1. Introduction
1. Dans le cadre de son mandat,
tel qu’il résulte de la
Résolution
1115 (1997) (telle que modifiée), la commission de suivi est saisie
pour procéder à des examens périodiques réguliers du respect des
obligations contractées lors de leur adhésion au Conseil de l'Europe
par les États membres qui ne font pas déjà l'objet d'une procédure
de suivi complet ou qui ne sont pas engagés dans un dialogue post-suivi.
Jusqu’en 2019, en moyenne deux rapports d’examen périodique constituaient
une annexe au rapport annuel sur l’évolution de la procédure de
suivi de l’Assemblée parlementaire. Ils étaient préparés suivant
l’ordre alphabétique et sous l’autorité du président de la commission.
Les recommandations auxquelles ces examens donnaient lieu étaient incluses
dans les résolutions accompagnant les rapports annuels sur l’évolution
de la procédure de suivi. En conséquence, leur impact sur les pays
concernés était limité.
2. À l’initiative du président de l’époque, une réflexion a été
initiée en 2018 au sein de la commission sur les possibles voies
et moyens permettant un renforcement du poids politique de ces examens
périodiques. Cette réflexion a débouché sur des propositions que
l’Assemblée a endossées dans sa
Résolution 2261 (2019) «L’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(janvier-décembre 2018) et l’examen périodique du respect des obligations
de l’Islande et de l’Italie», adoptée le 24 janvier 2019. Au paragraphe
14 de cette dernière, l’Assemblée s’est ainsi félicitée de la décision
de la commission de suivi «de modifier le format des examens périodiques
en vue de les soumettre pour débat indépendamment de son rapport
d’activité, accompagnés de résolutions spécifiques à chaque pays,
et de substituer à la méthode actuelle de sélection fondée sur l’ordre
alphabétique une sélection motivée par des raisons de fond, tout
en maintenant l’objectif de consacrer, au fil du temps, des examens
périodiques à tous les États membres».
3. Le 6 mars 2019, la commission de suivi a sélectionné quatre
pays, dont la Hongrie, en vue de préparer des rapports d'examen
périodique et en a informé le Bureau. Suite à certains problèmes
d'interprétation des règles régissant la procédure de sélection
et dans l'attente de l'avis de la commission du Règlement, des immunités
et des affaires institutionnelles, la commission de suivi a suspendu
la préparation de tous les rapports d'examen périodique et n'a repris
ses travaux que le 16 janvier 2020.
4. Par ailleurs, afin de prévenir toute erreur d’interprétation
ultérieure, les dispositions pertinentes relatives aux examens périodiques
contenues dans la
Résolution
1115 (1997) (telle que modifiée) ont été modifiées. Elles précisent
que la préparation et la soumission des rapports d’examen périodique
doit se faire en conformité avec l’article 26 du Règlement. La commission
de suivi déterminera l’ordre et la fréquence de ces rapports «selon
ses méthodes de travail internes, en opérant des choix motivés par
des raisons de fond, dans l’objectif de consacrer, au fil du temps,
des rapports d’examen périodique à tous les États membres».
5. Il est également précisé que lors de l’élaboration de ces
rapports, les autorités du pays concerné disposeraient d’une durée
de six semaines pour formuler leurs observations sur l’avant-projet
de rapport que la commission leur aura transmis. Enfin, l’Assemblée
a décidé que tout examen périodique devrait être préparé par deux
corapporteurs issus de pays et de groupes politiques différents,
à l’instar de l’ensemble des rapports de la commission de suivi,
exception faite des rapports annuels sur l’évolution de la procédure
de suivi.
6. C'est dans ce nouveau cadre applicable aux rapports d'examen
périodique que la commission de suivi a nommé MM. George Papandreou
(Grèce, SOC) et František Kopřiva (République tchèque, ADLE) corapporteurs
le 27 mai 2020. Suite à la démission de M. Kopřiva, M. Eerik-Niiles
Kross (Estonie, ADLE) a été nommé corapporteur le 14 décembre 2021.
7. Lors de la préparation de ce présent rapport, nous nous sommes
efforcés d’être aussi impartiaux que possible. En décembre 2020,
nous avons présenté à la commission de suivi nos propositions concernant
la portée de notre rapport et les domaines qu'il couvrirait, et
nous avons exposé notre approche et notre calendrier. Puis, nous
avons démarré nos activités par l’établissement d’un dialogue avec
la délégation hongroise que nous avons rencontrée lors d’une réunion
à distance le 1er février 2021. Nous
sommes convenus qu’il n’y aurait pas de discussion sur des textes
durant la présidence hongroise du Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe, soit entre mai et novembre 2021, et qu’il n’y aurait
pas de débat organisé à l’Assemblée à l’approche des élections législatives
prévues en Hongrie au mois d’avril 2022. Compte tenu de ces circonstances,
et du changement de rapporteur (voir ci-dessus), le Bureau a convenu
de prolonger la validité du mandat jusqu'au 12 octobre 2022.
8. Par ailleurs, nous avons demandé à la commission de tenir
plusieurs échanges de vue consacrés aux développements significatifs
intervenus en Hongrie. Tel a été le cas le 4 février 2021 où la
commission a discuté de la situation en Hongrie avec la participation
de M. Miklós Szánthó, Directeur du Centre pour les droits fondamentaux,
et M. András Léderer, Responsable de plaidoyer, Comité Helsinki
de Hongrie. Le 9 mars 2021, M. Nicolaas Bel, Directeur adjoint de
l’Unité Politique de la justice et État de droit de la Direction
générale de la justice et des consommateurs de la Commission européenne,
a présenté et discuté avec les membres de la commission le rapport
sur l’État de droit en Hongrie en 2020, préparé par la Commission
européenne. En outre, en février 2021, nous avons suggéré que la
commission demande à la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) un avis sur le paquet législatif
et constitutionnel adopté par le parlement hongrois en décembre
2020. La commission a accepté et la Commission de Venise a émis
un premier avis en juillet 2021, et un avis supplémentaire sur d'autres
dispositions de ce paquet en octobre 2021. Nous avons bien évidemment
pris en compte ces avis pour la préparation de ce rapport. Nous
avons également tenu des entretiens à distance sur le thème de la
liberté des médias les 12 et 13 avril 2021, avec une grande variété
d’experts présentés dans la partie 4.
9. L'avant-projet de rapport a été envoyé pour commentaires aux
autorités le 14 septembre 2021. La commission a reçu des commentaires
de Mme Zita Gurmai (Hongrie, SOC), membre
de l'opposition, le 30 novembre 2021. Les commentaires des autorités
ont été remis aux rapporteurs le 14 juin 2022 à Budapest. Des commentaires
supplémentaires ont été envoyés le 2 août 2022 et examinés par la
commission de suivi respectivement les 22 juin et 14 septembre 2022
.
10. Les 14 et 15 juin 2022, nous avons effectué une visite d'information
à Budapest, une visite attendue depuis longtemps et reportée en
raison de la pandémie et de la campagne électorale précédant les
élections législatives du 3 avril 2022. La visite a porté sur les
événements politiques les plus récents, le fonctionnement du système
judiciaire et les conséquences de la guerre en Ukraine sur les institutions
du pays, quatre mois après le début de l'agression russe contre
l'Ukraine. Nous remercions les autorités hongroises pour leur coopération
et leur hospitalité et pour avoir facilité le dialogue politique,
notamment en organisant des réunions d'information avec les secrétaires
d'État et présidents des hautes instances judiciaires. Nous avons
également eu des rencontres intéressantes avec des membres de l'opposition
aux niveaux local et national, ainsi qu'avec des militants de la
société civile et des représentants des médias.
11. Enfin, comme pour tout rapport élaboré au sein de notre commission,
nous nous sommes fondés sur les conclusions les plus récentes des
mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, sur les rapports pertinents
de l’Assemblée et de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, ainsi que sur les rapports établis par d’autres organisations
internationales, en particulier ceux de l’Union européenne, et de
la société civile. Nous avons également bien pris note des développements
intervenus au sein de l’Union européenne relatifs à la Hongrie pour
ce qui concerne les trois piliers du Conseil de l’Europe que sont
la démocratie, l’État de droit et les droits humains, et qui ont
un rapport direct avec notre travail
. En 2022, la Commission européenne
a publié son rapport sur l'État de droit contenant, pour la première
fois, des recommandations adressées au pays, en l'occurrence concernant
le système judiciaire, la lutte contre la corruption, les médias et
les organisations de la société civile
.
12. À la différence des rapports de suivi ou de post-suivi, ce
rapport ne se conçoit pas comme une étude exhaustive, mais comme
une analyse des évolutions intervenues en Hongrie eu égard aux normes
du Conseil de l’Europe, dans des domaines choisis, car particulièrement
significatifs. Le présent rapport met en lumière une série de préoccupations
et d'incertitudes qui ont été discutées avec les autorités hongroises
et qui devraient être traitées par le pays.
2. Informations générales et champ du
rapport
13. La Hongrie a adhéré au Conseil
de l'Europe le 6 novembre 1990, s'engageant à respecter les obligations qui
incombent à tout État membre en vertu de l'article 3 du Statut du
Conseil de l'Europe (STE n° 1) en matière de démocratie pluraliste,
d'État de droit et de droits humains. La Hongrie a été un État membre
actif du Conseil de l’Europe. Elle a été le premier ancien pays
communiste à ratifier la Convention européenne des droits de l'homme
(STE n° 5, «la Convention») en 1992. Au 26 juillet 2022, la Hongrie
avait ratifié 94 traités du Conseil de l'Europe et signé 19 traités
supplémentaires sans ratification
. En mai 2021,
la Hongrie a assumé la présidence du Comité des Ministres du Conseil
de l'Europe avec les priorités suivantes: renforcer la protection effective
des minorités nationales; le dialogue interreligieux soulignant
le rôle important du dialogue interculturel dans la lutte contre
l'intolérance; la «prochaine génération», avec un accent particulier
sur la protection des valeurs familiales, la politique de la jeunesse,
les droits des enfants, ainsi que l'inclusion sociale et les opportunités
pour les Roms et les gens du voyage; défis technologiques: justice
à l'ère numérique, intelligence artificielle et lutte contre la
cybercriminalité; et le thème «environnement: protection des paysages européens,
protection des habitats, droit fondamental à un environnement sain,
développement durable
». Les discussions sur les défis liés
à la numérisation et à l'intelligence artificielle ont culminé avec
l'approbation formelle du Deuxième Protocole additionnel à la Convention
sur la cybercriminalité (STE no 185,
2001, «Convention de Budapest») relatif au renforcement de la coopération
et de la divulgation des preuves électroniques (STCE n° 224) par
le Comité des Ministres le 17 novembre 2021.
14. Depuis l'accession au pouvoir, en 2010, de la coalition dirigée
par le Fidesz – Union civique hongroise et le Parti populaire chrétien-démocrate
(KDNP) avec une majorité parlementaire des deux tiers, le pays a connu
de profonds changements: une nouvelle constitution a été adoptée
en 2011 et plusieurs lois cardinales ont été approuvées. Le cadre
constitutionnel et législatif a été expertisé à de nombreuses reprises
par les mécanismes de suivi du Conseil de l'Europe et a notamment
conduit à l'adoption de 23 avis par la Commission de Venise en onze
ans. Nombre d'entre eux ont été préparés à la demande de l'Assemblée
sur des questions qu’elle jugeait préoccupantes, notamment en ce
qui concerne la liberté d'expression, la liberté de réunion, l'indépendance
du pouvoir judiciaire ou la situation des médias.
15. L'Assemblée a également suivi de près l'évolution de la situation
en Hongrie depuis 2011, débouchant sur un examen plus approfondi
du respect par la Hongrie des obligations découlant de son adhésion
au Conseil de l'Europe. En 2013, suite au débat basé sur le rapport
soumis par la commission de suivi, l'Assemblée décidait de ne pas
ouvrir la procédure de suivi à l'égard de la Hongrie mais se disait «profondément
inquiète de l’érosion de l’équilibre démocratique entre les différents
pouvoirs qui résulte du nouveau cadre constitutionnel en Hongrie»
et qui a introduit «une concentration excessive des pouvoirs, accru les
pouvoirs discrétionnaires et réduit à la fois l’obligation de nombreuses
institutions de l’État et d’organismes réglementaires de rendre
compte, et le contrôle légal auxquels ils sont soumis
». Dans la Résolution
2064 (2015) ultérieure «La situation en Hongrie suite à l'adoption
de la
Résolution 1941
(2013) de l'Assemblée», l'Assemblée demandait aux autorités
hongroises de «s’employer à régler les problèmes en suspens» et décidait
de mettre un terme à l’examen spécial de ces questions. Toutefois,
en 2017, l'Assemblée, dans sa
Résolution
2162 (2017) «Évolutions inquiétantes en Hongrie: projet de loi sur
les ONG restreignant la société civile et possible fermeture de
l’Université d’Europe centrale», a convenu que l’évolution de la
situation en Hongrie méritait «sa pleine et entière attention ainsi
que la mobilisation de la compétence du Conseil de l’Europe afin
d’aider les autorités hongroises à se conformer aux normes pertinentes
du Conseil de l’Europe et des instances internationales dans le
domaine de la liberté d’association et de la liberté d’expression»,
et a décidé de continuer à suivre de près les développements en
Hongrie. En janvier 2018, l'Assemblée a eu une nouvelle occasion
de discuter des développements en Hongrie lors du débat sur le rapport
d'examen périodique 2018 sur la Hongrie: l'Assemblée a adopté la
Résolution 2203 (2018) contenant des recommandations spécifiques adressées
à la Hongrie en lien avec les trois piliers du Conseil de l'Europe (démocratie,
droits humains et État de droit). Cette résolution sera utilisée
comme point de départ de notre rapport.
16. La Hongrie est également membre de l'Union européenne depuis
2004, et soumise de ce fait aux procédures prévues par les instances
de l’Union européenne dans le domaine de l'État de droit (qui, pour l'Union
européenne, couvre la démocratie, l'État de droit et les droits
fondamentaux). Ses préoccupations rejoignent souvent celles exprimées
par le Conseil de l'Europe. Le Parlement européen en particulier
a déclenché, le 12 septembre 2018, l'article 7.1 du Traité sur l'Union
européenne (TUE)
, une procédure activée lorsqu'il
existe «un risque clair de violation grave par un État membre des
valeurs visées à l'article 2 du TUE» (couvrant les valeurs fondatrices
de l'Union, telles que le respect de la dignité humaine, la liberté,
la démocratie, l'égalité, l'État de droit et le respect des droits
humains). Il appartient au Conseil de l’Union européenne, s'il est
saisi, d’apprécier l’existence de ce risque clair de violation grave
.
À la suite du déclenchement de la procédure de l'article 7.1 par
le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne a agi de
manière mesurée jusqu'à présent (il a organisé deux auditions, les
16 septembre et le 10 décembre 2019, dans le cadre du Conseil des
affaires générales, et deux autres le 22 juin 2021
et en 2022). Le
9 juillet 2019, cependant, dans le cadre du processus du Semestre
européen en vue du programme national de réforme de la Hongrie,
le Conseil de l'Union européenne a recommandé à la Hongrie de prendre
des mesures pour: «Consolider le cadre de lutte contre la corruption,
notamment en renforçant les poursuites et l’accès aux informations
publiques, et à défendre l’indépendance de la justice; améliorer
la qualité et la transparence du processus de prise de décision,
par l’intermédiaire d’un dialogue social et d’une coopération véritables
avec d’autres parties intéressées, ainsi que par la réalisation
régulière d’analyses d’impact appropriées
».
17. En 2020, la Commission européenne a publié son premier rapport
sur l'État de droit dans les États membres de l'Union européenne,
dans le cadre du mécanisme européen de l'État de droit
. Ce mécanisme prévoit un dialogue
annuel entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen
avec les États membres ainsi que les parlements nationaux, la société
civile et d'autres parties prenantes sur l'État de droit. La commission
de suivi a pu prendre connaissance du rapport lors d'un échange
de vues avec le représentant de la Commission européenne le 9 mars
2021. Le rapport vise à identifier le plus tôt possible les éventuels problèmes
liés à l'État de droit, ainsi que les meilleures pratiques. Les
domaines couverts comprennent le système judiciaire, le cadre de
lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias,
ainsi que d'autres questions institutionnelles liées aux freins
et contrepoids. La Commission européenne est également habilitée
à lancer des procédures d'infraction. Dix procédures sont actuellement
ouvertes contre la Hongrie dans le domaine de la justice, des droits
fondamentaux, de la liberté et de la sécurité. Quatre de ces procédures
ont été engagées en 2021, et deux en 2022
. La dernière procédure
d'infraction à ce jour concerne le non-respect de la réglementation
européenne antifraude et a été ouverte le 20 mai 2022. Le 27 avril
2022, la Commission européenne a déclenché le mécanisme de conditionnalité
de l'État de droit qui permet à l'Union européenne de suspendre
un financement lorsqu'il existe un risque concernant le respect
de l'État de droit
.
18. Nous avons également pris note des modifications introduites
dans les mécanismes de protection des droits de l'homme en Hongrie:
en 2021, le Bureau du Commissaire aux droits fondamentaux a récupéré
les compétences de l'Autorité pour l'égalité de traitement. Le Commissaire
aux droits fondamentaux est élu par le parlement à la majorité des
deux tiers. Il/elle peut déclencher le contrôle d'une loi par la
Cour constitutionnelle. La Commission de Venise a fait part de ses
inquiétudes concernant cette fusion, déclarant qu'il existe un risque qu’elle
puisse nuire à l'efficacité du travail dans le domaine de la promotion
de l'égalité et de la lutte contre la discrimination
. Des ONG telles qu'Amnesty International
ont également soulevé des inquiétudes quant à son efficacité
. En septembre 2021, l'Alliance mondiale
des institutions nationales des droits de l'homme – qui classe les
institutions nationales de protection des droits de l'homme – a
rétrogradé le Commissaire aux droits fondamentaux du rang A au rang
B
.
19. Une autre caractéristique frappante que nous avons relevée
est la concentration des pouvoirs observée dans plusieurs domaines,
comme nous le décrirons dans ce rapport, tels que le pouvoir judiciaire,
les médias, le secteur de l’éducation, ainsi que l’affaiblissement
de l’autonomie locale. Cela a été noté, avec préoccupation, par
le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe;
il a appelé les autorités hongroises à «inverser la tendance à la
centralisation, et en particulier cesser d’attribuer des compétences
locales à l'administration publique» et à «limiter les ingérences
des autorités de l’État dans les fonctions municipales»
. En
conséquence de cette tendance, le portefeuille du ministre de l’Intérieur
inclut également, depuis 2022, les domaines de l’éducation, de la
politique sociale et de la santé
.
20. La décision de la commission de suivi de l'Assemblée de préparer
un rapport d'examen périodique sur la Hongrie offre donc une nouvelle
opportunité pour dialoguer avec les autorités afin de faire le point
sur les progrès accomplis et d'aborder les questions préoccupantes
les plus urgentes. Conformément aux propositions faites le 30 novembre
2020 par les rapporteurs de l'Assemblée désignés pour préparer les rapports
d'examen périodique, et approuvées par la commission de suivi en
décembre 2020, nous avons décidé de nous concentrer sur les questions
qui ont un impact sur le fonctionnement des institutions démocratiques,
et d'en évaluer l’impact sur (ou l’entrave à) l'exercice des libertés
fondamentales. Par conséquent, nous avons décidé de concentrer ce
rapport sur trois questions principales, à savoir les questions de
bonne gouvernance, l'indépendance du pouvoir judiciaire et la situation
des médias, qui semblent être des éléments essentiels pour le fonctionnement
des institutions démocratiques.
21. Nous tenons à souligner que le présent rapport ne vise pas
à examiner la politique extérieure de la Hongrie ou ses positions
au sein de l'Union européenne, ce qui dépasserait manifestement
le cadre de notre mandat. Cependant, au cours de notre visite à
Budapest, nous avons été abondamment informés par les autorités
des questions qu'elles jugeaient importantes pour comprendre le
contexte général, à savoir la nécessité de sauvegarder la nationalité,
l'identité et la sécurité hongroises et de préserver les intérêts économiques
de la Hongrie dans le contexte régional actuel. Nous avons également
été informés de la vision de la Hongrie en matière d'intégration
européenne et d'unité européenne. Le Premier ministre a ensuite présenté
sa vision d'une «décennie d'incertitudes et de guerres» le 23 juillet
2022, lors de son discours à l'université libre d'été de Bálványos,
qui a suscité des controverses: la référence au «mélange des races» soulève
de sérieuses questions quant à la conformité de cette vision aux
valeurs européennes
.
22. Il en résulte qu’un certain nombre de questions jugées préoccupantes
par les mécanismes de suivi du Conseil de l'Europe ne seront pas
traitées spécifiquement dans le présent rapport. Toutefois, il nous
a semblé nécessaire de mentionner certaines des questions les plus
importantes qui avaient été abordées dans les précédents rapports
de l'Assemblée, et de fournir ici des informations actualisées.
Ces questions concernent les migrations, l'égalité entre les sexes,
la liberté d'association, les libertés académiques et la situation
des ONG.
2.1. Questions
de migration
23. La Hongrie a été confrontée
depuis 2015 à d'énormes défis suite aux arrivées massives de migrant·e·s et
de réfugi·é·s. La situation dans les «zones de transit» a retenu
l'attention de plusieurs organes de suivi du Conseil de l'Europe:
en 2018, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(
ECRI) a regretté que sa recommandation de 2015 d'utiliser
des structures d'accueil ouvertes soit restée lettre morte et a demandé
aux autorités de mettre fin, de toute urgence, à la détention dans
les zones de transit, en particulier pour les familles avec enfants
et les mineur·e·s non accompagné·e·s
. Le Comité pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(
CPT) a recommandé en 2018 aux autorités de revoir fondamentalement
leur politique en matière de détention des ressortissant·e·s étranger·e·s
dans les zones de transit (notamment à Röszke et Tompa) et, en priorité,
de mettre fin à l'hébergement des mineur·e·s non accompagné·e·s
dans ces zones. Le CPT a également souligné le risque d'être soumis
à des mauvais traitements physiques auquel sont confrontés les migrant·e·s
en situation irrégulière appréhendé·e·s par les policiers hongrois,
demandant aux autorités de mettre fin aux «refoulements» vers le
côté serbe de la frontière, soulignant l'absence de procédure permettant
d'évaluer le risque de mauvais traitements suite aux éloignements
forcés
. En 2019,
le Comité des parties à la Convention du Conseil de l'Europe pour
la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels
(le
Comité
de Lanzarote) a déterminé que les enfants dans les zones de transit
continuaient à être confrontés au risque de devenir des victimes
de l’exploitation sexuelle et d’abus sexuels a déploré l'absence
de mesures efficaces prises pour protéger les enfants migrants et
demandeurs d'asile contre ces risques dans les zones de transit
à la frontière serbo-hongroise
. Le Groupe d'experts contre
la traite des êtres humains (
GRETA) a préparé en 2018 un rapport en vertu de l'article
7 de son règlement, c'est-à-dire après avoir reçu «des informations
fiables indiquant une situation dans laquelle des problèmes requièrent
une attention immédiate afin de prévenir ou de limiter l'ampleur
ou le nombre de violations graves de la Convention», ce qui peut
donner lieu à «une demande urgente d'informations à une ou plusieurs
parties à la Convention». Le GRETA a appelé les autorités hongroises
à déployer des efforts supplémentaires pour identifier de manière
proactive les victimes et les victimes potentielles de la traite
parmi les migrant·e·s et les demandeur·e·s d'asile, y compris dans
les zones de transit
.
24. Ces préoccupations ont également été énoncées dans le rapport
2019 de la Commissaire aux droits de l'homme, Mme Dunja
Mijatović, qui a constaté que la «position négative à l'égard de
l'immigration et des demandeur·e·s d'asile adoptée par le Gouvernement
hongrois depuis 2015 a abouti à un cadre législatif qui a compromis
l'accueil et la protection des demandeur·e·s d'asile et l'intégration
des réfugié·e·s reconnu·e·s». Dans le cadre de la «‘situation de
crise due à l'immigration de masse’, décrétée par le gouvernement
en septembre 2015 et toujours en vigueur malgré la forte diminution
du nombre de demandeur·e·s d'asile en Hongrie et dans l'ensemble
de l'Union européenne, une législation et des règles extraordinaires
s'appliquent dans le traitement des demandeur·e·s d'asile en violation
du droit européen et international et des normes relatives aux droits
humains». Elle a appelé le gouvernement à abroger le nouveau motif
d'irrecevabilité pour l'asile qui a entraîné le rejet quasi systématique
des demandes d'asile, tout en demandant une enquête efficace sur
les allégations de recours excessif à la violence par la police
lors des renvois forcés de ressortissants étrangers. Elle a également
exprimé sa profonde inquiétude concernant «la position anti-immigrés
du gouvernement hongrois [qui] alimente les attitudes xénophobes,
la peur et la haine au sein de la population», ce qui a «un effet
néfaste sur l'intégration des réfugiés reconnus en Hongrie
».
