1. Introduction
1. Le 17 mars 2021, la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
a déposé une proposition de résolution intitulée «Urgence de santé
publique: la nécessité d’une approche holistique du multilatéralisme
et des soins de santé»
.
Ce texte soulignait que la pandémie de covid-19 avait rappelé à
tout un chacun le droit à la santé et l’importance cruciale du multilatéralisme.
2. La proposition renvoyait à la
Résolution 2329 (2020) de l’Assemblée parlementaire intitulée «Enseignements
à tirer pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits
à la pandémie de covid-19», dans laquelle cette dernière appelait
à promouvoir la recherche, le développement et la production responsables
de médicaments, de vaccins et autres équipements médicaux, et insistait
pour les rendre accessibles et abordables à toutes et tous. En effet,
malgré une recherche financée par les deniers publics et des efforts
internationaux visant à garantir une répartition équitable des biens
médicaux, des problèmes structurels persistaient: la marchandisation
excessive des services de santé et l’ensemble des règles internationales
contemporaines sur le commerce et la protection de la propriété
intellectuelle ont entravé l’accès effectif aux soins de santé pendant
une grande partie de la pandémie dans de nombreux pays.
3. La proposition soulignait également qu’un effort multilatéral
global était nécessaire afin de réunir l’Organisation mondiale de
la Santé (OMS), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres
parties prenantes dans un échange multipartite pour réexaminer les
règles régissant l’industrie de la santé pour la fourniture de médicaments,
de vaccins et de services de soins essentiels aux niveaux national
et international, et afin de veiller à ce que les acteurs des secteurs
public et privé de santé développent leurs activités sur la base
des droits humains, notamment le droit à la santé, et à ce qu’ils
garantissent un accès équitable aux traitements et aux vaccinations
pour toutes et tous, en qualité de biens publics.
4. Depuis le dépôt de cette proposition il y a deux ans, des
progrès louables importants ont été accomplis, mais la bataille
n’est pas encore gagnée – comme le montrent les problèmes persistants
en matière de lutte contre la pandémie de covid-19. Les pays riches
ont conclu des accords bilatéraux avec les développeurs de vaccins
et ont stocké des doses. Cela a provoqué une surenchère qui a exclu
les pays moins favorisés et sapé les efforts multilatéraux opérés
par le mécanisme COVAX, qui vise à garantir une répartition mondiale équitable.
Il a ainsi été plus facile pour le virus de circuler et de muter
en de nouveaux variants, dont certains résistants aux vaccins disponibles.
Cette situation a indubitablement prolongé inutilement la pandémie.
5. Plusieurs processus sont en cours à l’OMS pour s’attaquer
à ces problèmes et transformer la gouvernance mondiale de la santé.
Un groupe de travail a été créé pour étudier les moyens d’assurer
un financement durable de l’OMS afin que l’Organisation puisse mieux
remplir ses fonctions essentielles. En outre, les 194 États membres
de l’OMS participent à deux négociations parallèles, l’une visant
à réviser le Règlement sanitaire international et l’autre à élaborer
un instrument juridiquement contraignant sur la préparation, la
prévention et la riposte en cas de pandémie. Les deux Bureaux sont
censés coordonner leurs travaux en vue de l’adoption des deux textes
lors de la réunion de l’Assemblée mondiale de la Santé qui se tiendra
en mai 2024.
6. En septembre 2022, j’ai effectué une visite d’information
à Genève et participé au Forum public de l’OMC. J’ai pris part à
des séances portant sur des sujets pertinents dans le cadre du présent
rapport, notamment la création et la protection de biens publics
mondiaux pour la santé et les flexibilités prévues par l’Accord
sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC) pour
assurer un accès équitable. À Genève, j’ai eu le plaisir de rencontrer
M. Robert Kampf, conseiller à l’OMC, avec lequel j’ai discuté plus
en détail de ces points, ainsi que Mme Karin Hechenleitner Schacht,
spécialiste des droits humains pour la Rapporteuse spéciale des
Nations Unies sur le droit à la santé.
7. En octobre 2022, j’ai participé au Sommet mondial de la santé
à Berlin, organisé pour la première fois avec l’OMS, pour discuter
de l’importance politique croissante de la santé mondiale et du
multilatéralisme. J’ai eu le plaisir de rencontrer le Directeur
général de l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, et de pouvoir discuter,
avec des parlementaires de toutes les régions du monde, du rôle
crucial des parlements dans la conception, la mise en œuvre et le
suivi de la législation, des politiques et des programmes qui sont
pertinents pour la réalisation du droit à la santé pour tous et
pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable liés
à la santé. Nous jouons en effet un rôle important en tant que parlementaires
pour assurer la promotion du programme de santé mondiale. En outre,
nous avons discuté de l’importance des politiques publiques fondées
sur des données factuelles et examiné la manière dont nous pourrions
optimiser l’expertise technique de l’OMS et réduire l’écart qui
existe entre les politiques et la science.
8. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, la commission
a organisé plusieurs auditions d’experts. Lors de la réunion tenue
par la commission à Izmir le 23 septembre 2022, nous avons entendu Mme Nuriye Ortaylı,
experte en santé publique et M. Kayıhan Pala, professeur de santé
publique à la Faculté de médecine de l’université de Bursa Uludağ.
Par ailleurs, la sous-commission de la santé publique et du développement
durable a procédé, en octobre 2022, à un échange de vues avec M. KM Gopakumar, conseiller
juridique au Third World Network, qui a mis en évidence la façon
dont les règles commerciales et les droits de propriété intellectuelle
nuisent à l’accès des populations des pays en développement au traitement de
maladies comme le cancer du sein. Enfin, une audition a été organisée
lors de la réunion de la commission à Marrakech en mars 2023, avec
la participation de Mme Latifa Belakhel,
cheffe de division des maladies non transmissibles, ministère de
la Santé et de la Protection sociale du Royaume du Maroc, et de M. Chakib Nejjari,
professeur d’épidémiologie et de santé publique, vice-président
du pôle santé, université Euromed (Fès). Je tiens à adresser mes
sincères remerciements à tous les experts pour leur précieuse contribution,
dont j’ai tenu compte dans le rapport.
9. L’Assemblée et d’autres parties prenantes appellent depuis
longtemps à une réforme de l’OMS qui lui permette de mieux remplir
sa fonction, qui est de veiller à ce que chacun puisse atteindre
le meilleur état de santé possible. Les organisations de défense
des droits humains et les pays en développement craignent que les
processus de transformation en cours ne tiennent pas dûment compte
des obligations importantes en matière de droits humains et des
inégalités existantes entre les États, ce que la pandémie a démontré.
