1. Introduction
1. Lors de la fondation du Conseil
de l’Europe en 1949, la protection des droits humains et le rejet
des régimes totalitaires revêtaient une signification profonde pour
les Européen·ne·s qui commençaient à peine à se remettre des souffrances,
de la pauvreté et de la destruction provoquées par la seconde guerre
mondiale. Les populations comme les pouvoirs publics lançaient des
appels en faveur de la paix, de la prospérité, de la démocratie
et des droits humains. Le Conseil de l’Europe était une réponse
à ces demandes instantes du public.
2. Les événements politiques sur le continent européen et la
nécessité de combler les attentes du public ont façonné l’Organisation
tout au cours de sa longue histoire. En 1989, le mur de Berlin,
symbole de la division politique de l’Europe, est tombé. Les gens
sont descendus dans la rue pour réclamer l’unité, des libertés et
des droits. Leurs appels ont été entendus. En 1993, réunis lors
de leur 1er Sommet, les chef·fe·s d’État
et de gouvernement du Conseil de l’Europe ont confié à l’Organisation
une nouvelle mission, celle de créer un espace paneuropéen commun
où la démocratie, les droits humains et l’État de droit peuvent
prospérer, pour le bien de tous les Européen·ne·s enfin unis sous
un seul et même toit: la maison européenne commune.
3. Par la suite, deux autres Sommets se sont tenus, en 1997 après
une vague d’élargissement qui a vu arriver six nouveaux membres
au sein de l’Organisation, dont la Fédération de Russie, puis en
2005 au lendemain d’une série d’attentats terroristes qui ont gravement
menacé la sécurité et ont profondément affecté les Européen·ne·s
sur le plan émotionnel.
4. En 2022, l’Europe se trouve à nouveau à un carrefour de son
histoire. La guerre d’agression menée actuellement par la Fédération
de Russie contre l’Ukraine est un affront à tous les principes défendus
par le Conseil de l’Europe. Cette guerre constitue un défi majeur
pour l’architecture européenne née sur les cendres de la seconde
guerre mondiale mais n’est pas la seule épreuve que l’Europe ait
à affronter aujourd’hui.
5. Le fossé entre les demandes de la population et la prestation
publique est immense. La population réclame la protection de ses
droits, y compris contre les abus de ses propres autorités. Elle
veut se prémunir contre les menaces. Elle exige un environnement
sain et des actions contre le changement climatique. Elle veut que
la technologie améliore sa vie sans la contrôler. Elle exige d’avoir
davantage son mot à dire dans la prise de décisions politiques et
demande que sa participation aux processus démocratiques ne se limite
pas aux élections. Elle s’attend à ce que la politique et les institutions
publiques soient exemptes de corruption. Elle attache de l’importance
à la justice et souhaite plus d’égalité et d’inclusion, ainsi que
de meilleures perspectives socio-économiques pour elle-même et pour
les générations futures.
6. Le 4e Sommet des chefs d’État et
de gouvernement du Conseil de l’Europe est l’occasion de prendre fermement
position face à ces enjeux déterminants, de répondre aux demandes
de la population et de replacer les intérêts, les préoccupations
et les attentes de cette dernière au cœur de la mission du Conseil
de l’Europe.
2. L’Europe à la croisée des chemins
7. Aux prises avec la guerre d’agression
à grande échelle qui s’est installée sur son sol, l’Europe est à
la croisée des chemins. Si les Ukrainien·ne·s subissent une violence
brutale, tous les Européen·ne·s paient désormais un tribut à la
guerre et sont confrontés, dans leur quotidien, à la hausse du prix
de l’énergie, aux pénuries de produits alimentaires et autres produits
de base et à l’impact de la récession économique. Les conséquences
de l’agression de la Fédération de Russie affectent d’autant plus
les sociétés européennes que celles-ci émergent tout juste des premières
vagues de la pandémie de covid-19. L’instabilité risque d’éroder encore
plus la confiance dans la démocratie et dans les institutions publiques,
accentuant ainsi la tendance négative observée depuis quelques années.
8. Cette agression, en plus d’engendrer d’immenses souffrances
et des destructions massives, ébranle également le multilatéralisme.
Profitant de la protection que lui confère son véto au Conseil de
sécurité des Nations Unies, la Fédération de Russie compromet la
paix et la sécurité, menace de recourir aux armes nucléaires et
appelle à la création d’un nouvel ordre mondial.
9. Vingt-six ans après son adhésion, la Fédération de Russie
a été exclue du Conseil de l’Europe, une mesure sans précédent qui
en dit long sur la gravité des violations du droit international
commises
. Les travaux de l’Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sont quant à eux
sérieusement entravés par l’impossibilité de trouver un consensus
sur les décisions importantes. On a ainsi vu apparaître une fracture
profonde entre ses États participants concernant leurs attentes
vis-à-vis de l’organisation lors du 29e Conseil
ministériel tenu à Łódź les 1er et 2
décembre 2022
. Dans le même temps, l’attrait de
l’Union européenne a augmenté, l’Ukraine, la Géorgie et la République
de Moldova ayant formellement exprimé leur désir d’y adhérer. L’Union
européenne a également pu prendre des sanctions d’une ampleur sans
précédent contre la Fédération de Russie et certaines personnalités
russes et adopter un vaste ensemble de mesures en soutien à l’Ukraine.
10. À la lumière de ces événements historiques, la tenue d’un
Sommet des chef·fe·s d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe
– le quatrième à peine de l’histoire de l’Organisation – constitue
un impératif politique et un geste hautement symbolique qui ne peut
plus être retardé.
3. Ambitions
du 4e Sommet
11. Le 4e Sommet
doit être ambitieux. Son importance historique devrait être comparable
à celle du Sommet de Vienne qui, en 1993, a confié au Conseil de
l’Europe la mission de devenir une maison commune pour tous les
Européen·ne·s, un espace paneuropéen partageant les mêmes valeurs
et normes juridiques.
