1. Introduction
1. Notre planète subit les effets
négatifs du changement climatique, qui rend certaines catastrophes « naturelles »
plus fréquentes et leurs conséquences plus dévastatrices. Ces catastrophes
représentent une menace mondiale avec des répercussions graves sur
le bien-être de l’humanité et un coût économique élevé. Elles frappent
surtout les personnes vulnérables: une femme rencontre 14 fois plus
de risques de mourir qu’un homme des suites d’un tel événement
.
2. En 2021, on a recensé 432 catastrophes liées à des risques
naturels à l’échelle mondiale (dont 56 en Europe), qui ont fait
10 492 morts ; ont touché 101,8 millions de personnes et ont entraîné
des dégâts économiques supérieurs à 252 milliards de dollars
. Comme l’assure le
Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC),
certains épisodes climatiques extrêmes sont en augmentation. Au
moment où ce rapport était initié, un tiers du Pakistan était sous
les eaux, entraînant près de 50 millions de réfugiés climatiques
. En Nouvelle-Zélande, plus récemment,
un cyclone et des inondations ont ravagé Auckland et sa région.
241 mm de pluie sont tombés en 24 heures, un cumul qui bat de très
loin le précédent record de précipitations de 161,8 mm
. L’année 2021 a été marquée par une
croissance du nombre des événements extrêmes en Europe. Ces catastrophes
ont été à l’origine de 2,9 % des décès et de 20,7 % des pertes financières
mondiales
. Elles
ont touché plus de 400 000 personnes. Ces dernières années, des
inondations se sont produites en Europe centrale, notamment en Allemagne,
des séismes ont frappé l’Italie, la Grèce et la Türkiye, et un volcan
est entré en éruption sur l’île de la Palma (Espagne), tandis que
des vagues de chaleur, des feux de forêt et des sécheresses ont
sévi dans toute l’Europe. Certains ont parlé d’un impôt exigé par
la nature.
3. Chaque catastrophe naturelle apporte destruction et insécurité.
Immédiatement après une tragédie, les infrastructures physiques
d’un pays sont endommagées et nombre d’institutions sociales et
politiques essentielles sont déstabilisées, voire détruites
. Souvent, l’accès aux commodités
(eau, électricité, gaz) est rompu, la distribution de nourriture
et de médicaments est empêchée, les services publics essentiels
sont suspendus (éducation, poste, télécommunications, etc.). L’instabilité
politique et l’affaiblissement du pouvoir laissent prospérer des
groupes criminels
. Une catastrophe
naturelle affecte profondément la société, et met en relief en particulier
le degré de sa résilience, c’est-à-dire sa capacité à surmonter
les risques, les conflits et les changements politiques
.
4. Les catastrophes naturelles mettent en péril un large éventail
de droits humains, comme les droits relatifs à la vie et à l’intégrité
physique, les droits relatifs aux besoins élémentaires, la sécurité
des biens, les droits économiques, sociaux et culturels, ou encore
civils et politiques. Dans sa
Résolution 2396
(2021) adoptée sur la base de mon rapport intitulé « Ancrer
le droit à un environnement sain: la nécessité d’une action renforcée
du Conseil de l’Europe », l’Assemblée parlementaire insistait sur
la nécessité pour l’Europe de se doter d’une protection du droit
à un « environnement sûr, propre, sain et durable ». Récemment,
le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu que
toutes les personnes ont droit à un environnement sûr, propre, sain
et durable et que ce droit fait partie des droits humains
. L’Assemblée
générale des Nations Unies a adopté une résolution dans la même
direction
. Les
négations des droits humains trouvent malheureusement souvent racine
dans des politiques inappropriées ou des négligences, et la vulnérabilité
des personnes affectées peut être la conséquence d’une planification
et d’une préparation inadéquates aux catastrophes
. Il est opportun que le Conseil
de l’Europe s’interroge sur sa réponse aux risques majeurs que sont
les catastrophes naturelles.
5. Les événements des dernières années nous poussent tous – gouvernements,
parlementaires, société civile, citoyens – à prendre conscience
de l’urgence et à mieux nous préparer
aux futurs défis du changement climatique.
Si l’on veut protéger les droits humains et favoriser le développement
durable, il est indispensable de concevoir des stratégies politiques
permettant de prévenir les catastrophes naturelles, de s’y préparer
et d’y faire face. Dans son rapport intitulé « Crise climatique
et État de droit », ma collègue Mme Edite
Estrela (Portugal, SOC) nous a alertés sur la responsabilité humaine
dans l’augmentation des événements climatiques extrêmes, en particulier
dans le nord de l’Europe. Nous devons prendre en considération l’anthropocène
et adopter
les mesures adéquates. L’Assemblée devrait faire le point sur la
situation actuelle en Europe, examiner des exemples de bonnes pratiques
et formuler des recommandations pour que chaque État membre dispose
de toutes les informations requises pour mettre en place les stratégies
politiques et les réglementations les plus efficaces.
6. Le 4 octobre 2021, M. Antonio Gutiérrez Limones et plusieurs
collègues ont déposé une proposition de résolution intitulée « Stratégies
politiques face aux conséquences des catastrophes naturelles » (
Doc. 15392). La commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable a été saisie de cette proposition et
j’ai été désigné rapporteur le 24 avril 2022. À l’occasion de sa
réunion du 22 septembre 2022, la commission a modifié le titre comme
suit: « Stratégies politiques permettant de prévenir les catastrophes naturelles,
de s’y préparer et d’y faire face ».
