1. Introduction
1.1. Procédure
1. À la suite du renvoi d’une
proposition de résolution intitulée «Détournement du système de
Schengen par des États membres du Conseil de l’Europe pour infliger
des sanctions à motivation politique»
à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme pour rapport, celle-ci a désigné Mme Olena Sotnyk
(Ukraine, ADLE) rapporteure. En raison du départ de Mme Sotnyk
de l’Assemblée parlementaire, la commission a désigné Mme Irina
V. Rukavishnikova (Fédération de Russie, NI) rapporteure pour lui
succéder. Suite à l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil
de l’Europe, la commission m'a désigné comme rapporteur, le 4 avril
2022.
2. Mme Rukavishnikova a préparé une
note introductive révisée, qui a été examinée par la commission
lors de sa réunion du 5 juin 2020 (par vidéoconférence). La commission
a ensuite approuvé un projet révisé de questionnaire à envoyer aux
délégations nationales par l’intermédiaire du Centre européen de
recherche et de documentation parlementaires (CERDP) et a pris acte
de l’approbation, dans le cadre de la procédure de consultation
écrite, de sa demande d’autorisation d’une audition de trois experts
et d’une visite d’information à Bruxelles, toutes deux sous réserve
de la disponibilité des fonds nécessaires. Le 14 septembre 2021,
à l’occasion d’une réunion tenue de manière hybride, la commission
a examiné la note introductive révisée de Mme Rukavishnikova
et a procédé à l’audition de:
- Mme Evelien
Brouwer, chercheuse principale, Centre pour le droit des migrations
et des réfugiés d'Amsterdam, Vrije Universiteit Amsterdam, Pays-Bas;
- Mme Nuala Mole, fondatrice
et juriste principale du Centre Advice on individual Rights in Europe, Londres,
Royaume-Uni;
- M. Vyacheslav A. Postavnin, expert en migration, chef
du Centre de recherche analytique et pratique sur la migration (Centre
scientifique pour l'intégration eurasienne), Fédération de Russie.
3. En ce qui concerne les activités de recherche d’information,
le 17 novembre 2021, Mme Rukavishnikova a
procédé à un échange par vidéoconférence avec des fonctionnaires
de la Commission européenne, Direction générale de la migration
et des affaires intérieures (DG HOME), Unité B3 – Système d'information Schengen,
ainsi qu’avec M. Jan-Christoph Oetjen, membre du Parlement européen
(Allemagne, Groupe Renew Europe), et son groupe de travail sur le
contrôle de Schengen (au sein de la Commission des libertés civiles,
de la justice et des affaires intérieures – LIBE). Les 7-8 février
2022, elle a pu se rendre en personne à Bruxelles (Belgique), où
elle a rencontré M. Matthias Oel, Commission européenne, DG HOME,
directeur Schengen, Frontières et Innovation, et M. Jure Tanko,
conseiller de Mme Tanja Fajon, membre
du Parlement européen (Slovénie, Groupe de l'Alliance Progressiste
des Socialistes et Démocrates). Les réunions avec Mme Fabienne
Keller, membre du Parlement européen (France, Groupe Renew Europe),
Mme Clara Guerra, vice-présidente et
présidente par intérim du Groupe de coordination Schengen SIS II,
et d'autres fonctionnaires de la Commission européenne, Direction
générale de la justice et des consommateurs (DG JUST), Unité B2
– Droit pénal procédural, ont eu lieu par vidéoconférence.
1.2. La
proposition de résolution
4. Les signataires de cette proposition
de résolution se réfèrent aux travaux antérieurs de l’Assemblée
sur ce sujet, à savoir sa
Recommandation
1648 (2004) «Conséquences de l’élargissement de l’Union européenne pour
la liberté de circulation entre les États membres du Conseil de
l’Europe» et sa
Résolution
1894 (2012) «L’inacceptabilité des restrictions à la liberté de
circulation à titre de sanction pour des prises de position politiques».
Ils soulignent que, depuis, de nouveaux incidents de détournement
à motivation politique du système de Schengen se sont produits dans
plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, «qui ont utilisé leur
droit légal de contrôler l’accès à leur territoire pour refuser
l’entrée à certaines personnes». Ils ajoutent par ailleurs que «cela
entraîne pour ces dernières une interdiction injustifiée d’accès
à l’ensemble de l’espace Schengen». Les auteurs de la proposition
de résolution considèrent que «l’Assemblée ne peut accepter que de
tels détournements du système de Schengen continuent de se produire»
et qu’elle doit donc établir un nouveau rapport sur cette question.
2. Les enjeux
5. Dans sa
Recommandation 1648 (2004) «Conséquences de l’élargissement de l’Union européenne
pour la liberté de circulation entre les États membres du Conseil
de l’Europe» adoptée le 30 janvier 2004
, l’Assemblée
a rappelé que «le régime de Schengen a pour but d’établir la libre
circulation des personnes à l’intérieur d’un territoire multinational
(l’espace Schengen) sans frontières intérieures» et que le Conseil
de l’Europe, «dès ses premières années d’existence», a lui aussi
«poursuivi activement ces mêmes objectifs», comme en témoignent
toutes les conventions relatives à la liberté de circulation adoptées
sous ses auspices
. L’Assemblée était fermement
opposée à «(…) toutes mesures qui pourraient avoir pour effet de
diviser les peuples et les États d’un continent qui n’a atteint
que depuis peu un degré sans précédent d’unité et d’harmonie en
matière politique, sociale, économique et culturelle». Le Comité
des Ministres a répondu à cette recommandation en juin 2004 et en
avril 2006
. Quelques années
plus tard, dans sa
Résolution
1894 (2012) «L’inacceptabilité des restrictions à la liberté de
circulation à titre de sanction pour prises de positions politiques»
(adoptée le 29 juin 2012)
, elle s’est particulièrement intéressée
au lien entre liberté de circulation des personnes et liberté d’expression,
soulignant que «(…) la liberté de circulation ne saurait faire l’objet
de restrictions ou être utilisée en guise de sanction pour l’expression
d’opinions politiques exprimées de manière pacifique» et que les
signalements dans le système d’information Schengen ne doivent pas
être utilisés de manière abusive pour refuser aux non-ressortissants
d’un État membre de l’Union européenne l’accès à l’espace Schengen
au motif qu’ils ont exprimé de telles opinions. Elle a également
rappelé que les États de l’espace Schengen étaient tenus de «soumettre
les signalements effectués dans le système d’information Schengen
à une procédure de contrôle juridictionnel ou administratif rapide».
De plus, la question des «listes noires» adoptées par le Conseil
de l’Union européenne ou par des États membres de l’Union européenne
a été dans une certaine mesure examinée par l’Assemblée dans sa
Résolution 1597 (2008) et sa
Recommandation
1824 (2008) «Listes noires
du Conseil de Sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne»
et dans le rapport de notre ancien collègue M. Dick Marty (Suisse,
ADLE)
. L’Assemblée
a également examiné la question de l’utilisation abusive des notices
rouges d’Interpol dans ses deux
Résolutions 2315 (2019) «La réforme d'Interpol et les procédures d’extradition:
renforcer la confiance en luttant contre les abus» et
2161 (2017) «Recours abusif au système d’Interpol: nécessité de
garanties légales plus strictes».
6. Depuis l’adoption de la
Résolution
1894 (2012) de l’Assemblée, «L’inacceptabilité des restrictions
à la liberté de circulation à titre de sanction pour des prises
de position politiques», de nombreux changements ont été apportés
au fonctionnement du système d’information Schengen (SIS). De nouveaux
cas de signalements supposés injustifiés ont également été recensés.