25. Enfin, ces violations de droits ont été corroborées par la
Cour européenne des droits de l'homme qui a constaté, le 2 mars
2021, de multiples violations des droits d’une famille de demandeurs
d'asile lors de leur séjour dans la zone de transit de Röszke pendant
plusieurs mois en 2017
:
le manque de nourriture fourni au père et les conditions de séjour
de la mère enceinte et des trois enfants avaient entraîné une violation
de l'article 3 de la Convention, qui interdit les traitements inhumains
et dégradants. La Cour a également déclaré que le séjour des migrants
dans la zone de transit constituait une privation de liberté
de facto, interdite par l'article
5.1, et que le droit de la famille à ce qu'un tribunal statue rapidement
sur la légalité de sa détention (article 5.4) était également violé.
Dans une affaire précédente (
Ilias et
Ahmed c. Hongrie, requête n° 47287/15), la Grande Chambre
a conclu le 21 novembre 2019 que l'article 5 de la Convention ne
s'appliquait pas, alors que la Chambre avait précédemment conclu
à la violation des articles 5.1 et 5.4 de la Convention car le confinement
du requérant dans la zone de transit hongroise de Röszke, à la frontière
avec la Serbie, s'apparentait à une privation de liberté et que
cette mesure n'avait fait l'objet d'aucune décision formelle motivée
ni d'aucun contrôle par les tribunaux. La Chambre et la Grande Chambre
ont toutes deux conclu à une violation de l'article 3 du fait que
les requérants avaient été renvoyés en Serbie sans examen approprié
de leur accueil dans ce pays, mais à aucune violation de l'article
3 en ce qui concerne les conditions dans la zone de transit (qui
ne constituaient pas un traitement inhumain ou dégradant) car l'hygiène,
la nourriture et les soins médicaux étaient suffisamment décents
.
26. Pour ce qui concerne l'Union européenne, la Cour de justice
de l'Union européenne (évaluant la situation telle qu'elle était
en 2018), a jugé, le 17 décembre 2020, que la Hongrie n'avait pas
respecté le droit de l'Union européenne en restreignant l'accès
à la procédure de protection internationale, en renvoyant les migrant·e·s dans
une zone frontalière et en rendant pratiquement impossible l'introduction
de demandes d'asile par des ressortissant·e·s de pays tiers
. La Cour
de Justice de l’Union européenne a également confirmé un arrêt antérieur
selon lequel le fait que la Hongrie oblige les demandeur·e·s à rester
dans l'une des zones de transit pendant la durée de la procédure
«constitue une détention». La Cour a conclu que le fait de restreindre
l'accès à la protection internationale, de détenir illégalement
des demandeur·e·s d'asile dans des zones de transit et de reconduire
des ressortissants de pays tiers en situation illégale vers le côté
serbe de la frontière sans «respecter au préalable les procédures
et les garanties prévues par cette directive» constitue une violation
des lois de l'Union européenne. À la suite de cet arrêt, l'agence
européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex a décidé,
le 15 janvier 2021, de suspendre ses opérations conjointes le long
de la frontière hongroise, et n'y retournera pas tant que la Hongrie
ne se sera pas pleinement conformée à l'arrêt de la Cour de Justice de
l’Union européenne en ce qui concerne le traitement des demandeur·e·s
d'asile. La Commission européenne, qui considère que le fait que
la Hongrie n’applique pas l'arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne
constitue une violation de l'État de droit, a décidé, le 12 novembre
2021, de demander à la Cour d'infliger des sanctions financières
. Le 15 juillet 2021, la Commission
européenne a également intensifié sa procédure d'infraction à l'encontre
de la Hongrie concernant l'introduction de restrictions illégales
pour l'accès à la procédure d'asile et a saisi la Cour
.
27. Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a
eu un impact important en Hongrie et a déclenché l'une des plus
grandes opérations de secours humanitaire nationales
visant à aider les réfugiés et les
personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine. Nous avons été informés
des mesures prises pour accueillir les réfugiés hongrois. Depuis
le 24 février 2022 jusqu'à la mi-juin 2022, environ 1 566 000 personnes en
provenance d'Ukraine sont entrées en Hongrie, dont plus de 780 000
remplissent les conditions requises pour le statut de réfugié. Le
pays a fourni des fournitures médicales, de la nourriture, de l'eau,
des produits d'hygiène, des produits de puériculture, du carburant
et d'autres produits essentiels. Il a dépensé 104 millions € (40
milliards HUF) pour faire face à la crise humanitaire en Ukraine
et faire des dons d'aide humanitaire, notamment à la région ukrainienne
de Transcarpatie, où vivent environ 150 000 Hongrois selon le dernier recensement
de 2001, à la demande de son gouverneur. Le pays s'est également
engagé à fournir une aide d'un montant de 14 milliards HUF (37 millions
€) lors de la conférence internationale des donateurs de Varsovie,
le 5 mai 2022
. Nous avons discuté de cette
situation difficile lors de notre visite à Budapest, et nous avons
félicité les Hongrois, qui ont su gérer l'arrivée massive de réfugiés
d'Ukraine dans un esprit de grande solidarité.
28. Les autorités se sont engagées à accepter tous les réfugiés
fuyant la guerre en Ukraine, indépendamment de leur origine ethnique,
de leur nationalité ou de leur visa. Dans la lettre qu'elle a adressée à
M. Pintér, ministre de l'Intérieur, la Commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe, Mme Dunja Mijatovic,
a exprimé «sa profonde reconnaissance aux autorités et au peuple
hongrois pour la solidarité et la générosité dont ils ont fait preuve
en maintenant une politique d'ouverture des frontières et en accueillant
tous ceux qui fuient la guerre en Ukraine», notant toutefois que
seuls quelque 23 000 enregistrements de protection temporaire avaient
été reçus au 1er juin 2022. Elle s'est
donc félicitée de la décision des autorités «d'étendre l'accès aux
prestations accordées aux titulaires d'une protection temporaire
également aux citoyens hongrois fuyant la guerre en Ukraine qui,
faute de résidence légale en Hongrie, ne sont pas en mesure d'obtenir
des prestations de sécurité sociale» – «beaucoup de ceux qui fuient
l'Ukraine et décident de rester en Hongrie sont d'origine rom, y
compris de nombreux Roms magyarophones ayant la double citoyenneté
ukrainienne et hongroise». [citations traduites]
29. Dans le même temps, la Commissaire s'est déclarée profondément
préoccupée par la situation des «ressortissants de pays tiers et
des apatrides qui sont exclus du régime de protection temporaire
et qui, en raison de la persistance de la ‘crise migratoire de masse’
annoncée en septembre 2015, n'ont pas la possibilité de demander
une protection internationale ou l'asile en Hongrie (sauf s'ils
en font la demande à l'ambassade de Hongrie à Kyiv). Cette situation
montre à quel point «le cadre législatif relatif à l'asile actuellement
en place en Hongrie est inapproprié et non viable» et condamne les
réfugiés sans titre légal à être renvoyés en Serbie
. La Commissaire a également déploré
«la persistance des propos tenus par les représentants du gouvernement
qui considèrent que les Ukrainiens sont de «véritables réfugiés»
et que ceux qui fuient les atrocités et la guerre ailleurs ne sont
que des migrants économiques», ce qui est regrettable et particulièrement problématique
en l'absence d'une procédure d'asile équitable et efficace, qui
aurait précisément pour fonction d'évaluer, dans chaque cas individuel,
s'il y a un besoin de protection
». Les préoccupations concernant
les discriminations entre les réfugiés ukrainiens et non ukrainiens
ont également été reprises par les ONG
. [citations traduites]
2.2. Questions
relatives au genre
30. Les questions liées au genre
ont fait l'objet de nombreux débats. Le gouvernement a indiqué son
soutien au principe stratégique de l'égalité entre les hommes et
les femmes, mais il renvoie à la Loi fondamentale qui privilégie
la protection des familles
; les autorités contestent le concept
de genre (en tant que construction sociale). Les autorités soulignent
également souvent que le peuple hongrois est souverain dans ses
choix de société. Pour notre part, nous nous concentrerons sur ces
questions du point de vue du respect des obligations de la Hongrie
envers le Conseil de l'Europe, sur la base des conclusions de ses
mécanismes de suivi.
31. La Hongrie a signé en mars 2014 la Convention d'Istanbul pour
prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes et la violence
domestique, qui est considérée par l'ONU comme un «étalon-or» dans
ce domaine. En 2019, la Commissaire aux droits de l'homme a exhorté
les autorités hongroises à ratifier la convention, tout en saluant
l'intention du gouvernement de préparer une nouvelle stratégie nationale
sur l'égalité entre les femmes et les hommes et les efforts des
autorités pour développer les services de soutien aux victimes de
violences. Mme Mijatović a également
appelé les autorités à remédier à la représentation inégale des
femmes dans la vie publique
par des mesures
positives, et à prendre des mesures déterminées pour éradiquer les
stéréotypes sexistes dans les supports pédagogiques
. Cependant,
le 5 mai 2020, le Parlement hongrois a rejeté la ratification de
la Convention d'Istanbul et soutenu la «Déclaration politique n.2/2020
(V.5.) de l'Assemblée nationale sur l'importance de la protection
des enfants et des femmes et le refus de l'adhésion à la Convention
d'Istanbul soutenue par le gouvernement, au motif que la Convention encourageait
les «idéologies de genre destructrices», la «migration illégale»
et mettait en danger le modèle familial traditionnel
. Même si les États membres
sont souverains lorsqu’ils choisissent de ratifier des traités internationaux,
il n'en reste pas moins regrettable que ce récit trompeur ait empêché
la société hongroise d'adhérer à une convention historique visant
à fournir les normes les plus élevées pour la protection des femmes
et des enfants. Nous renvoyons à cet égard aux rapports débattus
par l'Assemblée précédemment
.
32. Un autre sujet de préoccupation concerne les droits des personnes
LGBTI. En 2020, la Commissaire aux droits de l'homme s'est alarmée
de l'apparente escalade de la stigmatisation des personnes LGBTI
et de la manipulation de leur dignité et de leurs droits à des fins
politiques
. La Commission de Venise,
pour sa part, a noté en 2021 «une tendance générale à l'exclusion
et à la dégradation des personnes non hétérosexuelles en Hongrie».
En mai 2020, le Parlement hongrois a interdit la reconnaissance
légale du genre. Une série de lois a été adoptée dans ce domaine
au cours de la dernière décennie: si l'institution des partenariats enregistrés
a été introduite en 2009, la Constitution de 2011 prévoit que le
mariage est réservé aux couples de sexe opposé, inscrivant ainsi
l'impossibilité légale du mariage homosexuel dans la Loi fondamentale.
Les études sur le genre ont été exclues dans les universités hongroises
en 2018
. En octobre
2020, une disposition de la loi CLXV a rendu extrêmement difficile
l'adoption d'enfants par des célibataires ou des couples non mariés
de même sexe ou de sexe opposé, selon les interlocuteurs rencontrés
par la Commission de Venise
. Les autorités ont toutefois contesté
cette «exagération», soulignant que toutes les personnes éligibles
(c'est-à-dire les couples mariés et les particuliers) sont autorisées
à adopter un enfant, et que la décision du ministre chargé de la
politique de l'enfance et de la jeunesse est fondée sur «un processus administratif
clair et transparent auquel participent les experts et les responsables
de l'Autorité de tutelle», dont les décisions peuvent être contestées
devant les tribunaux. Depuis mars 2021, l'Autorité de tutelle a
répondu positivement à toutes les demandes faites par 54 femmes
et 2 hommes
.
33. Plus récemment, l'adoption, le 23 juin 2021
, de la loi LXXIX relative
à la protection de l'enfance a suscité de sérieuses protestations.
Comme l'a indiqué la Commission de Venise dans son avis de décembre 2021: «Ces
amendements ont pour effet d’interdire toute représentation ou discussion
des diverses identités de genre et orientations sexuelles dans la
sphère publique, y compris dans les écoles et les médias, en interdisant
ou en limitant l’accès aux contenus qui ‘propagent ou présentent
une divergence par rapport à l’identité personnelle correspondant
au sexe à la naissance, au changement de sexe ou à l’homosexualité’ pour
les personnes de moins de 18 ans
.» Le rapporteur général de l'Assemblée
sur les droits des personnes LGBTI, Fourat Ben Chikha, a souligné
que cette position était en contradiction avec les obligations des
États énoncées par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe
dans sa recommandation
CM/Rec
(2010) 05 , à
laquelle il convient de rajouter la position de la Commission de
Venise de 2013 sur la question de l’interdiction de la «propagande
homosexuelle
». Le 22 juin 2021, 18 États membres
de l'Union européenne
ont
cosigné une déclaration en marge de la réunion du Conseil des Affaires
générales pour exprimer leur vive inquiétude face aux changements
introduits par la Loi LXXIX «qui sont discriminatoires à l'égard
des personnes LGBTQI et violent le droit à la liberté d'expression
sous le prétexte de protéger les enfants
».
Le Parlement européen a également exprimé sa plus vive préoccupation
le 8 juillet 2021 suite à l’adoption de cette loi
. Suite au lancement d'une procédure
d'infraction par la Commission européenne le 15 juillet 2021
,
qui a été considéré comme une «attaque de Bruxelles», le Premier
ministre Orbán a annoncé qu'un référendum serait organisé sur cette
question. L'opposition a appelé à son boycott
. Ce
référendum a eu lieu le 3 avril 2022, mais a été déclaré invalide
car le seuil de 50 % de réponses valides n'avait pas été atteint
, notamment
en raison d'un appel de différentes ONG à invalider le référendum
. Cependant,
le gouvernement a estimé que le référendum ne l’engageait pas et
qu'il n'avait pas l'intention d'abroger la loi sur la «protection
des enfants».
34. La Commission de Venise a évalué la compatibilité avec les
normes internationales relatives aux droits de l'homme de la loi
LXXIX modifiant certaines lois relatives à la protection des enfants.
Elle a conclu que, «à la lumière des recommandations antérieures
de la Commission de Venise et de la jurisprudence antérieure de la
Cour européenne des droits de l'homme concernant la «propagande
de l'homosexualité», les amendements peuvent difficilement être
considérés comme compatibles avec la Convention et les normes internationales
en matière de droits de l'homme». La Commission de Venise a formulé
des recommandations clés et a demandé, entre autres, de «modifier
le titre de la loi [...] afin d’éviter de laisser entendre que la
représentation ou la propagation de diverses orientations sexuelles
et identités de genre peuvent être considérées comme de la pédophilie
et des atteintes aux droits des enfants»; d'abroger ou de modifier
les amendements niant les droits des personnes transgenres; et d'«abroger
les amendements concernant la ‘propagation ou la représentation d’une
divergence par rapport à l’identité personnelle correspondant au
sexe de naissance, au changement de sexe ou à l’homosexualité’ [...]
ou au moins à les limiter à une représentation non objective, obscène
ou pornographique
».
35. Les autorités, quant à elles, ont souligné que le programme
national de base (NCC), qui avait été révisé en septembre 2020,
prescrit «le plein respect des droits de l'homme tout au long du
cycle éducatif, y compris le respect de l'égalité, de la démocratie
et de la diversité religieuse ainsi que la connaissance des notions
de base concernant l'égalité entre les sexes et la lutte contre
les discriminations», de manière que le thème de l’égalité entre
les sexes traité dans les manuels «reçoive un rôle proportionné
à l'importance du sujet» et que la liste autorisée des manuels «ne
contienne aucun texte, figure ou photo qui violerait l'égalité des
sexes». Les manuels autorisés par les autorités éducatives sont
«exempts de contenu (déclaration, figure, photo, graphique, etc.)
qui viole l'exigence d'égalité de traitement, d'égalité entre les
sexes et renforce l'inégalité des chances
».
36. En décembre 2020, le Parlement hongrois a adopté le neuvième
amendement à la Constitution. Celui-ci comprenait des dispositions
relatives aux questions familiales (considérant le mariage comme
l'union d'un homme et d'une femme, ajoutant que «la mère est une
femme, le père est un homme») qui, selon la Commissaire aux droits
de l'homme, pourraient avoir «des effets négatifs de grande portée
sur les droits humains
». Compte tenu de ces préoccupations,
la commission de suivi a demandé un avis à la Commission de Venise,
qui a été adopté en juillet 2021
.
37. Dans son avis, la Commission de Venise a recommandé aux autorités
hongroises d'être «extrêmement prudentes dans l'interprétation et
l'application des amendements constitutionnels de manière que le
principe de non-discrimination pour tous les motifs, y compris l'orientation
sexuelle, soit pleinement mis en œuvre conformément aux normes internationales
et aux garanties constitutionnelles et législatives hongroises»: l'amendement
stipulant que «la Hongrie protège le droit des enfants à une identité
propre correspondant à leur sexe à la naissance» devrait être «abrogé
ou modifié pour garantir qu'il n'a pas pour effet de nier les droits
des personnes transgenres à la reconnaissance légale de leur identité
de genre acquise
».
Bien qu'il n'existe pas de normes européennes définissant le mariage,
la compatibilité de l'amendement définissant l'union avec l'article
8 de la Convention européenne des droits de l'homme (droit au respect
de la vie privée et familiale) et l'article 14 (interdiction de
la discrimination) pris conjointement avec l'article 8 de la Convention
dépendra principalement de ce qui est autorisé par la loi: «[d]es
problèmes en vue de l'interdiction de la discrimination en vertu
de la CEDH se poseraient si la Hongrie autorisait, dans son droit
de la famille, les adoptions par des parents célibataires, bien
que seulement hétérosexuels, ou les adoptions par des couples non
mariés, bien que seulement hétérosexuels. Cet amendement constitutionnel
ne devrait pas être utilisé comme une opportunité pour retirer les
lois existantes sur la protection des individus qui ne sont pas
hétérosexuels, ou pour modifier ces lois à leur désavantage». Des
critères clairs devraient être établis pour limiter le pouvoir discrétionnaire
du ministre des Affaires familiales de donner ou de refuser son
consentement à l'adoption par des personnes célibataires. La Commission
de Venise conclut qu’il existe «un danger réel et immédiat que les amendements
renforcent encore une attitude selon laquelle les modes de vie non
hétérosexuels sont considérés comme inférieurs, et qu'ils alimentent
davantage une atmosphère hostile et stigmatisante à l'encontre des
personnes LGBTQI
».
38. En janvier 2022, l’Assemblée a invité instamment les autorités
hongroises à «abroger avec effet immédiat toutes les mesures adoptées
en mai 2020, en décembre 2020 et en juin 2021 qui empêchent les personnes
qui en ont besoin d’obtenir la reconnaissance juridique de leur
identité de genre, qui empêchent les enfants d’obtenir la reconnaissance
de leur identité de genre lorsque celle-ci est différente du sexe
qui leur a été assigné à la naissance, qui empêchent l’adoption
d’un enfant par toute personne autre que les couples hétérosexuels
mariés, qui empêchent l’accès à une éducation sexuelle complète
et qui interdisent la représentation des identités trans et de l’homosexualité».
Comme il est indiqué dans l’Avis no 1059/2021
de la Commission de Venise, ces amendements «contribuent à créer
un environnement menaçant où les enfants LGBTQI peuvent être soumis
à des risques liés à la santé, à des brimades et à du harcèlement
».
2.3. Liberté
d'association, liberté académique et situation des ONG
39. Les autorités hongroises reconnaissent
«la contribution vitale des organisations non gouvernementales à
la promotion de valeurs et d'objectifs communs (plus de 60 000 organisations
non gouvernementales exercent des activités en Hongrie)». Ces deux
dernières années, des modifications législatives ont été apportées
pour «simplifier l'enregistrement et modifier les procédures d'enregistrement
des associations et des fondations et alléger les charges administratives
qui pèsent sur les demandes de subventions des ONG
».
40. Comme l'indiquent cependant plusieurs rapports de l'Assemblée
et avis de la Commission de Venise, l'environnement de travail des
ONG est devenu difficile, à commencer par le changement radical
de l'environnement de financement entre 2011 et 2012 et, à partir
de cette date (avec la réduction des subsides publics et la modification
de leurs mécanismes de distribution), la stigmatisation des financements
étrangers et le lancement, début 2018, d'un programme baptisé «Stop
Soros»
censé
freiner l'immigration illégale. Les avis émis par la Commission
de Venise cette année-là ont établi que la législation hongroise
n'était pas conforme aux normes du Conseil de l’Europe:
- La «taxe sur l'immigration»
est une taxe de 25 % (1) sur le soutien financier à une activité
de soutien à l'immigration menée en Hongrie ou (2) sur le soutien
financier aux opérations de toute organisation ayant un siège en
Hongrie qui mène une activité de soutien à l'immigration. L'avis
conjoint de la Commission de Venise et du Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE) a conclu que «l'effet
de la législation introduisant la taxe spéciale sur l'immigration
représente une restriction inutile et disproportionnée de la liberté
des associations de déterminer leurs objectifs et activités et donc
une interférence disproportionnée avec leur droit à la liberté d'association ». La «taxe sur l’immigration» est toujours
en vigueur;
- Le paquet législatif dit «Stop Soros» porte sur l'organisation
de l'assistance offerte par toute personne au nom d'organisations
nationales, internationales et non gouvernementales aux personnes
souhaitant demander l'asile. La Commission de Venise a critiqué
le projet d'article 353A du code pénal et ses effets sur le travail
des ONG en matière d'immigration: «Il criminalise les activités
organisationnelles qui ne sont pas directement liées à la matérialisation
de l'immigration illégale, telles que ‘la préparation ou la distribution
de matériel d'information’. D’une part, cela va à l’encontre de
la mission d’assistance aux victimes assurée par les ONG, limitant
de manière disproportionnée les droits garantis par l’article 11
de la CEDH, et d’autre part, le projet érige en infraction pénale
les actions militantes et les activités de campagne, ce qui constitue
une ingérence illégitime dans la liberté d’expression garantie par
l’article 10 de la CEDH .» En novembre 2019, la Commission
européenne a assigné la Hongrie devant la Cour de justice au titre
de cette législation . Dans une décision du 16 novembre
2021, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la loi
«Stop Soros» et la pénalisation de l'assistance à la présentation d'une
demande d'asile enfreignaient le droit de l'Union ;
- Le projet de loi sur la transparence des organisations
recevant un soutien de l'étranger (dite «Lex NGOs» ou «Lex Soros»,
adoptée en juin 2017) a été examiné par la Commission de Venise
dans un contexte où certaines ONG recevant un soutien de l'étranger
étaient qualifiées publiquement par certains membres de la coalition
au pouvoir d'agents étrangers ». La Commission
de Venise a émis plusieurs réserves concernant le projet de loi
au vu du contexte et du contenu du projet de loi . La Cour de justice a estimé en juin 2020
que la législation sur la transparence des organisations de la société civile
financées par l'étranger est incompatible avec le droit de l'Union
européenne car les obligations constituaient une restriction à la
libre circulation des capitaux, tandis que ses mesures créaient
un climat de méfiance à l'égard de ces associations et fondations . Le 18
février 2021, la Commission européenne a donné deux mois à la Hongrie
pour modifier sa loi sur les organisations civiles financées par
l'étranger, sous peine de se voir infliger de lourdes amendes. Le
gouvernement a finalement abrogé la loi le 22 avril 2021 , confiant à l'Office
d'audit de l'État la responsabilité de faire un rapport annuel sur les
associations et les fondations dont le bilan dépasse 20 millions
de HUF (55 200 €) par an, à l'exception des organisations sportives,
religieuses et nationales. C'est un autre sujet de préoccupation pour
les ONG aujourd'hui .
41. En 2017, 37 ONG de premier plan ont uni leurs forces et créé
la «coalition Civilisation» afin «d'agir contre le rétrécissement
de l'espace civil et de travailler activement afin d'accroître les
possibilités de participation démocratique et la diversité de la
société civile
». L'environnement
de travail reste difficile; l'organisation Civicus l'a qualifié
d'«obstrué», une note attribuée aux pays où l'espace civique est
fortement contesté par les détenteurs du pouvoir, qui imposent une
combinaison de contraintes juridiques et pratiques à la pleine jouissance
des droits fondamentaux
.
42. En février et mars 2022, 14 ONG hongroises ont mené une campagne
nationale dirigée par Amnesty International et la Hatter Society
contre le référendum sur la loi relative à la «protection des enfants»
(en vue de son invalidation). Cinq jours après l'invalidation du
référendum (moins de 47,3% des voix étaient valides, en dessous
du seuil de 50%), la Commission électorale nationale (CEN) a infligé
des amendes (totalisant près de 9 millions HUF, soit près de 24
000 €) à ces 14 ONG. Elle a estimé que les ONG avaient violé l'esprit
des lois relatives aux élections et aux référendums, ainsi que le
principe du «bona fidae et de l’exercice effectif des droits» dans
les procédures électorales et référendaires nationales. Tout en
reconnaissant qu'il est légal de voter blanc lors d'un référendum,
la CEN a déclaré que «la campagne référendaire ne doit pas viser
à inciter les gens à voter blanc, car cela non seulement sape mais
aussi compromet l'objectif constitutionnel de l'exercice direct
du pouvoir et la volonté législative qui le sous-tend.» Les ONG
ont fait appel de cette décision. La Curia a annulé la plupart des
décisions de la CEN, estimant que, hormis les erreurs de procédure
de cette commission, les ONG exerçaient légalement leur liberté
d'expression, et qu'il n'existait aucune raison légale pour que
la CNE restreigne ce droit fondamental. Cependant, la Curia a confirmé
les amendes infligées à Amnesty International et à la Hatter Society
, et leur recours devant la Cour constitutionnelle
a été déclaré irrecevable le 22 avril 2022. Les ONG craignent que
ces décisions n'aient un effet dissuasif sur les organisations de
la société civile et ne les empêchent de participer à des campagnes
publiques similaires. Elles ont également soulevé la question de
savoir si la légalité d'une campagne pour un référendum invalide
serait garantie à l'avenir. Enfin, elles ont déploré les attaques
des médias publics à l'encontre d'un juge statuant en faveur de
la société civile et le manque de soutien des principaux acteurs
du système judiciaire (présidents de la Curia ou de l'Office national
de la justice) qui pourraient nuire à la perception de l'indépendance
de la justice hongroise
.