La réunion de haut niveau qui se tiendra à l’Assemblée générale
des Nations Unies en septembre 2023 sur la prévention, la préparation
et la riposte face aux pandémies, ainsi que les consultations multipartites
qui auront lieu avant elle, nous offrent donc une occasion unique
d’influer sur le résultat des négociations.
10. Les États ont l’obligation légale de garantir à toute personne
le droit à la santé sans discrimination aucune, en vertu de l’article 12
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels et de l’article 11 de la Charte sociale européenne (STE
n° 35). Les gouvernements sont tenus, dans un souci d’équité mondiale,
de ne pas gêner ou empêcher les autres gouvernements de remplir
leurs obligations envers leurs citoyens. Toute incapacité à enrayer
une pandémie ou autre urgence de santé publique à l’échelle mondiale
pourrait compromettre la réalisation des objectifs de développement
durable de l’ONU, conformément à la mise en garde lancée par notre
collègue Jennifer De Temmerman (France, ADLE) dans son rapport intitulé
«Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques
et pratiques»
. Dans ce contexte, j’ai l’intention
d’examiner quelle forme pourrait prendre un ordre global et multilatéral
fondé sur des règles, en vue de renforcer la résilience de la communauté
internationale et de garantir l’accès effectif au droit à la santé
partout dans le monde en assumant le changement de paradigme «Une
seule santé».
2. Les nouveaux défis pour la santé mondiale
et la nécessité d’une Organisation mondiale de la santé plus forte
et plus autonome
11. Dans cette nouvelle ère des
pandémies, la covid-19 ne serait finalement qu’annonciatrice de
nouvelles urgences de santé publique, peut-être plus graves encore.
Les maladies infectieuses constituent le tout premier péril international
de notre époque. De nouvelles urgences de santé publique liées à
la crise climatique, qui s’accompagne d’un effondrement de la biodiversité,
sont imminentes. En effet, l’OMS a déclaré que la crise climatique
était la plus grande menace pour la santé de l’humanité
. Nous risquons également d’être
confrontés à une urgence de santé publique d’origine humaine dans
l’hypothèse où des agents pathogènes pourraient s’échapper accidentellement
d’un laboratoire ou seraient brandis comme une arme, ou encore dans
l’hypothèse d’un accident nucléaire ou d’une attaque d’une installation
nucléaire lors d’un conflit armé.
12. Les vagues de chaleur que nous avons subies dans notre région
l’été dernier, accompagnées de sécheresse, d’incendies de forêt
et de pressions sur les systèmes de santé, sont de brutaux rappels
de la menace considérable que le changement climatique fait peser
sur la santé humaine. Lors d’une conférence de presse conjointe
de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et de l’OMS, à la
suite de la canicule de 2022 en Europe, il a été noté que les vagues
de chaleur associées à des niveaux élevés de pollution aggravent les
maladies ainsi que les affections respiratoires et cardiovasculaires,
en particulier dans les grands espaces urbains qui ne sont pas adaptés
pour affronter des températures élevées
. L’OMS alerte depuis longtemps sur le
fait que le changement climatique affecte gravement la santé humaine.
L’adoption de mesures pour parvenir aux objectifs de zéro émission
nette en carbone, ainsi que l’accélération de la transition vers
des sources d’énergie propres et renouvelables doivent donc aussi
être des priorités de santé publique et nécessitent un fort engagement
multilatéral.
13. En 2022, l’OMS a apporté son soutien dans 53 situations d’urgence
dans le monde, dont 8 situations d’urgence prolongées de «niveau 3»
nécessitant une intervention majeure de sa part. Tandis que la pandémie a
été déclarée terminée dans la plupart des pays les plus riches,
de nombreuses personnes vivant dans les pays à revenu faible ou
intermédiaire n’ont pas encore reçu une première dose d’un vaccin
contre la covid-19, et encore moins des rappels. Cette injustice
flagrante fait que le virus continue à avoir un effet dévastateur
sur la santé, les droits sociaux et l’économie, en particulier dans
les pays les plus pauvres. L’OMS poursuit ses efforts pour accroître
l’attribution et l’utilisation des vaccins contre la covid-19 dans
le monde entier. L’accès à des traitements tels que les médicaments
antiviraux, l’oxygène médical, etc., est également loin d’être garanti dans
de nombreux pays, ce qui accroît la charge de morbidité et augmente
la mortalité. En effet, il ne suffit pas de survivre à la phase
aiguë de la covid-19 car la maladie peut entraîner une invalidité
à long terme («forme longue de la covid»). Nous assistons peut-être
au plus grand événement d’invalidité de masse depuis des décennies.
14. D’autres aides d’urgence ont été apportées en 2022. Elles
ont notamment consisté à: aider les travailleurs sanitaires locaux,
la société civile et les unités gouvernementales des Philippines
pour lutter contre la désinformation afin de prévenir la propagation
de la covid-19; fournir une assistance médicale d’urgence à l’Ukraine,
à la suite des graves perturbations dans l’accès aux soins de santé
dues à la guerre d’agression de la Fédération de Russie; intensifier
les efforts pour soutenir les pays touchés par des épidémies d’autres maladies
infectieuses, notamment le choléra au Liban et le virus Ébola en
Ouganda; apporter un soutien au Pakistan à la suite des inondations
dévastatrices, où le risque d’épidémies et de malnutrition est extrêmement élevé,
en se concentrant sur l’accélération de la fourniture de soins de
santé, la surveillance des maladies et la maîtrise des épidémies;
élaborer une riposte à la pire insécurité alimentaire observée dans
la Grande Corne de l’Afrique depuis des décennies; et continuer
à dispenser des soins de santé vitaux et à livrer des fournitures essentielles
au Yémen
.
15. La série de tremblements de terre de grande ampleur qui a
frappé la Türkiye et la Syrie en février 2023 est une autre catastrophe
naturelle et une urgence de santé publique nécessitant une aide
immédiate. Le nombre de morts a dépassé le chiffre de 57 000 personnes,
quand plus de 3 millions ont été déplacées. L’OMS appuie les interventions
d’urgence dans les deux pays en envoyant des médicaments vitaux
et d’autres fournitures médicales; en activant son réseau d’équipes
médicales d’urgence pour fournir des services et des équipements
de santé essentiels aux personnes dans le besoin; en assurant la
liaison avec les équipes de surveillance des maladies et d’intervention
rapide pour assurer la surveillance et la détection continues des maladies
d’origine hydrique, infectieuses et respiratoires, ainsi que la
préparation à toute épidémie; et en contribuant aux réponses fournies
en matière de santé mentale et psychosociale
.