Par exemple, en août 2018, la présidente de l’ONG Open Dialog Foundation,
Mme Lyudmyla Kozlovska, une ressortissante
ukrainienne résidant en Pologne et mariée à un militant de la société
civile de nationalité polonaise, M. Bartosz Kramek, s’est vu refuser
l’entrée en Belgique à la suite d’un signalement introduit dans
le système d’information Schengen (aujourd’hui SIS II) par les autorités
polonaises. Ce signalement était fondé sur des motifs de sûreté
de l'État. Mme Kozlovska, qui a depuis
obtenu un permis de séjour de cinq ans en Belgique et dont le nom
a été retiré du SIS II, affirme que l’introduction d’un signalement
dans le SIS II représentait une forme de persécution politique du
fait de ses activités civiques et de celles de son mari et de leurs
critiques à l’égard du Gouvernement polonais
. En appel, le tribunal administratif
régional de Varsovie a rendu le 16 avril 2019 son arrêt dans cette
affaire. Il a estimé que les preuves sur lesquelles reposait le
signalement n’étaient pas suffisantes et il a abrogé les décisions
du responsable du Service des étrangers.
7. D’autres cas de signalements supposés injustifiés ont également
été recensés. En novembre 2017, M. Svyatoslav Sheremeta, un fonctionnaire
et politologue ukrainien travaillant sur les questions de mémoire historique
accusé d’être «anti-polonais», a été placé sur la liste SIS II par
les autorités polonaises et s’est vu refuser l’entrée du territoire
polonais, alors qu’il était titulaire d’un visa Schengen allemand.
Malgré le signalement des autorités polonaises, il a finalement
été autorisé à entrer en Allemagne quelques semaines plus tard
. Par ailleurs, en avril 2019, l’Estonie
a interdit à deux journalistes de la chaîne de télévision Russia-1
l’entrée dans l’espace Schengen pendant cinq ans, à la suite de
l’utilisation de caméras cachées pour filmer des membres de la communauté
des Témoins de Jéhovah à Tallinn. Les autorités ont estimé que «les
actions des journalistes visaient à se moquer de ce groupe religieux
et constituaient une discrimination religieuse susceptible d’aboutir
à une incitation à la haine»
. Enfin, Steven Anderson, un pasteur
américain connu pour ses «sermons anti-LGBTI» et pour «avoir remis
en question les preuves de l’Holocauste», s’est vu interdire l’accès
à l’espace Schengen par les Pays-Bas (et également l’entrée au Royaume-Uni
et en Irlande)
.
8. Il existe également de nombreuses allégations selon lesquelles
certains États de l'espace Schengen utilisent les signalements comme
un levier politique à l'encontre de pays tiers, de telle sorte que
l'objectif réel de l'émission de signalements à l'encontre de personnes
n'a en fait aucun rapport avec les raisons invoquées. Dans de tels
cas, le signalement d'un ressortissant de pays tiers sur la base
de la «sécurité nationale» n'a aucun rapport avec la situation ou
le statut personnel de cette personne, mais apparaît comme une sanction cachée
visant directement un pays tiers dont la personne concernée est
ressortissante. De telles pratiques abusives risquent non seulement
de violer plusieurs conventions du Conseil de l'Europe, mais aussi
de miner l'ensemble du système SIS en forçant l'État membre d'exécution
à participer à mise en œuvre de l'agenda politique caché de l'État
d’émission sans le vouloir.
9. Outre l'abus du système Schengen pour des raisons politiques,
on observe que le système est utilisé d'une manière qui nuit aux
relations et activités commerciales, bien que certains pays aient
une coopération bilatérale et multilatérale basée sur certains accords
avec l'Union européenne et facilitée par ces derniers.
10. Les foires commerciales et autres événements commerciaux sont
représentatifs du monde des affaires. Les demandes de visa Schengen
peuvent toutefois ne pas être jugées convaincantes et être rejetées
comme infondées, même sur présentation d’une invitation à une foire
commerciale, de la preuve du paiement de frais de location de stands
et de l’accomplissement des formalités de transport et d’hébergement
etc. En outre, d’autres problèmes peuvent survenir comme ceux liés
à la prise de rendez-vous pour les demandes de visa, le nombre excessif
de documents requis et le niveau élevé des frais de demande de visa.
11. En outre, dans certains domaines qui ne font a priori pas
l'objet d'abus, notamment dans le domaine de la coopération commerciale,
des mesures pourraient être prises, dans le cadre d'accords internationaux,
pour limiter le refus systématique de visa, sauf s'il est prouvé
qu'il existe une motivation politique.
12. Bien que les États soient, en principe, seuls compétents pour
déterminer les conditions d'entrée d'autres citoyens sur leur territoire,
ils sont en même temps tenus, en vertu des traités, de respecter
les normes fondamentales des droits de l'homme et de l'État de droit
lorsqu'ils prennent des décisions en la matière. Des procédures
bureaucratiques excessivement longues, des formulaires de demande
compliqués, de longues files d'attente dans les représentations
diplomatiques, des conditions exagérées relatives à la situation financière
du demandeur, des interrogatoires et des refus de visas inexpliqués
entravent la circulation transfrontalière des personnes.
13. Ces pratiques erigent une barrière pour ceux qui voudraient
participer à des activités culturelles, sociales et scientifiques
dans les États membres de l'espace Schengen, les empêchent de visiter
à leurs proches qui y résident et entravent le commerce libre. En
outre, elles constituent un obstacle à la réalisation d'une plus grande
unité entre les États membres du Conseil de l'Europe et les empêchent
de sauvegarder et de réaliser ses idéaux et principes.
14. En outre, conformément aux conventions internationales garantissant
la liberté de circulation des personnes, notamment la Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5),
il est nécessaire d'empêcher l'abus de la souveraineté des États
membres en ce qui concerne la réglementation d'entrée sur le territoire
en lien avec des motifs politiques. Dans ce contexte, il serait
bénéfique d'inclure des dispositions spéciales dans la législation
des pays qui refusent d'accorder des visas pour des raisons inappropriées,
en particulier pour des raisons politiques. En effet, au regard
de l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes, l’absence
de telles réglementations dans les systèmes juridiques des États
membres de l’espace Schengen peuvent être préjudiciables à l’effectivité
des recours juridictionnels.
15. Nous examinerons donc dans le présent rapport le fonctionnement
actuel du SIS, en mettant tout spécialement l’accent sur les signalements
qui y sont introduits pour empêcher l’entrée de ressortissants de pays
tiers, ainsi que sur la marge de manœuvre dont les États membres
de l’Union européenne disposent en la matière et les implications
de l’usage arbitraire des signalements SIS sur la protection des
droits de l’homme. En outre, je me concentrerai également sur l’utilisation
inefficace et inappropriée des alertes SIS qui pourrait perturber
l’exercice de la liberté de circulation et être source de sérieux
obstacles, notamment pour les entreprises et les activités commerciales
d’autres parties prenantes. Sur la base de cette analyse, je formulerai également
d'autres recommandations sur la question de savoir comment prévenir
l’utilisation détournée des signalements, surtout si elle entraîne
des violations des droits de l’homme.
3. La
liberté de circulation dans le cadre juridique du Conseil de l’Europe
16. En vertu du droit international
public, nonobstant les normes en matière d’asile, il appartient
aux États de déterminer les modalités et les conditions d’admission
des non-nationaux (ci-après «les étrangers») sur leur territoire.
Il n’existe donc pas de droit d’entrer et de séjourner dans un État
dont on n’est pas ressortissant, ce que la Cour européenne des droits
de l’homme a souligné dans sa jurisprudence à de très nombreuses reprises
.
17. Dès les premières années de son existence, le Conseil de l’Europe
a œuvré dans le domaine de la libre circulation des personnes. Plusieurs
conventions ont été adoptées en la matière: la Convention européenne d’établissement
de 1955 (
STE
n° 19); l’Accord européen de 1957 sur le régime de la circulation
des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe (
STE
n° 25); la Convention européenne relative au statut juridique
du travailleur migrant (
STE
n° 93); et la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière
des collectivités ou autorités territoriales (
STE
n° 106). Toutefois, à l’exception de la dernière convention,
ces traités n’ont été ratifiés que par un petit nombre d’États membres.
En particulier, l’Accord européen sur le régime de la circulation
des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe, destiné
à faciliter les déplacements des individus, n’a été ratifié que
par 17 États membres
et le suivi de sa mise en œuvre
a été abandonné en 1991
, avant que plusieurs
États membres actuels aient rejoint le Conseil de l’Europe.