43. La situation des universités a également attiré l'attention
de l'Assemblée. Pour mémoire, en 2017, l'Assemblée avait exprimé
ses préoccupations au sujet des amendements à la loi sur l'enseignement
supérieur national (dite «lex CEU») qui visaient le fonctionnement
des universités étrangères en Hongrie et statuaient que ces universités
ne pouvaient fonctionner en Hongrie que si elles le faisaient également
dans leur pays d'origine
. Si la loi était neutre, dans la
pratique, l'Université d'Europe centrale (CEU), fondée par Soros,
était la seule université sérieusement affectée par la loi – et
a finalement quitté le pays en 2017. À la demande de l'Assemblée,
la Commission de Venise a adopté un avis sur ces amendements, dans
lequel elle reconnaît l'absence de normes européennes unifiées dans
ce domaine – il appartient donc à l'État hongrois «d'établir, et de
réexaminer périodiquement, le cadre réglementaire le plus approprié
applicable aux universités étrangères sur son territoire» – mais
la Commission de Venise considère que «l'introduction de règles
plus strictes sans raisons très solides, assorties de délais stricts
et de conséquences juridiques graves, pour les universités étrangères
qui sont déjà établies en Hongrie et y opèrent légalement depuis
de nombreuses années, semble très problématique du point de vue
de l'État de droit et des principes et garanties des droits fondamentaux.
Ces universités et leurs étudiants sont protégés par les règles
nationales et internationales relatives à la liberté académique,
à la liberté d'expression et de réunion et au droit et à la liberté
d'enseignement
.»
44. Le rapport débattu en octobre 2020 par l'Assemblée dresse
un constat inquiétant quant aux violations de la liberté académique
et de l'autonomie institutionnelle en Hongrie
,
qui a le score le plus bas (0,662) dans l'indice de liberté académique
parmi les pays de l’Union européenne. En octobre 2020, la Cour de
justice de l’Union européenne
a jugé que la «lex CEU» violait
les engagements de la Hongrie dans le cadre de l'Organisation mondiale
du commerce et portait atteinte à la liberté académique dans l'Union
européenne
. En avril 2021, le
Gouvernement hongrois s'est engagé à modifier la loi sur l'enseignement
supérieur. Cependant, la «lex CEU» aura eu des conséquences tangibles
et durables (notamment le départ de l’Université d’Europe centrale).
Dans le même temps, l'université Fudan, parrainée par la Chine,
sera fondée à Budapest
.
Le maire de Budapest a contesté ce plan. Son initiative d'organiser
un référendum sur cette question a été approuvée en décembre 2021
par la Curia. Il a rassemblé le nombre nécessaire de signatures pour
l'initier. Toutefois, le 18 mai 2022, la Cour constitutionnelle
a jugé que la décision de la Curia était inconstitutionnelle, car
la question de l'université Fudan concernait un accord international
avec la Chine
. La question de la liberté académique
a ensuite refait surface avec l'adoption du neuvième amendement
à la Constitution hongroise, qui comprend un article sur la gestion
des biens publics (voir ci-dessous), tandis que les autorités ont
affirmé que la création de ces fondations de gestion de biens publics
visait à «établir l'indépendance de ces organisations vis-à-vis
du gouvernement
». La Commission de Venise a
mis en garde contre l'effet possible de cet article sur la liberté
académique et a une nouvelle fois souligné la nécessité de la garantir.
45. Le présent rapport d'examen périodique se concentrera sur
trois questions que nous considérons comme essentielles pour assurer
le bon fonctionnement des institutions démocratiques, à savoir la
bonne gouvernance et les questions électorales, l'indépendance du
pouvoir judiciaire et la situation des médias. Nous devons également
souligner que nous examinons ces questions sous l'angle de leur
conformité aux obligations du Conseil de l'Europe, qui ont été acceptées
par la Hongrie.
3. Le
fonctionnement des institutions démocratiques: problématiques relatives
à la bonne gouvernance
3.1. Informations
générales sur le système politique de la Hongrie
46. La Hongrie est une république
parlementaire dotée d'un parlement monocaméral: l'Assemblée nationale élit,
entre autres, le Premier ministre et élit – à la majorité des deux
tiers – les principaux responsables publics du pays (à savoir le
Président de la République, les membres et le Président de la Cour
constitutionnelle, le Président de la Cour suprême (Curia), le Procureur
général, le Président de l'Office national de la justice (ONJ), le
Commissaire et les commissaires adjoints aux droits fondamentaux
et le Président de la Cour des comptes. Le 11 mars 2022, le parlement
a élu, avec une majorité des deux tiers au premier tour
, Mme Katalin
Novák, ancienne vice-présidente du Fidesz et ministre de la Famille,
à la présidence de la Hongrie, devenant ainsi la première femme
présidente.
47. Le parlement est composé de 199 membres élus pour un mandat
de quatre ans: 106 membres sont élus au scrutin majoritaire dans
des circonscriptions uninominales et 93 selon un système national
de représentation proportionnelle (avec un seuil de 5 % pour les
partis politiques, 10 % pour les listes avec deux partis ou 15 %
pour les listes avec plus de deux partis). Il existe 13 minorités
nationales officiellement reconnues (à savoir les minorités arménienne,
bulgare, croate, allemande, grecque, polonaise, rom, roumaine, ruthène,
serbe, slovaque, slovène et ukrainienne). La loi CCIII de 2011 sur
l'élection des membres du parlement établit «un quota dit préférentiel
sur la base duquel les représentants des nationalités peuvent devenir
membres du parlement avec 25 % du nombre de voix qui sont normalement
requises pour siéger au parlement. La fonction de
défenseur de lanationalité a été introduite afin
que les nationalités qui ne peuvent pas obtenir de quota préférentiel
puissent également participer aux travaux de l'Assemblée nationale.
Le défenseur de la nationalité peut être une personne qui figure
en premier sur la liste des candidats de l'autonomie d'une nationalité
à l’échelle nationale
». L’Assemblée
nationale actuelle compte un défenseur de la nationalité; il s’agit
de M. Imre Ritter, qui représente (depuis 2018) la minorité nationale
allemande. Chaque minorité nationale est actuellement représentée
par un défenseur de la nationalité (également appelé «porte-parole»
), sans droit de vote au parlement
.
48. La coalition dirigée par le Fidesz a remporté les élections
législatives de 2010, 2014, 2018 et 2022 et a obtenu une majorité
des deux tiers au parlement depuis les élections de 2010 (sauf entre
2015 et 2018, à la suite d'une élection partielle). Cette «supermajorité»
a permis au parti de modifier la Constitution à plusieurs reprises
(voir ci-dessous) et d'établir un contrôle politique sur la plupart
des institutions clés tout en affaiblissant le système d'équilibre
des pouvoirs, comme l'Assemblée l'a souligné dans la
Résolution 2203 (2018). Une telle situation signifie que les partis au pouvoir
ont une grande responsabilité s’agissant du respect et de la sauvegarde
des principes régissant le bon fonctionnement des institutions démocratiques,
notamment les droits de l'opposition et la nécessité d'élaborer
des projets de loi parlementaires sur la base d'un dialogue inclusif
avec l'opposition. Cela ne semble pas avoir été le cas avec l'ajout
récent, par deux membres du Fidesz à l'Assemblée, d'amendements
de dernière minute au projet de loi sur la protection des enfants
, sur lequel toutes
les parties étaient initialement parvenues à un consensus, et qui
poursuivait un objectif légitime. La Commission de Venise regrette
que la loi LXXIX de 2021, ait été adoptée «de manière précipitée,
sans aucune consultation de la société civile, de l'opposition et
d'autres parties prenantes
». Ces amendements ont donné à la
loi un tout autre visage, associant l'homosexualité à la pédophilie
et prévoyant un ensemble de mesures restrictives visant ce qui a
été appelé «le contenu médiatique qui propage l'homosexualité ou
la représente», ainsi que des amendes et la suspension potentielle
de leurs licences de diffusion pour les médias qui contreviennent
à cette loi
.
3.2. La loi électorale et l'environnement
électoral
49. Les changements apportés à
la loi électorale en Hongrie au cours de la dernière décennie ont
favorisé l’émergence de «super-majorités» au profit du parti au
pouvoir. Ces sujets de préoccupation ont déjà été abordés par les
rapporteurs de l'Assemblée dans leur rapport de 2013. Ils avaient
exprimé leurs préoccupations concernant la loi cardinale sur l'élection
des membres du Parlement hongrois, adoptée en 2011 sans un large
consensus entre les partis politiques. Elle a modifié le mécanisme
d'allocation compensatoire, rendant le système moins proportionnel.
La possibilité de résultats faussés pourrait avoir un impact négatif
sur la confiance du public dans l'équité et la légitimité démocratique
du système électoral. L'Assemblée a donc adressé plusieurs recommandations
aux autorités hongroises concernant le système électoral, en notant
que la loi sur l’élection des membres du parlement en 2011 avait
répondu aux recommandations de la Commission de Venise et à la décision
de la Cour constitutionnelle concernant le problème des écarts de
taille disproportionnés entre circonscriptions. Toutefois, la délimitation
des circonscriptions électorales par le parlement – et non par un
organe indépendant et impartial, dans le cadre d'un processus transparent,
sur la base de critères clairs et largement acceptés – demeurait
très problématique
.
50. En 2014, le BIDDH/OSCE a également confirmé que la détermination
des nouvelles limites des circonscriptions électorales «manquait
de transparence, d'indépendance et d'inclusivité. En outre, de nombreuses
allégations de «charcutage électoral» [
gerrymandering]
ont été formulées». Le BIDDH a également noté que, suite à la définition
des circonscriptions uninominales en 2014, cinq circonscriptions dépassaient
l'écart de 15 % autorisé par la loi, et 17 autres s’écartaient de
la moyenne nationale de plus de 10 %. De tels écarts remettaient
en cause l'égalité du vote. Le BIDDH a recommandé l'inclusion de
dispositions prévoyant un examen périodique des limites des circonscriptions
par une commission indépendante et une certaine souplesse dans leur
ajustement
. Cependant,
comme l'a noté le rapporteur de l'Assemblée, M. Walter, en 2015,
les limites des circonscriptions électorales étant définies par
une loi cardinale, contrairement à la recommandation de l'Assemblée,
ces révisions régulières sont difficiles, voire impossibles à réaliser
. L'Assemblée a appelé à un large consensus
entre tous les partis politiques sur la formule de compensation.
Il semblerait qu'un tel consensus n'ait pas été atteint pour les
élections précédentes
.
51. En pratique, les effets combinés du dispositif du mécanisme
d'allocation compensatoire, de la détermination des limites des
circonscriptions électorales (voire de leur manipulation) ainsi
que la fragmentation des partis d'opposition ont permis au Fidesz,
qui avait obtenu 45,04 % des voix de la circonscription et du parti
en 2014, de remporter alors deux tiers des sièges parlementaires
(66,83 %) lors de ces élections.
52. Depuis lors, la Cour constitutionnelle a invalidé la carte
électorale précédente et a exigé que les circonscriptions électorales
soient rendues plus proportionnelles en termes de nombre d'électeurs.
Les circonscriptions électorales ont été redessinées pour devenir
plus égales, une évolution positive saluée par l'Assemblée et le
BIDDH
. Les partis d'opposition ont toutefois
affirmé que la situation n'était toujours pas équitable. La nécessité
d'un organe indépendant chargé de dessiner les circonscriptions
électorales n'a toujours pas été abordée et l'Assemblée a noté que
la principale préoccupation ne semblait pas être la loi sur l'élection
des membres du parlement mais la loi sur les procédures électorales,
qui n'avait pas encore été examinée par la Commission de Venise
.
53. Plus récemment, les amendements à la législation électorale
adoptés en décembre 2020 ont modifié les règles régissant l'enregistrement
des listes nationales des partis. Les partis ou leurs coalitions
seront tenus de désigner des candidats aux élections dans au moins
71 des 106 districts à mandat unique répartis dans 14 des 19 comtés
en plus de la capitale (auparavant, la loi exigeait de désigner
des candidats dans 27 districts à mandat unique répartis dans 9
comtés ainsi que dans la capitale). La Commission de Venise a adopté
en octobre 2021, à la demande de la commission de suivi, un avis
sur ces amendements électoraux. La Commission de Venise a déploré
que cette loi ait été adoptée pendant un état d’urgence, apparemment
sans consultations, ce qui «n’est pas conforme à la Liste des critères
de l’État de droit, ni compatible avec le rapport de la Commission
sur le Respect de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État
de droit pendant l’état d’urgence: Réflexions et le rapport sur
le Rôle de l’opposition au sein d’un parlement démocratique». En
outre, cette loi a été adoptée (une fois de plus) au moyen d'une
loi organique, ce qui est «problématique aussi bien du point de
vue de la Constitution que de celui des lois ordinaires.» La Commission
de Venise a noté que la loi introduit un certain nombre de changements
techniques positifs. Elle a cependant formulé plusieurs recommandations,
notamment celle d'amender les sections 3 et 68, en «réduisant de
manière significative le nombre de circonscriptions uninominales
et le nombre de comtés dans lesquels chaque parti doit désigner
des candidats simultanément afin de pouvoir présenter une liste
nationale de candidats
». Les ONG dénoncent le fait que
le but réel des amendements est de forcer les partis d'opposition
à figurer sur une liste unique
. En effet
la Commission de Venise a conclu que le principal effet de cette
réforme électorale jouerait «en faveur des candidats sortants
».
54. Un certain nombre de questions importantes mentionnées ci-dessus,
ainsi que la situation des médias (que nous développerons ci-dessous)
ont un impact important sur le processus électoral. Les recommandations
formulées par le BIDDH en 2018 n'ont pas été prises en compte par
le gouvernement pour les élections de 2022
. Nous rappelons également les recommandations
formulées par la Commissaire aux droits de l'homme, l'ECRI et le
Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des
minorités nationales (STE no 157) visant
à améliorer la législation et la pratique pour lutter contre les
crimes haineux et les discours haineux ainsi que la rhétorique xénophobe
dans le discours politique, même si «seuls des cas isolés de rhétorique
négative stigmatisant les Roms» ont été observés par le BIDDH durant
sa mission
. Nous
regrettons que le
Protocole
additionnel à la Convention sur la cybercriminalité concernant l'incrimination d'actes de nature raciste
et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques ne soit
ni signé ni ratifié, comme le demandait instamment l'Assemblée en
2018.
3.3. Évolution politique récente: élections
législatives du 3 avril 2022
55. Les élections législatives
ont eu lieu le 3 avril 2022. Les partis d'opposition avaient décidé
d'unir leurs forces pour concourir et se conformer aux amendements
électoraux adoptés en décembre 2020. Ils craignaient à l'époque
que cela n’entraîne la création de coalitions comprenant des partis
défendant des programmes divergents, ce qui risquerait de semer
la confusion, voire un rejet, au sein de leur électorat
. En fait, en août 2020, six partis
d'opposition issus d'un large spectre politique – la Coalition démocratique
(DK), Dialogue pour la Hongrie, le Parti socialiste hongrois (MSZP),
Jobbik, Momentum et Politics Can Be Different (LMP) – ont décidé
de créer la coalition «Unis pour la Hongrie» pour les élections
législatives d’avril 2022, de désigner un·e candidat·e commun·e
dans chaque circonscription électorale et d'organiser des primaires
en septembre et octobre 2021 qui ont permis d’élire M. Péter Márki-Zay,
maire de Hódmezővásárhely, en tant que candidat de l'opposition
au poste de Premier ministre
.
56. La coalition formée par le Fidesz du Premier ministre Viktor
Orbán et le KDNP a obtenu 54 % des voix au scrutin de liste et 52 %
des voix dans les circonscriptions
, ce qui lui a rapporté une majorité
des deux tiers au Parlement (135 sièges sur 199). La coalition «Unis
pour la Hongrie» a obtenu 57 sièges. Le parti d'extrême droite «Notre
patrie» (MHM) est arrivé troisième avec 6 sièges. Un représentant
d'une minorité nationale (la minorité allemande) a obtenu un siège.
57. Ces élections ont été observées par une importante délégation
du BIDDH et de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE
. Le BIDDH
a noté que le scrutin s'est déroulé dans le calme, avec un taux
de participation de 69,5 %, et que l'administration électorale a
géré les préparatifs techniques de manière professionnelle et efficace
et a respecté tous les délais légaux. Dans le cadre d'un processus
ouvert, la Commission électorale nationale a enregistré 55 organisations
ayant présenté des candidatures, dont 12 autonomes, 6 listes nationales
proportionnelles, pour un total de 1 035 candidats (dont 19,7 %
de femmes). Les libertés fondamentales d'association et de réunion
ont été respectées, et les participants aux élections ont pu, dans
une large mesure, faire campagne librement.
58. Le BIDDH est parvenu aux conclusions préliminaires suivantes:
«Les élections législatives et le référendum du 3 avril ont été
bien administrés et gérés de manière professionnelle, mais entachés
par l'absence de conditions de concurrence équitables. Les partis
en lice ont pu, dans une large mesure, faire campagne librement,
mais bien que compétitive, la campagne s’est déroulée dans un climat
très négatif et s'est caractérisée par un empiètement entre la coalition
au pouvoir et le gouvernement. L'inscription des candidats a été
ouverte, offrant aux électeurs des choix bien distincts. Le manque
de transparence et le contrôle insuffisant du financement des campagnes
ont également profité à la coalition au pouvoir. Le parti pris et
le manque d'équilibre dans la couverture médiatique suivie ainsi
que l'absence de débats entre les principaux candidats ont considérablement
limité la possibilité pour les électeurs de faire un choix éclairé.
La manière dont de nombreux litiges électoraux ont été traités par
les commissions électorales et les tribunaux n'a pas permis d'offrir
un recours juridique efficace. Les femmes étaient sous-représentées
dans la campagne et en tant que candidates
».
59. Un référendum concernant la loi sur la «protection des enfants»
(voir ci-dessous) a été organisé le même jour (l'interdiction législative
d'organiser simultanément un référendum national et des élections
avait été levée en novembre 2021). Le BIDDH a estimé que le cadre
juridique du référendum était «largement inapproprié pour la conduite
d'un référendum démocratique et ne prévoyait pas de règles du jeu
équitables pour les campagnes référendaires». Il ne garantissait
pas «l'égalité des chances de faire campagne et les électeurs n'étaient
pas informés de manière objective et équilibrée sur les choix qui
leur étaient présentés ni sur leur effet contraignant». Il est encourageant
de constater que des efforts ont été faits pour harmoniser les questions
administratives concernant la tenue simultanée du référendum et
des élections; cependant, la tenue de campagnes simultanées a conduit
à des ambiguïtés juridiques sur les règles de campagne
.
De plus, «la loi sur les référendums ne prescrit pas la neutralité
des autorités publiques, ni n'interdit l’utilisation de fonds publics
pour les campagnes référendaires. En outre, elle garantit l'égalité
des chances de faire campagne dans les médias audiovisuels pour
les partis parlementaires et le gouvernement, lorsqu'il est l'initiateur
d'un référendum, plutôt que l'égalité des chances pour les partisans
et les opposants des propositions de référendum. Ces aspects sont
contraires aux bonnes pratiques internationales. La loi ne contient
pas non plus de définition claire de la publicité politique pour
les référendums. En outre, ni le gouvernement ni les organes électoraux
ne sont légalement tenus de fournir aux électeurs des informations
objectives et équilibrées sur les questions soumises au référendum
ou sur les positions des partisans et des opposants sur ces questions,
ce qui remet en cause la capacité des électeurs à faire un choix
éclairé
».
60. Le BIDDH a également rappelé que ses recommandations antérieures,
notamment sur la législation électorale, n'avaient pas été prises
en compte. Comme en 2018, le principal parti au pouvoir a joui d’un avantage
injustifié du fait de la réglementation restrictive de la campagne,
de la couverture médiatique partiale et des activités de campagne
qui ont brouillé la séparation entre parti politique et État. En
outre, les modifications apportées en 2020 à la législation électorale
ont constitué un obstacle injustifié à la participation de l'opposition.
61. La mission d'observation électorale du BIDDH a formulé plusieurs
recommandations à l'intention des autorités, notamment la nécessité
de revoir le cadre juridique pour le mettre en conformité avec les
obligations internationales concernant les droits électoraux afin
d’assurer le déroulement démocratique des élections; d'encourager
la représentation des femmes pendant la campagne; d'uniformiser
les règles du jeu en empêchant l’empiètement entre la campagne de
la coalition au pouvoir et la campagne d'information du gouvernement
ainsi que l'utilisation abusive des ressources administratives;
d’encourager la transparence et la responsabilité dans le financement
des campagnes électorales en révisant la législation et en renforçant l'application
du cadre réglementaire; de réviser la législation électorale pour
accroître la pluralité des opinions dans les médias afin de permettre
aux électeurs de faire un choix éclairé et renforcer l'efficacité
des recours juridiques en cas de litiges électoraux
.
62. Des questions se sont également posées concernant les électeurs
vivant à l'étranger
. La situation de ces électeurs diffère
selon qu'ils conservent ou non un domicile sur le territoire hongrois.
Le BIDDH note que «les différentes modalités du vote à l'étranger,
selon que les électeurs conservent ou non un domicile en Hongrie,
remettent en cause le principe d'égalité du suffrage
». Nous demandons instamment aux autorités de
remédier à ce problème.
63. Enfin, un autre événement lié aux questions électorales a
été l'adoption par le parlement, le 20 juillet 2022, du onzième
amendement à la loi fondamentale de la Hongrie, qui permet aux élections
locales hongroises de tomber le même jour que les élections parlementaires
européennes. L'amendement a été adopté par 140 voix pour et 36 contre,
avec une majorité des deux tiers. Les maires et conseillers locaux
qui ont obtenu leur mandat en 2019 resteront à leur poste jusqu'au
1er octobre 2024, date des prochaines
élections du Parlement européen
. Les autorités ont justifié cette
modification par la nécessité de réduire les coûts.
3.4. Modification de la loi fondamentale
dans le cadre d'un ordre juridique spécial
64. Dans un précédent rapport,
les rapporteurs de l'Assemblée ont souligné que la loi fondamentale
de la Hongrie (c'est-à-dire la Constitution) adoptée le 18 avril
2011 avait «établi le cadre constitutionnel et les principes fondamentaux
régissant l’organisation de la société hongroise, mais [avait délégué]
la réglementation et la mise en œuvre détaillées de ces principes
constitutionnels à un grand nombre de lois cardinales dont l’adoption
ou la modification exige un vote à la super-majorité des deux tiers
des députés présents
». Depuis lors, 32
lois cardinales ont été adoptées, contenant des règles détaillées
sur le fonctionnement d'institutions clés ou sur l'exercice de certains
droits fondamentaux.
65. Dès le début, la Commission de Venise avait exprimé de sérieuses
inquiétudes concernant cette Constitution et l'impact des lois cardinales
sur le «bon fonctionnement du système démocratique». Elle estime qu'une
utilisation trop large des lois cardinales est problématique aussi
bien du point de vue de la Constitution que de celui des lois ordinaires:
«[l]a Constitution pourrait être plus spécifique sur certains points,
comme le pouvoir judiciaire. D'autres, en revanche, auraient pu
ou dû être traités dans la législation ordinaire, dans le cadre
du fonctionnement politique majoritaire, tel le régime de la famille
ou les questions de politique sociale et fiscale. La Commission
de Venise considère qu'un parlement doit avoir la marge de manœuvre
nécessaire pour accompagner les grandes mutations et relever les
défis nouveaux que rencontre une société. Le bon fonctionnement
d'un système démocratique repose sur sa capacité d'évolution permanente.
La multiplication des choix politiques placés hors d'atteinte de
la majorité simple réduit la signification des élections futures
et accroît les possibilités dont dispose une majorité des deux tiers
pour verrouiller ses préférences politiques et l'ordre juridique
national. L’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 9) dispose
que les élections doivent être organisées «dans les conditions qui
assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix
du corps législatif», ce qui n'a plus aucun sens si le législateur est
privé de la possibilité de modifier la législation sur des points
importants, pour des décisions qui relèvent en fait de la majorité
simple. L'essence même de la démocratie est en jeu dès lors qu'au-delà
des principes fondamentaux, des règles de détail très spécifiques
sont fixées dans une loi organique sur certaines questions. Cela
risque aussi de susciter de longs conflits politiques et d’engendrer
des tensions inutiles et un coût élevé pour la société le jour où
des réformes se révèlent nécessaires. Il n’en peut pas moins être
incontestablement justifié de fixer un quorum dans certains cas,
par exemple sur l'essence des droits fondamentaux, les garanties judiciaires
ou les règles de procédure parlementaire
».