16. Les nouveaux défis en matière de santé mondiale sont de plus
en plus nombreux et il est probable que de nouvelles situations
d’urgence en matière de santé publique surviennent de manière inattendue.
Nous devons donc nous préparer à l’inattendu. Il faut pour cela
une OMS forte, capable de remplir ses fonctions essentielles et
de réagir rapidement aux situations d’urgence. Les enseignements
tirés des précédentes situations d’urgence en matière de santé publique
doivent être étudiés et pris en compte lors de l’élaboration de
stratégies nationales et de nouveaux mécanismes mondiaux. Dans sa
Résolution 2114 (2016) «La gestion des urgences de santé publique de portée
internationale», l’Assemblée recommandait de laisser à l’OMS le rôle
de chef de file dans la gestion des urgences de santé publique de
portée internationale, et de veiller à ce qu’elle dispose des pouvoirs
nécessaires et d’un financement stable «pour appliquer efficacement
le Règlement sanitaire international, suivre sa mise en œuvre, et
renforcer son mécanisme de réponse rapide».
17. Le système actuel de sécurité sanitaire mondiale est inadapté.
Il est trop fragmenté, il dépend trop de l’aide bilatérale discrétionnaire
et il est doté de ressources dangereusement insuffisantes
. Dans ce contexte, nous
devrions saisir ce moment critique pour remettre à plat les fondements
mêmes des systèmes de santé, à savoir la gouvernance, le financement,
l’amélioration de l’accès aux médicaments, aux vaccins et aux services
de santé, le développement professionnel du personnel de santé,
ou encore le renforcement des capacités de tous les pays à prévenir
et à répondre aux urgences sanitaires
.
3. Transformer
la gouvernance de l’action sanitaire mondiale
3.1. Donner
des moyens d’action à l’Organisation mondiale de la Santé et s’engager
à soutenir l’approche «Une seule santé»
18. Le nouvel ordre doit être centré
sur une OMS dotée d’un nouveau souffle, qui joue un rôle moteur
dans la surveillance des urgences sanitaires mondiales et dans la
détection des insuffisances des capacités essentielles à l’échelle
nationale prévues par le Règlement sanitaire international. Cependant,
bien que l’OMS soit reconnue comme l’autorité directrice et coordinatrice,
la gouvernance de l’action sanitaire mondiale est aujourd’hui plus
fragmentée qu’elle ne l’a jamais été depuis la création de l’Organisation
en 1948, d’autant que celle-ci n’a guère d’autorité pour mettre
en œuvre ses normes. En fait, l’autorité réelle est exercée par
des partenariats pour la santé et des organismes tels que la Banque
mondiale, qui sont critiqués parce qu’ils sont dominés par les pays
donateurs et les entreprises
.
19. Le Centre Sud a souligné à cet égard qu’il est important que
l’OMS soit «efficacement réorganisée pour agir en tant qu’autorité
de direction et de coordination en matière de santé mondiale, dotée
de pouvoirs juridiques adéquats et de capacités institutionnelles
et financières suffisantes pour le faire sans influence indue de
pays donateurs et d’entités qui ont des intérêts dans le secteur
privé. Cela permettrait à l’OMS de veiller à ce que les intérêts
de tous les pays soient équitablement pris en compte dans ses activités
normatives et opérationnelles».
20. D’abord et avant tout, les États membres doivent assurer un
financement durable de l’OMS afin qu’elle ne dépende pas des contributions
volontaires pour remplir ses fonctions essentielles, ce que l’Assemblée
a demandé dans sa
Résolution 2329
(2020) «Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse efficace
et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19». En effet, sur
un budget annuel actuel de 6 milliards USD, l’OMS n’a été autorisée
à consacrer que moins de 20 % à sa mission première, qui est de
promouvoir la santé publique dans les pays les plus pauvres et de
réagir aux situations d’urgence dans le monde.
21. Donnant suite aux appels de nombreuses parties prenantes,
le Conseil exécutif de l’OMS a créé, en janvier 2021, un groupe
de travail sur le financement durable afin de rechercher des solutions
à long terme pour le financement de l’Organisation. Des représentants
des 194 États membres de l’OMS ont participé aux discussions visant
à rendre le financement de l’OMS plus prévisible et plus souple.
22. Le groupe de travail s’est réuni sept fois avant de parvenir
à un consensus sur les recommandations à soumettre à l’Assemblée
mondiale de la Santé, la proposition d’augmentation des contributions
statutaires des États membres étant le sujet le plus difficile des
négociations en raison de la réticence de certains États. Le Président
du groupe de travail a noté qu’ils avaient parfaitement compris
que ce dont ils discutaient n’était «rien de moins que le rôle futur
de l’OMS dans la santé mondiale. Même au-delà de cela, il s’agit
de ce que nous envisageons pour l’architecture mondiale de la santé:
une gouvernance mondiale de la santé moins fragmentée, mieux coordonnée,
plus efficace et véritablement inclusive avec une OMS fondamentalement renforcée
en son centre en tant qu’autorité de direction et de coordination
habilitée»
.
23. Les débats ont abouti à l’adoption d’un texte par l’Assemblée
mondiale de la Santé en mai 2022 qui augmentera, entre autres, les
contributions statutaires des États membres de 16 % à 50 % d’ici
2029-2031. Le consensus en faveur d’une augmentation de la contribution
statutaire est certes bienvenu, mais il ne sera toujours pas suffisant.
Les experts soulignent que l’OMS a besoin d’un financement multilatéral
plus solide et qu’il faut lui donner les moyens de remplir ses fonctions
essentielles pour préserver la santé mondiale de manière plus durable
et sûre. En particulier, au lieu d’externaliser la gouvernance de
l’action sanitaire à des organismes et des partenariats pour la
santé, l’Assemblée mondiale de la santé devrait envisager de laisser l’OMS
reprendre les fonctions, les ressources et les obligations des organismes
dont l’objet et les activités relèvent de son domaine de compétence,
ce qui est possible en vertu de l’article 72 de sa Constitution
.
24. En outre, l’Assemblée mondiale de la santé devrait «garantir
la primauté de l’OMS et le contrôle de ses organes directeurs sur
les partenariats extérieurs et hébergés; assurer la participation
pleine et effective de tous les États membres de l’OMS à ces partenariats;
et introduire des obligations juridiquement contraignantes pour
les acteurs non étatiques qui s’engagent avec l’OMS afin qu’ils
agissent conformément aux décisions de ses organes directeurs»
.