18. La Convention européenne des droits de l’homme exige que ses
États parties «reconnaissent» les droits et libertés qu’elle consacre
à «toute personne relevant de leur juridiction», y compris aux ressortissants étrangers
qui demandent un visa ou l’entrée sur le territoire à une frontière
(article 1). Mais elle ne prévoit pas de droit d’entrer dans un
État spécifique (y compris un État membre précis du Conseil de l’Europe).
L’article 2 du Protocole no 4 (STE no 46)
à la Convention consacre le droit de circuler librement
à l’intérieur d’un pays pour toute
personne qui s’y trouverait déjà de façon régulière, ainsi que le
droit de quitter n’importe quel pays. Cela étant, l’article en question
ne traite pas du droit d’entrée
dans un
pays. Par ailleurs, tous les États membres de notre Organisation
n’ont pas adhéré à ce protocole
. En outre, la Cour européenne des
droits de l’homme a estimé que les décisions concernant l’entrée,
le séjour et l’expulsion des étrangers ne relevaient pas de la garantie
d’un «procès équitable» prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la
Convention, car elles ne concernent ni des droits ou obligations
de caractère civil ni une accusation pénale
.
19. Le droit des États membres de déterminer l’entrée des étrangers
sur leur territoire peut être limité dans certaines circonstances
pour raisons familiales. La Cour a estimé que, dans certaines situations,
des personnes pouvaient se prévaloir de l’article 8 de la Convention,
qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale,
pour entrer et résider dans un État membre en vue de rejoindre leur
famille
.
20. La Cour n’a pas eu souvent l’occasion d’examiner des affaires
concernant la liste noire Schengen de ressortissants de pays tiers
souhaitant entrer sur le territoire des États membres de l’Union
européenne. Dans l’affaire
S.N. et T.D.
c. Lettonie, qui concernait l’inscription sur liste noire
et l’expulsion de Lettonie de deux ressortissants russes considérés
comme une menace pour la sûreté nationale, l’ordre public et la
sécurité, le premier point n’a pas été examiné sur le fond parce
que les recours internes n’avaient pas été épuisés
.
Dans l’affaire
Dalea c. France , un
ressortissant roumain qui avait des relations d’affaires en France
et en Allemagne s’est plaint d’une violation de l’article 8 (au
titre du droit au respect de la vie privée) par suite de son inscription
dans le SIS par la France. Sa requête a été jugée irrecevable comme
étant manifestement mal fondée en raison de la grande marge d’appréciation
de la France en matière de contrôle de l’entrée des non-nationaux
sur son territoire.
4. Le
fonctionnement du système d’information Schengen
4.1. L’espace
Schengen
21. La libre circulation des personnes
est l’une des quatre libertés fondamentales instaurées par l’Union européenne
.
Il s’agit d’un droit garanti par les traités de l’Union européenne
à tous ses citoyens, qui leur permet de voyager, travailler ou vivre
dans n’importe quel État membre de l’Union européenne. En outre, l’article 45
de la
Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit la liberté de circulation sur le territoire
des États membres pour les citoyens de l’Union européenne et les
ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire
d’un État membre. Cette liberté a été renforcée en permettant aux
citoyens de l’Union européenne de franchir les frontières intérieures
sans être soumis à des contrôles aux frontières, conformément à
la coopération mise en place par les États membres de l’Union européenne
dans le cadre de l’«espace Schengen».
22. La création de l’espace Schengen remonte à l’adoption de l’Accord
de Schengen le 14 juin 1985 par la France, l’Allemagne et les pays
du Benelux, dans le but de supprimer progressivement les contrôles
aux frontières communes et de renforcer le contrôle des frontières
extérieures. Le 19 juin 1990, les mêmes États ont aussi adopté la
Convention d’application de l’Accord de Schengen (la «Convention
de Schengen»). Compte tenu du déficit de sécurité pouvant résulter
de la suppression des contrôles aux frontières, cette convention,
entrée en vigueur le 26 mars 1995 pour les pays signataires initiaux,
plus l’Espagne et le Portugal, a institué des mesures compensatoires
concernant l’asile et la coopération entre les autorités policières, judiciaires
et douanières. Elle prévoyait également la création du Système d’Information
Schengen qui permet aux autorités nationales compétentes d’avoir
accès aux données concernant les individus non habilités à pénétrer
dans l’espace de libre circulation communément appelé l’«espace
Schengen». Aujourd’hui, l’espace Schengen englobe la plupart des
États membres de l’Union européenne. Tous les États membres de l’Union européenne,
à l’exception de la Bulgarie, la Croatie, Chypre, l’Irlande et la
Roumanie
font
partie de l’espace Schengen. Des pays non membres de l’Union européenne,
l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein en font également
partie et sont reliés au SIS. Cet espace sans frontières garantit
la liberté de circulation aux nombreux ressortissants de pays tiers
(y compris aux touristes, aux hommes d’affaires et autres personnes résidant
légalement dans les États membres de l’Union européenne) sans l’obligation
de présenter des visas pour séjours multiples afin de pouvoir voyager
dans l’espace Schengen; leur nombre s’ajoute à celui de plus de
400 millions de citoyens de l’Union européenne.
23. Dans un premier temps, la coopération des États en lien avec
l’espace Schengen s’est développée sous une forme purement intergouvernementale,
en dehors du cadre des traités fondateurs de l’Union européenne, jusqu’à
ce que l’accord de Schengen et la convention de Schengen soient
inscrits dans un Protocole au Traité d’Amsterdam, entré en vigueur
le 1er mai 1999 et instaurant un «espace
de liberté, de sécurité et de justice»
. Jusqu’à
l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre
2009, certaines politiques liées à la coopération Schengen, comme
la coopération policière et judiciaire et les mesures de sécurité,
étaient restées sous gouvernance intergouvernementale. Depuis, tous
les aspects de la coopération Schengen relèvent du régime de l’Union
européenne (ancien «premier pilier») et les mesures prises dans
ce contexte sont désormais soumises au contrôle de la Cour de Justice
de l’Union européenne
. En outre,
plusieurs articles de la Convention de Schengen ont été remplacés
par des actes juridiques de la Communauté européenne ou de l’Union
européenne, auxquels les pays signataires non-membres de l’Union
européenne (tels que l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein)
ont dû souscrire
. Les pays candidats
à l’adhésion à l’Union européenne sont tenus d’adopter l’
acquis de Schengen .
4.2. Le
Système d’Information Schengen
4.2.1. Fonctionnement
général
24. L’absence de contrôles aux
frontières intérieures entre les États de l’espace Schengen est
compensée par des contrôles plus rigoureux sur les frontières extérieures
et par l’instauration de diverses mesures préventives. Le principe
clé de l’espace Schengen est le suivant: abolition dans une large
mesure des contrôles aux frontières à l’intérieur de l’espace, mais
stricte surveillance, par la police, des frontières extérieures.
Le système d’information Schengen est un outil essentiel à cet égard.
C’est une base de données qui permet aux fonctionnaires compétents
(tels que la police et les gardes-frontières) de tout l’espace Schengen
de consulter des signalements concernant des personnes et des objets
recherchés ou disparus, ainsi que des personnes faisant l’objet
d’une interdiction d’entrée sur le territoire
.
25. Le SIS II, une version plus perfectionnée du SIS, est entré
en service le 9 avril 2013. Le SIS II présente des fonctionnalités
plus avancées, comme la possibilité d’utiliser des données biométriques,
l’intégration de nouvelles catégories de signalement et la mise
en relation de différents signalements, ou encore la possibilité de
lancer des recherches directes. Son fondement juridique est actuellement
défini par le Règlement (CE) no 1987/2006
(«Règlement SIS II»)
,
le Règlement (CE) no 1986/2006 sur les
signalements de véhicules
et
la Décision du Conseil 2007/533/JAI («Décision SIS II»)
. Le 28 décembre 2018, trois nouveaux règlements
ont été ajoutés au cadre juridique du SIS II
. Leur objectif est de renforcer
le système actuel en intégrant de nouveaux signalements sur les
décisions de retour, en exigeant l’inclusion obligatoire des interdictions
d’entrée dans le système et en mettant en place des règles de protection
des données plus strictes.