66. Onze ans plus tard, le recours aux actes cardinaux «au-delà
de ce qui est strictement nécessaire, et même en ce qui concerne
la législation détaillée» continue d'être «discutable d'un point
de vue démocratique car il rend difficile l'introduction de réformes
à l'avenir
». Le neuvième amendement
adopté en décembre 2020 a aggravé cette tendance. L'opposition a
souligné que l'amendement avait été soumis, débattu et adopté par
le parlement alors qu'un ordre juridique spécial, à savoir un «état
de danger» tel que défini par l'article 53 de la Loi fondamentale,
était en place après le déclenchement de la pandémie de covid-19
. La Commissaire aux droits de l'homme
a averti que les propositions législatives de grande portée, en
particulier les amendements constitutionnels, ne devraient pas être
introduites pendant l'état d'urgence, comme l'a également souligné
la Commission de Venise
, car «les possibilités de discussion
démocratique significative et de contrôle public sont limitées pendant
ces périodes». Mme Mijatović a donc appelé
le Parlement hongrois à «reporter le vote après la levée de l'état
d'urgence et à engager de larges consultations avec le public hongrois,
qui sera le premier à ressentir l'impact de ces changements
», une demande restée lettre morte. Dans
son dernier avis sur les amendements électoraux, la Commission de
Venise a réitéré ses critiques sur les lois cardinales, déclarant
qu'une utilisation trop large des lois cardinales «est problématique
aussi bien du point de vue de la Constitution que de celui des lois
ordinaires
».
67. Il convient de noter que, pendant la période de pandémie,
le Gouvernement hongrois a commencé par déclarer un «état de danger»
s’appliquant de mars à juin 2020, ce qui lui a permis de publier
des décrets gouvernementaux qui suspendent l'application de certaines
lois du parlement ou dérogent aux dispositions des lois. Ces décrets,
conformément à la Loi fondamentale, doivent rester en vigueur pendant
quinze jours, après quoi le parlement doit donner son consentement
pour étendre leur validité. L'opposition a noté que le 30 mars 2020,
lorsque l'«état de danger» a été déclaré pour la première fois,
à l'initiative du gouvernement, le parlement a adopté une loi qui
a automatiquement étendu la validité de tous les décrets actuels
et futurs jusqu'à la fin de l'état de danger – date inconnue à laquelle
seul le gouvernement peut mettre fin. L'opposition n'a pas soutenu cet
«état de danger» indéfini, qui a également suscité l'inquiétude
de la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe (qui a rappelé
qu'«un état d'urgence indéfini et incontrôlé ne peut garantir que
les principes fondamentaux de la démocratie seront respectés et
que les mesures d'urgence restreignant les droits de l'homme fondamentaux
sont strictement proportionnées à la menace qu'elles sont censées
contrer
»),
du Président de l’Assemblée, M. Rik Daems, et du Conseil européen,
qui ont recommandé à la Hongrie de «veiller à ce que toute mesure
d'urgence soit strictement proportionnée, limitée dans le temps
et conforme aux normes européennes et internationales, et qu'elle
n'interfère pas avec les activités commerciales et la stabilité
du système réglementaire
» Le
16 juin 2020, le parlement a adopté deux lois, LVII et LVIII de
2020, mettant fin à la prolongation automatique de la validité des
décrets gouvernementaux spéciaux et instituant un nouvel «état d'urgence
médicale», pouvant être prolongé par décret gouvernemental (c'est-à-dire
sans approbation parlementaire). Cet «état d'urgence médicale» suscite
toujours des inquiétudes au regard des valeurs du Conseil de l’Europe
. Il
a toutefois été soutenu par l'opposition, déclaré par le gouvernement
jusqu'au 18 décembre 2020, puis prolongé pour une autre période
de six mois depuis lors.
68. Le neuvième amendement adopté en décembre 2020 a révisé les
dispositions constitutionnelles régissant l'«ordre juridique spécial».
Ces dispositions (qui entreront en vigueur en 2023) réduisent un
ordre juridique spécial à trois circonstances (au lieu de six),
à savoir l'état de guerre, l'état d'urgence et l'état de danger
– une simplification saluée par la Commission de Venise dans son
avis de juillet 2021: elle a en effet permis de clarifier les circonstances
dans lesquelles les états exceptionnels s'appliquent, rendant ainsi
la loi plus compréhensible, et les règles applicables décrites –
par exemple une majorité des deux tiers nécessaire (au lieu d'une
majorité simple, comme c'est le cas aujourd'hui) pour autoriser
le gouvernement à prolonger l'état de danger – sont jugées conformes
à la recommandation de la Commission de Venise sur le respect de la
démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit pendant
les états d'urgence. La Commission de Venise a toutefois recommandé
d'assurer la «participation de l'opposition à l'approbation de la
déclaration de l'état d'urgence, et/ou à l'examen
a posteriori des décrets d'urgence
ou de toute prolongation de la période d'urgence» à la majorité
des deux tiers et «tous les partis politiques devraient être impliqués
dans la discussion avant une éventuelle décision de reporter les
élections
».
69. La Commission de Venise s'est en outre inquiétée de la suppression
de l'actuel Conseil de défense nationale (composé du Président de
la République, du Président de l'Assemblée nationale, des chefs
des groupes parlementaires, du Premier ministre, des ministres et
du chef d'état-major des armées, qui exerce des pouvoirs substantiels
en cas de crise nationale) et de l'attribution de ses pouvoirs au
gouvernement – qui est moins largement représentatif: «s'il n'est
pas contraire en tant que tel aux normes européennes, il conduit
à une concentration des pouvoirs d'urgence entre les mains de l'exécutif
qui ne peut être considérée comme un signe encourageant, notamment
en l'absence de toute clarification dans l'exposé des motifs du ratio ou de la nécessité d'une telle
modification».
70. Dans son avis de juillet 2021, la Commission de Venise a noté
avec inquiétude que «les amendements ont été adoptés pendant l'état
d'urgence, sans aucune consultation publique, et l'exposé des motifs
ne comporte que trois pages». Cette procédure rapide n'était «pas
conforme à ses recommandations dans la liste de contrôle de l'État
de droit, ni compatible avec le rapport de la Commission sur le
respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de
droit pendant l'état d'urgence et le rapport sur le rôle de l'opposition
dans un parlement démocratique». La Commission de Venise a rappelé
«sa précédente mise en garde contre une ‘volonté d’instrumentaliser
la Constitution’ de la majorité au pouvoir en Hongrie à l’égard
de la Loi fondamentale, qui ne doit pas être considérée comme un
instrument politique
».
71. L'état d'urgence lié à la pandémie de covid-19 devait durer
jusqu'au 31 mai 2022. À la suite du déclenchement de la guerre en
Ukraine en février 2022, le gouvernement a déposé, le 4mai
2022, un projet d'amendement à la Constitution introduisant la possibilité
de déclarer un état de danger en cas de guerre ou de catastrophe
humanitaire dans les pays voisins
.
72. Le 24 mai 2022, le parlement a approuvé le dixième amendement
constitutionnel, permettant au gouvernement de déclarer l'état de
danger «en cas de conflit armé, de situation de guerre ou de catastrophe humanitaire
dans un pays voisin» et autorisant le gouvernement à statuer par
décret. Le Premier ministre a ensuite déclenché l'état de danger,
arguant que la guerre en Ukraine présentait un danger pour «la Hongrie, [sa]
sécurité physique, les approvisionnements énergétiques et la sécurité
financière des familles et de l'économie
». Les premières
mesures annoncées par le Premier ministre dans ce contexte sont
des taxes supplémentaires sur les banques, les assureurs, les grandes
chaînes de distribution, les sociétés d'énergie et de commerce,
les sociétés de télécommunication et les compagnies aériennes. Ces
taxes serviraient à financer la politique de bas tarifs des services
publics et les dépenses de défense supplémentaires
.
73. Lors de notre visite, certaines ONG se sont inquiétées de
la durée de cet état de danger (durera-t-il aussi longtemps que
la guerre en Ukraine?) et du fait que le gouvernement, qui bénéficie
déjà d'une majorité de deux tiers au parlement, puisse contourner
les débats parlementaires et fasse taire l'opposition
. Le Comité Helsinki hongrois craignait
que cet amendement ne donne «carte blanche» au gouvernement pour
passer outre à toute loi du parlement dans quasiment tous les domaines
et pour restreindre les droits fondamentaux en cas d'état de danger
.
74. En tant que parlementaires, nous avons souligné, au cours
de notre visite, que l’«état de danger» tout récemment déclaré en
Hongrie ne devait pas affaiblir le dialogue politique et le contrôle
parlementaire, d'autant plus que le parti au pouvoir jouit d'une
majorité des deux tiers. Il est primordial que le recours à cet
ordre juridique spécial soit limité à des mesures strictement liées
aux conséquences de la guerre et n'affaiblisse pas le dialogue politique,
le contrôle parlementaire et les freins et contrepoids qui sont
cruciaux en temps de crise. La Commission de Venise a également
souligné le rôle crucial de l'opposition pendant l'état d'urgence
dans son rapport 2020
.
75. Les autorités hongroises ont fait valoir que la déclaration
de l'état de danger dû à la guerre en Ukraine était nécessaire pour
parvenir à des décisions rapides, d’autant que la procédure législative
ordinaire prendrait au moins six semaines au parlement. Elles ont
souligné que la loi fondamentale énumère les droits qui ne peuvent
pas faire l'objet de restrictions supplémentaires, même dans le
cadre d'un ordre juridique spécial, ajoutant que dans le cadre d'un
ordre juridique spécial, l'application de la loi fondamentale ne
peut être suspendue et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle
ne peut être restreint. Elles ont également souligné que lors de
cet état de danger, et précédemment lors de l'état de danger lié
à la covid-19, l'Assemblée nationale avait continué à fonctionner,
tenant régulièrement des sessions plénières et des sessions de commissions;
que le gouvernement devait rendre compte à l'Assemblée nationale
des mesures qu'il avait prises pour endiguer régulièrement la pandémie
de coronavirus; et que cette solution assurait un contrôle démocratique
sur les activités du gouvernement
. Cette approche n'a toutefois
pas été partagée par les politiciens de l'opposition que nous avons
rencontrés.
3.5. Assurer la transparence des processus
politiques et lutter contre la corruption
76. La transparence des processus
décisionnels et la qualité du processus législatif sont essentielles
pour garantir la bonne gouvernance et le respect de l'État de droit.
Cela est d'autant plus important lorsqu'un parti au pouvoir jouit
d'une majorité qualifiée de deux tiers, ce qui lui confère un contrôle
politique sur les institutions. La transparence est donc cruciale
pour assurer le bon fonctionnement des institutions démocratiques,
avec les freins et contrepoids nécessaires.
3.5.1. Informations générales
77. La Hongrie était autrefois
un précurseur parmi les pays d'Europe centrale et orientale en matière d'adaptation
aux normes européennes. Le pays a adhéré à tous les grands traités
internationaux de lutte contre la corruption au début des années
2000, à savoir la Convention de l'Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) sur la lutte contre la corruption
d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales,
la Convention pénale sur la corruption (STE no 173)
et la Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe
(STE no 174), ainsi que la Convention
des Nations Unies contre la corruption. Les autorités ont également
souligné la position constante du ministère de l'Intérieur contre
toutes les formes de corruption, ainsi que l'adoption d'une stratégie
nationale de lutte contre la corruption à moyen terme pour 2020-2022
et de son plan d'action connexe
.
78. Transparency International a toutefois constaté que le pays
avait terminé la dernière décennie parmi les moins performants d'Europe,
avec une note de 43 sur l'indice de perception de la corruption
de 2021 (44 en 2020) et s'est classé 73e (sur
180) (69 en 2020), après avoir perdu 27 places et 12 points depuis
2012
.
L'Eurobaromètre
spécial 2022 sur la corruption montre que 91 % des personnes interrogées et 75 % des entreprises
estiment que la corruption est répandue dans le pays
.
L'apparition de la pandémie de covid-19 et la réponse du gouvernement
à ses défis ont accéléré l'érosion démocratique en Hongrie. Dans
un rapport de 2021, Transparency International a constaté que la
plupart des fonds d'aide liés à la pandémie étaient alloués de manière
opaque, bénéficiant principalement aux entreprises pro-gouvernementales
. L’ONG Union
hongroise des libertés civiles (TASZ) s'inquiète également du manque
de transparence dans l'octroi des subventions liées à la pandémie.
L'ONG affirme notamment qu'il existe un conflit d'intérêts concernant
l'octroi de subventions au tourisme
. Transparency International relève
la polarisation politique croissante de la société hongroise: il
a été constaté que les évaluations de la corruption systémique sont
en corrélation avec la sympathie pour les partis. Elle a salué la
criminalisation du paiement informel dans le système de santé publique
tout en déplorant le manque de protection des lanceurs d'alerte
.
La Commission européenne, tout en reconnaissant l'importance du
cadre juridique actuel pour la protection des lanceurs d'alerte,
demande des règles supplémentaires pour le rendre plus efficace
. Les ONG font également état d'un
manque de volonté des citoyens de dénoncer la corruption, notamment
en raison de l'absence d'incitations adéquates
.
79. Ces derniers mois, les lacunes dans l'accès à l'information
relative à la pandémie ont également augmenté le risque de corruption.
Ces préoccupations ont été soulevées dans le dernier rapport sur
la corruption publié par K-Monitor et TASZ. Ces ONG ont noté que
les autorités avaient reconnu l'augmentation des risques de corruption
causés par la pandémie mais ont regretté qu'aucune mesure n'ait
été prise pour y faire face
.
Elles se sont également inquiétées du manque de transparence dans
la gestion de la pandémie, notamment de la difficulté d'accès aux
données d'intérêt public, jugeant presque impossible d'obtenir des informations
de base sur le contrôle épidémiologique
. L'accès restreint des médias aux
hôpitaux a déclenché une alerte de la Plateforme du Conseil de l'Europe
pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes
. L’ONG TASZ a également mis en cause
la mauvaise utilisation des fonds publics consacrés à l'épidémiologie,
qui ont été dépensés pour des éléments sans rapport avec la crise
sanitaire. Plus généralement, la transparence et la responsabilité
dans les dépenses publiques, notamment les marchés publics, restent
un problème.
3.5.2. Questions de transparence en matière
de prévention de la corruption dans la vie politique et de lutte
contre le blanchiment de capitaux
80. Le Groupe d'États contre la
corruption (GRECO), qui avait adopté son rapport sur la prévention
de la corruption à l'égard des membres du parlement, des juges et
des procureurs (quatrième cycle) en 2015, a constaté des progrès
limités dans la mise en œuvre de ses recommandations et a conclu
que seules cinq des dix-huit recommandations ont été mises en œuvre
à un niveau satisfaisant. Les sujets de préoccupation incluent la
nécessité d'améliorer le cadre d'intégrité actuel du parlement,
en particulier d'améliorer le niveau de transparence et de consultation
dans le processus législatif et de revoir la large immunité dont
bénéficient les députés de l’Assemblée Nationale, ainsi que de garantir
la supervision et l'application efficaces des règles de conduite,
des conflits d'intérêts et des déclarations de patrimoine
. LE GRECO a notamment appelé les autorités
à adopter un code de conduite à l’usage des parlementaires (couvrant
notamment diverses situations pouvant conduire à un conflit d'intérêts),
à renforcer les règles obligeant les parlementaires à divulguer
de manière
ad hoc les conflits
potentiels entre leurs travaux législatifs et leurs intérêts privés,
à garantir un format uniforme des déclarations de patrimoine et
à réexaminer la large immunité dont ils jouissent
.
81. La transparence du financement des partis doit également être
renforcée. Là encore, il s'agit d'une question essentielle pour
garantir l'égalité des chances sur le plan politique. Malgré les
mesures prises en vue d'améliorer la transparence du financement
des partis politiques en ce qui concerne l'enregistrement des partis politiques,
le suivi des bénéficiaires de subventions publiques et la clarification
des sources de revenus des partis, le GRECO a qualifié le tableau
d'ensemble de «décevant» lorsqu'il a mis fin à son troisième cycle.
Le GRECO a estimé que la situation générale de la transparence du
financement des partis politiques reste, pour l’essentiel, identique
à celle qui existait à l’époque de l’adoption du Rapport d’Évaluation
2009
. Il reste beaucoup à faire dans ce
domaine. Le rapport d'évaluation sur la prévention de la corruption
et la promotion de l'intégrité dans les gouvernements centraux (hautes
fonctions exécutives) et les services répressifs (cinquième cycle),
qui a été adopté par le GRECO en juin 2022 mais n'a pas encore été
rendu public, pourrait également fournir des orientations utiles
aux autorités quant aux réformes nécessaires à entreprendre.
82. Des préoccupations liées à la transparence insuffisante du
financement des partis ont également été exprimées par le BIDDH
lors des dernières élections générales: «[c]omme l'ont déjà souligné
le BIDDH et le GRECO, l'absence de déclaration des dons entretient
l'opacité du financement des campagnes, en contradiction avec les
engagements internationaux et les bonnes pratiques. Malgré les recommandations précédentes
du BIDDH, il n'y a pas de plafonnement des dons individuels, ce
qui accroît encore les risques liés au manque de transparence du
financement. La loi prévoit des limites de dépenses de campagne. Cependant,
leur efficacité a été compromise par des dépenses considérables
effectuées par des entités autres que les candidats aux élections
(les «tiers»), qui ont largement favorisé le parti au pouvoir, et
ne sont pas réglementées malgré les recommandations antérieures
du BIDDH et du GRECO. Le financement de ces entités n'est pas transparent
et les bailleurs de fonds de la campagne ne sont pas connus du public.
Des sommes importantes ont été dépensées pour la publicité sur Facebook,
notamment par des entités associées au parti au pouvoir. Les dépenses
pour les campagnes référendaires ne sont pas limitées, ce qui a
permis de contourner les limites de dépenses de campagne. La campagne
référendaire la plus visible a été menée par le gouvernement. Dans
ces circonstances, les plafonds de dépenses des campagnes électorales,
qui sont généralement considérés comme trop bas par plusieurs interlocuteurs
de la mission électorale du BIDDH, ont constitué un avantage supplémentaire
pour le pouvoir en place
».
83. Sur le plan positif, le Comité d'experts sur l'évaluation
des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL) a indiqué, dans ses derniers rapports de
conformité, que la Hongrie a amélioré la législation relative aux
personnes politiquement exposées, ce dont MONEYVAL s'est fait l'écho
en faisant passer sa note concernant la recommandation 12 du Groupe
d'action financière (GAFI) de «partiellement conforme» à «largement
conforme
». MONEYVAL
a recommandé, dans ce contexte, d'élargir la notion d' «associés
proches» aux relations personnelles ainsi qu'aux membres éminents du
même parti politique, d'organisations civiles ou de syndicats de
travailleurs ou d'employés
. En mai 2022, MONEYVAL a confirmé
que la Hongrie avait amélioré les mesures de lutte contre le blanchiment
de capitaux et le financement du terrorisme. La Hongrie a réalisé
des progrès satisfaisants en ce qui concerne le niveau de conformité
aux normes du GAFI, ce qui lui a permis de passer de «partiellement
conforme» à «largement conforme» dans trois domaines liés aux relations
entre correspondants bancaires, aux contrôles internes des institutions
financières et à la transparence et à la propriété effective des
personnes morales
. Compte tenu de plusieurs autres
questions en suspens
,
MONEYVAL a décidé que la Hongrie resterait dans le processus de
suivi renforcé.
3.5.3. Conclusions pertinentes de l'Union
européenne concernant les questions de transparence
84. Dans ses rapports 2020 et 2021
sur l'État de droit, la Commission européenne a souligné des mécanismes
de contrôle indépendants déficients et des interconnexions étroites
entre la politique et certaines entreprises nationales propices
à la corruption, l'absence systématique d'action déterminée pour
enquêter sur les cas de corruption impliquant des fonctionnaires
de haut niveau ou leur entourage immédiat et les poursuivre en justice,
la nécessité d'améliorer la vérification des déclarations de patrimoine
et d'intérêts par des contrôles systématiques et une surveillance
indépendante, le rétrécissement des possibilités de contrôle civique
dans le contexte des restrictions à la liberté des médias, l'environnement
hostile aux organisations de la société civile et les nouveaux défis
constants dans l'application des règles de transparence et d'accès
à l'information publique
. Dans le cadre de l'octroi du fonds
de relance de l'Union européenne, la Commission européenne attend
également de la Hongrie qu'elle réforme sa législation sur les marchés
publics afin d'enrayer la fraude systémique et d'améliorer la transparence
et l'accessibilité des données: l'Office européen de lutte antifraude
(OLAF) a établi en 2020 que la Hongrie avait commis des irrégularités
dans près de 4 % de ses dépenses au titre des fonds de l'Union européenne
en 2015-2019, contre une moyenne européenne de 0,36 %
.
Au cours de cette période, la Hongrie a eu le plus grand nombre
d'enquêtes de l'OLAF (43) clôturées par une recommandation financière
parmi les États membres (adressée aux institutions de l'Union européenne
ou aux autorités nationales fournissant ou gérant des fonds de l'Union
européenne pour demander le recouvrement des fonds européens fraudés
au budget de l'Union)
. En 2021, la Commission européenne
a reconnu qu'«un certain nombre d'enquêtes de l'OLAF avaient été
menées à bien avec le soutien du service hongrois de coordination
antifraude
». Les autorités ont également souligné
que le taux d'inculpation basé sur les recommandations de l'OLAF
était presque le double par rapport à la moyenne de l'Union européenne
(67%-37%)
. Cependant, le nombre d'enquêtes
menées par l'OLAF demeure supérieur à la moyenne de l'Union européenne
. En 2022, la Commission européenne
demeurait préoccupée par «les récentes allégations concernant l'existence
d'un réseau de corruption au sein des autorités de gestion lié aux fonds
nationaux et européens [qui] suscitent des inquiétudes quant à l'absence
de surveillance systémique»; par «l'absence d'antécédents solides
en matière d'enquêtes sur les allégations de corruption concernant
des hauts responsables et leur entourage immédiat» et par l'absence
de contrôle judiciaire pour les décisions judiciaires de ne pas
enquêter et instruire les allégations de corruption. Les risques
de clientélisme, de favoritisme et de népotisme dans l'administration
publique de haut niveau ne sont toujours pas traités
».
85. La Commission européenne a salué les programmes stratégiques
sur l'intégrité dans l'administration publique (2020-2022) lancés
en juin 2020 par la Hongrie en vue de renforcer l'administration
en ligne et la prise de décision automatisée pour prévenir la corruption,
d'accroître l'efficacité des enquêtes, d'évaluer les risques de
corruption et d'évaluer le cadre juridique. Toutefois, la Commission
a regretté que le cadre stratégique de lutte contre la corruption
n'inclue pas «des actions dans d'autres domaines pertinents pour
la prévention de la corruption, tels que le financement des partis
politiques, la divulgation des actifs ou la réglementation du lobbying
et des ‘portes tournantes
».
86. Dans le cadre du plan de relance post covid-19, la Commission
européenne procède à un examen du respect de l'État de droit et
d’un cadre approprié de lutte contre la corruption avant de débloquer
7,2 milliards € de subventions non remboursables allouées à la Hongrie
par le mécanisme de redressement et de résilience de l'UE
, conformément au règlement sur la conditionnalité
de l'État de droit adopté le 16 décembre 2020 et entré en vigueur
le 1er janvier 2021
. Les États membres
de l'Union européenne sont censés «veiller au respect du droit de
l'Union et du droit national, y compris la prévention, la détection
et la correction efficaces des conflits d'intérêts, de la corruption
et de la fraude, et l'évitement du double financement
»
afin de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne.
Le 12 juillet 2021, la Commission européenne a reporté la validation
du plan de redressement soumis par la Hongrie en raison de l'insuffisance
des efforts de lutte contre la corruption
.
Au même moment, trois juristes ont publié, à la demande d'eurodéputés
de quatre groupes politiques (à savoir le PPE, les Verts, Renouveau
Europe et les sociaux-démocrates), une évaluation mettant en garde
contre le démantèlement systémique de l'État de droit et sa menace
sur les intérêts financiers de l'Union européenne en Hongrie. Les
auteurs mettent en avant le manque de transparence dans l'utilisation des
fonds de l'Union européenne et la corruption qui imprègne le système,
l'absence de poursuites lorsqu'il s'agit d'enquêter et d'engager
des poursuites en cas de fraude, et l'absence de garanties de tribunaux indépendants
chargés de faire respecter le droit européen
. Le 10
juin 2021, le Parlement européen avait appelé la Commission européenne
à «tirer parti de tous les instruments dont elle dispose, notamment
le règlement [relatif à la conditionnalité de l'État de droit],
pour lutter également contre les violations persistantes de la démocratie
et des droits fondamentaux partout dans l’Union, y compris les attaques
contre la liberté des médias et les journalistes, les migrants,
les droits des femmes, les droits des personnes LGBTIQ, et la liberté d’association
et de réunion». Il a regretté l'inaction de la Commission et, sur
la base de l'article 265 du Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne [permettant à une institution de l'Union européenne de
prendre des mesures en cas d'inaction], a exhorté la Commission
à remplir ses obligations
. La Commission européenne a toutefois
refusé de prendre des mesures dans le délai de deux mois; la présidente
de la Commission, Ursula von der Leyen, a expliqué que la lettre
envoyée par le président du Parlement européen n'était pas «suffisamment
claire et précise» et qu'elle ne contenait pas de cas concrets d'infractions
au droit de l'UE qui mériteraient l'application immédiate du mécanisme
. Cependant, le 27 avril
2022, la Commission européenne a déclenché le mécanisme de conditionnalité
de l'État de droit à l'encontre de la Hongrie, arguant que les problèmes
structurels en Hongrie «sont indicatifs de violations des principes
de l'État de droit
».
