1. Introduction
1. Conformément à son mandat défini
dans la
Résolution
1115 (1997) (telle que modifiée), la commission pour le respect
des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe
(commission de suivi) est saisie pour procéder à des examens périodiques
réguliers du respect des obligations contractées lors de leur adhésion
au Conseil de l’Europe par les États membres qui ne font pas déjà
l’objet d’une procédure de suivi complet ou qui ne sont pas engagés
dans un dialogue postsuivi. Depuis l’adoption de la
Résolution 2261 (2019), les rapports d’examen périodique sont soumis pour débat
de manière indépendante, accompagnés de résolutions spécifiques
à chaque pays. En ce qui concerne l’ordre et la fréquence des examens
périodiques, la commission de suivi opère une sélection des pays
motivée par des raisons de fond, selon ses méthodes de travail internes,
dans l’objectif de consacrer, au fil du temps, des examens périodiques
à tous les États membres.
2. Le 3 février 2021, la commission de suivi a sélectionné, pour
cet examen périodique, le deuxième groupe de pays : France, Pays-Bas
et Saint-Marin. Le 19 mars 2021, l’Assemblée a ratifié cette sélection
et le 19 avril 2021, MM. Andrej Hunko (Allemagne, GUE) et Viorel-Riceard
Badea (Roumanie, PPE/DC) ont été nommés rapporteurs pour Saint-Marin.
La visite d’information à Saint-Marin, élément essentiel de la préparation
de ce rapport, s’est déroulée du 24 au 26 octobre 2022. Nous tenons
à remercier le Grand Conseil général de Saint-Marin et sa délégation
auprès de notre Assemblée pour la qualité du programme, leur accueil et
pour le soutien apporté à cette visite
.
Outre cette visite, nous avons eu des échanges de vues avec les membres
de la délégation saint-marinaise ainsi qu’avec le Secrétaire exécutif
et les membres du Secrétariat du Groupe d’États contre la corruption
(GRECO). Le 26 janvier 2023, la commission a désigné M. Joseph O’Reilly
(Irlande, PPE/DC) en remplacement de M. Viorel-Riceard Badea (Roumanie,
PPE/DC) qui a quitté l’Assemblée.
3. Saint-Marin est devenu membre du Conseil de l’Europe le 16 novembre
1988. Saint-Marin est un micro‑État, considéré comme le plus ancien
État souverain existant et la plus ancienne République constitutionnelle
au monde. C’est le troisième plus petit pays d’Europe après le Vatican
et Monaco et le cinquième plus petit pays du monde
.
4. Aux débuts de la chrétienté, le fondateur du pays, Sanctus
Marinus, s’installa sur son actuel territoire avec un groupe d’adeptes
pour fuir la persécution. Son indépendance historique aux puissances
étrangères
et l’autonomie des citoyens
forment une part importante de l’identité nationale saint-marinaise
et se reflètent dans son mode de gouvernement unique, inspiré des
structures de la République romaine. Bien que ces structures se
soient adaptées aux besoins d’une société en évolution, elles ont
conservé leurs grandes caractéristiques : le pouvoir est collégial
et réparti entre les citoyens, qui ne le détiennent que pour une
durée limitée. Autre aspect important pour la définition des structures
institutionnelles du pays, il s’agit comme nous l’avons déjà mentionné
d’un micro-État, d’une superficie de 62 km2 et
qui compte aujourd’hui 34 000 habitants
, dont
quelque 4 800 sont étrangers. Par conséquent, les citoyens sont
très proches des structures politiques et de gouvernement ; de même,
il y a très peu de distance entre les différentes branches du pouvoir,
souvent imbriquées les unes dans les autres.
5. Pour conserver son indépendance dans un monde de plus en plus
interconnecté, Saint-Marin a entrepris, dans la seconde moitié du
siècle dernier, de moderniser sa société et ses structures institutionnelles, ce
qui a accru son intégration à la communauté internationale et l’harmonisation
de ses institutions avec les normes et standards internationaux.
Saint-Marin a rejoint le Conseil de l’Europe en 1988, comme déjà
évoqué, et l’ONU en 1992. Cette même année, le pays a également
intégré le Fonds Monétaire International, puis la Banque mondiale,
en 2000. Sa politique étrangère repose sur ce que le secrétaire
d’État aux Affaires étrangères de Saint-Marin nous a décrit comme
« une neutralité active, qui ne prévoit pas d’alignement sur certains
pays mais des positions claires sur les principes du droit international ».
C’est cet ancrage dans les principes du droit international qui
a permis au pays, par exemple, de se joindre aux sanctions contre
la Fédération de Russie pour son agression contre l’Ukraine, sans
s’aligner sur des regroupements ou des intérêts régionaux.
6. En tant que pays enclavé à l’intérieur de l’Italie, Saint-Marin
entretient des relations spéciales avec les systèmes monétaire et
douanier de l’Union européenne. En 1991, un accord de coopération
et d’union douanière a été signé entre la Communauté économique
européenne et Saint-Marin. La loi no 124
du 16 décembre 1998 a réglementé le passage de la lire à l’euro.
En outre, l’accord monétaire entre la République de Saint-Marin
et la République italienne au nom de la Communauté européenne a
été signé le 29 novembre 2000 et ratifié par le décret no 19
du 8 février 2001. L’Union européenne et les trois micro-États européens
(Saint-Marin, Andorre et Monaco) œuvrent à renforcer leur coopération
et leur intégration, pour le moment sur la base d’un accord d’association
multilatéral, car l’adhésion à l’Union européenne n’est actuellement
pas envisagée pour ces micro-États. Malgré cette étroite coopération,
Saint-Marin n’a pas été invité à prendre part à la Communauté politique
européenne, qui a tenu son Sommet fondateur les 23-24 juin 2022
à Prague. Nous espérons que cela sera rectifié lors des futures
activités et réunions de la Communauté politique européenne.
7. La modernisation et l’intégration internationale croissante
de Saint-Marin ont suscité des interrogations sur le fonctionnement
du système d’équilibre et de séparation des pouvoirs dans le pays,
en particulier concernant l’indépendance de la justice. L’attention
s’est aussi de plus en plus portée, dans le contexte particulier
lié à la taille du pays, sur la vulnérabilité potentielle des institutions
et de leurs représentants aux conflits d’intérêts et à la corruption.
Cela a conduit à d’importantes réformes institutionnelles sur lesquelles nous
reviendrons au chapitre suivant, consacré aux institutions démocratiques.
Les problèmes de vulnérabilité des institutions du pays aux conflits
d’intérêts et à la corruption, ainsi que d’indépendance de la justice,
ont été mis en lumière par le scandale dit du “comte Mazzini” ou
Sammarinese Tangentopoli, en 2017
, et surtout par les
conclusions du rapport d’évaluation établi en 2019 par le GRECO
dans le cadre de son Quatrième cycle d’évaluation – prévention de
la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs
. Ces conclusions du GRECO, en particulier,
ont été décrites par nos interlocuteurs comme une douche froide,
et ont suscité une profonde réforme des structures judiciaires –
sur laquelle nous reviendrons plus loin. Ces événements sont apparus
à un moment d’assez vives tensions au sein du système judiciaire
et du monde politique, tensions qui ont attiré l’attention de la
communauté internationale et ont été mentionnés comme l’un des motifs
de fond pour sélectionner Saint-Marin en vue d’un examen périodique
par la commission. Le fonctionnement du système d’équilibre des
pouvoirs, ainsi que l’indépendance de la justice et la potentielle
vulnérabilité de l’État de droit et des institutions démocratiques
de Saint-Marin aux conflits d’intérêts et à la corruption, formeront
donc les axes essentiels du présent rapport.
2. Institutions
démocratiques
8. Comme déjà évoqué, la République
de Saint-Marin est largement considérée comme la plus ancienne république
existante au monde
,
puisqu’elle fut fondée en 301 apr. J.-C. Son régime est hérité des
structures de la République romaine. À la tête du pays, tous les
chefs des familles qui composaient Saint-Marin siégeaient en un
conseil, l’
Arengo, inspiré
du Sénat de la Rome antique. Comme cela se pratiquait en République
romaine, l’
Arengo nommait
les plus hauts représentants de l’État, à savoir deux consuls (qui prendraient
plus tard le nom de capitaines-régents), gouvernant de façon collégiale
et pour une durée limitée. Bien que ces structures institutionnelles
aient été adaptées et actualisées au fil du temps, deux principes importants
n’ont jamais disparu. Premièrement, les pouvoirs ne sont pas concentrés
entre les mains d’une seule personne. Le régime est collégial, sans
direction centralisée – le pays n’a ni président du parlement, ni Premier ministre
– et la fonction de chef d’État est partagée entre deux capitaines-régents,
garants du respect de la Constitution. Deuxièmement, la durée des
mandats exécutifs est limitée et leurs détenteurs rendent directement
compte aux citoyens, qui prennent part aux affaires du pays (voir
aussi plus loin, le chapitre sur la démocratie directe).