12. Trente ans plus tard, l’ambition du 4e Sommet
devrait être double: réaffirmer l’unité autour des valeurs et des
engagements et définir une vision d’avenir pour le Conseil de l’Europe
dans le nouveau contexte historique.
13. Les chef·fe·s d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe
devraient rappeler que la consolidation de la paix fondée sur la
justice et la coopération internationale est d’un intérêt vital
pour la préservation de la société humaine et de la civilisation
et
que le multilatéralisme reposant sur des règles constitue le pivot
de l’ordre international.
14. Ils devraient également réaffirmer la position du Conseil
de l’Europe en tant qu’organisation intergouvernementale chef de
file en Europe pour toutes les questions touchant aux droits humains,
à la démocratie et à l’État de droit et redéfinir le mandat, le
rôle et les outils d’un Conseil de l’Europe renouvelé, dynamisé
et renforcé, capable de relever les enjeux présents et futurs.
15. Les résultats du Sommet devront être à la hauteur de l’événement.
Comme ils l’ont déjà fait en d’autres occasions similaires par le
passé, les chef·fe·s d’État et de gouvernement devraient adopter
solennellement une déclaration politique assortie d’un plan d’action.
Ce dernier ne doit pas être confondu avec les documents stratégiques
ou programmatiques qui sont régulièrement préparés par le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe sur la base des propositions
de la Secrétaire Générale. De même, il ne faut pas attendre du plan d’action
qu’il couvre l’ensemble des activités menées par le Conseil de l’Europe,
ni en déduire que les activités qui en sont absentes revêtent une
importance moindre.
16. Les réunions au niveau des chef·fe·s d’État et de gouvernement
sont pour le Conseil de l’Europe des événements exceptionnels qui
ont pour but d’apporter une nouvelle vision, un nouvel élan et de
nouvelles réponses face à des défis hors du commun. La déclaration
politique et le plan d’action connexe devraient être axés sur l’obtention
de ces résultats ciblés.
4. Mettre
l’accent sur les trois piliers
17. Le Sommet devrait confirmer
l’accent mis par l’Organisation sur ses trois piliers: les droits
humains, la démocratie et l’État de droit. Il devrait cependant
également faire en sorte que le Conseil de l’Europe puisse avoir
un plus grand impact dans ces domaines fondamentaux, car dans cette
nouvelle page de l’histoire européenne où la paix ne peut être tenue
pour acquise, le respect, par chaque État membre, des normes relatives
à la démocratie, aux droits humains et à l’État de droit constitue
la meilleure garantie de sécurité pour les autres États et leurs
citoyen·ne·s. Le Sommet devrait réaffirmer la volonté mutuelle des
États membres du Conseil de l’Europe de veiller à ce que l’Europe
soit un vaste espace de sécurité démocratique, au sens de la Déclaration
de Vienne
.
5. Droits
humains
Objectif 1: Sauvegarder et
renforcer le système de la Convention
18. La Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) est le premier
instrument au monde visant à donner effet à certains droits énoncés
dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et à les rendre contraignants.
Sa ratification est obligatoire pour tous les États membres du Conseil
de l’Europe. À ce jour, il s’agit du dispositif supranational le
plus avancé en matière de protection des droits humains, qui offre
aux particuliers le droit de porter une affaire devant une cour
internationale. Il s’applique à toute personne relevant de la juridiction
d’un État membre, indépendamment de sa nationalité.
19. En tant que principale réalisation internationale dans le
domaine de la protection des droits humains ayant un impact direct
et tangible sur la vie de tous les Européen·ne·s, la Convention
européenne des droits de l’homme et le système de la Convention
doivent être préservés et renforcés.
20. L’une des grandes difficultés observées ces dernières années
réside dans le fait que l’efficacité du système de protection fondé
sur la Convention européenne des droits de l’homme est menacée par
des tentatives visant à saper l’autorité de la Cour européenne des
droits de l’homme
. En outre, bien que le nombre d’affaires
en instance ait considérablement diminué entre 2011 et 2021, l’exécution
des arrêts de la Cour continue de se heurter à un certain nombre
de problèmes, notamment l’absence de volonté politique de mettre en
œuvre certains d’entre eux et les obstacles rencontrés dans l’exécution
des arrêts rendus dans des affaires interétatiques ou présentant
des caractéristiques interétatiques
.
21. Le Sommet devrait:
- réaffirmer
l’attachement des États membres au caractère central du système
de la Convention;
- réaffirmer la nature contraignante des arrêts de la Cour
et des décisions relatives aux mesures provisoires;
- réaffirmer d’une part, la prééminence des arrêts et décisions
de la Cour sur celles des juridictions nationales et d’autre part,
qu’en cas de conflit entre la Convention et la jurisprudence de
la Cour et le cadre juridique national, y compris au niveau constitutionnel,
les États membres devraient accorder la priorité aux solutions conformes
à la Convention;
- rappeler la pertinence de la procédure en manquement au
titre de l’article 46 de la Convention, telle qu’amendée par le
Protocole no 14 (STCE no 194);
- continuer à renforcer l’exécution des arrêts en introduisant
une procédure de consolidation du dialogue politique lorsque l’État
concerné ne fait pas preuve de la volonté politique nécessaire pour
mettre en œuvre les arrêts clés. L’Assemblée devrait jouer un rôle
dans cette procédure, avec le Comité des Ministres et la Secrétaire
Générale;
- reconnaître et promouvoir le rôle des parlements nationaux , des institutions
nationales des droits humains et des organisations de la société
civile dans le suivi du respect de la Convention et des arrêts de
la Cour.
Objectif 2: Adhésion de l’Union
européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
22. Dès 2007, le Traité de Lisbonne
stipulait l’obligation pour l’Union européenne d’adhérer à la Convention européenne
des droits de l’homme. Un premier accord a été trouvé en 2013 mais
la Cour de justice de l’Union européenne a conclu que certains de
ses aspects étaient incompatibles avec le droit de l’Union européenne. Les
négociations sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention
européenne des droits de l’homme ont repris en 2020 et continuent
de progresser au sein du groupe 46+1.