87. Enfin, nous avons noté, de manière positive, qu'un accord
de coopération avait été signé en février 2022 par le bureau du
procureur général et l'OLAF afin de mieux protéger les fonds de
l'UE contre les fraudes et la corruption potentielles. Nous avons
également noté que des discussions avaient été entamées pour répondre à
certaines préoccupations de la Commission européenne et débloquer
l'accès de la Hongrie aux fonds de relance de l'UE: en juillet 2022,
le gouvernement s'est engagé à réduire la proportion de toutes les
procédures de marchés publics à soumission unique à moins de 15 %
, à augmenter le délai consacré aux
consultations publiques avant l'adoption de la législation, à limiter
le nombre de recours aux procédures accélérées pour adopter la législation,
et a indiqué sa volonté de modifier la législation afin de permettre
un contrôle juridictionnel des décisions du ministère public de
ne pas instruire certaines affaires
.
Ces questions, qui sont pertinentes pour les problèmes soulevés
dans notre rapport, pourraient contribuer à améliorer le cadre de
la lutte contre la corruption. Dans le même temps, les ONG se sont
montrées assez sceptiques quant à l'efficacité des mesures proposées
si elles ne sont pas mises en œuvre de bonne foi
.
3.5.4. Impact de la législation en matière
de surveillance sur les libertés fondamentales: le cas des logiciels
espions Pegasus
88. Un autre sujet de préoccupation
est apparu au cours de l'été 2021, lorsque Forbidden Stories – un consortium
international d'organisations de médias – a révélé que le programme
d'espionnage Pegasus de la cyberentreprise israélienne NSO, officiellement
conçu pour être utilisé par les agences d'État uniquement, aurait
été utilisé depuis 2013 par 11 pays
, dont la Hongrie,
pour effectuer une surveillance étendue de journalistes, militant·e·s,
hommes et femmes d'affaires et même de chefs d'État
. À partir de
2016, ce logiciel espion était capable d'infecter des Android et
ses iPhones à distance, de lire les textes des messages, de tracer
les appels, de collecter les mots de passe, de géolocaliser, d'accéder
au microphone et à la caméra de l'appareil cible et de récolter
des informations dans les applications. Selon les listes obtenues
par Forbidden Stories, les téléphones de plus de 300 ressortissant·e·s
hongrois·es, certains connus pour être critiques envers le gouvernement,
ont été identifiés comme des cibles possibles d'infection. L'équipe
de sécurité d'Amnesty International a procédé à un examen plus approfondi
.
Parmi ces cibles figuraient quatre journalistes (dont Szabolcs Panyi
et András Szabó, journalistes d'investigation à Direkt36
,
et Dávid Dercsenyi, ancien journaliste du média hvg.hu), Zoltán
Varga, propriétaire du Central Media Group, neuf avocats (dont János
Bánáti, président du barreau hongrois
) et un homme politique de l'opposition
. Le 23 juillet 2021, le bureau d'enquête
du procureur régional de Budapest a
ouvert
une enquête sur
l'affaire
du logiciel espion Pegasus, soupçonné de collecte illégale d'informations.
89. Les autorités ont rejeté les allégations comme reposant sur
des «affirmations non fondées
» et ont nié toute surveillance illégale
effectuée depuis 2010
. La ministre de la Justice, Mme Varga,
a toutefois déclaré que «les États doivent disposer des outils nécessaires
pour lutter contre les nombreuses menaces auxquelles ils sont confrontés
aujourd'hui» et a communiqué des informations sur le nombre d'autorisations
accordées pour des opérations de renseignement secrètes signées
par son secrétaire d'État (928 en août 2021, un chiffre en hausse
depuis 2015) sur la base des demandes formulées par les agences
nationales de sécurité
, qui ne nécessitent en fait aucune
décision de justice.
90. Dans le cas de Pegasus, le ministère public a conclu le 15
juin 2022 qu'il n'y avait pas eu de collecte d'informations secrètes
non autorisées ni d'utilisation illégale de moyens secrets et a
clos l'enquête
. L'enquête de l'Autorité nationale
pour la protection des données et la liberté d'information lancée
en août 2021 a conclu pour sa part, en janvier 2022, que l’usage
du logiciel espion Pegasus par les autorités hongroises était en
totale conformité avec la législation hongroise, tout en confirmant
que les autorités hongroises avaient utilisé ce logiciel «pour la
surveillance secrète des systèmes d'information et des locaux, et
que la collecte d'informations sous réserve d'autorisation [du ministère
de la Justice] avait été effectuée à l'égard de plusieurs personnes
identifiées dans la presse
». Les motifs de l'enquête resteront
classifiés jusqu'en 2050
. En bref, les dispositions légales
en vigueur semblent avoir permis aux autorités d'utiliser le logiciel
Pegasus pour recueillir des informations sur des avocats, des militants
de la société civile et des politiciens pour des raisons de sécurité
nationale, ce que nous avons considéré comme très problématique.
L'Assemblée poursuivra l'examen de cette affaire, étant donné que
la commission des questions juridiques et des droits de l'homme
de l'Assemblée prépare actuellement un rapport sur Pegasus et les
logiciels espions similaires ainsi que la surveillance secrète opérée
par l'État
.
91. En fait, ce n'est pas un problème nouveau: la loi sur les
services de sécurité nationale régissant la surveillance secrète
ne prévoit pas de contrôle externe indépendant et ne fournit pas
de garanties suffisantes contre les abus, ce qui entraîne des violations
du droit à la vie privée et à la vie familiale, comme l'a jugé la Cour
européenne des droits de l'homme en 2016 dans l’affaire
Szabó et Vissy c. Hongrie, étant
donné que «la commande se déroule entièrement dans le domaine de
l'exécutif et sans évaluation de la stricte nécessité, que les nouvelles
technologies permettent au gouvernement d'intercepter facilement
des masses de données concernant même des personnes situées en dehors
du champ d'opération initial, et compte tenu de l'absence de toute
mesure corrective efficace, sans parler des mesures judiciaires».
La Cour conclut à la violation de l'article 8 de la Convention [droit
au respect de la vie privée et familiale]
.
92. Le Comité des Ministres, qui surveille l'exécution de l'arrêt
Szabó et Vissy c. Hongrie, a reçu
un plan d'action actualisé en janvier 2021; les autorités hongroises
ont indiqué que «l'examen des exigences découlant de l'arrêt en
termes de modifications législatives, qui est actuellement en cours,
devrait prendre un certain temps» et ont fourni des informations
sur le contrôle exercé par la commission parlementaire de la sécurité nationale
et l'autorité de protection des données
. Lors de sa dernière réunion, le
Comité des Ministres a noté que «[l]e cadre législatif, jugé par
la Cour comme étant en violation de la Convention, est resté inchangé en
substance depuis que le présent arrêt est devenu définitif en 2016,
et ce malgré le fait que les autorités aient reconnu la nécessité
d'une réforme législative globale en 2017
». Dans une autre affaire en cours
, les autorités
hongroises ont été invitées à indiquer si la possibilité que M. Hüttl,
un avocat travaillant souvent avec des ONG, prétendument mis sur
écoute lors d'une conversation téléphonique avec un député européen
en 2015, puisse être soumis à une surveillance secrète sans contrôle
externe/judiciaire «représente une ingérence potentielle injustifiée/disproportionnée
dans ses droits au titre de l'article 8
».
Les autorités hongroises devraient donc prendre les mesures nécessaires
pour remédier aux lacunes juridiques soulignées par la Cour européenne
des droits de l'homme dans la législation sur la surveillance, étant
donné leur impact possible sur les droits fondamentaux des individus
et leurs effets négatifs potentiels sur la démocratie et les droits
humains (y compris la liberté des médias et la protection des sources
des journalistes, qui est couverte par l'article 10 de la Convention
européenne des droits de l'homme).
3.5.5. Questions soulevées par les «fondations
de gestion d'actifs d'intérêt public nouvellement créées remplissant
des fonctions publiques»
93. L'adoption du neuvième amendement
en décembre 2020 a introduit, dans la loi fondamentale, le concept
de «fondations de gestion d'actifs d'intérêt public remplissant
des fonctions publiques» (également appelées «fiducies d'intérêt
public»). Les membres des conseils d'administration de ces fondations
seront initialement nommés par le gouvernement et choisiront leurs
successeurs par cooptation. Les conseils d'administration ne seront
pas soumis à un contrôle public, ce qui a suscité des questions
concernant le contrôle politique sur ces fondations ou le (manque
de) réglementation concernant les conflits d'intérêts de leurs membres).
94. Les autorités ont expliqué que «la disposition relative aux
fondations de gestion d'actifs d'intérêt public remplissant des
fonctions publiques – plusieurs établissements d'enseignement supérieur
fonctionnent sous cette forme – visait à établir l'indépendance
de ces organisations vis-à-vis du gouvernement. (...) La nouvelle disposition
constitutionnelle renforce l'indépendance de ces fondations vis-à-vis
de l'exécutif en garantissant la sécurité juridique, la stabilité
juridique durable et l'indépendance institutionnelle par un consensus
politique de haut niveau
».
95. Dans son avis de juillet 2021
, la Commission de Venise s'est à
nouveau interrogée sur la raison pour laquelle cette disposition
doit figurer dans la loi fondamentale et «pourquoi ses spécifications
doivent être réglementées par une loi cardinale, qui nécessite une
majorité des deux tiers pour être adoptée ou modifiée, ce qui rend
difficile pour tout législateur futur d’annuler les effets des modifications,
c’est-à-dire de récupérer les biens transférés et de revenir sur
la réorganisation de la gestion des fondations concernées
».
La Commission de Venise a donc appelé les autorités à reconsidérer
cet article: les fondations de gestion d’actifs d’intérêt public
exerçant des fonctions publiques devraient être réglementées par
une loi statutaire, «en établissant clairement toutes les obligations
pertinentes de transparence et de responsabilité pour la gestion de
leurs fonds (publics et privés), ainsi que des garanties d’indépendance
appropriées pour la composition et le fonctionnement du conseil
d’administration
». La Commission de Venise a noté
en effet que le fonctionnement interne des fondations nouvellement
créées, ainsi que leurs recettes et leurs dépenses, pourraient être
considérés comme «privés» [après un deuxième transfert de cet «argent
public» à une autre entité] et donc soustraits à l’examen de la
société civile et des médias, puisqu’ils ne sont pas soumis aux demandes
de liberté d’information des citoyens et des médias, ce qui porterait
atteinte à la transparence et à la liberté d’information de l’État
.
96. Enfin, la loi adoptée le 27 avril 2021 a créé le cadre légal
pour le fonctionnement de ces fonds et permis la création d'une
agence non gouvernementale chargée de gérer les biens publics et
de 32 fondations similaires. Cette loi a suscité de vives inquiétudes
de la part du bloc uni des 6 partis d'opposition qui y a vu un «transfert
de fonds publics vers des fortunes privées
». De nombreuses
fondations prendraient en charge la gestion des universités publiques
– y compris les institutions affiliées telles que les hôpitaux –
ou se verraient confier des tâches couvrant la plupart des domaines
de la vie publique
.
97. Outre les questions soulevées par ces nouvelles fondations
en termes de transparence et de responsabilité, la Commission de
Venise s'est également inquiétée de l'impact de cette disposition constitutionnelle
sur la liberté académique: «[l]a soumission des universités publiques
à la gestion d’un conseil d’administration, initialement nommé par
le gouvernement et ensuite libéré du contrôle démocratique, risque de
menacer leur liberté académique et d’affaiblir leur autonomie. Cette
évolution représente une tendance dangereuse car elle fait écho
au récent retrait malheureux d'une université prestigieuse de Budapest».
La Commission de Venise a ainsi invité les autorités à «prendre
en considération le rôle des universités en tant que lieux de libre-pensée
et d’argumentation, en garantissant de manière adéquate leur liberté
académique et leur autonomie
.»
98. Cette évolution, qui n'est pas anodine, a un impact significatif
sur les institutions publiques et des effets durables inscrits dans
la loi cardinale précitée: la Commission européenne a constaté en
juillet 2022 que les dons de biens publics à ces fiducies d'intérêt
public représentaient 2% du PIB. En outre, «plus de 70 % des [106]
membres du conseil d'administration ont des liens avec le gouvernement
actuel ou personnellement avec le Premier ministre, y compris les
ministres actuels et anciens et les secrétaires d'État, les commissaires gouvernementaux,
les gestionnaires de la banque centrale, les députés, les maires
(adjoints), les membres qui s’expriment le plus des groupes pro-gouvernementaux,
les parents», tandis que moins de 25 % des membres du conseil d'administration
ont une formation universitaire et seulement trois personnes ont
eu une carrière professionnelle internationale pertinente. «Sur
les 21 universités qui ont subi le «changement de modèle», 19 ont
des conseils d'administration dont la majorité des membres sont
ainsi liés au gouvernement
.»
Il est donc difficile de savoir comment ce processus de transformation
a effectivement renforcé l'indépendance de ces institutions vis-à-vis
du gouvernement, étant donné la procédure de nomination des membres
du conseil d'administration (d'abord par le gouvernement, puis par
cooptation des membres), l'absence de règles régissant les conflits
d'intérêts et l'absence de contrôle par la Cour des comptes.
99. En conclusion, plusieurs organes de suivi du Conseil de l'Europe
– dont les conclusions sont pertinentes pour évaluer la qualité
de la gouvernance d'un pays au regard du fonctionnement de ses institutions démocratiques
– ont signalé des défis et des déficiences récurrents auxquels les
autorités doivent encore remédier. Ces conclusions sont également
partagées par l'Union européenne. La coalition au pouvoir a bénéficié
d'une «super-majorité» presque sans interruption depuis 2010. En
conséquence, en tenant compte des importantes prérogatives constitutionnelles
du parlement, en particulier lors de la nomination de hauts fonctionnaires
ou l’adoption de lois cardinales qui requièrent la majorité des
deux tiers, le pluralisme politique – qui est le caractère distinctif
d'un système démocratique – est moins présent dans le système politique
et les institutions de l'État. Cette situation, combinée aux effets
du système électoral et aux déficiences en matière de transparence
de la prise de décision, a sérieusement altéré le bon fonctionnement
du système démocratique, comme l’a souligné la Commission de Venise:
les préoccupations qu’elle avait soulevées en 2011 concernant l'instrumentalisation
possible de la Constitution et des lois cardinales restent valables (l'adoption
du neuvième amendement à la Constitution en est une autre illustration).
En outre, les changements législatifs intervenus au cours des dix
dernières années – et qui ont eu un impact sur la liberté d'association
et la situation des médias, par exemple, en contradiction [potentielle]
avec les normes du Conseil de l'Europe – ont également eu un impact
sur le fonctionnement démocratique des institutions.
4. La situation des médias
4.1. La situation des médias: un sujet
de préoccupation persistant
100. La liberté d’expression et
la liberté des médias sont des sujets de préoccupation anciens en
Hongrie et ce, depuis 2010 et l’adoption du paquet médiatique destiné
à mettre le droit hongrois des médias en conformité avec les normes
européennes. Ce paquet a fait l’objet de critiques, notamment de
la part du Commissaire aux droits de l’Homme de l’époque, M. Thomas
Hammarberg
, ou
des experts de la Représentante de l’OSCE pour la liberté de la
presse d’alors, Mme Dunja Mijatović
. Ces critiques ont conduit les
autorités hongroises à procéder à quelques ajustements, notamment
en 2013. Pour autant, ces derniers n’ont pas mis un terme aux réserves
exprimées, comme l’illustrent le rapport de 2014 du Commissaire
aux droits de l’Homme, M. Nils Muižniek
,
ou l’avis de la Commission de Venise sur la législation relative
aux médias rendu en 2015
.
101. Tel fut ainsi le cas pour l’Assemblée. En 2017, M. Volodymyr
Ariev (Ukraine, CE/AD), rapporteur au nom de la Commission de la
Culture, de la Science, de l’éducation et des médias, sur les «Attaques
contre les journalistes et la liberté des médias en Europe
» leur a consacré
de longs développements, de même que M. Cezar Florin Preda (Roumanie,
PPE/DC), rapporteur pour l’examen périodique de la Hongrie au nom
de la Commission de suivi
.
Lord George Foulkes (Royaume-Uni, SOC), rapporteur au nom de la
Commission de la culture, de la science de l’éducation et des médias
sur les «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes»
y a aussi consacré beaucoup d’attention dans son rapport de 2020
.
102. Tenant compte des préoccupations soulevées par ces rapporteurs,
l’Assemblée a ainsi appelé, dans sa
Résolution 2141 (2017), les autorités hongroises «à renforcer le pluralisme
et la diversité des médias, et à assurer la transparence de la propriété
des médias, en particulier lorsqu'un média est effectivement détenu
ou contrôlé par un entrepreneur commercial qui a obtenu des marchés
publics
». Un an plus tard,
dans sa
Résolution 2203
(2018); elle priait instamment les autorités hongroises «d'inverser
le recul du pays dans les évaluations de la liberté des médias et
de faire cesser la forte intervention des politiques dans le marché hongrois
des médias
». Enfin, dans
sa
Résolution 2317 (2020), elle appelait la Hongrie «à régler immédiatement le
grave problème qui se pose pour le pluralisme des médias: le conglomérat
économique et politique partial de licences de média, qui concentre
78 % des médias hongrois, en association étroite avec le parti au
pouvoir, est en totale contradiction avec la liberté d’expression
et d’information
».
103. Le 30 mars 2021, la Commissaire aux droits de l'homme, Mme Dunja
Mijatović, a publié un mémorandum sur la liberté d'expression et
la liberté des médias en Hongrie, déclarant qu'il était «grand temps
pour la Hongrie de restaurer les libertés journalistiques et médiatiques
».
104. Enfin, pour sa première série de rapports sur la primauté
du droit dans les États membres de l'Union européenne, la Commission
européenne a choisi le «pluralisme des médias» comme l'un de ses
thèmes et a soulevé un certain nombre de préoccupations dans le
cas de la Hongrie
.
105. Cet intérêt constant des organisations internationales pour
la liberté des médias, ainsi que le caractère ancien de leurs préoccupations
nous ont conduits à sélectionner cette thématique. Afin de la traiter
au mieux, nous avons organisé une journée et demie d’entretiens
à distance, en sus de l’abondance de matériaux officiels, y compris
les commentaires très détaillés et étayés des autorités hongroises
au mémorandum de la Commissaire précité. Ces entretiens ont été
effectués avec des experts des médias hongrois, des représentants
d’organisations internationales, des représentants des médias hongrois,
y compris la Fondation pour la presse et les médias d’Europe centrale,
plus connue sous son acronyme magyar de «KESMA», ainsi que des représentants
de l’Autorité régulatrice des médias hongrois, l’Autorité nationale
des médias et de l’infocommunication, (l’Autorité des médias) ou
«NMHH» selon son acronyme magyar.
106. Dans leurs commentaires sur ce rapport, les autorités ont
souligné que la liberté d'expression est protégée par l'article
IX de la Loi fondamentale; le cadre juridique garantit des protections
pour la liberté d'expression éditoriale et journalistique; le cadre
réglementant les activités des médias a été élaboré en consultation
avec la Commission européenne et la Commission de Venise; toutes
les décisions du Conseil des médias sur le fond de l'affaire peuvent
être contestées devant les tribunaux. La loi sur les médias énonce
que la diversité des services de médias a une valeur publique particulièrement
importante. La protection de la diversité consiste à éviter la formation
de monopoles de propriété et toute restriction injustifiée de la concurrence
sur le marché. Enfin, les autorités hongroises estiment que «la
Hongrie est l'un des rares États membres où règne un véritable pluralisme
dans les médias et dans les débats idéologiques, ainsi que dans l'opinion
générale. Contrairement au paysage médiatique d'Europe occidentale,
massivement dominé par les médias de gauche et libéraux, la situation
hongroise est plus équilibrée, car les opinions conservatrices et chrétiennes-démocrates
ont également un accès significatif à la publicité
».
4.2. 2 Quelques éléments de contexte
107. Selon le classement mondial
de la liberté de la presse, établi chaque année par Reporters sans frontières
(RSF), la Hongrie se situe au 85e rang sur 180 en 2022, soit une
légère amélioration par rapport à 2021
, due à une meilleure prise en compte
de la liberté de la presse sur internet
. En 2013, la Hongrie était classée
56e et a affiché une tendance à la baisse
constante et assez significative depuis lors. La notation sur l’indépendance
des médias octroyée par Freedom House s’élève à 2 sur 4, ce qui
classe la Hongrie dans la catégorie «partiellement libre». Elle
avait le statut de «libre» dans le classement «Freedom of the Net
2016» (liberté sur internet).
108. La scène politique hongroise se caractérise par un haut niveau
de polarisation. Celle-ci se retrouve également sur la scène des
médias d’information. Des échanges que nous avons eus, il ressort
que cette polarisation n’est pas nouvelle. En revanche, elle se
serait nettement accentuée depuis 2010. Il nous a également été
indiqué que, depuis la transition politique des années 1989-1990,
comme dans la plupart des pays d’Europe centrale ou orientale, la
scène médiatique hongroise se caractériserait par l’existence d’un marché
de la presse écrite relativement faible, une tendance importante
des médias d’information à refléter les oppositions politiques,
un niveau limité de professionnalisation journalistique et un niveau
élevé d’intervention de la puissance publique. Le relatif sous-développement
du marché des médias additionné à ces interventions aurait pour
effet de saper la viabilité financière de la plupart des médias
d’information et de rendre l’investissement dans ces derniers non
lucratifs.
4.3. Sujets de préoccupation
109. La plupart de nos interlocuteurs
nous ont indiqué que le cadre légal régissant l’activité des médias
et protégeant la liberté d’expression ne posait en lui-même pas
de difficulté particulière. Ils faisaient ainsi référence aux dispositions
constitutionnelles sur la liberté et le pluralisme des médias, ainsi
qu’aux lois sectorielles, telle la loi sur les médias et la loi
sur la liberté de la presse. Ce constat est partagé par le Centre pour
le pluralisme des médias et la liberté des médias. Dans son rapport
sur l’État de droit en Hongrie en 2020 et 2021, la Commission européenne
se réfère à l’instrument de surveillance du pluralisme des médias
(MPM 2020-2021)
, développé par le Centre pour le pluralisme
des médias et la liberté des médias et co-financé par l’Union européenne
et l’European University Institute. Selon les conclusions du MPM
2020, le domaine dans lequel le risque d’atteinte au pluralisme
des médias, estimé à «moyen», est le plus faible, est celui de la «protection
de base», c’est-à-dire celle offerte en particulier par le cadre
légal régissant le secteur des médias au sens large. Il y a cependant
une réserve importante, à savoir l’indépendance de l’Autorité des
médias. Toutes les entités du Conseil de l’Europe, Commission de
Venise, Commissaire aux droits de l’Homme, Assemblée, ainsi que
la Commission européenne s’accordent en la matière et nous nous
y attacherons plus en détail ci-dessous. Le rapport 2021 de MPM
a confirmé ces conclusions et établi que le risque le plus faible pour
la pluralité des médias est la «protection fondamentale
».
110. L’Autorité des médias se compose de trois éléments distincts:
le président de l’Autorité des médias, le Conseil des médias et
le Bureau du Conseil des médias. Le président, en l’occurrence la
présidente, est nommé pour un mandat non renouvelable de neuf ans
par le Président hongrois sur proposition du Premier ministre et
dispose de pouvoirs très importants en matière de nomination des
principaux décisionnaires de l’Autorité. Il préside également le
Conseil des médias. Ce dernier compte quatre autres membres élus
par le parlement, en même temps que le président, également pour
un mandat non renouvelable de neuf ans. Les autorités ont expliqué
que le Conseil des médias est un organe indépendant de l'Autorité,
doté de la personnalité juridique, relevant du parlement, soumis
uniquement à la législation hongroise, et qu'il ne peut pas recevoir
d’instructions dans l'exercice de ses fonctions officielles; en
outre, la loi sur les médias exclut expressément la possibilité
pour un représentant, un fonctionnaire, un employé d'un parti politique,
ou toute personne exerçant des activités politiques au sein d'un
parti, d'être membre du Conseil des médias
.
