisation internationale pour les migrations (OIM)

13. L’Organisation internationale pour les migrations a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face aux rapports persistants d’expulsions collectives et de refoulements, notamment à la frontière de l’Union européenne entre la Grèce et la Türkiye 
			(11) 
			<a href='www.iom.int/news/iom-alarmed-over-reports-pushbacks-greece-eu-border-turkey'> www.iom.int/news/iom‑alarmed‑over‑reports‑pushbacks‑greece‑eu‑border‑turkey</a> (anglais uniquement).. Elle a déclaré qu’il fallait en priorité veiller à ce que la gestion des frontières soit alignée sur le droit international et conforme aux obligations des États en matière de droits de l’homme.
14. Dans le droit fil des déclarations publiées par le HCR, l’OIM a également appelé, en février 2021, les États membres de l’Union européenne à prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux pratiques de refoulement et au recours à la violence contre les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile aux frontières extérieures terrestres et maritimes de l’Europe 
			(12) 
			<a href='https://www.iom.int/fr/news/loim-appelle-mettre-un-terme-aux-refoulements-et-la-violence-contre-les-migrants-aux-frontieres-exterieures-de-lue'>www.iom.int/fr/news/loim‑appelle‑mettre‑un‑terme‑aux‑refoulements‑et‑la‑violence‑contre‑les‑migrants‑aux‑frontieres‑exterieures‑de‑lue</a>. En effet, l’OIM s’est entretenue avec des migrants qui ont confirmé les rapports documentés reçus par l’organisation et démontrant le niveau de violence infligé à ces personnes avant leur refoulement aux frontières maritimes et terrestres.
15. L’OIM a souligné l’interdiction des refoulements et des expulsions collectives en vertu du droit international et européen et s’est félicitée des récentes enquêtes ouvertes par plusieurs États membres de l’Union européenne suite à des allégations de refoulements. L’OIM a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’améliorer les politiques de migration et d’asile, et a offert son soutien continu aux États membres de l’Union européenne dans la mise en œuvre d’une gouvernance de la migration respectueuse des droits humains de chacun.

2.1.3. Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants

16. Suite à la résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme en juin 2020 
			(13) 
			A/HRC/RES/43/6., le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants, Felipe González Morales, a publié un rapport sur la question des droits de l’homme dans le contexte des refoulements de migrants sur terre et en mer 
			(14) 
			A/HRC/47/30
(<a href='https://www.ohchr.org/EN/Issues/Migration/SRMigrants/Pages/Pushback-practices.aspx'>www.ohchr.org/EN/Issues/Migration/SRMigrants/Pages/Pushback-practices.aspx</a>).. Après examen des pratiques mondiales actuelles, il a conclu à une augmentation alarmante des refoulements dans de nombreux États, de même qu’à l’échelle mondiale, refoulements qui s’accompagnent souvent de l’usage de la force. Selon lui, «les refoulements manifestent un préjugé enraciné contre les migrants» qui se traduit par le déni du droit fondamental à une évaluation individuelle des demandes de protection internationale.
17. Le Rapporteur spécial a formulé de nombreuses recommandations en vue d’abolir les pratiques de refoulement. Tout d’abord, il a exhorté les États à mettre en œuvre et à respecter pleinement les obligations internationales et régionales à l’égard des droits de l’homme, à ratifier les principaux instruments internationaux en la matière et à harmoniser les législations nationales avec l’interdiction de refouler et d’expulser collectivement des étrangers. Il a ensuite appelé les États à offrir aux migrants l’accès à un examen individuel de leur situation et à un recours effectif devant une autorité judiciaire, et à mettre en place des mécanismes administratifs et législatifs permettant de garantir le respect effectif de leurs droits. Enfin, il a encouragé les États à reconnaître le rôle que jouent les organisations de la société civile dans l’examen et le suivi des cas de renvoi et les a invités à faire en sorte que les acteurs privés qui mènent des opérations de sauvetage pour aider les migrants en détresse ne soient pas criminalisés ou pénalisés de ce fait.

2.2. Le Conseil de l’Europe

2.2.1. La Cour européenne des droits de l’homme

18. Bien que le droit de demander l’asile ne soit pas expressément consacré par la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour exige des États membres qu’ils prévoient une évaluation individuelle des besoins de protection et un accès effectif aux procédures d’asile afin de prévenir toute violation de l’article 3 (torture et peines ou traitements inhumains ou dégradants) de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 4 de la Convention, qui interdit les expulsions collectives d’étrangers. L’article 13 de la Convention, qui garantit le droit à un recours effectif, s’applique également dans le cadre de l’interdiction des politiques de refoulement.
19. Selon l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme, les expulsions collectives se définissent comme «toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe 
			(15) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, 3 octobre 1975, Henning
Becker c. Danemark, no 7011/75.». La nécessité d’examiner individuellement les demandes de protection internationale est donc au cœur de la jurisprudence de la Cour.
20. Dans l’arrêt emblématique Hirsi Jamaa et autres c. Italie 
			(16) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, 26 mai 2009, Hirsi
Jamaa et autres c. Italie, no 27765/09,
par. 185 et 186., la Cour a estimé qu’un renvoi automatique sans évaluation individuelle et l’absence d’accès à une voie de recours constituent une violation des dispositions susmentionnées. Elle a constaté «que le transfert des requérants vers la Libye a été exécuté en l’absence de toute forme d’examen de leur situation individuelle. Il est incontesté que les requérants n’ont fait l’objet d’aucune procédure d’identification de la part des autorités italiennes, lesquelles se sont bornées à faire monter l’ensemble des migrants interceptés sur les navires militaires et à les débarquer sur les côtes libyennes. De plus, la Cour relève que le personnel à bord des navires militaires n’était pas formé pour mener des entretiens individuels et n’était pas assisté d’interprètes et de conseillers juridiques. Cela suffit à la Cour pour exclure l’existence de garanties suffisantes attestant une prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des personnes concernées. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’éloignement des requérants a eu un caractère collectif contraire à l’article 4 du Protocole no 4 à la Convention. Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition». En concluant à la violation de l’article 4 du Protocole no 4 par l’Italie en raison de ses pratiques de refoulement dans les eaux internationales avec la Libye, la Cour a consacré la nécessité pour les États de respecter les normes de la Convention dans l’exercice de leur compétence en dehors de leur territoire national et a donc interdit les expulsions collectives en mer.
21. En 2019, dans l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie, la Cour a estimé que le refoulement de deux ressortissants bangladais vers la Serbie ne présentait pas de garanties suffisantes pour affirmer que les intéressés ne seraient pas soumis à des traitements inhumains ou dégradants, compte tenu du risque réel, à l’époque, d’être expulsé vers la Macédoine du Nord et vers la Grèce. Par cet arrêt, la Cour a montré qu’elle accordait une attention particulière aux risques de «refoulements en chaîne» 
			(17) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, 21 novembre 2019, Ilias
et Ahmed c. Hongrie, no 47287/15..
22. En 2020, dans l’affaire N.D. et N.T. c. Espagne, la Cour a estimé que les migrants qui avaient délibérément omis de se conformer aux procédures d’asile officielles et qui avaient pénétré irrégulièrement, en groupe, sur le territoire espagnol, s’étaient délibérément mis en danger 
			(18) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, 13 février 2020, N.D.
et N.T. c. Espagne, nos 8675/15
et 8697/15.. Ainsi, la Grande Chambre de la Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 4 de la Convention. La communauté internationale a critiqué ce jugement pour ne pas avoir suivi la jurisprudence antérieure de la Cour ni les normes internationales régissant l’interdiction des refoulements 
			(19) 
			<a href='https://cadmus.eui.eu/handle/1814/66629'>https://cadmus.eui.eu/handle/1814/66629</a> (anglais uniquement).. Dans son opinion dissidente, la juge Koskelo a estimé que le fait de passer des exigences bien établies en matière de non‑refoulement à un nouveau critère fondé sur la «propre conduite» des personnes demandant une protection internationale était susceptible de créer des incertitudes et des difficultés pratiques à l’avenir.
23. Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme condamne un État pour la violation d’un droit garanti par la Convention, il se voit proposer si nécessaire des orientations structurelles lui permettant d’adapter sa législation à la Convention. En outre, plusieurs outils ont été créés pour doter les États membres de lignes directrices en matière de politique migratoire à l’usage de leurs professionnels du droit et de leurs autorités nationales. Le programme HELP (Human Rights Education for Legal Professionals) du Conseil de l’Europe propose des cours en ligne sur l’asile et les droits de l’homme ainsi que sur les enfants réfugiés et les enfants migrants, qui peuvent être utiles pour la formation des autorités chargées des migrations.