26. En mai 2019, l'Union européenne a adopté le Règlement 2019/817
,
qui s'applique aux systèmes d'information dans le domaine des frontières
et des visas, et le Règlement 2019/818 sur les systèmes dans le domaine
de la coopération policière et judiciaire, de l'asile et de la migration
.
Ces deux règlements visent à faciliter le partage d'informations
et à améliorer la sécurité dans l'Union européenne en établissant l'interopérabilité
et l'utilisation polyvalente des bases de données à grande échelle
de l'Union européenne afin de créer un portail de recherche à l'échelle
européenne, permettant aux autorités compétentes d'effectuer des recherches
dans plusieurs systèmes d'information simultanément, en utilisant
des données biographiques et biométriques. Une telle structure d'interopérabilité
repose donc sur un réseau ou un mécanisme par lequel différentes
autorités peuvent vérifier si des informations sur une personne
donnée sont disponibles dans l'une des bases de données de l'Union
européenne. Les bases de données qui peuvent être connectées via l'interopérabilité
comprennent des systèmes tels que le SIS II, Eurodac et le système
d'information sur les visas ainsi que les bases de données de l’Office
européen de police (Europol).
27. Le SIS II comporte trois volets: 1) un système central; 2)
des systèmes nationaux dans chaque État membre qui communiquent
avec le système central
; et 3) une infrastructure de communication.
Les États membres peuvent saisir, mettre à jour, supprimer et rechercher
des données par l’intermédiaire de leurs systèmes nationaux et échanger
des informations par le biais des bureaux de Supplément d’information
requis à l’entrée nationale (SIRENE). Les États membres sont responsables
de la mise en place, du fonctionnement et de la maintenance de leurs
systèmes nationaux et de leurs bureaux SIRENE nationaux.
4.2.2. Les
signalements introduits dans le SIS II
28. L’un des moyens de contrôler
les frontières extérieures de l’espace Schengen consiste à introduire
dans le SIS II des signalements de personnes et d’objets
.
En ce qui concerne les signalements de personnes, l’article 3 a)
du Règlement SIS II précise qu’un «signalement» est «un ensemble
de données introduites dans le SIS II permettant aux autorités compétentes
d’identifier une personne en vue de tenir une conduite particulière
à son égard»
. Avant d’introduire
un signalement, les États membres déterminent si le cas est suffisamment
approprié, pertinent et important pour justifier l’insertion du
signalement dans le SIS II (article 21 du Règlement SIS II). Un
signalement ne peut pas être fait sans les éléments d’information
suivants concernant les personnes visées: nom(s) et prénom(s), nom(s)
de naissance et nom(s) utilisé(s) antérieurement et pseudonymes,
sexe, la mention de la décision qui est à l’origine du signalement
et la conduite à tenir (articles 23(1), et 20(2) du Règlement SIS
II).
29. Les signalements SIS visent les catégories de personnes suivantes:
- les ressortissants de pays tiers
qui se voient refuser l’entrée ou l’autorisation de séjour au sein
de l’espace Schengen (article 24 du Règlement SIS II);
- les personnes pour lesquelles un mandat d’arrêt européen
a été émis ou qui sont recherchées en vue d’une arrestation aux
fins d’extradition, à la demande des autorités judiciaires de l’État
membre signalant (article 26 de la Décision SIS II) ;
- les personnes disparues (adultes et mineurs) (article 32
de la Décision SIS II);
- les personnes recherchées citées à comparaître, ou témoins
dans le cadre de procédures judiciaires pénales (article 34 de la
Décision SIS II); et
- les personnes visées par un contrôle discret ou spécifique,
notamment à des fins de répression d’infractions pénales et de prévention
de menaces pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État (article 36
de la Décision SIS II) .
4.2.3. Les
signalements fondés sur l’article 24(1) du Règlement SIS
30. Aux fins de mon rapport, je
prévois de traiter principalement la première catégorie de personnes. L’article 24(1),
du Règlement SIS II stipule que les données concernant ces personnes
«sont introduites sur la base d’un signalement national résultant
d’une décision prise par les autorités administratives ou juridictions compétentes
dans le respect des règles de procédure prévues par la législation
nationale, sur la base d’une évaluation individuelle»
et que «les recours contre cette décision
sont formés conformément à la législation nationale»
.
Un signalement est introduit lorsque la décision des autorités nationales
est fondée sur la menace pour l’ordre public ou la sécurité publique
ou pour la sûreté de l'État que peut constituer la présence d’un
ressortissant d’un pays tiers sur le territoire d’un État membre.
Cela peut notamment être le cas d’un ressortissant d’un pays tiers
qui a été condamné dans un État membre pour une infraction passible
d’une peine privative de liberté d’au moins un an ou à l’égard duquel
il existe des raisons sérieuses de croire qu’il a commis une infraction
pénale grave
ou des indices
réels qu’il envisage de commettre un tel acte sur le territoire
d’un État membre (article 24(2) du Règlement SIS II). Un signalement
peut également être introduit lorsque le ressortissant d’un pays
tiers a fait l’objet d’une mesure d’expulsion, de refus d’entrée
ou de renvoi qui n’a été ni abrogée ni suspendue, et qui comporte
ou est assortie d’une interdiction d’entrée, ou, le cas échéant,
de séjour, fondée sur le non-respect des réglementations nationales
relatives à l’entrée ou au séjour des ressortissants de pays tiers
(article 24(3) du Règlement SIS II)
.
31. L’article 25(1) du Règlement SIS II mentionne les signalements
portant sur un ressortissant de pays tiers qui bénéficie du droit
de libre circulation dans l’Union européenne, au sens de la
Directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres
de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire
des États membres, et dispose que ces signalements doivent être
conformes aux règles adoptées dans le cadre de la mise en œuvre
de ladite directive. En cas de réponse positive à un signalement
concernant un tel ressortissant d’un pays tiers, l’État membre d’exécution
du signalement consulte immédiatement l’État membre signalant afin
de décider sans délai des mesures à prendre (article 25(2) du Règlement
SIS II). Les signalements introduits en lien avec les interdictions
d’entrée fondées sur des actes normatifs adoptés par le Conseil
de l’Union européenne, y compris les mesures qui mettent en œuvre
les interdictions de voyage édictées par le Conseil de sécurité
des Nations Unies, relèvent du champ d’application de l'article
26 du Règlement SIS II. L’État membre responsable de l’introduction,
de la mise à jour et de la suppression de ces signalements au nom
de tous les États membres est désigné lors de l’adoption de la mesure
en question (article 26 (3) du Règlement SIS II).
32. L’article 6(1)(d), du
Code
frontières Schengen indique expressément que les
ressortissants de pays tiers qui font l’objet d’un signalement dans
le SIS à des fins de non-admission ne remplissent pas les conditions d’entrée
sur le territoire des États membres de l’Union européenne. Une dérogation
à cette règle a toutefois été prévue: un ressortissant d’un pays
tiers peut être autorisé par un État membre à entrer sur son territoire pour
des motifs humanitaires, des motifs d’intérêt national ou en raison
d’obligations internationales. Si le ressortissant d’un pays tiers
concerné fait l’objet d’un signalement SIS, l’État membre qui autorise
son entrée sur son territoire en informe les autres États membres
(article 6(5)(c)).
33. L’accès aux données introduites dans le SIS II est accordé
aux autorités nationales chargées des contrôles aux frontières,
de la police, des douanes, des visas et de l’immatriculation des
véhicules et, par extension, aux autorités judiciaires nationales
lorsque cela s’avère nécessaire à l’accomplissement de leurs tâches
. Une liste
des autorités compétentes qui ont accès au SIS II est publiée chaque
année au Journal officiel de l'Union européenne
. Europol et l’Unité
de coopération judiciaire de l’Union européenne (Eurojust) disposent
de droits d’accès limités pour effectuer certains types de recherches.
Les vérifications dans le SIS sont obligatoires pour la délivrance
des visas de court séjour, pour les contrôles aux frontières des ressortissants
de pays tiers et, de manière non systématique, pour les citoyens
de l’Union européenne et les autres personnes jouissant du droit
de libre circulation. Tout contrôle de police sur le territoire
d’un État Schengen doit comporter une vérification dans le SIS II
.