7. Dans le cadre de mes travaux, j’ai eu l’occasion d’échanger
avec des experts tout d’abord à l’occasion d’une audition organisée
dans le cadre de la réunion de la commission le 22 septembre 2022
à İzmir (Türkiye), puis lors de la réunion du Réseau de parlementaires
de référence pour un environnement sain le 12 octobre 2022 à Strasbourg
(France). Lors de ces échanges, j’ai pu recueillir des informations
auprès de M. Taner Yüzgeç, Président de la Chambre des ingénieurs
civils (Türkiye), M. Erdem Canbay, Professeur et Président du Département
de génie civil de l’Université technique du Moyen-Orient (METU,
Türkiye), M. Gianluca Silvestrini, Chef a.i. du
Département de la Culture, de la Nature et du Patrimoine du Conseil
de l’Europe, et M. Krzysztof Zyman, Secrétaire exécutif de l’Accord
européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR-OPA).
2. S’habituer à des catastrophes de plus
en plus nombreuses et destructrices
8. Pour comprendre une catastrophe
et ses effets sur la population avant, pendant ou après l’événement extrême,
les acteurs internationaux du secteur
utilisent
une approche basée sur les risques. Cette approche permet de définir
et de comprendre au mieux ces phénomènes pour contenir la panique
qu’ils provoquent légitimement, de limiter tout effet de sidération
sur les secours et tout fatalisme, dont les effets seraient tout aussi
démoralisateurs et destructeurs sur les populations.
9. Les «risques naturels» ne deviennent des catastrophes que
dans la mesure où ils interagissent avec la société. Selon les Nations
Unies, les catastrophes naturelles sont les conséquences d’événements
provoqués par des risques naturels qui dépassent la capacité d’intervention
locale et affectent gravement le développement social et économique
d’une région
. Le séisme qui a frappé Valdivia
(Chili) en 1960 fut le plus puissant jamais enregistré (9.5 de magnitude
sur l’échelle de Richter)
. Il fut ressenti jusqu’au Japon,
à Hawaï, et en Nouvelle-Zélande. Cependant, avec moins de 6 000
morts et deux millions de personnes déplacées, son bilan fut limité
par la faible densité humaine de la région touchée. Il a cependant
profondément changé le relief de la région: affaissement de régions,
déplacement latéral de paysages, transformation d’isthmes en îles, inondation
de côtes, etc.
10. Le GIEC nous a avertis de la multiplication des événements
climatiques intenses en Europe dans un précédent rapport. Les mots
et la présentation du météorologue Robert Vautard à ce sujet lors
de l’audition de la commission du 7 juillet 2020 étaient très clairs.
11. Des facteurs anthropiques peuvent provoquer des effets négatifs
supplémentaires ou amplifier les risques naturels. On peut citer
comme exemple les émissions de gaz à effet de serre, qui accélèrent
le changement climatique et font augmenter la température à la surface
de la Terre. En conséquence, la configuration habituelle des risques
naturels en est modifiée, la saison des incendies de forêt et des sécheresses
s’allonge, les ouragans deviennent plus violents et les inondations
côtières prennent de l’ampleur
, ce qui rend les prévisions plus
difficiles et augmente la probabilité et intensité des catastrophes. D’autres
facteurs s’y ajoutent, comme le vieillissement démographique, l’urbanisation,
la modification des structures sociales, le désinvestissement des
services publics et un niveau de préparation insuffisant, augmentant
ainsi les conséquences sur les populations et le nombre de décès
causés par ces événements
.
12. Dans le contexte où la pauvreté provoque des ravages en Europe,
comme l’explique notre collègue, Pierre-Alain Fridez, dans son rapport
intitulé « Éliminer la pauvreté extrême des enfants en Europe: une obligation
internationale et un devoir moral », l’exposition des personnes
les plus précaires aux risques naturels est préoccupante. Les pays
moins développés et à faibles revenus étant particulièrement vulnérables,
la communauté internationale devrait soutenir et compléter les efforts
déployés par les autorités nationales et locales concernées pour
remplir leurs obligations
. Parmi
les personnes vulnérables, les femmes, les personnes âgées, et les
enfants sont particulièrement impactés.
13. Il faut partir du principe que même un risque majeur peut
ne pas entraîner de catastrophe si les communautés ou les groupes
vulnérables sont préparés
.
C’est pourquoi la prévention et la proximité immédiate des services
de secours d’urgence, notamment pour les personnes les plus précarisées,
sont le moyen le plus efficace d’atténuer les risques naturels.
Nombre d’événements géophysiques extrêmes se produisent de manière
périodique, ce qui les rend prévisibles dans une certaine mesure.
La conception d’outils et de méthodes de prévision devrait former
un volet essentiel de toute stratégie politique en matière de catastrophes
naturelles. En cas d’événements inévitables, comme une éruption
volcanique, des systèmes d’alerte précoce permettent à la population
de se préparer et de réduire les effets préjudiciables. Grâce à l’analyse
post-crise d’événements, les prévisionnistes peuvent faire des projections
de l’impact des catastrophes, avant que de nouveaux événements se
produisent, pour évaluer les effets potentiels de nouvelles stratégies
d’adaptation aux risques
.
14. C’est aux États
qu’incombent
en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une assistance aux
personnes affectées par des catastrophes naturelles et de protéger
leurs droits humains
. Les autorités centrales interviennent,
avec l’appui de la société civile, aux côtés des autorités locales,
qui sont en première ligne. À cette fin, les gouvernements doivent
toujours garder à l’esprit la nécessité de protéger les populations contre
les violations des droits fondamentaux en s’assurant que leurs organes
et autorités respectent ces droits et protègent les victimes. Ils
doivent assurer la réparation et la pleine réhabilitation, si une
violation s’est produite
. L’État est aussi tenu
de veiller à ce que la population ait accès à toutes les informations
sur la prévisibilité, la préparation, et les mesures de réduction
des risques
.
15. Même si les autorités sont principalement responsables, elles
doivent guider l’ensemble de la société et gagner sa confiance en
mettant en place des politiques de prévention, en se préparant à
faire face aux risques naturels quand ils deviennent des catastrophes,
et aussi en préparant l’aide après l’événement, ainsi que la reconstruction.