2.2.2. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

24. La Commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatović a publié de nombreuses déclarations dans lesquelles elle prie instamment les États de prévenir le refus d’accès à l’asile et le renvoi de migrants et de réfugiés sans garanties individuelles. Elle a également appelé à mettre fin à ce qui est devenu la normalisation des pratiques de refoulement 
			(20) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/european-states-must-stand-up-against-pushbacks-and-the-attempt-to-legalise-them'>www.coe.int/fr/web/commissioner/‑/european‑states‑must‑stand‑up‑against‑pushbacks‑and‑the‑attempt‑to‑legalise‑them.</a> et déploré la construction fort regrettable de murs et de clôtures, les restrictions aux demandes d’asile et les politiques de refoulement dans le contexte de la crise que traverse le peuple afghan 
			(21) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/in-their-response-to-afghans-seeking-safety-council-of-europe-member-states-should-not-undermine-human-rights-protections'>www.coe.int/fr/web/commissioner/‑/in‑their‑response‑to‑afghans‑seeking‑safety‑council‑of‑europe‑member‑states‑should‑not‑undermine‑human‑rights‑protections.</a>.
25. La Commissaire aux droits de l’homme correspond également directement avec les États membres du Conseil de l’Europe en adressant des lettres aux autorités publiques. À cet égard, en 2020, elle a appelé Malte à s’abstenir de procéder à des renvois illégaux de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile vers la Libye 
			(22) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/commissioner-urges-malta-to-meet-its-obligations-to-save-lives-at-sea-ensure-prompt-and-safe-disembarkation-and-investigate-allegations-of-delay-or-no'>www.coe.int/fr/web/commissioner/‑/commissioner‑urges‑malta‑to‑meet‑its‑obligations‑to‑save‑lives‑at‑sea‑ensure‑prompt‑and‑safe‑disembarkation‑and‑investigate‑allegations‑of‑delay‑or‑no.</a>. Plus récemment, elle a adressé une lettre aux autorités chypriotes pour leur demander d’enquêter sur les nombreuses allégations documentées de refoulement et de mauvais traitements infligés aux migrants, selon lesquelles des bateaux transportant des migrants se sont vu interdire de débarquer à Chypre et ont été renvoyés sommairement et systématiquement 
			(23) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/cypriot-authorities-should-investigate-allegations-of-pushbacks-and-ill-treatment-of-migrants-improve-reception-conditions-and-ensure-an-enabling-envi'>www.coe.int/fr/web/commissioner/‑/cypriot‑authorities‑should‑investigate‑allegations‑of‑pushbacks‑and‑ill‑treatment‑of‑migrants‑improve‑reception‑conditions‑and‑ensure‑an‑enabling‑envi.</a>. Enfin, elle a également adressé une lettre au Premier ministre lituanien pour lui faire part de son inquiétude face aux violations du droit d’accès à des procédures d’asile équitables et aux allégations de renvois sommaires de migrants sans garanties adéquates 
			(24) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/lithuania-safeguards-in-asylum-procedures-and-preventing-pushbacks-should-be-central-to-response-to-migration-challenges'>www.coe.int/fr/web/commissioner/‑/lithuania‑safeguards‑in‑asylum‑procedures‑and‑preventing‑pushbacks‑should‑be‑central‑to‑response‑to‑migration‑challenges.</a>.
26. La Commissaire aux droits de l’homme communique régulièrement ses interventions en qualité de tierce partie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une affaire récente concernant trois requérants syriens refoulés de Croatie vers la Bosnie‑Herzégovine 
			(25) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, S.B. c. Croatie, A.A.
c. Croatie et A.B. c. Croatie, nos 18810/19,
18865/19 et 23495/19 (anglais uniquement)., elle a fait part de sa préoccupation quant à l’existence d’une pratique établie de renvois collectifs de migrants depuis la Croatie, comme indiqué dans ses observations de décembre 2020 (CommDH(2020)33) 
			(26) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/commissioner-publishes-observations-on-summary-returns-of-migrants-from-croatia-to-bosnia-and-herzegovina'>www.coe.int/fr/web/commissioner/‑/commissioner‑publishes‑observations‑on‑summary‑returns‑of‑migrants‑from‑croatia‑to‑bosnia‑and‑herzegovina.</a>. Ces renvois seraient effectués sans que la situation individuelle des migrants soit évaluée, de sorte que la Croatie enfreint systématiquement ses obligations internationales, ainsi que la Commissaire l’a souligné lors des échanges de vues tenus avec la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 2 décembre 2020 et le 27 avril 2022.
27. Dans sa recommandation intitulée «Repoussés au-delà des limites. Il est urgent de mettre un terme aux refoulements aux frontières de l’Europe», la Commissaire définit quatre domaines d’action urgente: les États membres doivent mettre en œuvre, de bonne foi, leurs obligations en matière de droits de l’homme; la transparence et la responsabilité des activités de contrôle des frontières doivent être renforcées; la lutte contre les refoulements exige l’action collective de tous les États membres; et les parlementaires ont un rôle clé à jouer en tant que législateurs pour garantir le respect des normes relatives aux droits de l’homme. Les parlementaires jouent également un rôle important en tant que garants du contrôle démocratique de l’action gouvernementale. Je salue donc les efforts de Mme Mijatović pour renforcer le respect des normes en matière de droits de l’homme aux frontières de l’Europe et son appel à un engagement plus fort des parlementaires à cet égard.

2.2.3. Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (CPT)

28. Dans le cadre de son rôle de mécanisme de prévention non judiciaire visant à protéger les personnes contre la torture et les mauvais traitements, le CPT effectue des visites dans tous les États membres du Conseil de l’Europe afin d’examiner le traitement des personnes privées de liberté.
29. En 2020, le CPT a publié un rapport concernant sa visite ad hoc en Grèce en mars de la même année. Bien qu’il ait reconnu les défis importants auxquels la Grèce fait face en termes de nombre de migrants entrant sur son territoire, le Comité a exhorté les autorités grecques à se conformer à leurs obligations en matière de droits de l’homme 
			(27) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-s-anti-torture-committee-calls-on-greece-to-reform-its-immigration-detention-system-and-stop-pushbacks'>www.coe.int/fr/web/cpt/‑/council‑of‑europe‑s‑anti‑torture‑committee‑calls‑on‑greece‑to‑reform‑its‑immigration‑detention‑system‑and‑stop‑pushbacks.</a>. Il a rappelé les allégations concordantes de migrants refoulés vers la Türkiye et la nécessité pour les autorités grecques de mettre fin à ces pratiques et de les empêcher. Le CPT a également souligné les méthodes illégales appliquées par les garde‑côtes grecs, consistant à empêcher les bateaux transportant des migrants d’atteindre les îles grecques, et remis en cause le rôle de Frontex dans ces actions.

2.2.4. Représentante spécial du Secrétaire général pour les migrations et les réfugiés

30. Dans le cadre de son mandat, la Représentante spéciale fournit des conseils aux États membres sur les aspects juridiques des normes relatives aux droits de l’homme des migrants et des réfugiés. En 2020, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, en collaboration avec la Représentante spéciale, a publié un document d’orientations pratiques intitulé «Contrôles aux frontières et droits fondamentaux aux frontières terrestres extérieures» afin d’aider les agents chargés de la gestion des frontières au sein des États membres à mettre en œuvre les garanties relatives aux droits fondamentaux prévues par les instruments juridiques de l’Union européenne 
			(28) 
			<a href='https://fra.europa.eu/en/publication/2020/border-controls-and-fundamental-rights-external-land-borders'>https://fra.europa.eu/en/publication/2020/border‑controls‑and‑fundamental‑rights‑external‑land‑borders</a> 
			(28) 
			(anglais uniquement)..
31. La Représentante spéciale a également publié une deuxième note conjointe avec l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2021 
			(29) 
			<a href='https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/coe-fra-2021-effective-remedies-european-borders_fr.pdf'>https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/coe‑fra‑2021‑effective‑remedies‑european‑borders_fr.pdf.</a>. Axée sur les recours effectifs en cas de violations des droits de l’homme aux frontières extérieures de l’Union européenne, la note souligne la nécessité pour les États membres de mener des enquêtes indépendantes pour établir les faits de manière adéquate, approfondie et objective. Les victimes devraient avoir accès aux enquêtes et les autorités chargées des enquêtes doivent coopérer avec les autorités compétentes des autres États concernés, notamment dans les affaires transfrontalières.
32. Dans un rapport sur sa mission d’enquête en Bosnie‑Herzégovine publié récemment 
			(30) 
			<a href='https://rm.coe.int/0900001680a2fd05'>Rapport
de la mission d’information de l’Ambassadeur Drahoslav Štefánek,
Représentant spécial de la Secrétaire Générale sur les migrations
et les réfugiés, conduite en Bosnie‑Herzégovine, 24‑30 janvier 2021,
SG/Inf(2021)19.</a>, la Représentante spéciale a mis en évidence les défaillances structurelles concernant l’accès à l’asile et souligné la nécessité de disposer d’un cadre juridique pertinent, précis et clair pour tous les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. La Représentante spéciale a également attiré l’attention des autorités sur l’importance de respecter les droits fondamentaux des réfugiés et des migrants dans la mise en œuvre de la législation.