25. Il nous faut reconnaître que les états sanitaires des humains,
des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement
au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liés
et interdépendants. En conséquence, nous devons tous nous engager
à soutenir une approche «Une seule santé», notamment en renforçant
la collaboration de l’OMS avec les organisations internationales
concernées (telles que l’Organisation mondiale de la santé animale,
l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture,
le Programme des Nations Unies pour l’environnement) afin «d’aider
les pays en développement à renforcer leurs capacités, notamment
à mettre en place une surveillance intersectorielle efficace, y
compris en ce qui concerne la résistance aux antimicrobiens»
.
3.2. Amendements
au Règlement sanitaire international
26. Le Règlement sanitaire international
est un instrument de droit international juridiquement contraignant pour
196 États parties. Il fournit un cadre juridique général qui définit
les droits et les obligations des États dans la gestion des événements
et des urgences de santé publique susceptibles de franchir les frontières.
Il s’agit du seul traité juridique international qui peut conférer
à l’OMS le pouvoir d’agir en tant que principal système de surveillance
mondial. Le Règlement sanitaire international, qui a été adopté
pour la première fois en 1969 après avoir été précédé par le Règlement
sanitaire international adopté en 1951, s’est d’abord concentré
sur six maladies pouvant entraîner une mise en quarantaine.
27. Le Règlement sanitaire international est l’un des instruments
juridiques les plus importants pour «prévenir la propagation internationale
des maladies, s’en protéger, la maîtriser et y réagir par une action
de santé publique». Il a été révisé pour la dernière fois en 2005,
en réponse à l’épidémie de SRAS de 2002-2004, et est entré en vigueur
en juin 2007. Les principales modifications apportées à la suite
de la révision sont notamment l’obligation pour les États de notifier
à l’OMS tout événement susceptible de provoquer une urgence de santé
publique de portée internationale et de mettre en place des capacités
essentielles en matière de santé publique. Une urgence de santé
publique de portée internationale est définie comme étant «un événement
extraordinaire dont il est déterminé qu’il constitue un risque pour
la santé publique dans d’autres États en raison du risque de propagation
internationale de maladies et qu’il peut requérir une action internationale
coordonnée». Cette définition implique une situation qui: est grave,
soudaine, inhabituelle ou inattendue; a des incidences sur la santé
publique au-delà de la frontière nationale de l’État touché; et
peut nécessiter une action internationale immédiate
.
28. La pandémie de covid-19 a révélé un manque généralisé de respect
du Règlement sanitaire international par les États, notamment en
ce qui concerne l’état de préparation, le rôle et l’autorité des
points focaux nationaux, les cadres juridiques pour la mise en œuvre
du Règlement sanitaire international, les systèmes de notification
et d’alerte, le partage d’informations et l’adoption de mesures
unilatérales disproportionnées
. Le Groupe indépendant
sur la préparation et la riposte à la pandémie a conclu que le Règlement
sanitaire international devait être actualisé d’urgence pour faire
en sorte que l’OMS et ses États membres réagissent plus rapidement
aux risques sanitaires mondiaux
.
29. Les juristes et les spécialistes de la santé publique, ainsi
que les États membres eux-mêmes, ont commencé à chercher des moyens
de renforcer ce cadre juridique. Certains estiment qu’il est nécessaire d’adopter
des règles supplémentaires et d’assurer une plus grande clarté textuelle,
tandis que d’autres sont d’avis que la mise en œuvre inappropriée
par les États et l’OMS est au cœur du problème. L’inégalité des ressources,
des capacités et des pouvoirs entre les pays à revenu élevé et les
pays à revenu faible ou intermédiaire a jusqu’à présent été l’une
des causes profondes de l’incapacité de parvenir à un accord sur
la révision du Règlement sanitaire international.
30. Le Groupe de travail sur les amendements au Règlement sanitaire
international s’est réuni pour la deuxième fois du 20 au 24 février 2023
pour examiner 307 amendements proposés par les États membres. Les
négociations mettent en évidence l’écart qui existe entre les intérêts
et les priorités des pays à hauts revenus et ceux des pays à revenu
faible ou intermédiaire. Si les propositions d’amendement des pays
en développement visent à faciliter l’équité en matière de santé,
de préparation et de réponse aux situations d’urgence, l’Union européenne,
quant à elle, a déjà refusé d’étendre le champ d’application des
mesures liées à l’équité aux «urgences sanitaires» et a insisté
pour le limiter aux seules «pandémies»
. Une application aussi
restreinte pourrait avoir de profondes conséquences dans des situations
d’urgence en matière de santé publique telles que les épidémies
de virus Ebola ou Zika.
31. Les experts en droit et en santé publique sont largement d’accord
avec les propositions formulées par les pays en développement, notamment
la nécessité d’assurer un accès équitable aux produits, aux technologies
et au savoir-faire en matière de santé, le renforcement des systèmes
de santé et un mécanisme d’accès et de partage des avantages pour
le matériel génétique. En ce qui concerne les licences de propriété intellectuelle
ainsi que le transfert de technologies et de savoir-faire, une proposition
de l’Eswatani au nom de la région Afrique suggère que lorsqu’une
urgence de santé publique de portée internationale a été déclarée,
il faudrait prévoir «des exemptions et des limitations aux droits
exclusifs des détenteurs de propriété intellectuelle» afin de «faciliter
la fabrication, l’exportation et l’importation des produits de santé
requis, y compris leurs matériaux et composants»
.
32. Dans un éditorial de
The Lancet,
il est affirmé qu’un Règlement sanitaire international efficace
«doit être élaboré sur la base de l’équité, en veillant à ce que
les droits et les responsabilités soient bien coordonnés, les avantages
et les charges équitablement répartis, les intérêts nationaux et
mondiaux soigneusement équilibrés, et l’assistance à court terme
et le renforcement des capacités à long terme fournis avec l’intention
de bénéficier aux populations locales des pays à faible revenu et
à revenu intermédiaire»
. Je suis tout à fait
d’accord avec cela, ainsi qu’avec l’idée que les pays en développement
devraient être davantage responsabilisés dans le cadre d’un processus
législatif transparent et inclusif, afin que leurs préoccupations
et les obstacles pratiques à la maîtrise des menaces sanitaires
mondiales puissent être résolus de manière équitable. Cela serait
dans le meilleur intérêt de tous les États, riches ou pauvres, car
nous avons appris tout au long de la pandémie que notre santé mondiale
n’est pas plus solide que notre maillon le plus faible.