9. Les premiers Statuts de Saint-Marin, également sources de
droit constitutionnel, remontent à 1263. La Constitution actuelle
date de 1600 et c’est toujours sur elle que se fonde le cadre constitutionnel
du pays. En outre, une Déclaration des droits des citoyens et des
principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel de Saint-Marin
(«Déclaration des droits des citoyens») a été adoptée en 1974 et
modifiée par la loi no 95 du 19 septembre
2000, la loi no 36 du 26 février 2002,
la loi constitutionnelle no 61 du 28
avril 2005, la loi no 182 du 14 décembre
2005 portant modification de la Constitution, la loi constitutionnelle
no 1 du 22 juillet 2011 et la loi no 1
du 28 mars 2019 portant modification de la Constitution, formant
avec la Constitution de 1600 le cadre constitutionnel de Saint‑Marin.
La Déclaration des droits des citoyens ne peut être modifiée par
le Grand Conseil général qu’à une majorité des deux tiers. Si elles
sont approuvées à la majorité absolue, les lois portant modification
de la Constitution sont soumises à référendum pour confirmation
dans les 90 jours suivant leur approbation.
2.1. Le
Grand Conseil général
10. Le Grand Conseil général est
le Parlement de Saint-Marin. Au début du XIIIe siècle,
une nouvelle institution – déjà nommée Grand Conseil général – a
repris la plupart des prérogatives de l’Arengo.
Ce Conseil se composait de 60 membres, initialement élus par l’Arengo. Les Statuts du pays, adoptés
en 1600, autorisaient le Grand Conseil général à nommer ses membres
par cooptation, entraînant l’affaiblissement de l’Arengo et une concentration des
pouvoirs entre les mains des riches familles qui contrôlaient le
Conseil. Cette situation perdura jusqu’en 1906, date à laquelle
l’Arengo fut à nouveau convoqué
et le système de cooptation aboli. Depuis, le Grand Conseil général
est élu au suffrage universel.
11. Les Statuts et la Déclaration des droits des citoyens définissent
Saint-Marin comme une République parlementaire : la souveraineté
réside dans le peuple qui l’exerce à travers le Grand Conseil général,
élu par une procédure démocratique représentative. Le Grand Conseil
général est un organe législatif monocaméral qui, entre autres,
est investi du pouvoir législatif, dirige la politique nationale,
contrôle l’exécutif, élit les capitaines-régents et nomme les membres
du Congrès d’État et approuve le budget annuel.
12. Le Grand Conseil général actuel se compose de 60 membres élus
tous les cinq ans au suffrage universel, selon un système proportionnel
à deux tours avec vote préférentiel, dans une circonscription unique couvrant
tout le pays
. Les candidats sont inscrits
sur une liste de parti. La liste ou la coalition de listes qui obtient
la majorité absolue au premier ou au second tour reçoit au minimum
35 sièges. Un seuil de 5 % s’applique lors de la répartition des
sièges. Si aucune liste ou coalition de listes n’obtient le nombre
minimal de voix valables pour remporter les élections, les capitaines-régents
accordent à la liste ou à la coalition de listes qui a obtenu la
majorité relative des voix un mandat de 15 jours pour former la
majorité par voie d’accord avec d’autres listes ou coalitions de
listes sur la base des déclarations, formulées pour la phase de
négociation, déjà déposées lors de la candidature aux élections.
L’accord résultant de la négociation doit déboucher sur une majorité
d’au moins 35 sièges. En cas d’échec du mandat – c’est-à-dire si
aucun accord ne peut être trouvé avec les listes qui, collectivement,
ont au moins 35 sièges – les capitaines-régents confient un nouveau
mandat à la liste ou à la coalition de listes arrivée en deuxième
position au premier tour des élections. En cas de nouvel échec,
les capitaines-régents demandent un second tour de scrutin opposant
les deux listes ou les coalitions de listes ayant obtenu le plus
grand nombre de voix au premier tour.
13. Les membres du Grand Conseil général doivent être de nationalité
saint-marinaise, âgés d’au moins 21 ans, et avoir leur domicile
dans la République. Ils doivent en outre présenter un casier judiciaire
vierge et ne peuvent pas être magistrats ni appartenir au corps
militaire professionnel ou au corps diplomatique et consulaire.
D’après les dispositions juridiques, la liste présentée à chaque
scrutin ne peut se composer de plus de deux tiers de candidats du
même sexe.
14. Il n’y a pas de président du parlement. Le Grand Conseil général
est présidé conjointement par les capitaines-régents, qui n’ont
pas le droit de vote. Le calendrier parlementaire est préparé par
les capitaines‑régents au début de leur mandat de six mois. Ils
établissent aussi l’ordre du jour des réunions du Grand Conseil
général, en consultation avec le Bureau de ce dernier.
15. Malgré sa petite taille, Saint-Marin jouit d’un environnement
politique multipartite, pluraliste et bien développé. Les élections
législatives les plus récentes ont eu lieu le 8 décembre 2019. La
majorité gouvernementale était composée de la liste du Parti chrétien-démocrate
de Saint-Marin (PCDS), de la coalition Domani in Movimento (Demain
en mouvement) et de la liste Noi per la Repubblica (Nous pour la
République). La coalition Domani in Movimento réunit le mouvement
RETE et le parti Domani-Motus Liberi. La liste Noi per la Repubblica
réunit le Parti socialiste (PS), le Parti social-démocrate (PSD),
le Movimento Democratico San Marino Insieme (Mouvement démocratique
Saint-Marin Ensemble) et Noi Sammarinesi (Nous, les Saint-Marinais).
L’opposition se compose de deux listes, Republica Futura (République
future – RF) et Libera (Saint-Marin libre). La majorité au pouvoir
disposait initialement de 44 sièges au Grand Conseil général, l’opposition de
16. À la suite de changements politiques internes au sein des groupes,
la composition de ces derniers a évolué au fil du temps et était,
en octobre 2022, la suivante: Parti chrétien-démocrate de Saint-Marin (21 membres);
mouvement RETE (9 membres); Domani Motus Liberi (4 membres); Noi
per la Repubblica (6 membres); Libera (10 membres); Repubblica Futura
(6 membres); et un Groupe mixte
(4
membres, 3 membres de la majorité et 1 membre de l’opposition).
Dans le contexte saint-marinais, il est difficile qu’un parti remporte
à lui seul la majorité absolue ; la plupart du temps, le gouvernement
est un gouvernement de coalition, composé de plusieurs blocs ou
partis.
16. Les partis politiques sont principalement financés par des
fonds publics : l’État leur verse une subvention annuelle calculée
en fonction de leur nombre de sièges au Grand Conseil général. Ils
peuvent aussi recevoir des fonds privés. Les données relatives aux
personnes et entités dont les cotisations annuelles dépassent 3 000 euros
doivent être consignées dans le bilan du parti qui est publié sur
le site internet du Grand Conseil général. Les cotisations privées
ne sont pas plafonnées, ce qui pourrait rendre les partis vulnérables
à la corruption et aux conflits d’intérêts. Il convient de remédier
à cette situation.
17. Le Grand Conseil général est un parlement à temps partiel
dont les membres ne perçoivent pas de salaire pour leurs travaux
parlementaires bien qu’un petit jeton de présence leur soit accordé
pour leur participation aux réunions du Grand Conseil général et
des commissions dont ils sont membres
. Ils
doivent donc travailler dans le secteur public ou privé pour gagner
leur vie. Malgré cette situation officielle, cependant, la charge
de travail du Grand Conseil général et la disponibilité attendue
de ses membres exigent bien plus qu’un temps partiel (presque un
temps complet).
18. D’après son Règlement, le Grand Conseil général se réunit
au moins une fois par mois
.