2.3. L’Union européenne

2.3.1. La législation de l’Union européenne

33. Le droit primaire et secondaire de l’Union européenne offre également une protection contre les politiques et pratiques de refoulement. L’article 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que la politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire doit «assurer le respect du principe de non‑refoulement». Cette garantie est également fournie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans ses articles 18 et 19, qui reconnaissent le droit d’asile et l’interdiction absolue des expulsions collectives. La directive Qualification 
			(31) 
			Directive Qualification
(<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32011L0095&from=FR'>2011/95/UE</a>). intègre dans le droit de l’Union les normes de la Convention de 1951 sur les réfugiés relatives aux conditions requises pour l’octroi d’une protection internationale aux réfugiés et aux personnes qui en ont besoin, interdisant ainsi aux États membres d’expulser les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile vers un État où ils courent un risque réel de persécution.
34. En outre, la directive 2008/115 relative au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier définit les procédures standard applicables à leur retour, «conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme». Les États membres de l’Union sont également tenus de procéder à un enregistrement et à un examen individuel de toutes les demandes d’asile en vertu de la directive sur les procédures d’asile 
			(32) 
			Directive <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32013L0032&from=EN'>2013/32/EU</a> du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de
la protection internationale (OJ, L 180, 29.6.2013, pp. 60‑95).. En cas d’afflux massif d’arrivées de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés, l’article 6 de la directive sur les procédures d’asile autorise la prolongation des délais d’enregistrement et d’examen des demandes d’asile. Pour autant, les autorités ne peuvent priver des personnes de leur droit de demander l’asile.
35. Le Code frontières Schengen, qui établit les règles applicables au contrôle des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, souligne également, dans ses articles 3 et 4, la nécessité de respecter le principe de non‑refoulement et les droits fondamentaux des réfugiés et des personnes sollicitant une protection internationale 
			(33) 
			Règlement
(UE) <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R0399&from=EN'>2016/399</a> du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant
un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières
par les personnes (Code frontières Schengen).. En vertu de l’article 14, paragraphe 3, du même règlement, les personnes ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée ont le droit de former un recours contre cette décision.
36. En septembre 2020, la Commission européenne a présenté une proposition de nouveau pacte sur la migration et l’asile 
			(34) 
			COM/2020/609.. Le nouveau pacte comprend de nouveaux instruments relatifs au contrôle des flux migratoires, tels qu’une proposition de filtrage préalable à l’entrée applicable aux ressortissants de pays tiers qui franchissent la frontière extérieure de l’Union européenne, et qui introduit des règles communes en matière de contrôle d’identité, de relevé d’empreintes digitales et d’enregistrement des migrants 
			(35) 
			COM/2020/612 final.. Bien que cette proposition vise à fournir de nouvelles garanties juridiques en vue de permettre un examen approfondi de chaque situation, la proposition de Pacte soulève des préoccupations importantes. En effet, le rapport de l’Assemblée sur le nouveau Pacte souligne le fait que la procédure accélérée impliquée par la proposition de filtrage pourrait accroître le risque de violation du principe de non‑refoulement 
			(36) 
			Rapport
de l’Assemblée intitulé «Pacte de l’Union européenne sur les migrations
et l’asile du point de vue des droits humains», rapporteur Oleksii
Goncharenko (Ukraine, CE/AD), Doc.
15438.. Le nouveau Pacte soulève également des inquiétudes en termes d’accès à l’asile, de rétention et d’expulsion.
37. Dans le contexte de l’instrumentalisation de l’immigration illégale par le régime du Bélarus, 12 États membres de l’Union européenne ont récemment adressé une demande à la Commission européenne, exprimant leur souhait de construire des clôtures aux frontières extérieures de l’Europe, financées par le budget de l’Union européenne 
			(37) 
			<a href='https://www.euractiv.fr/section/migrations/news/protection-des-frontieres-douze-etats-membres-appellent-au-financement-de-%E2%80%89barrieres-physiques%E2%80%89/'>www.euractiv.fr/section/migrations/news/protection‑des‑frontieres‑douze‑etats‑membres‑appellent‑au‑financement‑de‑%E2%80%89barrieres‑physiques%E2%80%89/</a>.. Cette proposition regrettable, qui entraînerait de graves violations des normes des droits de l’homme européennes et internationales, a été rejetée par la Commission.
38. Le 24 janvier 2022, l’Assemblée a adopté la Résolution 2416 (2022) “Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile du point de vue des droits humains”, dans laquelle elle demandait instamment que des améliorations soient apportées au nouveau Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile proposé. L’Assemblée a salué l’engagement de l’Union européenne d’intégrer pleinement les normes européennes relatives aux droits humains dans toutes ses politiques relatives à la migration et à l’asile, mais a considéré que les propositions incluses dans le pacte étaient «très complexes» et que la perspective que les procédures d’asile accélérées proposées réduisent la qualité et l’équité des procédures soulevait des inquiétudes. Elle a recommandé aux États membres de l’Union européenne de convenir d’un système de relocalisation obligatoire comme mesure de solidarité avec les pays frontaliers de l’Union européenne, en donnant la priorité aux cas de regroupement familial et aux enfants migrants non accompagnés. Elle a également invité l’Union européenne à modifier le Règlement introduisant une procédure de filtrage prévu dans le pacte pour qu’il prévoie une voie de recours suspensive effective contre toute catégorisation de filtrage incorrecte, et à mieux répondre aux besoins des personnes vulnérables, des victimes de la traite des êtres humains ainsi que des femmes victimes de la violence fondée sur le genre. La Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, qui participait au débat à distance, a souligné que les propositions visaient à améliorer l’organisation et la gestion des arrivées. Elle a tenu à rappeler que toutes les personnes qui cherchaient à entrer dans l’Union européenne n’avaient pas le droit de rester, mais que toutes devaient bénéficier d’une évaluation équitable, d’une décision claire dans un délai raisonnable, et être traitées avec respect et dignité. Elle a salué le rapport de l’Assemblée et s’est engagée à en tenir compte.

2.3.2. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

39. Dans l’arrêt Commission européenne c. Hongrie, la CJUE a jugé que la Hongrie avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire pour n’avoir pas été à même de fournir un accès effectif aux procédures d’octroi de protection internationale et pour avoir refoulé illégalement des ressortissants de pays tiers vers la Serbie 
			(38) 
			Arrêt
de la CJUE (grande chambre), 17 décembre 2020, Commission européenne c. Hongrie,
C‑808/18.. Les demandes de protection internationale ne pouvaient être introduites qu’à partir de l’une des deux zones de transit situées à la frontière serbo-hongroise, ce qui limitait considérablement les possibilités de demander l’asile 
			(39) 
			<a href='https://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_3362760/fr/'>https://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_3362760/fr/.</a>. En outre, la Cour a souligné que le caractère systématique de la rétention pratiquée dans les zones de transit hongroises était contraire aux droits fondamentaux garantis par la législation européenne. Suite à cet arrêt, l’Agence européenne Frontex a suspendu toutes ses opérations en Hongrie.
40. Cependant, en février 2021, 4 903 personnes auraient été refoulées en Serbie depuis l’arrêt de la Cour, selon le Comité Helsinki hongrois et d’autres groupes de défense des droits de l’homme 
			(40) 
			<a href='https://www.infomigrants.net/en/post/29944/hungary-4903-pushbacks-after-eu-court-declared-them-illegal'>www.infomigrants.net/en/post/29944/hungary‑4903‑pushbacks‑after‑eu‑court‑declared‑them‑illegal</a> 
			(40) 
			(anglais uniquement)..