23. L’adhésion de l’Union européenne doit être une priorité absolue.
Elle contribuera à garantir la cohérence et l’homogénéité entre
le droit communautaire et les normes de la Convention et conduira
à la création d’un espace juridique unique dans lequel les institutions
de l’Union européenne seront également soumises à la Convention
européenne des droits de l’homme, dans l’intérêt de l’Union européenne,
du Conseil de l’Europe, de tous leurs États membres et de leurs
citoyen·ne·s. Cela signifie par ailleurs que chaque organisation contribuera
à l’efficacité de l’autre.
24. Selon le stade auquel les négociations seront parvenues au
moment du Sommet, les chef·fe·s d’État et de gouvernement du Conseil
de l’Europe pourront en saluer la réussite et prendre les décisions
nécessaires pour la suite du processus, ou donner une impulsion
décisive pour les finaliser dans les meilleurs délais. La possibilité
pour l’Union européenne d’adhérer à d’autres instruments du Conseil
de l’Europe, comme la Charte sociale européenne révisée (STE no 163),
devrait également être étudiée en amont du Sommet.
25. Depuis sa création, le Conseil de l’Europe a été un précurseur
dans le domaine de la protection des droits humains, en fixant des
normes pour combler d’importantes lacunes juridiques et notamment
en élaborant des conventions visionnaires au moment de leur adoption.
Ces traités ont eu un impact tangible dans la vie de nombreuses
personnes en Europe, en particulier dans les domaines de la prévention
de la torture, de la lutte contre la traite des êtres humains, de
la protection des enfants contre les violences sexuelles ou de la
protection des femmes contre les violences fondées sur le genre
ou les violences domestiques.
26. Il convient de préserver et de promouvoir la capacité de l’Organisation
à élaborer des instruments juridiques dans les nouveaux domaines
de préoccupation. L’Europe peut, à juste titre, être saluée pour
son rôle de précurseur en matière de droits humains dans le monde
entier, grâce à sa clairvoyance dans l’élaboration de normes juridiques.
Elle devrait poursuivre dans cette voie car face à l’évolution rapide
de nos sociétés, un système de protection des droits humains qui
ne progresserait pas au même rythme deviendrait très vite obsolète
et inadapté. Le Conseil de l’Europe devrait donc se consacrer aux
nouvelles générations de droits humains.
27. Le renforcement de la capacité de l’Organisation à élaborer
de nouvelles normes juridiques ne doit pas être considéré comme
une alternative à l’évolution de la jurisprudence de la Convention,
telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme,
qui est également un moyen important par lequel le Conseil de l’Europe
contribue au développement des droits humains.
28. À cet égard, on ne peut rester sourd aux appels de l’opinion
demandant aux pouvoirs publics de s’attaquer au problème du changement
climatique et de faire passer la viabilité à long terme de l’environnement
avant les préoccupations économiques immédiates. On peut difficilement
imaginer comment il sera possible, une fois le point de basculement
du changement climatique atteint, d’assurer la paix, la sécurité
et la prospérité sans lesquels la démocratie, les droits humains
et l’État de droit deviendront de plus en plus difficiles à garantir.
29. Faisant suite à une initiative de l’Assemblée demandant au
Conseil de l’Europe d’adopter des instruments juridiquement contraignants
pour garantir le droit à un environnement propre, sain et durable
, une étude de faisabilité est en
préparation dans le cadre du mandat du Comité directeur pour les
droits de l’homme (CDDH).
30. Le Sommet devrait afficher son ambition, exposer une vision
stratégique pour l’avenir et apporter le soutien politique nécessaire
à la mise en place d’un cadre juridique contraignant conformément
aux recommandations de l’Assemblée. Il devrait également envisager
un rôle pour le Conseil de l’Europe en tant que plateforme d’échange
d’informations, de promotion des meilleures pratiques et de conseil
juridique sur la protection de l’environnement et la lutte contre
le changement climatique, à l’appui de réformes à l’échelon national.
La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ)
ou la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) pourraient être des modèles intéressants pour cette nouvelle
structure du Conseil de l’Europe, compte dûment tenu de leurs différences.
31. Que ce soit dans le domaine du développement des droits humains,
du suivi ou de la mise en œuvre des normes existantes, les nouveaux
domaines prioritaires devraient inclure l’intelligence artificielle,
la protection des données, les droits sociaux, l’égalité femmes-hommes
et la protection contre la violence fondée sur le genre et la discrimination.
6. Démocratie
Objectif 1: Lutter contre le
recul de la démocratie et ses causes profondes
32. La tendance au recul de la
démocratie qui avait été observée par plusieurs groupes de réflexion
et institutions faisant autorité s’est accentuée sous l’effet des
mesures prises en réponse à la pandémie de covid-19
. Comme l’a expliqué la Secrétaire Générale
du Conseil de l’Europe dans ses récents rapports sur la situation
de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit
, l’Europe ne fait pas exception.
33. Le Sommet devra donc donner un élan aux activités de l’Organisation
visant à inverser cette tendance tout en s’attaquant à ses causes
profondes, au premier plan desquelles figurent le creusement des
inégalités et la protection insuffisante des droits sociaux. Le
Conseil de l’Europe devrait être un ambassadeur de l’indivisibilité
des droits humains, rappelant qu’il ne devrait y avoir aucune hiérarchie
entre droits civils-politiques et droits socio-économiques.
34. Face au recul de la démocratie, une attention particulière
doit être portée au renforcement de la confiance des citoyen·ne·s
dans les processus démocratiques. À cette fin, le Conseil de l’Europe
devrait consacrer davantage d’efforts au renforcement de la bonne
gouvernance, à l’amélioration de la qualité et du professionnalisme
de l’administration publique et à la consolidation de la démocratie
locale, tous ces secteurs étant déterminants dans la confiance que
les citoyen·ne·s accordent aux pouvoirs publics.