Les sessions peuvent compter une ou plusieurs séances et peuvent
durer plusieurs jours (pas nécessairement consécutifs). Les capitaines-régents,
dans le cadre du Bureau du Grand Conseil général, fixent la date
et la durée des séances sur la base du calendrier ordinaire, qu’ils
ont élaboré au début de leur mandat de six mois. En cas d’urgence
ou de nécessité, après consultation du Bureau du Grand Conseil général,
les capitaines-régents peuvent convoquer une session non prévue
par le calendrier ordinaire. Concrètement, le Grand Conseil général
tient en moyenne une, voire deux séances plénières par mois et chaque
session dure entre cinq et sept jours. Les séances plénières durent
généralement toute la journée et se poursuivent assez souvent en soirée.
Le Grand Conseil général compte en outre quatre commissions permanentes
comprenant chacune 18 membres,
qui se réunissent plusieurs fois par mois, pour des sessions d’une
journée (souvent un après‑midi et une soirée) ainsi que d’autres
commissions parlementaires
.
19. Bien que les membres du Grand Conseil général employés du
secteur public obtiennent généralement sans problème des congés
pour pouvoir remplir leurs obligations parlementaires sans perte
de salaire, nous avons été informés qu’il n’en allait pas de même
pour ceux du secteur privé (salariés ou travailleurs indépendants),
qui ont souvent de grandes difficultés à concilier leurs fonctions
professionnelles et parlementaires. Pire, nous avons aussi appris
qu’aucune disposition juridique n’obligeait les employeurs à accorder
aux membres du Grand Conseil général les congés nécessaires à l’exercice
de leurs activités parlementaires, avec maintien de salaire, pour
compenser leur temps de travail. Afin de permettre à tous les membres
de participer sur un pied d’égalité aux travaux du Grand Conseil
général, nous préconisons l’adoption de dispositions juridiques
en ce sens. Naturellement, les travaux parlementaires des membres
du Grand Conseil général ne consistent pas seulement à participer
aux sessions, mais aussi à effectuer des recherches et à préparer
les débats. Dans ce contexte, le fait que le pouvoir exécutif soit
exercé par des responsables politiques à plein temps et rémunérés
tandis que les députés du Grand Conseil général, devant lequel l’exécutif est
responsable, travaillent bénévolement et à temps partiel conduit
à s’interroger sur l’«égalité des armes» entre pouvoirs exécutif
et législatif. Selon nous, il conviendrait d’étudier la possibilité
d’intégrer le temps de préparation et de recherche aux dispositions
juridiques susmentionnées.
20. Le nombre relativement élevé de membres du Grand Conseil général
(environ un représentant pour 500 habitants) crée naturellement
un lien fort et étroit entre les représentants et l’électorat. Dans
le même temps, il expose les députés aux pressions de petits groupes
d’intérêts et à d’éventuels conflits d’intérêts. Le Grand Conseil
général s’est penché sur cette question à la suite du rapport d’évaluation
de quatrième cycle du GRECO ; nous y reviendrons plus en détail
au chapitre suivant. Quoi qu’il en soit, cette vulnérabilité devrait faire
l’objet d’une vigilance constante de la part des forces politiques
de Saint-Marin.
2.2. Les
Capitani Reggenti (capitaines-régents)
21. La République parlementaire
de Saint-Marin est un duumvirat, ou dyarchie: deux capitaines-régents exercent
ensemble les fonctions de chef d’État et de gouvernement
. Les
capitaines-régents sont les garants de l’ordre constitutionnel du
pays et supervisent le fonctionnement des pouvoirs publics et des
institutions de l’État et la conformité de leurs activités avec
la législation en vigueur. Dans ce contexte, ils promulguent tous les
textes ayant force de loi et les règlements adoptés par le Grand
Conseil général et le Congrès d’État et peuvent publier des décrets
non-réglementaires sur des questions relevant de leur compétence.
Les décrets des capitaines-régents doivent être contresignés par
le secrétaire d’État aux Affaires intérieures. Les capitaines-régents
peuvent renvoyer une loi devant le parlement pour examen s’ils jugent
qu’elle ne respecte pas les principes énoncés dans la Déclaration
des droits des citoyens. Ils peuvent convoquer et présider ensemble
le Grand Conseil général et coordonnent les réunions du Congrès
d’État (sans droit de vote). Ils président aussi le Conseil de la
magistrature et le Conseil des XII ainsi que le Conseil des présidents
des conseils locaux et fixent la date des élections.
22. Les capitaines-régents peuvent adopter des décrets de la Régence
à caractère réglementaire. Ils coordonnent les procédures de formation
du gouvernement et assurent une médiation entre les partis politiques
pour déterminer la possibilité de former une nouvelle coalition
gouvernementale. De plus, ils sont les destinataires officiels des
pétitions populaires (Istanze d’Arengo)
et des initiatives législatives populaires ainsi que des demandes
de référendums dont ils fixent la date.
23. Les capitaines-régents prennent leurs fonctions le 1er avril
et le 1er octobre de chaque année et
sont élus par les membres du Grand Conseil général, à la majorité
absolue et au scrutin secret, pour un mandat de six mois. Les capitaines-régents
ne sont pas remplacés au Grand Conseil général pendant leur mandat,
ce qui signifie que pour cette durée, leur parti perd une voix au
Conseil. Avec une majorité très serrée, il est arrivé qu’un capitaine-régent
soit membre de la majorité au pouvoir et l’autre de l’opposition,
mais le plus souvent, ce sont deux membres de la majorité au pouvoir
qui sont élus.
24. Le rôle central des capitaines-régents et le fait qu’ils président
la plupart des institutions de l’État, même sans droit de vote,
soulèvent naturellement des questions sur l’efficacité du système
d’équilibre des pouvoirs à Saint-Marin. La qualité de micro-État
de Saint-Marin vient aggraver cette situation. Beaucoup des réformes constitutionnelles
menées dans le pays visaient donc à s’assurer que le système de
gouvernement unique de Saint-Marin reste compatible avec les normes
européennes en matière de responsabilité démocratique et d’équilibre
effectif des pouvoirs. Ce point a figuré et continue de figurer
parmi les priorités des gouvernements successifs de Saint-Marin,
ce qu’il convient de saluer.
25. Le rôle central des capitaines-régents dans le régime de gouvernance
du pays pose aussi la question de leur exposition aux pressions
et aux conflits d’intérêts
. Ce sujet compte parmi ceux abordés
par le GRECO dans son cinquième cycle d’évaluation, et les préoccupations
et recommandations éventuelles du GRECO concernant Saint-Marin à
cet égard devraient être traitées en priorité. Nous relevons, cependant,
que des mesures spécifiques ont déjà été adoptées par le passé pour
régler ce problème. Outre leur obligation de rendre des comptes
(voir plus loin), les capitaines-régents ne peuvent pas, pendant
la durée de leur mandat, exercer d’autres fonctions ni aucun autre
art ni aucune profession et ne sont pas autorisés à se trouver seuls : ils
sont accompagnés à tout moment par un agent de l’État et n’ont le
droit ni de conduire eux-mêmes une voiture ou tout autre véhicule
de transport, ni de manier de l’argent, y compris pour leurs dépenses
privées.
26. Les capitaines-régents répondent de leurs actes devant les
citoyens de Saint-Marin. Bien qu’ils jouissent d’une immunité absolue
pendant leur mandat, tout citoyen inscrit sur la liste électorale
peut, dans les 15 jours suivant la fin de leur mandat, dénoncer
les actions ou les omissions d’un capitaine-régent au cours de son mandat
de six mois
. Ces plaintes
sont examinées et tranchées, sans préjudice des éventuelles responsabilités
pénales et civiles à établir par les tribunaux ordinaires à la fin
du mandat, par le Collège de contrôle de la constitutionnalité,
de fait la Cour constitutionnelle de Saint-Marin. Si une plainte
est jugée fondée, le Collège peut prononcer un blâme, imposer des
amendes ou prononcer la privation des les droits politiques et civils;
nos interlocuteurs considèrent en particulier que, dans une communauté
aussi soudée que la société saint‑marinaise, même le blâme a un
fort pouvoir dissuasif.
2.3. Le
Congrès d’État
27. Le Congrès d’État est l’organe
exécutif (gouvernement) de Saint-Marin. Conformément aux dispositions légales,
le Congrès d’État se compose au maximum de 10 secrétaires d’État
(ministres). Il en compte actuellement 10, en charge d’un nombre
égal de ministères
. Les secrétaires d’État
sont élus par les membres du Grand Conseil général. Les candidats
membres du Grand Conseil général sont élus à la majorité absolue.
Des citoyens de Saint-Marin non-membres du Grand Conseil général
peuvent être nommés secrétaires d’État à la majorité des deux tiers,
à condition de ne pas représenter plus d’un tiers du Congrès d’État.