2.3.3. L’Agence européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes (Frontex)

41. Créée pour fournir aux États membres de l’Union européenne et aux pays tiers une aide opérationnelle et technique dans les missions de recherche et de sauvetage en mer, Frontex a le devoir d’agir conformément au droit communautaire et de mener des actions visant à sauver des vies 
			(41) 
			Règlement (UE) <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R1624&from=EN'>2016/1624</a>; Règlement (UE) <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R1896&from=EN'>2019/1896</a>.. Cependant, l’Agence européenne a été fortement critiquée pour son inaction dans des zones où des refoulements illégaux et violents avaient été signalés par plusieurs groupes non gouvernementaux internationaux et européens, notamment en Bulgarie, en Croatie, à Chypre, en Grèce et à Malte 
			(42) 
			<a href='https://www.hrw.org/fr/news/2021/06/23/frontex-manque-son-devoir-de-proteger-les-migrants-aux-frontieres-de-lue'>www.hrw.org/fr/news/2021/06/23/frontex‑manque‑son‑devoir‑de‑proteger‑les‑migrants‑aux‑frontieres‑de‑lue</a>..
42. Frontex a introduit un mécanisme de traitement des plaintes individuelles en 2016, permettant à toute personne dont les droits ont été violés lors d’une opération Frontex de déposer une plainte auprès de l’officier aux droits fondamentaux de l’Agence. Compte tenu des violations présumées des droits fondamentaux par Frontex, la Médiatrice de l’Union européenne a évalué ce mécanisme entre 2016 et 2021. Dans son rapport publié en juin 2021, elle a souligné qu’il manquait de transparence, même si depuis des progrès ont été réalisés en la matière 
			(43) 
			<a href='https://www.ombudsman.europa.eu/fr/decision/fr/143108'>www.ombudsman.europa.eu/fr/decision/fr/143108</a>..
43. Le groupe de travail de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen sur le contrôle de Frontex (Frontex Scrutiny Working Group), constitué au début de l’année 2021, a publié un rapport résumant une enquête de quatre mois sur des violations présumées des droits fondamentaux dans lesquelles l’Agence était impliquée ou desquelles elle n’a pas fait état 
			(44) 
			Commission
des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE),
Rapport d’enquête sur Frontex concernant des violations présumées
des droits fondamentaux, 14 juillet 2021.. À la suite de ce rapport, en septembre 2021, la Commission du contrôle budgétaire a demandé le gel d’une partie du budget de Frontex en raison de problèmes non résolus dans la conduite de ses opérations sur la criminalité transfrontalière et l’immigration illégale 
			(45) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20210923IPR13401/frontex-une-commission-du-pe-demande-le-gel-d-une-partie-du-budget'>www.europarl.europa.eu/news/fr/press‑room/20210923IPR13401/frontex‑une‑commission‑du‑pe‑demande‑le‑gel‑d‑une‑partie‑du‑budget.</a>.
44. Le 28 février 2022, lors d’une réunion des commissions du contrôle budgétaire et des libertés civiles, et de la justice et des affaires intérieures, le Directeur général de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), Ville Itälä, a présenté le rapport de l’OLAF sur Frontex et les allégations de refoulement de migrants conduits par l’Agence ayant entraîné des violations des droits de l’homme aux frontières extérieures de l’Union européenne. Selon le résumé, le rapport, auquel les députés européens n’ont pas eu accès, a révélé que la direction de Frontex était au courant de ces violations et avait délibérément omis de les signaler. La direction de Frontex a nié tout comportement répréhensible et préféré mettre en avant de supposées ambiguïtés dans la réglementation européenne. En tant que membre du conseil d’administration de Frontex, la Commission européenne a été invitée à se prononcer sur les mesures à prendre à l’encontre du Directeur exécutif de l’agence. Suite à cela, M. Leggeri, le Directeur de Frontex, a démissionné le 29 avril 2022 
			(46) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/en/international/article/2022/04/29/frontex-boss-leggeri-resigns-from-eu-border-control-agency_5981965_4.html'>www.lemonde.fr/en/international/article/2022/04/29/frontex-boss-leggeri-resigns-from-eu-border-control-agency_5981965_4.html.</a>.
45. En juin 2021, Jonas Grimheden a pris ses fonctions en tant que Responsable des droits fondamentaux pour Frontex, et ses travaux, ainsi que ceux de ses collaborateurs (dont beaucoup doivent encore être nommés) joueront un rôle important dans la surveillance étroite et continue des actions frontalières de Frontex. À sa réunion des 28 et 29 avril 2022, le conseil d’administration de l’Agence a clairement dit qu’un contrôle efficace des frontières et la protection des droits fondamentaux étaient parfaitement compatibles 
			(47) 
			<a href='https://frontex.europa.eu/media-centre/management-board-updates/management-board-conclusions-from-the-extraordinary-mb-meeting-of-28-29-april-2022-nr08YV'>https://frontex.europa.eu/media-centre/management-board-updates/management-board-conclusions-from-the-extraordinary-mb-meeting-of-28-29-april-2022-nr08YV.</a>. Le Responsable des droits fondamentaux de Frontex et son équipe y veilleraient désormais.
46. Le 20 avril 2022, je me suis rendu au siège de Frontex à Varsovie, en Pologne, à la suite d’allégations faisant état de refoulements illégaux opérés par l’Agence. Sur place, j’ai rencontré Jonas Grimheden et des contrôleurs des droits fondamentaux de son équipe, à savoir Delphine Buffat, Katarzyna Wencel et Luana Scarcella. J’ai également rencontré Lars Gerdes, directeur exécutif adjoint de Frontex chargé des retours et des opérations, Ana Cristina Jorge, directrice de la Operational Response Division, Dirk Vande Ryse, directeur de la Situational Awareness and Monitoring Division, Anna Polak, cheffe de l’unité des affaires exécutives, et Eleonora Maffezzoli, chargée de mission principale à l’unité des affaires exécutives. Il est regrettable que les représentants de Frontex aient estimé qu’il y avait eu des allégations, mais pas de preuves (des enquêtes étaient en cours au moment de ma visite).
47. J’ai eu la forte impression que Frontex était certainement au courant de ces cas de refoulement et j’ai invité l’Agence à mener des enquêtes sérieuses et à prendre des mesures pour éviter les refoulements illégaux à l’avenir. Les institutions de l’Union européenne devraient, en effet, être les garantes de la protection internationale des droits de l’homme en matière de droit d’asile. Frontex devrait être invitée à renforcer sa capacité à traiter les allégations de refoulement et à permettre une enquête approfondie afin de traduire les responsables en justice. Le travail du Responsable des droits fondamentaux au sein de Frontex devrait donc être soutenu et sa capacité de contrôle renforcée.

2.3.4. Nouvelles initiatives

48. Je n’ignore pas les nouvelles initiatives visant à protéger les frontières de l’Europe dans le plein respect des droits fondamentaux et de la dignité de ceux qui tentent de les franchir, comme le lancement, le 4 mai 2022, de l’étude de faisabilité en vue d’établir un mécanisme solide et indépendant de surveillance des droits de l’homme aux frontières extérieures de l’Union européenne, proposé par un groupe d’auteurs (Markus Jaeger, Apostolis Fotiadis, Elspeth Guild et Lora Vidović) avec le soutien de Tineke Strik (députée européenne, Groupe des Verts/ALE, Pays-Bas), auteure en 2019 du rapport de l’Assemblée intitulé «Politiques et pratiques en matière de renvoi dans les États membres du Conseil de l’Europe». Ces nouvelles initiatives méritent d’être saluées.