3.3. Négociations
en vue de l’élaboration d’une convention, d’un accord ou d’un autre
instrument international visant à renforcer la prévention, la préparation
et la riposte face aux pandémies
33. En décembre 2021, lors d’une
session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la Santé, les
États membres de l’OMS ont décidé de créer un organe intergouvernemental
de négociation (OIN) chargé de rédiger et de négocier une convention,
un accord ou un autre instrument international visant à renforcer
la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies.
Cette session extraordinaire était la deuxième depuis la création
de l’OMS en 1948 et son Directeur général a noté à ce sujet que
la décision de l’Assemblée mondiale de la Santé était «de nature
historique, vitale dans sa mission, et représentait une occasion
unique de renforcer l’architecture mondiale de la santé pour protéger
et promouvoir le bien-être de tous»
. L’OIN devrait présenter un rapport
d’avancement à la 76e Assemblée mondiale
de la Santé en 2023, avec pour objectif d’adopter l’instrument d’ici
2024.
34. Lors de sa deuxième réunion en juillet 2022, l’OIN a décidé
que l’instrument sera juridiquement contraignant et sera négocié
en vue de son adoption au titre de l’article 19 de la Constitution
de l’OMS. Cet article confère à l’Assemblée mondiale de la Santé
l’autorité pour adopter des conventions ou accords se rapportant
à toute question entrant dans la compétence de l’OMS, sachant que
la majorité des deux tiers des voix sera nécessaire. Le traité sur
les pandémies sera la deuxième convention jamais adoptée au titre
de l’article 19, après la convention-cadre pour la lutte antitabac,
adoptée en 2003.
35. Tout régime juridique adopté en vertu de l’article 19 de la
Constitution créera officiellement un nouveau secrétariat, qui pourra
être hébergé ou non par l’OMS. Contrairement au Règlement sanitaire
international adopté en vertu de l’article 21, l’article 19 établit
un régime conventionnel en dehors de l’administration de l’OMS et
ne peut donc pas conférer de nouveaux pouvoirs, droits ou obligations
à l’Organisation elle-même sans autres arrangements contractuels.
36. En décembre 2022, lors de la troisième réunion de l’OIN, son
Bureau a présenté un projet préliminaire conceptuel, conçu comme
un «instrument flexible et vivant» en vue de le faire évoluer vers
un projet préliminaire. Le projet préliminaire a été finalisé en
février 2023 et a servi de base aux négociations menées entre les
194 États membres de l’OMS lors de la quatrième réunion de l’OIN,
tenue du 27 février au 3 mars 2023. L’OIN a en outre convenu que
le projet préliminaire ne saurait préjuger de la position de quelque délégation
que ce soit, selon le principe voulant que «rien n’est convenu tant
que tout n’est pas convenu».
37. Le projet préliminaire comprend un préambule et une ambition
fondée sur l’équité, suivis de huit chapitres, soit 38 articles
au total. L’un de ses objectifs est de «prévenir des pandémies,
de sauver des vies, de réduire la charge de morbidité et de protéger
les moyens de subsistance, en renforçant, de manière volontariste,
les capacités mondiales de prévention, de préparation et de riposte
face aux pandémies, et de relèvement des systèmes de santé après
une pandémie». Le texte opérationnel met notamment l’accent sur l’équité,
le droit à la santé, les principes de bonne gouvernance en matière
de prévention des pandémies, de préparation et de riposte, de partage
de la technologie et du savoir-faire, de non-discrimination, de transparence
et de responsabilité, ainsi que sur les arrangements financiers
et institutionnels. Il réaffirme parallèlement le principe de la
souveraineté des États tant dans le préambule que dans le texte
opérationnel.
38. Les projets de textes de l’OIN ont fait l’objet d’appréciations
mitigées. Bien que certains commentaires et préoccupations concernant
le projet préliminaire conceptuel aient été pris en compte dans
la préparation du projet préliminaire, de nombreuses parties prenantes,
y compris des organisations de défense des droits humains de premier
plan, des ONG et des pays en développement, estiment que ce projet
n’est pas suffisamment ambitieux et craignent que la dimension des
droits humains n’ait pas été correctement prise en considération
au cours des négociations et ne soit pas suffisamment couverte dans
le contenu de la dernière version. D’autre part, selon Health Policy
Watch, il est «peu probable que le projet survive sous sa forme actuelle,
étant donné le poids considérable du lobby pharmaceutique, en particulier
dans l’Union européenne»
.
39. Dans une analyse juridique du projet préliminaire conceptuel
publiée par O’Neill Institute for national and global health law
de l’université de Georgetown
, les auteurs soulignent
que le projet omet trois dispositions importantes. En premier lieu,
ils considèrent qu’un mécanisme financier destiné à soutenir les
pays à revenu faible ou intermédiaire qui sont souvent vulnérables
aux crises sanitaires fait défaut. Le Fonds pour la prévention,
la préparation et la réponse aux pandémies de la Banque mondiale
a une portée trop étroite et les niveaux de financement sont beaucoup
trop faibles. Deuxièmement, les auteurs soulignent que le projet néglige
la mobilisation de ressources permettant d’aider les pays à revenu
faible ou intermédiaire à mettre en œuvre des programmes de protection
sociale solides et non discriminatoires, tels que le revenu, l’éducation, l’emploi
et la santé mentale. Troisièmement, ils notent que le projet néglige
largement la protection des droits humains. Les auteurs affirment
qu’il n’existe pas de dispositions précises permettant de se prémunir
contre les violations des droits civils et politiques et appellent
à l’incorporation des lignes directrices sur la protection des droits
civils et politiques dans les situations d’urgence sanitaire élaborées
par la Commission internationale de juristes et le Global Health Law Consortium.
40. Une autre lacune du projet est la définition de la souveraineté
de l’État, qui est en contradiction avec les droits humains. Le
projet omet de mentionner que l’approche des États en matière de
santé publique est limitée par les droits humains. Leurs approches
ne peuvent pas être discriminatoires et en contradiction avec la science,
et ils ne peuvent pas poursuivre l’objectif de santé publique d’une
manière qui viole les droits civils et politiques
.
En conséquence, le nouvel instrument devrait faire expressément
référence aux obligations pertinentes qui incombent aux États de
protéger les droits humains et les libertés fondamentales pendant
les urgences de santé publique
. Les experts de l’ONU
ont exhorté les États à veiller à ce que les négociations multilatérales
en cours s’inspirent de l’article 12 du Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels (plutôt que de la définition
de la santé telle qu’elle figure dans la Constitution de l’OMS)
et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
en particulier son article 4. Le projet devrait également tenir compte
des obligations internationales de longue date en matière de droits
humains, qui sont essentielles pour la préparation, la riposte et
le relèvement en cas de crise de santé publique, y compris la sécurité
sociale – qui est essentielle pour l’exercice du droit à la santé.