Depuis les réformes de 2005, le mandat de secrétaire d’État ne peut
excéder 10 années, après quoi ils ne peuvent être renommés au Congrès
d'État que 10 ans après la fin de leur dernière mission. Le Congrès d’État
peut démissionner à la majorité des membres de son propre chef ou
doit démissionner si une motion de censure est approuvée par le
Grand Conseil général.
28. Le Congrès d’État détermine et met en œuvre la politique générale
du gouvernement et dirige l’administration publique. Il peut aussi
présenter, pour adoption, des projets de loi au Grand Conseil général. En
outre, il rédige les propositions de budget (qui prennent la forme
d’un projet de loi) et les soumet au Grand Conseil général. Le Congrès
d’État peut adopter des décrets, qui ont force de loi, mais doivent
être ratifiés par le Grand Conseil général dans les trois mois.
29. Le Congrès d’État est responsable devant le Grand Conseil
général. Les capitaines-régents coordonnent les réunions du Congrès
d’État, sans droit de vote. Ils incarnent le lien institutionnel
entre le Congrès d’État et le Grand Conseil général. Conformément
à la tradition de régime collégial, il n’y a pas de Premier ministre
à Saint-Marin. La création d’une fonction de Premier ministre a
été proposée en quelques occasions, dans un but d’efficacité, mais
elle est généralement jugée difficile à mettre en œuvre dans le contexte
politique et constitutionnel du pays
.
30. Nous avons déjà soulevé la question de l’«égalité des armes»
entre le pouvoir exécutif et le parlement dans le contexte du Grand
Conseil général. Les secrétaires d’État sont des professionnels
à plein temps, fonctionnant avec l’aide de secrétariats institutionnels.
Cela contraste avec la nature de la fonction parlementaire, bénévole
et à temps partiel. D’après plusieurs interlocuteurs, ce déséquilibre
a créé un pouvoir exécutif trop puissant et qui, en pratique, gouverne
par décrets au lieu d’attendre que le Grand Conseil général oriente
les politiques et prenne l’initiative législative. Cette évolution,
si elle se poursuit, pourrait trahir la nature même de l’architecture
institutionnelle du pays. Il conviendrait d’y remédier dans le cadre
des futures réformes institutionnelles.
2.4. Le
Conseil des XII
31. Le Conseil des XII est une
institution unique qui dispose, dans l’architecture institutionnelle
de Saint‑Marin, de pouvoirs politiques très étendus. Il était formellement
intégré au système juridique du pays jusqu’aux réformes de 2002.
Il assumait, jusqu’à cette date, à la fois le rôle de cour constitutionnelle
en matière civile et administrative et de plus haute juridiction
d’appel, ce qui compromettait sérieusement la séparation des pouvoirs
et l’indépendance du système judiciaire. Depuis les réformes de
2002, ces fonctions ont été séparées et confiées aux juges des appels
suprêmes, aux juges des recours extraordinaires et au Collège de
contrôle de la constitutionnalité.
32. Les 12 membres du Conseil des XII sont élus au début de chaque
convocation du Grand Conseil général par et parmi ses membres. Les
capitaines-régents président le Conseil des XII qui se réunit une
fois par mois.
33. Depuis les réformes de 2002, les fonctions du Conseil des
XII se limitent à approuver l’enregistrement de biens immobiliers
au nom de personnes non ressortissantes de Saint-Marin et de personnes
morales et à reconnaître officiellement les communautés saint-marinaises
à l’étranger. D’après les informations que nous avons reçues du
Conseil des XII, les décisions d’autorisations d’enregistrement
de biens immobiliers à Saint-Marin par des non-ressortissants et
des personnes morales étrangères relèvent de la pure formalité,
tandis que la reconnaissance officielle des communautés saint-marinaises
est importante, car ces communautés peuvent alors prétendre à des
financements publics de Saint-Marin.
34. Étant donné ces prérogatives limitées, le Conseil des XII
est aujourd’hui une institution principalement historique et symbolique
qui a essentiellement des fonctions administratives. Au cours de
notre visite, plusieurs interlocuteurs se sont demandé si l’existence
même du Conseil des XII se justifierait encore à l’avenir. En effet, avec
les progrès de l’intégration européenne, les achats immobiliers
pourraient aussi être régis par des réglementations internationales
et des accords avec l’Union européenne.
2.5. Collectivités
locales
35. Saint-Marin est divisé en neuf
unités administratives appelées « châtellenies » (Castelli). Saint-Marin a signé la
Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122)
le 16 mai 2013 et l’a ratifiée le 29 octobre de la même année. Saint-Marin
n’a pas ratifié le Protocole additionnel à la Charte sur le droit
de participer aux affaires des collectivités locales (STCE no 207).
36. Chaque châtellenie dispose d’un conseil local, chargé de contrôler
et de gérer les services locaux et, entre autres, de promouvoir
et de coordonner les activités culturelles, récréatives ou sociales.
Le nombre de membres siégeant au conseil local dépend de la taille
de la commune
. Les conseils locaux
sont élus tous les cinq ans au suffrage direct par les habitants
de la commune. La fonction de conseiller local ne peut être cumulée
avec celle de membre du Grand Conseil général. Tous les citoyens
saint-marinais d’au moins 18 ans résidant à Saint-Marin et inscrits
sur les listes électorales peuvent voter pour les candidats de leur châtellenie
. D’après la loi, les étrangers ont
le droit de vote à ces élections à condition de résider à Saint-Marin
depuis au moins 10 ans.
37. Les chefs des conseils locaux représentent et président le
conseil local, célèbrent les mariages civils et assistent aux réunions
de la commission des politiques territoriales. En outre, ils invitent
des membres du Congrès d’État et du Grand Conseil général à assister
à leurs sessions et organisent des réunions, rassemblements et débats
publics. Comme nous le verrons au chapitre suivant, les conseils
locaux ont le droit d’initiative législative et peuvent soumettre
des projets de lois au Grand Conseil général, sauf sur des questions relatives
à l’amnistie ou à la grâce, aux lois fiscales et budgétaires et
aux lois de ratification des traités internationaux. Les châtellenies
n’ont pas de ressources financières propres et tirent leurs moyens
financiers, très limités, du budget central de l’État. C’est pourquoi
avant de soumettre le budget annuel de l’État au Grand Conseil général,
les secrétaires d’État concernés doivent tenir une réunion avec
les conseils locaux afin de discuter de leurs priorités.
38. Comme relevé par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe
,
il est évident que dans un aussi petit État que Saint-Marin, les
collectivités locales ne peuvent pas avoir l’éventail de responsabilités
habituellement associé à l’autonomie locale. Cependant, comme signalé
par les chefs de châtellenie que nous avons rencontrés, la faiblesse
des compétences des collectivités locales de Saint-Marin et, plus
encore, celle de leurs ressources en viennent à saper la notion
même d’autonomie locale dans le pays.
39. La législation pertinente en vigueur a mis en place une structure
élaborée de consultations entre autorités centrales et conseils
locaux, comprenant une réunion entre les chefs de châtellenie et
les capitaines‑régents au début du mandat de ces derniers. En outre,
comme déjà évoqué, les conseils locaux ont le droit d’initiative
législative. Lors de nos réunions avec ces conseils, nous avons
cependant appris qu’en pratique, ces consultations ne fonctionnaient
pas comme escompté et ne donnaient guère de résultats. Le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux a fait le même constat dans son
rapport sur Saint-Marin
.
La situation s’est légèrement améliorée depuis la réforme de 2020,
qui a instauré des consultations obligatoires entre autorités centrales
et locales et a établi que lorsque la loi prévoit que les conseils
locaux rendent des avis, ces derniers ont un caractère contraignant
et non consultatif. Cependant, d’après les chefs de châtellenie que
nous avons rencontrés, les résultats concrets des consultations
restent très limités, au point de porter atteinte à la confiance
dans le processus politique. Il s’agit là d’un point préoccupant.
Tout en comprenant que l’autonomie locale ait logiquement des fonctions
plus limitées dans un micro-État, il est important, lorsque des procédures
de consultation et de décision sont mises en place, que les citoyens
constatent qu’elles sont prises au sérieux et livrent des résultats
tangibles ; dans le cas contraire, les citoyens risquent de perdre
confiance non seulement dans la gouvernance locale, mais aussi dans
la politique en général, évolution particulièrement dangereuse à
nos yeux dans le contexte de montée du populisme que connaît aujourd’hui
notre continent.