L’implication de la société dans son ensemble est un élément clef
dans la dynamique de prévention et de réaction aux événements. L’implication
et l’engagement des individus sont nécessaires. La prévention passe
tout d’abord par l’éducation, la sensibilisation et la mise à disposition
de cartes des risques, qui listent l’ensemble des menaces possibles.
Il convient non seulement de promouvoir et de guider l’auto-assistance,
mais encore de faire en sorte que la société comprenne mieux à quelle
forme d’aide elle peut s’attendre
.
16. La société doit prendre en compte le risque naturel. En cas
de catastrophes naturelles inévitables, il est souvent moins onéreux
d’adapter les activités humaines grâce à la réglementation que d’essayer
de contrôler les forces physiques. L’interdiction administrative
de construire sur des zones inondables est une réponse simple à
de vraies menaces. Dans le contexte de la crise climatique, ces
risques sont appelés à augmenter.
17. Le déploiement des politiques influe sur l’organisation des
secours en cas de catastrophe et également sur les conséquences
à moyen et long terme de ces catastrophes pour les sociétés, comme
la situation des personnes qui se retrouvent sans abris après avoir
évacué une zone à risque, ou le traumatisme psychique subi par la
population. Par ailleurs, la phase de reconstruction qui suit une
catastrophe donne l’occasion d’engager un processus de transformation
stratégique et de renforcer la résilience, par exemple en repensant l’occupation
des sols ou en aménageant, le long des cours d’eau, des terrains
de sport ou des parcs, qui peuvent servir de plaines inondables
en cas de crue
.
18. Pour résumer, il faudrait mieux s’armer contre les catastrophes
naturelles en mettant fortement l’accent sur la prévention, sur
la préparation et sur la réduction des risques. En même temps, il
convient également de renforcer la gestion de crise et d’assurer
le suivi des victimes dans la durée (ce qui suppose de traiter l’épineuse
question de l’indemnisation)
. Dans la mesure où les risques naturels
provoquent des catastrophes qui touchent souvent plusieurs pays,
la coopération entre États et la mise en place et l’échange de bonnes pratiques
jouent un rôle majeur.
19. Le présent rapport explore les différentes stratégies politiques
permettant de prévenir les catastrophes naturelles, de s’y préparer
et d’y faire face. Après avoir évalué l’efficacité des réponses
apportées, il s’agira en définitive d’élaborer un ensemble de lignes
directrices générales destinées à être mises en œuvre par les États membres.
20. À ce sujet, je rappellerais la
Résolution 2307 (2019) « Un statut juridique pour les “réfugiés climatiques” ».
Le réchauffement de la planète est un sujet d’inquiétude pour tous
les pays européens. Selon les estimations, 200 millions de personnes
seront déplacées d’ici à 2050 dans le monde, en raison du changement
climatique. Il est indispensable de définir des stratégies claires
pour ces populations, et les États devraient, à cet égard, adopter
une approche plus volontariste pour protéger les victimes de catastrophes naturelles
ou d’origine humaine et améliorer les mécanismes de préparation
à ces catastrophes. Ce rapport préconise de prendre des mesures
spécifiques aux niveaux local, national et international, et notamment
de relever le seuil de résilience des populations locales, de renforcer
la capacité des pays à réagir en cas de catastrophe et à gérer ces
événements, et d’améliorer la protection juridique des réfugiés
dans le contexte de la migration environnementale. La réduction
des risques de catastrophe devrait être intégrée dans les politiques
de développement et d’aménagement durables. De plus, il conviendrait
d’évaluer plus avant les interactions entre le changement climatique
d’une part et les conflits et les actes de violence d’autre part,
afin de mieux comprendre ce qui déclenche la migration. Les nouveaux
instruments juridiques internationaux tels que la Convention de
2009 de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux
personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala) peuvent être
un exemple à suivre pour protéger les personnes déplacées pour des
raisons environnementales, ce qui est une obligation. Le rapport
souligne également la complémentarité qui existe entre la prévention,
l’aide d’urgence, et la recherche de solutions durables pour accélérer
l’adaptation des sociétés au changement climatique.
3. La
gestion des inondations en Allemagne
21. En août 2002, des pluies torrentielles
ont provoqué des inondations en Europe centrale. En Allemagne, pays
le plus durement touché, les dégâts ont été chiffrés à plus de 11 milliards
d’euros. Après cet épisode, plusieurs points faibles ont été identifiés
dans le système allemand de gestion des risques d’inondation: dispositifs
d’alerte aux inondations incomplets, voire inexistants ; mauvais
entretien des structures de protection contre les inondations, manque
de sensibilisation aux risques et réponses inadéquates
.
Le nouveau système de gestion des risques d’inondation a permis
de réagir plus efficacement lors des crues de l’Elbe et du Danube
en 2013. Pourtant, bien qu’apparemment préparée, l’Allemagne a connu
sa pire catastrophe naturelle entre les 12 et 15 juillet 2021, dans
la vallée de l’Ahr. Les inondations, causées par des précipitations
records, ont fait plus de 180 morts et touché plus de 40 000 personnes.
Les pertes couvertes par les assurances se sont élevées à plus de
7 milliards d’euros. Les dégâts causés aux infrastructures ont été majeurs,
avec la destruction de la quasi-totalité des ponts de la vallée
de l’Ahr, de portions de routes nationales, des principales voies
d’accès aux zones sinistrées et des réseaux d’approvisionnement
en gaz, en eau et en électricité. Le gouvernement fédéral et les
gouvernements des
Länder ont
dû mobiliser un fonds spécial, doté de 30 milliards d’euros, pour
financer la reconstruction
.