41. Jusqu’à présent, ces appels n’ont pas été pris en compte de
manière appropriée par l’OIN. La Commission internationale de juristes,
Amnesty International, l’Initiative mondiale pour les droits économiques et
sociaux et Human Rights Watch ont publié une déclaration publique
conjointe en février 2023, appelant à un renforcement des éléments
relatifs aux droits humains dans le projet préliminaire qui, selon
eux, n’intègre toujours pas de manière adéquate la participation
et la responsabilité; le droit à la santé et les déterminants sociaux
de la santé; le droit au progrès scientifique et sa véritable relation
avec les droits de propriété intellectuelle; l’égalité et la non-discrimination;
les droits humains dans les réponses aux urgences de santé publique;
l’assistance et la coopération internationales; la santé et les
travailleurs essentiels; et les droits humains et le rôle des entreprises
. En outre, Médecins
Sans Frontières a demandé des engagements plus fermes en faveur
des populations en situation de crise humanitaire et de l’accès
à l’aide humanitaire.
42. En ce qui concerne le processus de rédaction, bien que l’OIN
ait tenu et continuera de tenir des séances publiques auxquelles
les parties prenantes, dont le Conseil de l’Europe, sont invitées
à assister, à prendre la parole à la discrétion des coprésidents
et à fournir des contributions au Groupe, je regrette que notre organisation
et d’autres parties prenantes importantes œuvrant à la promotion
des droits humains n’aient pas accès au processus de rédaction lui-même,
qui se déroulera dans le cadre de réunions à huis clos. Il est donc d’autant
plus important que les États membres du Conseil de l’Europe veillent
à ce que les propositions faites lors des négociations à huis clos
soient guidées par les principes des droits humains et de la solidarité,
et que le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation, joue un
rôle actif lors des réunions publiques et apporte sa contribution
à l’organe intergouvernemental de négociation afin de garantir la
compatibilité des propositions avec les normes du Conseil de l’Europe
en matière de droits humains.
43. Civil Society Alliance for Human Rights in the Pandemic Treaty
(CSA) est un groupe informel et ouvert d’organisations et d’experts
individuels qui vise à intégrer les considérations relatives aux
droits humains dans les négociations du nouvel instrument, ainsi
que dans les processus connexes dans le domaine de la gouvernance
de la préparation et de la riposte aux pandémies. L’un des objectifs
prioritaires du CSA est la démocratisation du processus de formulation
du nouvel instrument sur la prévention, la préparation et la riposte face
aux pandémies, en assurant la participation effective des communautés
et des organisations de la société civile, notamment celles qui
représentent les groupes marginalisés et criminalisés et s’occupent
d’eux. Le groupe a identifié «Dix principes des droits humains pour
un traité sur la pandémie», qui est un document considéré comme
vivant et évolutif; j’invite l’OIN à le prendre en compte lors de
la négociation du nouvel instrument
.
4. Réforme
des accords commerciaux internationaux et accès équitable aux biens
publics
44. Le 7 juillet 2022, le Conseil
des droits humains a adopté, sans vote, une résolution
appelant à un accès mondial
et équitable aux médicaments, vaccins et autres technologies médicales.
Nous avons la responsabilité collective de garantir un accès équitable
aux soins de santé et de veiller à ce que les ressources rares soient
équitablement réparties lors des urgences de santé publique. C’est
également la raison pour laquelle un nouveau traité sur les pandémies
ou un autre instrument doit soutenir explicitement le «renforcement
des capacités et des moyens nationaux et régionaux des pays en développement
en matière de prévention, de préparation, de réponse et de relèvement
en cas de pandémie», ainsi que l’a demandé le Centre Sud dans une
communication écrite adressée à l’OIN
.
45. Si l’OMS fait actuellement l’objet de négociations en vue
de réformes majeures, la nécessité de réformer les accords commerciaux
internationaux et le fonctionnement de l’OMC n’a, quant à elle,
guère été débattue. L’un des principaux échecs résultant de la pandémie
a été l’inégalité flagrante d’accès aux équipements de protection
individuelle, aux vaccins et aux médicaments, en raison des droits
de propriété intellectuelle, des goulets d’étranglement commerciaux
et des restrictions à l’exportation. Trois années se sont écoulées
depuis le déclenchement de la pandémie de covid-19, mais les États
puissants ne sont toujours pas parvenus à un accord pour lever les
brevets concernant les vaccins contre le coronavirus, qui sauvent
des vies, et pour partager les technologies de l’information, ce
qui permettrait là encore de sauver des vies, d’écourter la pandémie
et de contribuer ainsi de façon importante à la stabilisation de
l’économie mondiale.
46. En septembre 2022, j’ai effectué une visite d’information
à Genève, en Suisse, pour assister au Forum public de l’OMC, où
j’ai entendu des appels de la société civile et d’ONG de défense
des droits humains à la nécessité urgente de faire en sorte que
la recherche et le développement soient des biens publics mondiaux disponibles,
que les données, la propriété intellectuelle et le savoir-faire
soient partagés plus équitablement et que la transparence soit améliorée.
Le monde doit s’unir pour accroître l’offre et l’accès équitable
dans toutes les régions grâce à des investissements soutenus dans
la recherche et le développement, le renforcement de la production
locale et la mise en commun des achats.
47. L’initiative COVAX, qui a remporté le prix Nord-Sud du Conseil
de l’Europe en 2021, a été lancée en 2020 afin de garantir une allocation
équitable des vaccins contre la covid-19 à l’échelle mondiale, l’objectif étant
de fournir 2 milliards de doses aux pays à revenu faible et intermédiaire
d’ici à la fin 2021. Malheureusement, cette initiative n’a même
pas permis de livrer la moitié des doses qu’elle s’était fixée comme objectif.
Les objectifs de COVAX ont été compromis par la rétention et la
constitution de stocks par les pays riches, ainsi que par des flambées
catastrophiques du coronavirus entraînant la fermeture des frontières
et donc des chaînes d’approvisionnement. En outre, la réticence
des entreprises pharmaceutiques à partager les licences, les technologies
et le savoir-faire a eu pour conséquence que les capacités de production
sont restées inutilisées. Cette répartition inéquitable des vaccins
contre la covid-19 à l’échelle mondiale a déjà entraîné un retard
dans la réalisation des objectifs de développement durable des Nations
Unies.