35. Par ailleurs, il conviendrait de promouvoir de nouveaux mécanismes
afin d’accroître la participation des citoyen·ne·s aux décisions
publiques. Cela dit, s’il est nécessaire d’envisager des méthodes
novatrices d’implication plus directe des citoyen·ne·s dans les
processus démocratiques, il n’en demeure pas moins que les élections
restent la colonne vertébrale de la démocratie. L’intégrité des
processus électoraux doit être protégée et renforcée pour garantir
la légitimité et la crédibilité des institutions représentatives.
Le Sommet devrait par conséquent induire une réorganisation des
activités du Conseil de l’Europe dans le domaine des élections,
afin d’améliorer leur cohérence et leur impact.
36. Les États membres du Conseil de l’Europe gagneraient à disposer
d’une liste de critères de la démocratie. En s’appuyant sur la Convention
européenne des droits de l'homme, sur la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme et les travaux de la Commission
de Venise et du Comité européen sur la démocratie et la gouvernance
(CDDG), le Conseil de l’Europe devrait s’atteler à la tâche de recenser
les critères essentiels qui président au bon fonctionnement d’une
démocratie
. Cette liste de critères de la démocratie
n’aurait aucunement pour but de noter les performances des États
membres mais viserait à combler l’absence d’instrument juridique
international définissant clairement les contours d’un système démocratique
et les lignes rouges à ne pas franchir.
Objectif 2: Améliorer l’alerte
précoce et la réaction rapide
37. La guerre d’agression à grande
échelle qui se déroule actuellement au cœur de l’Europe montre combien
il est important que le Conseil de l’Europe fasse un meilleur usage
de ses organes et mécanismes pour donner l’alerte précocement et
accroître sa flexibilité et sa capacité de réaction rapide. L’Organisation pourrait
ainsi inverser les tendances négatives observées dans le domaine
de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit, qui
risquent de se détériorer davantage avec parfois des retombées au-delà
des frontières nationales.
38. L’Assemblée a déjà formulé à ce sujet un certain nombre d’idées
, qui pourraient
être précisées en coopération avec le Comité des Ministres lors
de la préparation du Sommet. On peut notamment citer les suivantes:
- mettre en place une initiative
pour la résilience démocratique qui suivra l’évolution de la démocratie
dans les États membres et servira de base à une alerte rapide et
à un dialogue politique renforcé pour aider les États membres à
faire face aux situations préoccupantes, en s’appuyant sur les travaux
des organes et mécanismes existants au sein du Conseil de l’Europe;
- accroître l’échange de bonnes pratiques dans tous les
domaines touchant la démocratie et la gouvernance démocratique;
- créer un mécanisme de suivi des évolutions liées à la
société civile, à la liberté d’association, à la participation et
à l’engagement des citoyen·ne·s dans les États membres du Conseil
de l’Europe;
- renforcer et étendre les activités du Conseil de l’Europe
relatives aux mesures de confiance et à la prévention des conflits,
notamment en ce qui concerne la société civile et la coopération
transfrontalière;
- renforcer les capacités d’alerte précoce et de réaction
rapide des mécanismes existants du Conseil de l’Europe.
39. Le Conseil de l’Europe devrait tirer les leçons de son expérience
récente, qui a démontré l’efficacité limitée des procédures en vigueur.
L’alerte précoce fondée sur des critères objectifs et vérifiables
devrait s’accompagner de la capacité à réagir promptement et efficacement
au plan politique pour avoir un impact sur les États membres avant
qu’une situation préoccupante atteigne un degré de sévérité tel
qu’elle devient constitutive d’une violation grave des obligations
statutaires.
40. Le pilier de la démocratie est clairement celui qui nécessite
davantage d’innovation pour imprimer un véritable changement d’orientation.
Il pourrait également être envisagé de mettre en place un·e Commissaire à
la démocratie du Conseil de l’Europe en tant qu’organe indépendant
élu par l’Assemblée et doté de moyens et de la capacité de s'engager
systématiquement dans un dialogue permanent avec les États membres,
de donner l'alerte et de réagir rapidement, ainsi que d'offrir une
assistance pertinente, en étroite coopération avec les secteurs
clés du Secrétariat et des institutions du Conseil de l’Europe,
afin de contribuer au renforcement du modèle démocratique dans toute
l'Europe.
Objectif 3: Une démocratie
novatrice
41. La démocratie évolue à un rythme
rapide. Les technologies numériques, par exemple, ont transformé l’engagement
des citoyen·ne·s, mais aussi la prestation des services publics
et le travail de l’administration publique. D’immenses progrès ont
été faits dans ce domaine en réponse à la pandémie de covid-19 et pourraient
devenir des solutions durables. De nombreux États membres du Conseil
de l’Europe ont compris cette évolution de la société et ont acquis
de l’expérience dans l’utilisation de mécanismes de consultation publique
en ligne, de gouvernance électronique et de démocratie électronique.
Certains États membres ont également expérimenté des formes de démocratie
participative et délibérative telles que les assemblées de citoyen·ne·s,
les réunions publiques, les budgets participatifs et les référendums,
pour n’en citer que quelques-unes.
42. Le Conseil de l’Europe devrait être en mesure de suivre et
même d’anticiper ces évolutions. Le Sommet devrait encourager l’Organisation
à jouer un rôle de plateforme permettant de partager de nouvelles
pratiques dans le domaine de la démocratie, de prévoir les difficultés
qui pourraient se poser et de tirer parti des avantages de l’innovation.
7. État
de droit
43. L’État de droit est une notion
complexe, plus facile à décrire qu’à définir, comme le reconnaît
la Commission de Venise
. Ses éléments
fondamentaux sont la sécurité juridique, la prévention des abus
et détournements de pouvoir, l’égalité devant la loi et la non-discrimination,
et l’accès à la justice. L’État de droit est lié à la protection
et à la promotion des droits humains et à la démocratie, et fournit
un environnement propice aux deux.