22. Plus la Terre se réchauffe, plus les précipitations sont fréquentes
et intenses. La probabilité qu’une telle catastrophe se produise
aujourd’hui est augmentée d’un facteur compris entre 1,2 et 9 par
rapport à une période où la température était inférieure de 1,2°C
. La catastrophe de 2021 a été aggravée
par d’autres phénomènes qui ont rendu les inondations plus intenses
et plus destructrices, telles que l’artificialisation des sols et
leur saturation, qui ont entraîné des effets d’entonnoir.
23. Après la tragédie, des enquêtes ont été menées pour déterminer
et comprendre les causes du manque d’anticipation et pourquoi, dans
certaines zones, les personnes n’avaient absolument pas été préparées
et n’avaient pas conscience de la menace. Certes, l’agence météorologique
allemande avait annoncé des conditions météorologiques extrêmes
et émis des alertes, mais c’était aux autorités qu’il incombait
de déterminer si des mesures devaient être prises pour évacuer les
populations. Alors que des alertes aux inondations étaient prévues
pour les cours d’eau principaux, les informations relatives à leurs
affluents et aux cours d’eau plus petits étaient bien moins détaillées.
Par conséquent, les inondations n’ont pas pu être évitées
et il était impossible de prévoir,
même une demi-heure avant, quelles zones seraient les plus durement
touchées. L’analyse réalisée après la crise a montré que le plus
grand problème ne relevait pas des infrastructures, mais plutôt
des lacunes concernant l’interprétation des connaissances, la communication
et la transmission de l’information entre les différents acteurs
(autorités centrales, régionales et locales). Les inondations ont
entraîné la coupure de nombreuses lignes téléphoniques, des habitants
ont été privés d’accès aux applications d’alerte, certains mécanismes
de transmission de l’information n’ont pas fonctionné et des conflits
de compétences entre organismes publics les ont rendus moins réactifs.
Les enquêtes ont démontré qu’il fallait privilégier la circulation
des informations et la coordination au lieu de traiter les problèmes
de communication de chaque autorité. Il est ressorti de ces études
que l’Allemagne avait aussi besoin d’améliorer sa cartographie des
risques et ses plans d’évacuation.
24. Les événements, qui ont frappé l’Allemagne et la Belgique
en 2021, ont choqué non seulement en raison de leur violence qui
a provoqué des ravages encore visibles au moment de la préparation
de ce rapport, du nombre de victimes qui ont perdu la vie ou de
celles qui ont perdu tous leurs biens, mais aussi en raison des dégâts
subis par les villes et campagnes. Manifestement, nous n’étions
pas prêts. Au-delà de la sidération, je constate aussi une colère
des personnes qui ont essuyé ces événements extrêmes. Sans doute,
nos concitoyens sont-ils en droit de regretter le manque de moyens
suffisants alloués à la lutte contre les catastrophes naturelles.
4. Tremblement
de terre en Türkiye
25. Le tremblement de terre qui
a frappé la Türkiye est un des plus puissants événements telluriques
jamais enregistrés dans le monde et probablement un des plus mortels.
De magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter, l’extrême violence de
l’événement a aussi détruit des bâtiments avec une bonne conception
parasismique. Il a été suivi par des répliques extrêmement fortes
et tué au moins 50 000 personnes en Türkiye et 7 000 en Syrie ;
des milliers d’autres ont été plus ou moins gravement blessées.
Au moins 1,7 million de personnes ont été déplacées et au moins
750 000 vivent sous des tentes. Au regard de la situation extrêmement
difficile en Türkiye, je n’ose imaginer qu’avec effroi la condition
des Syriens en Syrie ou réfugiés. Je ne peux que partager ma peine,
et adresser toute ma sympathie aux autorités de Türkiye et aux personnes
survivantes d’une telle violence.
26. Dans le cadre de mon rapport, j’avais prévu de rencontrer
des représentants d’autorités et des victimes des inondations qui
ont frappé l’Allemagne en 2021, pour analyser la résilience de nos
sociétés et notre capacité en Europe à reconstruire en ne laissant
personne de côté. A présent, je souhaiterais également me rendre
en Türkiye et si possible en Syrie, dans le cadre de ce rapport.
En attendant cette mission, je m’appuierai sur le procès-verbal
de l’audition publique organisée par la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable le 22 septembre
2022 à İzmir (Türkiye) où j’ai pu recueillir des informations auprès
d’experts nationaux. J’ai pris la liberté de reprendre ces témoignages
à la lumière de précédents travaux de l’Assemblée concernant le
tremblement de terre qui frappa la Türkiye et la Grèce en 1999.
À cette occasion, l’Assemblée avait adopté les
Recommandations 1447 (2000) «Conséquences économiques des récents séismes en Türkiye
et en Grèce » et
1448
(2000) « Conséquences sociales des récents séismes en Türkiye ».
27. Je note qu’en Europe, il n’existe pas d’organe de contrôle
susceptible de mesurer le renforcement de la résilience de nos communautés.
Les organes de contrôle du Conseil de l’Europe ont démontré l’utilité
de cette pratique, établie sur évaluation par les pairs, qui permet
une progression incrémentale des cadres politiques et législatifs.
En prévision du 4e sommet du Conseil
de l’Europe qui se tiendra en mai 2023 à Reykjavík (Islande), je
souhaite interpeller le Comité des Ministres sur la valeur ajoutée
de la méthode établie sur les pairs utilisée par le Conseil de l’Europe
dans ses organes de contrôle. Il manque un organe de contrôle en
matière de droits environnementaux.