La Commission de Venise a noté dans son avis de 2015 précité, au
paragraphe 62, que «par rapport à beaucoup d’autres autorités européennes
de régulation des médias, le Conseil des médias hongrois jouit de
pouvoirs extrêmement larges». Elle en donne une longue liste sur
laquelle figurent entre autres l’approbation des candidatures aux
fonctions de directeurs exécutifs des médias de service public ou
l’allocation via le Fonds de soutien aux médias et de gestion des
biens des médias, le MTVA, des financements aux médias de service public
et aux sociétés nationales de production. Compte tenu de l’ampleur
de ces pouvoirs, les membres du Conseil des médias devraient être
perçus comme impartiaux. Or, ainsi que la Commission de Venise l’indiquait en
2015, ils sont vus «en dépit de leurs qualifications, par la communauté
médiatique comme ayant la même appartenance politique», c’est-à-dire
celle de la majorité gouvernementale. C’est également le point de
vue exprimé par la Commissaire aux droits de l’Homme dans son mémorandum
et ce qui ressort des entretiens menés par les corapporteurs en
2021. La procédure de nomination de ses quatre membres par le parlement est
censée garantir que le choix des membres nécessite un certain consensus
politique et c’est l’argument répété par les autorités hongroises.
Or, tel n’est pas le cas. Les quatre membres nommés par le parlement sont
désignés par une décision unanime d’une commission parlementaire
ad hoc. Cette commission est composée
d'un membre de chaque groupe politique, dont le vote pondéré reflète
la taille du groupe politique qu'il représente. Mais, si la commission
n'est pas en mesure de présenter quatre candidats dans le délai imparti,
elle peut désigner des candidats à la majorité des deux tiers des
voix pondérées. C'est exactement ce qui s'est passé en décembre
2019, lorsque quatre nouveaux membres ont été nommés au Conseil
des médias. Alors que les partis d'opposition avaient proposé leurs
candidats avant la date limite de septembre, les partis gouvernementaux
(Fidesz et KDNP) n'en avaient pas. Ils ont systématiquement refusé
les candidats de l'opposition et permis à la commission
ad hoc de proposer des candidats
uniquement soutenus par la majorité, celle-ci détenant, au sein
du parlement, plus des deux tiers des sièges. En d'autres termes,
le mécanisme antiblocage mis en place pour éviter qu'une décision
unanime ne bloque la nomination des candidats ne favorise pas le
pluralisme lorsque la majorité détient les deux tiers des sièges
au parlement, car elle peut désigner qui elle veut, sans même essayer
de trouver un compromis avec l'opposition. Déjà en 2015, la Commission
de Venise considérait que la règle des deux tiers, «au lieu d’assurer
le pluralisme et l’apolitisme de l’instance de régulation, revient
alors à «cimenter» l’influence du groupe [politique qui détient
la majorité des deux tiers] au sein de l’instance de régulation
et à faire en sorte que cette influence perdure même en cas de changement
politique. Le système de nomination et de remplacement des membres
du Conseil des médias adopté en 2010 rend très difficile tout changement
de la composition de cet organisme sans le soutien de la coalition
Fidesz/KDPN, et ce pour de nombreuses années encore
.
111. Le renforcement des garanties encadrant la nomination des
membres du Conseil des médias intervenu en 2013 et qui portait essentiellement
sur la désignation de son président, les conditions entourant cette désignation
et le caractère non-renouvelable de son mandat, est donc insuffisant
et a laissé irrésolue la question de l’indépendance. La Commission
de Venise avait pourtant détaillé les pistes à explorer pour mettre en
place un système reflétant la diversité politique du pays, afin
de veiller à ce que les principaux partis politiques et groupes
sociaux soient équitablement représentés au sein du Conseil, notamment
en ouvrant sa composition à des membres de la profession des médias
et en permettant aux groupes de la société civile de prendre part
au processus de nomination. Elle avait également plaidé pour réduire
la durée du mandat du président de l’Autorité des médias et supprimer
certains de ses pouvoirs de nomination
. Nézőpont, un groupe de réflexion
considéré comme proche du gouvernement, a publié une étude
qui
reflète les arguments des autorités hongroises. L’étude affirme
d’une part, qu’au regard des pratiques des États membres de l’Union
européenne, l’indépendance de l’Autorité était «solide», et, d’autre
part, que les sanctions qu’elle infligeait aux médias conservateurs
étaient plus sévères que celles prononcées à l’encontre des médias d’opposition.
La Commission européenne s'inquiète également de l'indépendance
de l'Autorité des médias.
112. Notre deuxième sujet de préoccupation concerne la pluralité
du marché des médias, pour laquelle MPM évalue le risque comme élevé
(82 %) en 2021 contre 71 % en 2020. Cette augmentation est notamment
due à l'augmentation du risque pour la viabilité des médias
. Ainsi qu’il a déjà été indiqué,
ce constat a également été fait par l’Assemblée dans la Résolution
(2020) 2317 précitée. À l’époque, il visait principalement la création, en
2018, du conglomérat de médias, KESMA. Celui-ci est né de la fusion
de 470 médias, qualifiés de «favorables au gouvernement» par la
Commission européenne. En fait, presque tous les propriétaires de médias
favorables au Fidesz ont transféré les droits de propriété de leurs
médias à KESMA. Leurs entreprises ont rejoint la fondation, toutes
sans aucune forme de compensation pour les propriétaires
.
Cette fusion a été opérée par décret la qualifiant «d’importance
stratégique nationale», dont l’effet a été de la soustraire à tout contrôle
de l’Autorité de la concurrence et de l’Autorité régulatrice des
médias. Trois raisons ont été invoquées par nos interlocuteurs:
la fusion aurait visé à sauver la presse écrite, ce qui est possible,
mais KESMA comprend également des télévisions, des radiodiffuseurs
et des médias en ligne; elle aurait été motivée par des considérations
économiques, la taille du conglomérat permettant des économies d’échelle;
enfin, elle aurait répondu à la volonté de créer un groupe capable
de contrebalancer la voix des médias d’opposition. Quelle que soit
la motivation réelle de cette fusion, elle a de lourdes conséquences.
Selon une étude du groupe de réflexion Mérték, en se basant sur
la part des revenus générés par les médias sur ce segment de marché, les
«médias pro-gouvernementaux», soit KESMA, ceux demeurant en dehors
de celui-ci, et le radiodiffuseur public, contrôleraient près de
80 % du marché des médias d’information et de la couverture de l’actualité politique
. Les ONG signalent
que la législation hongroise ne comporte «aucune contrainte réelle
en matière de propriété» et permettent donc une concentration importante
des médias
. Les autorités hongroises contestent
l’existence d’une telle concentration des médias. Le premier ministre
Viktor Orbán a ainsi déclaré à la presse allemande que toutes les
études objectives montraient que la moitié des médias critiquaient
le gouvernement
et l’étude précitée
de Nézőpont indique que les médias conservateurs et libéraux se partagent
les audiences à parts égales.
113. Les autorités ont également déclaré que la création et le
fonctionnement du conglomérat KESMA «n'ont pas eu d'impact disproportionné
sur le fonctionnement du marché des médias et n'ont pas eu d'effet
néfaste sur le pluralisme des médias et le droit à une information
diversifiée. La position de KESMA sur le marché et son influence
ne peuvent être évaluées uniquement sur la base de la propriété»
et «sa position sur le marché hongrois des médias et son rôle dans
la formation de l'opinion publique» pourraient être évalués en tenant compte
du «pouvoir d'influence sur l'opinion publique des médias qu’il
détient
».
114. Depuis 2018, cependant, la tendance à l’augmentation de la
concentration du marché des médias semble s’être accentuée. Ainsi,
selon le MPM, le Conseil des médias a refusé la fusion entre la
télévision RTL, perçue comme indépendante, et l’entreprise digitale
Central Media, tandis qu’elle autorisait celle de l’éditeur
Lapcom, du réseau de radios
Radio 1 et de la Télévision
TV2, le propriétaire du groupe résultant
de cette fusion étant qualifié de pro-gouvernemental. En juillet
2020, le rédacteur en chef du site de média d’information indépendant,
Index.hu, le plus lu en Hongrie,
avec à l’époque près de 1,5 million de lecteurs par jour, a été licencié,
provoquant le départ de la quasi-totalité des journalistes et la
création d’un nouveau site d’information,
Telex.hu .Ce licenciement est
intervenu après deux évènements distincts qui, à première vue, semblaient sans
rapport l’un avec l’autre. En mars de la même année, selon le groupe
de réflexion Mérték,
Index.hu et
un autre site
444.hu, ont
fait l’objet d’attaques de la part de médias pro-gouvernementaux
au motif qu’ils diffuseraient de fausses informations relatives
à la pandémie de Covid-19 à des fins purement financières
. En mars également,
selon
Euronews, un homme d’affaires,
M. Miklos Vaszily, proche du gouvernement aurait indiqué avoir acquis
50 % de l’entreprise de régie publicitaire d’
Index.hu.
La démission du rédacteur en chef d’
Index.hu s’inscrirait
dans cette perspective, que la Commission européenne semble avoir
jugée crédible au point de la mentionner dans son rapport sur l’État
de droit. Enfin, en septembre 2020, l’Autorité régulatrice des médias
n’a pas renouvelé la licence de la plus grande radio d’opposition,
Klubrádió Budapest, qui a cessé d’émettre
sur les fréquences hertziennes en février 2021. L’Autorité a justifié
le non-renouvellement de la licence par le fait que
Klubrádió avait omis de transmettre
des données qu’elle était légalement tenue de lui fournir du 27
mars au 3 mai 2017, omission non contestée et pour laquelle
Klubrádió avait payé des amendes. Cette
omission étant assimilable à une «violation légale répétée» au titre
de la loi sur les médias, l’Autorité était tenue de la prendre en
compte et de ne pas renouveler la licence d’émission sur les ondes
hertziennes. Dans un arrêt de du 9 février 2021, la cour régionale
de Budapest a entièrement donné raison à l’Autorité. Cet arrêt a
été confirmé par une décision de la Cour suprême (Curia) le 17 juin
de la même année. Parallèlement, le propriétaire de
Klubrádió a soumissionné à l’appel
d’offres lancé par l’Autorité pour attribuer la fréquence laissée
vacante depuis février. Il en a été exclu et a attaqué cette exclusion.
Curieusement, l’appel d’offres a été déclaré infructueux par l’Autorité,
mais cette dernière a néanmoins accordé une licence temporaire d’émission
de six mois à l’un des soumissionnaires évincé,
Spirit FM, réputé proche de l’église
évangélique. La Cour suprême a jugé que la décision de l’Autorité
était conforme à la loi et rejeté le pourvoi de
Klubrádió .
115. Par ailleurs, la décision initiale de ne pas renouveler la
licence de
Klubrádió prise
par l’Autorité des médias a conduit la Commission européenne, dans
un premier temps, à protester par une lettre adressée aux autorités
hongroises, dans laquelle elle aurait rappelé à ces dernières leur
engagement à respecter la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, qui protège la liberté d’expression et d’information,
ainsi que la liberté d’entreprise et leur aurait demandé de maintenir
la licence temporairement jusqu’à ce qu’une décision de justice
devenue définitive soit intervenue
.
L’Autorité ayant rejeté cette protestation sans attendre la décision
de la Curia, la Commission a, le 9 juin 2021, lancé une procédure
pour manquement à l’encontre de la Hongrie. Elle estime en effet
que la Hongrie a violé la directive (EU) 2018/1972 du 11 décembre
2018 établissant le code des communications électroniques européen.
La Commission européenne considère en effet que les décisions du
Conseil des médias visant à refuser le renouvellement de la licence
de
Klubrádió revêtaient un
caractère disproportionné, n’avaient pas été prises de manière transparente
et étaient donc contraires au droit communautaire. La Commission
considère également que la loi hongroise sur les médias a été appliquée
de manière discriminatoire dans ce cas particulier.
116. Les éléments clés de ces règles sont les principes de proportionnalité
et de non-discrimination. La Commission estime que les décisions
du conseil hongrois des médias de refuser le renouvellement des
droits de
Klubrádió étaient
disproportionnées et non transparentes et donc contraires au droit
communautaire. La Commission considère également que la loi nationale
hongroise sur les médias a été appliquée de manière discriminatoire
dans ce cas particulier. En conséquence, la Commission a envoyé,
le 9 juin 2021, une lettre de mise en demeure à la Hongrie, qui
disposait de deux mois pour répondre aux arguments soulevés par
la Commission, puis a décidé, le 15 juillet 2022, de saisir la Cour
de justice de l’Union européenne d’un recours contre la Hongrie.
La procédure est en cours et le gouvernement hongrois a indiqué
qu’il avait répondu en détail à toutes les questions soulevées par
la Commission – celles figurant dans la lettre de mise en demeure du
9 juin 2022 et celles de l’avis motivé du 2 décembre 2021
.
117. La décision de non-renouvellement de la licence avait été
prise, après que
Klubrádió a
vu fondre ses recettes publicitaires à partir de 2010, après qu’elle
a perdu ses douze fréquences locales et après qu’elle a dû émettre,
entre 2011 et 2013, sur Budapest avec des licences temporaires de
deux mois
. Cet enchaînement d’évènements ressemble
fort à un schéma.
118. Un autre fait est intervenu à la suite de la décision de non-renouvellement
de la licence de
Klubrádió:
le 12 avril 2022, le Conseil des médias a refusé de renouveler la
licence de
Tilos Rádió, une
radio indépendante connue pour ses émissions politiques et culturelles
critiques. La Plateforme du Conseil de l’Europe pour la sécurité
des journalistes a lancé une alerte à propos de cette situation.
Le Conseil des médias motive sa décision par des «infractions graves
et répétées à la loi sur les médias». Reporters sans frontières
considère en revanche qu’«en fondant son refus de renouveler la
licence de diffusion de
Tilos Rádió sur
la base de manquements administratifs mineurs, le Conseil des médias,
renoue avec le scénario qui l’avait conduit à l’automne 2020 à évincer
Klubrádió […], la plus grande radio
indépendante du pays
.»
119. Dans leurs commentaires, les autorités ont fourni de nombreuses
informations sur le cadre réglementaire national concernant l’octroi
et le renouvellement de licences de média. Elles ont contesté que
le cas de
Klubrádió soit discriminatoire
ou s’inscrive dans un schéma, indiquant que la radio «n’avait pas
satisfait aux obligations légales expresses, proportionnées et non
discriminatoires en matière de renouvellement, et n’était pas non
plus en mesure d’obtenir de nouveau des droits de service dans le
cadre de la procédure d’octroi de licence». Elles ont aussi souligné
que les tribunaux hongrois avaient dûment examiné les décisions du
Conseil des médias concernant
Klubrádió et
rendu des décisions définitives confirmant que celles-ci étaient parfaitement
légales et que tant la législation hongroise que les procédures
nationales dans les cas individuels étaient pleinement conformes
aux dispositions et principes de la directive de l’Union européenne
en la matière; et que le Gouvernement hongrois n’interférait pas
dans les activités des autorités indépendantes ou de la justice
.
120. Par ailleurs, toujours au regard de la concentration des médias,
l’Assemblée avait, dans sa
Résolution 2141
(2017), demandé le renforcement des règles relatives à la transparence
de la propriété des médias. La Commission européenne a noté dans
son rapport sur l’État de droit 2021 que malgré les dispositions
détaillées de la loi sur les médias destinées à prévenir cette concentration,
les MPM 2020 et 2021 considéraient que la situation dans le domaine
de la transparence de la propriété des médias et de la concentration
des médias d’information présentait un risque élevé (75 % et 84 %).
121. Notre troisième sujet de préoccupation a trait aux interférences
politiques qui s’opèrent via des distorsions de marché. Le MPM 2021
considère que les médias hongrois sont exposés à un risque élevé
en matière d’indépendance politique, le risque étant quantifié à
75 %. Les interventions directes des pouvoirs publics demeurent
rares. En revanche, ces derniers exercent une influence majeure
à travers les annonces publicitaires qu’ils achètent aux médias,
et par l’intermédiaire d’investisseurs qui leurs sont fidèles. Selon
les MPM, les dépenses des pouvoirs publics en 2020 et 2021 ont représenté
un tiers de l’ensemble des recettes publicitaires sur le marché
des médias. En 2019, 75 % de ces dépenses ont bénéficié à des médias
pro-gouvernementaux. Pour 2020, le groupe de réflexion Mérték cite
un chiffre encore plus élevé: 86 %
.
En 2017, dans sa
Résolution
2141 (2017), l’Assemblée avait déjà appelé les autorités hongroises
«à garantir que les contrats publicitaires impliquant des pouvoirs
publics et des entreprises d’État sont conclus avec tous les médias
de manière équitable et transparente
». Le rapport 2021
sur l’État de droit de la Commission européenne indique que 85 %
des dépenses publicitaires de l’État hongrois vont à des médias
pro-gouvernementaux
. Les autorités ont toutefois fait
valoir que les dépenses publicitaires convenues dans le cadre de
contrat classiques ne relèvent pas de l’administration des médias
et que le Conseil des médias ou l’Autorité des médias ne sont dès
lors pas habilités à enquêter sur des faits ayant trait au marché
de la publicité ni à prendre de mesures concernant des dépenses
publicitaires
.
122. Notre quatrième sujet de préoccupation concerne l’accès du
public à l’information, qui est parfois entravé. Ainsi dans son
rapport d’examen périodique sur la Hongrie de 2018, M. Preda rappelait
qu’en 2015, de nouveaux amendements à la loi sur la liberté d’information
avaient restreint l’accès aux informations publiques et qu’ils permettaient
aux institutions de l’État de facturer une avance sur frais aux
demandeurs d’informations, au titre des «frais de traitement des
demandes d’information», ce qui, évidemment peut affecter le travail
des journalistes. L’Assemblée avait appelé les autorités hongroises
à «prendre des mesures appropriées pour améliorer la transparence
et la responsabilité en matière de droit d’accès à l’information
». Lors de notre
visite à Budapest, des représentants des médias ont confirmé leurs
préoccupations sur ces questions. Ils ont également regretté qu’un
délai très long (de 15 à 45 jours, renouvelable une fois) soit laissé aux
pouvoirs publics pour traiter les demandes d’information.
123. Enfin, certains de nos interlocuteurs ont mentionné le traitement
réservé par les pouvoirs publics aux journalistes et/ou à certains
médias indépendants, qui concourent à les entraver de manière systématique dans
leur activité, lorsqu’ils se montrent critiques à l’égard du gouvernement.
Ils nous ont également indiqué qu’ils ne craignaient pas d’attaques
physiques, comme certains journalistes ont pu en subir dans d’autres
États membres du Conseil. L’un d’entre eux nous a affirmé que la
législation spéciale adoptée pendant la pandémie visant à rendre
la diffusion de fausses informations en lien avec la covid-19 passible
d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans n’avait
conduit aucun journaliste en prison, à sa connaissance. La Plateforme
craignait que les autorités hongroises utilisent les nouvelles dispositions
pour menacer les médias indépendants et critiques
. D’autres restrictions ont par ailleurs
été imposées pendant la pandémie: le 29 janvier 2022, le Gouvernement
hongrois a pris un décret dont les dispositions permettent d’empêcher
les journalistes des médias indépendants de faire des reportages
dans les hôpitaux, en dépit d’un arrêt contraire rendu par la Cour
suprême
.
124. Depuis 2015, la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer
la protection du journalisme et la sécurité des journalistes a émis
22 alertes concernant la Hongrie à propos d’actes ayant des effets
dissuasifs sur la liberté des médias et de pratiques d’intimidation
visant des journalistes
– au cours des cinq dernières années,
aucune n’a eu trait à des attaques contre la sécurité et l’intégrité
physique des journalistes. Les dernières alertes en date concernent
la mise sous surveillance de journalistes par le logiciel espion
Pegasus (mise à jour en février 2022, voir plus haut) et le refus
du Conseil des médias de renouveler la licence de
Tilos Rádió (juin 2022)
. Les autorités hongroises y ont
en général répondu, mais quelquefois leur réponse était insatisfaisante.
Par exemple, ceci a été le cas de l’alerte consacrée à la publication
par le portail hongrois 888.hu d’une liste de journalistes accusés
de servir les intérêts du milliardaire américain d'origine hongroise George
Soros, où le représentant hongrois a répondu que l’article en question
relevait de la liberté éditoriale. Le nombre de ces alertes et leur
contenu nous amènent à penser, comme la Commission européenne dans son
rapport sur l’État de droit, que les médias indépendants sont effectivement
confrontés à des pratiques d’obstruction et d’intimidation systémiques.
De manière générale, nous appelons les autorités hongroises à supprimer
toutes les pratiques ou dispositions légales de nature à créer un
effet dissuasif sur la liberté d’expression. À cet égard, nous rappelons
l’importance de décriminaliser la diffamation, actuellement passible d’une
peine d’emprisonnement de trois ans, et nous exhortons les autorités
hongroises à revenir sur les dispositions introduites par la loi
dite d’Autorisation (loi n° XII du 30 mars 2020) ayant permis la
mise en place, par décret, d’une peine d’emprisonnement pouvant
aller jusqu’à cinq ans pour diffusion de fausses informations.
125. Face à l’ensemble de ces inquiétudes, l’un de nos interlocuteurs
a qualifié le système des médias de «hybride», reprenant ainsi la
terminologie utilisée par Freedom House pour classer les régimes
politiques des États selon leur caractère plus ou moins démocratique.
Ce classement s’échelonne de «démocratie consolidée» à «régime autoritaire
consolidé», en passant par «démocratie semi-consolidée», «régime
en transition ou hybride» et «régime autoritaire semi-consolidé».
Ce parallèle illustre le niveau d’inquiétude actuelle quant à la
situation des médias en Hongrie.
126. Un autre problème mis en avant par certaines ONG a trait à
l’importance de la désinformation russe dans l’audiovisuel public
hongrois et au financement de radiodiffuseurs par la Russie, qui
se pose avec plus d’acuité encore dans le contexte de la guerre
en Ukraine. L’ONG TASZ a indiqué que «malgré les mesures restrictives
mises en place par l’Union européenne contre
Russia
Today et
Sputnik,
la propagande de guerre russe ne cesse d’être diffusée en Hongrie».
Elle note que «l’une des principales sources de la désinformation russe
qui n’est pas contrecarrée de manière appropriée est
Duna», le média de service public
hongrois rassemblant plusieurs chaînes de radio et de télévision
ainsi qu’une agence de presse. Les autorités hongroises laissent
la propagande se diffuser en s’abstenant de toute sanction «lorsque
[
Duna] présente des fausses
nouvelles comme étant vraies» ou diffuse «les notions et idées qui
servent le récit russe sans donner d’éléments de contexte ou de
contre-arguments» ou encore cite directement des sources russes
faisant l’objet de sanctions. La TASZ a saisi la Commission européenne
de cette question
.
127. De nouvelles préoccupations ont été soulevées à propos des
médias sociaux: en 2021, des ONG ont signalé la création d’un fonds
dédié aux influenceurs pro-gouvernementaux qui interviennent sur
les médias sociaux. Ce fonds (Megafon) finance des influenceurs
pour qu’ils diffusent des messages en faveur du gouvernement. En
2021, le deuxième plus grand annonceur sur Facebook a été le gouvernement
lui-même, et le troisième le Fidesz
. Ce problème revêt une importance
particulière compte tenu des informations selon lesquelles 60 %
des dépenses engagées sur Facebook lors de la dernière campagne
électorale l’ont été en faveur du Fidesz
.
128. Tous les sujets de préoccupation présentés ci-dessus ont en
commun une érosion claire du pluralisme des médias en Hongrie. La
situation des médias reste donc aujourd’hui un sujet de préoccupation,
ce qui conduit la Plateforme pour la sécurité des journalistes à
écrire en 2022 qu’«au sein de l’Union européenne, la Hongrie a mis
en place le niveau le plus avancé de captation des médias par l’État
».
4.4. Impact possible des pressions de l’Union
européenne
129. L’affaire suivante illustre
l’importance des effets que la réglementation européenne peut avoir,
de manière indirecte, sur la situation des médias: celle de l’impôt
sur la publicité ou sur les recettes publicitaires. En 2014, le
Parlement hongrois a adopté une loi créant un nouvel impôt sur les
recettes publicitaires des médias, dont le taux augmentait en fonction
du montant net de leur chiffre d’affaires – la progressivité de
l’impôt s’étalait sur six taux différents. Le Commissaire des droits
de l’Homme avait alors pointé le risque que cet impôt cible, dans
la pratique, la chaîne de télévision
RTL
Klub, «habituellement vue comme la dernière chaîne de télévision
indépendante d’une taille significative», et, de fait, ne «restreigne
le pluralisme des médias»
. La Commission
de Venise avait également indiqué que le dispositif prévu pourrait
être considéré comme une mesure individuelle confiscatoire déguisée
portant atteinte à l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne
des droits de l’Homme qui garantit la jouissance paisible des biens
. Enfin, l’Assemblée
avait invité les autorités hongroises à revenir sur cet impôt dans
sa
Résolution 2141 (2017) . En mars 2015,
la Commission européenne avait ouvert une enquête sur le fondement
de la réglementation relative aux aides d’État. Elle avait considéré
que le dispositif retenu créait un avantage sélectif en faveur des
sociétés de médias aux faibles revenus publicitaires, au détriment
de celles qui dégageaient d’importants revenus publicitaires, cet avantage
étant assimilé à une aide d’État. En juin 2015, le Parlement hongrois
a modifié fortement le mode de calcul de l’impôt sur la publicité
en réduisant son caractère progressif à deux taux, nettement plus
faibles que les taux supérieurs précédents. Cette modification n’a
pas été jugée suffisante par la Commission européenne, mais l’a
été par le Tribunal de Première instance de l’Union Européenne qui
a donné raison aux autorités hongroises par un jugement du 27 juin
2019 (affaire T-20/17), confirmé par la Cour de Justice de l’Union européenne
par une décision du 31 mars 2021 (affaire C-596/19 P).