44. Le 4e Sommet devrait réaffirmer
que le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire et la
lutte contre la corruption devraient être des priorités essentielles
pour le Conseil de l’Europe. Il devrait également recommander d’accorder
une plus grande importance à la bonne gouvernance. L’administration
publique est l’interface la plus directe entre les citoyen·ne·s
et les institutions publiques. Son efficacité, sa réactivité, son professionnalisme,
sa conduite conforme à l’éthique, son équité et son respect de la
loi sont déterminants pour la confiance dans la démocratie.
8. Rétablir
le contact avec les Européennes et les Européens
45. Le Conseil de l’Europe devrait
être plus proche des citoyen·ne·s et répondre davantage à leurs
attentes en termes d’ouverture, de transparence et de participation
active.
46. Des changements sociétaux majeurs ont eu lieu au cours des
dernières décennies et requièrent un plus grand accès aux institutions
publiques, notamment aux organisations internationales. Le Sommet
devrait donner le coup d’envoi d’une réforme des méthodes de travail
du Conseil de l’Europe dans ce sens, afin que l’Organisation mette
en pratique ce qu’elle prêche. Parmi les mesures envisageables,
on peut citer:
- la retransmission
publique d’un plus grand nombre de réunions et l’accès public à
un plus grand nombre de documents;
- la création de possibilités de tenir des consultations
publiques sur des questions essentielles;
- la mise en place de nouveaux canaux permettant à la société
civile, aux organisations non gouvernementales et aux institutions
nationales de défense des droits humains de contribuer davantage au
travail d’élaboration de normes, de suivi et de coopération de l’Organisation.
47. Une plus grande ouverture permettrait au Conseil de l’Europe
de mieux communiquer ses objectifs et d’expliquer son impact sur
la vie des gens, tout en renforçant sa visibilité. Il appartient
aux organisations internationales d’aider les citoyen·ne·s à comprendre
leur pertinence.
48. Les jeunes sont le principal groupe cible de cette volonté
de renouer avec les citoyen·ne·s. Le Sommet devrait demander la
prise en compte de leur contribution et l’intégration d’une dimension
«jeunesse» dans l’ensemble des travaux du Conseil de l’Europe. Cette
approche permettrait de mieux faire connaître les valeurs fondamentales
du Conseil de l’Europe auprès de la jeune génération et aiderait
l’Organisation à élaborer un programme plus inclusif, plus dynamique
et tourné vers l’avenir.
9. Le
Conseil de l’Europe, une communauté politique
49. Le Conseil de l’Europe n’est
pas seulement le gardien des droits humains, de la démocratie et
de l’État de droit, ou une Organisation dotée de l’expertise technique
nécessaire pour élaborer des normes juridiques. C’est aussi une
communauté politique, comme le rappelle la Déclaration de Vienne
de 1993. Il ne peut en être autrement puisqu’il s’occupe de questions
de la plus haute importance politique pour la préservation de la
paix et de la sécurité dans les États membres et en Europe.
50. Le 4e Sommet devrait réaffirmer
le rôle joué par le Conseil de l’Europe en sa qualité de communauté politique
et continuer à développer son potentiel. Cela passe par une approche
à deux volets. En ce qui concerne son propre fonctionnement, le
Conseil de l’Europe devrait renforcer la dimension politique de
ses travaux, par exemple:
- en
mettant en place des mécanismes de dialogue interinstitutionnel
pour améliorer le respect par les États membres des obligations
qu’ils ont contractées lors de leur adhésion et des normes du Conseil
de l’Europe. La procédure dite «conjointe» relative aux violations
de l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe est un exemple de
mécanisme de ce type . Cela dit, les trois organes impliqués
dans ce dialogue – le Comité des Ministres, l’Assemblée et la Secrétaire
Générale – devraient communiquer avec les États membres pour améliorer
la conformité bien avant d’en arriver à ce scénario extrême. En outre,
comme nous l’avons déjà mentionné, une procédure de dialogue politique
renforcé devrait être mise en place pour l’exécution des arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que dans le cadre
de la création de mécanismes d’alerte précoce/de réaction rapide;
- en veillant à ce que les présidences à la tête du Comité
des Ministres puissent avoir un impact politique plus fort, par
exemple en coordonnant leurs priorités sur une période donnée;
- en continuant à renforcer le dialogue et l’action concertée
entre les organes statutaires de l’Organisation;
- en se fixant pour objectif la tenue d’une conférence ministérielle
pour chaque présidence du Comité des Ministres, avec la présence
de ministres;
- en organisant régulièrement des Sommets des chef·fe·s
d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe, éventuellement
en lien avec l’approbation du cadre stratégique quadriennal de l’Organisation.
51. En leur qualité d’organes politiques représentant les citoyen·ne·s
européens, l’Assemblée et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
devraient jouer un rôle plus important en prenant part aux activités
générales de l’Organisation et en servant de multiplicateurs de
ses normes et valeurs au niveau national. À cet égard, il importe
de souligner que l’Assemblée et le Congrès comptent des représentants
élus de diverses sensibilités politiques, y compris de l’opposition,
ce qui leur permet de mieux connaître la situation de leur pays
et de s’adresser à un public plus large.
52. L’approche à deux volets qui vise à renforcer le poids politique
de l’Organisation a également une dimension extérieure. Un Sommet
au niveau des chef·fe·s d’État et de gouvernement du Conseil de
l’Europe permet de garantir la prise en compte du rôle du Conseil
de l’Europe en tant que communauté politique dans l’architecture
multilatérale européenne et d’éviter qu’il soit fragilisé ou copié
inutilement par d’autres initiatives.