28. Il y a 22 ans, l’Assemblée appelait le Comité des Ministres
à apporter son soutien aux autorités turques et grecques « dans
la durée ». Elle notait que des destructions matérielles et des
dommages auraient pu être évités. En prévision de futures catastrophes,
elle insistait sur le rôle des municipalités pour rétablir les services prioritaires
et sur celui des organisations de la société civile susceptibles
de prendre en charge les conséquences des séismes, le soutien psychosocial
à apporter aux victimes et la réadaptation de ceux rendus invalides
par la catastrophe. Dans sa réponse, en date du 21 mars 2001, le
Comité des Ministres partageait l’importance accordée par l’Assemblée
à la solidarité internationale, y compris entre pays voisins et
la nécessité de tirer des leçons des tremblements de terre d’août
et de septembre 1999 en Türkiye et Grèce.
29. Comme en 2000, la Banque de Développement du Conseil de l’Europe
a promis de répondre à l’appel des autorités turques. Avec l’aide
des interlocuteurs turcs, elle travaille à l’approbation accélérée
de prêts
. Le
gouverneur a proposé l’aide de la banque dès le 6 février 2023.
Le bureau d’Ankara du Conseil de l’Europe est en négociations avec
les autorités aux côtés des autres bailleurs internationaux
. Outre des facilités débloquées,
la banque a offert ses services pour soutenir l’analyse des besoins
du ministère de la Santé et le travail de l’ISMEP
.
30. Comme indiqué dans la réponse du Comité des Ministres de 2001,
EUR-OPA a tenu des rencontres sur les risques sismiques à Kalamata
(Grèce) du 2 au 4 décembre 2001 en présence de représentants de
13 États membres actuels du Conseil de l’Europe et trois autres
(Japon, Maroc et Fédération de Russie). À cette occasion, il avait
noté le risque de récurrence, le fait que les zones à risque soient
connues et l’imprévisibilité des événements comme particularités
du risque sismique. Il avait dès lors insisté sur la nécessité d’accumuler du
savoir-faire. Il recommandait, dans les différentes phases de prévention,
d’alerte, d’estimation préliminaire des dommages potentiels, de
validation des estimations et d’études a posteriori, des mesures
à court, moyen et long terme. Il préconisait ainsi la préparation
de listes, régulièrement mises à jour, de spécialistes bénévoles rapidement
mobilisables. Parmi ces recommandations, j’ai noté la nécessité
de se préparer à réunir des informations cruciales sur l’estimation
rapide des dommages potentiels, puis réels, et sur les déformations possibles
du relief pour guider les secours. J’ai aussi retenu la nécessité
de mettre en place des modules de formation pour les utilisateurs
finaux. Il y a 20 ans, EUR-OPA proposait déjà des mesures en dehors
d’une approche exclusivement basée sur les coûts et anticipait déjà
les ruptures graves en raison des risques de tremblements de terre,
d’inondations et d’incendies.
31. En février 2023, l’aide humanitaire a été rapidement mobilisée.
Dans les 72 premières heures, 21 États membres de l’Union européenne
ont pu déployer 1 750 spécialistes, ainsi que 111 chiens de sauvetage.
32. La ville d’Erzin
a été épargnée par les destructions
alors que des villes avoisinantes ont été rasées. Elle doit cette
chance probablement à la géologie de son sous-sol, mais aussi à
la stricte application du code de l’urbanisme et de la construction
dans une des zones les plus exposées au monde aux tremblements de terre.
Les autorités ont commencé à procéder à des interpellations de promoteurs
immobiliers soupçonnés d’avoir construit des bâtiments ne respectant
pas les normes de sécurité
.
33. Au-delà du soutien humanitaire à court terme, il me semble
incontournable d’insister sur la prévention, car d’autres événements
se produiront
. Même si la violence de cet événement
était incroyablement forte, je m’insurge contre l’idée d’impuissance
face aux forces de la nature. Avant février 2023, la Türkiye avait
connu 85 tremblements de terre en 100 ans, faisant déjà 80 000 morts.
Notre expert nous a indiqué en septembre 2022 que le risque d’un
très puissant tremblement de terre d’ici à 2030 était critique.
Il n’est pas possible d’accepter avec fatalisme l’impôt que la nature
exigerait. Ce dernier tremblement de terre n’était pas réellement une
surprise. À la lumière des experts entendus, j’ai bien noté que
la Türkiye est à l’avant-garde des pays dans la prévention des séismes.
Elle dispose d’un corpus législatif sur la question démarré en 1937,
fort de plus de 500 pages. Elle collecte une taxe «tremblements
de terre» depuis plus de 20 ans
. La mise en place de stratégies de
réduction des risques de catastrophe est primordiale. Face à la
crise climatique, il faudra gérer davantage de catastrophes naturelles
et s’attaquer aux problèmes liés à la pauvreté. Toutefois, même
si le cadre politique et législatif est de qualité, il peine dans
sa mise en œuvre. L’expert indiquait aussi qu’il fallait se concentrer
sur la modernisation des bâtiments les plus dangereux et mettre
en place des sanctions efficaces pour contraindre les promoteurs
à respecter la réglementation en vigueur. Il n’est plus possible
de conserver une vision purement économique quand autant de vies
sont en jeu.
34. Ce n’est pas le moment de polémiquer sur la corruption qui
a permis à des entrepreneurs de détourner les règles de l’urbanisme;
nous savons avec précision, depuis les travaux universitaires après
le tremblement de terre d’Haïti, que la corruption tue
. Encore une fois, je m’appuie sur
la définition qui veut qu’un événement extrême ne devienne une catastrophe
que dans des circonstances spécifiques au contact des personnes.
Il nous faut persévérer dans la mise en place d’instruments basés
sur la nature.