2.6. Démocratie
directe
40. Saint-Marin se distingue par
un système très développé de démocratie directe, composé d’instruments constitutionnels:
l’Istanza d’Arengo, initiative
législative populaire que nous avons déjà mentionnée, et les référendums.
41. L’Istanza d’Arengo s’exerce
au début du mandat des nouveaux capitaines-régents. À cette occasion, tous
les citoyens majeurs de Saint-Marin peuvent présenter une demande
portant sur une question d’intérêt public aux capitaines-régents,
qui transmettent toutes les demandes recevables au Grand Conseil
général, lequel est tenu de les examiner. Les Saint-Marinais utilisent
largement cet instrument. Par exemple, 21 pétitions ont été déposées
au début du mandat des capitaines-régents actuels, dont la quasi-totalité
a été déclarée recevable et la moitié environ approuvée par le Grand
Conseil général.
42. Comme déjà évoqué, en 2013, Saint-Marin a modifié le droit
d’initiative populaire pour permettre l’initiative législative des
citoyens. Au moins 60 citoyens saint-marinais majeurs peuvent proposer
au Grand Conseil général un projet de loi, qui suit le même processus
d’adoption que les projets émanant du Grand Conseil général lui-même.
En outre, comme déjà évoqué, les conseils locaux ont eux aussi le
droit d’initiative législative.
43. Saint-Marin compte trois types de procédures de référendum
populaire. Les électeurs peuvent demander un référendum de proposition,
pour proposer des principes ou des orientations à réglementer par la
loi. Le référendum populaire peut aussi servir à confirmer une loi
(référendum confirmatif ou referendum confermativo)
ou à abroger tout ou partie d’une loi (référendum abrogatif ou referendum
abrogativo). Point important, un référendum abrogatif ne peut proposer
ni de supprimer des organes institutionnels, ni d’abolir des dispositions
constitutionnelles ou des principes fondamentaux inscrits dans la
Déclaration des droits des citoyens. Par ailleurs, les référendums
ne sont pas applicables aux impôts, aux droits et aux taxes, au
budget national, à l’amnistie ou à la grâce ni à la ratification
des conventions et traités internationaux.
44. Les citoyens saint-marinais disposent donc d’un impressionnant
éventail d’instruments pour exercer la démocratie directe, ce qui
a favorisé une forte proximité entre le peuple et le gouvernement.
Cependant, lors de nos réunions avec des représentants de la société
civile, certains ont déploré que les procédures de mise en œuvre
des pétitions acceptées, ou des résultats des référendums, prennent
parfois beaucoup de temps et être très longues. En outre, les lois
adoptées ne seraient pas toujours dûment mises en œuvre – critique
qui fait écho à celle que nous avions déjà entendue de la part des
chefs de châtellenies. Si ce sentiment devait se répandre, voire
se généraliser, il pourrait saper la confiance dans les instruments
de la démocratie directe, élément majeur des institutions démocratiques
du pays. Nous encourageons donc les autorités et institutions saint-marinaises
concernées à réfléchir aux moyens de lutter contre une telle impression.
3. État
de droit
3.1. Pouvoir
judiciaire
45. L’ordre constitutionnel de
Saint-Marin découle de plusieurs instruments législatifs. Les plus
importants d’entre eux sont les Statuts de 1600 et la Déclaration
des droits des citoyens. Le système juridique de Saint‑Marin repose
sur les lois, adoptées par le parlement, et sur les décrets, adoptés
par le gouvernement et ratifiés par le Grand Conseil général. Depuis
les réformes de 2002, la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5) est pleinement intégrée à
l’ordre juridique de Saint-Marin et directement applicable par les tribunaux.
46. Le système judiciaire de Saint-Marin se compose de trois piliers:
justice civile, pénale et administrative. Chaque pilier compte trois
niveaux de juridiction. À la tête du système judiciaire se trouve
un magistrat en chef qui organise le travail du tribunal et des
différents magistrats qu’il supervise, et qui coordonne et dirige
les services judiciaires.
47. Le plus haut niveau se compose du juge des appels suprême
et du juge des recours extraordinaires. Au pénal, le juge des appels
suprême statue, en dernier ressort, sur les appels contestant des
mesures de précaution et sur l’exécution des peines. Au civil, il
ou elle statue sur les exceptions d’incompétence et, en matière
civile et administrative, fait fonction de troisième degré de juridiction.
Le juge des recours extraordinaires statue sur les conflits entre
les juridictions civiles, pénales et administratives, sur les recours en
réexamen de jugements rendus au pénal ainsi que sur les recours
en nullité et les recours en révision dont peuvent faire l’objet
les jugements définitifs rendus au civil et sur les objections des
magistrats.
48. Le niveau intermédiaire se compose des juges des appels, qui
statuent, dans leur domaine de compétence, sur tout appel formé
contre les décisions rendues par les commissaires juridiques.
49. Les commissaires juridiques sont responsables des procédures
de première instance. En cas de procédure pénale, un commissaire
juridique est chargé de l’instruction et des poursuites, et un autre
du jugement. Il n’y a pas de ministère public à Saint-Marin. Plusieurs
de nos interlocuteurs étaient d’avis que la mise en place d’un procureur
général pourrait améliorer l’efficacité et l’indépendance de la
justice.
50. Les juges sont recrutés à l’issue de concours nationaux. Dans
le passé, dans un objectif d’impartialité, les juges des juridictions
inférieures ne pouvaient être de nationalité saint-marinaise; ils
étaient généralement recrutés parmi les juristes italiens. Toutefois,
cette condition obligatoire ne s’applique plus, et les ressortissants de
Saint-Marin peuvent aussi être nommés juges.
51. Dans le cadre des réformes constitutionnelles de 2002, un
Collège de contrôle de la constitutionnalité des lois a été mis
en place. Saint-Marin dispose donc désormais d’une Cour constitutionnelle.
Le Collège se compose de trois juges permanents et de trois juges
suppléants, désignés par le Grand Conseil général à la majorité
des deux tiers pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois.
Leur remplacement est échelonné, pour éviter que tous les juges
soient renouvelés en même temps. Le Collège de contrôle de la constitutionnalité
vérifie la constitutionnalité des lois, des textes réglementaires
ayant force de loi adopté par le Grand Conseil général ou par le
Congrès d’État ainsi que des normes coutumières ayant force de loi,
se prononce sur la recevabilité des demandes de référendum et statue
sur les cas de conflits entre institutions constitutionnelles
. En outre, il statue sur les plaintes
déposées par les citoyens contre les activités des capitaines-régents
à l’occasion de la fin de leur mandat (voir aussi le paragraphe 26,
ci-dessus).
52. Les suites de l’affaire du comte Mazzini, déjà évoquée, et
en particulier le rapport d’évaluation du GRECO dans le cadre de
son quatrième cycle d’évaluation – «prévention de la corruption
des parlementaires, des juges et des procureurs»
ont mis en lumière de graves lacunes
en matière d’indépendance et de fonctionnement du système judiciaire
à Saint-Marin. Le rapport du GRECO soulignait la nature problématique du
système de gouvernance de la justice et de nomination des juges
à Saint-Marin, qui rend possible un contrôle politique sur le pouvoir
judiciaire. Ce rapport, en particulier, a été vécu comme une douche
froide à Saint-Marin et a entraîné de profondes réformes des structures
judiciaires. Ces réformes ont été adoptées en 2021
(loi no 01/2021),
à la suite d’une période de vastes consultations avec les différentes
parties prenantes.
53. La réforme a considérablement modifié la composition du Conseil
de la magistrature, en excluant les membres actifs des pouvoirs
législatif et exécutif. Le Conseil de la magistrature réformé compte
désormais huit membres. Quatre d’entre eux sont des magistrats (trois
issus des commissaires juridiques et un des juges d’appel ou des
juges d’appel suprêmes), élus par leurs pairs à la majorité qualifiée
des deux tiers. Les quatre autres sont des membres non professionnels,
élus à la majorité des deux tiers par le Grand Conseil général. Les
membres non professionnels doivent être ressortissants de Saint-Marin
et titulaires d’un diplôme supérieur de droit ou avoir une expérience
similaire dans le système judiciaire. Ils ne peuvent être membres
ni du Grand Conseil général ni du Congrès d’État. Leur mandat est
de quatre ans. Pour renforcer l’indépendance, les juges membres
du Conseil de la magistrature peuvent effectuer deux mandats consécutifs,
tandis que les membres non professionnels ne sont pas immédiatement
rééligibles. Le Conseil de la magistrature se réunit normalement
tous les trois mois, mais il peut aussi être convoqué à l’initiative
des capitaines-régents ou à la demande de trois de ses membres.