34. Conformément à l’article 29(1), du Règlement SIS II, les signalements
ne sont conservés «que pendant le temps nécessaire à la réalisation
des objectifs pour lesquels ils ont été introduits». L'État membre
signalant doit, dans un délai de trois ans à compter de l'introduction
du signalement, examiner la nécessité de le conserver (article 29(2)),
mais il peut également le faire plus tôt ou, dans certaines circonstances,
conserver le signalement plus longtemps (article 29(3) et (4)).
Si aucune prolongation n'a été communiquée au système central, les
signalements sont automatiquement effacés après la période de trois
ans (article 29(5)). Seul l’État membre signalant est autorisé à
modifier ou à supprimer le signalement. Il est également responsable
de l’exactitude et de l’actualité des données, ainsi que de la licéité
de leur introduction dans le SIS II (article 34 du Règlement SIS
II). Si un autre État membre dispose d’éléments indiquant qu’une
donnée est entachée d’erreur de droit ou de fait, il en informe
l’État membre signalant, conformément à la procédure prévue à l’article 34, paragraphes 3
et 4, du Règlement SIS II.
35. Conformément aux principes de la protection des données
, toutes les personnes dont les données sont
traitées dans le SIS II jouissent des droits suivants: le droit
d'accès aux données qui les concernent et sont conservées dans le
SIS II; le droit de rectification des données inexactes ou de suppression
lorsque les données ont été conservées illégalement et le droit
de saisir les tribunaux ou les autorités compétentes pour obtenir
la rectification ou la suppression des données ou pour obtenir une
indemnisation
. S’agissant du premier droit, toute
personne qui souhaite connaître les informations qui la concernent
et qui sont conservées dans le SIS II a le droit d’en faire la demande,
comme le prévoit la législation nationale de l'État membre devant lequel
elle invoque ce droit. L'accès ne peut lui être refusé que lorsque
«cette non-communication est indispensable à l’exécution d’une tâche
légale en liaison avec le signalement ou à la protection des droits
et libertés des tiers» (article 41, paragraphes 1 et 4, du Règlement
SIS II). Ce droit d'accès est direct dans certains États membres
(c'est-à-dire que la demande doit être adressée directement aux
autorités qui traitent les données) ou indirect dans d'autres (c'est-à-dire
que l’intéressé doit s'adresser à l'autorité nationale chargée de
la protection des données de l'État dans lequel la demande est présentée)
. En outre, toute personne a le droit de faire
rectifier des données factuellement inexactes qui la concernent
ou de faire effacer des données stockées illégalement (article 41(5)).
En cas d’exercice de l'un ou l'autre de ces deux droits, l'information
est fournie à l’intéressé dans les meilleurs délais et, en tout
état de cause, au plus tard 60 jours à compter de la date de la
demande d'accès (article 41(6)). L’intéressé est également informé
des suites données à l'exercice de son droit de rectification ou
d'effacement dans les meilleurs délais et, en tout état de cause,
au plus tard trois mois à compter de la date de sa demande (article
41(7)). Les ressortissants de pays tiers qui font l’objet d’un signalement
sont informés conformément à la législation de l’Union européenne
sur la protection des données; cette information se fait par écrit,
accompagnée d’une copie ou d’une mention de la décision nationale
à l’origine du signalement. Toutefois, cette information n’est pas
fournie si le droit national permet de restreindre le droit à l’information,
en particulier pour préserver la sûreté de l'État, la défense et
la sécurité publique, ou à des fins de prévention et de détection
des infractions pénales et d’enquêtes et de poursuites en la matière
(article 42). En outre, toute personne peut intenter une action
devant les juridictions ou les autorités compétentes en vertu du
droit national pour accéder, faire rectifier, effacer ou récupérer
des informations, ou pour obtenir une indemnisation en raison d’un
signalement la concernant (article 43(1), du Règlement SIS II) et
les États membres «s’engagent mutuellement à exécuter les décisions
définitives» prises par ces juridictions ou autorités (article 43(2)).
4.2.4. Les
instances de l’Union européenne chargées de la gestion et du contrôle
du SIS II
36. L’Agence européenne pour la
gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle
au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (
eu-LISA), créée en 2011 et devenue opérationnelle le 1er janvier
2012, est responsable de la gestion opérationnelle du système central
et de l’infrastructure de communication. Elle assure l’échange continu
et ininterrompu de données entre les autorités nationales 24 heures
sur 24, 7 jours sur 7, et elle est chargée de contrôler les performances
du système ainsi que de dispenser une formation sur le SIS II aux
opérateurs nationaux, au personnel SIRENE et aux évaluateurs Schengen.
Elle assure également la gestion opérationnelle d’autres systèmes
d’information à grande échelle de l’Union européenne: le système
d’information sur les visas et Eurodac (qui traite de la gestion
des demandes d’asile européennes), ainsi que de ceux qui devraient
entrer en service dans un avenir proche (le système d'entrée/sortie
– EES, le système européen d'information et d'autorisation concernant
les voyages – ETIAS et le système européen d'information sur les
casiers judiciaires – ressortissants de pays tiers – ECRIS-TCN).
Le siège d’eu-LISA est situé à Tallinn (Estonie), tandis que son
centre opérationnel est à Strasbourg.
37. La Commission européenne est chargée de la supervision générale
et de l’évaluation du système (Mécanisme d’évaluation de Schengen
– SEM
), ainsi que de l’adoption des mesures
de mise en œuvre
. Le Contrôleur
européen de la protection des données (CEPD) surveille l’application
des règles de protection des données pour le système central, tandis
que les autorités nationales de protection des données supervisent
l’application des règles de protection des données dans leurs pays
respectifs (voir, en particulier, les articles 44 et 45 du Règlement
SIS II). Le Groupe de coordination du contrôle du système d'information Schengen
II («GCC SIS II»), un organe composé de représentants des autorités
nationales de protection des données des États membres et du CEPD,
assure un contrôle coordonné dans le domaine de la protection des données
à caractère personnel du SIS II. Il se réunit au moins deux fois
par an pour mettre en commun les expériences acquises, discuter
de problèmes d’interprétation ou d’application du cadre juridique
du SIS II, analyser les difficultés rencontrées à l’occasion de
l’exercice du contrôle ou des droits des personnes concernées, s'assister
mutuellement lors de la réalisation d'audits et d'inspections, élaborer
des propositions harmonisées de solutions communes et promouvoir
la sensibilisation aux droits de protection des données
. Quant
au Parlement européen, bien qu'il n'ait aucune place spécifique
dans le cadre juridique du SIS II, il joue un rôle actif dans le
contrôle de l'application de l'acquis de Schengen. Son Groupe de
travail sur le contrôle de Schengen (établi au sein de la commission
LIBE) assure la liaison avec la Commission européenne et le Conseil
aux étapes pertinentes du processus d'évaluation et de contrôle.
38. Selon la base de données eu-LISA, en 2020, les États membres
ont effectué en moyenne plus de 10 millions de recherches par jour
dans le SIS II, contre 18 millions par jour en 2019
. Cette
diminution résulte peut-être de la baisse du trafic transfrontalier
pendant la pandémie de covid-19. Sur l’ensemble de l’année 2020,
le SIS II a été consulté plus de 3 700 000 000 de fois par l’ensemble
des États membres (soit une baisse de 44 % par rapport à 2019)
.
Au 31 décembre 2020, le SIS II comptait 93,4 millions de signalements,
dont 1 % concernaient des personnes (964 720). L’Italie, la France,
l’Allemagne et l’Espagne ont introduit le plus grand nombre de signalements
de personnes. Sur 964 720 signalements de personnes, 519 530 concernaient des
ressortissants de pays tiers qui s’étaient vu refuser l’entrée ou
l’autorisation de séjour au sein de l’espace Schengen (article 24
du Règlement SIS II)
.
Ces signalements ont déclenché 47 583 réponses positives
.