53. À cet égard, il convient de réfléchir sérieusement à la manière
de conjuguer le champ d’action et les compétences du Conseil de
l’Europe avec ceux de la Communauté politique européenne qui a tenu
sa première réunion à Prague le 6 octobre 2022 et qui a rassemblé
43 États membres du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe
est une communauté politique qui traite de questions revêtant une
importance vitale pour les citoyen·ne·s, les États membres, l’Europe
dans son ensemble et la gouvernance mondiale. À l’image d’une famille
partageant les mêmes valeurs, principes et normes, il réunit sur
un pied d’égalité 46 États européens, dont tous les États membres
de l’Union européenne. Bien qu’il soit prématuré à ce stade de faire
des recommandations, il faudra continuer à suivre cette question
et l’aborder dans les décisions du Sommet.
10. Le
Conseil de l’Europe dans l’architecture multilatérale européenne
54. Grâce à ses conventions et
à son rôle normatif, ainsi qu’à tout son dispositif reposant sur
le dialogue politique, le suivi et la coopération, le Conseil de
l’Europe est la pierre angulaire de l’ordre multilatéral fondé sur
des règles en Europe. Il exerce ce rôle en coopération très étroite
avec l’Union européenne qui a compétence législative dans un grand
nombre de domaines et compte 27 États membres en commun avec lui.
55. Le Sommet devrait intensifier les relations entre le Conseil
de l’Europe et l’Union européenne, en renforçant le partenariat
stratégique entre les deux organisations sur la base de leurs valeurs
communes et de leur engagement en faveur de la promotion de la paix,
de la sécurité et de la stabilité sur le continent européen et de
la défense du multilatéralisme dans le monde.
56. Le processus d’intégration européenne représente un facteur
de stabilité en Europe, surtout dans le nouveau contexte historique.
Un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe, dont l’Albanie,
la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la République de Moldova, le
Monténégro, la Macédoine du Nord, la Serbie, la Türkiye et l’Ukraine,
bien qu’étant à des stades différents de la procédure, ont exprimé
leur désir d’adhérer à l’Union européenne.
57. Sur la base d’un accord formel avec l’Union européenne, un
mécanisme devrait être mis en place pour que le Conseil de l’Europe
joue un rôle politique et technique plus visible et plus structuré,
afin de permettre aux États membres qui souhaitent adhérer à l’Union
européenne de faire des progrès tangibles et mesurables pour remplir
les critères requis, conformément aux valeurs et aux normes du Conseil
de l’Europe.
58. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe devrait continuer à jouer
un rôle décisif dans le maintien de normes élevées en matière de
démocratie, de droits humains et d’État de droit dans tous ses États
membres, y compris ceux qui sont également membres de l’Union européenne,
et ce rôle devrait être reconnu par l’Union européenne.
59. L’État de droit illustre bien ce point car c’est un domaine
pour lequel il y aurait lieu de renforcer le dialogue politique
entre les deux organisations et de recourir davantage à l’expertise,
à l’analyse comparative et aux conclusions du Conseil de l’Europe
dans le large éventail de mécanismes et d’outils dont dispose l’Union européenne
en la matière. Il conviendrait d’étudier la possibilité de déléguer
certaines compétences au Conseil de l’Europe sur la base d’un accord
formel, par exemple en ce qui concerne l’élaboration du rapport
sur l’État de droit. La coopération entre les deux organisations
dans ce domaine devrait être plus régulière, formelle, structurée
et visible, et reposer sur un dialogue politique plus approfondi.
60. L’adhésion prévue de l’Union européenne à la Convention européenne
des droits de l’homme et les progrès de l’élargissement de l’Union
européenne conduiront probablement à l’établissement de relations
plus étroites entre les deux organisations. Cela pourrait également
déclencher une réflexion sur l’éventuelle adhésion à part entière
de l’Union européenne au Conseil de l’Europe.
61. Le 4e Sommet devrait jeter les
bases d’une révision du Mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne, dans le sens précisé ci-dessus. Ce texte
devrait confirmer la position du Conseil de l’Europe en tant qu’organisation
intergouvernementale chef de file en Europe pour toutes les questions
relatives aux droits humains, à la démocratie et à l’État de droit,
notamment comme plateforme politique et organisme normatif.
62. L’Assemblée elle-même devrait chercher à renforcer son partenariat
avec le Parlement européen. Elle a exposé, dans plusieurs textes
récents et rapports pertinents, la voie à suivre et les initiatives
concrètes envisageables, notamment la
Résolution 2430 (2022) «Au-delà du Traité de Lisbonne: renforcer le partenariat stratégique
entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne» et la
Résolution 2456 (2022) «Soutenir une perspective européenne pour les Balkans
occidentaux»
.
11. Faire
rayonner les valeurs et les normes du Conseil de l’Europe au-delà
de ses États membres
63. Si la mission du Conseil de
l’Europe doit rester géographiquement centrée sur l’Europe, le Sommet
doit reconnaître la contribution du Conseil de l’Europe à la gouvernance
mondiale et encourager l’Organisation à faire rayonner ses valeurs
et ses normes au-delà de ses membres.
64. Le Conseil de l’Europe devrait renforcer sa coopération avec
les États et organisations qui le souhaitent, non seulement dans
son voisinage géographique mais aussi dans sa proximité politique,
comme l’a déjà recommandé l’Assemblée
. Une coopération plus solide avec
les Nations Unies, ses agences et ses mécanismes contribuerait également
à promouvoir la gouvernance mondiale, le multilatéralisme fondé
sur des règles et la réalisation des objectifs de développement
durable. La récente visite de la Sous-Commission des relations extérieures
au siège de l’ONU et les échanges fructueux tenus avec de hauts
responsables illustrent la nécessité de continuer à mettre en avant
le profil du Conseil de l’Europe en tant que partenaire régional des Nations
Unies dans tous les domaines où il apporte une valeur ajoutée, et
notamment la sécurité démocratique.