Il est formellement présidé par les capitaines-régents, qui n’ont
pas le droit de vote. Le magistrat en chef exerce la vice-présidence
et, par délégation des capitaines-régents, il en assure l’organisation
et le fonctionnement dans le respect du règlement intérieur. Conformément
aux recommandations du GRECO, le ministre de la Justice et le président
de la commission parlementaire pour la justice ne sont plus membres
du Conseil de la magistrature. Les quatre membres non professionnels
actuels ont été élus à l’unanimité par le parlement. Deux d’entre
eux sont des avocats diplômés en activité et deux sont des avocats
à la retraite. Depuis sa réforme, le Conseil de la magistrature
a déjà approuvé un code de déontologie pour les magistrats de Saint-Marin.
54. La réforme du Conseil de la magistrature a été largement saluée
par les parties prenantes, dont le Barreau de Saint-Marin. Dans
son récent rapport de conformité, le GRECO s’est vivement félicité
des réformes et a conclu que presque toutes ses recommandations
avaient été mises en œuvre par les autorités. Il convient de saluer
les autorités, les différentes forces politiques et toutes les parties
prenantes pour avoir si rapidement adopté les réformes nécessaires.
Dans le même temps, comme l’a souligné le magistrat en chef de Saint‑Marin
,
les réformes instaurées par la loi no 01/21
ne devraient pas être vues comme un point final, mais comme un point
de départ. Les autorités devraient continuer à surveiller en permanence
l’indépendance et l’efficacité de la justice, et adopter si nécessaire
de nouvelles réformes pour assurer la pleine indépendance et impartialité
du système judiciaire.
3.2. Lutte
contre la corruption
55. Comme déjà évoqué, le scandale
du comte Mazzini, en 2017, a soulevé la question de la vulnérabilité des
institutions de Saint-Marin à la corruption. Depuis, Saint-Marin
a mis en œuvre une série de mesures ciblées visant à développer
et à renforcer sa politique de lutte contre la corruption.
56. Saint-Marin n’est pas couvert par les indices de perception
de la corruption régulièrement publiés par Transparency International,
et il n’existe pas d’enquête internationale comparable sur la perception
de la corruption dans le pays. Comme relevé par le GRECO, l’étude
nationale la plus récente sur les caractéristiques de la corruption
à Saint-Marin aurait été menée en 2014. Il faut noter que si le
risque de corruption était perçu comme élevé pour les responsables
politiques, les membres de la justice, la police et les employés d’entreprises
privées, la plupart des personnes interrogées déclaraient n’avoir
jamais constaté d’incidents spécifiques de corruption
.
57. À la suite de la publication du rapport d’évaluation du GRECO
dans le cadre de son quatrième cycle de suivi, plusieurs réformes
ont été mises en œuvre en plus de celles que nous avons évoquées
dans le chapitre sur le système judiciaire. Nouveauté à saluer,
un code de déontologie des membres du Grand Conseil général a été
adopté. Comme l’a souligné le GRECO, le code devrait rester un document
«vivant», tenu à jour en fonction des évolutions du contexte, et
assorti d’exemples concrets afin d’en assurer la mise en œuvre.
Un comité consultatif a été mis en place, composé de membres du
Grand Conseil général issus à parts égales de la majorité au pouvoir
et de l’opposition. Le comité consultatif apporte une aide concrète
aux députés sur les questions de déontologie et les risques de conflits
d’intérêts et prend les décisions relatives aux cadeaux. Il est aussi
le destinataire des déclarations d’intérêts des députés. Toutes
les déclarations et décisions du comité consultatif sont publiées
sur le site internet du Grand Conseil général, accessible à tous.
Les députés sont tenus d’observer les orientations du comité. Dans
le cas contraire, ils sont tenus d’en exposer les motifs par écrit.
L’avis et les motifs de non-conformité indiqués sont rendus publics,
y compris sur le site du Grand Conseil général. Actuellement, seuls
des membres du Grand Conseil général peuvent signaler au comité
consultatif les éventuelles incohérences dans les déclarations d’intérêts
des autres membres. Même si le site internet est en accès public,
les simples citoyens n’ont pas cette possibilité. Étant donné les
liens très étroits qui unissent les institutions aux citoyens à
Saint-Marin, nous recommandons vivement que tous les citoyens puissent signaler
des incohérences dans les déclarations d’intérêts publiées sur le
site internet du Grand Conseil général.
58. Dans son rapport de conformité, le GRECO émettait des doutes
sur la manière, avant tout fondée sur la confiance, dont sont appliqués
les avis du comité consultatif. Le comité a répondu que vu la grande
proximité entre électeurs et élus, et compte tenu du système de
vote préférentiel en vigueur à Saint-Marin, l’opinion publique et
la confiance étaient extrêmement importantes pour les membres du
Conseil. Néanmoins, nous estimons souhaitable que le Grand Conseil
général étudie la possibilité de sanctions pour les cas les plus graves
d’atteintes au Code de déontologie ou d’omissions ou incohérences
délibérées dans les déclarations d’intérêts.
4. Droits
humains
59. Saint-Marin a été fondé pour
mettre ses habitants à l’abri des persécutions politiques et religieuses
et dispose, pour ces raisons historiques, d’un solide cadre institutionnel
et juridique de protection des droits humains. Les bases juridiques
de la protection des droits humains à Saint-Marin sont la Déclaration
des droits des citoyens (1974) et la Convention européenne des droits
de l’homme qui, comme déjà mentionné, est directement applicable
par les tribunaux de Saint-Marin. Malgré cette situation favorable,
quelques problèmes restent à signaler.
60. Aux termes de la Déclaration des droits des citoyens, «Tous
sont égaux devant la loi, sans distinction fondée sur le sexe ou
la situation personnelle, économique, sociale, politique ou religieuse».
Bien que la discrimination ne semble pas un problème particulièrement
répandu et fréquent à Saint-Marin, la commission européenne contre
le racisme et l’intolérance (ECRI) a recommandé que la Déclaration
soit modifiée pour mentionner explicitement les motifs de discrimination.
61. D’après les organisations de la société civile que nous avons
rencontrées, aucune affaire grave de racisme ou de discrimination
raciale n’a été signalée à Saint-Marin, ce qui semble confirmer
les statistiques officielles. Dans le cadre du cinquième cycle de
suivi de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(STE no 157)
, les autorités ont affirmé qu’aucune
minorité nationale n’existait à Saint-Marin, qu’elle soit de nature
ethnique, religieuse ou linguistique
.
Néanmoins, les évolutions sociales au sein de la société saint-marinaise
ont poussé le gouvernement à élaborer des instruments pour prévenir
toute discrimination ou atteinte aux droits humains. En 2008, le
Parlement de Saint-Marin a adopté une loi intitulée «Dispositions
concernant la discrimination ethnique, religieuse ou raciale». Cette
loi «réaffirme l’engagement du Gouvernement de Saint‑Marin à l’égard
du principe de non-discrimination» et
«met
en œuvre le principe fondamental d’égalité ». Cependant, comme l’a noté le Comité
consultatif de la Convention-cadre, le pays ne possède pas d’institution
de droits humains conforme aux Principes de Paris
.
62. Saint-Marin possède une Commission pour l’égalité des chances,
composée de représentants des groupes politiques présents au Grand
Conseil général et de la société civile nommés par le Grand Conseil général.
Tous ses membres sont nommés pour cinq ans ; aucun ne touche de
rémunération. Malheureusement, la Commission a un budget très réduit
(moins de 10 000 euros) et n’est donc pas en mesure d’organiser
des activités de sensibilisation, de publier des rapports ou de
tenir des bases de données statistiques. L’ECRI a recommandé aux
autorités de Saint-Marin de se doter par la loi d’un organe spécialisé indépendant
pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale au niveau
national. Dans ce contexte, l’ECRI a souligné que si les autorités
saint-marinaises décidaient de réformer la Commission pour l’égalité
des chances afin d’en faire un organe indépendant spécialisé dans
la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, cette Commission
devrait être dotée des ressources financières et humaines nécessaires
pour accomplir sa mission correctement et en toute indépendance.