130. C’est bien parce que le droit européen de la concurrence et
des aides d’État peut avoir un fort impact sur la situation des
médias que des plaintes ont été déposées auprès de la Commission
européenne en arguant d’une violation de l’un ou de l’autre. Ainsi,
les corapporteurs ont été informés qu’en 2016, une plainte (n° 45463)
avait été déposée par l’ancien député européen Benedek Jávor,
Klubrádió Budapest, et le groupe de
réflexion Mérték. Les plaignants y indiquent que le mode de financement
du service public des médias par les autorités hongroises a de sérieux
effets anticoncurrentiels et provoquerait des distorsions de marché favorables
aux narratifs diffusés par le gouvernement et défavorables aux médias
indépendants. Début 2019, la Commission européenne a été saisie
d’une autre plainte (n° 53108) analysant les dépenses publicitaires
de l’État hongrois auprès des médias entre 2006 et 2017 et concluant
à leur distribution selon des critères plus politiques qu’économiques,
d’où une distorsion de concurrence
.
Seize organisations défendant la liberté des médias, parmi lesquelles
plusieurs partenaires de la Plateforme pour la protection du journalisme
du Conseil de l’Europe, ont adressé, les 2 septembre 2020 et 26
février 2021
, deux lettres à la Vice-Présidente exécutive
de la Commission européenne, Mme Margrethe
Vestager, également en charge de la concurrence. Elles y rappellent
l’importance de ces plaintes au regard du contexte hongrois, regrettent
que l’instruction de celle de 2016 n’ait pas encore été menée à
son terme et affirment que la détérioration de l’environnement de la
liberté des médias ne concerne pas que la Hongrie, mais également
la Pologne. En tant que corapporteurs, nous espérons que la Commission
européenne instruira ces plaintes dans un délai raisonnable et prendra
la mesure des conséquences que l’interprétation de la législation
européenne peut avoir sur le pluralisme des médias.
4.5. La question des médias pendant les
élections législatives de 2022
131. Les médias jouent un rôle essentiel
dans les campagnes électorales. En 2018, le BIDDH, tout en notant que
les électeurs avaient eu un large éventail d’options politiques,
avait exprimé plusieurs préoccupations mentionnant «un chevauchement
généralisé entre les ressources de l’État et celles du parti au
pouvoir, compromettant la capacité des candidats à concourir sur
un pied d’égalité», les «rhétoriques intimidantes et xénophobes,
les biais médiatiques et le financement opaque des campagnes [qui]
ont restreint l’espace pour un véritable débat politique, entravant
la capacité des électeurs à faire un choix en toute connaissance
de cause», une couverture politique de la campagne large, «mais
très polarisée et manquant d'analyse critique en raison de la politisation
des médias selon leurs propriétaires et de l’abondance des campagnes
publicitaires du gouvernement», et des journaux télévisés et des
productions éditoriales du service public clairement en faveur de
la coalition au pouvoir
.
132. En 2022, le BIDDH a réitéré ces préoccupations, notant «un
parti pris marqué dans un certain nombre de médias audiovisuels
et de médias en ligne contre Unis pour la Hongrie et en faveur du
gouvernement et du Fidesz, souvent sans qu’une distinction claire
soit opérée entre les informations concernant le gouvernement et
celles concernant le parti. Cela a empêché les électeurs de recevoir
des informations exactes et impartiales sur les principaux candidats,
et de ce fait entravé leur capacité à faire un choix en toute connaissance
de cause». Le BIDDH a également relevé «l’absence de débats entre
les principaux candidats aux élections, ainsi que l’accès limité
des médias indépendants aux informations publiques et aux activités
des représentants du pouvoir au niveau national et local
».
133. En ce qui concerne la propriété des médias et le financement
des médias, l’OSCE notait en 2018 que les médias étaient largement
dépendants des apports financiers de leurs propriétaires et/ou des
annonces publicitaires du gouvernement et que pour ces dernières,
leur répartition entre médias se faisait, via des marchés publics,
par des appels d’offre restreints, manquant de transparence et sans
qu’aucun audit effectué par un organisme indépendant ne soit prévu.
Elle en concluait qu’un tel environnement limitait l’espace dédié à
la critique et au pluralisme, y compris pendant la campagne électorale.
Comme exemple, elle indiquait que, selon son étude de suivi des
médias, le gouvernement avait été le premier des annonceurs politiques
et qu’il avait occupé 51 % du temps dévolu pendant les heures de
grande écoute aux annonces politiques, tandis que le temps consacré
à l’éducation des électeurs sur la même période avait été plus de
trois fois moindre. Le poids économique et politique des annonces
publicitaires placées par l’État était donc de nouveau pointé du
doigt
.
134. La mission du BIDDH a réitéré ces préoccupations en 2022,
notant que «de grandes campagnes de publicité du gouvernement étaient
consacrées à la promotion des bons résultats économiques, aux aides
en faveur des familles et à la sécurité nationale, ce qui renforçait
les principaux messages de campagne du Fidesz». Il a aussi indiqué
que «le gouvernement et les entreprises contrôlées par l’État occupent
une position dominante sur le marché de la publicité, et [que] la
répartition des fonds consacrés à la publicité entre les différents
médias bénéficie essentiellement aux organes qui soutiennent le
gouvernement
».
135. Dans son rapport de 2018, l’OSCE avait critiqué le manque
d’indépendance de la fondation MTVA, qui est responsable des contenus
diffusés par le radiodiffuseur public,
Duna
Television. Le dirigeant de la fondation était nommé,
sans concurrence ouverte, par le président du Conseil des médias,
ce qui soulevait la question des pouvoirs de celui-ci. C’est également
le Conseil des médias qui désignait les candidats à la fonction
de directeur exécutif du radiodiffuseur. En 2022, à la suite de
plaintes formulées oralement quant au manque d’accès et des protestations
publiques de la coalition Unis pour la Hongrie, la MTVA a accordé
à chaque candidat un créneau de cinq minutes dans son programme
du matin
.
137. Nous espérons que les autorités hongroises feront cas de nos
remarques qui reflètent nos préoccupations. La notion de «pluralisme»
implique la possibilité d’émettre des critiques à l’encontre du gouvernement,
sans qu’elles soient systématiquement accusées d’être «biaisées».
Nous appelons donc les autorités hongroises à répondre à toutes
les préoccupations non résolues et à se mettre en conformité avec la
Recommandation
CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres sur la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes et d’autres acteurs des médias,
en particulier les principes de son annexe. Pour mémoire, ceux-ci
disposent que «les États ont l’obligation positive de garantir le
pluralisme dans le secteur des médias, ce qui implique de veiller
à ce que tout un éventail de points de vue, y compris les opinions
critiques, puissent se faire entendre
».
5. Indépendance de la justice
5.1. Un sujet de préoccupation ancien
138. Le système judiciaire hongrois
a connu de nombreuses réformes depuis 2011, année de l’adoption d’une
nouvelle Constitution. Si la Commission de Venise s’était alors
félicitée de «voir la Hongrie adopter une nouvelle Constitution
visant à renforcer la démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs,
la protection des droits fondamentaux et la primauté du droit
»,
plusieurs organisations européennes ont par la suite fait part de
leurs craintes quant aux évolutions préoccupantes que connaissait
le pouvoir judiciaire.
139. Ainsi, dès janvier 2012, le Commissaire aux droits de l’homme,
Thomas Hammarberg, constatait que la «Hongrie a[vait] pris des mesures
qui risqu[ai]ent de porter atteinte à l’indépendance du pouvoir
judiciaire».
Il faisait référence
au fait que plus de 200 nouveaux juges devaient être nommés à la
suite de l’abaissement de l’âge de départ à la retraite pour les
magistrats et que le pouvoir de nomination était concentré dans
les mains d’une seule personne désignée par le pouvoir politique,
à savoir le président de l’Office national de la Justice (ONJ).
Il regrettait également le départ prématuré du président de la Curia,
l’organe judiciaire succédant à la Cour suprême hongroise, trois
ans et demi avant le terme normal de son mandat, du fait de modifications
législatives et constitutionnelles. Cette critique venait après
que la Commission de Venise avait, dans un premier temps, émis des
doutes sur les dispositions constitutionnelles permettant cet abaissement
de l’âge de départ à la retraite des juges
avant
de prendre une position sévère à l’encontre des dispositions législatives
organisant cet abaissement ainsi que celles empêchant l’ancien président
de la Cour suprême de demeurer au sein de la Curia
. Dans son avis de 2012, la Commission
de Venise a explicitement indiqué que, pour l’abaissement de l’âge
de départ à la retraite des juges, elle se plaçait sur le terrain
de l’indépendance du système judiciaire
,
et non sur celui de la discrimination (du fait de l’âge). C’est
sur ce dernier terrain que la Hongrie a été condamnée par la Cour
de Justice de l’Union européenne le 6 novembre 2012, sa législation
sur l’abaissement de l’âge de départ à la retraite ayant été jugée
contraire à la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000. Quant à
la cessation prématurée du mandat du président de la Cour suprême,
la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Hongrie,
le 23 juin 2016 dans l’arrêt Baka pour violation des articles 6.1
(accès à un tribunal) et 10 (liberté d’expression) de la Convention.
Elle a notamment considéré «que la cessation prématurée du mandat
de l’intéressé [l’ancien président de la Cour suprême] était due
aux opinions et aux critiques qu’il avait exprimées publiquement
à titre professionnel
» sur des projets de loi de la
majorité gouvernementale qui avaient tous un lien direct avec des
questions de justice. Par ailleurs, comme l’indiquait la Cour, «la
cessation prématurée du mandat du requérant a indubitablement eu
un «effet dissuasif» en ce qu’elle a dû décourager non seulement
le requérant lui-même, mais aussi d’autres juges et présidents de
juridictions de participer, à l’avenir, au débat public sur des
réformes législatives concernant les tribunaux et, de manière plus
générale, sur des questions relatives à l’indépendance de la justice
».
140. Si un dialogue constructif entre les autorités hongroises
et la Commission européenne a permis de trouver une solution sur
la question de l’abaissement de l’âge de départ à la retraite de
juges, les développements mentionnés ci-dessus ont mis en lumière
des inquiétudes qui n’ont pas été dissipées depuis lors.
141. Depuis 2011, la Commission de Venise s’est prononcée à plusieurs
reprises sur des réformes législatives ou constitutionnelles touchant
au monde judiciaire ou à la justice constitutionnelle. En 2020,
dans son deuxième rapport de conformité intérimaire relatif au quatrième
cycle d’évaluation sur la prévention de la corruption des parlementaires,
des juges et des procureurs, le GRECO a conclu que, dans l’ensemble,
le faible degré de mise en œuvre des recommandations restait «globalement
insuffisant», au regard du rapport d’évaluation publié cinq années
plutôt, en 2015
. Dans son rapport
de 2019 suivant sa visite en Hongrie
, la
Commissaire aux droits de l’homme a indiqué qu’une série de réformes
touchant le système judiciaire au cours des années 2010 avait suscité
des inquiétudes quant à leurs effets sur l’indépendance de la justice.
Par ailleurs, dans sa résolution du 12 septembre 2018 demandant
à la Commission européenne de déclencher la procédure de l’article
7.1. du Traité sur l’Union européenne, le Parlement européen a cité
comme deuxième sujet de préoccupation motivant sa demande «l’indépendance
de la justice ainsi que des autres institutions et les droits des
juges
».
5.2. Quelques éléments de contexte
142. La Hongrie dispose de tribunaux
de district, qui sont des juridictions de première instance, de
tribunaux régionaux, de cours d’appel et de la Curia, anciennement
Cour suprême, chargée d’assurer une application uniforme du droit.
La Cour constitutionnelle, entièrement composée de membres élus
par le parlement et profondément réformée en 2012, est distincte
du système judiciaire. La Loi fondamentale prévoit un système et
une administration judiciaires unifiés. Tenant compte des préoccupations
soulevées par certains organes internationaux
, le Gouvernement
hongrois a confirmé en 2019 qu’il ne mettrait pas en place un ordre juridictionnel
administratif distinct
.
143. Le système judiciaire hongrois est bien doté en ressources
humaines, le nombre de juges et de procureurs pour 100 000 étant
nettement au-dessus de la médiane des États membres du Conseil de
l’Europe. Il l’est un peu moins en ressources financières et les
rémunérations des juges sont nettement en dessous de la médiane,
mais non celles des procureurs
.
Une augmentation substantielle des rémunérations du personnel judiciaire
est entrée en vigueur en 2020 (60 % en 3 ans), ce qui est à saluer
et de nature à renforcer l’indépendance judiciaire, pour autant
que ces augmentations soient distribuées de manière équitable et transparente.
Selon la Commission européenne, la numérisation du système de justice
est globalement élevée et l’efficience dans les affaires civiles
et administratives, en partie calculée par le biais des délais de
traitement, est très élevée. Ces éléments donnent l’image d’un système
judiciaire robuste et efficace. Pour autant, la Commission européenne
considère que la perception de l’indépendance du système de justice
par l’opinion publique est moyenne, et très faible pour les entreprises,
même si les données les plus récentes montrent une amélioration
.
5.3. Sujets de préoccupation
144. Ils sont principalement au
nombre de quatre.
145. Le premier concerne le déséquilibre des pouvoirs au sein de
l’institution judiciaire et les risques qui en découlent en matière
d’indépendance.
146. Ainsi que l’a noté la Commission de Venise, la Hongrie a été
le premier des anciens pays communistes à établir un organe judiciaire
indépendant, le Conseil national de la magistrature
.
Ce Conseil, au sein duquel les juges étaient fortement représentés,
s’était vu transférer de larges compétences antérieurement exercées par
le ministère de la Justice en matière d’administration des tribunaux.
Cependant, après une première tentative de réorganisation du système
de «poids et contrepoids» au sein de l’institution judiciaire
,
la nouvelle majorité élue en 2010 a considéré que ce Conseil souffrait
de nombreux dysfonctionnements et n’était pas capable de traiter
efficacement certains problèmes structurels, tel l’engorgement des
tribunaux, en particulier à Budapest. Afin d’établir une administration
de la justice plus efficace, la nouvelle majorité a décidé de réformer
celle-ci en profondeur. Plutôt que de corriger les manquements du
Conseil national de la magistrature, elle a opté pour la création
d’un système dual, sans équivalent dans les autres États membres, selon
le GRECO
: d’une
part un nouvel Office national de la justice (ONJ), d’autre part
un Conseil national de la justice (CNJ)
. L’ONJ a été doté d’un
président, élu par le parlement à la majorité des deux tiers parmi les
juges ayant au moins cinq ans d’expérience en tant que juge, pour
un mandat de neuf ans. Deux lois de 2011, la loi CLXII sur le statut
juridique et la rémunération des juges et la loi CLXI sur l’organisation
et l’administration des tribunaux de la Hongrie, ont confié à ce
dernier tous les pouvoirs administratifs de l’ancien Conseil national
de la magistrature. Le CNJ, qui «supervise l’administration centrale
des tribunaux
», comprenait
15 membres, tous juges élus à la majorité par leurs pairs, et était
censé superviser l’ONJ. Dans son premier avis sur les deux lois
susmentionnées, la Commission de Venise avait conclu que le principal problème
venait de la concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule
personne, à savoir le président de l’ONJ. Elle a de nouveau formulé
cette critique dans son dernier avis sur la loi sur l’organisation
et l’administration des tribunaux
. Elle avait également considéré
que le CNJ ne pouvait guère exercer de supervision effective, et
que, conçu comme un organe de l’autonomie judiciaire, il ne jouissait
pas «de pouvoirs importants et son rôle dans l’administration de
la justice [pouvait] être considéré comme négligeable
».
Cet avis de la Commission de Venise, ainsi que les critiques énoncées
par d’autres entités du Conseil de l’Europe, notamment le Commissaire
aux droits de l’homme, ont débouché, à l’initiative du Secrétaire
Général du Conseil, à la mise en place d’un dialogue constructif
avec les autorités. Celui-ci a tout d’abord abouti à de réelles
avancées, les compétences du président de l’ONJ et du CNJ étant
rééquilibrées, selon la Commission de Venise, avant qu’un amendement
à la Loi fondamentale de la Hongrie ne vienne «ruiner» les progrès enregistrés
grâce à ce dialogue, selon l’expression de la Commission de la Venise
.
L’amendement constitutionnel, en l’occurrence le quatrième, a renforcé
la fonction du président de l’ONJ en l’élevant au niveau constitutionnel
et en lui attribuant le pouvoir d’exercer les «responsabilités centrales
de l’administration des tribunaux», tandis que les «organes de l’autonomie
judiciaire», soit le CNJ, se bornent à «participer à l’administration
des tribunaux», le CNJ n’étant même pas mentionné dans la Loi fondamentale
»
à l’époque. Ce point a été corrigé le 1er octobre 2013
avec l’inclusion du CNJ dans l’article 25 de la Loi fondamentale.
147. On le voit, les autorités hongroises ont souhaité conserver
la figure du Président de l’ONJ, dont la légitimité repose exclusivement
sur son élection par le parlement, et cantonner l’organe de l’autonomie judiciaire,
le CNJ, à un rôle second. Le rééquilibrage incomplet des pouvoirs
entre cette personnalité et cet organe a eu des conséquences pratiques
dommageables, que tant le GRECO, la Commissaire aux droits de l’homme,
la Commission de Venise et la Commission européenne ont mentionnées.
Le CNJ ne dispose ainsi que d’un rôle limité en matière de nominations
judiciaires. La procédure de nomination des juges ordinaires à un
poste permanent
est initiée
par le président du tribunal concerné, notifiée au Président de
l’ONJ qui décide ou non d’allouer le poste vacant, et instruite
par un jury au sein dudit tribunal. Celui-ci classe les candidats
présélectionnés en fonction d’un système de points. Ce système de
points, arrêté par le ministre de la Justice, a été modifié par
décret en 2017. Le président de l’ONJ a alors la faculté d’une part,
de modifier l’ordre de la liste des candidats présélectionnés, le
CNJ devant donner son accord si l’ordre de classement diffère pour
les candidats inscrits en deuxième et/ou troisième position, et,
d’autre part, il peut déclarer la procédure infructueuse, alors
même qu’un candidat a été placé en première position sur la liste
des présélectionnés. Cet état du droit a conduit le GRECO à recommander
en 2015 que les pouvoirs du président de l’ONJ d’intervenir dans
le processus de nomination et promotion des candidats aux postes
de juge soient revus en faveur d’une procédure donnant un rôle plus
important au CNJ. À ce jour, cette recommandation, dite Recommandation
viii, reste non mise œuvre, ce qui est regrettable. À cet égard,
des ONG relèvent que «les dispositions réglementaires en la matière
ne prévoient pas les garanties juridiques et institutionnelles suffisantes
et appropriées contre de potentiels abus d’autorité et abus de pouvoir
du président de l’ONJ
».
148. Le déséquilibre des pouvoirs entre le président de l’ONJ et
le CNJ a été mis en lumière de manière récente et particulièrement
frappante autour de cette question de la nomination des juges, en
particulier de chefs de juridictions. Ainsi que le rapportent la
Commission européenne et la Commissaire aux droits de l’homme, le
CNJ a critiqué la présidente de l’ONJ en 2018 pour avoir enfreint
la loi en annulant les procédures de sélection des présidents de
juridictions et en nommant discrétionnairement des présidents de
juridiction
ad interim sans
l’accord du CNJ. Après avoir actionné diverses procédures et s’être
adressé, sans succès, à différentes institutions, dont le président
de la République, le président de la Curia et le président de l’Association
des juges, le CNJ a demandé, en dernier recours, au parlement de
destituer la présidente de l’ONJ en mai 2018. Le parlement a rejeté
cette demande en juin 2019. Parallèlement, la présidente de l’ONJ a
lancé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un membre du CNJ
sans requérir préalablement l’avis du CNJ lui-même, ce que lui impose
pourtant la loi CLXI sur l’organisation et l’administration des
tribunaux de la Hongrie. La procédure disciplinaire n’a pas eu lieu
en définitive car le CNJ n’avait pas donné son accord
. Le conflit
a, en quelque sorte, trouvé une solution avec l’élection, par le
parlement, d’un nouveau président de l’ONJ en décembre 2019. Pour
autant, ces évènements démontrent bien l’incapacité structurelle
du CNJ à faire prévaloir ses vues en cas de conflit avec le président
de l’ONJ et le rôle d’arbitre ultime que joue l’institution politique,
en l’espèce le parlement, dans un différend censé n’intéresser que
l’autorité judiciaire.
149. La Commission de Venise, le GRECO et la Commissaire aux droits
de l’homme avaient également souligné le risque d’atteinte au principe
d’inamovibilité des juges, qui est un aspect important de leur indépendance,
du fait que le président de l’ONJ avait le pouvoir de procéder à
la mutation contrainte d’un juge
. Cette mutation
contrainte, qui peut être prononcée tous les trois ans, peut atteindre
une durée d’un an. Elle vise à assurer «une répartition équilibrée
de la charge de travail entre les juridictions». La Commission de
Venise et le GRECO ont jugé le critère de «répartition équilibrée»
trop vague et le GRECO a noté que la menace de mutation d’un tribunal
vers un autre peut servir de moyen de pression sur un juge et permettre également
de s’assurer qu’un juge donné traite ou ne traite pas une affaire
particulière dans un tribunal. Les autorités hongroises ont amélioré
l’encadrement de cette procédure de mutation contrainte
. Elles ont indiqué
au GRECO qu’aucun juge n’avait fait l’objet d’une mutation contrainte
entre 2012 et 2015. L’ONJ a en outre souligné que depuis sa création,
en 2012, aucun juge n’avait été réaffecté contre son gré, et que
ces mutations n’étaient que temporaires
. Cependant,
le GRECO a recommandé en 2015 que le pouvoir du président de l’ONJ
de réaffecter les juges ordinaires sans leur consentement soit limité
au minimum dans le temps et seulement à des motifs précis et spécifiques
de nature provisoire. En 2020, il a considéré que cette recommandation,
la Recommandation x, restait non mise en œuvre, ce qui est regrettable.
150. Au-delà du déséquilibre des pouvoirs au sein du pouvoir judiciaire
qui met en danger son indépendance, un deuxième sujet de préoccupation
a trait au pouvoir de nomination qu’exerce le Parlement hongrois
sur le sommet de l’appareil judiciaire. Le parlement est unicaméral
et nomme par un vote à la majorité des deux tiers les quinze juges
de la Cour constitutionnelle, y compris son président, le président
de la Curia et, comme cela a été indiqué, le président de l’ONJ.
A priori, l’exigence d’une majorité
qualifiée des deux tiers devrait garantir que ces nominations interviennent
avec l’accord d’une partie de l’opposition. Or, depuis 2010, la
majorité parlementaire détient plus des deux tiers des sièges. Comme
l’a noté la Commission de Venise en 2012, «la première personne
à occuper la présidence de l’ONJ a, en effet, été élue par les représentants
des partis au pouvoir, qui ont une majorité des deux tiers au parlement.
Lors de la visite de la délégation de la commission de suivi à Budapest,
les représentants des partis d’opposition ont informé la délégation
qu’ils n’avaient pas voté pour la candidate élue à cause de ses
liens étroits avec les leaders du Fidesz
». Il s’agit de la présidente de l’ONJ
qui a été en conflit avec le CNJ jusqu’en 2019, comme nous l’avons
indiqué précédemment. L’importance du nombre de nominations par
le parlement à la majorité des deux tiers a d’ailleurs retenu l’attention
de la Commission de Venise. Dès 2011, dans son avis sur la nouvelle
Constitution de la Hongrie, elle avait indiqué que «la multiplication
des choix politiques placés hors d’atteinte de la majorité simple
réduit la signification des élections futures et accroît les possibilités
dont dispose une majorité des deux tiers pour verrouiller ses préférences
politiques et l’ordre juridique national
». Ce constat vaut également en matière de
nominations, notamment à des fonctions juridictionnelles élevées,
et ce d’autant plus lorsqu’elles concernent des mandats, dont la
durée excède largement celle des parlementaires (quatre ans). Tel
est le cas pour le président de l’ONJ et le président de la Curia,
dont le mandat est de neuf ans, et pour les membres de la Cour constitutionnelle,
dont il est de 12 ans.
151. Un troisième sujet de préoccupation concerne les critiques
dont les juges et les juridictions peuvent être l’objet de la part
de responsables politiques de la majorité ou des médias hongrois
proches de cette dernière
.
Tant la Commission européenne que la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe dans leurs rapports respectifs de 2020 et
2019 soulignent cette fâcheuse tendance, déjà perceptible dans l’affaire
Baka citée au chapitre 4.1. La Commission européenne se réfère à
l’enquête menée par le Réseau européen des conseils de la justice
réalisée en 2019 qui a révélé que 40 % des juges interrogés avaient
souffert du non-respect de leur indépendance par le gouvernement
et les médias
. Elle cite également l’annonce
faite par le gouvernement en février 2020 d’organiser une consultation
nationale sur certaines questions relatives à la justice, dans les
faits en lien avec certaines critiques à l’encontre de décisions de
justice. Cette annonce n’a pas été suivie d’effet, mais elle a suscité
les réactions négatives de l’ordre des avocats et de l’association
des magistrats, qui ont craint qu’une telle consultation ne sape
la confiance du public dans l’appareil judiciaire, laquelle se situe
déjà à un faible niveau: dans son rapport 2021 sur l’État de droit,
la Commission européenne indique que la perception de l’indépendance
des tribunaux et des juges par l’opinion publique en Hongrie n’est
que de 40 % en 2021, contre 48 % en 2020.