65. Le Sommet des chef·fe·s d’État et de gouvernement du Conseil
de l’Europe devrait réaffirmer la vocation paneuropéenne du Conseil
de l’Europe et sa nature de communauté de valeurs, qui peut servir
de référence à tous ceux qui aspirent à la démocratie, aux droits
humains et à l’État de droit, où qu’ils se trouvent. En ce sens,
aux conditions déjà définies par l’Assemblée
,
le Conseil de l’Europe devrait maintenir une politique d’ouverture
à l’égard de la société civile bélarusse et russe, en particulier
à l’égard des personnes, groupes et organisations qui risquent d’être
persécutés par les autorités pour avoir défendu les valeurs et principes
du Conseil de l’Europe.
12. Soutien
à l’Ukraine
66. Le 4e Sommet
offrirait une plateforme aux chef·fe·s d’État et de gouvernement
du Conseil de l’Europe pour réaffirmer leur soutien total à la souveraineté,
à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et s’engager
à ne pas reconnaître, de jure ou de facto, l’annexion illégale de
territoires ukrainiens par la Fédération de Russie.
67. Le Sommet devrait veiller à ce que le Conseil de l’Europe
continue à apporter son soutien sans réserve à l’Ukraine, immédiatement,
comme le prévoit le Plan d’action ajusté du Conseil de l’Europe
pour l’Ukraine 2018-2022 adopté par le Comité des Ministres à Turin
, et après la fin de la guerre d’agression.
Des institutions démocratiques solides, le respect de l’État de
droit et la conformité aux normes démocratiques, ainsi qu’une intégration
européenne plus forte, sont les meilleurs garants de la sécurité
démocratique de l’Ukraine et de l’Europe.
68. Des mesures devraient être prises pour accroître le profil
et la visibilité de l'assistance substantielle et de la coopération
du Conseil de l'Europe avec l'Ukraine, ainsi que pour assurer une
coordination et une coopération accrues avec les autres organisations
internationales concernées, par la mise en place d'un coordinateur
/ d’une coordinatrice spécial·e, sous l'autorité de la Secrétaire
Générale. Les États membres devraient être encouragés à contribuer
financièrement aux initiatives de coopération du Conseil de l’Europe en
Ukraine et à la reconstruction du pays.
13. Responsabilité
de la Fédération de Russie
69. Même si la Fédération de Russie
a été exclue du Conseil de l’Europe, la question de sa responsabilité devrait
figurer au cœur du Sommet, car elle est étroitement liée à l’État
de droit: les crimes commis par la Fédération de Russie, contre
un État membre du Conseil de l’Europe et ses citoyen·ne·s et en
violation du droit international, ne devraient pas rester impunis.
70. Cette question de responsabilité doit être envisagée de manière
globale. Entre autres recommandations, l’Assemblée a appelé les
États membres et observateurs du Conseil de l’Europe à créer un tribunal
pénal international
ad hoc chargé
d’enquêter sur le crime d’agression perpétré par les dirigeants politiques
et militaires de la Fédération de Russie et d’engager des poursuites
à leur encontre
. Le 4e Sommet devrait
apporter son soutien politique sans équivoque à cette initiative,
qui revêt une forte signification politique.
71. En outre, les chef·fe·s d’État et de gouvernement devraient
manifester leur soutien aux activités des juridictions internationales
qui ont pour mandat d’enquêter sur les génocides, les crimes de
guerre, les violations du droit humanitaire international et les
crimes contre l’humanité et d’en poursuivre les auteurs. Ils devraient
également réaffirmer que le Conseil de l’Europe est disposé à aider
les procureurs ukrainiens et tout tribunal hybride (composé de juges
nationaux et internationaux) pouvant être mis en place pour enquêter
et poursuivre les auteurs de ces graves crimes internationaux. La
constitution d’un registre des dommages causés par l’agression russe
devrait également être appuyée. La Fédération de Russie devrait
être rendue responsable de la réparation des dommages qu’elle a
causés.
72. Le fait qu’un État européen ait osé mener une invasion totale
contre un État voisin, la plus destructrice depuis la seconde guerre
mondiale, devrait susciter une réflexion plus large sur la responsabilité.
Bien que l’agression soit le crime des crimes, il est rare que les
auteurs de tels faits soient traduits en justice et des obstacles
juridiques et politiques entravent l’exercice d’une compétence effective.
Le Conseil de l’Europe devrait prendre la tête de la réflexion sur
les moyens de promouvoir l’exercice effectif d’une compétence universelle
sur le crime d’agression, peu importe son auteur.
14. Zones
relevant de la souveraineté des États membres du Conseil de l’Europe
se trouvant sous le contrôle de facto de la Fédération de Russie
73. Si la Fédération de Russie
peut être tenue responsable des violations de la Convention européenne
des droits de l’homme qu’elle a commises jusqu’au 16 septembre 2022,
elle n’est plus liée par la Convention après cette date. En conséquence,
des millions d’Européen·ne·s sont privés de la protection de la
Convention car ils se trouvent dans des territoires qui relèvent
de la souveraineté d’États membres du Conseil de l’Europe – l’Ukraine,
la Géorgie et la République de Moldova – mais sont sous le contrôle de facto de la Fédération de Russie.
Le même type de privation s’applique aux autres traités par lesquels
la Fédération de Russie n’est plus liée du fait de son exclusion
du Conseil de l’Europe.
74. Le Sommet devrait exiger que la Fédération de Russie se retire
des territoires des États membres du Conseil de l’Europe qui sont
illégalement sous son contrôle. Parallèlement, il devrait soutenir
l’action des mécanismes internationaux de protection des droits
humains accessibles à ces Européen·ne·s, par exemple sous l’égide
de l’OSCE et des Nations Unies. Le Conseil de l’Europe devrait veiller
à ce que les arrêts et décisions de la Cour européenne des droits
de l’homme concernant la Fédération de Russie soient utilisés par ces
organisations partenaires dans leurs travaux.
75. Dans la perspective du Sommet, il conviendrait d’étudier la
possibilité d’instituer un·e représentant·e spécial·e / correspondant·e
de la Secrétaire Générale dans ces domaines
. En tout état de cause, les contacts
avec la société civile, les organisations non gouvernementales,
les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes demeurent
essentiels pour recueillir des informations concernant la situation
sur le terrain. De même, le Comité des Ministres devrait continuer
à examiner régulièrement la question.