63. Il n’existe actuellement aucun cadre juridique permettant
aux confessions religieuses autres que l’Église catholique de s’enregistrer
en tant qu’organisations religieuses. Les autres confessions religieuses
doivent s’enregistrer en tant qu’organisations de droit civil, ce
qui est actuellement le cas de la Communauté musulmane et des Témoins
de Jéhovah à Saint-Marin. Cela a été relevé dans le rapport 2018
de l’ECRI sur Saint-Marin qui a noté que l’absence de possibilité
de s’enregistrer comme culte religieux entraîne «l’application de
règles administratives spécifiques aux sociétés/entreprises qui
sont mal adaptées à la pratique religieuse. Par exemple, la collecte
de l’aumône, en tant qu’association, devrait être enregistrée et soumise
à l’imposition fiscale»
. Cette
question n’est pas encore résolue et nous appelons les autorités
de Saint-Marin et le Grand Conseil général à rédiger et à adopter
la législation requise qui permettrait aux confessions religieuses
de s’enregistrer en tant qu’organisations religieuses.
64. La législation saint-marinaise accorde les mêmes droits aux
résidents du pays en matière d’emploi, d’assistance sociale, de
santé, d’éducation, etc., qu’ils aient ou non la nationalité du
pays. Auparavant, ressortissants nationaux et étrangers qui avaient
un emploi soumis à l’assurance obligatoire ne bénéficiaient pas
des mêmes prestations de santé. Les premiers bénéficiaient de soins
gratuits tandis que les seconds devaient cotiser au régime de santé
saint-marinais. À présent seuls les résidents étrangers qui n’ont
pas, à Saint‑Marin, une activité professionnelle soumise à l’assurance
obligatoire doivent s’acquitter des cotisations à l’assurance santé.
Le Gouvernement de Saint-Marin a annoncé vouloir assurer la pleine
égalité de traitement entre habitants du pays, qu’ils soient ressortissants
nationaux ou étrangers, en matière d’aide médicale et a donc supprimé
l’exigence de paiement pour les travailleurs résidents étrangers.
Ce fait mérite d’être salué.
65. L’inégalité de traitement entre habitants saint-marinais et
étrangers en matière de participation aux élections locales, contraire
aux normes européennes et à la Charte de l’autonomie locale, constitue
un point préoccupant. Depuis peu, des modifications de la législation
électorale ont donné le droit de vote aux élections locales aux
étrangers résidant à Saint-Marin depuis au moins 10 ans. Bien que
l’octroi du droit de vote aux étrangers soit une évolution positive,
exiger 10 ans de résidence ininterrompue est contraire au principe énoncé
dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des
étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144),
à savoir au maximum cinq ans précédant les élections
. Nous
recommandons donc aux autorités d’envisager de réduire à cinq ans
la durée de résidence exigée.
66. Les organisations de la société civile et les initiatives
citoyennes jouent un rôle important dans la mise en œuvre des politiques
sociales et de la protection des droits sociaux à Saint-Marin. Cependant,
elles dépendent, dans une large mesure, de contributions volontaires
et de dons privés, ce qui rend précaires à la fois leur planification
à long terme et la mise en œuvre de leurs projets. L’imbrication
entre société civile et institutions officielles s’est avérée flagrante
pendant notre visite : parfois, les mêmes personnes représentaient des
organisations de la société civile lors d’une réunion et des organismes
publics ou organes consultatifs officiels lors d’une autre réunion.
Pourtant, malgré l’étroitesse des liens entre les institutions et
la société civile et l’existence d’un ensemble élaboré d’instruments
de démocratie directe, beaucoup de représentants ont noté que les
lois et les décisions n’étaient pas toujours ou pas entièrement
mises en œuvre, affectant les résultats de leur travail. Nous engageons
vivement les autorités à traiter ce problème qui, comme nous l’avons
vu dans d’autres chapitres, paraît récurrent.
67. Plusieurs réformes ont été appliquées ces 10 dernières années
pour renforcer les droits des minorités sexuelles. Jusqu’en 2004,
l’homosexualité était passible de peines de prison. Depuis, les
relations homosexuelles sont protégées par la loi. En 2015, le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe recommandait l’instauration
d’une reconnaissance juridique pour les couples homosexuels, ce
qui a été fait en 2017, année où un amendement à la loi budgétaire
permettant le mariage civil entre ressortissants étrangers de même
sexe dans la République a été approuvé (article 72 de la loi n°
147/2017). Cette décision a encore été renforcée en 2018, avec l’adoption
par le Grand Conseil général de la loi sur le partenariat civil (loi
no 147 du 20 novembre 2018). En vertu
de cette loi, les couples homosexuels peuvent obtenir une forme de
reconnaissance de leur relation équivalente au mariage dans plusieurs
domaines dont le domicile, la succession et la cohabitation.
68. Il n’existe pas de données détaillées sur les personnes LGBTI
vivant à Saint-Marin. Saint-Marin a été le premier pays au monde
à élire un chef d’État ouvertement gay, et le pays est généralement
considéré comme l’un des plus progressistes en matière de droits
LGBTI. Il ne faudrait cependant pas relâcher la vigilance ou imaginer
que l’intolérance n’existe pas dans le pays. En consultation avec
les communautés concernées, des mesures supplémentaires devraient
être envisagées si le besoin se présente.
69. Bien que les droits des femmes soient généralement bien respectés
à Saint-Marin, il faut noter que les femmes n’y ont obtenu le droit
de vote qu’en 1960 et celui d’être élues qu’en 1973. En outre, jusqu’en
1986, les femmes de Saint-Marin qui épousaient un étranger perdaient
automatiquement leur nationalité saint‑marinaise, ce qui n’était
pas le cas pour les hommes. Ce n’est que depuis 2000 que les femmes
de Saint‑Marin mariées à des étrangers peuvent transmettre leur
nationalité à leur mari ou à leurs enfants, et depuis 2004 que la
législation sur la citoyenneté a été modifiée pour que les femmes
saint-marinaises puissent transmettre leur nationalité à leurs enfants
à la naissance. Dans le même temps, il convient de noter qu’en 1981,
une femme a été élue pour la première fois capitaine-régente, et
en 2017, pour la première fois dans l’histoire de Saint-Marin, deux
femmes ont été élues capitaines-régentes au cours du même semestre
et que de nombreuses femmes ont occupé des postes institutionnels
et gouvernementaux.
70. De même, jusque très récemment (septembre 2022), Saint-Marin
interdisait totalement l’avortement et la loi prévoyait des peines
de prison pour toute femme ayant avorté ou toute personne ayant
réalisé un avortement ou aidé une autre personne à avorter, même
en cas de viol ou d’inceste. Toutefois, dans les faits, cette interdiction
totale était atténuée par la situation géographique du pays : il
n’était pas interdit aux femmes d’avorter en Italie – sans prise
en charge par la sécurité sociale. En septembre 2021, à l’issue
d’une longue campagne, les citoyens de Saint-Marin se sont clairement
prononcés à l’occasion d’un référendum proposant de légaliser l’avortement.
Le « oui » à la légalisation a emporté plus de 77 % des suffrages.
Le 31 août 2022, le Grand Conseil général a donc adopté la loi portant
légalisation de l’avortement, qui est entrée en vigueur le 12 septembre
2022.
71. Malgré l’incontestable succès de ce référendum, l’avortement
reste un sujet controversé dans la société saint-marinaise, avec
un débat qui perdure et que certaines parties prenantes qualifient
de « toxique ». Le dialogue sur la promotion des droits et de la
santé génésique des femmes serait difficile. Les progrès sociaux supposent
un regard favorable au sein de la société, lequel devrait être activement
promu.
72. Dans son rapport de référence, le Groupe d’experts sur la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(GREVIO)
,
tout en saluant les réformes mises en œuvre, a considéré que le
pays devait appliquer des mesures supplémentaires pour respecter
les dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»)
. D’après le GREVIO, de nouvelles
mesures sont nécessaires en particulier pour assurer la réalisation
concrète du principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Au
moment de ce rapport, et bien que Saint-Marin dispose de peu de
statistiques sur l’égalité entre les femmes et les hommes, 33 %
des membres du parlement national étaient des femmes et dans le
secteur privé, 22 % des postes à responsabilité étaient occupés
par des femmes. Par ailleurs, le taux de chômage était nettement
plus élevé chez les femmes (10,56 %) que chez les hommes (4,7 %).
73. Le rapport du GREVIO fait aussi état d’obstacles rencontrés
par les organisations non gouvernementales qui œuvrent à promouvoir
et protéger les droits des femmes. À Saint-Marin, plusieurs ONG sont
actives dans la défense des droits des femmes et dans la lutte contre
la violence fondée sur le genre. Cependant, du fait de l’absence
de financements publics, ces ONG ont du mal à élargir leurs activités
et à proposer des services de soutien, ou encore à prendre part
à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation des politiques nationales
de lutte contre les violences faites aux femmes.