5. La
valeur ajoutée des instruments du Conseil de l’Europe
35. EUR-OPA, l’Accord européen
et méditerranéen sur les risques majeurs du Conseil de l’Europe
est une plate-forme de coopération dans le domaine des risques majeurs
entre les pays d’Europe et du sud de la Méditerranée. Son secteur
de compétence est lié à la gestion des risques de catastrophe, en
particulier la connaissance, la prévention, la gestion des événements
et l’analyse post-crise. Les objectifs principaux de l’Accord EUR-OPA
sont de resserrer et de dynamiser la coopération entre les États
membres d’un point de vue pluridisciplinaire, afin d’assurer de
meilleures prévention et protection face aux risques et une meilleure préparation
en cas de catastrophes naturelles et technologiques majeures
.
36. L’accord partiel ouvert est né en 1987, après la catastrophe
de Tchernobyl. Il est dit « ouvert », car les États non-membres
du Conseil de l’Europe peuvent aussi demander à y adhérer. Il ne
compte plus, depuis janvier 2023, que 20 États membres du Conseil
de l’Europe et 2 pays tiers (Liban et Maroc).
37. EUR-OPA n’est pas une agence technique. Sa mission consiste
à élaborer des normes en s’appuyant sur la méthodologie du Conseil
de l’Europe établie sur les droits humains afin que personne ne
soit oublié. Il entretient, à travers des démarches démocratiques,
la coopération entre les pairs, c’est-à-dire l’ensemble des spécialistes
et bénévoles qui partagent comme ambition de lutter contre les événements
extrêmes. C’est aussi le seul acteur qui a une vocation continentale.
Il pilote un dialogue politique et contribue à la coopération continue
avec les autres organisations internationales et européennes.
38. L’accord s’appuie sur un réseau de centres spécialisés scientifiques
et techniques qui permettent une approche multinationale et pluridisciplinaire
à la problématique des risques. Ces centres labellisés sont encouragés
à coopérer et à échanger de bonnes pratiques.
39. Pionnier, l’accord EUR-OPA est le plus ancien forum où la
communauté des professionnels européens de la lutte contre les catastrophes
naturelles et industrielles se rencontre. Depuis sa création, l’accord
est à l’origine de solutions
qui ont permis une perception
plus précise des risques de catastrophe. Ainsi, le système d’alerte
européen aux séismes permet désormais de prévenir citoyens et autorités
dans les dizaines de minutes qui suivent son occurrence. Il localise
20 000 séismes par an. La prévision des conséquences des secousses
telluriques avec le système de géo-information
Extremum a facilité l’analyse rapide
des tremblements de terre, qui restent très difficiles à prévoir.
L’accord a aussi permis de soutenir des projets de cartographie
régionale afin de mieux percevoir les aléas naturels. Toutes ces
avancées sont à verser au crédit de l’accord.
40. Il reste néanmoins beaucoup de défis à relever outre la crise
climatique qui représente une menace de plus et qui favorise l’apparition
de risques existants comme les inondations, les épisodes de sécheresse, l’élévation
du niveau de la mer, etc., qui peuvent provoquer des effondrements
et autres glissements de terrain. Pendant les bientôt 36 ans d’existence
d’EUR-OPA, l’Europe a poursuivi son urbanisation jusqu’à atteindre 90 %
dans certaines régions impliquant une vulnérabilité accrue des villes
et de ses habitants. Parallèlement, les zones rurales dépeuplées
posent des problèmes liés à la désertification, mais aussi en matière d’appauvrissement
des sols sous le coup de l’agriculture intensive alors que la gestion
des forêts et de l’eau en général est négligée. Il est aussi regrettable
de constater que la perception des risques demeure faible chez les
citoyens et que pour beaucoup l’éventualité d’une catastrophe n’est
toujours pas prise en compte. Il faut se battre contre la possible
sensation de sidération face à ces phénomènes et pour investir en
permanence contre ces risques en impliquant la population, y compris
les enfants à l’école. Anticiper le coût de la prévention des risques
majeurs représente un investissement dans l’avenir.
41. Malgré des avancées tangibles à verser à son crédit, l’accord
doit faire face à un manque de ressources persistant. En plus du
départ de la Russie, l’accord souffre du retrait de certains États
membres, notamment ceux qui sont déjà membres de l’Union européenne.
La Belgique par exemple a quitté l’accord en janvier 2023. Rien
qu’en 2022, l’accord partiel a perdu 56 % de son budget. Il est
à craindre que d’autres pays quittent EUR-OPA, puisque les contributions
ont presque doublé en 2023, pour les mêmes prestations.
42. L’accord n’organise de réunion ministérielle qu’une fois tous
les cinq ans par mesure d’économie. Le réseau d’experts se réunit
une ou deux fois par an. Bien que pionnier, il a perdu de sa mémoire
institutionnelle au gré des réformes réduisant ses activités et
son personnel. Entre 2001 et 2023, son budget a été divisé par trois.
L’accord est perçu comme étant en concurrence avec les Nations Unies
et l’Union européenne; pourtant ils n’ont pas le même rôle. Si les
parties indiquent leur retrait avant le 30 juin, elles peuvent quitter
l’accord dès le 1er janvier de l’année
suivante et arrêter de contribuer au budget de l’accord. EUR-OPA
n’a jamais été une agence technique, mais une instance créatrice
de normes au sein du Conseil de l’Europe, permettant le partage
des bonnes pratiques. Son approche basée sur les droits humains
et la participation démocratique et sa dimension régionale restent
opportunes. Pendant la pandémie de covid-19, les parties ont ainsi
adopté des recommandations pour assurer l’inclusion des migrants
et des personnes en situation de handicap dans les procédures d’urgence.
L’accord conserve une véritable plus-value, y compris en l’absence
d’un système de contrôle diligent efficace en matière de prévention,
de réaction ou de suivi des catastrophes.