3. Le rôle de la société civile

49. La société civile est fortement impliquée dans la défense et la promotion des valeurs démocratiques et du pluralisme. Afin de soutenir ce rôle, le Conseil de l’Europe dispose d’un organe représentatif des OING, la Conférence des organisations internationales non gouvernementales.
50. De nombreuses organisations non gouvernementales, telles que le Réseau de surveillance de la violence aux frontières (Border Violence Monitoring Network), Amnesty International, Human Rights Watch et le Conseil danois pour les réfugiés, assument des fonctions de surveillance, de documentation et de signalement des violences frontalières. Beaucoup sont également actives dans le domaine de la défense publique et privée, et d’autres participent à des opérations de recherche et de sauvetage et fournissent une aide humanitaire et juridique.
51. Entre décembre 2019 et fin décembre 2021, selon les chiffres publiés par le Conseil danois pour les réfugiés, 23 614 refoulements ont été enregistrés 
			(48) 
			<a href='https://drc.ngo/it-matters/feature-stories/2022/1/pushbacks-feature/'>DRC,
«Pushbacks Feature».</a> et le nombre de refoulements accompagnés de faits de violence, de torture, de confiscation et de destruction d’effets personnels a augmenté. Le Centre d’études pour la paix de Croatie a également dénoncé les agissements illégaux de la police aux frontières; il a déposé cinq plaintes au pénal auprès du bureau compétent du Procureur de l’État contre des fonctionnaires de police non identifiés qui avaient torturé, humilié et renvoyé des réfugiés du territoire croate vers la Bosnie-Herzégovine. Les plaintes pénales portaient sur les renvois de 33 réfugiés, dont certains avaient été marqués à la tête avec un spray orange en juin 2020, le cas de 16 réfugiés torturés et humiliés en juillet 2020, la torture, le viol et le renvoi de victimes après qu’elles avaient été libérées sur décision judiciaire en décembre 2020, le renvoi avec violence, sur la voie ferrée, de réfugiés contraints de se déshabiller et qui avaient été battus et humiliés, ainsi que le cas d’une famille afghane de six personnes – dont une femme enceinte – qui s’était vu refuser le droit de demander une protection internationale et qui avait été contrainte de monter dans un fourgon et reconduite à la frontière, où elle avait reçu l’ordre de quitter le territoire croate en août 2021.
52. Dans le but de décourager de nouveaux afflux de migrants, un nombre étonnant d’ONG en Grèce, en Italie, à Malte et en Croatie sont criminalisées par les autorités nationales, qui invoquent souvent la législation contre la contrebande et accusent les ONG de faciliter l’immigration irrégulière. Dans de nombreux cas, l’indépendance, la neutralité et l’impartialité de ces organisations ont été mises en doute 
			(49) 
			Voir
par. 5 et 108, 
			(49) 
			<a href='https://rm.coe.int/expertcouncilconfexp20204opinionngoregistrationgreece/16809ee91d'>https://rm.coe.int/expert‑council‑conf‑exp‑2020‑4‑opinion‑ngo‑registration‑greece/16809ee91d</a> (anglais uniquement). Au mépris de l’impératif humanitaire, les personnes et les organisations de la société civile qui soutiennent les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées sont, dans de nombreux cas (par exemple, en Grèce, en Croatie, en Italie et à Malte), lourdement criminalisées. Le raisonnement qui sous‑tend cette attitude est que plus les services fournis sont médiocres, moins les personnes chercheront à obtenir une protection internationale et/ou à résider dans les pays de l’Union européenne.
53. Le 20 février 2022, dans le cadre de ma mission en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, j’ai rencontré les représentantes du Réseau de surveillance de la violence aux frontières: Milena Zajović, responsable du plaidoyer du Réseau et présidente de Are You Syrious, Sara Kekuš, responsable de projet, Centre for Peace Studies, et Alexandra Bogos, coordinatrice du plaidoyer et du droit, Réseau de surveillance de la violence aux frontières, dont les contributions à mon rapport ont été utiles et pertinentes.

4. Mesures d’encouragement au niveau national et jurisprudence nationale

54. Bien que l’on puisse constater une augmentation alarmante du phénomène des pratiques de refoulement dans les pays européens, mais aussi à l’échelle mondiale, plusieurs États membres de l’Union européenne ont récemment statué en faveur des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile qui avaient été repoussés aux frontières extérieures de l’Union européenne. Ainsi, un tribunal régional autrichien a statué en juillet 2021 que la pratique consistant à repousser les demandeurs d’asile vers la Slovénie constituait une violation du principe de la dignité humaine 
			(50) 
			<a href='https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/austrian-regional-court-rules-that-push-backs-on-slovenian-border-are-unlawful/'>www.euractiv.com/section/politics/short_news/austrian‑regional‑court‑rules‑that‑push‑backs‑on‑slovenian‑border‑are‑unlawful/</a> (anglais uniquement).. Un verdict similaire a été rendu par le tribunal administratif de Ljubljana en juillet 2020 estimant que le refoulement d’un demandeur d’asile camerounais vers la Croatie et le déni de son droit de demander l’asile étaient contraires à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 
			(51) 
			<a href='https://balkaninsight.com/2021/08/19/courts-chip-away-at-migrant-pushback-practices-in-eu/'>https://balkaninsight.com/2021/08/19/courts‑chip‑away‑at‑migrant‑pushback‑practices‑in‑eu/</a> (anglais uniquement)..
55. Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants fait état dans son dernier rapport de nombreuses mesures prometteuses visant à prévenir et à condamner les pratiques de refoulement. Il a noté que de nombreux États ont codifié le principe de non‑refoulement dans leur législation nationale. De nombreux pays, comme l’Autriche et la Finlande, ont également inscrit ce principe fondamental dans leur Constitution 
			(52) 
			A/HRC/47/30..
56. Plus concrètement, un accès sécurisé aux postes de contrôle frontaliers a été mis en place dans certains États comme la Suisse, où les autorités de la police des frontières sont tenues de garantir l’accès à la procédure d’asile à toute personne demandant une protection internationale. Cependant, la loi n’est pas le seul aspect‑clé en la matière, la diffusion des bonnes pratiques et la formation de la police et des autorités migratoires le sont également, car elles jouent un rôle essentiel dans la prévention des actions de refoulement.

5. Pratiques de renvoi au sein des États membres du Conseil de l’Europe

57. Des renvois illégaux, y compris des refoulements en chaîne vers des pays tels que le Bélarus et la Libye, ont été signalés dans un nombre inquiétant d’États membres du Conseil de l’Europe. Une brève présentation des cas les plus frappants, à savoir ceux de la Croatie, de la Grèce, du Bélarus et de la Libye, est proposée ci‑dessous pour tenter de mettre en lumière la situation actuelle.
58. Les migrants, les réfugiés, les personnes déplacées et les demandeurs d’asile sont souvent victimes non seulement de crises humanitaires, mais aussi de manœuvres politiques mettant en danger leur vie et leur liberté. Ils ont été utilisés comme moyen de pression politique, notamment dans le cadre des relations entre la Türkiye, la Grèce et l’Union européenne et, plus récemment, entre le Bélarus et ses voisins (Lituanie, Pologne et Lettonie) et l’Union européenne.
59. La majorité des pays du Conseil de l’Europe qui se livrent à ces pratiques sont également des membres de l’Union européenne, voisins d’États non-membres chargés d’agir en tant que gardiens des frontières extérieures de l’Union (par exemple, la Grèce, la Croatie, la Lituanie, la Pologne, la Lettonie, l’Italie et l’Espagne). Dans ce cadre, l’Union européenne elle‑même ou ses États membres, avec le soutien de l’Union, signent des accords avec les pays voisins (tels que ceux conclus avec la Türkiye et la Libye) visant à empêcher les flux de migrants d’atteindre le sol de l’Union européenne en échange d’argent, d’aide ou d’autres types de faveurs politiques. Une partie des refoulements relèvent de cette approche.