4.2.5. La
pratique par les États membres de l’espace Schengen du recours aux
signalements fondés sur l’article 24(1) du Règlement SIS II
39. Afin de réunir des informations
sur la pratique par les États membres de l’espace Schengen du recours au
signalement fondé sur l’article 24(1) du Règlement SIS II, j’ai
adressé, par l’intermédiaire du CERDP, un questionnaire aux délégations
nationales. Les 19 réponses reçues sont résumées de façon plus précise
en annexe au présent rapport. Il ressort que les décisions d’introduction
d’un signalement dans le SIS II en raison d’une menace supposée
à l’ordre public, à la sûreté publique ou à la sécurité nationale
sont généralement prises par la police, les autorités chargées des
contrôles aux frontières ou les services administratifs. La personne
qui fait l’objet d’un signalement a généralement accès à un recours
auprès de l’autorité qui a émis le signalement et/ou devant une
juridiction. Certaines délégations ont également communiqué des informations
sur la possibilité de demander à l’organisme chargé de la protection
des données l’accès aux données relatives aux signalements et la
rectification des données conservées.
4.2.6. Domaines
du détournement possible du SIS II
40. Comme l’a indiqué Mme Evelien
R. Brouwer lors de l’audition du 14 septembre 2021, le détournement possible
des signalements dans le système d’information Schengen peut être
lié à cinq questions: 1) le respect des obligations de l’État d’émission
lorsqu'il signale dans le SIS son refus d’accueillir un ressortissant
d'un pays tiers, 2) la garantie de la transparence et d'un système
de contrôle efficace en ce qui concerne l'interopérabilité des systèmes
d'information à grande échelle, y compris le SIS II; 3) la garantie
que le SIS n'est utilisé par aucun État membre comme une sanction
politique cachée contre un pays tiers sur des questions sans rapport
avec la sécurité de l'espace Schengen; 4) le respect des obligations
de l'État d'exécution lorsqu'il se prononce sur un signalement SIS
et 5) l’existence du droit à un recours effectif.
41. S’agissant des obligations de l’État d’émission, le principal
problème peut concerner la possibilité d’introduire un signalement
fondé sur une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique
ou pour la sécurité nationale, notamment dans une situation où il
existe des «raisons sérieuses de croire [qu’un ressortissant d’un pays
tiers] a commis un fait punissable grave» ou s’il «existe des indices
réels qu’il envisage de commettre un tel fait sur le territoire
d’un État membre» (article 24(2) du Règlement SIS II). Les autorités
nationales disposent donc d’une importante marge d’appréciation.
Toutefois, leur pouvoir discrétionnaire est soumis à deux conditions
importantes: premièrement, avant d’introduire un signalement SIS,
l’État membre doit vérifier si le cas est «suffisamment approprié,
pertinent et important» (principe de proportionnalité) et, deuxièmement,
le signalement doit faire l’objet d’une évaluation individuelle
(articles 21 et 24(1) du Règlement SIS II)
. En outre, l’État
d’émission doit informer les ressortissants de pays tiers de leur
signalement dans le SIS et, bien que ce droit d’information puisse
être restreint sous certaines conditions (voir plus haut l’article
42 du Règlement SIS II), la Cour européenne des droits de l’homme
et
la Cour de justice de l’Union européenne
ont toutes deux estimé que ces restrictions
devaient être interprétées de manière très étroite.
42. En ce qui concerne la capacité d'interopérabilité des systèmes
d'information à grande échelle, il est à craindre qu'en dépit des
garanties juridiques et administratives prévues par la législation
communautaire en la matière pour restreindre l'accès à ces systèmes
et en limiter l'utilisation, les informations introduites dans un système
par une autorité dans un but précis puissent être utilisées par
une autre autorité dans un autre système à des fins différentes
qui ne sont pas explicitement prévues par les règlements applicables
de l’Union européenne. L'exemple typique est l'utilisation abusive
d'un signalement introduit dans le SIS II pour refuser un permis
de séjour alors que ce signalement est accessible via l'ECRIS-TCN.
43. L'utilisation abusive des alertes comme levier politique contre
des pays tiers pose un autre problème. Bien que les États aient
le droit, en vertu du droit international, de déterminer les conditions
dans lesquelles les non-nationaux sont admis sur leur territoire,
les restrictions conçues et imposées dans le seul but d'infliger un
préjudice à un pays tiers, déguisé en menace pour la sécurité nationale
provenant d'un individu qui est un ressortissant de ce pays tiers,
ne devraient pas être autorisées. Si elle n'est pas examinée de
près par l'Union européenne, cette pratique présumée risque de saper
considérablement la légitimité du SIS II et d'autres systèmes d'information
à grande échelle.
44. Pour ce qui est des obligations de l’État d’exécution d’un
signalement, lorsque ses services d’immigration et des frontières
se prononcent sur un signalement SIS, ils doivent veiller à ne pas
refuser à une personne l’entrée sur le territoire, un visa de courte
durée et, ultérieurement, une autorisation de voyage pour des motifs
illégaux, conformément aux dispositions respectives du Code frontières
Schengen, du code des visas
et
du Règlement 2018/1240 portant création d’un système européen d’information
et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS)
.
Ils ont donc l’obligation de respecter les droits fondamentaux de
l’intéressé (en particulier la liberté de circulation des membres
de la famille des citoyens de l’Union européenne, le droit au respect
de la vie familiale, la liberté d’expression et la liberté de religion,
de conscience ou de conviction et le principe de non-refoulement)
avant de le/la reconduire à la frontière. Il leur incombe également
de recourir au réseau SIRENE, qui devrait être utilisé plus souvent
pour échanger les informations nécessaires avant de refuser l’entrée
sur le territoire ou un visa de courte durée à un ressortissant
d’un pays tiers. La Cour de Justice de l’Union européenne a mis
en avant cette obligation dans son arrêt de Grande Chambre rendu
dans l’affaire
Commission c. Espagne de
2006
.
Cette affaire concernait le refus par l’Espagne d’un visa et d’une
entrée sur le territoire à des ressortissantes de pays tiers mariées
à des ressortissants d’États membres de l’Union européenne au seul
motif d’un signalement SIS introduit par l’Allemagne. La Cour de
Justice a souligné que les autorités espagnoles auraient dû vérifier
si les intéressées présentaient «une menace réelle, actuelle et suffisamment
grave affectant un intérêt fondamental de la société» et qu’elles
avaient par conséquent manqué à leurs obligations nées de la Directive
64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination
des mesures spéciales applicables aux étrangers en matière de déplacement
et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité
publique et de santé publique
.
45. S’agissant de l’accès à un recours effectif consacré par l’article
47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et
par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme,
il s’agit d’une question cruciale pour garantir le respect des droits
fondamentaux dans le cadre de l’utilisation des signalements SIS
. Ce recours
doit être disponible non seulement contre l’État d’exécution d’un
signalement SIS, mais également contre l’État qui l’a introduit
dans le SIS. La disposition précitée de l’article 43(1) du Règlement
SIS II, qui autorise les ressortissants de pays tiers à intenter
une action devant les juridictions ou les autorités nationales de
«tout État membre» à propos de l’utilisation des signalements SIS,
offre une importante protection contre les abus. Mais dans la pratique,
la mise en œuvre du droit à un recours effectif semble entravée
de deux manières. Premièrement, les ressortissants de pays tiers
ne sont souvent pas informés du fait qu’ils font l’objet d’un signalement
SIS et le découvrent uniquement lorsqu’ils arrivent aux frontières
extérieures de l’Union européenne ou font une demande de visa. Même
s’ils ont constaté l’existence d’un signalement SIS, l’exercice
de leur droit à un recours effectif dépend souvent de la bonne volonté
des services d’immigration et des frontières, qui ne les informent
pas toujours correctement de leurs droits. Deuxièmement, les juridictions
nationales peuvent se montrer réticentes à ordonner aux autorités
d’autres États membres de supprimer ou de rectifier les informations
qui figurent dans le SIS II et, quand bien même elles le feraient,
elles n’ont pas nécessairement le pouvoir d’assurer le suivi de
ces ordonnances. En pareil cas, l’incapacité à remédier effectivement
à des informations illégales inexactes présentes dans le SIS II
peut virer au cauchemar bureaucratique, surtout pour les personnes
qui se heurtent à plusieurs reprises à des interdictions d’entrée
sur le territoire
.