43. En l’état, la poursuite des travaux de l’accord partiel est
en péril. Il pourrait disparaître. Je rappellerais que, par le passé,
d’autres outils du Conseil de l’Europe ont été contestés dans leur
existence et que mettre fin à une coopération de plusieurs décennies
n’est jamais une bonne solution. Le Centre Nord-Sud a ainsi connu
des menaces sur sa pérennité. Il a cependant su se réformer et redevenir
attractif dans le cadre de la politique de voisinage auprès de ses
États membres qui lui ont renouvelé sa confiance en matière d’éducation à
la citoyenneté mondiale ; de coopération-jeunesse et de renforcement
du rôle des femmes.
6. Quelle
complémentarité avec les autres outils internationaux ?
44. De très nombreuses organisations
intergouvernementales ou non gouvernementales interviennent sur le
théâtre de catastrophes majeures. Leur intervention évolue en permanence,
sous la pression d’une prise de conscience croissante exigeant une
meilleure gestion des risques. Elle reflète la nécessaire adaptation
de ces organisations à l’augmentation des menaces, ainsi qu’à l’évolution
des techniques permettant d’en atténuer les conséquences
.
45. En 1989, les Nations Unies ont investi le domaine de la prévention
des catastrophes naturelles. Poursuivant les travaux liés aux stratégie
et plan de Yokohama et au cadre d’action de Hyogo, le Cadre d’action
de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030
vise à réduire considérablement les pertes en vies humaines et les
dommages matériels. Il a été adopté en 2015 et il est piloté par
le
Bureau des
Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNDRR, site en anglais et espagnol seulement). Déclinées
jusqu’au niveau local, ses quatre priorités visent à: comprendre
les risques de catastrophe; renforcer la gouvernance des risques
de catastrophe pour gérer les risques de catastrophe; investir dans
la réduction des risques de catastrophe pour la résilience; et améliorer
la préparation aux catastrophes en vue d’une intervention efficace
et de « reconstruire en mieux » en matière de relèvement, de réhabilitation
et de reconstruction. « L’adoption de ce nouveau cadre pour la réduction
des risques de catastrophe ouvre un nouveau chapitre en matière
de développement durable, car il énonce des objectifs et des priorités
clairs en faveur de mesures qui conduiront à une réduction substantielle
des risques de catastrophe et des pertes en termes de vies humaines,
de moyens de subsistance et de santé », avait alors déclaré la Représentante
spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour la réduction des risques
de catastrophe de l’époque, Mme Margareta
Wahlström
.
46. Le
cadre
de Sendai offre à 195 pays et territoires des Nations Unies la
possibilité de contrôler sept objectifs et conformités: la mortalité,
le nombre de personnes touchées, l’impact des pertes économiques,
les ruptures subies par les infrastructures et services essentiels,
les stratégies de réduction des risques de catastrophe, la coopération
internationale, et la mise en place d’alertes précoces et la diffusion
d’information sur les risques.
47. L’Union européenne a pris en compte les risques de catastrophe
dans le déploiement des politiques communautaires, en commençant
par la protection des consommateurs. Elle a ensuite étendu son champ d’intervention
en matière de suivi des catastrophes industrielles après l’accident
de Seveso en 1976 qui a ravagé sept communes de Lombardie (Italie),
en adoptant une série de directives, dont la dernière 2012/18/UE
décrit la prévention, la préparation,
la réponse et les leçons à retenir de tels événements. Elle s’est
aussi intéressée aux événements naturels extrêmes comme la crue
des fleuves. En 30 ans d’existence, la DG ECHO, l’agence humanitaire
de l’Union européenne, est devenue la Direction Générale de la Protection
civile et des opérations d’aide humanitaire européennes.
48. L’Union européenne a mis en place, en 2001, un mécanisme européen
de protection civile et initié des opérations humanitaires d’assistance
en cas de catastrophe naturelle en réaction à des phénomènes qui
ont affecté, entre 1980 et 2020, 50 millions de personnes et coûté
12 milliards d’euros aux États membres. En plus des États membres
de l’Union européenne, sept pays participent au mécanisme européen
(Bosnie-Herzégovine, Islande, Monténégro, Macédoine du Nord, Norvège,
Serbie et Türkiye). Il comprend
un Corps médical européen, un mécanisme
européen de protection civile et le Centre de coordination de la
réaction d’urgence. Il intervient à la demande d’un État membre
sur un théâtre d’accident majeur, de tremblement de terre, d’inondations,
de feux de forêt, d’urgence sanitaire, de pollution marine, de déplacement
de population, de conditions extrêmes météorologiques et autres
(actes terroristes et cybermenaces).
49. Suite à la pandémie de covid-19, la Commission européenne
a revu et renforcé ses dispositions en mai 2021. Avec ce nouveau
règlement, elle a cherché à mobiliser l’ensemble de ses politiques,
y compris spatiales, et à rationaliser les procédures administratives
tout en adoptant une dimension de genre susceptible de répondre
aux besoins des plus vulnérables.
7. Plaidoyer
pour une Europe prête et résiliente face aux catastrophes naturelles
50. L’impact de la crise climatique
sur la fréquence et la sévérité des événements extrêmes est admis
par les autorités publiques à travers le monde, mais est-elle réellement
prise en compte ? Aux États-Unis, le Bureau fédéral du recensement
(
Census Bureau)
a compté que 3,37 millions de résidents
américains ont dû quitter leur foyer à la suite de catastrophes
naturelles (tornades, ouragans, incendies, et inondations principalement)
en 2022. Ce chiffre est lourd de sens. Il indique qu’un Américain
sur cent a été touché par les événements extrêmes en 2022.
51. La crise climatique exige d’ouvrir une réflexion sur nos vulnérabilités.
Au-delà des pays qui se trouvent dans des zones de rencontre entre
des plaques tectoniques, nous devons nous interroger sur leurs effets
dans des zones jusqu’alors préservées. Interrogeons-nous aussi sur
le sort des villes et surtout sur le déplacement des lignes côtières
que la hausse du niveau des mers menace directement ! Interrogeons-nous
sur les conséquences de la fonte des neiges d’altitude et des risques
d’éboulements ! Regardons ces incendies de forêt qui touchent maintenant
l’Europe du Nord. Ces vulnérabilités concernent maintenant chacun
de nos pays. Tous ces types d’événements doivent être pris en compte
et analysés dans notre réflexion commune.