5.1. Pratiques de renvoi de la Croatie vers la Bosnie-Herzégovine et la Serbie

60. De nombreux rapports et de nombreuses images 
			(53) 
			Spiegel International, <a href='https://www.spiegel.de/international/europe/greece-and-croatia-the-shadow-army-that-beats-up-refugees-at-the-eu-border-a-a4409e54-2986-4f9d-934f-02efcebd89a7'>Europe’s
Violent Shadow Army Unmasked.</a> témoignent de refoulements illégaux, d’expulsions collectives et de traitements inhumains et dégradants de migrants aux frontières entre la Croatie et la Bosnie‑Herzégovine 
			(54) 
			<a href='https://drc.ngo/our-work/where-we-work/europe/bosnia-and-herzegovina/'>Danish
Refugee Council, «Bosnia and Herzegovina».</a>, la Croatie et la Serbie et la Croatie et la Slovénie. L’ONG Danish Refugee Council, présente dans la région, a recensé près de 7 000 cas de renvois illégaux de la Croatie vers la Bosnie‑Herzégovine en 2019 et 16 000 nouveaux cas en 2020 
			(55) 
			Danish Refugee Council, <a href='https://drc.ngo/our-work/where-we-work/europe/bosnia-and-herzegovina/'>«Border
Protection Monitoring».</a>. Les migrants refoulés illégalement en Bosnie‑Herzégovine l’avaient souvent été «en chaîne», d’abord depuis l’Italie ou l’Autriche puis vers la Slovénie et la Croatie puis vers d’autres pays non‑membres de l’Union européenne, où on leur a refusé le droit de déposer des demandes de protection internationale.
61. Lors de leur tentative pour entrer en Croatie, passer de la Croatie à la Slovénie ou avant d’être renvoyées en Bosnie‑Herzégovine ou en Serbie, des personnes ont indiqué avoir été victimes de violences, y compris de violences physiques et sexuelles, commises par la police croate. Le CPT a également enquêté sur plusieurs cas documentés de mauvais traitements et d’actes de torture lors de sa visite de réaction rapide dans le pays pendant l’été 2020, et a préparé un rapport 
			(56) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-publishes-report-on-its-2020-ad-hoc-visit-to-croatia'>www.coe.int/en/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-publishes-report-on-its-2020-ad-hoc-visit-to-croatia.</a>. Parmi les autres formes de violence subies par les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile aux frontières de la Croatie, des coups de feu auraient été tirés en novembre 2019 
			(57) 
			Reuters, <a href='https://www.reuters.com/article/europe-migrants-croatia-idINKBN1XR0IE'>«Croatian
police fire on illegal migrants near Slovenian border» (anglais
uniquement).</a>. En outre, à partir de 2017, l’action humanitaire et de défense des droits de l’homme a été fortement criminalisée dans le pays, les personnels des ONG étant accusés de faciliter l’immigration illégale et le trafic de migrants. La Médiatrice de Croatie a également signalé, dans son rapport national sur la situation des droits de l’homme des migrants aux frontières publié en juillet 2021 
			(58) 
			<a href='https://ennhri.org/news-and-blog/croatian-nhri-presents-the-state-of-human-rights-of-migrants-at-borders-in-its-new-report/'>https://ennhri.org/news‑and‑blog/croatian‑nhri‑presents‑the‑state‑of‑human‑rights‑of‑migrants‑at‑borders‑in‑its‑new‑report/</a> (anglais uniquement)., que les ONG se voyaient parfois refuser l’accès aux informations sur les migrations.
62. À la suite de la publication par plusieurs médias européens de séquences montrant des refoulements illégaux en Croatie et en Grèce au début du mois d’octobre 2021 
			(59) 
			Spiegel
International, <a href='https://www.spiegel.de/international/europe/greece-and-croatia-the-shadow-army-that-beats-up-refugees-at-the-eu-border-a-a4409e54-2986-4f9d-934f-02efcebd89a7'>«Europe’s
Violent Shadow Army Unmasked».</a>, la Commissaire européenne chargée des affaires intérieures, Ylva Johansson, a demandé une enquête approfondie dans les deux pays, en soulignant que, même s’ils avaient effectivement l’obligation de protéger les frontières extérieures de l’Union européenne, ils devaient également veiller au respect de l’État de droit et des droits fondamentaux 
			(60) 
			Reuters, <a href='https://www.reuters.com/world/europe/eu-executive-urges-probe-after-report-migrant-pushbacks-greece-croatia-2021-10-07/'>«EU
executive demands probe into alleged migrant pushbacks in Greece,
Croatia</a>» (anglais uniquement). Le 8 octobre 2021, les autorités croates ont reconnu que des policiers avaient participé à un refoulement de migrants à la frontière avec la Bosnie‑Herzégovine 
			(61) 
			Reuters, <a href='https://www.reuters.com/world/europe/croatia-confirms-violent-migrant-pushback-border-with-bosnia-2021-10-08/'>www.reuters.com/world/europe/croatia-confirms-violent-migrant-pushback-border-with-bosnia-2021-10-08/ (anglais
uniquement).</a>. La conduite d’une enquête interne est certes bienvenue, mais les déclarations des autorités croates soulèvent également de sérieuses préoccupations quant à la responsabilité réelle des refoulements et en particulier quant au rôle des États impliqués et à celui de l’Union européenne et de Frontex. En outre, les ONG actives dans la région émettent des doutes sur l’indépendance et l’efficacité réelles de l’enquête interne proposée 
			(62) 
			Danish Refugee Council, <a href='https://drc.ngo/about-us/for-the-media/press-releases/2021/8/croatia-eu-border-monitoring-system-effective-mechanism-needed-independent-broad-mandate-adequate-resources/'>«Croatia/EU
Border Monitoring System: Effective Mechanism Needed – Independent, Broad
Mandate, Adequate Resources».</a>.
63. Du 20 au 23 février 2022, je me suis rendu en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, en compagnie de Stephanie Krisper (Autriche, ADLE), rapporteure chargée du rapport intitulé «Pays tiers sûrs pour les demandeurs d’asile» 
			(63) 
			Voir
le programme de la visite, <a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/MIG/Pdf/Press/2022/AS-MIG-Inf-2022-07-ProgramVisit-FR.pdf'>AS/Mig/Inf(2022)07</a>.. Cette visite m’a permis de rencontrer directement des représentants des autorités et de la société civile de ces pays. La question du refoulement a été évoquée à l’occasion de rencontres avec des agents de la police aux frontières des deux pays, dont l’attention a été attirée sur l’importance de prévenir les refoulements et de respecter les normes internationales en la matière.