46. Il convient de souligner que le bon fonctionnement du SIS,
qui vise à maintenir un niveau élevé de sécurité au sein de l’espace
Schengen (en particulier pour assurer la protection contre les menaces
terroristes et les menaces pour la sécurité nationale), dépend de
la confiance mutuelle des autorités nationales des États membres
de l’espace Schengen. Les autorités nationales doivent être en mesure
d’avoir confiance dans le fait que les données transmises au SIS
sont exactes et consignées conformément à la législation nationale,
y compris en matière de protection des droits et libertés fondamentaux.
4.2.7. Les
conséquences pour les droits de l’homme du détournement des signalements
fondés sur l’article 24(1) du Règlement SIS II
47. Comme l’a souligné Mme Nuala
Mole lors de l’audition du 14 septembre 2021, certaines dispositions
de la Convention européenne des droits de l’homme pourraient être
applicables dans les affaires de signalements introduits sans fondement
dans le SIS. Bien que la Cour européenne des droits de l’homme n’ait
pas encore constaté de violation de la Convention dans une affaire
de ce type, elle a déjà examiné une affaire d’inscription sur une
liste noire sur la base des sanctions antiterroristes du Conseil
de sécurité des Nations Unies: dans l’arrêt
Nada
c. Suisse ,
qui concernait l’impossibilité pour le requérant d’obtenir la suppression
de son nom d’une liste noire et la restriction conséquente de sa
liberté de circulation, elle a conclu aux violations des articles 8
et 13 de la Convention.
48. L’article 8 de la Convention est également applicable à la
collecte et à la conservation des données
et l’insertion
des données relatives à une personne dans le SIS II pourrait, en
principe, enfreindre cette disposition, si elle n’est pas «prévue
par la loi» (y compris le droit de l’Union européenne lorsqu’il
est applicable
),
ne poursuit pas un «but légitime» et/ou n’est pas proportionnée
à ce but. Le même raisonnement s’appliquerait si une personne estimait
que son inscription sur une liste noire constitue une atteinte à
sa réputation
.
49. En outre, le droit à la liberté d’expression (article 10 de
la Convention) pourrait éventuellement être invoqué dans ces affaires.
La Cour a déjà examiné des affaires qui portaient sur des violations
de l'article 10 de la Convention à l’occasion de l’interdiction
de l’entrée sur le territoire d'un État partie à la Convention à
des ressortissants étrangers, bien que ces affaires ne concernent
pas des signalements dans le SIS. Dans l'affaire
Piermont c. France, qui concernait
la mesure d'expulsion de Polynésie française et d'interdiction d'entrer
en Nouvelle-Calédonie prise à l'encontre d'une ressortissante allemande,
membre du Parlement européen, qui avait tenu des propos critiques
à l’égard de la politique française, elle a conclu que les mesures
litigieuses n'étaient pas proportionnées aux buts de «défense de
l’ordre» et de «maintien de l'intégrité territoriale» (violation
de l'article 10 de la Convention)
.
De même, dans l'affaire
Cox c. Turquie,
la Cour a estimé qu'une interdiction permanente de nouvelle entrée
sur le territoire de la requérante en raison des opinions qu'elle
avait exprimées sur les questions kurdes et arméniennes n'était
pas justifiée de manière suffisante et pertinente par des raisons
de sécurité nationale et autres et qu’elle n'était donc pas «nécessaire
dans une société démocratique»
.
5. Conclusion
50. Comme nous l’avons vu, les
autorités compétentes des États membres du Conseil de l’Europe qui
font partie de l’espace Schengen disposent d’une grande marge de
manœuvre pour décider s’il y a lieu d’introduire des signalements
dans le SIS II et dans quelles circonstances le faire. Sans remettre
en cause la sécurité nationale qui pourrait entrer en jeu, il convient
de souligner qu’un seul État ou un groupe d’États appartenant à
l’espace Schengen peut de fait décider de refuser aux ressortissants
de pays tiers l’accès à son territoire et que le SIS ne prévoit
pas de normes communes pour introduire des signalements, ni pour
interpréter ou communiquer des informations. Par conséquent, des
informations de nature similaire peuvent faire l’objet d’une évaluation
différente en fonction de la politique de sécurité de l’État concerné.
51. Vu ce qui précède, il est encore plus important que les États
participant au SIS II respectent les droits de l’homme, tels que
les consacre la Convention européenne des droits de l’homme. Une
éventuelle utilisation du système de Schengen, y compris du SIS
II, sous forme d’instrument de sanction à connotation politique peut
susciter des inquiétudes pour toute une série de droits consacrés
par la Convention, dont le droit à la liberté d’expression (article
10), le droit au respect de la vie privée et familiale (article
8), le droit à la liberté de circulation (article 2 du Protocole
n° 4) et le droit à un recours effectif (article 13), y compris
l’accès sans entrave à une justice équitable (article 6). Le SIS
ne devrait en aucun cas faire l’objet d’un détournement pour refuser aux
ressortissants des États membres du Conseil de l’Europe qui ne font
pas partie de l’Union européenne et aux autres ressortissants de
pays tiers l’accès à l’espace Schengen pour des motifs qui contreviennent
aux obligations nées de la Convention. Étant donné que tous ces
droits sont garantis par des conventions internationales, il est
inacceptable d'empêcher ou de tenter d'empêcher l’exercice de ces
droits en raison de l'abus du système pour des motifs politiques.
Les États membres de l’espace Schengen devraient être attentifs à
ces risques, comme l’exigent les accords auxquels ils sont parties.
52. À cet égard, la question des rapports entre les cadres juridiques
du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne mérite un examen
attentif. Le SIS II est un élément intégral du cadre juridique de
l’Union européenne et l’Union européenne n’a pas encore adhéré à
la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, il existe
plusieurs obstacles nés de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme (les «critères de Bosphorus»
), ainsi que de l’acquis de
l’Union européenne (par exemple, les critères dits de Plaumann
)
à la contestation des décisions prises dans le cadre du droit de
l’Union européenne. Tout cela fait naître des inquiétudes légitimes
à propos de la possibilité de contester d’éventuels cas de détournement du
système de Schengen, surtout par des ressortissants de pays non-membres
de l’Union européenne, devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans ces affaires, il importe que la Cour européenne des droits
de l’homme s’interroge sur les motifs d’un signalement SIS et vérifie
s’il n’était pas arbitraire et s’il était proportionné et poursuivait
un but légitime. Tout en respectant le motif de sécurité nationale
invoqué par les autorités, la Cour devrait vérifier attentivement
que les raisons invoquées concernent véritablement la sécurité nationale.
53. Au vu de ces éléments, plusieurs recommandations concrètes
peuvent être formulées en vue de prévenir le détournement du SIS
et d’améliorer la protection des droits fondamentaux des ressortissants
des pays tiers qui font l’objet de signalements introduits dans
le SIS. Quant aux États membres d’émission des signalements, il
importe qu’ils respectent le principe de proportionnalité et procèdent
à une évaluation individuelle, malgré la marge d’appréciation étendue
dont ils disposent en vertu de l’article 24(2) du Règlement SIS
II. Il convient qu’ils ne restreignent pas le droit des intéressés
à être informés de l’introduction d’un signalement et respectent
leurs droits en matière de protection des données.
54. S’agissant des États membres d’exécution des signalements,
ils ont l’obligation de tenir compte des autres dispositions pertinentes
du droit de l’Union européenne relatives à la liberté de circulation
des personnes au sein de l’Union européenne. Ils devraient également
recourir activement au réseau SIRENE, afin de vérifier les informations
nécessaires avant de refuser une entrée sur le territoire ou un
visa de courte durée à un ressortissant de pays tiers. Ils devraient
également s'abstenir d'utiliser abusivement le SIS II à l'encontre d'un
pays tiers pour faire avancer leur programme politique en introduisant
des signalements injustifiés de ressortissants de ce pays tiers.
Des systèmes de contrôle et de vérification adéquats ainsi que des mécanismes
de notification devraient être mis en place pour empêcher les États
membres de prendre de telles mesures à des fins politiques.