48. Les pays riches, notamment le bloc de l’Union européenne,
ont accumulé des vaccins et se sont livrés à une surenchère en concluant
des accords bilatéraux avec les fabricants de vaccins, ce qui a
exclu les pays à revenu faible ou intermédiaire et sapé le principe
d’équité, qui est essentiel pour sauver des vies et notre économie
mondiale. Sur les 13,37 milliards de doses de vaccin qui ont été
administrées dans le monde, moins d’un tiers des personnes vivant
dans les pays à faible revenu ont reçu une première dose, sans parler
des rappels
. L’accès à la vaccination
dans les pays à revenu faible et intermédiaire n’a augmenté qu’au
cours des derniers mois, après que plusieurs pays à revenu élevé
ont déclaré que la pandémie était terminée et ont fait don des doses
restantes.
49. Les efforts multilatéraux qui sont actuellement déployés pour
assurer la prévention, la préparation et la riposte rapide face
aux urgences de santé publique doivent également prendre en compte
le rôle du secteur privé, en particulier des entreprises pharmaceutiques,
dans l’accès aux services et médicaments essentiels pendant ce type
de crise, ainsi que la mise en place d’obligations appropriées en
matière de droits humains pour les entreprises. Dans son rapport
«La santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique: comment
garantir la primauté des intérêts de santé publique»
, notre ancienne collègue Mme Liliane Maury Pasquier
(Suisse, SOC) indiquait qu’il fallait prendre des mesures afin d’adapter
le système aux besoins de santé publique, notamment en adoptant
des politiques d’autorisation de mise sur le marché plus strictes
et en garantissant une transparence complète concernant les coûts
réels de la recherche et du développement. En outre, les États doivent
définir des mécanismes clairs pour éviter les conflits d’intérêts
dans l’implication du secteur privé qui reçoit des fonds publics.
50. Plusieurs résolutions de l’Assemblée mondiale de la Santé
ont appelé les États membres de l’OMS à utiliser pleinement les
flexibilités prévues par l’Accord sur les ADPIC; elles ont demandé
au Secrétariat de l’OMS de suivre et d’analyser les incidences des
accords commerciaux sur les produits pharmaceutiques et la santé
publique, d’étudier les possibilités offertes par les accords commerciaux
pour améliorer l’accès aux médicaments et de fournir des conseils
et un soutien technique aux États membres dans leurs efforts à cet égard
.
L’Assemblée a fait écho à ces appels dans les Résolutions 2361 (2021)
«
Vaccins
contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques» et 2424 (2022) «
Vaincre
la covid-19 par des mesures de santé publique». Jusqu’à présent, la réponse multilatérale aux préoccupations
concernant les droits de propriété intellectuelle et l’accès équitable
aux biens publics dans le contexte de la covid-19 a été d’encourager les
gouvernements et le secteur privé à concéder volontairement des
licences sur les technologies en utilisant des mécanismes de mise
en commun des brevets. Mais nous ne pouvons pas compter sur la solidarité
et la bonne volonté des détenteurs de brevets et des pays riches
pour garantir l’accès à des vaccins et à des médicaments vitaux.
51. Dès le début de la pandémie, l’Afrique du Sud et l’Inde, ainsi
que d’autres pays en développement, ont demandé une dérogation aux
ADPIC pour tous les produits liés à la covid-19. Il a fallu plus
de 20 mois de négociations pour parvenir à un accord sur une version
édulcorée de la proposition initiale présentée au Conseil des ADPIC
de l’OMC. Alors que les pays en développement et les organisations
de défense des droits humains ont proposé d’étendre les dérogations
à la propriété intellectuelle aux thérapies et aux diagnostics, l’Union
européenne, les États-Unis et d’autres pays riches ont une fois
de plus retardé la décision tant attendue en décembre 2022, affirmant
qu’ils avaient besoin de davantage d’éléments prouvant que les règles
de propriété intellectuelle avaient ralenti l’accès mondial aux
traitements et aux tests de dépistage de la covid-19, malgré la
forte opposition des principaux chercheurs, de l’OMS et des organisations
de défense des droits humains
.
52. Les premières vagues de la pandémie ont également été marquées
par de graves perturbations dans les chaînes d’approvisionnement
médical. Nous avons besoin de règles mondiales claires pour garantir
le bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement pendant les
pandémies ou les autres urgences de santé publique. En outre, comme
le soulignait notre collègue, Mme Jennifer De Temmerman,
dans son rapport «Sécurisation de la chaîne d’approvisionnement
en produits médicaux»
, nous devrons renforcer les capacités
d’approvisionnement mondiales. Nous devrions investir dans un effort
multilatéral durable, à long terme, de préférence par le biais de
l’OMS, pour garantir le développement, la fabrication, le stockage
et la distribution de vaccins et d’autres produits essentiels –
un système qui soit maintenu en état de fonctionnement en temps
normal et puisse être rapidement mobilisé pour apporter la réponse
rapide nécessaire aux urgences de santé publique. En outre, les
États doivent identifier les vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement médicales;
renforcer les capacités de fabrication et les compétences pour produire
conformément aux normes dites de bonnes pratiques de fabrication
et assurer une surveillance réglementaire (concernant l'inspection
du site, son évaluation et l'approbation réglementaires ainsi que
la surveillance indépendante de la qualité approuvée lot par lot).
5. Renforcer
la résilience des systèmes de santé nationaux dans les États membres
du Conseil de l’Europe et au-delà
53. Dans son rapport élaboré dans
le cadre d’une procédure d’urgence et intitulé «Vaincre la covid-19
par des mesures de santé publique»
, notre collègue M. Stefan Schennach
(Autriche, SOC), a déclaré que les États membres doivent allouer
de toute urgence les fonds nécessaires à la mise en place de systèmes
de santé renforcés. Il s’agit non seulement de combattre la pandémie
et ses effets dévastateurs sur l’économie mondiale, mais aussi de
réduire les fractures et les inégalités préexistantes, notamment
en matière d’accès aux soins de santé, que la crise sanitaire a
mises en évidence. Il convient également d’approuver et d’adopter l’approche
«Une seule santé» comme le préconisent plusieurs des rapports de
l’Assemblée.