74. En ce qui concerne le rapport du GREVIO, nous avons été contactés
en décembre 2022 par l’Unione Donne Sammarinesi (UDS – Union des
femmes de Saint-Marin), l’une des entités rencontrées par la délégation
du GREVIO qui a préparé le rapport de référence. Lors d’une discussion
sur le rapport du GREVIO au Grand Conseil général, les autorités
auraient indiqué que, selon elles, le rapport contenait des données manifestement
erronées qui auraient porté atteinte à l’image de Saint-Marin
.
En conséquence, le Grand Conseil général a accepté de demander au
Congrès d’État l’ouverture d’une enquête officielle pour savoir
qui aurait fourni des informations erronées au GREVIO avec la possibilité
de poursuites pénales. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’exactitude
des données figurant dans le rapport, mais le fait qu’une enquête
pénale puisse être demandée contre une personne ou une organisation
qui aurait fourni des informations erronées à une délégation d’organisation
internationale, même si cette demande a été faite dans la fébrilité
d’un débat politique, est préoccupant, car des organismes de contrôle
officiels comme le nôtre ne pourraient plus travailler. Nous saluons
donc les communications écrites du ministre des Affaires étrangères
de Saint-Marin selon lesquelles le Congrès d'État ne voit pas d'éléments
qui justifieraient une enquête et considère donc la procédure close.
75. La liberté d’expression est généralement respectée à Saint-Marin,
et l’environnement médiatique y est diversifié. Point préoccupant,
à Saint-Marin, la diffamation relève du Code pénal et est passible
d’une courte peine d’emprisonnement ou d’une amende journalière,
ce qui pourrait pousser les journalistes à s’autocensurer. Afin
d’améliorer le paysage médiatique à Saint-Marin et conformément
aux normes européennes, nous invitons les autorités à dépénaliser
la diffamation.
76. Avant 2014, il n’y avait à Saint-Marin aucune législation
spécifique relative aux médias. La situation a changé en 2014 avec
l’adoption de la loi sur les médias, qui a créé entre autres une
Autorité des médias. Plusieurs de nos interlocuteurs ont exprimé
l’idée que cette Autorité ouvrait la porte au contrôle politique
des médias qu’elle était censée réguler, étant donné que ses membres
sont nommés par le Grand Conseil général. En outre, la rigueur des
lois sur la protection de la vie privée à Saint-Marin, encore renforcée
par la pénalisation de la diffamation évoquée ci-dessus, entrave
l’accès aux informations publiques. Les autorités devraient envisager
de modifier la législation applicable pour assurer la véritable
indépendance de l’Autorité des médias et le libre accès aux informations
publiques. Plusieurs interlocuteurs ont relevé les problèmes posés
par la régulation des médias dans un micro-État enclavé dans un
autre. Du fait de cette situation géographique singulière, une part
considérable des médias dépend, en pratique, de la législation italienne,
mais les journalistes restent soumis à la législation du pays sur
la diffamation.
77. Le 31 juillet 2017, un Code de conduite des professionnels
des médias a été adopté. Il prévoit la protection de la vie privée
et des droits fondamentaux des individus et établit une distinction
claire entre les faits et les opinions. Le code réglemente les médias
et les travaux des représentants des médias et prévoit des sanctions
disciplinaires en cas de manquement aux règles déontologiques. Certains
interlocuteurs ont noté que ces sanctions pouvaient avoir un effet
négatif sur la liberté des médias. Cependant, dans la mesure où
la loi ne laisse pas de place à l’interprétation ou aux marges d’appréciation,
elles pourraient au contraire affermir la position des médias indépendants.
Les publications en ligne, telles que les blogs et les publications
sur les réseaux sociaux rédigées par des personnes ou des associations,
ne sont actuellement pas considérées comme faisant partie de la
presse et échappent donc à la législation ordinaire sur les médias.
5. Conclusions
78. Saint-Marin, qui est devenu
membre du Conseil de l’Europe en 1988, est un micro‑État et est
à la fois le plus ancien État souverain existant et la plus ancienne
République constitutionnelle au monde. Elle dispose d’un système
unique et bien développé d’institutions démocratiques et d’État
de droit, bien adapté à son héritage démocratique ainsi qu’aux particularités
de son statut de micro-État. Si ces structures se sont constamment
adaptées aux besoins d’une société en évolution, elles ont conservé
leurs grandes caractéristiques: le pouvoir est collégial et réparti
entre les citoyens qui ne le détiennent que pour une durée limitée.
Si l’on y ajoute les particularités d’un micro-État, les citoyens
sont très proches des structures politiques et de gouvernement,
et il y a très peu de distance entre les différentes branches du
pouvoir souvent imbriquées les unes dans les autres.
79. Pour conserver son indépendance en tant qu’État souverain
dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant, Saint-Marin
s’est parfaitement intégré dans la communauté internationale et a
harmonisé ses institutions et son cadre juridique avec les normes
internationales. Il convient de saluer les efforts déployés par
Saint-Marin, malgré les difficultés particulières résultant de son
statut de micro-État, pour que ses institutions démocratiques et
son cadre juridique respectent les normes internationales, en particulier ses
obligations en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe.
80. La proximité entre les citoyens et les différentes branches
du pouvoir a cependant suscité des questions et des inquiétudes
quant au fonctionnement du système d’équilibre des pouvoirs du pays
et à la vulnérabilité potentielle des institutions démocratiques
et de leurs représentants à la corruption et aux conflits d’intérêts.
Ont ainsi été menées une série de réformes profondes des institutions
démocratiques et d’État de droit, en particulier, plus récemment,
du système judiciaire du pays, dont l’indépendance et la résistance
aux ingérences extérieures ont retenu l’attention. Le résultat de
ces réformes est largement considéré comme positif et a offert à
Saint-Marin un fondement solide sur lequel s’appuyer aux fins du
bon fonctionnement de ses organes dirigeants et de ses institutions
judiciaires. Dans le même temps, en raison des particularités susmentionnées
des institutions démocratiques et d’État de droit, une vigilance
constante et un esprit ouvert aux réformes sont présents et demeurent
nécessaires à Saint-Marin. Nous avons donc présenté, dans les présents
rapport et projet de résolution, certains domaines qui méritent
une plus grande attention et formulé un certain nombre de recommandations
à cet égard.
81. Comme indiqué, Saint-Marin a été fondé pour mettre ses habitants
à l’abri des persécutions politiques et religieuses et dispose,
pour ces raisons historiques, d’un solide cadre institutionnel et
juridique de protection des droits humains et fondamentaux. Même
si les droits humains ne suscitent pas actuellement de préoccupations
majeures, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’insuffisances
latentes. Il n’y a aucune raison de baisser la garde, d’autant que,
dans un certain nombre de cas, le cadre juridique de la protection
des droits humains est en retard sur l’évolution actuelle et l’acceptation
des droits dans la société saint-marinaise. Un certain nombre de
domaines ne sont donc pas réglementés, ou ne le sont que partiellement,
et plusieurs réformes juridiques importantes, notamment en ce qui
concerne les droits des femmes, n’ont été adoptées et mises en œuvre
que relativement récemment. Dans les présents rapport et projet
de résolution, nous avons souligné certains points préoccupants
que les autorités devraient traiter.
82. Saint-Marin dispose d’un éventail large et impressionnant
de mécanismes de consultation institutionnels et d’instruments de
démocratie directe. Toutefois, au cours de notre visite, nombre
de nos interlocuteurs nous ont dit que ces mécanismes n’étaient
pas toujours utilisés comme prévu ou que leurs résultats n’étaient
pas pris en considération ou appliqués. De même, nous avons été
informés que les lois adoptées ne sont pas toujours dûment mises
en œuvre ou respectées, C’est un sujet de préoccupation. L’idée
répandue selon laquelle ces mécanismes de consultation sont négligés
ou inefficaces pourrait saper la confiance du public dans ces instruments
de démocratie directe qui constituent un élément historique et fondamental
des institutions démocratiques de Saint-Marin. Nous encourageons
les autorités saint-marinaises compétentes, et en particulier le
Grand Conseil général, à réfléchir à la façon de contrer ces impressions
et à garantir, et au besoin à renforcer, l’efficacité des différents
mécanismes de consultation et instruments de démocratie directe.