152. La Commissaire aux droits de l’homme a également pointé la
réaction du Premier ministre, le 5 mai 2018, après que la Curia
a confirmé une décision de la Commission électorale nationale d’invalider plusieurs
milliers de bulletins de vote lors des élections législatives. Le
Premier ministre a déclaré que la Curia s’était «clairement et grossièrement
ingérée dans le processus électoral» et qu’elle avait «privé les
électeurs de leur mandat»
.
Se référant également à la Recommandation précitée du Comité des
Ministres sur les juges, la Commissaire a rappelé le principe énoncé
en son paragraphe 18, aux termes duquel, s’ils commentent les décisions
des juges, les pouvoirs exécutif et législatif devraient éviter
toute critique qui porterait atteinte à l’indépendance du pouvoir
judiciaire ou entamerait la confiance du public dans ce pouvoir. Enfin,
force est de constater que dans l’affaire Baka où l’ancien président
de la Cour suprême a été écarté de ses fonctions pour les critiques
qu’il a pu faire à l’encontre de certaines lois et projets du gouvernement intéressant
le système judiciaire, le Comité des Ministres a noté en 2019, soit
sept ans après les faits, que «les rapports suggérant que “l’effet
dissuasif” de la violation constatée par la Cour sous l’angle de
l’article 10 [de la Convention] et affectant la liberté d’expression
des juges et des présidents de juridictions en général, non seulement
n’a pas été traité, mais de plus ce problème s’est aggravé
». Dans leur réponse au rapport
de la Commissaire aux droits de l’homme de 2019, les autorités hongroises
ont considéré que la décision de la Cour européenne des droits de
l’homme avait été entièrement mise en œuvre.
153. Le Comité des Ministres, qui continue de superviser l’exécution
de cet arrêt, ne partage toutefois pas ce point de vue. Dans sa
résolution intérimaire du 9 mars 2022
, le Comité des Ministres
a rappelé la nécessité de prévenir une législation
ad hominem de rang constitutionnel
mettant fin à un mandat judiciaire, mais a noté dans le même temps
que depuis l’achèvement de la réforme constitutionnelle de 2012,
aucune nouvelle violation similaire ne s’était produite, et qu’aucune
autre ne se produirait compte tenu de la déclaration faite par la
ministre de la Justice au Comité des Ministres. Cependant, il a
demandé instamment aux autorités hongroises d'introduire les mesures
requises pour garantir qu'une décision du parlement de destituer
le président de la Curia sera soumise au contrôle effectif d'un
organe judiciaire indépendant, conformément à la jurisprudence de
la Cour européenne, d'évaluer la législation nationale sur le statut
des juges et l'administration des tribunaux et de présenter «les
conclusions de leur évaluation, y compris des garanties et des sauvegardes protégeant
les juges contre des ingérences indues pour permettre au Comité
de faire une évaluation complète quant à savoir si les préoccupations
sont dissipées au sujet de l'«effet dissuasif» sur la liberté d'expression
des juges causé par les violations dans ces affaires».
5.4. Changements introduits récemment dans
le système judiciaire
154. Lors de notre visite à Budapest,
nous avons eu des entretiens très instructifs qui nous ont permis
de mieux comprendre le fonctionnement complexe du système judiciaire.
Nous avons rencontré le président de la Curia, la présidente du
Conseil national de la justice et le président de l’Office national
de la justice, ainsi que d’autres parties prenantes (l’Association
des juges hongrois (MABIE) et l’Association Res Iudicata) et des ONG.
Nous remercions les autorités pour les commentaires dont elles nous
ont fait part sur ces questions. L’adoption en décembre 2020 d’un
paquet de dispositions législatives et constitutionnelles avait
soulevé certaines questions. La commission de suivi a donc sollicité
la Commission de Venise, qui a émis en octobre 2021 un avis sur
les changements concernant le système judiciaire.
155. Les données publiées par la Commission européenne pour l’efficacité
de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe montrent de bons taux
d’efficacité et de qualité pour le système judiciaire hongrois.
La Commission européenne confirme dans son rapport 2022 sur l’État
de droit, que la Hongrie obtient de très bons résultats concernant
le temps nécessaire estimé pour trancher les affaires civiles et
commerciales contentieuses. Une loi sur l’indemnisation financière
en cas de durée excessive d’une procédure civile (les procédures
pénales ou administratives ne sont pas concernées), lorsqu’il y
a violation du droit fondamental d’obtenir justice au civil dans
un délai raisonnable, a été promulguée en janvier 2022
.
Pour les autorités, cette efficacité élevée démontre le niveau d’indépendance
de l’appareil judiciaire
.
156. Il est cependant nécessaire d’examiner plus amplement le fonctionnement
du système judiciaire afin d’apprécier son niveau d’indépendance.
Des réformes importantes ont été adoptées en 2019, qui permettent aux
membres de la Cour constitutionnelle, élus par le parlement, de
demander à être nommés juges à la Curia, sans être soumis à la procédure
de candidature de droit commun. Cette procédure prévoit que sont
nommés par le président de la Curia les candidats qui ont répondu
à un appel à candidatures et fait l’objet d’un classement sur une
liste par le CNJ. La réforme de 2019 autorise les membres de la
Cour constitutionnelle à demander leur nomination au sein de la
Curia à l’expiration de leur mandat. Ainsi que le résume la Commission européenne,
«il en résulte qu’en pratique, l’élection par le parlement à la
Cour constitutionnelle, qui n’implique pas la participation d’un
organe composé d’une part substantielle de membres issus du pouvoir
judiciaire, peut à elle seule aboutir à la nomination d’un juge
à la Curia si le juge en question en fait la demande», situation que
la Commission européenne juge contraire à la Recommandation du Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe sur les juges: indépendance,
efficacité et responsabilités.
157. En janvier 2021, un nouveau président de la Curia a été élu
par le parlement, malgré l’avis négatif – non contraignant – du
CNJ (qui a rejeté cette candidature par 13 voix contre une, en particulier
en raison du manque d’expérience pratique du candidat dans le domaine
juridique)
et les critiques formulées par l’opposition.
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges
et des avocats a indiqué que cette nomination pouvait être considérée
comme une attaque contre l’indépendance des magistrats et une tentative
de soumettre le pouvoir judiciaire à la volonté du pouvoir législatif,
en violation du principe de séparation des pouvoirs. Le Gouvernement
hongrois a répondu qu’aucune considération de nature politique n’était
intervenue dans la nomination du président de la Curia
.
158. La Commission de Venise observe que le régime de nomination
du président de la Curia introduit par les modifications de 2019
peut présenter «de sérieux risques de politisation et des conséquences
importantes pour l'indépendance du pouvoir judiciaire, ou la perception
de celle-ci par le public, compte tenu du rôle crucial de ce poste
dans le système judiciaire», ajoutant que des garanties limitées
d'indépendance s'appliquent après la nomination, puisque «le président
de la Curia peut être démis de ses fonctions ou disqualifié sur
décision à majorité simple du parlement […], “s'il est considéré
comme indigne de ses fonctions en raison d'une action ou d'actes
commis ou omis” – un critère de révocation vague et faible
».
159. Les représentants du secteur judiciaire et des ONG rencontrés
à Budapest ont eux aussi exprimé des préoccupations quant à la possibilité
pour des membres de la Cour constitutionnelle (qui sont nommés par
le parlement sur un vote à la majorité des deux tiers) de devenir
membres de la Curia sans avoir aucune expérience dans le système
judiciaire et sans que le CNJ n’intervienne, ce qui pourrait exposer
le système à un risque d’ingérence indue. De fait, neuf membres
de la Cour constitutionnelle ont obtenu le titre de juge et été
nommés à la Curia depuis 2020; l’un d’eux, András Varga Zs, est
l’actuel président de la Curia. M. Varga était juge à la Cour constitutionnelle
jusqu’à sa prise de fonction à la présidence de la Curia, le 1er janvier 2021
.
160. Les autorités ont écarté les inquiétudes soulevées au motif
que «les membres de la Cour constitutionnelle exercent
de facto une activité judiciaire»
et qu'ils «ne peuvent ni être membre d’un parti politique ni avoir
des activités politiques. En outre, le fait d'avoir été membre du
gouvernement ou dirigeant d'un parti politique ou d'avoir occupé
un poste de haut fonctionnaire de l'État au cours des quatre années précédant
l'élection disqualifie les personnes qui souhaitent devenir membres
de la Cour constitutionnelle. Ainsi, les membres de la Cour constitutionnelle
susceptibles de devenir juges à la Curia n'ont pas exercé d'activités
politiques de haut niveau pendant les quatre années au moins qui
précèdent leur élection ni pendant leur mandat à la Cour constitutionnelle,
et des garanties d'indépendance similaires à celles en vigueur pour
les juges des tribunaux ordinaires leur ont été appliquées
.»
161. Dans son avis de 2021, la Commission de Venise a néanmoins
recommandé aux autorités d’adopter une approche prudente sur ce
sujet, notant que «la nature de la fonction judiciaire est différente
dans les cours constitutionnelles par rapport aux cours suprêmes
(ordinaires). En particulier, le système de nomination des cours
constitutionnelles est généralement plus ouvert à des considérations
de nature politique que les cours ordinaires. Cela ne signifie pas
que la nomination d'un juge d'une cour constitutionnelle à une cour
suprême soit dangereuse ou inacceptable; cela signifie seulement
que cela ouvre la porte à une politisation potentielle de la cour
suprême, et que l'approche doit donc être prudente
.»
162. Des modifications du système (complexe) d’attribution des
affaires figuraient également au nombre des réformes mise en place
en décembre 2020. Les nouvelles dispositions autorisent le président
de la Curia à confier certaines catégories d’affaires à une chambre
de cinq juges plutôt qu’à la formation habituelle de trois juges.
La Commission de Venise a estimé que cette solution pouvait être
adéquate, mais pense qu’il serait souhaitable «de déterminer dans
la loi elle-même quels sont les critères permettant de porter à
cinq le nombre de juges siégeant dans la chambre pour certains types
d'affaires» et de rendre l’avis du collège compétent et du conseil
judiciaire public et contraignant pour le président de la Curia,
«afin d'assurer la transparence du processus et d'accroître la confiance
des citoyens dans le bon fonctionnement impartial du pouvoir judiciaire, étant
donné la complexité signalée du système d'attribution des affaires
». Des ONG ont constaté en 2021 que
dans un certain nombre d’affaires sensibles, «la composition de
la chambre de jugement n’était pas conforme au système d’attribution
des affaires
».
163. Les parties prenantes rencontrées à Budapest ont également
soulevé la question de la procédure d’uniformité – par laquelle
la Curia prend des décisions d’uniformité qui s’imposent aux tribunaux.
Elles craignaient que ce système de jurisprudence ne conduise à
une interprétation du droit influencée par le président de la Curia.
La Commission de Venise a considéré que «la tâche de la Curia d'unifier
la jurisprudence n'est pas problématique en soi. En fait, il s'agit
d'un pouvoir assez courant des cours suprêmes d'unifier la jurisprudence
des tribunaux ordinaires et de rendre des jugements ayant force
de précédent contraignant, même dans les systèmes juridiques continentaux».
Cependant, «il est important de souligner que toute compétence d'unification
de la Curia doit respecter les principes fondamentaux de la séparation
des pouvoirs. Il ne devrait certainement pas être de la compétence
du seul président d'un tribunal de sélectionner les domaines dans
lesquels la jurisprudence devrait être unifiée de manière autoritaire.
En outre, même après la décision unificatrice de la Curia, tous
les tribunaux et les juges doivent rester compétents pour évaluer
leurs affaires de manière indépendante et impartiale, et pour distinguer
les nouvelles affaires de l'interprétation précédemment unifiée
par la Curia. En d'autres termes, si les cas ultérieurs sont suffisamment
différents, les juges doivent être en mesure de les trancher différemment,
en toute indépendance et impartialité.»
164. La Commission de Venise a également formulé un certain nombre
de recommandations concernant la composition des chambres dans le
cadre de la procédure de plainte pour uniformité. Elle a recommandé d’augmenter
le nombre de juges siégeant dans cette chambre et de supprimer la
prérogative du président de la Curia de mandater des juges présidents
temporaires ou du moins d'éliminer toute marge d'appréciation dans leur
sélection (la chambre des plaintes en matière d’uniformité est présidée
par le président ou le vice-président de la Curia; ses huit membres
sont choisis par le président
). Elle a également conseillé de supprimer
la possibilité d'adopter le type de décisions d'uniformité faisant
autorité qui persiste encore (décisions d'uniformité sur des questions
de principe dans le but d'approfondir l'interprétation du droit)
.
165. Après que la Commission de Venise avait rendu son avis, la
Commission européenne a signalé que le parlement avait modifié le
1er mars 2022 les règles de la procédure
d’uniformité – renommée «procédure de renvoi préjudiciel dans l’intérêt
de l’uniformité du droit» – et précisé les circonstances dans lesquelles
elle pouvait s’appliquer
.
La possibilité d’adopter des décisions d’uniformité contraignantes
n’a pas été supprimée, mais les parties à la procédure peuvent introduire
une plainte en matière d’uniformité contre une décision finale de
la Curia si celle-ci s’écarte de la jurisprudence publiée. Le président
de la Curia a en outre modifié le mécanisme de répartition des affaires
le 1er janvier 2022 et mis en place deux
chambres relatives aux plaintes en matière d’uniformité, composées
l’une et l’autre du président et du vice-président de la Curia et
de 19 hauts juges de la Curia
.
166. Un autre sujet de préoccupation pour les parties prenantes
concerne les procédures de nomination des juges et la protection
judiciaire dont ils bénéficient lorsqu’ils ne sont pas considérés
aptes à la titularisation par le président du tribunal à l’issue
de leur mandat initial
.
Des questions ont également été soulevées au sujet du pouvoir dont
dispose le président de l’ONJ d’annuler un appel à candidatures
(sans possibilité de contester cette décision), du fait que toutes
les vacances de postes judiciaires ne sont pas publiées et de l’usage
fréquent par le président de l’ONJ des exceptions autorisées par
la loi pour pourvoir des postes vacants sans passer par un appel
à candidatures. Parmi ces exceptions figure la possibilité pour
le président de l’ONJ de réaffecter les juges qui terminent une
période de détachement dans un organe de l’État n’appartenant pas
au système judiciaire
.
En vertu des dispositions introduites en 2020, le président de l’ONJ
peut désormais détacher tous les juges – et non plus seulement les
juges administratifs – à d’autres organes de l’État (sous réserve
de l’accord du responsable de l’institution concernée et du président
du tribunal) et de réaffecter ces juges à un poste judiciaire, pouvant
se situer à un niveau plus élevé dans la hiérarchie que le poste
d’origine. Des juges peuvent ainsi être «promus» à de plus hautes
fonctions judiciaires sur décision du président de l’ONJ
.
167. L’impossibilité d’accéder à des informations sur les mutations
temporaires des juges décidées par le président de l’ONJ et leur
nomination ultérieure à un poste plus élevé étaient sources de préoccupation
pour le CNJ, et cette pratique est considérée comme un moyen de
contourner les garanties encadrant les nominations judiciaires dans
le cadre de la procédure ordinaire de candidature
,
qui pourrait donner lieu à des décisions arbitraires. À cet égard,
la Commission de Venise a recommandé de mettre en place des «conditions
claires, transparentes et prévisibles» pour l’affectation des juges
détachés à un poste plus élevé à l’issue de la période de détachement
.
168. Tandis que la Commission de Venise a salué en 2021 la poursuite
de l’augmentation des salaires des juges et des procureurs
, nos interlocuteurs se sont dit préoccupés
par les pouvoirs discrétionnaires accordés au président de l’ONJ
et aux présidents des tribunaux d’accorder des primes aux juges.
Le CNJ s’est plaint de n’avoir pu obtenir aucune information sur
ces primes auprès de l’ONJ. Le manque de transparence et l’absence
de critères clairs déterminant l’attribution de ces sommes alimentent
les craintes que des ressources ne soient attribuées de manière
sélective et pourraient conduire les juges à s’autocensurer. Cette situation
témoigne du faible niveau de la surveillance exercée par le CNJ
sur l’ONJ.
169. Enfin, nous avons noté que les règles régissant la révocation
du procureur général avaient été modifiées; en vertu d’un texte
modifiant une loi organique adopté à la majorité des deux tiers
le 18 novembre 2021, la révocation d’un procureur général devra
être approuvée par le parlement à la majorité des deux tiers. Cette
règle s’appliquera au procureur actuellement en poste, élu en 2019
pour un mandat de neuf ans qui pourrait même être prolongé, en dépit
des recommandations formulées par le GRECO.
170. Nous ne pouvons qu’être inquiets des tendances à l’œuvre au
sein du système judiciaire depuis plusieurs années. Nous invitons
les autorités hongroises à poursuivre le dialogue avec le Conseil
de l’Europe. Comme ces développements l’ont montré, celui-ci a,
par le passé, permis des avancées. Plus récemment, en 2019, il a
permis la suspension de projets de loi controversés visant à créer
un ordre de juridiction administrative séparé. Dans le cadre de
ce dialogue, nous invitons les autorités hongroises à renforcer l’autogouvernance
du système judiciaire, à mieux garantir son indépendance, à s’abstenir
de saper la crédibilité de ses juges et tribunaux et à respecter
la liberté d’expression des premiers.
6. Observations
finales
171. Depuis son accession au pouvoir
en 2010, la coalition de l’Alliance civique hongroise (Fidesz) et
du Parti populaire démocrate-chrétien (KDNP) a remporté quatre élections
législatives consécutives et a bénéficié, presque continuellement,
d’une majorité parlementaire des deux tiers, ce qui constitue une
situation unique parmi les États membres du Conseil de l’Europe
et les démocraties contemporaines.
172. En 2011, la Hongrie a adopté une nouvelle Constitution. En
2013, l’Assemblée s’est déclarée «profondément préoccupée par l’érosion
des contrepoids démocratiques résultant du nouveau cadre constitutionnel
en Hongrie» qui a introduit «des pouvoirs excessivement concentrés
et des pouvoirs discrétionnaires accrus». L’Assemblée a réitéré
ses préoccupations en 2015, 2017 et 2018.
173. Pendant plus d’une décennie, la coalition au pouvoir a exercé
le pouvoir dans ce cadre constitutionnel, faisant usage de ces pouvoirs
concentrés et discrétionnaires et des moyens juridiques pour mettre
en œuvre, sans opposition, des changements profonds au système juridique
et politique. Ces développements ont, au fil du temps, sérieusement
remis en cause le fonctionnement des institutions démocratiques
et ont éloigné la Hongrie des normes du Conseil de l’Europe:
- Dans le domaine du droit électoral,
des conditions électorales pleinement conformes aux normes européennes
sont nécessaires pour garantir des élections équitables et permettre
aux électeurs de garder confiance dans leur système électoral et
dans sa capacité à changer de majorité. Toutefois, les récents changements
apportés à la loi électorale ont encore réduit l’équité des processus
électoraux et, partant, la capacité du système à préserver le pluralisme
politique et à favoriser des alternatives politiques;
- Bien que le pays dispose d’un système judiciaire efficace,
en particulier pour les affaires civiles et commerciales, il doit
encore renforcer son indépendance pour éviter tout risque de politisation,
en particulier lorsqu’il s’agit d’affaires administratives et électorales.
Le problème de la concentration excessive des pouvoirs au sein du
pouvoir judiciaire n’a pas été résolu depuis 2012, et de nouvelles réformes
touchant la procédure de nomination des membres de la Curia ont
ouvert la porte à un risque de politisation;
- Les médias devraient être en mesure de fonctionner dans
un environnement ouvert et équitable. La répartition inégale de
la publicité étatique — au profit des médias pro-gouvernementaux
— a un impact sérieux sur le pluralisme des médias. La concentration
du marché des médias et la création du conglomérat de médias KESMA
en 2018 ont encore détérioré les conditions générales pour les médias. La
procédure de nomination du Conseil des médias doit être réexaminée
afin de garantir le pluralisme de sa composition, impliquant effectivement
diverses forces politiques;
- Des efforts plus déterminés sont nécessaires pour établir
des cadres juridiques garantissant la transparence et la responsabilité
des institutions de l’État. Les progrès réalisés dans la lutte contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, conformément
aux recommandations de MONEYVAL, doivent être salués et devraient
inciter les autorités à remédier à d’autres lacunes, notamment dans
la lutte contre la corruption, conformément aux recommandations
du GRECO.
174. Combinées à une majorité des deux tiers dont la coalition
au pouvoir jouit presque continuellement, ces réformes remettent
en question la fonctionnalité même du système démocratique hongrois.
En 2011, déjà, lors de l’analyse de la Constitution hongroise, la
Commission de Venise avait averti que «la fonctionnalité d’un système
démocratique est enracinée dans sa capacité permanente à changer.
Plus les questions politiques sont transférées au-delà des pouvoirs
de la majorité simple, moins les élections futures auront d’importance
et plus une majorité des deux tiers aura de possibilités de cimenter
ses préférences politiques et l’ordre juridique du pays».
175. Une décennie plus tard, il faut reconnaître que la majorité
des deux tiers requise pour promulguer des lois cardinales, nommer
de hauts fonctionnaires ou modifier la Constitution, au lieu de
pousser la coalition au pouvoir à établir un large consensus, a
été largement utilisée pour cimenter les options politiques au-delà
du mandat donné par l’électorat à chaque élection. Cela a été utilisé
afin d’assurer qu’un très grand nombre de lois ne puissent plus
jamais être modifiées par une autre majorité à moins qu’elle ne
dispose des deux tiers des voix au parlement. En outre, cela a laissé
peu de place à une délibération significative ou à l’établissement d’un
consensus, abusant ainsi de l’esprit des lois et de la Constitution.
176. Il est regrettable que le contrôle parlementaire sur les questions
gouvernementales fondamentales ait été réduit. Si de nombreux pays
ont eu recours à des ordres juridiques spéciaux pour faire face
à la pandémie de covid-19, peu les ont maintenus pendant si longtemps.
Le dixième amendement à la Constitution, conçu sur mesure pour être
déclenché par la guerre en Ukraine, a permis au gouvernement de
gouverner par décret dans de vastes domaines, empêchant l’opposition
parlementaire de remplir son rôle et de contribuer au débat public.
Cela a en fait retiré des fonctions législatives du parlement par
le biais de décrets spéciaux d’urgence.
177. La création récente de «fonds fiduciaires publics», en vertu
d’un changement constitutionnel, illustre cette tendance, entraînant
un important transfert de richesses — jusqu’à 2 % du PIB — des biens
publics essentiels, tels que les universités et les hôpitaux, vers
ces fonds. Pourtant, ils sont gérés par un conseil d’administration
dont les membres sont nommés à vie par le gouvernement – qui sont
largement considérés comme des partisans de la majorité au pouvoir
– sans aucun contrôle par l’audit de l’État ou les règles prévenant
les conflits d’intérêts. Cela a eu pour conséquence de transférer
des institutions de l’État vers des organes non étatiques contrôlés
par le parti au pouvoir, en dehors de la sphère publique.
178. Au cours des dernières années, la concentration des pouvoirs
s’est intensifiée — dans les domaines des médias, du système judiciaire,
des autorités locales, de l’éducation; la surveillance publique
a été entravée, le pluralisme des médias s’est détérioré et de graves
lacunes ont compromis la transparence et la responsabilité au sein
des institutions.
179. L’exercice incontesté du pouvoir par la même coalition depuis
2010 a, au fil du temps, dans le cadre constitutionnel actuel, réduit
considérablement l’efficacité du système de contrepoids. Il a également
cimenté le système politique par le renforcement de l’influence
de la coalition au pouvoir sur les organes de l’État et les institutions
indépendantes clés. Cela conduit le pays à faire face à un sérieux
risque d’appropriation permanente des institutions de l'État par
un seul parti et à la création d'un système fondé sur le clientélisme,
qui rétrécit l’espace démocratique.
180. Malgré cet environnement restrictif, il est important de reconnaître
l’existence d’une opposition parlementaire active et d’organisations
dynamiques de la société civile qui devraient normalement contribuer, de
manière efficace et démocratique, aux processus décisionnels. S’appuyant
sur l’engagement déclaré des autorités en faveur des valeurs démocratiques,
nous pensons que la Hongrie peut rétablir les conditions nécessaires
à une société pluraliste et démocratique et au respect de l’État
de droit, en coopération avec les organes de contrôle du Conseil
de l’Europe et la Commission de Venise si les autorités le souhaitent.
181. En conclusion, à la lumière de ces questions de longue date
largement laissées sans réponse par les autorités, nous proposons
à l’Assemblée d’utiliser les moyens dont elle dispose pour suivre
de près l’évolution du fonctionnement des institutions démocratiques
et de l’État de droit en Hongrie.