54. La pandémie a mis à nu les inégalités de nos systèmes de santé,
y compris dans le domaine de la santé mentale, et le manque criant
de ressources financières qui se traduisent notamment par des professionnels de
santé surmenés et sous-payés ainsi qu’un nombre insuffisant de lits
d’hôpitaux. Dans la région Europe de l’OMS, la pénurie de personnel
était le problème majeur de services de santé sous pression. Dans
nos États membres, il existe de grandes différences dans le nombre
de lits de soins intensifs par rapport à la population. Au début
de la pandémie, l’Allemagne comptait 28,2 lits d’hôpitaux pour 100 000 habitants
et l’Autriche 21,8, alors que la moyenne européenne n’était que
de 14,1
.
55. Nous devons disposer de services de santé solides et robustes
au niveau national. Avant la pandémie, le monde prenait des mesures
positives pour mettre en place une couverture sanitaire universelle
afin d’assurer la santé pour tous d’ici à 2030. La pandémie a profondément
ébranlé nos systèmes de santé, nos sociétés et nos économies et
a donc érodé les acquis du développement de ces 25 dernières années
. Les premières vagues
de la pandémie auraient dû alerter les gouvernements et la communauté
internationale quant à la nécessité de s’attaquer d’urgence aux
inégalités dans nos systèmes de santé et au manque de moyens financiers.
56. Il est essentiel que les États membres élaborent des stratégies
nationales de hiérarchisation des priorités pour assurer une répartition
équitable de biens tels que les vaccins, les médicaments et les équipements
de protection dans les situations où les ressources sont limitées.
Les autorités de santé publique doivent mettre en œuvre des mesures
opportunes pour limiter les effets des urgences de santé publique.
À la lumière de l’évolution de la situation, il importe de réexaminer
régulièrement les mesures de santé publique mises en place dans
nos États membres au moyen d’un contrôle parlementaire, afin de
nous assurer qu’elles demeurent pertinentes, proportionnées et efficaces,
dans le respect des droits humains.
57. Le monde doit s’unir, accroître la solidarité et mobiliser
des financements afin de renforcer les capacités de base des pays
en matière de préparation et de gestion de la réponse aux urgences
sanitaires. Le Fonds monétaire international estime que cela va
contraindre les pays en développement à accroître leurs dépenses de
1 % du PIB, au moins lors des cinq prochaines années
. La pandémie de covid-19
a démontré que notre santé collective mondiale dépend de notre maillon
le plus faible; c’est pourquoi il est indispensable de combiner cet
accroissement des dépenses au niveau national avec une augmentation
des dons extérieurs aux pays à faible revenu destinés à soutenir
les investissements. Plutôt que de la considérer comme une «aide
aux autres pays», il convient d’envisager cette dépense comme un
investissement stratégique dans des biens publics mondiaux qui profite
à toutes et tous
.
58. Il est regrettable que de nombreux pays qui sollicitent une
aide financière auprès du Fonds monétaire international aient reçu
cette aide à la condition qu’ils entreprennent des programmes d’ajustement
structurel, ce qui entraîne des réductions drastiques des budgets
de santé publique et touche les plus vulnérables. Les institutions
financières internationales, notamment la Banque mondiale et la
Banque de développement du Conseil de l’Europe, ainsi que les institutions
consacrées au commerce international et au développement, telles
que l’OMC et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement,
devraient collaborer, sous la direction de l’OMS, avec d’autres
institutions importantes qui s’emploient à promouvoir la santé mondiale,
les droits humains et le développement durable aux niveaux national,
régional et international, afin de soutenir un système mondial de
commerce et d’investissement fondé sur les principes de solidarité
et de protection des droits humains et d’aider les pays et régions
à faible revenu à investir dans les biens publics nécessaires pour
faire face aux menaces découlant des nouvelles urgences de santé
publique.
59. Les investissements publics dans la recherche et le développement
devraient être accrus et les résultats de la recherche financée
par des fonds publics devraient être partagés. Le renforcement des
points focaux nationaux est essentiel à la mise en œuvre du Règlement
sanitaire international, car ils s’occupent des aspects du Règlement
liés à la communication, tant au niveau national qu’international.
En tant que points de contact désigné entre l’OMS et les États parties,
il est essentiel que les points focaux nationaux disposent de l’autorité, des
capacités, de la formation et des ressources nécessaires pour s’acquitter
efficacement des fonctions qui leur sont confiées par le Règlement
sanitaire international.
6. Conclusion
60. Je pense que l’objectif que
nous voulons atteindre est partagé, à savoir l’accès effectif au
droit à la santé pour toutes et tous, prévenant l’émergence d’urgences
de santé publique et réagissant avec rapidité, efficacité, équité,
et d’une manière conforme aux droits humains, si elles surviennent
malgré toutes les précautions prises. Le défi à relever consiste
à concevoir au mieux un système multilatéral qui permette d’atteindre
cet objectif et qui puisse être accepté par tous.
61. Le nouvel ordre doit être centré sur une OMS dotée d’un nouveau
souffle et des moyens d’agir, faisant office de principale instance
dirigeante dans l’action sanitaire mondiale, à la fois de facto et de
jure. Les États membres doivent assurer un financement
durable de l’OMS et veiller à ce qu’elle dispose effectivement des pouvoirs
nécessaires pour mettre en œuvre et surveiller le Règlement sanitaire
international et renforcer son mécanisme de réponse rapide aux urgences
de santé publique. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient
participer activement à l’Assemblée mondiale de la Santé en vue
d’assurer la bonne gouvernance de l’OMS, ainsi que de promouvoir
et de suivre les efforts de réforme tout en renforçant la transparence.
62. Une prise de décision inclusive et une participation pleine
et égale des pays en développement sont nécessaires dans les processus
de négociation du Règlement sanitaire international et de l’organe intergouvernemental
de négociation chargé de rédiger et de négocier une convention,
un accord ou un autre instrument international visant à renforcer
la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies.
Les négociations ne doivent pas négliger la voix des parties prenantes
importantes, telles que les parlements, et doivent garantir des
processus transparents et véritablement consultatifs qui associent
la société civile, les ONG et les organisations de défense des droits
humains, et prennent dûment en compte leurs propositions pour renforcer
les textes.
63. Les gouvernements doivent tirer les enseignements des précédentes
urgences de santé publique et intégrer l’équité et les droits humains
dans la révision du Règlement sanitaire international et dans le
processus de rédaction d’une convention, d’un accord ou d’un autre
instrument international visant à renforcer la prévention, la préparation
et la riposte face aux pandémies, et veiller en particulier à ce
que ce dernier instrument soit conforme aux «10 principes des droits
humains pour un traité sur les pandémies» élaborés par le groupe
Civil Society Alliance for Human Rights in the Pandemic Treaty.