15. Viabilité
financière du Conseil de l’Europe
76. L’exclusion de la Fédération
de Russie et son refus de payer ses arriérés de contribution ont
placé le Conseil de l’Europe dans une situation budgétaire difficile,
que de nombreux États membres ont promis de combler à court terme.
Toutefois, assurer la viabilité financière de l’Organisation va
bien au-delà du court terme et il est indispensable de combler le
déficit budgétaire laissé par la Fédération de Russie.
77. Un Conseil de l’Europe renouvelé, amélioré et renforcé a besoin
des ressources financières nécessaires pour s’acquitter efficacement
de son mandat
. À titre
de comparaison, en 2021, le budget ordinaire du Conseil de l’Europe
était de 258 millions d’euros. Son budget total ajusté s’élevait
à 521 millions d’euros, principalement grâce aux contributions volontaires/ressources
extrabudgétaires. L’Union européenne est le principal contributeur
aux ressources extrabudgétaires du Conseil de l’Europe par le biais
des programmes conjoints UE-Conseil de l’Europe. En 2021, cela représentait
57 % de l’ensemble des contributions extrabudgétaires et un volume
total de 36,5 millions d’euros
.
78. S’il faut se féliciter de l’augmentation régulière des ressources
extrabudgétaires au cours des dernières années et poursuivre dans
cette voie, les chef·fe·s d’État et de gouvernement devraient prendre
l’engagement politique d’augmenter le budget ordinaire du Conseil
de l’Europe, en valeur réelle, comme le demande l’Assemblée
.
En parallèle, le Sommet devrait soutenir la révision des barèmes
des contributions des États membres – qui ont été fixés pour la
dernière fois en 1994 – en vue de relever la contribution minimale
et d’assurer une plus grande équité dans la manière dont les États
membres financent l’Organisation.
79. Il ressort des discussions menées au sein du groupe 46+1 qu’après
son adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme, l’Union
européenne versera une contribution au budget ordinaire du Conseil
de l’Europe qui, d’après les derniers calculs, pourrait être égale
à 36 % de la contribution d’un gros payeur. Cette contribution sera
essentielle pour financer les coûts supplémentaires liés au fonctionnement
de la Cour européenne des droits de l’homme.
80. Indépendamment de cette contribution, comme l’a déjà proposé
l’Assemblée, il conviendrait d’étudier la possibilité pour l’Union
européenne de verser des contributions non affectées au budget du
Conseil de l’Europe, compte tenu du solide partenariat stratégique
qui existe entre les deux organisations et dont on espère qu’il
se renforcera encore
.
16. Conclusions
81. L’Europe traverse une période
d’incertitude et de bouleversements. Le changement climatique, la pandémie
de covid-19 et la guerre d’agression brutale au cœur du continent,
qui risque une nouvelle escalade, sont autant de catastrophes qui
ont renforcé le sentiment d’insécurité et de vulnérabilité au sein
de la population.
82. S’il n’existe pas de solution facile à ces problématiques,
on peut affirmer que les valeurs, les normes et le multilatéralisme
font partie de la réponse. La solidité et la résilience des démocraties
européennes, leur respect des droits humains et leur adhésion à
l’État de droit sont les meilleures garants de la prospérité, de
la sécurité et de l’avenir pacifique de chacun. Les chef·fe·s d’État
et de gouvernement du Conseil de l’Europe, réunis à l’occasion du
4e Sommet de l’Organisation, doivent
réaffirmer leur détermination, leur unité autour de ces valeurs
et leur attachement indéfectible au multilatéralisme fondé sur le
droit international.
83. Le Sommet devrait réaffirmer son soutien total à la souveraineté,
à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, demander
une aide financière pour sa reconstruction et exiger que la Fédération
de Russie soit tenue responsable de la violation du droit international
et des dommages qu’elle a causés. Le fait qu’un État européen ait
osé mener une invasion totale contre un État voisin, la plus destructrice
que l’Europe ait jamais connue depuis la seconde guerre mondiale,
devrait susciter une réflexion sur la manière d’assurer une compétence
effective sur le crime d’agression, peu importe son auteur.
84. Le Sommet devrait indiquer clairement qu’en renforçant la
démocratie, les droits humains et l’État de droit, le Conseil de
l’Europe contribue non seulement à améliorer la vie des Européen·ne·s,
mais également à maintenir la paix et la sécurité internationales,
au sens de la Charte des Nations Unies.
85. Comme n’importe quelle autre organisation internationale,
le Conseil de l’Europe ne peut avoir que le poids politique, les
prérogatives et l’impact que ses États membres sont prêts à lui
donner. C’est pourquoi il est crucial d’organiser un Sommet au plus
haut niveau politique qui revalorisera le rôle de l’Organisation, renforcera
ses moyens politiques, financiers et techniques et redéfinira sa
place et son poids dans l’architecture multilatérale européenne,
notamment par rapport à l’Union européenne.
86. Le Conseil de l’Europe qui émergera du Sommet devra avoir
adopté une vision d’avenir. Si ses principaux objectifs et domaines
de compétence doivent rester les mêmes – la démocratie, les droits
humains et l’État de droit – il devrait se voir attribuer davantage
de moyens pour conserver son influence et demeurer à l’avant-garde,
en s’adaptant à l’évolution de la société et aux demandes des citoyen·ne·s.
87. Les orientations politiques issues du Sommet devraient être
suivies de mesures de mise en œuvre et d’une réforme administrative
visant à rendre le Conseil de l’Europe plus dynamique, plus efficace,
plus visible, plus transparent et plus proche des citoyen·ne·s et
de la société civile.
88. L’Assemblée doit être prête à continuer de soutenir le processus
conduisant au Sommet, être représentée lors du Sommet et contribuer
aux actions qui seront menées dans le prolongement de celui-ci.