5.2. Renvois vers la Türkiye

64. Après la mort de 33 soldats turcs au moins lors d’une frappe aérienne menée par les forces gouvernementales syriennes dans la province syrienne d’Idlib 
			(64) 
			Balkan
Insight, <a href='https://balkaninsight.com/2020/02/28/turkey-opens-its-borders-for-migrants-amidst-the-crisis-over-idlib/'>«Turkey
Threatens to Release Refugee Wave After Idlib Carnage</a>» (anglais uniquement)., la Türkiye a annoncé le 27 février 2020 qu’elle ouvrirait unilatéralement ses frontières maritimes et terrestres avec la Grèce aux migrants, aux réfugiés et aux demandeurs d’asile en transit vers d’autres pays européens – malgré un accord conclu en mars 2016 par l’Union européenne et la Türkiye. En réaction, la Grèce a demandé à sa police, à son armée et à ses forces spéciales d’utiliser des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour empêcher les migrants et les réfugiés d’entrer sur son territoire 
			(65) 
			Human
Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2020/06/05/greece-restarts-suspended-asylum-procedure'>«Greece
Restarts Suspended Asylum Procedure».</a>. À la suite de cet incident, la Grèce, en violation de ses obligations internationales 
			(66) 
			Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne et Conseil de l’Europe, <a href='https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-coe-2020-european-law-land-borders_fr.pdf'>«Droits
fondamentaux des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants
aux frontières européennes»</a>: voir page 6, il est clairement mentionné que les autorités
ne peuvent refuser le droit de demander l’asile., a suspendu toutes les procédures d’asile pendant un mois, en mars 2020 
			(67) 
			Human Rights
Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2020/06/05/greece-restarts-suspended-asylum-procedure'>«Greece
Restarts Suspended Asylum Procedure».</a>.
65. Le 3 mars 2020, Ursula Gertrud von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, s’est rendue dans la région frontalière de Kastanies au bord de l’Evros en Grèce, d’où elle a exprimé, lors d’une conférence de presse conjointe 
			(68) 
			Commission européenne, <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_20_380'>Remarques
de la présidente von der Leyen lors de la conférence de presse conjointe
avec Kyriakos Mitsotakis, Premier ministre de la Grèce, Andrej Plenković,
Premier ministre de la Croatie, le Président Sassoli et le Président
Michel</a> (anglais uniquement)., la solidarité de l’Union européenne avec le pays. Elle s’est également engagée à fournir à la Grèce une aide financière, des ressources humaines, ainsi qu’une expertise technique, pour faire face à l’urgence à ses frontières. En conséquence, Frontex a lancé deux opérations d’intervention rapide pour «coordonner un nouveau programme de retour en vue du retour rapide dans leur pays d’origine des personnes qui n’ont pas le droit de séjourner en Grèce» 
			(69) 
			Commission européenne, <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_384'>réunion
extraordinaire du Conseil «Justice et affaires intérieures»: la
Commission présente un plan d’action en vue de l’adoption de mesures
immédiates pour soutenir la Grèce</a>. . Au cours de la même conférence de presse, le Président de la Commission européenne a remercié la Grèce de servir de bouclier à l’Union européenne.
66. Cependant, il est important que tous les pays se souviennent de leurs droits et obligations, énoncés dans divers traités, conventions et accords internationaux et soulignés également dans le rapport conjoint de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe publié en mars 2020, où il est indiqué que «les États membres du Conseil de l’Europe (CdE) et de l’Union européenne (UE) jouissent du droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée des étrangers sur leur territoire. Dans l’exercice du contrôle de leurs frontières, les États ont le devoir de protéger les droits fondamentaux de toutes les personnes qui se trouvent sous leur juridiction, indépendamment de leur nationalité et/ou de leur situation juridique. Cela englobe la fourniture d’un accès aux procédures d’asile, conformément au droit de l’UE» 
			(70) 
			Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne et Conseil de l’Europe, <a href='https://rm.coe.int/droits-fondamentaux-des-refugies-des-demandeurs-d-asile-et-des-migrant/16809e3990'>«Droits
fondamentaux des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants
aux frontières européennes»</a>.. Comme dans le cas de la Croatie, la Grèce a utilisé la législation contre la contrebande à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des personnes participant à des opérations de recherche et de sauvetage 
			(71) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/ior40/3669/2021/en/'>«Europe:
pratiques de refoulement et leur impact sur les droits de l’homme
des migrants et des réfugiés.</a><a href='https://www.amnesty.org/en/documents/ior40/3669/2021/en/'> Présentation
d’Amnesty International au Rapporteur spécial sur les droits de
l’homme des migrants», février 2021</a> (anglais uniquement)., ce qui rend l’accès à l’asile plus difficile pour les personnes en déplacement.
67. Les procédures d’asile ont été suspendues pour la deuxième fois au printemps de la même année, la raison invoquée étant la covid‑19 
			(72) 
			Human
Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/news/2020/06/05/greece-restarts-suspended-asylum-procedure'>«Greece
Restarts Suspended Asylum Procedure».</a>. L’extension de 26 km d’une clôture de 10 km datant de 2012 dans la région de l’Evros a été achevée à l’été 2021 dans le but de dissuader les migrants d’entrer dans le pays et de demander une protection internationale pour cause de risque mortel. Des garde‑frontières supplémentaires ainsi qu’un système de sécurité frontalier de haute technologie ont également été mis en place 
			(73) 
			Deutsche Welle, <a href='https://www.dw.com/en/greece-to-introduce-high-tech-border-security-system/av-58703391'>«La
Grèce va introduire un système de sécurité frontalier de haute technologie»</a>. .
68. Suite à sa visite ad hoc en Grèce en mars 2020, le CPT du Conseil de l’Europe a publié en novembre de la même année un rapport appelant les autorités grecques à mettre fin aux refoulements 
			(74) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-s-anti-torture-committee-calls-on-greece-to-reform-its-immigration-detention-system-and-stop-pushbacks'>«Le
Comité anti‑torture du Conseil de l’Europe exhorte la Grèce à réformer
son système de détention des migrants et à mettre fin aux refoulements»</a>.. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a adressé, le 3 mai 2021, une lettre au ministre de la Protection des citoyens, au ministre des Migrations et de l’asile et au ministre de la Marine et de la politique insulaire de la Grèce concernant des allégations de refoulement et les conditions de vie des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile dans le pays. Les autorités grecques ont répondu le 11 mai 2021 qu’elles s’en tenaient à leurs obligations en matière de protection des frontières nationales et européennes telles que définies dans la législation nationale et européenne. Elles ont également affirmé enquêter, au moyen d’un cadre juridique strict et disciplinaire, sur les allégations de mauvais traitements aux frontières et notamment sur les allégations de refoulements illégaux, appliquer les sanctions prévues par la loi et prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les incidents indésirables.
69. En octobre 2021, la Grèce a annoncé qu’elle était sur le point de confier l’enquête sur les allégations de refoulement à l’Autorité nationale pour la transparence, à la suite de l’appel lancé par la Commissaire aux affaires intérieures au début du mois d’octobre de la même année, après la publication par une cellule d’enquête médiatique de preuves visuelles de garde‑côtes grecs refoulant des personnes en mer Égée 
			(75) 
			Spiegel International, <a href='https://www.spiegel.de/international/europe/greece-and-croatia-the-shadow-army-that-beats-up-refugees-at-the-eu-border-a-a4409e54-2986-4f9d-934f-02efcebd89a7'>«Europe’s
Violent Shadow Army Unmasked»</a>. . Le 29 mars 2022, l’Autorité nationale grecque pour la transparence a annoncé qu’une enquête approfondie sur les allégations selon lesquelles des garde-côtes grecs avaient participé à des refoulements illégaux de demandeurs d’asile n’avait révélé aucune preuve à l’appui de ces allégations 
			(76) 
			<a href='https://www.infomigrants.net/en/post/39535/greek-authority-finds-no-evidence-of-migrant-pushback-claims'>www.infomigrants.net/en/post/39535/greek-authority-finds-no-evidence-of-migrant-pushback-claims.</a>. Les organisations de la société civile ont condamné la position de l’Autorité et demandé que le rapport soit rendu public 
			(77) 
			<a href='https://eu.rescue.org/press-release/greeces-national-transparency-authority-should-publish-its-full-report-regarding'>https://eu.rescue.org/press-release/greeces-national-transparency-authority-should-publish-its-full-report-regarding.</a>.

5.3. Renvois vers le Bélarus

70. Dès le printemps 2021, une nouvelle crise migratoire et d’asile a éclaté aux frontières du Bélarus avec la Lituanie, la Pologne et la Lettonie à la suite, entre autres, des sanctions de l’Union européenne imposées au Bélarus, ainsi que des critiques portées par la Lituanie et d’autres pays de l’Union contre le Bélarus, qu'ils accusent d’avoir détourné le vol Ryanair FR4978 d’Athènes à Vilnius, le 23 mai 2021. Le Bélarus a riposté en ouvrant ses frontières avec ses voisins de l’Union européenne et en instrumentalisant les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés de divers pays, en particulier l’Irak, dans une sorte de «guerre hybride» contre l’Union européenne. Les autorités du Bélarus auraient même facilité les afflux migratoires, provoquant une crise sans précédent dans la région, les trois pays de l’Union européenne n’étant pas prêts à accueillir un nombre élevé de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile.
71. Cette situation a généré des réactions et des politiques xénophobes, qui se sont traduites dans les trois pays par l’adoption de lois et d’autres mesures visant à intercepter ces mouvements. Or ces lois et mesures soulèvent de vives préoccupations en termes de droits de l’homme concernant la rétention, les conditions de vie désastreuses et les renvois présumés de personnes privées du droit de déposer une demande de protection internationale. La Lituanie et la Lettonie ont déclaré qu’elles ne donneraient suite qu’aux demandes d’asile présentées aux postes‑frontières officiels. En Pologne, le 17 septembre 2021, le Sejm a voté une loi visant à restreindre l’accès au territoire et à l’asile pour les personnes entrant dans le pays en dehors des points de passage officiels.
72. Les trois pays ont instauré l’état d’urgence soit sur l’ensemble de leur territoire (Lituanie), soit dans des zones spécifiques limitrophes du Bélarus (Lettonie et Pologne) et ont commencé à construire des clôtures le long de leurs frontières pour contenir les flux de migrants. Le déploiement des forces rapides de Frontex ainsi qu’une assistance technique et une aide d’urgence destinées à renforcer les systèmes de surveillance des frontières des trois pays ont également été fournies par l’Union européenne en réponse aux mesures prises par les autorités du Bélarus. Même si l’instrumentalisation des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile est effectivement une carte jouée par le Président du Bélarus, Alexandre Loukachenko, pour déstabiliser l’Union européenne, ces personnes ne devraient pas avoir à payer le prix de ce jeu politique. Les États ont certes le droit de protéger leurs frontières, mais ils ont aussi l’obligation de traiter les demandes d’asile déposées à leurs frontières ou sur leur territoire.
73. L’Assemblée a fait part de ses préoccupations à ce sujet lors d’un débat d’urgence tenu le 30 septembre 2021 et a adopté la Résolution 2404 (2021) «L’intensification de la pression migratoire aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec le Bélarus» 
			(78) 
			Résolution 2404 (2021) et rapport de Mme Anne‑Mari
Virolainen: «L’intensification
de la pression migratoire aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie
et de la Pologne avec le Bélarus». , sur la base d’un rapport préparé par Anne‑Mari Virolainen (Finlande, PPE/DC) pour la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.