55. Les règlements de l'Union européenne sur l'interopérabilité
ajoutent une énorme complexité aux pratiques et aux lois des systèmes
de données existants, ce qui rend le règlement général sur la protection des
données et la directive sur la protection des données insuffisants
pour établir un cadre juridique suffisamment transparent. En particulier,
l'utilisation de bases de données à grande échelle et les effets
de l'interopérabilité, principalement en ce qui concerne les citoyens
de pays tiers, font qu'il est extrêmement difficile pour la personne
concernée de comprendre non seulement quelle législation particulière
s'applique, mais aussi à quel État membre ou à quelle institution
elle doit s'adresser pour exercer ses droits d'accès, de rectification
ou de suppression des données, et bénéficier de son droit à une
protection judiciaire effective. L'utilisation d'un ensemble de
données dûment enregistrées dans l'un des systèmes d'information
à une fin spécifique par un autre système d'information est une
préoccupation particulière. Pour relever ces défis, l'interopérabilité
des systèmes d'information doit être rendue plus transparente et
des règles et des restrictions claires devraient être fixées concernant
l'autorité de contrôle et la finalité de l'utilisation et du traitement
des données enregistrées.
56. Il va sans dire que les États membres de l’espace Schengen
devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer le
respect des droits de l’homme des ressortissants de pays tiers qui
font l’objet de signalements, et en particulier de leur droit à
un recours effectif. Afin de rendre ce droit pleinement opérationnel,
les décisions de refus de l’entrée sur le territoire, d’un visa
ou d’une autorisation de voyage fondées sur un signalement SIS devraient
indiquer l’État membre d’émission du signalement SIS, les motifs précis
de refus d’entrée sur le territoire et, dans la mesure du possible,
les raisons essentielles du signalement SIS
. En outre, les requérants devraient être
informés des recours dont ils disposent contre les signalements SIS,
y compris de ceux qui concernent la protection de leurs données.
Leurs droits de la défense et leur droit à une protection juridictionnelle
effective devraient être garantis. Par ailleurs, il convient d’améliorer
la coopération entre les autorités nationales compétentes qui examinent
les cas individuels de signalements (juridictions, autorités de
contrôle de la protection des données et autres organes compétents).
57. L'Union européenne et les États membres de l'espace Schengen
devraient également recueillir davantage d’informations sur les
pratiques nationales actuelles de l'utilisation du SIS II et de
son impact sur les droits de l'homme. L'Union européenne pourrait
en particulier mener des enquêtes supplémentaires auprès des États
membres de l'Union européenne et d'autres parties prenantes, notamment
le Médiateur européen, l'Agence des droits fondamentaux (FRA), eu-LISA
et le Contrôleur européen de la protection des données. Ces enquêtes
pourraient servir à définir les motifs spécifiques des signalements
SIS qui visent les ressortissants de pays tiers, les périodes de
conservation des données pour les signalements (y compris la possibilité
de prolonger ces périodes), le nombre annuel de résultats positifs
fondés sur les signalements SIS et le nombre de refus réels d'entrée
ou de visa basés sur les signalements. Elles pourraient également
se pencher sur l'utilisation du réseau SIRENE et examiner à quelle
fréquence et dans quelles circonstances les autorités nationales
y ont recours.
58. Les réponses reçues au questionnaire que j'avais envoyé par
l'intermédiaire du CERDP montrent que d'autres enquêtes de ce type
doivent être menées pour obtenir davantage d'informations sur les
points qui y sont soulevés. Plusieurs autres questions pourraient
être abordées dans le cadre de recherches supplémentaires: est-il
possible d'intenter une action contre un État membre de l'Union
européenne qui n’est pas l’auteur de l’introduction du signalement
dans le SIS (y compris l'État membre d’exécution du signalement)?
Combien de fois les juridictions et autorités nationales chargées
de la protection des données ont-elles utilisé la possibilité d'ordonner
à un autre État membre de rectifier ou de supprimer des données
dans le SIS? L'État d'émission a-t-il donné suite à ces injonctions?
Ce surcroît d’information pourrait ensuite servir à élaborer de
nouvelles lignes directrices à l'intention des autorités nationales
sur la manière d'utiliser le SIS conformément à ses dispositions
et à ses objectifs, tout en empêchant son détournement et en respectant
les droits fondamentaux des intéressés. Compte tenu de ces éléments,
l'Union européenne pourrait adopter des lignes directrices sur une
norme commune minimale de procédure de signalement, applicable aux ressortissants
de pays tiers. Ces lignes directrices pourraient comporter les critères
de signalement dans le SIS II (par exemple, en établissant une liste
spécifique de crimes ou délits graves, et notamment un seuil clairement
défini de «gravité» de l'infraction pour laquelle les personnes
peuvent faire l'objet d'un signalement, ou une définition plus précise
de la «menace pour l'ordre et la sécurité publics»
).
59. Une autre proposition consiste à mettre en place une sorte
d'organe de médiation et/ou d’intervention (c'est-à-dire un médiateur),
qui aurait pour tâche principale d'examiner si les normes en matière
de droits de l'homme sont appliquées et respectées par les autorités
nationales lorsqu'elles introduisent un signalement dans le système
ou refusent l'entrée aux ressortissants de pays tiers. Ce médiateur
ou cet ombudsman ne doit pas nécessairement être habilité à rendre
des décisions juridiquement contraignantes, mais il pourrait exercer un
rôle de modération sur les autorités compétentes, afin de dissuader
tout détournement du système. À défaut, les compétences dans ce
domaine pourraient être attribuées au Médiateur européen, à la FRA
ou au CEPD, à condition qu'ils disposent de ressources suffisantes
pour ce faire. L'officier aux droits fondamentaux de Frontex (l'Agence
européenne de garde-frontières et de garde-côtes), expert indépendant
qui contrôle et promeut les droits fondamentaux au sein de Frontex
et traite les plaintes, pourrait être une source d'inspiration en
la matière
. De même, ce type d'organe pourrait
être mis en place au niveau national. Au cours de ma visite d'information
à Bruxelles, j'ai appris que la Commission européenne, DG JUST,
élabore en ce moment des lignes directrices sur les demandes d'extradition
motivées par des raisons politiques et qu'elle proposera la création
de correspondants nationaux pour examiner ces cas. Je pense que
des correspondants similaires pourraient également être créés pour
examiner les cas de détournement des signalements SIS II.
60. En outre, le Mécanisme d’évaluation de Schengen pourrait être
mieux utilisé pour examiner les éventuelles défaillances du fonctionnement
du SIS II et formuler des recommandations adéquates pour son amélioration.
Il serait également bon d'associer le Parlement européen à ce processus.
61. Pour ce qui est du rôle joué par le Conseil de l’Europe en
la matière, la Commissaire aux droits de l’homme et la Représentante
spéciale de la Secrétaire Générale sur les migrations et les réfugiés
pourraient assurer un suivi des conséquences pour les droits de
l’homme du détournement des signalements SIS II et adresser les
recommandations qui s’imposent aux États membres du Conseil de l’Europe,
notamment à ceux de l’espace Schengen. Cela dépendra également en
grande partie de la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme, qui n’a pas encore statué sur le fond dans les affaires
de personnes auxquelles l’entrée dans l’espace Schengen a été refusée
à la suite de signalements SIS, mais qui pourrait être saisie de
requêtes similaires à l’avenir.
62. En conclusion, le fait de prévenir le détournement du Système
d’information Schengen est non seulement essentiel pour protéger
les droits fondamentaux et la libre circulation des personnes, mais également
pour assurer la confiance entre les autorités nationales et leur
permettre de se fier à l’exactitude et à la légalité des informations
qui figurent dans le SIS. Cette démarche s’avère d’autant plus urgente
au vu de l’évolution récente de l’utilisation intensive au sein
de l'Union européenne des technologies employées aux frontières,
comme la biométrie et les algorithmes, et du système d'interopérabilité
qui relie le SIS à d'autres bases de données à grande échelle. Les
personnes innocentes ne doivent pas être victimes d'une utilisation erronée
ou abusive des bases de données de l'Union européenne ou de toute
décision automatisée prise sur ce fondement.