52. Notre objectif d’assurer une société stable fondée sur le
bien-être en Europe est aujourd’hui sérieusement compromis par l’augmentation
des catastrophes naturelles liées à la crise climatique qui sont
à l’origine d’autant d’atteintes au droit à la vie et aux autres
droits humains.
53. Il faut reconnaitre qu’il n’y a plus vraiment de catastrophes
« naturelles » en raison de l’anthropocène. La fréquence, l’intensivité
et la complexité des événements naturels extrêmes démontrent la
responsabilité humaine et l’Europe n’est pas à l’abri. Pendant que
les phénomènes climatiques doublaient au cours des 20 dernières
années, les inégalités et la pauvreté ont explosé et exigent plus
de solidarité.
54. Nous devrons aussi être créatifs et explorer des solutions
basées sur la nature afin de prévenir les conséquences des catastrophes
sur la base des enseignements apportés par les cultures ancestrales.
Il n’est plus possible de poursuivre sur une voie productiviste
qui s’est attachée à exploiter la nature. Il est temps d’investir
dans nos capacités de résilience, de vivre avec la nature et de
ne pas s’y opposer pour sauver des vies et éviter d’abyssales pertes
économiques.
55. Chaque État doit prendre en compte cette réalité en élaborant
sa propre stratégie en matière de gestion des risques de catastrophe
qui vise à fonder un cadre opérationnel, en s’assurant d’être prêt
à faire face à des épisodes extrêmes, en fournissant une réponse
à la hauteur des catastrophes, non seulement en visant la réduction
des risques et menaces provoquées par les catastrophes, mais aussi
en permettant une meilleure reconstruction et réhabilitation. Bien
que prises au niveau de chaque État, ces stratégies doivent non seulement
faciliter la coopération entre États, impliquer leur dimension locale
et les individus, mais aussi impliquer le secteur privé, en particulier
les compagnies d’assurance qui jouent un rôle essentiel à la fois
en matière de prévention et de reconstruction.
56. Le Conseil de l’Europe doit renouveler son attachement à la
politique de lutte contre les événements climatiques extrêmes et
réaffirmer son rôle pionnier, établi sur les droits humains, la
démocratie et l’État de droit. La situation actuelle par laquelle
EUR-OPA demeure un accord partiel, dont le budget est traité en
dehors du budget ordinaire de l’Organisation, progressivement abandonné
par les plus grands pays membres du Conseil de l’Europe au profit
des instances communautaires n’est pas tenable.
57. Le 13 octobre est la journée internationale de réduction des
risques liés à des désastres. Le Conseil de l’Europe pourrait commémorer
cette journée, renouveler son attachement à la politique de lutte
contre les événements climatiques extrêmes et réaffirmer son rôle
sur la scène internationale, avec la particularité de baser son
approche sur les droits humains, la démocratie et l’État de droit.
58. La protection de la vie humaine doit rester au cœur de notre
approche et de nos préoccupations. La force du Conseil de l’Europe
d’agir dans ce domaine résidera dans sa capacité de favoriser les
échanges aux niveaux gouvernemental et parlementaire, aux niveaux
régional et local, et en étroite collaboration avec la société civile.
Son expertise en matière de perspective de genre, de protection
et de participation des enfants et de la jeunesse ainsi que de protection
des groupes vulnérables dans nos sociétés est un atout pour démontrer
la valeur ajoutée du Conseil de l’Europe parmi les acteurs internationaux.
59. En conclusion, il me semble urgent de reconnaître que la prévention
et la gestion des catastrophes doivent figurer parmi nos préoccupations
pour les années à venir. C’est le moment de faire le point sur les différents
mécanismes et outils existant au niveau international, de réunir
et consolider la communauté des professionnels et volontaires engagés
dans ce domaine, et de reconnaître qu’investir dans la prévention,
aux niveaux domestique et international, est nécessaire pour réduire
des coûts humains et économiques certains. Une fois encore, je m’interroge
sur l’absence d’organe européen susceptible de superviser, au niveau
régional – en prenant en compte la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme et les travaux des conventions environnementales
du Conseil de l’Europe, en complément du contrôle assuré dans le
cadre des Nations Unies (Sendai) – l’ensemble des dispositifs nationaux
et des stratégies de prévention et d’atténuation des catastrophes
naturelles, ainsi que leurs conséquences dans l’ensemble des États
membres. En raison de sa méthode fondée sur les droits humains,
le Conseil de l’Europe devrait être en mesure de partager son expérience
en matière de contrôle et d’ouvrir des cycles d’évaluation par les
pairs, afin de répondre à la crise climatique au moyen d’une convention-cadre
du Conseil de l’Europe sur le droit à un environnement sain, qui reprendrait
l’ensemble des conventions et accords existants liés à l’environnement.
60. Par conséquent, en complément de ma demande en faveur de l’adoption
d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme
et à la Charte sociale européenne révisée, je renouvelle mon appel
à la préparation d’un nouvel instrument juridique contraignant établissant
le droit à un environnement sain. Je demande la finalisation de
l’étude de faisabilité pour une convention de type «cinq P» sur
les menaces environnementales et les risques technologiques pour
la santé, la dignité et la vie humaines. Si l’idée d’un tel instrument
n’est pas acquise, le Conseil de l’Europe ratera l’occasion d’inscrire
sa destinée dans le XXIème siècle. Il
faut d’ores et déjà assurer le financement de ces conventions pionnières
dans la protection de l’environnement et leur offrir un cadre plus
sécurisé.