5.4. Renvois vers la Libye

74. En février 2017, l’Italie a conclu un accord avec la Libye, renouvelé en février 2020 pour une période de trois ans, pour arrêter le flux de migrants – bien que la Libye ne soit pas considérée comme un pays sûr. Dans ce contexte, l’Union européenne a fourni une aide financière d’environ 700 millions € à la Libye au cours des dernières années, dont une grande partie a été allouée aux activités liées à la migration, notamment le renforcement de la gestion des frontières 
			(79) 
			Service
européen pour l’action extérieure, <a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/19163/EU-Libya relations'>«UE‑Libya
relations</a>» (anglais uniquement); <a href='https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/north-africa/libya_en'>European
Commission, «EU Emergency Trust for Africa, Libya»</a> (anglais uniquement). .
75. Selon les informations communiquées par Amnesty International au Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, Felipe González Morales, l’Italie et les institutions de l’Union européenne ont fourni aux autorités maritimes libyennes au moins 16 vedettes rapides et formé 477 personnes, principalement dans le cadre de l’opération navale EUNAVFOR MED Sophia de l’Union européenne 
			(80) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/ior40/3669/2021/en/'>«Europe:pratiques
de refoulement et leur impact sur les droits de l’homme des migrants
et des réfugiés», op. cit.</a>. L’Italie a également déployé du personnel et des navires en Libye pour aider à la coordination des opérations maritimes et soutenu le gouvernement d’entente nationale dans la délimitation d’une zone libyenne de recherche et de sauvetage 
			(81) 
			Ibid.. Même les navires privés ont pour instruction de débarquer les personnes en Libye au lieu d’un port sûr. En 2021, le tout premier procès concernant le refoulement de migrants vers la Libye par un navire privé vers la Libye a eu lieu en Italie. Giuseppe Sotgiu, capitaine du navire Asso Ventotto, a ainsi été condamné à un an de prison 
			(82) 
			The Maritime Executive, <a href='https://www.maritime-executive.com/article/italian-captain-sentenced-to-prison-for-bringing-migrants-to-libya'>«Italian
Captain Sentenced to Prison for Bringing Migrants to Libya</a>» (anglais uniquement)..
76. Selon la même source, plus de 60 000 personnes auraient été interceptées en Méditerranée par les autorités libyennes et débarquées en Libye depuis 2016 
			(83) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/ior40/3669/2021/en/'>«Europe:
pratiques de refoulement et leur impact sur les droits de l’homme
des migrants et des réfugiés», op. cit.</a>. Suivant l’exemple de l’Italie, les autorités maltaises se seraient livrées à des pratiques de refoulement dans leurs eaux territoriales, refoulant les personnes soit vers l’Italie ou la Libye, soit en les abandonnant en haute mer 
			(84) 
			Ibid.. En outre, elles se sont abstenues d’effectuer des missions de recherche et de sauvetage après avoir été informées de l’existence de bateaux en détresse ou ont retardé ces missions pendant des jours 
			(85) 
			Ibid.. Le 10 avril 2020, un bateau en détresse en Méditerranée a été signalé aux autorités italiennes, maltaises et libyennes ainsi qu’à Frontex. Trois à quatre jours plus tard, des opérations de recherche et de sauvetage ont été lancées, et un navire battant pavillon libyen a réussi à secourir les 51 personnes à bord dans les eaux territoriales maltaises le 15 avril 2020. Le navire a débarqué les migrants à Tripoli, où l’on a constaté que cinq d’entre eux étaient décédés, tandis que sept autres étaient portés disparus; les survivants ont été placés en rétention dans le centre de Trik‑al‑Sikka 
			(86) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/05/EUR3329672020ENGLISH.pdf'>«Malte:
vagues d’impunité</a>» (anglais uniquement). . L’ensemble de l’opération aurait été coordonné par les autorités maltaises. Ces dernières auraient également eu recours à la rétention arbitraire en mer, tout en refusant le débarquement de bateaux transportant des migrants dans leurs ports 
			(87) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/ior40/3669/2021/en/'>«Europe:
pratiques de refoulement et leur impact sur les droits de l’homme
des migrants et des réfugiés», op. cit.</a>.
77. L’Italie et Malte ont toutes deux été critiquées pour avoir systématiquement entravé le travail de recherche et de sauvetage des ONG en les criminalisant, en leur refusant la mise à disposition d’un port sûr pour débarquer les migrants et en faisant appliquer des procédures administratives donnant lieu à la saisie de certains de leurs navires. L’Assemblée a mis en garde contre ces pratiques dans sa Résolution 2362 (2021) et sa Recommandation 2194 (2021) «Restrictions aux activités des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe».

6. Conclusions

78. Je voudrais rappeler nos précédentes discussions en commission sur cette question et souligner la nécessité pour les États de respecter les obligations internationales et de renforcer la solidarité interétatique. L’Assemblée devrait dénoncer l’approche dysfonctionnelle des renvois dans certains États membres. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient travailler ensemble, y compris les États d’Europe centrale et du Nord.
79. Le 24 novembre 2021, la commission a tenu un échange de vues avec Felipe González Morales, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants, en vue de progresser dans la préparation de ce rapport. J’ai également effectué une visite d’information en Croatie avant laquelle l’ancien Président de l’Assemblée, Rik Daems, m’avait demandé de me rendre en Pologne les 18 et 19 novembre pour évaluer la situation des migrants bloqués à la frontière avec le Bélarus en ma qualité de Président de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
80. Le 27 avril 2022, Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a présenté à la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, sa recommandation intitulée «Repoussés au-delà des limites. Il est urgent de mettre un terme aux refoulements aux frontières de l’Europe», dans laquelle elle s’intéresse au rôle des parlementaires dans la prévention des violations des droits de l’homme aux frontières, observant que, dans le cadre de leur mission plus large de garants des droits de l’homme, les parlementaires peuvent jouer un rôle essentiel dans la prévention des refoulements, à la fois en tant que législateurs et responsables du contrôle démocratique de l’action gouvernementale. Elle a défini quatre grands domaines d’action urgente: les États membres doivent mettre en œuvre, de bonne foi, leurs obligations en matière de droits de l’homme; la transparence et la responsabilité des activités de contrôle des frontières doivent être renforcées; la lutte contre les refoulements requiert l’action collective de tous les États membres; et les parlementaires ont un rôle clé en tant que législateurs pour garantir le respect des normes relatives aux droits de l’homme. Lors d’un échange de vues avec la commission, elle a invité les parlementaires à rejeter la vision d’une «forteresse européenne» dans laquelle personne ne peut entrer. Il faut changer cette approche pour permettre aux générations futures d’être fières plutôt que d’avoir honte d’une telle «forteresse européenne»
81. Plusieurs autres questions pertinentes ont été soulevées lors des échanges de vues, notamment sur la pratique des refoulements des «migrants illégaux» (certains pays ont établi des règles législatives en soulignant cette différence), et sur un projet de loi britannique qui permettrait au Royaume-Uni de délocaliser l’examen des demandes d’asile individuelles au Rwanda. Choquée par le projet de loi britannique, la Commissaire a immédiatement demandé qu’il soit modifié, soulignant qu’un «déplacement» de la responsabilité vers un lointain pays tiers risquait de porter gravement atteinte au système mondial de la protection internationale. Concernant «l’immigration illégale», il n’existe pas, selon elle, de «migrants illégaux» puisque les personnes qui traversent les frontières ne sauraient être poursuivies pénalement.
82. Pour conclure, je suis fermement convaincu que l’Assemblée devrait demander que de profonds changements soient apportés à la législation et à la pratique dans les États membres du Conseil de l’Europe en vue de mettre fin aux refoulements sur terre et en mer. Plus précisément, les États membres devraient être invités à prendre des mesures pour prévenir les refoulements, protéger les victimes et poursuivre les responsables de ces refoulements, et améliorer la coopération et la coordination internationales entre les autorités de surveillance des frontières, la police et d’autres organes chargés de la protection des frontières, comme indiqué dans le projet de résolution proposé.